La dignité de vicomte, connue dès le IXe siècle, ne fut
d’abord qu’un simple office de judicature.
Les comtes se réservant les affaires de la guerre,
confièrent à des délégués qui furent appelés vicomtes, celles de justice, de police
et de finance. Ils leur assignèrent, pour récompense de leurs travaux, des
revenus sur des fonds dont la propriété appartenait au domaine du comte.
Ils eurent des « ces et rentes », et même quelques
droits de banalité sur les foires et marchés.
Ces vicomtes n’étaient que des officiers amovibles,
mais lorsque les comtes se furent rendus indépendants dans leurs provinces où
ils n’étaient eux-mêmes que des délégués révocables à volonté, les vicomtes
s’élevèrent et s’agrandirent avec eux, et les revenus attachés à leurs charges
devinrent des fiefs héréditaires.
La vicomté de Troyes était héréditaire dès 1070, et
Lithuisse, riche héritière de Champagne et vicomtesse de Troyes, la porta en
mariage à Milon dit le Grand, seigneur de Montlhéry, qui prit le titre de
vicomte de Troyes, qu’il transmit à sa famille. Rainauld, son frère, en qualité
de vicomte de Troyes, fit, en 1120, à Gauthier, abbé de Montiéramey, une
donation de sa part dans la justice de Saint-Martin-ès-Vignes. Depuis, il fut
évêque de Troyes. A sa mort, la vicomté passa dans la maison de Dampierre, par
le mariage d’une sœur des deux derniers vicomtes avec un seigneur de cette
maison. Jean de Dampierre, connétable de Champagne, en mourant en 1260, laissa
plusieurs enfants qui partagèrent entre eux la vicomté.
Depuis elle a été démembrée et répartie entre
plusieurs particuliers qui l’ont tous possédée par indivis. En 1263, le
chapitre Saint-Etienne de Troyes acquit d’Eustache de Conflans, maréchal de
Champagne, la part de la vicomté, en échange de ce que le chapitre possédait à
Ver-sous-Monymes.
Le titre de « Vicomtes de Troyes » ne convient pas
aux chanoines et chapitre de l’église Saint-Etienne, que le comte fondateur ne
pouvait leur donner, n’en jouissant pas lui-même.
Il faut distinguer du titre de vicomte le simple
droit de minage qui fut acheté par les chanoines, et depuis cet achat, on
trouve les vicomtes de Troyes qui n’ont jamais eu part au droit de minage
(droit seigneurial levé sur le mesurage des mines de grains).
Vers 1650, Jean de Mesgrigny, marquis de la
Villeneuve-au-Chêne, réunit les démembrements, et depuis cette réunion, la
vicomté se trouve partagée entre le roi pour « un quart dans un tiers, les
maires et échevins pour un autre quart dans un tiers, et le chapitre de
Saint-Etienne pour un tiers entier », le reste appartient à M. de Mesgrigny
dans la famille desquels il s’est perpétué presque sans interruption.
Parmi les droits attachés à cette vicomté, le
chapitre de Saint-Etienne a le minage, les maires et échevins les droits de « Tonlieu
» (impôt prélevé pour l'étalage des marchandises sur les marchés) des portes
Saint-Jacques et Croncels, et sur les vins qui se débitent dans la ville. Les
droits furent ensuite confondus dans les octrois.
Les vicomtes de Troyes avaient anciennement dans la
ville un château où ils faisaient leur résidence, et dans lequel ils rendaient
la justice. Il était près de la porte du Beffroi et de l’église Saint-Nicolas.
Ce fut dans ce château que le roi Louis-le-Bègue*
régala le pape Jean VIII,
après avoir été couronné de sa main, en présence d’un grand nombre d’évêques
assemblés à Troyes en concile, au mois de septembre 878.
L’enceinte du château de la vicomté était
considérable, et était très fortifiée. Dans la suite, il fut converti en «
Parloir aux Bourgeois », où s’assemblait le corps municipal.
Au commencement du XVe siècle, il n’en subsistait plus
qu’un tertre formé par les décombres, sur lequel on éleva un corps-de-garde et
un beffroi, qui a donné son nom à la porte de la ville qui en est proche. Le corps-de-garde
et le beffroi furent consumés, avec la grosse cloche qui y était, dans
l’incendie du « mercredi veille du Saint-Sacrement », le 25 mai 1524.
Quelques temps après, il fut rétabli en partie, mais
en 1587, il fut démoli par ordre de Henri III, dans le temps des guerres de la
Ligue. Le terrain fut donné à différents particuliers qui y ont bâti des
maisons. Le tertre était de niveau avec le rempart, et les maisons voisines y
ont des jardins de plain-pied avec le 1er étage.
*Louis-le-Bègue
Si les enfants et petits-enfants de Charlemagne sont
morts sur le trône sans difficulté, et presque automatiquement en raison de
leur filiation, il n'en est pas de même pour Louis le Bègue, fils de Charles le
Chauve et d’Ermentrude et roi de France de 877 à 879. Il faudra procéder à une
élection à laquelle les Grands (devenus une puissance de plus en plus forte) ne
se résignent qu'après avoir reçus comtés, abbayes et villas, ainsi que la
promesse de pouvoir conserver leurs privilèges.
Le simple et doux Louis le Bègue est même contraint
d'accepter la tutelle d'une manière de marie du Palais, en la personne de son
oncle maternel ; Hugues l'Abbé, marquis de Neustrie, qui, après avoir reçu le
comté de Tours, est nommé archichapelain du palais. Il occupera cette charge
pendant onze années. (Louis le Bègue avait été chargé du gouvernement du
royaume au moment du départ de Charles le Chauve pour l'Italie, mais le nouvel
empereur n'avait pas grande confiance dans les capacités de son fils et il l'avait
mis sous tutelle de plusieurs conseils composés d'évêques, d'abbés et de
comtes).
Après avoir eu du mal à se faire reconnaître comme
roi, Louis le Bègue en eut tout autant à se faire obéir.
La situation du pape Jean VIII, aux prises avec les
musulmans et les princes italiens, devenait intenable. Le pape vint alors en
Gaule pour obtenir du secours, mais Louis était malade. Espérant trouver en
Louis le Bègue un protecteur, quitte Rome pour se rendre à Troyes, afin de
couronner le nouveau roi. Les souverains et le clergé de Germanie ne vinrent
pas au concile de Troyes, ville désignée par Louis II, qui ne réunit que des
évêques de Gaule, hostiles, malgré les pathétiques exhortations du pape, à
toute nouvelle aventure italienne.
Si Jean VIII ne recueillit que désillusions de son
propre voyage, il réunit néanmoins, après avoir renouvelé le couronnement du
roi, à rapprocher Louis le Bègue et son cousin Louis le Jeune, un des fils de
Louis le Germanique ; ils se rencontrèrent à Fouron le 1er novembre 878. Ils
établirent un Modus Vivendi pour les frontières et décidèrent de rechercher un
accord général avec les deux autres rois carolingiens en vue de rétablir
l'unité franque. Mais Louis, toujours malade, devait bientôt céder la charge du
gouvernement à son fils Louis III. Louis le Bègue meurt précocement le 11 avril
879.
BULLE
INEDITE
DU
PAPE JEAN VIII
EN FAVEUR DE L’ABBAYE DE MONTIÉRAMEY
L'original ne devait déjà plus exister au milieu du
quinzième siècle ; car, à cette époque, l'exemption de l'abbaye,
précédemment reconnue par l'antipape Clément VII, ayant donné lieu à un procès
en parlement entre l'abbaye et l'évêque de Troyes Jean l'Éguisé, l'abbé et les
religieux renoncèrent à leurs prétentions et reconnurent l’autorité épiscopale Depuis cette époque, l'évêque de Troy es
exerça dans l'abbaye de Montiéramey le droit de visite et de procuration (4).
Remarquons que Jean VIII place Montiéramey dans le
royaume de Bourgogne, quoique, en même temps il le fasse dépendre du pagus
Tricassinus. Montiéramey est aussi attribué au pagus Tricassinus par un diplôme
de Charles le Chauve et par un extrait qu'a donné Camusat, et après lui D. Bouquet,
d'un manuscrit très ancien conservé dans ce monastère *. Une lettre de Léon IV
au célèbre évêque Prudence paraît enfin
prouver qu'au IXe
siècle, comme au XVIIIe,
Montiéramey faisait partie du diocèse de Troyes. Mais sans doute aussi, au IXe siècle comme au Xe, Montiéramey
touchait à la frontière du diocèse de Langres , et l'on sait, que le diocèse de
Langres tout, entier appartenait au royaume de Bourgogne.
La date de la bulle que je publie répond au 1septembre
878 ; les noms du notaire et de l'expéditeur sont les mêmes qu'à la bulle
accordée le 27 du même mois à l'abbaye de Charroux (5).
Le concile de Troyes, dont il est question au
commencement de notre bulle, est aussi mentionné dans une lettre de Jean VIII
aux archevêques d'Arles et de Narbonne (6). L'analyste de Saint-Bertin (7)
fournit quelques détails sur cette assemblée, dont les actes, datés du 14
septembre 878 (8) et souscrits par Louis le Bègue et par trente- cinq évêques,
ont été récemment publiés en Allemagne.
EXEMPTIO MONASTERII ARREMAREHSIS.
(Exemption du Monastère d’Arremarehsis)
Johannes episcopus, servus seFvorura Dei, filio (?)
Rotfrido, religioso abbati [dej cenobio sancti Pétri, sito in loco qui vulgo vociitur
Mansus Corbonis et nunc Nova Cella, in territorio Tri- cassino, in regno
Burgundiorura, successoribusque tuis in per- petnum. Convenit enim nostrum
pontificium, ut, quanto supra omneš universos eminet dignitate, tanto magis
eniteat pre omnibus serenissima pietate : quatinus, cum illi est licere, quod
misericorditer libet, qualiter libitum sit, ex utraque parte pium illi
decernere decet. Immo postulastis a nobis, ut prefa- tum monasterium sine
ecclesiastico sineque publico munere aliquo sub nostra apostolica persisteret
tuitione. Nos vero , ve- stram religiositatem intelligentes, cum apud Trecas
synodům pro universarum Dei ecclesiarum negociis celebraremus, statuentes
volumus, apostolicaque auctoritate firmantes decernimus , ut nullus episcoporum
nullusque minister publicus vel officialis eorum aliquam ex hoc monasterio vel
ex quibuscumque prediis ipsius décimas exigat, aut censům aliquem super eodem
expo- scat, exceptis illis XXdenariis, quos in festa beati Pétri ipsius
territorii comiti dare debetis A . Sed cuncta que ibi oblata sunt vel offerri
contingerint , tam a vobis quam ab eis qui in eodem loco in officio abbatis vel
conversatione religiosa succrescunt, seu qui pro anime sue remedio ibidem
oblationes suasobtulerint, a presenti tem pore illibata et sine inquietudine
volumus et apostolica auctoritate possidere sanccimus. Itemque constitui- mus,
ut, obeunte abbate predicti monasterii, non alius ibi qua- cumque obrectiouis
astutia ordinetur, nisi quern consensus monachorum secundum timorem Dei et
institutionem regula- rem sancti Benedicti elegerit. Hoc quoque capitule presenti
subjungimus, ut locum avaricie secludamus, nullum de regibus, nullurn de
sacerdotibus, vel quemcumque fidelium, per se sup- positarnve personam, de
ordinatione ejusdem abbatis vel cleri- corum aut presbiterorum , yel de
largitione chrismatis, aut consecratione basilice, a.ut de quucumque
commoditHte spiritua- lis aut temporalis, sive quibuscumque causis ad idem
mon;tste- rium pertinentibus, audere in auro, vel alia qtialibet strene coin-
inoditate vel exenii loco quicquam accipere, neque eundem abbatem ordinationis
sue causa dare presumere, ne occasione ea, que a fidelibus pio loco ofťeruntur
aut tam 2 oblata šunt, consumantur. Neque episcopus civitatis ipsius parrocbie,
nisi ab abba t.c ipsius monasterii invitatus, publions inissas agat, ne- que
stationes in cenobio eodem indicat, ne servorum Dei quies quoquo modo populari
conventu valeat perturbari, neque pa- rains et mansionatus exinde présumât
exigere. Susceptionem autem fidelium et religiosorum ac betiefacientium et
facultatum non modo ibidem gratis fieri deneganras, sed etiam suademus. Si quis
vero sacerdotuni, judicum atque secularium personarurn, hanc nostre
constitutionis paginam agnoscens, contra earn venire temptaverit, potestatis
honorisve sui dignitate, percussus apostolico anathemati, careat, reumque se
divino judicio se exi- stere de perpetrata iniquitate cognosçat, et, nisi vel
ea que ab i Ho sunt male ablata restituerit, vel presumpta correxerit, vel
digna penitentia illicita acta defleverit, a sacratissimo corpore Dei Domini ac
redemptoris nostri Jhesu Christi alienus fiat, atque in eterno examine
districte uitioni subjaceat. Cunctis autem eidem loco justa servantibus sit pax
Domini nostri Jbesu Ohristi, quatinus et hic tructum bone actionis recipient,
et apud districtum judicem prémia eterne pacis inveniaut. Scriptum per manum
Georgii, scriniarii sancte Romane ecclesie, in mense septembrio, indictione XII
(^Bene v\lete>ï<) XVI kalendas octobris. [Datum] per manum Walperti,
bumillimi episcopi sancte Portuensis ecclesie , anno Deo propitio pontificatus
do- mini nostri Johannis, summi pontificis et universalie pape, in sacratissima
sede beati Petri apostoli, sexto. (9)
(1). Mantenay, Isle, Puellemontier, Saint-Gond et
Saint-Quentin
(2). Camusat, Promptuarium antiquitatum sacrarum
Tricassinœ diœcesis, fol. 290, et Ann. ord. S. Bened., t. II, p. 624
(3). Ce manuscrit a été signalé par M. Vallet de
Viriville, Archives historiques de L’Aube,. p. 88, et par M. Guignard,
Catalogue général des cartulaires des archives départementales, p. 57. M. Guignard
indique l'existence de la bulle.
(4). Beg. des visites de l'évêque de Troyes en 1499
(Arch, de l'Aube). Pouillé de Troyes, par Camusat (1612), fol. 6.
(5). Ann. ord. S. Bened., t. Ill, p. 219. C'est sans
raison que cette bulle est rapportée à l'année 879 dans la Table des mss. de
dom Fonteneau, p. 5.
(6). Labbe, Concilia, éd. de Coleti, t. XI, col. 88.
(7). Bouquet, t. V1H, p. 29.
(8). « Menso septembrio, indictione XI, die XIV , exaltatione
sanclse crucis , in die dominica. » Ici l'indication n'est pas, comme dans les
bulles de Jean VIII, comptée à partir du 1er septembre.
(9) Bulle inédite du Pape Jean VIII en latin par Henri
D'arbois De Jubainville en 1854