vendredi 21 mars 2025

Vicomté de Troyes

 

La dignité de vicomte, connue dès le IXe siècle, ne fut d’abord qu’un simple office de  judicature.

Les comtes se réservant les affaires de la guerre, confièrent à des délégués qui furent appelés vicomtes, celles de justice, de police et de finance. Ils leur assignèrent, pour récompense de leurs travaux, des revenus sur des fonds dont la propriété appartenait au domaine du comte.

Ils eurent des « ces et rentes », et même quelques droits de banalité sur les foires et marchés.

Ces vicomtes n’étaient que des officiers amovibles, mais lorsque les comtes se furent rendus indépendants dans leurs provinces où ils n’étaient eux-mêmes que des délégués révocables à volonté, les vicomtes s’élevèrent et s’agrandirent avec eux, et les revenus attachés à leurs charges devinrent des fiefs héréditaires.

La vicomté de Troyes était héréditaire dès 1070, et Lithuisse, riche héritière de Champagne et vicomtesse de Troyes, la porta en mariage à Milon dit le Grand, seigneur de Montlhéry, qui prit le titre de vicomte de Troyes, qu’il transmit à sa famille. Rainauld, son frère, en qualité de vicomte de Troyes, fit, en 1120, à Gauthier, abbé de Montiéramey, une donation de sa part dans la justice de Saint-Martin-ès-Vignes. Depuis, il fut évêque de Troyes. A sa mort, la vicomté passa dans la maison de Dampierre, par le mariage d’une sœur des deux derniers vicomtes avec un seigneur de cette maison. Jean de Dampierre, connétable de Champagne, en mourant en 1260, laissa plusieurs enfants qui partagèrent entre eux la vicomté.

Depuis elle a été démembrée et répartie entre plusieurs particuliers qui l’ont tous possédée par indivis. En 1263, le chapitre Saint-Etienne de Troyes acquit d’Eustache de Conflans, maréchal de Champagne, la part de la vicomté, en échange de ce que le chapitre possédait à Ver-sous-Monymes.

Le titre de « Vicomtes de Troyes » ne convient pas aux chanoines et chapitre de l’église Saint-Etienne, que le comte fondateur ne pouvait leur donner, n’en jouissant pas lui-même.

Il faut distinguer du titre de vicomte le simple droit de minage qui fut acheté par les chanoines, et depuis cet achat, on trouve les vicomtes de Troyes qui n’ont jamais eu part au droit de minage (droit seigneurial levé sur le mesurage des mines de grains).

Vers 1650, Jean de Mesgrigny, marquis de la Villeneuve-au-Chêne, réunit les démembrements, et depuis cette réunion, la vicomté se trouve partagée entre le roi pour « un quart dans un tiers, les maires et échevins pour un autre quart dans un tiers, et le chapitre de Saint-Etienne pour un tiers entier », le reste appartient à M. de Mesgrigny dans la famille desquels il s’est perpétué presque sans interruption.

Parmi les droits attachés à cette vicomté, le chapitre de Saint-Etienne a le minage, les maires et échevins les droits de « Tonlieu » (impôt prélevé pour l'étalage des marchandises sur les marchés) des portes Saint-Jacques et Croncels, et sur les vins qui se débitent dans la ville. Les droits furent ensuite confondus dans les octrois.

Les vicomtes de Troyes avaient anciennement dans la ville un château où ils faisaient leur résidence, et dans lequel ils rendaient la justice. Il était près de la porte du Beffroi et de l’église Saint-Nicolas.

Ce fut dans ce château que le roi Louis-le-Bègue* régala le pape Jean VIII, après avoir été couronné de sa main, en présence d’un grand nombre d’évêques assemblés à Troyes en concile, au mois de septembre 878.

L’enceinte du château de la vicomté était considérable, et était très fortifiée. Dans la suite, il fut converti en « Parloir aux Bourgeois », où s’assemblait le corps municipal.

Au commencement du XVe siècle, il n’en subsistait plus qu’un tertre formé par les décombres, sur lequel on éleva un corps-de-garde et un beffroi, qui a donné son nom à la porte de la ville qui en est proche. Le corps-de-garde et le beffroi furent consumés, avec la grosse cloche qui y était, dans l’incendie du « mercredi veille du Saint-Sacrement », le 25 mai 1524.

Quelques temps après, il fut rétabli en partie, mais en 1587, il fut démoli par ordre de Henri III, dans le temps des guerres de la Ligue. Le terrain fut donné à différents particuliers qui y ont bâti des maisons. Le tertre était de niveau avec le rempart, et les maisons voisines y ont des jardins de plain-pied avec le 1er étage.   

 

 *Louis-le-Bègue


Si les enfants et petits-enfants de Charlemagne sont morts sur le trône sans difficulté, et presque automatiquement en raison de leur filiation, il n'en est pas de même pour Louis le Bègue, fils de Charles le Chauve et d’Ermentrude et roi de France de 877 à 879. Il faudra procéder à une élection à laquelle les Grands (devenus une puissance de plus en plus forte) ne se résignent qu'après avoir reçus comtés, abbayes et villas, ainsi que la promesse de pouvoir conserver leurs privilèges.

Le simple et doux Louis le Bègue est même contraint d'accepter la tutelle d'une manière de marie du Palais, en la personne de son oncle maternel ; Hugues l'Abbé, marquis de Neustrie, qui, après avoir reçu le comté de Tours, est nommé archichapelain du palais. Il occupera cette charge pendant onze années. (Louis le Bègue avait été chargé du gouvernement du royaume au moment du départ de Charles le Chauve pour l'Italie, mais le nouvel empereur n'avait pas grande confiance dans les capacités de son fils et il l'avait mis sous tutelle de plusieurs conseils composés d'évêques, d'abbés et de comtes).

Après avoir eu du mal à se faire reconnaître comme roi, Louis le Bègue en eut tout autant à se faire obéir.

La situation du pape Jean VIII, aux prises avec les musulmans et les princes italiens, devenait intenable. Le pape vint alors en Gaule pour obtenir du secours, mais Louis était malade. Espérant trouver en Louis le Bègue un protecteur, quitte Rome pour se rendre à Troyes, afin de couronner le nouveau roi. Les souverains et le clergé de Germanie ne vinrent pas au concile de Troyes, ville désignée par Louis II, qui ne réunit que des évêques de Gaule, hostiles, malgré les pathétiques exhortations du pape, à toute nouvelle aventure italienne.

Si Jean VIII ne recueillit que désillusions de son propre voyage, il réunit néanmoins, après avoir renouvelé le couronnement du roi, à rapprocher Louis le Bègue et son cousin Louis le Jeune, un des fils de Louis le Germanique ; ils se rencontrèrent à Fouron le 1er novembre 878. Ils établirent un Modus Vivendi pour les frontières et décidèrent de rechercher un accord général avec les deux autres rois carolingiens en vue de rétablir l'unité franque. Mais Louis, toujours malade, devait bientôt céder la charge du gouvernement à son fils Louis III. Louis le Bègue meurt précocement le 11 avril 879.


BNF, département des Manuscrits, Français 6465, fol. 151v. 
(Livre de Louis II le Bègue)


Louis II le Bègue recevant les regalia
Au cours d’une entrevue à Compiègne, Louis II le Bègue reçoit les insignes royaux de son père 
que lui apporte la reine Richilde, veuve de Charles le Chauve.

Entretien de Louis II le Bègue et du pape Jean VIII (sur la droite)
À Troyes où il préside un concile, le pape Jean VIII rencontre Louis II le Bègue.

 

BULLE INEDITE

DU PAPE JEAN VIII

EN FAVEUR DE L’ABBAYE DE MONTIÉRAMEY 


On a imprimé très peu de diplômes carolingiens relatifs au diocèse de Troyes. De dix abbayes au moins qui paraissent avoir existé dans ce diocèse antérieurement à la troisième race, cinq avaient depuis plusieurs siècles péri avec leurs archives (1), quand furent commencés les grands travaux qui aujourd'hui servent de base aux études sur l’histoire de France. Un nombre égal avait survécu ; mais l'une d'elles, celle de Notre-Dame aux Nonnains, brûlée en 1188, ne conservait plus aucune charte qui remontât plus haut. Deux autres, Saint-Loup et Nesle-la-Reposte, détruites, la première par les Normands en 889, la seconde par les protestants au XVIe siècle, avaient chacune conservé un diplôme carolingien (2). Seules les abbayes de Montier-la-Celle et de Montieramey, quoique aussi fort pauvres, dépassaient ce triste chiffre. Une bulle inédite de Jean VIII en faveur d'un monastère du diocèse de Troyes a donc quelque valeur. La suivante a été accordée par ce pontife à l'abbaye de Montieramey. Je la reproduis d'après une copie du XVe siècle, qui se trouve, ainsi que quelques autres, à la suite d'un recueil de formules à l'usage de cette abbaye (3).

L'original ne devait déjà plus exister au milieu du quinzième siècle ; car, à cette époque, l'exemption de l'abbaye, précédemment reconnue par l'antipape Clément VII, ayant donné lieu à un procès en parlement entre l'abbaye et l'évêque de Troyes Jean l'Éguisé, l'abbé et les religieux renoncèrent à leurs prétentions et reconnurent l’autorité épiscopale  Depuis cette époque, l'évêque de Troy es exerça dans l'abbaye de Montiéramey le droit de visite et de procuration (4).

Remarquons que Jean VIII place Montiéramey dans le royaume de Bourgogne, quoique, en même temps il le fasse dépendre du pagus Tricassinus. Montiéramey est aussi attribué au pagus Tricassinus par un diplôme de Charles le Chauve et par un extrait qu'a donné Camusat, et après lui D. Bouquet, d'un manuscrit très ancien conservé dans ce monastère *. Une lettre de Léon IV au célèbre évêque Prudence  paraît enfin prouver qu'au IXe siècle, comme au XVIIIe, Montiéramey faisait partie du diocèse de Troyes. Mais sans doute aussi, au IXe siècle comme au Xe, Montiéramey touchait à la frontière du diocèse de Langres , et l'on sait, que le diocèse de Langres tout, entier appartenait au royaume de Bourgogne.

La date de la bulle que je publie répond au 1septembre 878 ; les noms du notaire et de l'expéditeur sont les mêmes qu'à la bulle accordée le 27 du même mois à l'abbaye de Charroux (5).

Le concile de Troyes, dont il est question au commencement de notre bulle, est aussi mentionné dans une lettre de Jean VIII aux archevêques d'Arles et de Narbonne (6). L'analyste de Saint-Bertin (7) fournit quelques détails sur cette assemblée, dont les actes, datés du 14 septembre 878 (8) et souscrits par Louis le Bègue et par trente- cinq évêques, ont été récemment publiés en Allemagne.

EXEMPTIO MONASTERII ARREMAREHSIS.

(Exemption du Monastère  d’Arremarehsis)

Johannes episcopus, servus seFvorura Dei, filio (?) Rotfrido, religioso abbati [dej cenobio sancti Pétri, sito in loco qui vulgo vociitur Mansus Corbonis et nunc Nova Cella, in territorio Tri- cassino, in regno Burgundiorura, successoribusque tuis in per- petnum. Convenit enim nostrum pontificium, ut, quanto supra omneš universos eminet dignitate, tanto magis eniteat pre omnibus serenissima pietate : quatinus, cum illi est licere, quod misericorditer libet, qualiter libitum sit, ex utraque parte pium illi decernere decet. Immo postulastis a nobis, ut prefa- tum monasterium sine ecclesiastico sineque publico munere aliquo sub nostra apostolica persisteret tuitione. Nos vero , ve- stram religiositatem intelligentes, cum apud Trecas synodům pro universarum Dei ecclesiarum negociis celebraremus, statuentes volumus, apostolicaque auctoritate firmantes decernimus , ut nullus episcoporum nullusque minister publicus vel officialis eorum aliquam ex hoc monasterio vel ex quibuscumque prediis ipsius décimas exigat, aut censům aliquem super eodem expo- scat, exceptis illis XXdenariis, quos in festa beati Pétri ipsius territorii comiti dare debetis A . Sed cuncta que ibi oblata sunt vel offerri contingerint , tam a vobis quam ab eis qui in eodem loco in officio abbatis vel conversatione religiosa succrescunt, seu qui pro anime sue remedio ibidem oblationes suasobtulerint, a presenti tem pore illibata et sine inquietudine volumus et apostolica auctoritate possidere sanccimus. Itemque constitui- mus, ut, obeunte abbate predicti monasterii, non alius ibi qua- cumque obrectiouis astutia ordinetur, nisi quern consensus monachorum secundum timorem Dei et institutionem regula- rem sancti Benedicti elegerit. Hoc quoque capitule presenti subjungimus, ut locum avaricie secludamus, nullum de regibus, nullurn de sacerdotibus, vel quemcumque fidelium, per se sup- positarnve personam, de ordinatione ejusdem abbatis vel cleri- corum aut presbiterorum , yel de largitione chrismatis, aut consecratione basilice, a.ut de quucumque commoditHte spiritua- lis aut temporalis, sive quibuscumque causis ad idem mon;tste- rium pertinentibus, audere in auro, vel alia qtialibet strene coin- inoditate vel exenii loco quicquam accipere, neque eundem abbatem ordinationis sue causa dare presumere, ne occasione ea, que a fidelibus pio loco ofťeruntur aut tam 2 oblata šunt, consumantur. Neque episcopus civitatis ipsius parrocbie, nisi ab abba t.c ipsius monasterii invitatus, publions inissas agat, ne- que stationes in cenobio eodem indicat, ne servorum Dei quies quoquo modo populari conventu valeat perturbari, neque pa- rains et mansionatus exinde présumât exigere. Susceptionem autem fidelium et religiosorum ac betiefacientium et facultatum non modo ibidem gratis fieri deneganras, sed etiam suademus. Si quis vero sacerdotuni, judicum atque secularium personarurn, hanc nostre constitutionis paginam agnoscens, contra earn venire temptaverit, potestatis honorisve sui dignitate, percussus apostolico anathemati, careat, reumque se divino judicio se exi- stere de perpetrata iniquitate cognosçat, et, nisi vel ea que ab i Ho sunt male ablata restituerit, vel presumpta correxerit, vel digna penitentia illicita acta defleverit, a sacratissimo corpore Dei Domini ac redemptoris nostri Jhesu Christi alienus fiat, atque in eterno examine districte uitioni subjaceat. Cunctis autem eidem loco justa servantibus sit pax Domini nostri Jbesu Ohristi, quatinus et hic tructum bone actionis recipient, et apud districtum judicem prémia eterne pacis inveniaut. Scriptum per manum Georgii, scriniarii sancte Romane ecclesie, in mense septembrio, indictione XII (^Bene v\lete>ï<) XVI kalendas octobris. [Datum] per manum Walperti, bumillimi episcopi sancte Portuensis ecclesie , anno Deo propitio pontificatus do- mini nostri Johannis, summi pontificis et universalie pape, in sacratissima sede beati Petri apostoli, sexto. (9)

 

L'ancienne abbaye de Montieramey est aujourd'hui une propriété privée

Voir le chapitre : Les abbayes dans l'Aube

(1). Mantenay, Isle, Puellemontier, Saint-Gond et Saint-Quentin

(2). Camusat, Promptuarium antiquitatum sacrarum Tricassinœ diœcesis, fol. 290, et Ann. ord. S. Bened., t. II, p. 624

(3). Ce manuscrit a été signalé par M. Vallet de Viriville, Archives historiques de L’Aube,. p. 88, et par M. Guignard, Catalogue général des cartulaires des archives départementales, p. 57. M. Guignard indique l'existence de la bulle.

(4). Beg. des visites de l'évêque de Troyes en 1499 (Arch, de l'Aube). Pouillé de Troyes, par Camusat (1612), fol. 6.

(5). Ann. ord. S. Bened., t. Ill, p. 219. C'est sans raison que cette bulle est rapportée à l'année 879 dans la Table des mss. de dom Fonteneau, p. 5.

(6). Labbe, Concilia, éd. de Coleti, t. XI, col. 88.

(7). Bouquet, t. V1H, p. 29.

(8). « Menso septembrio, indictione XI, die XIV , exaltatione sanclse crucis , in die dominica. » Ici l'indication n'est pas, comme dans les bulles de Jean VIII, comptée à partir du 1er septembre.

(9) Bulle inédite du Pape Jean VIII en latin par Henri D'arbois De Jubainville en 1854


 

 



 

 

























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