lundi 13 janvier 2025

Monument de la Résistance auboise

 


Rappelons globalement le tribut du sang et des souffrances que l’Aube, entre juin 1940 et août 1944 a apporté à cette Grande Cause qui s’identifie à la cause même de la Patrie. Ce pieux pèlerinage à travers les rangs de nos morts et de nos martyrs justifie, le pourquoi de ce Monument, l’ardeur avec laquelle il a été voulu et défendu, et inauguré d’une façon hors de pair.

 Pendant l’occupation de notre département, les Allemands ont procédé à environ 1.300 arrestations, 28 français ont été fusillés à titre d’otages, 30 personnes ont été condamnées à mort par le Tribunal Militaire Allemand de Troyes,

 410 Aubois ont donné leur vie à l’occasion des combats entre la Résistance et les Troupes d’occupation, de très nombreuses maisons d’habitation et 22 villages ont été incendiés, 54 communes ont souffert du pillage, la Gestapo de Troyes a torturé affreusement les personnes qu’ils interrogeaient au siège Boulevard Gambetta, à la Maison d’Arrêt, à Mussy-sur-Seine…

 Devant tant de drames accumulés et trop rapidement évoqués, mais aussi déjà trop oubliés par certains, l’idée est venue de créer un Monument pour perpétuer le souvenir de tant de sacrifices et exalter l’idéal pour lequel ils ont été consentis…

C’est en automne 1947, au sein du Comité de la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes de l’Aube, que l’idée prend corps. Un Comité provisoire est constitué qui sera présidé à partir de 1954, par M. Henri Terré, Maire de Troyes et Président du Conseil Général, et comprenant MM. Alric et Patenôtre sénateurs, les députés André Mutter, Germain Rincent, Marcel Noël et Louis Briot, ainsi que tous les délégués des mouvements de la Résistance, F.F.I., Résistance Fer, Déportés, Veuves de Déportés, Familles de Fusillés, Commandos M.C.R., C.V.I., C.I.L., Libé-Nord, F.T.P….

 Le prix du Monument est fixé à 10.000.000 de francs. Le Préfet de l’Aube Marcel Wiltzer pense que le seul moyen de réaliser cette somme importante est le recours à une grande loterie départementale, en émettant 100.000 billets à 100 fr. Plus de 1.000 lots d’une valeur commerciale d’au moins 1.000 fr par lot au minimum, sont très rapidement offerts par les industriels, commerçants, artisans, agriculteurs… avec comme gros lots : une voiture Vedette Versailles, une voiture Berline de luxe Aronde, 5 scooters Lambretta, une cyclorette Terrot, 3 bicyclettes Terrot, un chronomètre Lip. Tous les billets ont été placés, vendus et payés !

Le planning est que le Monument doit être érigé pour le 10ème anniversaire de la Libération de Troyes, soit en 1955. Le 13 mars, l’emplacement est définitivement choisi : sur le Jardin du Rocher, face la Fontaine Argence. L’inscription retenue est : " Médite et souviens-toi ".

Les numéros des billets gagnants sont tirés lors d’un immense gala dans la salle des fêtes de Sainte-Savine, le 8 mai, au cours d’un très grand spectacle, avec des artistes et chanteurs de l’ABC, du Lido de Paris, de la Nouvelle Eve, l’orchestre de la radiodiffusion française, Rocroy champion du monde de magie…

C’est au Grau du Roi que le sculpteur Jean-Charles Lallement* sculpte les deux statues monumentales, dans les énormes blocs extraits des carrières gallo-romaines du Gard. Pendant ce temps, M. Maurice Veyssière élève à Troyes, l’imposant mur de 15 mètres de long.

René Coty, Président de la République est pressenti pour l’inauguration, mais son état de santé ne le permet pas. C’est donc le Préfet Marcel Wiltzer, qui s’est beaucoup impliqué pour l’érection de ce monument, qui est choisi pour l’inauguration.

Le 26 septembre 1955, c’est l’arrivée des 2 énormes convois. Le résistant a été taillé dans une pierre unique de 27 tonnes ! Le gisant a été sculpté dans un bloc de 15 tonnes. L’opération de déchargement est une manœuvre spectaculaire, sensationnelle, suivie par de très nombreux Troyens. Le tout avec le mur du fond est assemblé en quelques heures. La Municipalité s’occupe de procéder à l’environnement.

Le 13 novembre est la journée de l’inauguration. Après les cérémonies aux cultes israélite, protestant, catholique dans une cathédrale comble, avec Monseigneur Le Couëdic, il y a un repas de 430 couverts salle des fêtes de l’Hôtel de Ville aux frais de chacun.

 L’apothéose est l’inauguration proprement dite du monument voilé, pieusement veillé par des déportés et des résistants. La troupe, les musiques de l’Alerte, de l’Armée de Terre, la fanfare de l’Armée de l’Air, la musique de la Garnison de Metz, l’harmonie municipale, les Trompettes Troyennes... Une chorale de 750 exécutants exécutant le chant des partisans, sont des moments grandioses.

 Une tribune officielle de 300 places est garnie par de hautes personnalités civiles et militaires, venues de toute la France. Les trottoirs, le mail du Cirque, sont trop petits pour une foule compacte de plus de 20.000 personnes. Le Préfet dévoile la statue de 5 m 30 de haut, 1 maquisard et 1 déporté retirent le voile du mur. Dans le ciel 3 avions à réaction de Reims survolent au même moment le Monument.

Des urnes contenant des cendres de déportés et de la terre des Camps de la Mort, sont scellées sur le socle du Monument, aux pieds du Résistant… des couronnes, coussins, bouquets de fleurs sont déposés. Puis ce sont les discours de MM. Terré, Thierry compagnon de la Libération, maire de Sainte-Savine, Wiltzer. Des feux de Bengale embrasent le monument, les cloches de la ville, les sirènes, des salves d’artillerie se font entendre.

A 17 h, c’est le défilé militaire, des chars Patton entourent le Monument. C’est un défilé comme jamais vu auparavant (ni depuis !). Puis, c’est la cérémonie aux flambeaux populaires de la Liberté : 4 cortèges, avec chacun 40 sapeurs porteurs de torches, 4 musiques, qui vont aux 4 points cardinaux de l’agglomération, suivis d’une foule immense : Rond point de l’Europe, avenue Pierre Brossolette, Hôtel de Ville de Sainte-Savine et Lycée de Filles avenue Pasteur.

 A 21 h, feu d’artifice Boulevard Victor Hugo, et à 22 h, grand bal à l’Hôtel de Ville de Troyes. Un bureau de poste temporaire pendant 2 jours, avec oblitération spéciale, se tient au rez-de-chaussée de la Mairie.

 





Jean claude Lallement à gauche – Maurice Vessière à droite




J. C. Lallement



*Jean-Charles Lallement, surnommé Bacchus, habitait Le Grau-du-Roi, commune du littoral méditerranéen gardois. Au cours de sa carrière, il s'est particulièrement illustré par son activité de sculpteur monumental d'après-guerre. Le fonds de ses archives, donné par sa famille en 2012, présente donc un intérêt pour l'histoire du département du Gard. Il est constitué d'études préparatoires, de photos, de dessins, de calques, de correspondances administratives et privées. Il représente 57 rouleaux, 4 pochettes à dessins et 47 dossiers formant un ensemble de deux mètres linéaires. Cette donation permet désormais une conservation des documents et dessins dans d'excellentes conditions. La communication du fonds au public est maintenant possible grâce au travail d'identification et de classement réalisé, et le travail et de l'œuvre de l'artiste ont pu être valorisés pour le centenaire de sa naissance.

 Jean Charles Lallement naît le 31 août 1914 à Paris Xème (département de la Seine) à 11 heures du soir, 6 rue Grange aux Belles Est, de Charles Louis Marie Lallement, 25 ans et de Marie Louise Germaine Bourgeois, 21 ans, époux employés 32 rue de Malte. Il est de nationalité française. Sa mère décède prématurément, peu avant son père, mort pour la patrie en 1916, tué au front de Bouchavesne (Aisne). Déclaré pupille de la nation à titre d'orphelin de guerre, de père et de mère, par jugement du 8 mai 1919, et adopté le 17 mai 1919, par Madame Peyrache, sa grand-mère, il aura comme tuteur sa tante, Madame Georgette Lallement épouse Michaut.

 A 14 ans, il entre, avec une dérogation compte tenu de son jeune âge, à l'école nationale Boulle, 37 rue de Reuilly à Paris, en section de décoration et gravure sur acier, et il y étudiera de 1928 à 1932. A l'issue de ses études, il obtient, en 1932, le CAP de graveur sur acier.

Il s'inscrit ensuite comme élève à l'école des beaux-arts de Paris, dans la section sculpture, qu'il fréquentera de 1933 à 1939 et où il entretiendra des contacts jusqu'à 1942. C'est à cette époque qu'il est surnommé Bacchus par ses camarades d'études. Il suit les enseignements d'Henri Dropsy en gravure (graveur, Grand Prix de Rome, membre de l'Institut), d'Henri Brochard (sculpteur, membre de l'Institut), de Robert Wlerick, sculpteur, et d'Aristide Maillol, sculpteur.

Il obtient à l'école nationale supérieure des beaux-arts et de l'Institut de France de nombreuses récompenses :

 - composition décorative en collaboration (1939), 2ème mention,

 - travaux d'atelier (1934), première récompense,

 - concours Chenavard (1935), 2ème prix ex-æquo,

 - esquisse modelée (1935), 3ème mention,

 - travaux d'atelier (1935), 3ème récompense,

 - travaux d'atelier (1939), 1ère mention,

 - concours de gravure en médaille (1939), 1ère seconde médaille,

 - concours pour le grand prix de Rome, 3 mars 1938, admis 3ème au 2ème essai, 8 mars 1938, admis 5ème logiste,

 - concours pour le grand prix de gravure en médaille de l'Institut de France, Académie des beaux-arts, 14 novembre 1942, 2ème second grand prix de gravure en médailles.

 Sa carte d'identité le décrit comme un homme d'1 m 60, cheveux blond châtain, nez droit, base rectiligne, yeux bleus, teint clair. Il effectue son service armé du 1er octobre 1935 au 1er octobre 1937 en qualité de 2ème canonnier du 6ème groupe autonome d'artillerie et obtient un certificat de bonne conduite. Son passeport indique qu'il se trouve en Grèce pour un séjour touristique en juillet 1939 et qu'il se présente spontanément au consulat de France à Athènes le 1er septembre 1939, au moment de la déclaration de guerre, pour faire acte de présence et faire connaitre son intention de profiter de la première occasion venue pour rentrer en France.

 C'est au cours de ce voyage qu'il rencontre sa future femme Gisèle Soboul, jeune institutrice qui voyage avec son frère, Albert, agrégé d'histoire.

 Il est mobilisé le 3 septembre 1939. Il est cité le 30 juin 1940 à l'ordre du régiment : « Dessinateur dévoué et compétent. A rendu de grands services dans des circonstances difficiles et en particulier sous un violent bombardement. » Démobilisé le 25 juillet 1940, il est décoré de la croix de guerre 1939-1945.

 Il rejoint Gisèle Soboul dans le Gard et il se marie le 3 août 1940 à Nîmes. Le couple s'installe au Grau-du-Roi. Il aura deux enfants, Jean-Marie né le 2 septembre 1942, et Françoise née le 22 janvier 1945.

 Après avoir reçu le grand prix de gravure en médailles de l'Académie des beaux-arts de l'Institut de France le 14 novembre 1942, il occupe, entre 1943 et 1945, un poste de chargé de missions au palais de Chaillot à Paris, pour réaliser des études et croquis pour le musée des Arts et Traditions populaires.

 A partir de 1945, il répond à de nombreux appels à projet lancés par les collectivités territoriales et l'Etat, concernant la réalisation de monuments mémoriaux, une forte volonté de commémoration se développant partout en France. Parallèlement dès 1951, grâce à la parution de la loi relative au 1% artistique sur la décoration des constructions publiques, il répond à de nombreux appels à projet essentiellement pour des établissements de l'éducation nationale, et obtient la réalisation d'un grand nombre d'entre eux, collaborant dans ce cadre avec des architectes.

 En 1949, il adhère à l'association « les fils des tués » (fédération nationale des fils des morts pour la France) ainsi qu'au groupement des anciens combattants du Grau-du-Roi. Cette même année, il loue un atelier rue Asseline à Paris. Il rencontre aussi Le Corbusier.

 L'année 1950, est marquée par sa rencontre avec Pablo Picasso. Il a 36 ans et il postule la même année au concours sur titres pour la nomination du nouveau directeur de l'école des beaux-arts de Nîmes : il sera classé second.

 Le nombre des projets qu'il a mené, développé ou réalisé est conséquent. A titre d'exemples, en 1951, il réaliste le buste de Léo Larguier à La Grand-Combe (Gard), puis en 1953, celui de Mathieu Lacroix dans la même commune. En 1954, à 40 ans, il réalise à Nîmes (Gard) une œuvre majeure, le mémorial des martyrs de la Résistance. En 1958, il participe à l'exposition internationale de Sao Paulo et il réalise au Grau-du-Roi la fresque du centre de rééducation. En 1959, il expose au salon Comparaisons au palais des beaux arts de Mexico et à Bruxelles. En 1964, à 50 ans, la maquette pour le projet Gyptis et Protis qu'il doit réaliser en association avec Picasso est exposée à Marseille. Il réalise également cette même année, une claustra pour le lycée mixte de Lure (Haute Saône). En 1969, il réalise un projet pour le collège mixte classique et moderne et collège d'enseignement technique de la ville de Sézanne (Marne).

 Il décède le 26 janvier 1970, sur la ligne droite qui relie Aigues-Mortes au Grau-du-Roi (Gard) près du passage à niveau conduisant aux caves de Listel, en doublant un camion qui déboîta sur la droite. Il est enterré au cimetière marin du Grau-du-Roi.

 

 

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