Retable d'Issenheim par Matthias Grünewald XVIe siècle
Ce retable a été réalisé entre 1512 et 1516 par
Matthias Grünewald pour les panneaux peints et Nicolas de Haguenau pour la
partie sculptée. Les deux artistes répondaient à une commande du précepteur du
couvent des Antonins d’Issenheim près de Colmar (alors en Allemagne). Composé
de 11 panneaux, le retable représente la vie du Christ et celle de saint
Antoine l'Ermite (patron de l'ordre des Antonins). La vocation de cet ordre
était de soigner les malades atteints du feu sacré ou feu de saint Antoine, une
maladie qui, en provoquant un rétrécissement des vaisseaux sanguins, engendrait
une nécrose des membres. Les Antonins venaient en aide aux malades en les
soignants notamment avec des baumes et breuvages à base de plantes.
Le retable est constitué de 11 panneaux de panneaux en tilleul, qui s’articulent autour d'une caisse centrale où prennent place des sculptures. Les volets, qui représentent un épisode différent de la vie du Christ : l’Annonciation, la Crucifixion, la Lamentation et la Résurrection étaient ouverts au gré des périodes liturgiques durant le culte et lors des fêtes correspondantes. Pendant les jours ordinaires, c'est la Crucifixion qui était donnée à voir aux malades. Une œuvre peinte au réalisme morbide mais avec des figures fantastiques, à la fois lumineuse, sombre et truffée de symboles.
Un halo en forme de cœur, centré sur l’un des
personnages, capte les influences célestes présentes en divers lieux du retable. Mais, en y regardant de plus près, Matthias Grünewald nous livre un message troublant sur l'Eglise et son côté obscur...
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Le polyptyque fermé |
LE RETABLE D’ISSENHEIM ET SON MESSAGE DISSIDENT
I. La Vierge aux immondices
1. Des symboles moqueurs
Notre enquête au sujet du message dissident du
Retable d’Issenheim commence avec deux constatations tant soit peu étranges :
• Que faire avec une viola de gamba au visage
moqueur et au sourire narquois qui vous tire la langue au beau milieu du
Concert des anges de la Nativité du Retable ?
• Que faire avec un pot de chambre malodorant, dont
la place était même à cette époque sous le lit, et qui répand sa puanteur fort
intentionnelle au beau milieu de la pièce, aux pieds de la Vierge ?
Le symbolisme médiéval nous apprend en effet que
rien, dans un tableau, n’est laissé au hasard, que tout a sa signification,
positive ou négative. Que penser donc de ce visage de caricature insolent et de
cette mauvaise odeur qui semble contaminer la Vierge et l’Enfant sur la droite
de notre panneau ? Que signifient ces messages moqueurs et insolents dans la
Nativité de Notre Seigneur ?
Insolents dans la Nativité de Notre Seigneur ?
La viola de gamba semble en effet être en train de
se moquer de quelque chose ou de quelqu’un : elle semble en fait se moquer de
nous, du spectateur, innocent et benêt. Elle a l’air de considérer que nous
sommes des dupes auxquelles on peut raconter n’importe quoi, sans provoquer la
moindre réaction et le moindre soupçon. Car ce n’est pas seulement la viole de
gambe qui est étrange dans ce tableau. Tout l’orchestre angélique et le chœur
céleste sont étrangement négatifs et caricaturaux, avec leurs plumes
diaboliques et leurs visages tristes, contraires à la louange que les musiciens
célestes devraient exprimer.
2. Un orchestre mal accordé
Les musiciens de la partie gauche du panneau de la
Nativité sont tout sauf un orchestre et un chœur de louange. Car même si l’on
peut admettre que l’ange du premier plan tient son archet de la manière dont on
avait l’habitude de le tenir à l’époque, les deux autres anges musiciens ne le
tiennent pas du tout d’une manière orthodoxe et capable de produire un son
adéquat. En plus de cela les trois anges regardent chacun dans une direction
différente, ce qui ne leur permet certes pas de jouer ensemble. Leur musique
semble être cacophonique
En plus-de cela, le chœur des anges, qui est supposé
exprimer une joie céleste, n’est pas seulement composé de visages moroses, mais
surtout d’anges dont les bouches sont closes à double tour. Les anges du chœur
ne chantent pas. Leurs bouches sont cousues.
Parler d’une belle musique angélique et d’un chœur
de louange est donc une gageure qui ne correspond pas à la réalité de ce chœur
dont la musique est fort suspecte de ne pas être céleste. Plutôt que
symphonique.
3. Un jubé bizarre
Le jubé dans lequel Grünewald a placé ses musiciens
étranges est, lui aussi, incongru et bizarre. Il rappelle, avec ses
excroissances bulbaires, les constructions de Bosch dans le Jardin des Délices.
Il est d’un gothique excessif, d’un style fantaisiste légèrement outrancier.