vendredi 23 août 2024

Les Châtellenies

 


Les châtellenies sont les principaux éléments de la géographie féodale. Après elles viennent les fiefs et les arrière-fiefs, qui relèvent d’elles.

 En quoi consistaient-elles ?

 L’institution des châtellenies date de l’époque féodale et remonte au Xe siècle.

            On désignait sous ce nom des divisions territoriales correspondant aux grands fiefs détenus par des seigneurs appartenant à la classe supérieure de la chevalerie et portant les titres de comtes, barons et chevaliers bannerets (jeunes nobles ayant déjà acquis des fiefs), désignés parfois sous les noms de   « sires » et de « châtelains ».

            Au début du XIe siècle, presque tous les emplacements favorables à la construction des châteaux forts étaient occupés.

            La châtellenie, organisation du pouvoir civil et chef-lieu de circonscription militaire féodale, empruntait son nom à la forteresse, au château, capable de soutenir un siège en règle, et devenu le siège et le centre d’une domination judiciaire et politique qui s’étendait aux environs.

            Il y eut deux catégories de châtellenies : les châtellenies royales et les châtellenies seigneuriales. Les premières comprenaient chacune une portion du territoire appartenant au domaine de la Couronne, et dont les titulaires ou châtelains relevaient immédiatement du roi. Ces châtellenies exerçaient les droits de haute justice et les appels de leur sentences étaient porté devant les baillis et sénéchaux royaux.

            Le roi, ayant les droits de justice, se faisait représenter dans l’étendue de son territoire par un juge investi d’une commission qui l’autorisait à rendre la justice. La châtellenie était devenue alors une institution publique, un tribunal.

            Jusque-là, c’est au seigneur qu’appartenait le droit de lever des soldats, charge qui fut attribuée au « bailli ». Ce dernier avait sous sa direction les « prévôts », qui étaient chargé de la justice dans les chefs-lieux des circonscriptions féodales correspondant à peu près à nos cantons actuels.

            Les prévôts avaient sous leur main des juges de dernier ordre dans les villages du ressort. Chacun d’eux rendait la justice aux habitants de ces localités. On les appelait les « juges-maires ». Le tribunal des prévôts était ambulatoire et ils tenaient leurs plaids, tantôt dans un village de la châtellenie, tantôt dans un autre.

            Sous Henri-le-Libéral (vers 1152), le comté de Champagne renfermait 26 châtellenies, parmi lesquelles : Troyes, Isle (Aumont), Bar-sur-Aube, Rosnay, Payns, Pont-sur-Seine, Méry, Nogent-sur-Seine…, qui furent incorporées au domaine royal à la suite du mariage de Jeanne de Navarre, comtesse de Champagne, avec Philippe-le-Bel, roi de France.

 Dans la châtellenie de Troyes on comptait, au XVIe siècle, 11 mairies royales.

            Comme, par suite de la division de certaines parties du domaine royal données en apanage, ou à d’autres titres, il y eut lieu de créer de nouvelles châtellenies, le roi Henri III, par édit du 20 mars 1573, ordonna que « la terre érigée en châtellenie eût d’ancienneté les droits de justice haute, moyenne et basse sur les sujets de la seigneurie et autres droits en dépendant, et qu’elle fût tenue en seul hommage du Roi. Les impétrants devaient, en outre, être d’origine noble et ancienne ».    

            Châtellenies seigneuriales : les grands fiefs seigneuriaux ne relevaient d’aucune de ces châtellenies royales. Ils avaient pour la plupart, le titre de châtellenie, jouissaient des droits de justice sur les sujets dépendant de leurs circonscriptions, et les jugements se rendaient à la porte du château ou dans la basse-cour (zone enceinte par une fortification).

 Ils possédaient aussi les droits de marché, de prévôté, d’église et autres droits ayant jadis appartenu au pouvoir central. Relevant d’une seigneurie telle que duché, comté ou baronnie, ces fiefs avaient à leur tête soit de seigneurs particuliers, soit des lieutenants des comtes.

            Chaque châtellenie correspondait donc, en moyenne, à 10 communes, mais plusieurs étaient plus étendues et d’autres beaucoup moins.

            Les châtelains : la fonction de châtelain était, à l’origine, un simple office, ou plutôt, une commission révocable à volonté donnée par les comtes. Il était fonctionnaire et délégué à la garde d’un château.

            Certains de ces châtelains ayant pris des châtellenies en fief, en devinrent propriétaires héréditaires, ils relevèrent alors des seigneuries titrées. Il ne faut pas les confondre avec l’officier inférieur du même nom, simple garde du château, ou concierge-châtelain, révocable, ne possédant aucun droit en dehors de sa fonction propre.

            Il convient aussi de rappeler que le titre de Châtelain fut conservé par des personnes ayant perdu tout ou partie des droits qu’elles avaient exercées sur leur territoire, soit à titre de seigneurs, soit comme lieutenants des comtes.

Châtellenie de Beaufort au Moyen-Âge



Beaufort remonte à l’époque carolingienne -  VIIIe siècle.

Seigneurie du Chatelier et de Chavanges

 



 Chavanges fit d’abord partie de la Châtellenie de Beaufort, puis de la Seigneurie du Chatelier.

 Le Chatelier, dont le nom évoque un ouvrage fortifié d’importance secondaire, s’élevait sur le finage de Chassericourt, où se trouve, construite dans l’enceinte des fossés, la ferme qui en conservera le vocable.

A cette époque, il est surtout question dans les environs, des Sires de Beaufort.

 Plusieurs établissements religieux sont alors dotés par eux de biens sis à Chavanges, Chassericourt et Outines : l’abbaye de Boulancourt de la grange de la Perthe, aujourd’hui détruite, celle d’Andecy de Nuisement, celle de la Chapelle aux Planches de La Loie.

 Au Nord et à l’est, la Châtellenie de Beaufort voisine avec celle de Rosnay et les possessions des moines de Margerie. Le village  de Bailly-le-Franc fait partie du domaine de Rosnay, propriété du comte de Champagne. Parnolle (commune de Joncreuil) appartient au prieuré de Margerie.

 Cette configuration est sensiblement modifiée quand le Chatelier devient chef-lieu de seigneurie. A ce titre, il figure pour la première fois dans le rôle des fiefs du comté de Champagne rédigé sous la régence de Blanche d’Artois en 1274-1275.

Ses dépendances s’étendent sur Bailly, Chassericourt, Chavanges et Labraux, Joncreuil en partie, dans l’Aube, Outines et Brandonvilliers dans la Marne. Il apparait ainsi que la seigneurie a été constituée tant aux dépens de la Châtellenie de Beaufort que de celle de Rosnay.

 Le seigneur du Chatelier est Raoul de Thourotte, chevalier banneret (titre de noblesse tombé en désuétude) en 1272, frère de Gaucher châtelain de Noyon et de Thourotte seigneur d’Allibaudières qui, quelques années plus tard donne à l’abbaye du Jardin les Pleurs une rente annuelle de 10 livres sur le charroi d’Outines.

Leur frère Jean de Thourotte le Jeune, inhumé en cette abbaye, avait épousé en 1252 Félicité, fille de Manasses de Rethel, qui porta le titre de seigneur de Beaufort.

 En 1270, la châtellenie est vendue à Blanche d’Artois,  comtesse de Rosnay, et 6 mois plus tard, réunie avec Rosnay au comté de Champagne.

 A la fin du XIIIe siècle, le Chatelier est possédé par Albert 1er de Thourotte, neveu de Raoul, seigneur d’Allibaudières à la suite de son père Gaucher.

Les habitants de la seigneurie participent aux affaires du royaume. Deux d’entre eux sont envoyés aux Etats Généraux convoqués en 1308 pour le procès des Templiers.

Jean VI n’a pas d’enfant de son mariage avec Marie de Chappes remariée en 1350.

Chatelier et Allibaudières reviennent à Jean VII son neveu. Celui-ci, chevalier en 1357 fait des dons à l’abbaye de la Chapelle aux Planches. Il épouse en secondes noces Jeanne de Saint Chéron.

Revenu de captivité après le traité de Brétigny, le roi Jean le Bon marie sa fille Isabelle à Jean Galéas Visconti de Milan et, pour asseoir la dot, réunit diverses seigneuries champenoises, dont Rosnay.

 Le 1er octobre 1366 Jean de Thourotte seigneur d’Allibaudières et du Chatelier reconnait tenir du comte de Vertus à cause de sa Châtellenie de Rosnay, la maison forte du Chatelier, le village de Joncreuil.

Jean VIII est en procès au Parlement de Paris avec Jeanne de Saint Chéron au sujet du partage des terres du Chatelier et d’Allibaudières dans lequel il prétendait avoir été lésé.

Finalement, Gaucher de Thourotte en est seigneur en 1381.

En 1415, son épouse Jeanne de Montmorency est remariée et le Chatelier appartient à son fils Jacques de Thourotte encore mineur. La famille de Toulongeon de Traves entre en possession du Chatelier.

En 1432, son fils Jean seigneur de Raves et de Saint Chéron est seigneur de la Chaise en 1446, du Chatelier et de Bussy-aux-Bois.

En 1460, Claude de Toulangeon seigneur de Saint-Chéron, Bussy-aux-Bois, Saint-Remi-en-Bouzemont, leur succède dans la terre et seigneurie du Chatelier ainsi que leur fille Claude mariée à Christophe de Haugest seigneur de Dienville, et, par elle, seigneur du Chatelier en 1470.

En 1557, Jeanne de Toulangeon laisse à son fils Claude la seigneurie du Chatelier et de ses dépendances qui sont « la ville ou bourg de Chavanges, Chassericourt, Ormont, Baully, Joncreuil, Ourines ».

Le 11 avril 1618, Antoine de Toulongeon, Chevalier des ordres du roi, comte de Gramond, vend Le chatelier et ses dépendances à François de l’Hôpital, seigneur du Hallier, aussi chevalier du roi, conseiller en ses conseils, capitaine des gardes du corps de sa majesté, lieutenant de sa compagnie de gendarmes moyennant 96.000 livres.

Il achète en 1626 Tanière de Chavanges le fief de Dienville à Joncreuil.

Le Chatelier est  à nouveau vendu en 1673 à Marguerite Ignace de Lorraine, princesse d’Elbeuf.

Au XVIIIe siècle la seigneurie est démembrée.

 En juin 1700, Pierre Adam, fils de François Adam qui fut « bailli de la  terre et seigneurie de Chatelier et de Chavanges », lui-même bailli de Montmorency achète le Chatelier, Ormont et Chassericourt. Jean et Gilles Jacquinot achètent Chavanges, Labraux, Joncreuil, Bailly-le-Franc et Ranières, Claude de Vaveray acquiert Outines et Brandonvilliers.

Avocat au Parlement, François devient en 1722 garde des sceaux bailli et lieutenant général du Duché de Montmorency et en 1743 conseiller secrétaire  du roi maison et couronne de France près la chambre souveraine d'Artois.

Ses armes, d'azur au chevron d'or accompagnées de 3 étoiles d'argent sont sculptées sur bois dans la maison qu'il habitait à Montmorency, propriété ensuite de M. le Comte de Margon son lointain descendant.

Une plaque de marbre appliquée à 1 pilier du lieu indique son décès à la date du 10 avril 1761.

Il eut 2 filles: Elisabeth mariée en 1741 à Joseph Aubry d'Arencey, seigneur du Chatelier après le décès de son beau-père, et Catherine mariée en 1743 à Gilles Joseph Jacobé, bailli de Montmorency de 1754 à 1785.

Catherine Adam, sœur de François épousa Maurice Puissant, conseiller du roi, assesseur criminel et premier conseiller au bailliage et siège présidial de Chaumont, à qui elle apporta en dot la moitié de la seigneurie de Chassericourt.

Leur fille Marie-Gabrielle épousa en 1749 François Michel de Montangon, écuyer, seigneur en partie Crépy lieutenant au régiment royal d'artillerie.

 Joseph, Augustin Aubry d’Arancey, écuyer fils de Joseph, est le dernier seigneur du Chatelier.

 En 1884, la ferme du Chatelier est incendiée, de sorte qu’il ne reste de l’ancien château et ses dépendances, que des traces de fossés et une cave voutée en ogive, qui se trouvait sous la grosse tour, l’épaisseur du mur en témoigne.

En résumé, le Chatelier, tour de guet de la Châtellenie de Beaufort au XIIe siècle, fut le chef-lieu d’un fief d’une certaine importance de la fin du XIIIe au début du XVIIIe siècle, mais la seigneurie s’est désagrégée au XVIIIe siècle au point d’être réduite en dernier lieu à la ferme du Chatelier.

 Village le plus important de l’ancienne seigneurie, centre d’affaires de la région, Chavanges prendra rang de chef-lieu de canton dans la structure régionale qui suit le système féodal. Il le doit en partie aux seigneurs du Chatelier qui y installèrent jadis une halle et l’auditoire de la justice locale.

 Ainsi apparaissent les liens entre le passé et le présent.





PREVOST—Histoire du diocèse de Troyes.

ROSEROT (Alphonse) —Dictionnaire historique de Troyes.

ROSEROT DE MELIN (Mgr Joseph) —Le diocèse de Troyes, des origines à nos jours.

BONNARD (Mgr J. Dieudonné)- archives personnelles

BEAUCHAMP (Louis A. Marquis de) mon aïeul – archives familiales 


Baronnie de Poussey et son église de Maizières

 


Écartelé : au 1er de gueules à la grange d’or,
au 2e d’azur au lion d’or,
au 3e d’azur à trois étoiles d’or ordonnées en chevron couché,
au 4e de gueules à la roue dentée d’argent remplie en écartelé de gueules et de sinople.


Au Nord-Est de Maizières que se trouve le hameau de Poussey. Le nom de "Poussey" serait d'origine celtique. Il viendrait de Pouilly, de Paull - mare - terrain bas et aquatique, pauwl, pull, marais; poël, mare, étang, d'où Pouan, Pougey, et Poucey. De fait, la contrée de Poussey est assez marécageuse.

Poussey était un finage de Maizières* qui formait une baronnie de l'évêque de Troyes

 La seigneurie de Poussey est mentionnée dès le Xe siècle, et relevait de l’évêque de Troyes, nous donnant l’origine des « Barons de la Crosse ». Chaque seigneur rendait à ce prélat foi et hommage, lui présentait aveu et dénombrement.               

Trois siècles plus tard, elle fut mouvante du Roi et du Chapitre de la Sainte-Chapelle du bois de Vincennes, à qui Charles V la donna en dotation, et le 20 février 1389. L’Evêque de Troyes rédigea à ce sujet des lettres d’amortissement.

Dès le Xe siècle, les seigneurs de Poussey avaient droit de justice sur les habitants de Poussey, Maizières et Origny.

 Après notre évêque Anségise (914-970), les premiers barons de cette seigneurie appartiennent à la famille de Mesgrigny :

Jean I, Guyot de Mesgrigny,

Jean II, baron de Poussey en partie, seigneur de Mesgrigny, Fontaine-les-Bar-sur-Aube, Fontaine Saint-Georges, Villy-le-Maréchal, Assenay… (il servit avec armes et chevaux les rois de France, Charles VII et Louis XI),

Edmond Maret (mari de Claude, fille du précédent).

La famille Raguier (dont Louis, évêque de Troyes 1426-1450) est celle qui posséda le plus longtemps la baronnie de Poussey :

Dreux Raguier, Antoine Raguier, Jacques Raguier, Charles Raguier, Pierre Raguier, Gaspard Raguier, Armand Raguier, Hector Raguier, Anne Raguier.

Cette dernière n’eut qu’une fille Angélique Cécile, qui se maria en 1713, à Jean-Charles de Mesgrigny. Cette alliance fit rentrer la seigneurie de Poussey dans la famille de Mesgrigny, qui la possédait au XIVe siècle.

 Il y eut ensuite :

Louis IV Le Peletier de Rosanbo (1717-1760), marié en 1738 avec Marie-Claire-Aimée de Mesgrigny d'Aunay (1718-1761), arrière-petite-fille du maréchal de Vauban qui lui apporta en dot l'hôtel particulier de la rue Jacob (actuel no 56). Carrière : président à mortier (1736).

Le Peletier de Rosanbo

[de Rosambo   (également orthographié « Rosambo », « Rozambo » ou « Rosambault » ]

son fils Louis Le Pelletier de Rosambo, seigneur en partie de Méry, de Marcilly-le-Hayer, d’Orvilliers, Origny et baron de Poussey et de Maizières,

son fils, Louis V Le Peletier de Rosanbo (né en 1747, guillotiné le 21 avril 1794), marié en 1769 avec Marguerite de Lamoignon de Malesherbes (née en 1756, guillotinée le 22 avril 1794), fille de Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes - ministre de Louis XVI, puis défenseur de celui-ci lors de son procès révolutionnaire, guillotiné le 22 avril 1794 - ; président à mortier au parlement de Paris (1765).

François-Etienne Lenoir de Balay, fils du conseiller-secrétaire du roi,

Jean-Louis Bayle son cousin, ancien religieux des Chartreux, que la Révolution avait chassé de son couvent, et qui eut le titre de chanoine honoraire de la cathédrale de Troyes,  J-B. de Lesseps, époux de Marie-Anne Françoise Bauzil de Rivette, héritière de Jean-Louis Bayle.

Le parc attenant présentait un peuplier "remarquable tricentenaire mesurant 8 m de circonférence". M. de LESSEPS, ancien sous-préfet de Nogent-sur-Seine, qui posséda le domaine par sa femme de 1830 à 1850 aimait tant cet arbre qu'il avait construit entre ses branches une sorte de fauteuil où il se livrait à la lecture et à l'étude. Il y mourut le 29 juin 1850.

Le terme de "château" désigne maintenant la demeure qui aurait été aménagée dans les communs d'un édifice féodal détruit vraisemblablement aux alentours de 1700. 

Le domaine de Poussey fut alors occupé par MM. de Mortarieu et de la Rachée, qui le vendirent en 1858.

Le château ne comprenait alors que la partie centrale basse où se distinguent deux lucarnes. Mais elle changea profondément d'aspect après son acquisition par les frères JULIEN en 1858. Ils firent construire deux importantes ailes en briques avec cave, rez-de-chaussée et deux étages pour loger leurs familles respectives. L’église doit à tous deux de splendides verrières qui perpétuent leurs noms et leurs bienfaits. 

Châtellenie de La Grève

 



J’ai réalisé ce chapitre, en choisissant cette châtellenie, pour montrer toutes les implications qui pouvaient exister à cette époque.

 Le village de « La Grève » et le château fort qui ont occupé le territoire de ce nom, devenu celui de la châtellenie, ont disparu depuis longtemps, leur destruction remontant à la fin de la guerre de Cent ans.

 Le territoire qu’ils occupaient faisait partie des finages de « Crancey » et « Faverolles ». On trouve le souvenir de cette localité dans les chartes anciennes. C’est ainsi que dans celles de l’abbaye de Scellières il est fait mention d’un moulin qui existait à La Grève en 1324.

 Les habitations de la Grève se trouvaient entre le hameau de « Maugis » constituant un fief et le hameau de « Faverolles », dépendant du finage de « Saint-Hilaire ».

La châtellenie de la Grève ne porta pas toujours ce nom, son siège ayant été transféré à Crancey, village ressortissant de sa juridiction, elle devint la baronnie de Crancey, suite à la vente que Charles de Gonzague fit de ce domaine en 1602.

 Anciennement possession de la maison de Traînel et de Pont-sur-Seine, réunie au domaine royal par l’acquisition qu’en fit, en 1316, Louis de France, devenu par la suite roi sous le nom de Louis-le-Hutin, la baronnie de La Grève (ou de Crancey) fut comprise dans le marquisat de Pont-sur-Seine où elle demeura jusqu’en 1790.

 Elle avait dans sa mouvance le village de « Crancey » et le fief de « Maugis », « Gélannes » et les fiefs de « Grand’Maison », « Accins », des « Coutumes de Gélannes » et du « Petit-Mesnil », « Origny-le-Sec », « Saint-Hilaire », et le hameau de « Faverolles ».

 « Crancey » : ce village mouvant de la châtellenie de La Grève et par suite de la couronne de France semble avoir été déjà habité à l’époque gauloise. Il a été fortifié au XVIe siècle. La porte de l’enceinte a été abattue vers 1784.

 « Maugis » : fief de hameau du finage de Crancey, mouvant en plein fief de La Grève. Il a été divisé en 2 parties : le fief du Grand-Maugis et celui du Petit-Maugis. Le Petit Maugis était composé comme le Grand de maisons, étables… et il eut les mêmes propriétaires. Lors de la Révolution de 1789, la ferme de Maugis, comprenant les 2 fiefs, fut adjugée 600 livres à Joseph Blaise, marchand, demeurant à Troyes.

 « Gelannes » : cette terre et seigneurie était mouvante et plein fief de la châtellenie de La Grève. Le village est situé sur l’ancienne route de Nogent à Troyes. On y a découvert des médailles d’Auguste.

 En 1230, Anseau de Traînel, seigneur de Voisines, possédait la terre et seigneurie de Gelannes qui, plus tard, fut réunie à la châtellenie de La Grève. Après avoir passé en plusieurs mains, le domaine de Gelannes demeura jusqu’à la Révolution, la propriété des seigneurs de La Grève.

 « Grand’Maison », ce fief sis à Gelannes, mouvait des seigneurs de La Grève et en arrière-fief du roi à cause de sa grosse tour de Troyes. On l’appelait ainsi parce que les bâtiments qui en dépendaient occupaient l’emplacement où était autrefois la maison seigneuriale de Foujon*.

 « Accins » : fief, sis à Gelannes, eut parmi ses possesseurs, ceux de Gelannes.

 « Petit-Mesnil » : fief à Gelannes, dit le « Terrage du Petit-Mesnil » appartint aux mêmes possesseurs cités plus haut.

 « Origny-le-Sec » : jadis dépendant du bailliage de Sens, et mouvant en plein fief de la châtellenie de La Grève. Il y eut dans ce village un prieuré de l’Ordre de Saint-Augustin.

 « Saint-Hilaire » : village mouvant en fief de main-morte (incapacité dont sont frappés les serfs, au Moyen Âge de transmettre leurs biens à leur décès) de La Grève, avec le hameau de Faverolles. Il y avait un prieuré simple de Bénédictins, dit prieuré de Saint-Claude, dépendant de l’abbé de Molême. Il avait été fondé, en 1110, par Granier de Traînel, seigneur de Pont-sur-Seine, et son frère Philippe, évêque de Troyes. Ce prieuré avait été détruit par les Calvinistes au XVIe siècle.

 « Faverolles » : hameau de la commune de Saint-Hilaire, était mouvant de la châtellenie de La Grève.


 « Les Châtelains de La grève » 



La châtellenie de La Grève était anciennement une baronnie appartenant à la puissante maison de Traînel, en même temps que la châtellenie de Pont-sur-Seine : Ponce 1er de Traînel, en 1079, et après lui, ses 2 fils, Anneau et Garnier 1er, qui se partagèrent les domaines paternels.

En 1115, Garnier II de Traînel, chevalier était seigneur de Marigny.

En 1170, Garnier III de Traînel, fils de Garnier II, possédait le domaine de Marigny.

En 1239, Garnier IV de Traînel était seigneur châtelain de Marigny et de La Grève. Marie de Traînel, fille de Garnier V, en 1277, rendit foi et hommage à Jean de Nanteuil, évêque de Troyes, pour la part des seigneuries de Marigny et de La Grève. Morte sans enfants, son héritage retourna à sa sœur Agnès de Traînel dame en partie de Marigny et de La Grève, mariée à Poincet de Thil-en-Auxois. Ce dernier rendit hommage à l’évêque de Troyes pour la seigneurie de Marigny.

En 1277, il est seul seigneur de Marigny et de La Grève.

En 1312, Guillaume de Thil-en-Auxois possède la châtellenie de La Grève, comme héritier de sa mère. Il la vend avec ses dépendances de Crancey, Faverolles, Gelannes et Origny, à Louis de France, comte de Champagne et de Brie, roi de Navarre, fils aîné de Philippe-le-Bel et de Jeanne, reine de Navarre et comtesse de Champagne.

Louis, devenu roi de France en 1314, sous le nom de Louis-le-Hutin, mourut sans héritier mâle, en 1316. Jeanne demeurait seule héritière de la couronne de France, mais selon la loi salique (loi qui excluait les femmes de la succession, tant qu’il restait des héritiers mâles), Louis-le-Hutin eut pour successeur aux trônes de France et de Navarre, et au Comté de Champagne, son frère Philippe-le-Long, couronné en 1317 et décédé en 1322, sans héritier mâle. Il avait obtenu de Jeanne un traité par lequel elle renonçait au royaume de France.

La châtellenie de La Grève faisait alors partie du domaine royal. Charles-le-Bel, frère et successeur de Philippe-le-Bel, obtint, en 1322, de Jeanne de France alors mariée à Philippe d’Evreux, un traité par lequel elle renonçait à ses droits sur le comté de Champagne.

Charles-le-Bel mourut en 1328, sans laisser d’enfants mâles. Marguerite de France donne en 1356 à sa petite fille Marguerite de Flandre, La Grève.

Elle se maria en 1369 à Philippe II de France, dit le Hardi. Décédés lui en 1404, elle en 1408, leur troisième fils Philippe de Bourgogne hérita de la châtellenie de La Grève, mais il fut tué à la bataille d’Azincourt.

Son fils, Charles de Bourgogne, comte de Nevers, devint seigneur de La Grève. Il décéda en 1464, l’héritier fut son frère Jean.

En 1519, La Grève fut attribuée à Marie d’Albret, femme de Charles de Clèves, comte de Nevers. Décédée en 1549, son fils François 1er de Clèves, duc de Nevers, possède La Grève.

En 1560, Jacques de Clèves obtient La Grève, qui passe à son décès en 1564, à sa fille Marie de Clèves.

En 1607, la Châtellenie est vendue à Claude de Berziau, et en 1608, à Achille de Harlay conseiller du roi, qui la revend en 1631 à Claude Bouthillier de Chavigny*. Décédé en 1652, la baronnie de La Grève échut à son petit-fils Gilles-Antoine de Bouthillier, qui sera grand vicaire du diocèse de Troyes et décèdera en 1695. Ensuite, on trouve comme seigneur de La Grève François Bouthillier*, évêque de Troyes.

En 1779 le domaine est acheté par le prince François-Xavier de Saxe, beau-frère du Dauphin, fils de Louis XV.

 Ces biens furent confisqués en 1790, et la République les mit en vente le 3 floréal an VI (22 avril 1798).

 

Histoire du département de l'Aube (10)

 



 La tribu gauloise des Tricasses, qui, dans l’origine, occupait le territoire formant la plus grande partie de l’Aube, est une des moins connues des historiens ; elle dépendait sans doute de la confédération rémoise et sénonaise, et son histoire se confond avec celle des Remi et des Senones, ces fidèles alliés des Romains. César ne fait pas mention des Tricasses ; Pline et Ptolémée ne font que les nommer.

Le pays des Tricasses appartenait à la Gaule celtique et fut compris d’abord dans la première, puis dans la quatrième Lyonnaise. Ravagé par les Bagaudes en 286, il fut, en 451, le théâtre d’une sanglante bataille, que les Romains et les Francs leurs alliés livrèrent à l’armée d’Attila dans les Champs catalauniques, plaines voisines de Troyes. Attila, vaincu, dut se retirer, laissant, dit-on, trois cent mille hommes sur le champ de bataille.

Nous trouvons, dès le Ve siècle, ce pays, ainsi que celui des Remi (Reims) et des Catalauni (Châlons), désigné, à cause de son apparence physique, sous le nom de Campagnia, Champagne, le pays des plaines. Après l’invasion des barbares, la Champagne fut divisée entre le royaume des Burgondes et celui des Francs, puis, au partage de la Gaule entre les fils de Clovis, elle fit partie du royaume d’Austrasie. Jusqu’au Xe siècle, des chefs militaires, nommés à vie et révocables titre de comtes ou ducs de Champagne. Deux de ces ducs sont connus pour la rôle important qu’ils semblent avoir joué à l’époque sanglante de Frédégonde e et de Brunehaut l’un, Lupus, fut le conseiller et le favori de Brunehaut ; l’autre, Wintrio, d’abord partisan de la reine d’Austrasie, finit par conspirer contre elle et fut mis à mort par son ordre (597). Quelques-uns mentionnent encore comme ducs de Champagne, vers la fin du siècle suivant, Drogon, Grimoald, Théodoald, qu’ils font fils et petits-fils de pépin d’Héristal.

La dynastie des comtes de Champagne commence avec Robert, troisième fils de ce comte de Vermandois, Herbert II, descendant de Charlemagne, allié de Hugues le Grand et qui trahit Charles le Simple. Robert n’avait hérité de son père que de Vitry et de quelques bourgades ; comme tant d’autres, il profita des années tumultueuses qui préparèrent l’avènement définitif de la race capétienne ; il s’empara de Troyes contre l’évêque Anségise, s’agrandit encore d’Arcis, de Rhetel, de Mézières, de Donchéry et prit le titre de comte de Troyes. C’est lui, dit-on, qui institua le conseil des sept pairs de Champagne, qui tenaient les états et les grands jours de la province ; ces sept pairs étaient (ou furent plus tard) les comtes de Joigny, de Rhetel, de Braine, de Roucy, de Brienne, de Grand-Pré et de Bar-sur-Seine.

Son frère Herbert et Étienne, fils de celui-ci, régnèrent pieux et paisibles sous le roi Robert. Étienne étant mort sans enfant, son cousin Eudes, petit-fils de Thibaut le Tricheur, déjà comte de Blois, Chartres, Tours, Beauvais, Meaux, fonde la seconde maison de Champagne et la plus illustre.

Le chef de la maison de Blois et de Champagne, Thibaut le Tricheur, était, suivant les uns, d’origine normande et parent de Rollon ; suivant Raoul Glaber, il était fils d’un Champenois, Hastang ou Hastings, les Normands étant venus piller la Champagne, Hastings s’enrôla et fit fortune. Son fils Thibaut, élevé de bonne heure dans le métier, se rit remarquer de ses compagnons et devint un de leurs chefs. Il seconda Hugues le Grand dans ses intrigues et ses luttes contre Louis d’Outre-mer et obtint le comté de Troyes en épousant une fille d’Herbert Il de Vermandois. Les vieux vers suivants expliquent le surnom qu’on lui donna :

 

« Thibaud de Chartres fut fil et enguigaux,

Chevalier fut moult et proux et moult chevaliroux,

Mais moult par fut cruel et moult fut envioux.

Thibaud fut plein d’engein et plein de feintie ;

A homme ne à femme ne porta amitié ;

De franc ne de chétif n’ot mercy ne pitié,

Ne ne douta de faire maloeuvre ne péché. »

 

Le fils de Thibaut le Tricheur, Eudes, fut le premier mari de la fameuse Berthe, qui épousa le roi Robert et en eut un fils nommé également Eudes ou Odon. Eudes II et le roi Robert se prétendirent tous deux parents d’Étienne et se disputèrent sa succession ; Eudes s’en empara et la garda. Par la réunion de ces deux grands fiefs de Blois et de Champagne, il comptait plus de grands vassaux et a il se trouva plus puissant que le roi capétien. Il fut le plus turbulent, le plus ambitieux des comtes de Champagne. Il commença par soutenir la reine Constance et son fils Robert contre Henri Ier ; puis il se sentit assez fort pour s’attaquer à l’empereur d’Allemagne. Il prétendit contre Conrad II à la couronne d’Arles, à celle de Lorraine et rêva un nouveau royaume d’Austrasie.

Le roi de Bourgogne, Rodolphe III, avait légué ses États à l’empereur Conrad Il. Eudes, neveu de Rodolphe par sa mère Berthe, réclama et courut se mettre en possession de la Bourgogne. Il en soumit tout d’abord la plus grande partie. Une députation de la ville de Milan, révoltée contre l’empereur, vint lui offrir la couronne d’Italie ; la Lorraine l’appela contre son nouveau duc, Gothelon, créature de Conrad. Eudes pensait déjà se faire couronner à Aix-la-Chapelle. Il envahit la Lorraine et s’empara de Bar. Mais les vassaux de l’empire marchèrent contre lui ; Eudes fut défait et tué, de la main même de Gothelon, qui lui trancha la tête. Il ne put être retrouvé parmi les morts que par sa femme, Ermangarde (1037). Cette puissance redoutable du comte de Champagne s’affaiblit sous ses deux fils, qui se partagèrent ses États. Thibaut Ier, l’aîné, finit cependant par les réunir, à la mort de son frère Étienne.

Étienne III, fils de Thibaut Ier, fut tué en Palestine, où il était allé secourir Baudouin. L’aîné de ses fils, Étienne, hérita de Blois et disputa à Henri Plantagenêt le trône d’Angleterre, qu’il finit par occuper ; le puîné Thibaut Il ou le Grand, eut la Champagne. Thibaut Il fut l’ami de saint Bernard. Par la protection qu’il accorda au neveu d’Innocent III, nommé malgré le roi Louis VII à l’archevêché de Bourges, il attira d’effroyables malheurs sur la Champagne. Louis VII vint ravager toute la province. Vitry fut incendiée ; treize cents personnes, hommes, femmes et enfants, qui s’étaient réfugiées dans l’église, périrent au milieu des flammes. Saint Bernard conclut le traité de paix.

Son successeur, Henri Ier le Large ou le Libéral, fit faire de grands travaux. La Seine fut partagée au-dessus de Troyes en trois canaux, dont deux traversèrent la ville, qui se trouva assainie et où de nouvelles manufactures s’établirent. Il enferma les faubourgs dans la ville en les entourant d’une nouvelle enceinte et de tours. C’est également sous son règne que fut achevée l’église Saint-Étienne.

Henri II le Jeune se croisa avec Philippe-Auguste, s’attacha à Richard Cœur de Lion et devint roi de Jérusalem en épousant, malgré l’excommunication lancée contre lui, Isabelle, sœur et héritière de Baudouin V. Thibaut III, son frère, comte de Blois et de Chartres, réunit de nouveau les deux domaines ; il épousa la fille de Don Sanche de Navarre et mit cette nouvelle couronne dans sa famille. Il était suzerain de plus de dix-huit cents fiefs, lorsqu’il fut choisi pour conduire la croisade que prêchait Foulques de Neuilly. La mort le surprit au moment du départ, et le commandement passa au comte de Flandre, son beau-frère. La plupart de ses vassaux partirent cependant, et parmi eux le maréchal de Champagne, Geoffroi de Villehardouin, qui devait être l’historien éloquent de cette merveilleuse expédition.

Le plus célèbre des comtes de Blois, Champagne et Brie fut son fils, Thibaut IV le Posthume ou le Chansonnier, non pour sa gloire de souverain : il porta la couronne de Navarre, alla en croisade comme la plupart de ses prédécesseurs et n’en joua guère un plus grand rôle ; mais l’homme, le prince libéral, l’amant de la reine Blanche, l’imitateur original des troubadours, le poète gracieux et spirituel est resté populaire.

Pendant sa minorité, sa mère, Blanche de Navarre, gouverna ; c’était une femme forte comme la mère de saint Louis. Un compétiteur, mari d’une fille du comte Henri II, appuyé de plusieurs puissants seigneurs, Erard de Brienne, ayant attaqué la Champagne, Blanche leva aussitôt l’armée de ses vassaux fidèles, en appela à la cour des pairs de France, se fit rendre justice, obtint du pape une excommunication contre l’envahisseur et assura l’héritage de son fils.

Thibaut fut de bonne heure envoyé par sa mère à la cour de Philippe-Auguste. Il fit ses premières armes sous Louis VIII, au siège de La Rochelle ; il s’y comporta vaillamment. C’est vers ce temps, dit-on, qu’il tomba amoureux de la reine et que son génie poétique s’éveilla. « Il se partit tout pensif, et lui venoit souvent en remembrance le doux regard de la reine et sa belle contenance. Lors si entroit dans son cœur la douceur amoureuse ; mais quand il lui souvenoit qu’elle estoit si haute dame et de si bonne renommée, et de sa bonne vie et nette, si muoit sa douce pensée en grande tristesse. Et pour ce que profondes pensées engendrent mélancolie, il lui fut dit d’aucuns sages hommes qu’il s’estudiât en beaux sons et doux chants d’instruments, et si fit-il. »

Lui-même a dit :

« Au revenir que je fis de Florence

S’émut mon cœur au petit de chanter,

Quand j’approchois de la terre de France

Où celle maint que ne puis oublier.

Celle que j’aime est de tel signorie

Que sa beauté me fit ontrequider ;

Quand je la vois, je ne sais que je die,

Si suis surpris que ne l’ose prier. »

 

Louis VIII mourut en revenant du siège d’Avignon. Thibaut fut accusé de l’avoir empoisonné. Durant la minorité de saint Louis, Thibaut fut, malgré sa versatilité, le meilleur appui de la régente. L’amour et la jalousie, à ce qu’il semble, eurent plus de part à sa conduite que la politique. « Il couroit vers ce temps-là un bruit-, savoir que le seigneur légat et la reine Blanche ne se comportoient pas ensemble ainsi qu’il estoit convenable. »

Aussi Thibaut penthotal d’abord du côté des barons ; mais il se ravisa et vint rendre hommage au roi. La ligue se trouva une première fois dissoute. Afin de gagner plus sûrement Thibaut à la cause féodale, Pierre Mauclerc, le chef des mécontents, lui offrit sa fille Yolande, et Thibaut accepta. Yolande fut amenée jusqu’à Valserre. Le mariage allait être célébré, quand un billet de la reine rengagea Thibaut. Pierre Mauclerc, ainsi outrageusement joué, s’en retourna en Bretagne, et la guerre commença aussitôt ; elle ne devait pas tarder à punir Thibaut de ses légèretés et de ses trahisons et à amener de grands malheurs en Champagne.

La reine avait convoqué le ban royal contre Mauclerc ; la plupart des seigneurs, bien que du parti de celui-ci, obéirent. Leur service féodal était de quarante jours ; dès qu’ils furent expirés, le duc de Bourgogne, les comtes de Boulogne, de Bar, de Sorez, les sires de Coucy, de Châtillon et d’autres quittèrent l’armée du roi pour aller envahir la Champagne. Tout le pays fut dévasté. Le comte de Champagne lui-même, pour se défendre, fut contraint de brûler plusieurs de ses villes, Chaumes, Épernay, Les Vertus et Sézanne. Les bourgeois de Troyes, auxquels s’étaient joints les hommes d’armes du sire de Joinville (père de l’historien), réussirent à se débarrasser du duc de Bourgogne, qui les assiégeait.

Mais il fallut que Thibaut implorât le secours du roi. Saint Louis s’avança en personne à la tête de son armée, et les barons se retirèrent. Mais dès l’année suivante, après le débarquement du roi d’Angleterre, Henri III, ils revinrent plus nombreux saccager les terres du comte de Champagne. Ils l’accusaient plus haut que jamais d’empoisonnement. Thibaut leur livra bataille et fut vaincu ; deux cents de ses chevaliers furent faits prisonniers ; lui-même s’enfuit comme il put jusqu’à Paris. Louis et Blanche s’entremirent, et la paix fut conclue à la condition que Thibaut prendrait la croix et irait combattre les ennemis du crucifié.

Thibaut ne se hâta point et ne partit que neuf ans après avec un grand nombre de ses vassaux et de ses anciens ennemis, entre autres Pierre Mauclerc, et le duc de Bourgogne. Dans l’intervalle, il était devenu roi de Navarre par la mort de Don Sanche (1234). La croisade finit assez honteusement pour tous. Thibaut revint la même année, abandonnant soixante-dix de ses chevaliers. Depuis, dit Roderic, il s’appliqua à gouverner ses États de Champagne et de Navarre avec -justice et douceur et à y maintenir la paix. Il résidait tantôt à Pampelune, tantôt dans son château de Provins, où, entre autres magnificences, il avait fait peindre en or et en azur ses chansons, paroles et musique, au milieu d’Amours et de cœurs percés de flèches. Le commerce de Champagne prospéra d’ailleurs sous ce règne, et Thibaut établit un grand nombre de « communautés de bourgeois et de villageois en qui il se fiait plus qu’en ses soldats (Albéric). » Il mourut quelques mois avant Blanche de Castille, à Pampelune (1253).

Son fils et son successeur, Thibaut V, épousa Isabelle de France, fille de saint Louis ; la demande en avait été faite par son sénéchal de Champagne, le sire de Joinville. La roi de Navarre suivit son beau-père à sa seconde croisade et mourut comme lui de fatigue au retour ; il mourut en Sicile. Sa couronne et ses seigneuries furent l’héritage de son frère Henri III, qui n’est célèbre que pour son excessif embonpoint et mourut en 1274 d’une attaque d’apoplexie.

Henri III ne laissait qu’une fille, Jeanne, âgée de trois ans. La Navarre se souleva et fut menacée à la fois par les rois d’Aragon et de Castille. Jeanne alors fut confiée par sa mère au roi Philippe III, qui, se déclarant le tuteur de la mère et de la fille, envoya une armée en Navarre pour assurer les droits de l’héritière. Jeanne épousa Philippe le Bel, qui gouverna avec sa femme la Navarre et la Champagne. C’était une princesse remarquable par sa beauté et son esprit ; c’est elle qui fonda le collège de Navarre, à Paris. Avec elle s’éteignit la maison de Champagne (1304). « Famille plus aimable que guerrière, dit AI. Michelet, poètes, pèlerins, croisés, les comtes de Blois et Champagne n’eurent ni l’esprit de suite ni la ténacité de leurs rivaux de Normandie et d’Anjou. » Le fils aîné de Jeanne, Louis le Hutin, devint roi de Navarre et comte de Champagne avant d’être roi de France ; on sait qu’il ne laissa qu’une fille également nommée Jeanne. Philippe le Long s’empara à la fois de la couronne de France, de la Navarre et du comté de Champagne ; en 1324, Charles la Bel obtint de Jeanne elle-même et de son mari, la comte d’Évreux, une renonciation à ses droits sur la Champagne et sur la Navarre. Cette renonciation, parait-il, n’avait été consentie qu’en faveur de Charles et de ses héritiers directs, et à l’avènement de Philippe de Valois, les contestations recommencèrent entre le roi et Jeanne. Philippe rendit la Navarre et obtint une renonciation nouvelle à la couronne de Champagne. Depuis cette époque, malgré les réclamations et les tentatives du fils de Jeanne, Charles le Mauvais, roi de Navarre, la Champagne fut regardée comme une province dépendante du domaine royal. Elle y fut solennellement réunie par le roi Jean en 1361.

Plus qu’aucune autre, la province de Champagne, ouverte de tous côtés, eut à souffrir des calamités de la guerre de, Cent ans ; les Anglais, les grandes compagnies, les malandrins la ravagèrent incessamment ; c’est en Champagne que se forma (1362) la grande compagnie composée d’Anglais, d’Allemands, de Gascons, de Belges, qui se donnaient à eux-mêmes le nom de Tard-Venus, « parce qu’ils avaient encore peu pillé au royaume de France et s’en voulaient dédommager âprement. »

Rappelons seulement la belle conduite de Henri de Poitiers, évêque de Troyes, qui se mit à la tête d’une armée, battit et chassa Robert Knolles, et la victoire de Barbazan à La Croisette (1430). La Champagne fut donnée par Henri V, roi d’Angleterre, au duc de Bourgogne, et l’une des conditions du traité d’Arras, conclu en 1437 entre Charles VII et Philippe le Bon, fut la cession au duc du comté de Bar-sur-Seine. Ce traité, qui assura la retraite définitive de l’étranger, mit fin aux malheurs de la Champagne dans cette période. La Champagne peut disputer à la Lorraine l’honneur d’avoir donné Jeanne D’arc à la France. Au siècle suivant, les troupes de Charles-Quint envahirent deux fois la Champagne et incendièrent Troyes.

La Réforme amena des désastres plus terribles encore. La noblesse de Champagne entra tout d’abord dans l’Union catholique. Le prince de Condé, voulant renforcer le parti protestant, y appela les Allemands du comte palatin Casimir. Les reîtres y commirent longtemps toutes sortes d’excès, et lorsqu’en 1576 Henri III se soumit à payer ces pillards afin de les renvoyer chez eux, l’argent se faisant attendre, ils vécurent encore trois mois à discrétion dans le pays. Presque tout entière à la Ligue, la province ne se soumit à Henri IV qu’après son abjuration (1594).

Constitué dans sa forme actuelle, en 1790, par l’Assemblée nationale, le département de l’Aube n’eut pas à souffrir de l’invasion de 1792, arrêtée à Valmy, ni du règne de la Terreur en 1793, mais il fut en 1814 le théâtre principal de la lutte de Napoléon contre les armées alliées ; les noms de Brienne, de La Rothière, de Rosnay, d’Arcis-sur-Aube, de Nogent, de Méry appartiennent à l’histoire de cette immortelle campagne, où les habitants de la Champagne rivalisèrent avec nos soldats de patriotisme et de courage.

Après les Cent-Jours, en 1815, l’étranger envahit de nouveau le département de l’Aube et ne s’en retira qu’après une occupation de trois ans, en 1818. Une ère de prospérité suivit de 1818 à 1870, pendant laquelle la Champagne vit son industrie et son commerce prendre un rapide et profitable essor.

Si, pendant l’invasion de 1870-1871, il ne se livra point de nouveaux combats dans le département de l’Aube, il eut cruellement à souffrir des excès et des pillages des Prussiens, qui y séjournèrent près de dix mois. On évalue à 6 672 783 francs 16 centimes les pertes éprouvées par le département de l’Aube pendant cette funeste époque.

Constitution civile du clergé (1790)

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