LE
TEMPS DES BEUÏES
Au XIXe siècle, les
armoires de nos campagnes étaient, dit-on « pleines à craquer » de
chemises et de draps. C’était le cas chez mes deux grand-mères. Une femme de la
région d’Épernay possédait entre 25 et 30 chemises. A Saint-Dizier, la
grand-mère de Mme Perrin reçu en dot, le 15 février 1883 : « 100
paires de draps, 48 chemises de femme, 83 chemises d’homme, 100 torchons de
grosse toile, toile mi-fine et toile fine (lin) ».
Il est vrai que son arrière-grand-père était
tisserand à Contrisson, dans la Meuse.
Mais
de tels trousseaux n’étaient peut-être pas si rares, puisque M. Hampe, ébéniste
à Viâpres-le-Petit assure avoir fabriqué de nombreuses armoires « rien que
pour y mettre des chemises ».
Fait
de lin ou de chanvre épais, pratiquement inusable, ce linge durait « toute
une vie » et pouvait même se transmettre d’une génération à l’autre. De
tels monceaux de « beau linge » n’incitaient pas les femmes à faire
la bue (1) trop fréquemment ;
elles en étaient d’ailleurs très fières mais n’étaient pas pour autant à l’abri
de l’ironie des voisines. Ainsi, à Langres, une femme « bien aisée »
était-elle appelé la Mère Trei-bonnets
quait-chaipets tandis qu’une autre de Villeneuve-au-Roi avait été baptisée
la « Double-Double ».
Pourtant
cette légende des grosses armoires bien pleines ne doit pas faire oublier qu’il
y avait encore une majorité de pauvres gens et que, pour eux, une seule armoire
ou un coffre suffisait à resserrer tout le « bien » de la famille,
fût-elle nombreuse.
Voir quelques précisions concernant le
temps des buries, fournies par les
archives des campagnes. (2)
Pauvreté
n’est pas vice, mais elle n’a jamais anobli celui qu’elle touche’ ; aussi ceux
qui n’avaient que deux chemise, « une-au-cul » et
« une-au-ru », sauvaient la face en les portant plus longtemps et en
faisant la « lessive du Gascon » : 3 mois à l’endroit et 3 mois
à l’envers !
Ainsi, arrivaient-ils à
suivre la cadence des buries qui
pouvait être bimestrielle ou … annuelle. Cependant, en règle générale, on
pratiquait 2 à 4 bieuïes par an,
selon les changements de saisons.
A
la Saint-Thomas
Cuis
ton pain, buis tes draps,
Dans
trois jours Noël t’auras.
Il n’était donc pas question de faire « 36 lessives tous les 15 jours comme aujourd’hui », mais de suivre le cycle des travaux en respectant les interdits religieux.
On ne lessivait pas le
dimanche et, de préférence, pas le vendredi. Mais malheur à celle qui coulait le Vendredi-Saint. Une lessive
du Grand-Vendredi ou de la Semaine-Sainte faisait mourir son mari dans l’année.
Il en allait de même dans l’octave de la Fête-Dieu et il était mauvais de
conserver le léchu provenant de ces
périodes.
Avant de bier on avertissait les voisines.
Certaines apportaient alors un petit ballot de linge et, pour le reconnaitre,
faisait un nœud à l’extrémité de chaque pièce. Ce linge était rendu à sa
propriétaire lorsque la lessive était coulée,
à charge pour elle de le laver au ru. A Polisy, cette pratique se nommait le couplet (3) et l’on disait à ce sujet
que « plus les commères étaient bavardes en apportant leur linge, plus le
léchu serait bon ».
Cette buie se faisait en dehors ou dans une
pièce spécialement préparée « parce que ça sentait mauvais » et qu’il
y avait beaucoup de buée. On profitait de la chambre à four, du fournil, d’un
appentis, d’un haloir, ou simplement d’un coin de grange.
L’ENCLIGNEMENT
On disposait horizontalement une grosse branche
fourchue, la becnille, sur trois
gros fuchios, l’ensemble formant un
trépied. (4)
La lessive terminée, il
ne fallait pas oublier de la retirer. Au Mesnil-Saint-Loup, on assurait que si
une femme enceinte avait « laissé la bique sous le cuvier », peu
avant l’accouchement, elle risquait des coliques.
Sur cette bigorne, on installait le gros cuvier
(5) destiné à contenir le linge. Ce couvo
en bois blanc ou en sapin – le chêne aurait taché – était ordinairement
conservé en cave pour éviter qu’il ne se dessèche et tombe en douvelles. Malgré cette précaution, il était souvent
nécessaire de l’abreuver, de le faire renfler avant usage. Si la dessiccation
avait déformé les douves, on obstruait les fentes avec des brins de jonc ou
d’osier pour qu’il ne « perde pas plus ». Il avait un diamètre de
1,20 à 1,50 mètre et pouvait permettre d’entasser jusqu’à 40 draps. Le fond
était percé, vers le bord, d’un trou de bonde.
Afin que l’eau de
lessive s’écoule lentement, en pichrote,
le trou-du-cuai était partiellement
obstrué par une poignée de paille de seigle, une frotte de glu pliée en dujin
sur une buchote de bois blanc
formant cheville (6). Dans les pays vignerons, on remplaçait cette pichate par un falo de sarments. On y plaçait aussi quelquefois un robinet ;
c’était le cochet, la broche ou la cannelle (7).
1
- Faire la lessive se dit : buer, bier, fare la buie, la beuïe, la blée, la
burie, selon les localités, sans qu’il semble y avoir de répartition
géographique bien définie. Ces termes ont tous la même origine que buer, mot
vieux français pour lessiver et dont il nous reste « buée » et « buanderie ».
2
- Champignol : Mme Madeleine Dumont la faisait tous les mois après la guerre de
14. Les Riceys : 2 fois par an. Rumilly : toutes les 6 semaines, « mais la Nini
Charron, tous les six mois ». Villemaur-sur-Vanne : guère plus de quatre fois
l’an. Villemoyenne : « pas des trente-six lessives comme aujourd’hui, tous les
quinze jours, mais 2 à 3 fois par saison ». Auxon : 3 à 4 fois par an.
Neuville-sur-Seine : 2 à 3 fois l’an et 3, 4 fois avant 1914. Moussey : 3 à 4
fois l’an. Gyé-sur-Seine : 2 à 3 fois l’an « parce que généralement dans les
familles, on était assez nombreux et il y avait toujours les domestiques,
surtout l’été pour les vignes ». Celles-sur-Ource : tous les 2 à 6 mois. Polisy
: 1 fois par an. Polisot : 1 fois par an. Origny-le-Sec : tous les 3 ou 6 mois
ou 1 fois par an. Soulaines : tous les 2 mois. Chaource : 1 fois par an au
printemps. Saint-Phal : tous les 3 ou 6 mois. Viâpres-le-Petit : 3 à 4 fois par
an.
Dans les autres départements
de notre province, Marne et Haute-Marne, nous trouvons les mêmes cadences.
Arc-en-Barrois : 2 fois par an. Rachecourt-sur-Blaise : 2 à 3 fois par an.
Chavot-Épernay : 1 fois par an. Baizil-Épernay : tous les deux mois. Semoine :
1 fois par an.
A Chevillon
(Haute-Marne), la lessive au cuveau se pratiquait encore avant la guerre de
1940-1945.
3
– Le couplet, c’est l’action de rassembler, d’assembler des éléments venus de
l’extérieur (lat. copulare)
4
– De par sa construction, le trépied, souvent fabriqué par le menuisier du
village, à l’aspect d’un Y ou d’un T dont les branches sont fichées de pattes.
Selon ce que cette forme inspire, on l’appellera :
Trois-pieds,
tropieds c’est-à-dire trépied. Bicorne, bigorne (lat. bicornis : qui a deux
cornes) mots français pour des acceptions différentes (chapeau et enclume)
Bécoille,
becnille, en français béquille, diminutif de bec, mot venant du gaulois (lat.
beccus)
Tinette,
cette appellation étant en rapport avec son usager puisque ce trépied porte la
tine (5)
5
– Cette cuve a deux noms distincts : Cuvreu, cuvieu, cuvlo, couvo, cuai,
français cuveau et cuvier.
Tino, tno, tinet,
tinète, en vieux français la tinette et la tine étaient des vaisseaux de bois
destinés au transport de l’eau (lat. Tina)
6
– Cette poignée de paille pliée en deux sur une cheville de bois était :
Torche,
vieux français désignant un bouchon de paille (lat. torca)
Frotte,
car on se servait d’un même bouchon pour étriller les bêtes (lat. fricare)
Bujin,
dujin, duji, la poignée de paille était pliée en deux (lat. duas)
L’effet
produit apporte aussi d’autres désignations :
Goulet,
goulerote, rigoulote, goulaigne, français goulot, de gueule (lat. gula)
Picha,
pichote, pisso, pissote, français « pissette », du mot « pisse » (lat. pectus)
Le changement de
matière donne également d’autres désignations :
Falo,
lorsque le bouchon est constitué d’une poignée de sarments de vigne, il est
alors semblable au falot de bois servant à l’allumage du feu (lat. focilo,
ranimant)
Buchote, chevillote, buchette et chevillette (le ote étant l’équivalent du « ette » français) lorsqu’on se contentait de rouler quelques bouts de chiffons sur une cheville de bois.
7
– Dans quelques régions, le cuvier portait un trou situé latéralement, auquel
on pouvait adapter un robinet.
Cochet,
cette désignation viendrait de ce que le robinet, avec son papillon de serrage,
avait le profil d’une tête de coq (?). Mais, cela pourrait être aussi la pièce
qui s’incrustait dans la coche,
l’entaille ( ?) CF. le sens rabelaisien de l’anglais « Cock ».
Broche,
canelle, l’usage de ces mots pour robinet est fautif car
ces deux pièces sont normalement des tubes de bois ou de métal ne comportant
pas de clé.
Robin,
robinet, vieux mot français
Le fond du cuvreu était enfin recouvert d’une
couche de 20 cm environ de sarments, de ramillons croisillonnés ou de brins de boulin, restants de vieux
balais de bouleau. Quelquefois, on se contentait d’y placer des briques de
terre cuite (8), l’essentiel étant d’éviter que le linge ne vienne colmater le boudon (9).
Sous cet appareil on
plaçait un cuvier plus petit, un jerlon
(10) pour recueillir le léchu puis
on préparait les seilles en bois (11) destinées à puiser l’eau et les casses (12) emmanchées d’une longue
queue en bois et servant à transvaser les liquides.
Il ne restait plus qu’à
prendre la chaudronate (13) au crémail (14) de la cheminée, à moins
qu’on ne la place sur un trépied de fer ou sur le fourneau à braises. Cette
chaudière en fonte qui servait ordinairement pour cuire les embles aux vaches, ou lorsqu’on tuait le cochon, pouvait contenir
jusqu’à 100 litres d’eau.
Cette installation
terminée, la lessive pouvait enfin commencer. Sur le fond de la tine garnie de sarments, on étend une
grosse toile, le boura (15) dans
laquelle on verse 7 à 8 doubles de
cendres de bois blanc (16). Les coins du
charou sont alors rabattus et referment la poche. La maîtresse de maison
pose sur le tout un chapelet fait de rhizomes d’iris séchés, enfilés sur une
cordelette, ou une poignée de clous de girofle pou qu’ça fleure bon. Il ne manque plus que le linge.
En effet, pendant tous
ces préparatifs, d’autres femmes sont allées échanger. Les draps et les chemises ont simplement été trempés. Les
torchons, les linges « crasseux » ont eu droit à un lavochage plus sérieux dans un bain de
saponaire ou dans du cristau (17).
Les lingeries fines, pochettes, manchettes brodées sont trempées séparément.
Les coiffes ont d’abord été démontées (certaines sont constituées de plusieurs
éléments assemblés au repassage) et les rubans de passementerie décousus.
Mais le temps vient d’encontrer (18). Le linge est disposé en
rond, de l’extérieur vers le centre, en couches successives et régulièrement flongées (19). Cette opération mal
conduite, peut amener des déboires. Mal tassé, le linge ne « tient pas
dans le cuvier », c’est une « lessive parisienne ». Par contre,
tassé avec trop d’énergie, il ne laissera plus passer le léchu et formera une entrecoulée
(20).
On dispose d’un drap de
chanvre en forme de poche à l’intérieur du cuvier, ceci afin d’éviter que le
linge soit en contact direct avec le bois. A l’intérieur on place d’abord
quelques ferloques (21) puis, dans
l’ordre, les torchons, les draps d’lit,
les toies d’oreiller, les chminches de chanvre des hommes, celles
des femmes, les serviettes, les chemises de lin (homme puis femme), les
caleçons, pantalons de femme, jupons, mouchoirs, lingerie fine, bonnets et
coiffes. Le tout est recouvert par quelques torchons « pas sales ».
On place ensuite les
« couleurs », dvantios,
biaudes, fichus, bleus, qui pourront, le cas échéant, être retirés avant la
fin. Enfin, on recouvre le tout avec les « coins » du drap de chanvre
et l’on place un autre drap sur le dessus pour éviter au linge de
« remonter » pendant les coulées.
Mais le soleil se
couche, les femmes vont souper : potée aux choux, panade au lait ou soupe
à l’oignon suivant le cas, et prendre un repos déjà bien mérité.
8 – A Maizières-lès-Brienne, le fond
était garni de brins de viorne. En Brie champenoise, dans le Baizil, à 15 km
d’Épernay, on utilisait du marcelin
ou vorde ; fendu et taillé à la
longueur requise, selon le diamètre du fond.
9 – Le trou de bonde de la cuve à
lessive était le boudon, le trou de
tampon et, par plaisanterie homophonique, le trou du cuai.
10
– Ce vaisseau de bois destiné à recueillir les écoulements s’appelait
parfois :
Cuvlo de dsou :
cuvier de dessous.
Rcueillo, recueillon,
rcueillou, français recueillir.
Mais
plus fréquemment on trouve :
Jerle, jarle, jâle, jerlon, français jale, vieux français gale, galon, sorte de baquet, mot d’origine sans doute gauloise que l’on retrouve en anglo-saxon pour désigner une mesure de liquide.
11 – Ce baquet était aussi nommé Seillon, seille, sille (lat. situla) vieux mot français pour vase à puiser l’eau. La pierre à sillère ou pierre de sillère est l’évier en grès sur lequel on posait la sille d’eau propre.
12 – Cet ustensile,
sorte de casserole à long manche, était la casse
ou casrole, vieux français
« casse », « bassin ». On pourrait rapprocher, par
homophonie, ce mot latin « quasillus » (corbeille) et cela pourrait
expliquer pourquoi nous trouvons des contes où les fées vont puiser l’eau… dans
une corbeille ( ?)
C’était
aussi un pochon ou poche, mot qui désigne encore un
français le bassin servant à recevoir les métaux en fusion (bas latin
« popia », cuillère à pot).
13 – Chaudronate, chaudière, chaudron où l’on faisait chauffer l’eau,
(du celte « caldron », latin « caldaria »).
14 – La crémaillère, suspendu à une
barre de fer ou à un crochet scellé dans la cheminée était un crémail, crinmail, crémo, crémoi, cramail,
(lat. cramaculus, cremare, brûler). Il est à noter que si le français a retenu
le mot crémation et ses dérivés, le langage populaire a gardé
« cramer » pour brûler à feu vif.
15 – Ce linge porte trois noms
synonymes. Ces variantes régionales proviennent non d’une différence
linguistique, mais de la vision que l’on peut avoir de l’objet. Ce peut être un
charou, un fleurier, un boura.
Le Charrier, charoi,
charou, charo, chanrou, chorou, choron, choreu, cenreu, cendrion, c’est le
sac à cendres (lat. cineris)
Le Fleurier, florio, c’est aussi le sac à cendres. Mais, comme cette
dernière était tamisée avant usage, on n’utilisait que la fleur de cendre,
c’est-à-dire, la partie la plus fine, la « fleur » (lat. fleurum)
dans l’ancienne acception de la chimie, pour substance poudreuse. Le français
moderne a gardé l’expression pour « fleur de soufre » « fleur de
sel » et « fleur de farine » (Anglais « flour » =)
farine).
Le
boura, biou, c’est encore le sac à
cendres. Mais ici, on parle du linge lui-même qui était une étoffe grossière,
épaisse, une bure (lat. bura). A Ricey les tabliers de travail en toile serrée
sont encore dits en biou.
Ce linge est quelquefois, mais rarement appelé nouet et tapin, de tape, bouchon de linge en ancien français. (terme encore usité dans la marine).
16
– La cendre destinée à la lessive était recueillie dans l’âtre. Chaude, elle
était retirée avec la pellote à long
manche et versée dans le cendrier ou étouffoir. Suivant les régions et en
fonction également de la « richesse » de la construction, cet étouffoir
pouvait avoir été construit dans la cheminée. C’était un évidement vertical
ouvrant en haut par une sorte de placard et comportant à sa base une ouverture
carrée de 20 cm froide. Autrement, on utilisait une sorte de récipient
cylindrique, en fer, que l’on bouchait hermétiquement, à l’aide d’un couvercle
à bord pénétrant, également en fer.
Avant usage, cette
cendre étant tamisée pour éliminer les charbonnettes et les corps étrangers.
Dans les tuileries d’Amance, les porteurs passaient la cendre au clive, puis la vendaient au boisseau,
dans des sacs de toile, jusque dans la région de Saint-Usage. On m’a même dit
qu’à Bagneux-la-Fosse, l’habitude était de remplir le biou avec des petits sacs de cendres, peut-être y avait-il, là
aussi, liaison de cause à effet ( ?).
Seule la cendre de bois
blanc tamisée était utilisée. Celle de chêne aurait taché le linge à cause du
tanin. Celle de sapin ne valait rien non plus. La meilleure était la cendre de
peuplier. C’était la cenrée (lat.
Cineris). Lorsqu’on la versait ou qu’on la tamisait, la fleur la plus fine, la
poussière, le chni (lat. cinis)
avait fâcheusement tendance à s’envoler et à se poser… dans les yeux des
voisines. Pour se débarrasser de cet indésirable il suffisait de redire sept fois
de suite : Chni d’mon œil, saute
dans mon cul.
17
– Echanger (lat. exsaniare)
essanger, laver le linge à l’eau. On disait aussi dégorger ou faire dégorger.
Lorsque le linge était particulièrement « crasseux », il était
lavoché, c’est-à-dire lavé succinctement dans un bain de saponaire ou de cristau, la carbonate (solution de carbonate de sodium (cristaux de soude)).
On le sauçait (bas lat. salsa, salé)
18
– Dans la tine, le linge est pilé ou entsé, entassé. Mais le plus souvent, il sera encontré (lat. contraho) rassemblé ou encléyé, encligné (lat.
cludera, cliniare) enfermé. Ce mot restant français pour cligner. Inversement,
lorsqu’il faudra vider la tine, le linge sera dépilé, détsé, décontré, décléyé ou décligné.
19
– Flonger : serrer (lat.
flagellare) ou presser (lat. tullare) les draps les uns contre les autres.
20
– A Saint-Mards-en-Othe
21
– Les ferloques sont des tissus ou
vêtements hors d’usages. Ce mot pourrait provenir de « farde »,
vêtement en vieux français (devenu harde) et de loques (néerlandais locke),
toiles usées. La contraction aurait donné farde-loques, ferloques. (mot de Langres : « chambrelouque »
C’est
la fin du premier jour
LA COULÉE
De bonne heure,
quelques femmes, parfois une seule, commencent à couler. Suivant l’importance de la lessive, il faut
« jeter » de 10 à 12 seilles
d’eau fraiche pour emplir la tine.
Encore qu’ « emplir » soit impossible, puisque le cuvier possède un trou
de bonde ouvert à la base et que « comme un canard, il se remplit d’un bout
en se vidant de l’autre ».
L’eau d’écoulement est
recueillie dans le jerlon placé sous
le trépied. Lorsque celui-ci est plein, l’eau est reprise avec la poche et versée de nouveau sur le
linge. Cette première opération, à froid, se renouvelle 5 à 6 fois. Dans
quelques pays on rapporte que cet arrosage durait une journée entière. De toute
façon, une bonne couleuse de soit de
« goûter » sa lessive, d’un doigt léger sans doute, pour en connaitre
la teneur alcaline et, éventuellement, rajouter de l’eau fraiche pour éviter le
« trop-plein » (22) dangereux pour les tissus. Elle soigne son miton
(23).
Ce premier coulage terminé, on procède à la tièdote. L’eau puisée dans le jerlon est mise dans la chaudière, à
feu doux. Et toujours la même opération reprend : de la chaudière au
cuvier ; du cuvier à la jarle,
de la jarle à la chaudière… cinq fois de suite (ou une matinée) car « il
ne faut pas cuire la saleté dans le linge ».
La chaufote qui suit demande une lessive chaude mais non bouillante.
On active le feu sous la chaudière et le léchu
(24) est bon lorsque sa surface se couvre d’une légère écume blanche. De
nouveau, la même opération se renouvelle cinq fois d’affilée, soit durant quatre
heures. Avant d’entreprendre la dernière coulaison
(25) il faut écarter le drap placé sur la lessive et ôter les couleurs qui
risqueraient de « décharger » et tacheraient le « blanc ».
Le drap replacé, on passe à la bouillote. Le léchu est
porté à ébullition. L’opération se renouvellera encore cinq fois et les couleuses pourront apprécier le long
manche de la poche qui leur permet
de jeter tout boulant (26) sans se
brûler.
Enfin,
avec cinq froides, cinq tièdotes,
cinq chaufotes, cinq bouillotes, la lessive est coulée (27). Il reste plus qu’à couvrir
la tine pour la nuit, soit d’un
vieux drap et de quelques planches, soit d’un couvercle d’osier et de paille
(28).
Si
la maîtresse de maison ou quelque voisine possède des draps neufs, elle
profitera de ce que le léchu est
encore boulant pour les y tremper.
Ils seront ainsi élingés et auront
perdu leur raideur, leur apprêt. Ce léchu
soigneusement conservé servira à tremper les petits linges ou les couleurs
fragiles. Les voisines même viendront en quérir pour leurs besoins personnels
(29).
-
22
Si la cendre utilisée était trop forte,
l’eau de lessive trop chargée en potasse devenait onctueuse et risquait de
brûler les fibres du linge. C’était du trop-fait ou trop-plein. Ce terme doit
se comprendre ici dans le sens où « plein » à l’acception « saturé » (lat.
plenus).
-
23
Mitonner est un mot français signifiant préparer doucement, dorloter. Il vient
du mot dialectal miton, doux,
lui-même dérivé de mite, chat en
ancien français (lat. mitis, moelleux). Le miton des lavandières est donc une
eau de lessive, ou de savon, qui rend un toucher doux et moelleux.
-
24
Lessu, lessif, lochi, léchu,
eau-de-lessive (lat. lix, lixa) mêlée de cendres. Plus le léchu était foncé et
frangé de belles bulles claires et grasses, plus la lessive était bonne
(Auxon).
-
25
Coulate, coulo, coulote, coulasson,
coulaison, coulage de la lessive. Ce terme couler (lat. colare, filtrer)
semble être le seul utilisé pour cette opération. Les femmes, souvent
professionnelles, qui s’occupaient de ce travail, étaient généralement appelées
les couleuses. A Arrelles, une
petite lessive était un coulon.
-
26
Boulant et boulu, participe présent du passé du verbe « boulir »
(bouillir). En vieux français « bolir » (lat. buillire)
-
27
Le nombre d’opérations semble varié, soit dans le temps, soit dans les lieux.
Cela peut provenir soit, effectivement d’habitudes locales, soit également
parce que nombre de renseignement nous sont parvenus « en deuxième et même
troisième main, voir plus ». La mémoire des témoins pouvant avoir été plus
ou mains prise en défaut.
Épernay :
on jetait la lessive une dizaine de fois à température douce, une dizaine de
fois chaude. On retirait les couleurs et on jetait 4 à 5 fois à température
bouillante. Soulaines : coulage
à froid pendant une journée, puis le lendemain coulage à chaud. On coulait doux
toute la matinée « pour ne pas cuire la saleté dans le linge » et
l’après-midi on coulait de plus en plus chaud jusqu’à ébullition du liquide
dans la chaudière. Chaource :
quand ça commençait à blanchir, c’était assez chaud. Neuville-sur-Seine : « cinq tièdotes, cinq chaufotes,
cinq bouillottes ». Polisy :
10 à 12 seaux, pendant 12 heures, l’eau versée étant de plus en plus chaude. Gyé-sur-Seine : « le samedi on
encontrait et puis on coulait un peu. Mais le jour où on coulait, c’était le
lundi. On commençait vers 8 heures du matin, on finissait peut-être à 4 heures
du soir ».
-
28
A Origny-le-Sec, le cuvier était couvert pour la nuit avec un chapeau en paille
et osier cousus. Il était rond et plat avec une sorte de poignée au milieu.
L’expression « paille et osier cousus » est fautive. Il s’agit en
fait d’une vannerie de torons de paille de seigle (gluis) disposés en spirale
et réunis par des liens de brins de ronce refendus (mûres).
-
29
Les voisines n’attendaient pas d’ailleurs la fin de la lessive pour venir
rendre visite aux couleuses. A Polisy, on assurait que « plus les commères
étaient bavardes, plus le léchu serait bon ». On disait même « qu’une
lessive bien causée était une lessive bien coulée ». Les hommes, on s’en
doute, ne participaient pas à ce travail. Non qu’ils l’aient dédaigné, mais les
femmes étaient de si méchante humeur à ce moment-là… qu’ils préféraient être
ailleurs.
C’est la fin du deuxième jour
LES
LAVANDIÈRES
Aujourd’hui, (à Gyé-sur-Seine,
c’est un mardi), les laveuses vont laver le linge à la rivière. Elles sont
quatre, cinq, quelquefois plus. Ce sont des professionnelles qui font toutes
les lessives du pays et même des alentours. Dès la veille, les poules d’eau (30) sont allées repérer
la « bonne place » et l’ont marquée d’une pierre. Au petit jour,
elles reviennent pour installer leur matériel ; cette installation ne se
fait pas sans quelques disputes et quelques « crêpages de chignon »,
car les premières arrivées n’hésitent pas à déplacer les marques pour
s’approprier les meilleurs emplacements. Il faut dire que les laveuses ont la
réputation d’avoir mauvais caractère et « mauvaise langue », ainsi
que de gros bras…
Dans de très nombreux
pays il existe un lavoir, un tripotio
(31) installé à demeure au bord d’un ru. Dans d’autres villages, moins bien
pourvus en eau, il faut se rendre aux raises,
au gué ou à la fontaine la plus proche. Ce sont les hommes des lavandières qui
vont alors fréquemment préparer le lieu. Éventuellement, ils faucardent les herbes, les joncs, les
roseaux et volants d’eau (32). Si le ru est de faible largeur, ils jettent en
travers deux « planches à laver » retenues par quatre piquets. Au
bord d’un gué, d’une mare, d’un raise,
ils placeront le guéyeu (33) entre
deux piquets ou entre des pierres.
Le linge encore fumant
est retiré de la tine (18) et placé
dans des corbeilles, des balles d’osier ou des hottes, selon les pays (34). Le
transport s’effectue ensuite à la bérouète,
à dos, ou en baro, selon la distance
et l’état du parcours.
Chaque laveuse, rendue à lai rivière, place son triolo (35) garni de paille et de vieux
chiffon sur la lavate ; à sa
droite et en arrière, la balle de linge ; à gauche et en retrait, une
petite jerle remplie d’eau claire où
trempe un nouet d’bleu (36) ;
devant le triolo, le morceau de
savon de Marseille bien sec, la brosse-à-chiendent
et le taboulo (37).
Si la bué est rase à nu, l’eau venant à fleur des berges, le travail
sera plus aisé (38). Chaque pièce de linge sortie de la corbeille est jetée sur
le bout de la planche à laver. Son extrémité étalée devant le triolo est
frottée au savon et à la brosse à chiendent puis ramassée contre le garde-genoux
pour faire place à la partie suivante. Lorsque la pièce de linge a été consciencieusement
savonnée et frottée, elle se retrouve ainsi pliée en « accordéon »
sous les bras de la lavandière (39). D’un geste précis ce toron de linges est
ramené au centre de la lavate, mis
en boule et battu avec le royla.
Bien entendu et même très bien entretenu, tout ce travail s’exécute dans le
brouhaha des commérages. D’ailleurs pour ne pas troubler la conversation, on
s’entend pour tabourer en cadence.
C’est à Neuville-sur-Seine qu’un écriteau cloué à la porte du lavoir
précise : « Ici, on lave le linge et on salit les gens ».
Une fois ce taboulage effectué, il faut agasser (40). Ce rinçage est
l’opération la plus pénible, surtout avec les draps, car il faut les jeter à
plat dans la rivière puis les ressortir « pleins d’eau », les hisser
jusqu’à la planche en les tordant progressivement, et recommencer jusqu’à ce
que l’eau sorte claire. Enfin, on peut les éplaindre,
les tordre pour essorer l’eau. Cette manipulation se fait à deux. Il faut plier
le drap en deux dans sa longueur, lèze contre lèze, puis encore en deux, autant
de fois qu’il est possible. Ensuite, chaque femme vrille le linge en sens
inverse pour former un toron de plus en plus serré d’où l’eau exude. On disait,
lorsque deux filles tordaient un drap et que celui-ci ne formait pas un cylindre
bien droit que « l’une d’elle aura un mari bossu »(41).
Pour que le linge soit
encore plus blanc, notamment le « petit linge », le dernier rinçage
se fait dans la jerle contenant du
« bleu ». Cette opération se fait également pour raviver les
couleurs.
Le séchage par beau
temps se fait sur les haies. Si le temps est sec, on étend directement sur le
pré pour que le linge ait le « blanc des prés ». Autrement, il faut
remonter le linge au grenier ou dans la grange et l’étendre sur des fils, des cordes
à linge où il est retenu par des pinces à linge en bois.
C’est la fin du troisième jour
C’est aussi la fin de la lessive
-
30 Si
à Romilly-sur-Seine et en Champagne en général, les lavandières
professionnelles étaient appelées les couleuses,
à Reims c’était les lessivaises, à
Sainte Menehould, les bieuses (1). A
Bar-sur-Aube et à Neuville-sur-Seine on les nommait par dérision les poules d’eau. C’était toujours des
femmes pauvres qui se louaient également pour les vendanges ou les moissons.
Certaines nous ont laissé, bien involontairement, leur nom. Ainsi, la Marie
Cligny et sa fille qui ne se séparaient jamais, ou la mère Cico, la Cicote, qui
ne parlait à personne.
-
31
A Champignol, Lantages, Fralignes, Mathaux, etc. on se prend à la fontaine, la
source (lat. foons, fontis). A Neuville-sur-Seine, le lavoir est installé au
bord de la Seine, à Saint-Phal on jette deux planches en travers de la rivière.
Le lavoir est un lavou, un buet ou un bleu (même
étymologie que « buée » lessive). A Ramerupt c’est un lessivoir et à Celles-sur-Ource un tripotio, du vieux français tripoter,
brouiller. A Verrières, c’est un biâche,
le bassin. Ce vieux mot « bâche »
est toujours utilisé pour désigner l’auge de la forge. Par dérision à Moussey,
c’est le « tribunal des bavardes » et à Gyé-sur-Seine « la salle
des rapports ».
Si à
Neuville-sur-Seine, un écriteau avait été cloué avec la mention « Ici on
lave le linge et on salit des gens », dans presque tous les lavoirs
visités, on constate une abondance de graffiti. Ceux-ci sont fréquemment
injurieux : « J.B. est un con », « M. pour celui qui le
lira » ; érotico-naïf : « Jacqueline aime
Bernard » ; ou pornographique : « Ici on voit plus souvent
un ciel sans nuage qu’une fille avec son pucelage », accompagnés de cœurs
entrelacés ornés d’initiales et de symboles sexuels.
Certains de ces
graffiti sont récents et montrent ainsi que l’attrait du lavoir en tant que
point d’eau retiré et abrité, reste vivace.
A Saint-Dizier, il y
avait 12 lavoirs, 11 sur la Marne et 1 sur le canal. Les lavoir étaient aussi
les endroits rêvés pour les farceurs. A Saint-Dizier le lavoir de la fontaine
du quai d’Ornel était formé de quatre bacs. Dans la nuit, des
« chnapans » venaient fréquemment ouvrir les bondes de vidange et, au
matin, il n’y avait plus d’eau… A Celles-sur-Ource en revanche, les jeunes
attendaient que les laveuses soient en plein ouvrage pour ouvrir les vannes du
bief, ce qui avait évidemment pour but d’inonder le lavoir.
-
32 le
volant d’eau est la myriophile.
-
33 La
planche à laver est une lavate ou relavote. Si elle est assez grande –
jusqu’à 5 places – elle devient un tripotio
(31) ou par déformation un ptit potio.
A Saint-Aubin, c’est un géyeu où
l’on va guéyer le linge, guéer en
français (germain « wad », Cf. les « Deux Véon » de
Troyes : Grand Véon et Véon à l’âne).
- 34 le transport du linge s’effectuait
dans des hottes ou dans des corbeilles d’osier dites balles, balotes, en français
« balle », gros baquet. Ces balles étaient emportées sur des
charettes à Saint-Phal, dans des baros,
tombereaux (vieux français baril, barrica) tirés par des chevaux et conduits
par des baroteux, ou sur des brouvètes, bourouètes, bérouètes, brouettes
(lat. birota).
- 35 Les
lavandières s’agenouillaient dans une boite
à laver, une boite à bier, un
agenouilloir, garde-g’noux, gard’genoux. Par dérision c’est un cairosse. Une gd mère eut d’ailleurs à
pâtir de ce terme alors qu’elle était écolière. Son institutrice, qui voulait
faire d’elle une bonne Française, l’apostropha ainsi : « Petite fée
précieuse, vous copierez 50 fois cette phrase : On ne dit pas carosse mais
boite à laver ». Qu’aurait-elle dit si la fillette avait parlé le
dialecte ? A Hortes, c’est un vaneute,
un petit van, un vannet (lat. vannus). Dans l’Aube, en général, c’est le triolo, triolet, triola, triole, truolo,
dont le français a fait truelle (bas lat. truella ; lat. trua, évier,
cuiller à puiser).
- 36 Le blanchiment du linge était
obtenu par azurage à l’aide de « boules de bleu » de méthylène ou
d’indigo. Celles-ci étaient placées dans un nouet de linge fin que l’on agitait
dans l’eau pour obtenir une solution homogène. Une fabrique de
« bleu » une bleutrie
existait à Grand’heur, à quelques kilomètres de Saint-Dizier.
L’usage de l’eau de javel était encore assez peu répandu à la fin du XIXe siècle. C’était du produit chimique et l’on s’en méfiait. Heureux temps !
-
37 La batte à laver, le battoir des lavandières avait différentes
désignations : pélote, pélate,
palote, palate, car il a la forme d’une petite pelle en bois, une palette (lat. pela). Le batue, bateu, c’est la batte, de même
origine que battre (lat. batuo). Suivant le même concept c’est un tapoir, une tapette, de taper. Le bruit
fait par cette batte rappelle celui du tambour et dans l’Aube elle est
fréquemment appelée taboulo, tabouzo,
taboulate, taboulote. Mais l’action que l’on mène sur le linge étant
assimilable à celle que l’on fait subir au chanvre, ce sera également un rohia, rouya, rouyo, rouyate, royate,
de « rouir ».
L’action de battre le
linge se dit tabourer, tabouler.
-
38 Lu bué est rase à nu ou lu bué est ras d’à nu. Cette expression donnée à Verrières
signifie : « le lavoir est plein à ras des bords ». Le mot
« nu » est adjoint avec le sens de découvert et plan, comme dans
l’expression le « nu du mur ».
- 39 Pour que la
lessive soit bonne, et bien faite – il fallait que le linge mousse avant d’être
savonné. Cela démontrait que la dernière « jetée » n’était ni trop
chargée en produit alcalins ni trop « usée ». Les vieille
disaient : « O !
vot’lessive était bien bonne, ale était com’ du savlon. Ca s’frott’tout
seul ».
Les
bonnes laveuses avaient également de nombreux « trucs » pour mieux
détacher le linge. Par exemple, elles le frottaient avec des feuilles d’oseille
pour ôter les taches de rouille, ou avec des épis de blé pour enlever le
cambouis.
En
revanche, si l’on avait affaire à de mauvaises lavandières, des Marie-Torchon, le lavage était mal
fait. C’était lavoché, lavassé,
français lavasse (lat. lavare) ou tatouillé
de touiller (lat. tudiculare) ou gassouillé,
gaissouillé, gâché (40)
-
40 Rincer le linge se dit agasser, égasser,
guiaisser, gasser, agacher. Le français a conservé le mot
« gâcher » qui a la même origine, puisque venant du francique
« waskan » qui signifie laver ; curieusement ce mot nous revient
pour désigner la toile à laver les carrelages, le wassingue, mot d’origine
flamande (cf. l’anglais washing).
On
dit également : j’en vons frôyer,
je vais frotter ; le français a gardé « frayer » (lat. fricare).
-
41 Avoir un linche mal tiordu –
comme le futur mari – était le propre des mauvaises laveuses. Indépendamment du
fait que le linge était mal essoré, des tractions mal conduites endommageaient
le tissu en brisant les fibres.
Essorer se dit épraindre, éplaindre, puisque le linge
« pleure » quand on le tord, il se « plaint » (lat.
plangere).
Le « petit
linge » est pouitré, serré
entre les mains (lat. pugnos)
- 42 Selon les régions,
une laveuse gagnait dans les années 1900, de un sou de l’heure (0,05Frs) à
vingt-cinq sous (1,25Frs) de la journée. Elle était nourrie – plus ou moins –
par la patronne du moment.
- 43 A
Nogent-sur-Seine, deux sœurs sont restées
laveuses professionnelles toute leur vie. Dans « les carillons de
Troyes », ouvrage littéraire, quelques pages pleines de saveur sont
consacrées à la lessive et racontées par Hélène Vauclin.
- 44 Mme de
Genlis : « Les idées reçues sont comme les dents et les
cheveux : quand on les arrache, ça fait mal ».
DU DIALECTE
Les termes utilisés par
les lavandières pour décrire leurs matériels et leurs actions appartiennent à
l’ancien dialecte dit Champenois, lui-même dépendant de la famille de la langue
d’Oïl.
Ce dialecte est resté,
semble-t-il le moyen de communication du peuple, principalement rural, jusqu’au
milieu du XIXe siècle. Malheureusement les paysans de Champagne furent ensuite
rapidement contaminés par la nouvelle bourgeoisie, férue de parisianisme, et la
crainte d’être traités de pecnos les
incita à « parler français ». Enfin, dans la dernière décennie du
XIXe siècle, une action violente fut lancée, notamment dans nos régions, pour
interdire l’usage de cet ancien langage au profit du français officiel
(« Moniteur scolaire » des années 1880 à 1890).
De telles actions
contribuèrent à la destruction de la véritable culture populaire. Nous leur
devons également les magnifiques « bourdes » inscrites dans les
cadastres. Bourdes qui rendent inintelligibles les dénominations de certains
lieux-dits. Ainsi un champ est inscrit sous la dénomination « Les
Langrois », nom des habitants de Langres, pour « Les longues
Roies » les grands sillons.
Si aujourd’hui nous
tentons de recueillir ce qui reste de cet héritage tant combattu, encore
faut-il que nous nous efforcions de le transcrire sans le trahir. Pour cela,
nous devons d’abord tenter de le bien comprendre et d’en approcher l’origine
étymologique. Ce n’est certes pas le chemin le plus facile. Il est garni
d’embûches et « d’idées reçues ». La plus importante vient de ce que
l’on croit que notre langue est directement « issue » du latin
classique. Ce qui est doublement faux. Primo parce qu’une langue est toujours
un conglomérat de mots de provenances diverses, secundo parce que le latin
n’était qu’une langue officielle et que les peuples parlaient des idiomes (le
latin prétendu bas (44).
L’évolution
des lessives d’autrefois à nos jours
Après la Première Guerre mondiale, l’opération
harassante du coulage fut simplifiée. Les femmes utilisèrent les lessiveuses à
champignon qui apparurent peu après 1918 : l’eau bouillante montait par le
tube du champignon et arrosait le linge automatiquement. Ensuite, on savonnait,
on brossait en insistant sur les dernières taches et on rinçait. Cela devient
plus facile de faire la lessive. De ce fait, on la fait plus souvent : une
fois par mois, puis une fois par semaine, ainsi que l’utilisation de cristaux de soude et des
lessives composées qui assurent une saponification plus complète que les
cendres de bois.
1902 : Raoul de Saint-Marc, directeur technique
d’une blanchisserie bordelaise, met au point la lessive Saint-Marc à la résine
de pin des Landes.
1906 : La marque Persil (premier détergent à
blanchir par l’oxygène) est déposée à Marseille. La vente ne débute pas avant
1914.
1920 : Première machine à laver
électrique française (Speed), présentée à la Foire de Paris. Il
faudra attendre le milieu du XXe siècle pour qu’elles soient adoptées dans les
campagne.
1923 : Premier Salon des Appareils Ménagers au cours
duquel la machine à laver est la reine du Salon.
1934 : Lemercier Frères lancent une machine à laver
bon marché et dotée d’un interrupteur horaire de manière à pouvoir fonctionner
la nuit sans intervention de l’usager.
1952 : les détergents de synthèse font leur
apparition