[Cet oculus témoigne des modèles ornementaux
présents au-dessus des tribunes du transept de ND de Paris, principalement composés de décors
floraux dans des tons vifs et heurtés. Contrairement aux verrières de la nef
qui filtrent la lumière, ces oculi ont une fonction éclairante dans l’édifice.]
En 1935, douze artistes verriers parisiens
proposèrent de remplacer les verrières en grisaille de Viollet-le-Duc
installées dans les baies hautes de la nef de Notre-Dame de Paris par leurs
propres créations. Encouragé par les défenseurs du renouveau de l'art sacré par
la modernité, le projet se heurta pourtant à de nombreuses réticences au nom de
la préservation de la cathédrale.
Aux côtés d’une quinzaine de vitraux (lancettes et
roses) qui sont exposés pour la première fois depuis leur dépose en 1938, une
vingtaine de maquettes et esquisses mais aussi des tableaux et de nombreux
documents d’archives (plans, photographies, articles de presse…) viennent
illustrer la virulence des débats de l’époque : Peut-on oui ou non insérer de
l’art moderne dans les monuments historiques ? La création contemporaine y
a-t-elle sa place et si oui comment ? L’exposition parcourt alors 30 ans de
cette affaire qui s'échelonna de 1935 à 1965, avec des temps forts, des
interruptions et des revirements. Cette dernière monopolisa de nombreuses
attentions, aussi bien les acteurs de la culture que le grand public.
L’exposition démarre par l’intervention de
Viollet-le-Duc vers 1855-1860. À la demande du Chapitre, il fit installer de
nouveaux vitraux pour les fenêtres hautes de la nef. Auparavant ornées de
verrières du XIIIe siècle, ces dernières ont été déposées en 1753 pour faire
entrer davantage de lumière. Jugée peu satisfaisante d’un point de vue
historique et esthétique, cette opération fut par la suite critiquée, ouvrant
ainsi la voie à une nouvelle intervention.
Le projet, porté par douze maîtres verriers parmi
les plus réputés de leur génération, provoqua de vives réticences qui
aboutirent à une véritable dissension : aux partisans d'un respect immuable du
patrimoine ancien, que nul ne saurait égaler, s'opposèrent les défenseurs d'un
renouveau de l'art sacré par la création moderne.
Si cette proposition artistique, bouleversée par de
nombreux revirements, ne vit jamais le jour, plusieurs vitraux ainsi que de
nombreux documents d'archives témoignent encore de cette affaire qui enflamma
pendant près de trente ans le monde du patrimoine et l'opinion publique. La
virulence de ce débat autour de l’insertion de l’art contemporain dans un
édifice ancien et hautement symbolique, trouve une résonnance toute
contemporaine dans les discussions qui animent l’actuelle restauration de
Notre-Dame, suite à l’incendie de 2019.
[Ce calque figurant la partie centrale de la
lancette de Sainte Foy est l’une des dernières étapes avant la création du
vitrail et a probablement servi à la réalisation du carton final. Il s’inscrit
à la suite des phases dédiées aux dessins préparatoires (ébauches ou esquisses)
et à celle de la maquette qui précise la composition, les couleurs, le passage
des plombs et parfois le type de verre à privilégier. La mise au carreau de la
maquette aboutit au carton, dessin à grandeur réelle ; l’emplacement des
plombs, notamment, y est reporté grâce à un calque sur papier fort, comme c’est
le cas ici. Reyre a sans doute exécuté ce fusain monumental à la verticale,
depuis un échafaudage installé dans son atelier.]
Avant
la querelle
Lorsque
Victor Hugo publie Notre-Dame de Paris en 1831, la cathédrale est en bien
mauvais état. La progressive prise de conscience de sa valeur symbolique et historique
aboutit à d’importantes campagnes de consolidation et de restauration. Les architectes
Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus sont alors retenus sur concours
pour diriger ce vaste chantier.
Viollet-le-Duc
est notamment chargé d’installer de nouveaux vitraux pour les fenêtres hautes
de la nef. Auparavant ornées de verrières du XIIIe siècle, ces dernières ont
été déposées en 1753 pour faire entrer davantage de lumière.
En l’absence des modèles médiévaux d’origine, Viollet-le-Duc s’est inspiré des vitraux de la cathédrale de Bourges. Ces nouvelles verrières, exécutées par le verrier Nicolas Coffetier vers 1855-1860, offrent au regard un décor de grisaille animé de rinceaux végétaux. Toutefois, jugée peu satisfaisante d’un point de vue historique et esthétique, cette intervention fut par la suite critiquée, ouvrant la voie à la possibilité d’une nouvelle création.
1935,
nouvelle proposition et premières réticences
En 1935, par l’intermédiaire de l’artiste Louis BARILLET,
la commission des monuments historiques se voit soumettre la proposition de
remplacer les vitraux de Viollet-le-Duc présents dans la nef par des créations
contemporaines. Ces vitraux modernes sont à l’origine destinés à un pavillon de
l’exposition internationale de 1937 et en cours d’exécution par douze maîtres
verriers : BARILLET lui-même mais aussi Valentine REYRE, Jean HEBERT-STEVENS,
le révérend père COUTURIER, André RINUY, Paul LOUZIER, Joseph-Jean-Kef RAY,
Louis MAZETIER, Jean GAUDIN, Max INGRAND, Jacques GRUBER et Jacques LE
CHEVALLIER.
Malgré certaines réticences et l’absence d’engagement
officiel, la commission encourage
finalement l’initiative et charge Eugène Rattier, inspecteur général des
monuments historiques, de suivre le projet. Ce dernier participe au programme
iconographique aux côtés du cardinal Verdier et donne des directives aux
artistes pour l’établissement des maquettes.
Dans un courrier du 25 mars 1935 adressé à G. Huisman, directeur général des Beaux-Arts, le vice-président de la commission Ruprich-Robert émet des réserves quant au projet. Le contexte de création des nouveaux vitraux, par le nombre des artistes et la diversité des propositions, apparaît peu propice à la création d’une harmonie d’ensemble. Plus encore, la suppression de grisailles en bon état au profit d’une création contemporaine ne lui semble pas conforme à la mission des monuments historiques qui « doit se limiter à préserver le patrimoine ». Il conclut que : « cet édifice ne peut être le champ d’une expérience qui n’est pas indispensable. ». Il fut finalement rassuré par Georges Huisman sur ces questions et le projet reprit son cours. Sa validation finale fut reportée après l’exécution des vitraux et leur présentation à l’exposition de 1937.
[Au centre l’Agneau avec un couteau dans le cou
laissant couler le sang de la Vie Éternelle, autour, les quatre
évangélistes : L’homme ailé pour St Matthieu, l’aigle pour St Jean, le
taureau pour St Luc et le Lion ailé pour St Marc.]
En 1936, certaines lancettes sont accrochées dans la cathédrale à titre d’essai. Au printemps 1937, la commission des monuments historiques gagne Notre-Dame pour observer le rendu des œuvres et invite les maîtres verriers à modifier leurs vitraux pour harmoniser l’ensemble.
Au cours de l’exposition internationale, dont les
portes s’ouvrent le 4 mai 1937, les vitraux sont présentés dans le Pavillon
pontifical, érigé par l’architecte Paul Tournon dans les jardins du Trocadéro.
Le thème du pavillon illustre le rôle de la religion dans la société moderne ;
son parcours s’achève par une tour lanterne octogonale où prennent place les
verrières. La configuration de cet espace impose aux maîtres verriers une
présentation des vitraux différente de celles prévue pour Notre-Dame.
À la fin de l’exposition, en raison de la
célébration en 1938 du tricentenaire de la consécration du royaume de France à
la Vierge Marie, le pavillon fut conservé et prit le nom de Pavillon marial,
prolongeant ainsi la présentation des vitraux jusqu’en décembre de cette même
année
1938-1939 :
La Querelle
(« […] dans un temps où les préoccupations économiques
et la hantise d’une guerre abrutissent les intelligences et dépriment les
sensibilités, le public parisien était encore capable de se passionner pour un
problème d’ordre artistique. »
Raymond LECUYER,
« Du côté des Arts. Quelques vitres cassées à propos
de vitraux »,
Le Figaro, 22 avril 1939)
De retour du Pavillon marial, les vitraux sont à nouveau
accrochés dans la nef de Notre-Dame en décembre 1938. Les membres de la
commission reviennent observer les œuvres, présentées pour la première fois
dans leur ordre définitif. À cette occasion, il est encore demandé aux artistes
de remanier le dessin, les couleurs, la taille des saintes figures et les
caractères des légendes ; certains verriers, comme INGRAND, RINUY ou RAY,
doivent même revoir entièrement leurs œuvres.
Alors même que les vitraux sont en cours
d’installation dans la cathédrale, le projet se heurte à une forte polémique
autour de l’insertion d’œuvres contemporaines dans un édifice aussi
emblématique et ancien que Notre-Dame. Détracteurs et partisans du projet
s’affrontent alors par voie de presse et de radio, dans une querelle acharnée,
rythmée par la virulence des propos de chacun. La portée symbolique de cette
bataille n’échappe à personne et pose au grand public, pour la première fois,
la question de l’introduction du vitrail moderne dans un monument historique.
Malgré l’adoption du projet par la commission en
1939, la menace d’une guerre devient chaque jour plus pesante. En septembre de
la même année, l’atelier de Louis BARILLET est chargé de déposer les vitraux du
maître et de ses confrères, avant de les entreposer dans les tribunes de la
cathédrale. Du fait des circonstances de la guerre, rares sont les artistes à
venir récupérer leurs œuvres. En lieu et place des vitraux modernes, la
vitrerie du XIXe siècle est remontée dans les baies.
Louis BARILLET rédigera pas moins de trois lettres à
l’adresse du directeur général des Beaux-Arts, appelant de tous ses vœux à ne
pas enterrer le projet. Aucune de ces relances ne trouvera de réponse
favorable, et les verrières ne recevront jamais plus la lumière de Notre-Dame.
Des douze maîtres verriers, seul Jacques LE CHEVALLIER
se voit confier une commande postérieure ; s’inspirant d’abord des figures
proposées en 1937, l’artiste présente finalement une composition abstraite en
1965, qui demeurera en place jusqu’à l’incendie de la cathédrale en 2019.
LES
« POUR »
Qu’ils soient hommes d’Église, journalistes ou artistes,
nombreux sont ceux qui cherchent à défendre le projet, à l’instar du peintre
Maurice DENIS dont l’intervention dans le Figaro en 1938 est remerciée par les
verriers de Notre-Dame. Au-delà des jugements esthétiques saluant la diversité
des tons chatoyants, c’est aussi le savoir-faire des artistes qui est loué. Le
cardinal VERDIER, auteur du programme iconographique moderne, appelle au renouveau
spirituel par le biais de créations contemporaines. Les historiens de l’art,
comme Louis Gillet ou Paul Jamot, soulignent quant à eux que le choix de
vitraux à personnages, rappelant les verrières gothiques, renvoie à la
tradition médiévale. Par sa composition, sa polychromie et son rythme, le
projet de 1937 restituerait ainsi à la nef son atmosphère colorée du Moyen Âge,
en lieu et place des vitraux de Viollet-le-Duc qui reçurent un accueil mitigé.
C’est donc la vision d’un édifice religieux vivant, bénéficiant de l’apport
successif des siècles passés, qui est ici défendue.
LES
« CONTRE »
Si les protestations demeurent peu nombreuses, elles
sont particulièrement vigoureuses : dès 1938, une pétition est adressée au cardinal
Verdier au nom de l’association la Sauvegarde de l’art français, tandis que des
journalistes comme Achille Carlier n’auront de cesse de fustiger le projet. On
se récrie du peu d’harmonie de l’ensemble, de la cacophonie des couleurs, des
compositions illisibles. Des arguments théoriques viennent corroborer ces
appréciations esthétiques : s’appuyant sur une vision négative de l’évolution
de l’homme et de l’art, les artistes contemporains seraient, depuis le XVIIIe
siècle, incapables de rivaliser avec les maîtres anciens. Les opposants invoquent
le respect de l’unité de style, qui réserve les vitraux modernes aux églises contemporaines
; aussi les critiques ne remettent-ils pas en cause la réussite du projet, mais
affirment que sa place n’est pas à Notre-Dame. En filigrane, se devine la crainte
de créer un précédent qui ouvrirait la voie à une propagation déraisonnée de la
création moderne dans les édifices anciens.
Malgré leur obstination à faire échouer le projet,
les arguments des opposants ne sont pas entendus par la commission qui adopte
finalement le projet le 13 janvier 1939 ; cependant, les événements historiques
allaient leur donner finalement satisfaction.
Le
devenir des autres verrières
En septembre 1939, lorsque Louis Barillet enjoint
ses camarades de récupérer les vitraux que son atelier vient de mettre en caisse,
une partie d’entre eux seulement s’exécute : LE CHEVALLIER, HÉBERT-STEVENS,
BARILLET, GAUDIN, GRUBER, INGRAND et RAY.
Sur ces sept verrières, seules celles
d’Hébert-Stevens et de Le Chevallier nous sont aujourd’hui connues. La
disparition des œuvres de Gruber, Ingrand et Barillet s’explique principalement
par la destruction de leurs ateliers d’origine. Quant aux fonds d’ateliers de
Ray et Gaudin, conservés en partie par leurs successeurs, les documents ne
permettent pas de retrouver la trace des vitraux.
En avril 1940, les caisses délaissées par RINUY,
REYRE, COUTURIER, LOUZIER et MAZETIER sont déplacées dans les greniers des tribunes.
Le vitrail de MAZETIER est par la suite confié à l’Atelier Vitrail France pour
restauration, avant d’être installé dans l’église Saint-Hilaire de
Mortagne-sur-Sèvre (Vendée), devenu depuis 2018 un centre d’interprétation du
vitrail.
Les
12 Maitres Verriers
JACQUES
LE CHEVALLIER (1896-1987)
Le
projet de 1937
La représentation de saint Marcel, sainte Geneviève
et le verset du Credo sur la vie éternelle échoit à Jacques Le Chevallier. Une
première de la version la lancette de saint Marcel a pu être accrochée à
Notre-Dame en 1936 ou en février 1937. La rose aurait elle aussi connut une
première version figurant la Trinité, sans doute jamais réalisée. La verrière
complète est finalement présentée en 1937. La commission demande à l’artiste de
reprendre les chairs et les mains des saints, de simplifier la composition et
d’harmoniser les tonalités de son œuvre. Les modifications du vitrail semblent
s’être poursuivies jusqu’en 1959, date figurant sur le vitrail aux côtés de la
signature de l’artiste. Des douze verrières originelles, la baie de Jacques Le
Chevallier est ainsi la seule achevée par son auteur.
1956-58
: la reprise
En 1951 le projet de Notre-Dame revient à l’ordre du
jour. La commission hésite entre la pose de vitraux à personnages ou de
grisailles rehaussées de couleur. Afin de choisir, et parce que la verrière de
Le Chevallier fut jugée parmi les plus réussies, les lancettes de saint Marcel
et sainte Geneviève de 1937 sont accrochées dans la cathédrale, aux côtés de
grisaille restaurées. Après observation des œuvres, et malgré la permanence des
hésitations de la commission, cette dernière commande à Le Chevallier de
nouveaux vitraux des deux saints, sur le modèle des figures exécutées en 1937.
En 1956, les nouvelles lancettes sont accrochées en regard des anciennes dans
la cathédrale, pour comparaison. Cette présentation ne permet toutefois pas à
la Commission de se prononcer en faveur d’un programme figuratif ou abstrait.
1965,
une proposition abstraite
Sur une proposition de Jean Verrier, inspecteur
général des monuments historiques, Le Chevallier est finalement chargé d’étudier
de nouvelles maquettes pour des vitraux non figuratifs. Des grisailles géométriques
colorées sont ainsi présentées à la commission qui juge l’effet d’ensemble
heureux, sous réserves de modifications. L’artiste en tient compte et fait évoluer
sa verrière vers une composition plus libre et stylisée, tendant vers
l’abstraction, dont le rythme asymétrique varie selon les baies. En février
1964, le ministre André Malraux se rend à la cathédrale et décide, compte tenu
de l’avancement des réalisations, de poursuivre le parti choisi. Les vitraux
d’essai, maintenus jusqu’alors en place, sont retirés et les dernières baies
sont posées dans la nef de Notre-Dame le 17 juin 1965.
PAUL
LOUZIER (1882 – 1953)
Aux origines du projet, les vitraux de Paul Louzier
doivent figurer saint François de Sales et sainte Bernadette mais cette
dernière est finalement remplacée par saint Jean-Baptiste Marie Vianney. Des
différences notables existent entre la première maquette et la réalisation
finale. Ainsi, sans doute dans l’intention d’harmoniser son œuvre avec celle
voisine d’André Rinuy, les bordures sont traitées de manière bien plus
anguleuse que celles initialement prévues. La commission fait peu de commentaires
sur la création de Louzier en 1937, contrairement à 1939 où elle exige la
modification des couleurs du saint François de Sales au profit de tons heurtés
sombres. Louzier fait partie des artistes qui ne viendront pas chercher leurs verrières
après leur mise en caisse en 1939, où elles resteront jusqu’en 2019.
ANDRÉ
RINUY (1897 - 1989)
Les lancettes d’André Rinuy représentant saint Louis
et saint Yves sont exposées pour la première fois dans Notre-Dame de Paris au
printemps 1937. La commission est assez sévère dans sa critique et lui demande
de revoir la figure de saint Louis qu’elle juge trop différente des
réalisations des autres artistes. Suite à la nouvelle présentation au sein de
la cathédrale en 1939, elle est encore plus cinglante. Elle attend de l’artiste
qu’il revoie l’ensemble de son œuvre, considérée comme mauvaise tant dans la
composition que dans les proportions et la tonalité. Les vitraux sont décrochés
au début de la Seconde Guerre mondiale et les caisses sont placées dans les tribunes
des bas-côtés. André Rinuy ne viendra jamais les chercher.
VALENTINE
REYRE (1889-1943)
Après avoir figuré des esquisses de sainte Clothilde
et de saint Martin, Valentine Reyre réalise finalement les illustrations de
sainte Foy et de saint Martial. Les premières maquettes comportent des
similitudes avec les vitraux, la principale différence étant l’ajout
d’attributs, notamment le grill de sainte Foy. La rose connaît elle aussi des
modifications : le verset du Credo relatif au Christ, initialement prévu pour
Reyre, cède la place au verset sur le Saint Esprit. Suite à l’exposition des
vitraux en 1937, la commission lui demande de refaire la tête de saint Martial.
Les commentaires de 1939 sont plus précis et insistent sur la modification des
proportions et des coloris afin d’harmoniser avec les verrières qui l’entourent.
Suite à leur mise en caisse, Reyre ne récupèrera pas ses vitraux qui resteront
dans les tribunes jusqu’en 2019.
JEAN
HÉBERT-STEVENS (1888-1943)
Au début du projet, Hébert-Stevens se voit confier
les figures de saint Loup et de saint Germain. Toutefois, suite aux changements
d’iconographie, il doit finalement représenter sainte Radegonde et saint Martin,
pour lequel il remploie les précédents panneaux de saint Germain. Les critiques
de la commission en 1937 s’attachent surtout à la couleur des chairs. Celles de
1939, plus nombreuses, concernent essentiellement l’échelle des personnages et
les plis de la robe de sainte Radegonde. Hébert-Stevens est l’un des rares
artistes à avoir récupéré ses vitraux après leur mise en caisse ; s’il n’a pas
apporté de modification, quelques retouches ont cependant été réalisées, mais
l’identité de leur auteur reste inconnue. Des éléments de la verrière ont été
présentés lors de la rétrospective posthume de l’artiste au Salon d’Automne en
1943.
LE
PÈRE MARIE-ALAIN COUTURIER (1897-1954)
L’iconographie du projet initial attribue au Père
Couturier les figures de Charlemagne et de saint Martial qui furent finalement
remplacés par sainte Clotilde et saint Germain, pour lequel il remploie la
maquette de saint Martial. L’artiste ne disposant pas d’espace pour la
fabrication, le Guide du Pavillon pontifical indique que c’est l’atelier
Champigneulle qui exécute son vitrail. Les verrières ne sont pas mentionnées
par la commission au printemps 1937 laissant supposer qu’elles ne sont pas
encore en place dans la cathédrale. Les remarques détaillées de la commission
en 1939 portent sur la modification de certaines couleurs, des proportions et
de la composition. Le Père Couturier ne récupère pas les vitraux à leur dépose en
1939. Dans les années suivantes, son soutien au général de Gaulle l'empêche de
revenir en France.
LOUIS
BARILLET (1880-1948)
Barillet joue un rôle de premier ordre dans le projet
de Notre-Dame. Vers 1935, il propose au service des monuments historiques d’accrocher
les vitraux dans la cathédrale, et aurait même participé au programme
iconographique. En 1939, son atelier est chargé de déposer les vitraux. C'est à
nouveau Louis Barillet qui sollicite sans relâche la commission pour reprendre,
malgré la guerre, le projet. L’iconographie qui lui est dévolue est formée de
saint Étienne, saint Denis ainsi que le verset « Je crois en Dieu le Père tout
puissant, créateur du ciel et de la terre ». La lancette de saint Étienne fait
partie des œuvres les plus abouties présentées dès 1936 dans la cathédrale,
puis dans le Guide du Pavillon pontifical avec quelques modifications. Barillet
exécutera rapidement les changements préconisés en 1937.
JACQUES
GRUBER (1870-1936)
En 1935, Gruber est à la fin de sa carrière ; aussi
est-il possible que son fils JeanJacques ait réalisé à sa place la maquette
prévue pour Notre-Dame. Son atelier exécutera le vitrail après sa mort, en
décembre 1936. Gruber doit au départ figurer sainte Blandine et saint Rémy,
avant que ce dernier ne soit remplacé par saint Sernin ; l’artiste ne modifiera
que peu sa composition. La rose illustre le verset du Credo sur la résurrection
de la chair. La verrière est exposée au Pavillon pontifical puis dans
Notre-Dame en 1938-1939. Chose étonnante, la photographie prise lors de son
installation dans la cathédrale montre que la rose n’a pas été entièrement posée,
laissant voir en partie inférieure les grisailles de Viollet-le-Duc.
MAX
INGRAND (1908-1969)
En 1935, il est le plus jeune des douze artistes de Notre-Dame.
La représentation de saint Éloi et de saint Sernin, transformé ensuite en saint
Rémi, lui est confiée. Ce changement entraine une modification des attributs,
la colombe de saint Rémi étant remplacée par un livre. La rose illustre quant à
elle le verset du Credo « La rémission des péchés ».Avant d’être exposé au
Pavillon pontifical, il n’est pas certain que le vitrail ait été accroché dans
Notre-Dame en 1937. Toutefois, les remarques de la commission suggèrent que la
verrière était bien en place dans la cathédrale en 1939. Bien que le projet de
Notre-Dame ait été abandonné, Ingrand continuera de le mentionner parmi ses
références.
JOSEPH-JEAN-KEF
RAY (1898-1979)
RAY fut l’un de ceux pour lesquels l’iconographie
initiale de la verrière n’a pas été modifiée. Lui revient ainsi l’illustration
de sainte Thérèse de Lisieux et de saint Vincent de Paul. Ce dernier, ami de
saint François de Sales figuré par Paul Louzier dans sa propre verrière, est
traditionnellement représenté tenant un enfant abandonné dans les bras. La rose
illustre le verset du Credo « Il viendra juger les vivants et les morts ». Si,
en 1937, la commission des monuments historiques ne cite pas le vitrail de RAY dans
son rapport, elle demandera quelques remaniements de la verrière en 1939.
JEAN
GAUDIN (1879-1954)
Gaudin fait partie des rares artistes à avoir gardé
leur programme d’origine. Lui incombe de représenter saint Hubert, dont le
chien à ses pieds rappelle la vision d’un cerf crucifère au cours d’une chasse,
ainsi que sainte Odile tenant sa crosse d’abbesse. Le verset du Credo de la
rose est celui de « La Sainte Église catholique, la communion des saints ». La
première version de la lancette de saint Hubert a été présentée dès 1936 dans
Notre-Dame, avant d’être reproduite en juillet 1937 dans le Guide du Pavillon
pontifical. La verrière a été appréciée du public comme de la commission qui
n’émet que peu de remarques à son sujet en 1939.
LOUIS
MAZETIER (1888-1952)
L’iconographie établie pour Mazetier demeure
inchangée tout au long du projet, à savoir saint Bernard s’appuyant sur sa
crosse, sainte Jeanne d’Arc à la lance et le verset « Je crois au Saint-Esprit
». S’il semblerait que Louis Mazetier ait suivi les recommandations de la
commission en 1937, ce ne fut pas le cas de celles établies en 1939, l’artiste
n’ayant pas récupéré son œuvre à la veille de la guerre.
La
restauration des vitraux
Les ateliers Belisama, Muranèse, Claire Babet, Vitrail France et la manufacture Vincent-Petit ont relevé un défi de taille : restaurer
les verrières de la querelle, stockées depuis 1938 dans
des caisses en bois. Avec une particularité : s’agissant de panneaux
d’essai, une bonne partie des grisailles n’avait pas été cuite. Elles étaient
donc très fragiles et ont exigé une restauration sur-mesure développée par
trois ateliers spécialisés.
Les restaurateurs Flavie Vincent-Petit, Emma Groult et Emmanuel Putanier nous racontent :
« La restauration des vitraux des vitraux
de Notre-Dame de Paris s’est composée de 4 étapes fondamentales. En premier
lieu, la documentation dont le but est de laisser une trace précise de l’état
des verrières telles qu’elles ont été retrouvées, dans un dossier qui suivra
les verrières partout. Vient alors le constat sanitaire, une analyse
minutieuse, en laboratoire, de chaque verrière. L’objectif est de rechercher les
pathologies, les éventuelles altérations physico-chimiques et toute autre
indication permettant de bien guider les interventions à venir. Un travail
particulier et demandant beaucoup de minutie puisqu’une grande partie des
verres n’avait pas été cuit. Chose plus inhabituelle due à l’absence de
cuisson, les verres sont passés par le dessertissage. Ils sont alors
soigneusement retirés de leurs structures de plomb d’origine pour permettre un
travail de restauration approfondi.
Pour finir, le nettoyage permet, en utilisant des
méthodes douces pour préserver les couches de peinture et les pièces de verre
d’origine, d’éliminer la saleté et les pathogènes. À ces étapes plus ou moins
habituelles, sont venues s’ajouter 3 étapes exceptionnelles.
La cuisson, qui ne fait habituellement pas partie du
processus de restauration et que la déontologie de la profession interdit
lorsqu’il s’agit de verres anciens, a été requise puisque, cas très rare, la
peinture de ces verrières d’essai était crue et donc instable. Il était crucial
de préserver dans le temps l’intégrité de la proposition des artistes et la
cuisson était le seul moyen d’y parvenir.
La réparation et le remplacement de verres brisés ou
manquants pour correspondre au matériau et à l’aspect d’origine. Les verres
étant teintés dans la masse, leur coloration est rarement sujette à problèmes,
mais celle des verrières de 1935 est extrêmement riche, parfois assez complexe
et certains dégradés sont aujourd’hui difficiles à retrouver.
Enfin, le ressertissage des verres dans de nouvelles
structures de plomb et dans un cadre est venu conclure ce long travail de
restauration et renforcer la structure des verrières lors des déplacements et des
expositions.