Louise… un fait divers, d’une autre époque… à Saint-André
On recommandait en ces temps-là, aux enfants,
de ne pas aller trop loin dans les terrains plus ou moins marécageux de
la Vienne. On leur demande surtout de n’aller pas trop loin, du côté de la
fontaine Saint-Martin. La vieille histoire de « la Louise » les en
aurait d’ailleurs dissuadés.
C’était une enfant comme les autres, comme ils
étaient presque tous, à la campagne, en ce temps-là. De famille pauvre, très
jeunes, ils devaient participer à la vie et au travail de la famille.
Dans la mesure de leurs moyens, sans doute, mais
quel est l’enfant de nos villages qui n’employait pas ses jeudis, ses soirées,
ses vacances à garder la vache dans les prés, à glaner derrière la voiture
gerbière après qu’on avait ramassé les gerbes, à soigner volailles et
lapins ?
Louise ne pouvait échapper à la condition
commune. Aussi ne trouvait-elle pas extraordinaire que sa maman l’envoie
régulièrement à l’herbe « pour les lapins ».
Ce n’était pas parce que sa mère était restée
seule après la mort de son père, c’était parce qu’on avait l’habitude que les
enfants ne restent « jamais sans rien faire ». D’autant plus qu’ils
pouvaient se rendre utiles.
Aussi, ce jour-là, Louise était-elle partie dans
la campagne environnant chercher une gironée
d’herbe pour les lapins qu’élevait sa maman.
Saint-André n’était alors qu’un modeste village
assez éloigné de la ville. La campagne était vaste autour des quelques
chaumières qui accompagnaient l’importante abbaye de Montier-la-Celle. Des
travaux n’avaient pas encore été entrepris pour canaliser les nombreuses
Viennes qui traversaient le territoire et qui en faisaient un immense et
traitre marécage.
Louise était donc partie à la recherche des
panais, des plantains, des séneçons et autres végétaux dont les lapins sont
toujours restés friands.
Elle n’était pas seule. C’est bien connu :
les enfants de nos campagnes se sont toujours entendus pour se trouver dans la
nature, à la croisée du dernier chemin, pour rire et s’amuser ensemble, quittes
à poursuivre ensuite la chèvre ou la vache qui s’étaient échappées, quitte à
précipiter la cueillette de l’herbe, avant de regagner la maison.
C’est bien ce qui se passa ce jour-là !
Après avoir bien musé, les enfants s’avisèrent
qu’il se faisait tard. Brusquement, ils se séparèrent pour vaquer chacun à ses
occupations.
On pense que Louise se dirigea tout de suite
vers les endroits qu’elle connaissait bien pour lui fournir en abondance les
herbes appropriées. C’étaient des lieux qu’elle avait l’habitude de fréquenter.
Elle savait aussi les coins dangereux, ceux où elle aurait pu prendre pied et
s’enliser. Elle renait garde de n’aller que là où la terre était ferme, quitte
à s’assurer d’une main, à la basse branche d’un arbre quand elle avait à
cueillir une herbe sur une rive incertaine.
Elle connaissait cette terre par cœur pour
l’avoir tant et tant de fois pratiquée.
Et pourtant…
Louise n’était pas rentrée ce soir-là.
Alors que
toutes les autres fillettes et les autres garçons étaient, depuis longtemps, de
retour. C’est la raison pour laquelle la maman de Louise s’inquiétait.
Qui décida de s’en aller à la recherche de son
enfant.
Sitôt qu’elle fut à proximité de l’entrelacs
formé par les nombreux canaux des Viennes, alors que la nuit tombait,
l’angoisse l’étreignit devant ce marais qu’elle avait, elle aussi, maintes fois
traversé.
Comme elle n’y voyait plus guère du fait que la
nuit tombait, elle prit le parti d’appeler.
« Louise, Louise, Louise… » criait-elle
à tous les échos. Et ceux-ci lui répondaient « Ouise, ouise, ouise… »
d’une voix morne et désolée.
De la fillette, point de réponse.
Affolée, la maman allait, droit devant elle,
toujours criant le nom de Louise.
Inlassablement, elle s’entendait répondre :
« Ouise, ouise… »
Quand son pied buta sur un ballot d’herbes.
C’était le devantié de la fillette aux trois
quarts plein. Il lui fallut se rendre à la triste évidence, Louise avait
disparu… Et nul ne la retrouva plus.
Voilà pourquoi la contrée marécageuse des
« Ouises » rappellera longtemps encore le souvenir de la fillette qui
disparut en allant à l’herbe. Voilà pourquoi les petits enfants du grand-père
n’osaient s’aventurer trop loin du côté des Viennes. Il leur avait raconté la
triste aventure de « la Louise » afin justement, de leur inspirer la
criante salutaire des endroits dangereux.
Louise disparue en 1855