dimanche 18 août 2024

Maison de Brienne

 

Les Comtes de Brienne


                                                                     Blason de Brienne-le-Château (de nos jours)                                                                                              D’azur semé de billettes d’or, au lion du même brochant sur le tout.

La maison de Brienne est une grande famille féodale française dont le fondateur serait Engelbert Ier, qui vivait au Xe siècle, sous le règne de Louis IV d'Outremer. Vassaux des comtes de Champagne, leur comté médiéval était centré sur la ville de Brienne. (Aujourd’hui Brienne-le-Château (Aube-10)).  Elle s'est illustrée dans plusieurs croisades, sur les champs de bataille de la guerre de Cent Ans, a donné des rois de Jérusalem, des ducs d'Athènes et plusieurs connétables de France.

La branche ainée s'éteignit en 1356, en la personne de Gautier VI de Brienne, connétable de France. Le château et le comté de Brienne passèrent ensuite par mariage aux maisons d'Enghien, de Luxembourg, de Loménie, et de Bauffremont de 1851 à 1933, date à laquelle le château fut vendu à un marchand de biens, un certain Londonschutz, qui le revendit à l'état de ruines en 1955 au Conseil général de l'Aube.

Comtes de Brienne de la maison d'Enghien : issus du mariage d'Isabeau de Brienne (vers 1305-1360) et de Gauthier III d'Enghien.

Comtes de Brienne de la maison de Luxembourg : issus du mariage de Marguerite d'Enghien (1365/1370-1397), comtesse de Brienne, fille de Louis d'Enghien avec Jean de Luxembourg-Ligny, comte de saint-Pol (1370-1397).

Comtes de Brienne de la maison de Loménie : issue du mariage de Henri-Auguste de Loménie (1595-1666), seigneur de La Ville-aux-Clercs avec Louise de Béon du Massés (1605-1665), fille de Louise de Luxembourg-Ligny (v. 1567-1647), et de Bernard III de Béon du Massés (1554?-1608) baron puis marquis de Bouteville, héritière du comté de Brienne par son oncle Charles II de Luxembourg-Ligny (1562-1608), duc de Piney, comte de Ligny et de Brienne.

 

Les comtes de Brienne



900-968      Engelbert Ier Comte de Brienne  (875 † 968), premier comte de Brienne. Selon le chroniqueur Flodoard, en 951, avec son frère Gotbert ils construisent le château de Brienne à partir duquel ils pillent la région jusqu'à ce que le roi Louis IV d'Outremer vienne l'assiéger et le détruire.

968-980          Engelbert II Comte de Brienne, fils du précédent.

980-1010    Engelbert III Comte de Brienne, fils du précédent. Il épouse en premières noces Wandalmodis, fille de la comtesse Adela de Salins. En secondes noces, il prend pour épouse Alix de Sens, fille du comte Renard de Sens et possible veuve de Geoffroy (Ier) de Joigny.

1010-1035      Engelbert IV Comte de Brienne, fils du précédent, époux de Pétronille de Joigny

1035-1090      Gautier Ier Comte de Brienne (1035-1090), fils du précédent, époux d'Eustachie de Tonnerre, fille de Milon III de Tonnerre.

1090-1120      Érard Ier Comte de Brienne (1090-1120), fils des précédents, époux d'Alix de Rameru (Ramerupt), fille d'André de Rameru, comte d'Arcis et seigneur de Rameru.

1120-1161      Gautier II Comte de Brienne (1105-1161), fils des précédents, épouse en secondes noces une fille de Jean de Soissons et d'Aveline de Pierrefonds. Il fit preuve d'une grande générosité lors de l'établissement des moines de l'abbaye de Basse-Fontaine à Brienne-la-Vieille.

1161-1191   Érard II Comte de Brienne (1130-1191), fils des précédents, époux d'Agnès de Montfaucon-Montbéliard, fille d'Amédée de Montbéliard.

1191-1205      Gautier III Comte de Brienne (1166-1205), fils des précédents, il épouse Elvire Albine, fille de Tancrède de Lecce roi de Sicile.

de vair plein

1205-1225        Jean 1er Comte  de Brienne (1148-1237) il épouse Marie fille de Baudouin II de Courtenay


1225-1251      Gautier IV Comte de Brienne (1205-1251), fils de Gautier III de Brienne, épouse en 1233 Marie de Lusignan, fille de Hugues de Lusignan, roi de Chypre. Devenu majeur, son oncle Jean Ier consent à ce qu'il entre en possession du comté de Brienne en 1221.

Gautier IV et ses descendants.

d'azur, semé de billettes d'or, au lion du même, armé et lampassé de gueules, brochant sur le tout


1251-1260      Jean II Comte  de Brienne (1235-1260), fils de Gautier IV et de Marie de Lusignan, il épouse Marie d'Enghien, dame de Thieusis.

d'azur, semé de fleur de lys d'or, au lion couronné du même, lampassé de gueules, brochant sur-le-tout


1260-1296      Hugues 1er  Comte de Brienne (1240-1296), frère du précédent, il fut aussi duc de Lecce. Il épouse Isabelle de La Roche, fille de Guy Ier de La Roche (duc d'Athènes). En secondes noces, il épouse Hélène Ange Comnène, fille de Jean Ange Comnène, duc de Néopatras et veuve de Guillaume Ier de La Roche (duc d'Athènes ; fils de Guy et frère d'Isabelle).

1296-1311      Gautier V Comte de Brienne (?), fils du précédent et d'Isabelle de La Roche. Il fut duc d'Athènes de 1301 à 1311, tué à la bataille du lac Copaïs. Marié avec Jeanne de Châtillon, fille de Gaucher V de Châtillon.

1311-1356      Gautier VI Comte de Brienne (1304-1356), fils de Gautier V et de Jeanne de Châtillon. Comte de Brienne, de Lecce et de Conversano, connétable de France en l'an 1356, il périt à la bataille de Poitiers en 1356. Marié avec Jeanne de Brienne († 1389), fille du comte Raoul Ier de Brienne, comte d'Eu, et de Jeanne de Mello.

1356-1360      Isabeau de Brienne dite « La Belle Hélène » (1305-1360), Dame de Rameru, Nevele et Machault. Elle hérite du titre de comtesse de Brienne à la mort sans descendance de son frère Gautier VI. Elle épouse en 1321 Gautier III d'Enghien, seigneur d'Enghien, de Tubize, et de Lembeek.

1360-1364      Sohier Comte de Brienne  (1324-1364) épouse Jeanne de Condé

1364-1381      Gauthier VII Comte de Brienne  (1360-1381)

1381-1394      Louis ( ?) Comte de Brienne , il épouse Giovanna de Sanseverino

1394-1397      Jean de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne (1370-1397) épouse Marguerite de Brienne

1397-1433      Pierre 1er de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne(1385-1433) épouse Marguerite del Balzo

1433-1456      Thibaud de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne (1410-1477) épouse Philippine de Melun, Dame de Sottenghien

1456-1475      Louis 1er de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne (1418-1475) épouse Jeanne, comtesse de Soissons

1475-1482     Pierre II de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne (1435-1482) épouse Marguerite de Villars de Savoie

1482-1519      Antoine de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne, épouse Antoinette de Bauffremont

1519-1530      Charles de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne, épouse Charlotte d’Estouteville

1530-1557      Antoine II de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne, épouse Marguerite de Savoie

1557-1576      Jean II de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne, épouse Guillemette de Bouillon

1576-1608   Charles II de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne (1562-1608), épouse Anne de la Valette

1608-1616   Henri de Luxembourg-Ligny Comte de Brienne (1583-1616), épouse Madeleine de Montmorency, Dame de Thoré

1616-1647     Louise de Luxembourg-Ligny comtesse (1567-1647) époux Georges de Buel, baron de Casaubon ; Bernard de Béon, seigneur de Massez

1647-1665      Louise de Béon comtesse (1605-1665) époux Henri-Auguste de Loménie

1665-1698      Louis-Henri de Loménie comte (1635-1698) épouse Hentiette Bouthillier de Chavigny

1698-1743      André Louis Henri de Loménie comte (1689-1758) épouse Jacqueline Charlotte Brûlant

1743-1758      Nicolas Louis de Loménie comte (1689-1758) épouse Anne Gabrielle de Villote

1758-1794      Louis Marie de Loménie comte (1730-1794)


Fin de la Maison de Brienne


pour mieux comprendre :  

Branches puinées

Jean de Brienne, roi de Jérusalem et empereur latin de Constantinople

d'azur au lion d'or armé et lampassé de gueules


Jean de Brienne est né vers 1170/1175. Son père est Érard II de Brienne (? - 8 février 1190/1191) et sa mère est Agnès de Montfaucon-Montbéliard ci-dessus ; ces derniers s'étaient mariés en l'année 1166. Avec son frère Gautier III, Jean de Brienne participe à la quatrième croisade en Terre sainte, de 1202 à 1204. Il rentre en France en l'an 1205.

Il revient à Saint-Jean-d'Acre en septembre 1210. Âgé de 40 ans, il épouse le 14 septembre 1210 Marie de Montferrat (1192/1193 - 1212), âgée de 17 ans, reine de Jérusalem. Ce mariage est accordé par le roi de France, Philippe Auguste. Jean de Brienne est sacré roi de Jérusalem avec son épouse le 3 octobre 1210 à Tyr. De ce mariage naissent :

Isabelle II (Yolande) (1211 †1228), reine de Jérusalem, mariée en 1225 à Frédéric II, empereur germanique. Ils ont un fils, Conrad (1228 †1254).

Veuf en l'an 1212, il épouse en secondes noces en l'an 1214 Rita d'Arménie (ap.1195 † 1220). Ils ont un fils :

Jean (1216 † 1220).

Jean de Brienne fait un autre voyage en France en l'an 1222. Veuf depuis l'année 1220, il épouse en troisièmes noces Bérengère de León-Castille, fille du roi Alphonse IX de León. Quatre enfants naissent de ce mariage :

Alphonse de Brienne dit d'Acre, comte d'Eu, (v. 1225 † 1270)

Louis d'Acre, (v. 1225 - v. 1297/1301), marié à Agnès de Beaumont, il devient vicomte de Beaumont-au-Maine, de Fresnay et de Sainte-Suzanne, et fonde la branche des Brienne de Beaumont, vicomtes du Maine.

Jean d'Acre († 1296), bouteiller de France, épouse en 1251/1252 Marie de Coucy, veuve du roi Alexandre II d'Écosse dit Le Pacifique, et fille d'Enguerrand III de Coucy.

Marie de Brienne (1225 † 1275), épouse Baudouin II de Courtenay (1218 † 1273), empereur latin de Constantinople et margrave de Namur.

La mort de Robert de Courtenay en janvier 1228, place sur le trône de Constantinople un enfant de onze ans, Baudouin II de Courtenay (1217-1273). Les barons songent d'abord à confier la régence à Ivan Asen II, tzar des Bulgares, mais changent d'avis, craignant la puissance de ce dernier. Ils proposent ensuite la régence à Jean de Brienne, qui l'accepte en avril 1229, à la condition d'être associé au trône. Aussitôt son arrivée en 1231, Jean de Brienne est couronné empereur de Constantinople, où il meurt le 27 mars 1237.

 Branche d'Eu

La branche d'Eu est issue de Jean de Brienne.

Alphonse de Brienne dit d'Acre (ca. 1227-1270), époux de Marie d'Exoudun de la maison de Lusignan, fille unique de Raoul II d'Exoudun, comte d'Eu ;



Jean II de Brienne (1250-1294), leur fils, épouse Béatrice, fille de Guy II comte de Saint-Pol ;

Jean III de Brienne († 1302), leur fils, épouse Jeanne de Guînes, fille de Baudouin IV comte de Guînes ;

Raoul Ier de Brienne, comte d'Eu et de Guînes (? - 1302 - 1344). Il fut créé connétable de France par Philippe VI ;

            Écartelé : I et IV, d'azur, semé de billettes d'or, au lion du même, armé et lampassé de gueules, brochant sur le tout ; II et III, d'azur à la bande d'argent côtoyée de deux doubles cotices potencées et contre-potencées d'or ; sur-le-tout d'argent à la croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes du même 


Raoul II de Brienne (? - 1344 - 1350), fils du précédent. Comte d'Eu et de Guînes. Le 19 novembre 1350, Raoul II de Brienne, 15e et dernier comte de Guînes, connétable de France, accusé de trahison après la prise de Caen par les Anglais, fut décapité à Paris sur l'ordre de Jean II le Bon qui donna le comté d'Eu à Jean d'Artois et rattacha le comté de Guînes au domaine royal.

Branche de Conflans

Hubert de Brienne de Conflans (Paris 1690 - Paris 1777), fils de Henri Jacob, marquis de Conflans et de Marie du Bouchet. Maréchal de France, il était commandant à la bataille des Cardinaux

Louis de Conflans d'Armentières (1711-1774), maréchal de France

Charles Louis Gabriel de Conflans d'Armentières (1772-1849), maréchal de camp

Branche de Ramerupt

André de Brienne, seigneur de Ramerupt, chevalier de la troisième croisade, fils de Gautier II de Brienne, époux de Adélais de Trainel-Venisy ;

André de Brienne (1135 † 1189), seigneur de Ramerupt.

Ses armoiries ne sont connues uniquement par son sceau, les couleurs sont inconnues


Érard de Brienne-Ramerupt, fils des précédents, chevalier croisé, participant de la guerre de Succession de Champagne au nom de son épouse Philippa de Champagne ;

burelé d'azur et d'or, au lion d'or, brochant sur le tout


Henri de Brienne, seigneur de Ramerupt et de Venisy ; et Érard de Brienne : deux fils des précédents, tués en 1250 au cours de la Septième croisade ;

Jeanne de Brienne, fille des précédents, épouse de Mathieu III de Montmorency.


Le château de Brienne


Château de Brienne. 
(les bâtiments moderne à droite sont ceux de l'HP)

Le site est probablement déjà occupé par les Gaulois et son nom semble être dérivé du celtique briavenna qui désigne un ensemble de pontons en rapport avec l'ancienneté de l'activité portuaire de Brienne-la-Vieille. Son château fort est détruit par les Normands en 951.

Il avait une chapelle castrale citée en 1166 qui était dédiée à la Saint-Croix. Une description ancienne nous décrit « un donjon o il y a grosse tour de pierre, grande cour où il y a estables, escuryes, pressoir, colombier » et à l’extérieur (jardins, vignes, buissons, brousailles ».

Brienne forme dès le Xe siècle un comté, qui donne son nom à l'illustre maison de Brienne. Cinq familles possèdent successivement le comté : la famille de Brienne puis celles d'Enghien, de Luxembourg, de Loménie et de Bauffremont. La famille de Loménie développe la ville entre le XVIe et le XVIIIe siècle.

En 1665, la seigneurie de Brienne est achetée par la famille de Loménie qui va acquérir à partir des années 1760, une grande influence à la Cour de France.

L’abbé Etienne Charles de Loménie comte de Brienne, devient évêque puis archevêque, et Cardinal. En 1787 il devient ministre d’état du roi Louis XVI.

Son frère, Louis Marie Athanse de Loménie de Brienne est en 1787 et 1788, secrétaire d’état à la guerre du roi Louis XVI.

Cette position leur permet de restaurer le Château de Brienne de 1770 à 1778. Le terrassement des abords se prolongeant durant quelques années encore pour offrir l’exceptionnelle perspective que l’on voit aujourd’hui. Jean fontaine est l’architecte en chef. Le 25 août 1778 a lieu l’inauguration en grande pompe.

Au cours de la Révolution française, la commune porta provisoirement le nom de Brienne-le-Bourg.

Après être redevenue Brienne-le-Château, elle prit en 1849 le nom de Brienne-Napoléon puis, en 1880, son nom actuel.

 De 1779 à 1790, elle abrite une école militaire où Napoléon Bonaparte est élève pendant cinq ans (mai 1779 – octobre 1784), tenant ainsi une place importante dans l'histoire de la ville et même de la France. En 1784, le futur Napoléon Ier quitte Brienne-le-Château pour terminer ses études à l'École militaire de Paris.

Napoléon dort au château de Brienne le 3 avril 1805 pendant le voyage qu'il fait en Italie pour recevoir la couronne du roi des Lombards.

Brienne-le-Château est également le lieu d'une victoire de Napoléon Ier sur les Alliés le 29 janvier 1814, pendant laquelle la ville fut prise et reprise, et détruite par le feu.

Resté dans la famille Léonie jusqu’en 1851, le château est alors acheté par la princesse Théodore de Bauffremont-Montmorency.  Et reste dans cette maison jusqu’en 1931.

Le 15 juin 1940, pendant la bataille de France, un incendie ravage la ville et la détruit en grande partie. Il semblerait que ce soit l'armée française qui ait incendié la ville avec des grenades incendiaires, sur ordre mal compris.

Vendu et laissé inhabité, il subit l’occupation allemande de la 2ème guerre mondiale, puis retourne à l’abandon jusque dans les années 1950 ou le domaine de Brienne est racheté par la ville de Brienne-le-château qui transforme  les communs et ajoute des bâtiment pour créer un hôpital psychiatrique en 1959.

 



Souvenirs d'antan du Val Perdu

 

labourage au Val Perdu - mai 1917

Souvenirs d’antan, souvenirs de Jules Ruelle, né au Val Perdu un hameau de Couvignon non loin de Bar-sur-Aube.

Retraité de la gendarmerie, Jules possède plusieurs atouts qui rendent son texte très précieux pour nous.

D’abord ses souvenirs remontent à l’origine même du XXe siècle où tout a brusquement changé. On aurait pu dire, écrits d’ « avant 14 ». Le cadre de ce vécu est resté le même pendant toute sa jeunesse, fils et petit-fils de vignerons. Pendant 20 ans il ne s’est jamais éloigné de son clocher. Son hameau, Val Perdu qui était déjà ainsi désigné au XIIIe siècle, et que nul ne songe, heureusement à débaptiser. L’adjudant-chef Ruelle aurait pu intituler son ouvrage « Avant Quatorze », l’âge d’homme commença pour lui lorsqu’il fut blessé au combat, quelques jours avant son vingtième anniversaire.

Le Barrois Baralbin constitue un domaine particulièrement attachant de notre terroir viticole où l’on supporte l’iniquité administrative moins patiemment que les ravages du phylloxéra ! Le témoignage objectif de notre gendarme sur les conditions de vie et la révolte d’une population représente un document à verser à un dossier historique. On admirera aussi dans ce récit la finesse psychologique que n’amoindrit pas la bonhomie du ton : l’auteur a le sens du détail utile, notamment pour ce qui concerne le vieux langage.

Mais laissons la parole à Jules Ruelle.

« Né le 12 janvier 1898, j’ai vécu ma première jeunesse au début du siècle, période communément appelée « la belle époque », mais qui, dans nos villages vignobles, doit plutôt être baptisée « la triste époque ». En effet, autant que je me souvienne, entre 1900 et 1914, notre village du Val Perdu, comme ses voisins, n’a connu que la misère.

La majorité des habitants sont de petits vignerons exploitant de 50 à 150 ares de vignes. Or, dès 1897, le phylloxéra a fait son apparition dans le vignoble aubois, détruisant chaque année des dizaines d’hectares. Entre 1900 et 1906, il n’existe plus aucune vigne en rapport. Les vignerons sont dans l’obligation de dépenser leurs maigres économies pour reconstituer leur patrimoine et de passer la plus grande partie de leur temps à arracher les souches mortes et défoncer à la pioche le terrain, avant d’y replanter de nouveaux plants greffés sur porte-greffe américain résistant au phylloxéra. Tout cela nécessite un travail de forçat non rémunéré. Un certain nombre de jeunes quittent le village pour se placer en ville ou dans des exploitations agricoles come domestiques.

Les autres s’organisent pour tenir le coup et franchir ce mauvais cap. Les hommes, l’hiver, s’embauchent sur les chantiers forestiers ; les femmes se livrent à de menus travaux de tricotage sur des pièces de bonneterie, pour quelques sous par jour.

Chaque vigneron, en plus de son bien, exploite « à marchandise », une ou deux vignes pour le compte de bourgeois de Bar-sur-Aube, situées dans le vallon de Queue de Renard. (Je me souviens qu’on y découvrait de nombreux escargots bouchés en labourant au printemps). En juillet-août, les hommes partent faire les moissons dans les fermes de la Brie où le travail se fait encore entièrement à la faux. Je les vois encore partir, chargés de leurs outils de travail et d’un sac de toile blanche contenant leur linge ; ils sont accouplés deux par deux (faucheur et ramasseur). Ils sont absents trois ou quatre semaines pour gagner une centaine de francs qui serviront à payer le boulanger une bonne partie de l’année.                                                                          

Ceux qui ont une nombreuse famille vivent misérablement car on ne connait pas les allocations familiales ni aucune autre œuvre sociale en faveur de la famille. Quand la maladie entre dans un ménage, c’est la ruine complète. Ils vont ensuite travailler à la batterie chez les cultivateurs du coin. Le salaire et de 3 Frs par jour alors que pour les autres travaux il n’est que de 1,50 F ou 2 F suivant la saison.

Presque chaque ménage possède une vache que les enfants font paître sur les friches et le bord des chemins. Les produits de cet animal (lait, crème, beurre, fromage) sont en partie utilisés à la maison, mais la plus grosse part est vendue à la ville, en même temps que quelques œufs, quelques lapins et, suivant la saison, des fruits, des petits pois, des haricots cultivés entre les rangs des jeunes plants de vignes. Je me souviens que de ma mère et mes grands-mères se rendaient chaque samedi au marché de Bar-sur-Aube, et souvent deux fois par semaine, pour vendre leurs produits transportés dans de lourds paniers suspendus à chaque bras. A l’entrée de la ville, un droit d’octroi était acquitté sur chaque panier et sur chaque animal de basse-cour.

Chaque ménage, ou presque, élève un porc acheté en mai et sacrifié vers Noël. Le lard et les jambons salés fournissent la viande et la graisse pour toute l’année, car ma mère n’achète de viande de boucherie qu’une fois par semaine et le plus souvent dans les bas morceaux, plus quelquefois une livre de saucisses ou quelques abats ; je ne me souviens pas avoir su ce qu’était un bifteck au cours de cette triste période.

La nourriture est uniquement constituée par des potées de haricots, des potées de choux verts et des ragoûts de pommes de terre, navets ou carottes, le tout accommodé au lard ou au jambon que l’on conservait pendu au plafond après salaison.

La boisson est constituée par de la piquette faite avec de l’eau fermentée avec du marc de raisin ; lorsqu’il n’y a pas de raisin par suite d’intempéries, on a recours aux poires ou pommes sauvages pour confectionner la piquette. On ne consomme du vin pur qu’à l’occasion d’une visite, mais chez les vignerons les occasions sont nombreuses pour boire une chopine avec un parent ou un ami.

C’est d’ailleurs leur unique distraction.                                                                             

On consomme également beaucoup de harengs salés qui constituent le petit déjeuner en hiver. Nous avons un voisin, le père Guillaume, dont c’était la principale nourriture. En hiver, harengs salés, en été, harengs fumés accompagnés de pommes de terre cites sous la centre et d’échalote à la croque au sel, qu’il arrosait de fortes rasades de vin rouge.

Du 1er avril au 1er septembre, les principaux repas sont pris à 9h et 14h, la plupart du temps aux champs ou à la vigne. Ces heures de repas sont annoncées par la cloche de la mairie sonnée longuement par un élève de l’école. En dehors de cette sonnerie, celle de l’Angélus était sonnée par une cloche de l’église, chaque jour à 6h, 12h et 18h.                                                

Tous les hommes portent de longues moustaches à la gauloise ou fièrement redressées. Ils sont en général vêtus d’un pantalon de velours sur lequel ils enroulent une longue ceinture de flanelle rouge ou bleue, d’un gilet à manches de lustrine ou d’une veste de lustrine noire. Les hommes d’un certain âge portent encore la blaude en toile bleue parfois garnie de fil blanc sur les épaules. Ils sont coiffés de la casquette plate ou du chapeau de jonc, l’été. L’hiver, ils sont chaussés de lourds sabots de bois appelés coués garnis d’une semelle de paille. Pendant la belle saison, ils portent des souliers qu’ils quittent lorsqu’ils labourent la vigne à l’aide du fousseux.                                                                                                                                                

fousseux


La tenue de cérémonie se compose d’un pantalon de drap noir, d’une chemise blanche à plastron, col et poignets empesés, d’une redingote et d’un chapeau haut de forme en feutre noir.

Toutes les femmes d’un certain âge portent une coiffe blanche de forme ronde et plate avec bords de dentelle ou finement tuyautés qui enveloppe la chevelure ; elles sont vêtues de longs jupons superposés de couleur sombre qui leur couvrent les pieds et d’un caraco de toile, le tout protégé par un long tablier de toile grise ou bleue. Pour les cérémonies elles s’habillent de robes de soie généralement noires garnies de perles en verre et de broderies, sur laquelle elles jettent un long châle noir pour les deuils. Les enfants portent la culotte courte et un tablier de toile grise ou noire serré à la taille par une ceinture de cuir.

Comme à cette époque il y a au pays de nombreuses personnes qui portent le même nom et parfois même le même prénom, presque chaque habitant est affublé d’un surnom. C’est ainsi que j’ai connu : Tiolet, Saindoux, Mère Mouton, Lolo, Deux, Braillou, Fouyot, Poiblanc, Touillat, Pipelet, Brion, Grande Tasie, Loffia, Cabouci, Roussi, Ritelot, Malbot, Mouragni, Nabit, Drocolle, jacquetot, Lépicier, Rincent, Nez de Chien, Jésus Christ, Bocquelet, Gueulotte, Manivet, Trou de Balle, La Folle, Villotte, Le Préfet, Boissac, Griquet, Collot, La Mauricotte, Quénom, Margelat, Minzot, Le Petit Cantonnier, et j’en oublie. Certains de ces surnoms figurent aux actes d’état-civil et sur le cadastre. Généralement, les femmes sont désignées sous le même surnom précédé de mère ou transcrit au féminin. Beaucoup de vieillards portent le prénom de Nicolas qui a été converti en Coliche, précédant son surnom ou son nom.

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