lundi 11 novembre 2024

Autodafé de Troyes de 1288

 

Philippe le Bel et les juifs


 autodafé : Jugement sur des matières de foi, exécution du coupable à la suite de cette sentence. Cérémonie de l'Inquisition où l'on exécutait les condamnés par le feu. Par extension, destruction par le feu 

Il y a 736 ans, sous le règne de Philippe le Bel, l’autodafé de Troyes fait monter sur le bûcher le 24 avril 1288, 13 juifs troyens, victimes du fanatisme populaire, et du tribunal de l’Inquisition. C’est en récitant le " schema ", la profession de foi juive, qu’ils périssent dans les flammes.

Cet événement à la fois pathétique et tragique nous est rapporté par un manuscrit de la fin du XIIIe siècle, retrouvé dans la Bibliothèque du Vatican. Il comporte un poème connu sous le nom de « Complainte de Troyes », qui évoque la scène de façon si douloureuse, que ce document littéraire est sans doute le plus impressionnant de la littérature judéo-française du Moyen-Age.

C’est une apologie des Martyrs de Troyes, inspirée par le souvenir de leur mort tragique et exemplaire. C’est une époque des plus sombres où l’intolérance sévit avec une extrême violence. De cette guerre naît le tribunal de l’Inquisition, initialement destiné à traquer les hérétiques, utilisant la pratique de la torture, et n’hésitant pas à recourir au bûcher  à l’encontre de tous ceux qui refusent de se soumettre à l’Eglise, essentiellement les Juifs.

L’Inquisition recourt à des procédés de contrainte et de cruauté extrême, comme en use à Troyes, l’ordre des Cordeliers qui décide du sort des 13 Juifs troyens et en fait des martyrs.

Une dénonciation anonyme, des rumeurs publiques, de simples soupçons, peuvent conduire au pire. Telle est l’atmosphère qui règne au moment où prend corps l’accusation diabolique de « crime rituel », lancée contre les membres de la Communauté juive de Troyes en 1288.

Le fanatisme religieux, la haine, et l’envie semblent avoir été à l’origine de l’affaire.

Toujours est-il que le vendredi 26 mars, la maison du chef de la Communauté juive, Isaac Châtelain, riche propriétaire, est envahie par des Chrétiens, car accusé d’un crime supposé et ayant tramé un complot. Ils déposent subrepticement un cadavre dans sa maison. Celui-ci découvert, les chrétiens de la ville s’ameutent contre les Juifs, et l’accusation absurde se répand d’un  « crime rituel » : « Les Juifs n’avaient-ils pas besoin de sang humain pour célébrer leurs Pâques ? ».

Isaac Châtelain est arrêté avec sa femme, ses deux enfants et sa belle-fille. Sa maison est livrée au pillage. On s’empare ensuite des principaux notables juifs de la ville : 13 d’entre eux demeurent aux mains des Chrétiens. Comme ils sont accusés d’un crime religieux, on les livre au tribunal ecclésiastique et  l’Inquisition  (les Cordeliers) est chargée du procès.

Les 13 accusés sont condamnés au supplice du feu. Les Juifs offrent de se racheter à prix d’or. Le Saint Office refuse. On leur promet la vie sauve, à condition qu’ils veuillent abjurer. Ceux-ci préfèrent la mort à l’abjuration, et le samedi 24 avril, ils montent sur le bûcher.

Le nom, la physionomie morale, l’attitude et les propos mêmes de chacun d’eux, revivent avec une intensité pleine d’émotion dans les strophes de la « Complainte de Troyes » où l’auteur évoque les scènes successives qui précèdent le moment suprême.

C’est ainsi qu’apparaissent Isaac Châtelain, le président de la Communauté de Troyes, sa femme, ses deux fils, et sa bru qui « tant fut belle ». Ils vont à la mort, les mains liées derrière le dos, chantant des chants hébreux et s’encourageant mutuellement. La beauté de la jeune femme semble émouvoir le tribunal. On lui offre la vie sauve avec le baptême, on lui offre richesses et dignités : « Nous te donnerons un écuyer qui t’aimera beaucoup ». Elle refuse avec indignation et va rejoindre son mari dans les flammes.

Vient ensuite Samson, qui s’est dévoué pour sauver les autres et meurt en adressant des paroles d’encouragement à ses compagnons.

Salomon, le trésorier de la Communauté de Troyes, jeune homme si plein de bonté  qui souffre aussi héroïquement la mort pour l’amour de son Dieu.

Il est suivi par Simon de Chatillon, qui meurt en pleurant non sur lui-même, mais sur sa famille.

On voit alors apparaître Bonfils, d’Avirey, qui s’enhardit à outrager les bourreaux.

Puis, Isaac, le Rabbin, qui, requis par les Frères Prêcheurs de se tourner à leur croyance, déclare que prêtre de Dieu, il lui fait " l’offrande de son corps ".

Ensuite, c’est le tour de Haïm, l’illustre chirurgien, le " maître de Brinon " qui rend la vue aux aveugles et à qui le bailli lui-même promet la vie sauve s’il veut abjurer.

Enfin arrive son homonyme, Haïm de Chaource, on le fait mourir à petit feu " du milieu des flammes, il huchait Dieu, et menu et souvent ".

Que leur souvenir soit en bénédiction.


Après cette exécution, Philippe le Bel interdit de poursuivre tout Juif du Royaume de France sans informer au préalable le bailli (en 1306, le roi expulse de France tous les Juifs). Sa décision est inspirée par la volonté de porter un coup au Saint-Office et de préserver la prérogative royale.

Il inflige un blâme à son bailli pour s’être fait le serviteur de l’Inquisition et met la main sur les biens des Juifs, victimes de ce massacre, " bonne affaire " pour le trésor royal, car Philippe le Bel encaisse (et non l’Eglise) les 15.000 francs or, montant de la prise sur la fortune des 13 martyrs juifs.


Stèle funéraire à Paris, 1281


Les Juifs doivent attendre 1791 pour obtenir de l’Assemblée Constituante le droit de vivre sur un pied d’égalité avec les autres citoyens.

L’émancipation juive découle de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « les hommes naissent libres et égaux en droits ».


La Complainte des Martyrs de Troyes




Elle est mise à grand mal, la malheureuse gent ; Et ce n’est pas sa faute, si la rage la prend, car d’entre eux sont brûlés maints preux braves et gens, Qui n’ont pu pour leur vie donner rachat d’argent.

Notre joie est troublée, troublé notre déduit. Car ceux que la Torah occupait sans répit, Etudiant sans fin et de jour et de nuit, Ils ont reconnu Dieu ! Et tous ils sont détruits.

De la réforme gent, nous souffrons ces douleurs, A bon droit nous pouvons bien changer de couleur. Dieu ! prends-nous en pitié : entends nos cris, nos pleurs ! Car nous avons perdu maint homme de malheur.

En place est amené Rab Isaac Châtelain Qui pour Dieu laissa rentes et maisons tout à plein. Il se rend au Seigneur. Riche était de tous bien Bon auteur de Tosphot et bon auteur de plains.

Lorsque la noble femme vit brûler son mari, Le départ lui fit mal ; elle en jeta grand cri : "Je mourrai de la mort dont mourut mon ami." Elle était grosse ; aussi grand’peine elle souffrit.

Deux frères sont brûlés, un petit et un grand ; Le plus jeune s’effraie du feu qui lors s’éprend : "Haro ! je brûle entier !" et l’aîné lui apprend : "Au paradis tu vas aller ; j’en suis garant."

La bru qui fut si belle, on vient pour la prêcher : "Pour te tenir bien chère, nous t’offrons écuyer". Elle, aussitôt, contre eux commença à cracher : "Je ne laisserai Dieu, vous pouvez m’écorcher."

D’une voix tous ensemble, ils chantaient haut et clair, Comme des gens de fête qui dussent caracoler. Leurs mains étaient liées, ils ne pouvaient baller, Jamais on ne vit gens si vivement marcher.

Le félon, le maudit, les brûlait, irrité Les uns après les autres. Alors un kadosh : "fais, Fais grand feu, méchant homme", il osa l’outrager. Elle fut belle, la fin de Biendict d’Avirey.

Il y eut un noble homme qui se prit à pleurer : "Pour mes enfants, je pleure ici désespéré, Non pour moi." Il se fit brûler sans plus tarder ; Ce fut Simon, sopher , qui sut si bien orer.

 Les prêcheurs sont venus Isaac Cohen quérir : "Qu’il abjure, ou sinon il lui faudra périr." "Que me demandez-vous ? Pour Dieu je veux mourir. Prêtre, je veux l’offrande de mon corps lui offrir."

"Tu ne peux échapper, puisque nous te tenons, Deviens chrétien." Mais lui, aussitôt répond : "Non, Pour les chiens, je ne veux laisser Dieu, ni son Nom !" On l’appelait Haïm, le maître de Brinon.

Il y eut un kadosh qui fut conduit avant ; On lui fit petit feu qu’on allait avivant. De bon coeur, il invoque Dieu, menu et souvent, Souffrant doucement peine au nom du Dieu vivant.

Dieu vengeûr, Dieu jaloux ! Venge-nous des félons ; D’attendre ta vengeance, le jour nous semble long ! A te prier d’un coeur entier, là où nous restons et allons, Nous sommes prêts et disposés, réponds, Dieu, quand nous t’appelons.

Rachi: il y a 984 ans naissait le futur Maître de Troyes


Exécution de juifs dite auto-da-fé sur la place du marché en Espagne.

 La Complainte de Troyes est une élégie française médiévale anonyme, relatant la mort sur le bûcher (autodafé) de treize Juifs le vendredi saint 24 avril 1288 à Troyes. Elle est transcrite en caractères hébraïques et accompagnée d'une seliha composée en hébreu à partir du texte primitif.

Ces textes qui se trouvent dans la bibliothèque du Vatican ont été signalés plusieurs fois avant d'être redécouvert par Adolf Neubauer alors qu'il était chargé par la commission de l'Histoire littéraire de la France du soin de recueillir en Italie les documents relatifs à l'histoire des rabbins français du XIVe siècle. En plus de leur publication dans le tome XXVIIe par Ernest Renan, les textes qui avaient été communiqués au philologue Arsène Darmesteter ont fait l'objet en 1881 d'une publication avec commentaire dans la Revue des études juives sous le titre « L'autodafé de Troyes ».

Selon les remarques de Darmesteter, la complainte est écrite en français du XIIIe siècle, plus exactement en dialecte champenois de la région Troyes, puis transcrite en caractères hébraïques pour des lecteurs ne connaissant pas l'alphabet latin. Le texte se compose de dix-sept quatrains monorimes. Ce n'est pas le texte primitif mais, compte tenu des fautes et de l'écriture, le résultat de plusieurs copies successives dérivées d'un texte, écrit une quarantaine d'années après les événements (au début du XIVe siècle) par un rabbin de l'Est sans doute lorrain. Le texte français original devait être en alexandrins.

La Seliha comporte l'indication d'un auteur, Jacob ben Juda de « Lotra », et d'un air. Comme la plupart des poésies juives du Moyen Âge, elle est composée en centons. Elle suit d'assez près le texte français, en étant beaucoup moins détaillée et précise. Elle a pu être écrite après le dernier bannissement des Juifs par Philippe le Bel en 1306.

Darmesteter donne le texte de deux autres selihot composées postérieurement sur le même événement, mais encore moins précises, l'une plus lyrique avec des éléments de lamentations et d'invocations, l'autre plus obscure et plus sentencieuse.

Les deux premiers textes décrivent chacune des victimes, les conditions de son martyre, sa piété et sa fidélité à la foi juive. On connaît leurs noms. Isaac Chatelain, sa femme, ses fils et sa belle-fille ; Samson, son gendre ; Salomon ou Salmin, fils de Phebus, receveur ; Simon, le scribe et le chantre, de Châtillon (Marne) ; Baruch Tob Elem ou Biendit Bonfils, d'Avirey (Aube), qui blâma le bourreau ; le rabbin Colon (ou Yona) Isaac ; Haim de Chaource (Aube), et Haim, le maître chirurgien de Briennon (Yonne).

Le texte français rapporte que les Juifs sont suppliciés parce qu'ils refusent de se convertir, et ils sont présentés comme le fait l'hagiographie des martyrs chrétiens. Il n'est fait mention dans aucun des textes d'autres circonstances ou griefs éventuels.

Les circonstances sont obscures. Selon une notice d’Eliakim Carmoly intitulée « Un auto-da-fé à Troyes en 1288 », publiée dans l'Annuaire israélite de Créhange de 1855-1856, on accusait d'une façon générale les Juifs d'égorger les chrétiens, de tuer leurs enfants pour recueillir le sang, mais il ne semble pas savoir les raisons de cette condamnation.

En 1288, la Champagne était réunie depuis quatre ans à la couronne de France. Dans une épave du registre des comptes du roi Philippe le Bel en Champagne en 1288 depuis le 18 juillet jusqu'au mois de janvier suivant, on retrouve un détail des recettes du bailli de Troyes où figurent :

 

«À Troyes:

Loyer des maisons qui furent celles de Haquin (Isaaquin) Chastelein, justicié, en la Juiverie (...)

(Vente) d'une vache et d'un vel qui se trouvait dans la maison dudit Haquin;

Des bien smeubles de Haquin Chastelain et des autres Juifs de Troie justiciés

À Chaource et Estounvy:

Des biens de Haguin, le Juif justicié à Troyes

Despens en ladite baillie

À Rénier de La Bele, bailli de Troie, pour ses gages en ladite baillie ... et pour ses dépens à Paris au allement ? de la Pentecôte et de la Toussaint.

Et pour les dépens à Robert Chenonel et Baudoin de Senlis à Troie, pour garder et exploiter les biens des Juifs justiciés; et pour abattre la maison Haquin Chastelein; et pour garder les biens Hagin de Chaource, les mener à Troie et pour louer l'hôtel où il demeurait. »

Les documents royaux relatifs aux Grands jours de Troie de 1788 (janvier-juin) auxquels, dit Darmeister, font allusion çà et là à ces mêmes comptes, ont disparu dans l'incendie de la Cour des comptes en 1727.

Darmesteter s'appuie sur un autre document, les Selihot de Meïr ben Eliav et de Salomon Simcha, qui donnent une autre version de cette histoire. Pour eux, les causes furent le fanatisme religieux et la jalousie. D'autant plus que la communauté juive de Troyes était florissante et qu'à se tête se trouvaient comme notables et riches propriétaires Haquin Châtelain et Hagin, de Chaource. Un complot fut ourdis par un homme pervers, sorti de la maison de Jekkomèn. Un cadavre fut découvert chez Haquin Chastelain en mars 1288, la foule des chrétiens s'ameute, sa maison est pillée, il est arrêté avec sa femme, ses deux enfants et sa bru. Rapidement, treize juifs qui sont tous riches, mais qui habitant diverses paroisses de la région, se retrouvent arrêtés. Ils monteront au bûcher le 24 avril 1288.

Darmesteter déduit, du fait qu'un Franciscain assiste à l'exécution et requiert le rabbin Isaac de se convertir au christianisme, que le tribunal est ecclésiastique, et que par conséquent c'est l'Inquisition. Dans toutes les condamnations à mort, il y avait un ecclésiastique chargé d'amender et de convertir le condamné, quelle que soit la cause. L'organisation judiciaire du temps, la mention des diligences et des gages du bailli et d'autres officiers, les peines de confiscation et d'abattement de maison qui sont mentionnées dans le registre des comptes du roi, et surtout l'évocation des Grands jours de Troie indiquent que la cause, la procédure et le tribunal sont incontestablement royaux. En tant qu'étrangers privilégiés, les Juifs dépendaient toujours des juridictions royales et jamais des juridictions locales. À défaut de preuve d'un abus de pouvoir d'un tribunal ecclésiastique pour condamner des juifs, la note additionnelle de Darmesteter indique les mobiles possibles compte tenu de la situation de fort endettement des ordres religieux à l'égard des juifs en Champagne à cette époque.

Dans une séance solennelle du parlement de Paris tenue le lundi de la Pentecôte, 17 mai 1288, Philippe IV le Bel a interdit « aux pères et frères de tous ordres de poursuivre aucun Juif du royaume de France, sans information spéciale faite par le bailli ou le sénéchal, et seulement sur de faits clairs et patents et qui ressortent à leur juridiction religieuse, selon la forme du mandement apostolique ».

Philippe Bourdrel dans les pages qu'il a consacré à la Complainte de Troyes conclut : « Ces manières d'agir contre les Juifs sont parfaitement conciliables avec les méthodes du roi lui-même »

 

voir : Études juives


Autodafé de livres 

Livres brûlés, Nuremberg chronicles, 1440-1514.




Des symboles de l’église catholique

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