mardi 28 janvier 2025

Éclat de l'école troyenne

 L’explosion de couleurs dans les vitraux troyens du début du XVIe.


Les étapes de la Création du monde et du ciel, vers 1500
 église de La Madeleine, à Troyes

Séparation du ciel et des eaux – Création des astres


De la fin du XVe siècle jusqu’à la période funeste des guerres de religion, Troyes fut le centre d’un véritable foyer artistique. La Champagne, sur laquelle avait lourdement pesé la guerre de Cent Ans, se releva sous les règnes de Charles VIII et Louis XII. Le commerce redevint florissant et le clergé put alors compter avec la générosité de la bourgeoisie marchande. La plupart des églises de la ville furent agrandies ou reconstruites dans le flamboiement de l’architecture gothique. Le terrible incendie de 1524, qui toucha les églises Saint-Nicolas, Saint Pantalon et Saint Jean au Marché de Troyes, allongea encore la liste des travaux. Les ateliers de verriers, de sculpteurs, de peintures connurent alors une remarquable prospérité et l’école troyenne rayonna bien au-delà des limites de l’actuel département de l’Aube.

Durant les trois premières décennies du siècle, ces artistes créèrent des œuvres typiquement troyennes, qui constituent une heureuse transition entre l’héritage gothique et la Renaissance qui acquit progressivement droit de cité.


L’Histoire de la vie de Job (1500) cathédrale de Troyes – baie 231


L’ÉCOLE TROYENNE

Les Sibylles – Ervy-le-Châtel


C’est dans une explosion de couleurs, rappelant la tradition des maîtres de la lumière du XIIIe siècle, que furent créés les verrières qui garnissent les fenêtres hautes de la nef de la cathédrale, ou celles des déambulatoires de la Madeleine et de Saint-Nizier de Troyes, pour ne citer que les ensembles les mieux conservés. Les scènes figurées sont très lisibles, disposées en registres s’encadrant dans des architectures faites de troncs écotés ou composées de demi-colonnes latérales supportant des arcs tréflés, en accolade ou de simples cintres surbaissés. Ainsi, à la cathédrale de Troyes, les Histoires de la vie de Daniel (1499), de Joseph (1499), de Job (1500), de saint Sébastien (1501) ; à la Madeleine de Troyes, les Scènes de la Genèse (vers 1500) narrant, telle une bande dessinée, les étapes de la création.

Tous ces sujets sont empruntés à la Bible ou à la Légende dorée, source inépuisable d’inspiration. Les thèmes iconographiques complexes sont rares et celui des Sibylles (Ervy-le-Châtel) est une exception dans l’école troyenne. Les maîtres verriers faisaient appel aux peintres pour la réalisation du « patron au petit pied » (c’est-à-dire du modèle au un dixième) de leurs verrières. Ces patrons constituaient des séries parfois réutilisées mais avec une adaptation au goût du jour et, cela va sans dire, aux dimensions des fenêtres !

Ainsi, la célèbre suite de la Création précédemment évoquée, fut, lors d’un recensement effectué par Paul Bivet en 1935, retrouvée en totalité ou en partie dans 24 églises de l’Aube et 3 de l’Yonne et de la Haute-Marne.

Tous ces artistes, verriers, peintres, sculpteurs, habitaient le même quartier, travaillaient ensemble et se retrouvaient sur les chantiers ad majorem gloriam dei. S’il est difficile de préciser l’activité des peintres durant cette période car peu d’œuvres subsistent, la sculpture, quant à elle, n’eut rien à envier à la peinture sur verre.

Le maître anonyme appelé de la Sainte Marthe ou de Chaource, créa des œuvres puissantes, nées du dernier souffle gothique. La Sainte Marthe de l’église de la Madeleine, comme les sculptures attribuées au même atelier, en particulier la mise au tombeau de Chaource (1515) et la Pietà de Bayel, expriment avec autant de force que de retenue que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde.

De très nombreuses statues, fleurons de l’école troyenne en formation, procèdent du même esprit, sinon exactement du même style : la Vierge de pitié de la collégiale St Pierre-ès-liens de Mussy-sur-Seine, le Christ de pitié de Saint-Nizier de Troyes, l’Éducation de la Vierge d’Ervy-le-Châtel ou de l’hôpital de Bar-sur-Aube, Sainte Barbe de Villeloup et de Chaource, Sainte Catherine et Saint Hubert d’Auxon, pour ne citer que quelques exemple non exhaustifs. Ces œuvres sont bien d’aplomb ; elles ont une allure simple et naturelle, parfois même une certaine expression familière et bon enfant.

Leurs vêtements aux longs plis profonds sont d’une extrême sobriété : ni cassures inutiles, ni chiffonnages gratuits. Les sentiments, parce qu’ils sont retenus et intériorisés, émeuvent. C’est un art réaliste, touchant, profondément religieux. Il n’est pas étonnant, alors, de trouver les donateurs, prêtres ou laïcs, humblement agenouillés au pied de la Vierge ou de leurs saints patrons ; ces donateurs accompagnent de très nombreuses verrières, mais figurent aussi dans certains groupes sculptés. Ainsi Nicolas Forgeot, abbé de Saint-Loup de Troyes, est dignement recueilli près d’une vierge à l’enfant déjà très champenoise (vers 1508, musée du Vauluisant, provenant de l’Hôtel-Dieu de Troyes).

Sainte Barbe, église de Villeloup (début XVIe) à l’allure encore très simple,
 illustre bien les débuts de l’école troyenne.



Mise au Tombeau de Chaource - 1515 - par le Maître de Chaource


Saint Hubert, église st Loup d’Auxon


LUXE  ET  COQUETTERIE


Vierge au raisin- 1520 – Basilique Urbain IV - Troyes


[ Debout sur un croissant de lune, symbole de l’Immaculée Conception, Marie porte Jésus. Une estampe de Dürer (1516) a pu servir de modèle à ce groupe. L’Enfant bénit de la main droite, reliée à l’origine par un ruban à la patte de l’oiseau, lequel picore le pampre de vigne en référence à la Passion. La Vierge tient le pied gauche de son Fils, allusion à l’Incarnation. Les traits du visage et la longue chevelure dénouée sont caractéristiques de la statuaire champenoise des années 1520, ainsi que la simplicité du vêtement, une robe couverte d’un manteau ramené « en tablier » et des chaussures à bout carré dit « en gueule de vache ». Le drapé nerveux ménage des effets de lumière qui résonnent dans la bordure orfévrée du manteau. La disparition de la polychromie, grattée au XIXe siècle, ne permet pas une juste appréciation de l’œuvre. Cette statue provient du même atelier que la Sainte Agnès de Saint-Nicolas à Troyes et a dû servir de modèle pour les Vierge de Pougy et de Périgny-la-Rose.]

 Mais insensiblement se produit, surtout en sculpture, un glissement vers plus de coquetterie, de luxe bourgeois, vers une recherche de l’effet entrainant une complication des drapés et des plis ainsi que des gestes et des attitudes moins naturels. Troyes est alors une ville commerçante et bourgeoise où les mécènes ne manquent pas. Ils aiment le luxe, leurs femmes sont coquettes, au meilleur sens du terme. Sainte Agnès (église St Nicolas), Sainte Barbe (église st Pantaléon), Sainte Marguerite (Bouilly), même la Vierge de pitié (Pavillon Ste Julie) le seront aussi.


Ste Agnès - 1521 - église st Nicolas de Troyes


Un type féminin va s’imposer, mais sans jamais se scléroser. Nos jeunes vierges ou saintes champenoises ont le visage généralement ovale, le front bombé, les yeux légèrement bridés ; elles esquissent un sourire plein de charme et d’ingéniosité. Leurs cheveux retombent sur leurs épaules en longues mèches ondulées, mais elles portent parfois chignons, résilles ou perles. Leur corsage, ou l’encolure de leur robe, sont ornés de dentelles, de fronces très serrées formant une guimpe, le tout souvent rehaussé d’un collier ou d’une broche ; les manches, qui présentent parfois de somptueux crevés, sont serrées au poignet et joliment agrémentées de petits plis tuyautés. Leur manteau est brodé d’un riche galon ou de franges, et l’ampleur de leurs manches donne incontestablement une certaine noblesse aux gestes. Cette richesse vestimentaire, pour laquelle les artistes eurent tant de complaisance, montre combien l’art troyen subissait l’influence de l’art flamand, ce qui s’explique aisément par les échanges commerciaux, mais aussi culturels, qui existaient en la Champagne et la Flandre. Toutes ces sculptures contemporaines de certaines verrières, ainsi l’Assomption de la vierge (1524 –cathédrale) sont la marque de l’art proprement troyen à l’aube de la Renaissance.

Une autre Assomption (peinture sur bois, 1522, musée de Vauluisant) a pu être considérée comme « une véritable clef de voûte de l’art troyen », compte tenu de sa date et de sa facture qui s’inscrit dans la droite ligne du répertoire germanique, tout en étant proche, par certains détails, du Pérugin et de Raphaël. La face extérieure de ce volet de retable est une grisaille présentant Sainte Élisabeth et Saint Jean enfant, grisaille qui préfigure les changements qui ne vont pas tarder à s’opérer.



Jésus au milieu des Docteurs, grisaille sur panneau de bois daté 1547 ; 
musée de Vauluisant - Troyes


TRIOMPHE   DE   L’ITALIANISME

 

En effet, autour des années 1530-1540, s’opéra à Troyes une mutation spectaculaire dans tous les arts, qui aboutit au triomphe de l’italianisme. Déjà, chez les artistes comme chez les donateurs, une sorte de sensibilisation s’était produite, non seulement par la circulation de tous ces menus objets d’art importés d’Italie, mais aussi sous l’influence de la noblesse de cour, notamment les Guise, les Dinteville, qui jouèrent un grand rôle dans l’histoire de la Champagne. Mais surtout, de 1536 à 1565 selon les Comptes des Bâtiments du Roi, une trentaine d’artistes troyens, maçons, peintres, sculpteurs, ayant très vite comme chef de file l’italien Dominique Florentin (dit Le Florentin), allèrent travailler sur le chantier de Fontainebleau. Toutefois, il ne se produisit pas une rupture brutale dans les formes et les transformations s’effectuèrent plus ou moins vite selon la personnalité et le talent des artistes, sans doute aussi selon les goûts et les exigences des donateurs. Les œuvres datées parlent d’elles-mêmes : ainsi, en 1533, le célèbre retable de la Passion de Rumilly-lès-Vaudes, fut encore sculpté dans la tradition gothique, alors que celui de Lhuître, figurant le même sujet et exécuté approximativement à la même date, porte un décor Première Renaissance avec rinceaux, médaillons, bustes à mi-corps, déjà très élaboré. 

Retable, haut-relief, La Passion , 1533-1536, 
église st Martin de Rumilly-lès-Vaudes

Retable, haut-relief, La Passion, 1534-1537, 
église Ste Tanche de l’Huïtre


De même,  si la  verrière de la Passion d’Ervy-le-Châtel (1533) est polychrome et offre un dessin archaïque, celle des Scènes de la Vie de Daniel à Saint-Pantaléon de Troyes (1531) fut exécutée en grisaille et dans un style très délié.

Le repas d’Hérode, détail de la Vie de st Jean-Baptiste – 1536 – 
église Saint-Jean-au-Marché Troyes

Vie de Daniel – 1531 – église st Pantaléon, Troyes


C’est en effet, vers 1530 que le vitrail connut un changement profond puisque la plupart des maitres verriers abandonnèrent alors la polychromie au profit d’une peinture à la grisaille sur verre blanc, toujours rehaussée de jaune d’argent. Outre l’économie ainsi réalisée – le verre blanc revient quatre fois moins cher que le verre tient dans la masse – cette  technique permet de peindre des panneaux de verre en étant libéré de la contrainte du réseau des plombs. Les peintres verriers purent alors multiplier les personnages, les petites scènes en arrière-plan et traduire sur le verre les détails des gravures qui furent leur source d’inspiration privilégiée (tout particulièrement celles de Dürer).

Certes, à cette époque, il s’agit d’une tendance générale et les grisailles existent dans d’autres régions de France ; mais leur incroyable multiplication est propre à l’école troyenne de peinture sur verre : une soixantaine de grisailles rehaussées de jaune d’argent ont été recensées dans une vingtaine d’églises de l’Aube (Troyes, Bar-sur-Aube, Brienne-le-Château, Chavanges, Villemoiron, Chappes, etc.).

Les plus anciennes se trouvent à Saint-Pantaléon de Troyes, édifice reconstruit à partir de 1527 et presque uniquement vitré de grisaille ; outre les Scènes de la vie de Daniel (1531) déjà mentionnées, figurent des Scènes de la Passion (1531), des Prophéties concernant l’Immaculée Conception (1533) et la remarquable Bataille de saint Jacques (vers 1539). Dans cette grande mêlée où saint Jacques vient sauver les chrétiens et leur donner la victoire sur les Maures, la perspective est savamment étudiée, depuis le soldat grandeur nature qui meurt au premier plan jusqu’aux remparts esquissés dans le lointain. Cette grisaille monumentale est vraiment une peinture au sens propre, un tableau animé où s’enchevêtrent des corps et où se jour l’enjeu d’une bataille.

Peinture sur verre, peinture sur bois, les rapprochements entre ces deux arts s’imposent de plus en plus. Tout d’abord, les faces intérieures des retables ou des polyptiques, toujours peintes en camaïeu gris ou brun, évoquent les verrières du même type. Il en subsiste quelques beaux spécimens qui sortent de la médiocrité d’une production abondante, mais où les défauts de dessin et de composition furent fréquents. On peut citer, à titre d’exemple, les panneaux de l’église Saint-Rémi de Troyes qui sont d’un grand intérêt ainsi que ceux de l’église de Sainte-Savine l’Annonciation (vers 1540, musée de Vauluisant, face polychrome : Scènes de la vie de saint Dominique), Jésus au milieu des docteurs (daté 1547, ibid, face polychrome : le Songe de saint Joseph), les Quatre docteurs de l’Église latine (vers 1540, cathédrale de Troyes, face polychrome : Prédication de saint Etienne). Les neuf panneaux volés en 1987 à la cathédrale de Troyes (ont été retrouvé à Paris, les voleurs aussi).

Ce dernier tableau est à mettre en parallèle avec une verrière peinte en grisaille figurant également des Docteur de l’Église (1542, Bar-sur-Seine) : l’allongement des silhouettes, les attitudes maniérées, les drapés des tuniques sont de la même veine. Car l’on assiste, et la sculpture n’échappe pas à cette tendance, à une généralisation des types qui se traduit par une recherche de l’effet dans le drapé à l’antique, par une ampleur du geste et une noblesse d’expression. Dominique Florentin, marié et domicilié à Troyes, servit de catalyseur et mit la puissance antique au service de la grâce troyenne.

L’une de ses œuvres les plus caractéristiques, la Charité (1550, église Saint-Pantaléon de Troyes), est une sœur lointaine des déesses grecques. Ayant perdu tout caractère champenois, elle est vêtue d’une simple tunique au drapé savamment chiffonné ; le corps se sent sous l’étoffe et le balancement des volumes est aussi admirable que l’attitude en contraposto. Le Christ à la colonne et le Christ ressuscité (Saint-Nicolas de Troyes), Saint André (1549, portail de l’église de Saint-André-les-Vergers, Saint Thomas (1549, Rumilly-lès-Vaudes), Saint Paul (Ervy-le-Châtel) sont de grandes et nobles figures qui honorent la sculpture troyenne. Par contre, un certain nombre de sculpteurs locaux ne purent maitriser « le Grand style » et bien des œuvres de cette seconde moitié du XVIe siècle sont de qualité moyenne.

Christ à la colonne ou Flagellation du Christ vers 1550-1560 par François Gentil 
église st Nicolas de Troyes


Le Christ à la colonne de Saint-Nicolas est une oeuvre exceptionnelle de la sculpture de la Renaissance en France, par sa taille (2,24 m de haut), par la qualité de la sculpture et par son sujet, fréquent dans les retables mais unique pour une statue indépendante. Comme le grand Christ ressuscitant dans la même église, il était sans doute peint à l’origine. François Gentil maîtrisait parfaitement les règles de
l’anatomie et connaissait sans doute la sculpture italienne de la suite de Michel- Ange comme celle de Jacopo Sansovino.
Ce Christ fait partie du programme ambitieux d’édification de la chapelle du Calvaire dans le massif ouest de l’église Saint-Nicolas au début des années 1550. Le fidèle qui pénétrait dans la chapelle était surpris par ce grand corps nu, placé à l’origine au centre, éclairé sur sa droite et se dégageant sur la fresque de la Crucifixion. Jésus est figuré non pendant mais juste avant la flagellation, au moment où son corps divin est révélé dans toute sa beauté, et semble interroger le spectateur par un regard profond, pour le prendre à témoin de la scène qui va se dérouler sous ses yeux et de sa propre position à la place même du bourreau.
Le Christ à la colonne occupait primitivement le centre de la chapelle du Calvaire où la colonne, à laquelle est attaché le Christ, recevait la retombée centrale des voûtes. En 1885,en raison du poids que l'ensemble exerçait sur la voûte du vestibule au-dessous, la statue a été déplacée contre le petit côté nord.


Christ ressuscité – François Gentil - 1550-1560 - 
église st Nicolas de Troyes



Avec le Christ de Germain Pilon du musée du Louvre et le Christ à la colonne de la chapelle du Calvaire de Saint- Nicolas, le Christ ressuscitant est un des exemples notoires de la maîtrise de la représentation anatomique dans de grandes dimensions ( 2,24m de haut) dans la statuaire de la Renaissance française. L’attitude sinueuse et la musculature appuyée relèvent du vocabulaire maniériste. Comme le Christ à la colonne, l’œuvre est de François Gentil. 

La polychromie délicate est celle d’origine ; le Christ bénit de la main droite (il a perdu deux doigts) et tenait autrefois la croix de la Résurrection de la gauche. Il était placé comme aujourd’hui au-dessus de la chapelle du sépulcre mais orienté vers la nef et mis en valeur par un petit socle et un dais. Dans les années 1880, la statue, déplacée et tournée pour installer les orgues, a perdu en visibilité : on ne l’aperçoit que si on regarde le sépulcre par le petit côté et ses jambes sont désormais coupées jusqu’au tibia par le parapet.





Le repas d’Hérode, grisaille rehaussée de jaune d’argent (XVIe)
 église de Chavanges

La Charité– 1550 – église st Pantaléon, 
l’une des œuvres les plus caractéristiques de Dominique Florentin, 
qui apporta à la sculpture troyenne la vigueur de l’Antiquité.

Ste Marthe et Donatrice, peinture sur bois vers 1540, 
faisant partie d’un polyptyque volé en 1987 
à la cathédrale de Troyes. Retrouvé à Paris.



LINARD  GONTIER

 

Ce siècle qui s’était ouvert sur une ère de prospérité matérielle et d’enthousiasme artistique, ce siècle qui avait vu s’épanouir les ateliers de verriers, peintre, sculpteurs, s’acheva dans la misère, la guerre, les destructions. Le 23 avril 1590, le comte de Saint-Pol, commandant à Troyes pour la Ligue, ordonna la démolition de l’église Saint-Martin-ès-Vignes, située à l’arrivée de la route de Paris, afin que cet édifice ne puisse servir de refuge aux partisans d’Henri IV. De ces cendres devait renaitre une seconde église qui devint, dans les premières décennies du XVIIe siècle, le champ d’action privilégié du dernier grand atelier troyen de peinture sur verre : celui de Linard Gontier.

Héritier, par son mariage, d’un atelier troyen de grande réputation, Linard Gontier renoua avec la tradition de ses pères : il pratiqua une polychromie somptueuse, présenta en registres ses scènes souvent inspirées de gravures flamandes ou des suites de Dürer ; il écrivit même ses légendes en lettres gothiques. Ainsi furent créées, pour la nouvelle église Saint-Martin-ès-Vignes, l’illustration du Credo (1606), les Scènes de la vie d’Abraham, Isaac et Jacob (1619), les Scènes de la vie de Sainte Anne (1623), l’Assomption (vers 1624).

Mais Linard Gontier fut aussi un maître de la composition monumentale comme l’attestent le Pressoir Mystique (1625, cathédrale de Troyes) et le Martyre de Saint Etienne (seconde version, 1639, Saint-Martin-ès-Vignes).

Néanmoins, c’est avant tout dans son travail de miniaturiste qu’il faut aller chercher l’originalité de Linard Gontier. En introduisant l’emploi des émaux colorés, il innova réellement dans l’école troyenne, car les couleurs d’application lui permirent de dessiner des scènes miniatures, vivantes et polychromes, sans faire usage de plomb. Il excella dans cette technique pour le vitrail civil (par ex. : les vitraux provenant de l’hôtel de l’Arquebuse) mais il aimait aussi placer, dans ses vitraux religieux situés à bonne portée de la vue, de petits tableaux peints avec de la grisaille et des émaux de couleur. Cependant, Linard Gontier ne fut pas suivi et les très hautes fenêtres cintrées de Saint-Pantaléon, structurées par des meneaux verticaux, reçurent toutes des verrières présentant de grands personnages peints à la grisaille sur verre blanc (entre 1652 et 1676).


Le Credo,1606,  église saint Martin-ès-Vignes, Troyes

Pressoir Mystique réalisé en 1625 par Linard Gontier ; cathédrale de Troyes


Ce fut la fin de l’école troyenne de peinture sur verre qui seule survécut au XVIIe siècle, alors que les ateliers de peinture et de sculpture s’étaient éteints depuis trois-quarts de siècle.

Cette extraordinaire vitalité des maitres verriers troyens explique pourquoi un tiers des vitraux français se trouve dans l’Aube où Troyes fait figure de « ville sainte du vitrail ».

 

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