Prêtres Jureur
Ce terme a été employé de façon péjorative dans le
clergé catholique pour désigner les prêtres qui ont prêté serment à la constitution civile du clergé* du 10
juillet 1790. Le pape Pie VI, par une instruction du 26 septembre 1791 et un
bref apostolique du 19 mars 1792, interdit aux fidèles de communier, recevoir
le sacrement de mariage ou tout autre sacrement des mains d'un curé ou autre
prêtre jureur, à l'exception du baptême dans un cas de pressante nécessité et
s'il ne se trouve aucun prêtre à proximité qui soit pourvu de pouvoirs
légitimes ; il interdit aussi aux fidèles d'assister à une messe, prière
publique ou autre cérémonie tenue par un prêtre jureur, et aux prêtres non
jureurs d'avoir aucun rapport avec celui-ci dans l'ordre spirituel. Le prêtre
jureur qui assume une fonction d'ordre spirituel est un « intrus », un «
rebelle ». À la question de savoir si un fidèle peut assister ou servir de parrain
dans un baptême opéré par un prêtre jureur, l'instruction pontificale répond :
« Non à ces deux questions : par la raison que ce jureur, que cet intrus sont
certainement schismatiques ; leur schisme est notoire ». Le pape recommandait
de ne plus admettre les « jureurs » au sein du clergé à moins d'une complète
rétractation et d'une sévère pénitence ; certains évêques allaient jusqu'à
refuser définitivement toute réconciliation aux « schismatiques ». Dans les
régions catholiques, particulièrement dans l'ouest de la France, les « jureurs
» sont ostracisés par les fidèles et il arrive que les paysans les chassent à
coups de fourche.
Le concordat du 15 juillet 1801, conclu entre les
représentants de Napoléon Bonaparte, Premier Consul, et du pape Pie VII, met fin
à la rupture entre le clergé assermenté (« jureur ») et le clergé réfractaire
(non jureur, qui avait refusé le serment). Le Premier Consul voudrait que cette
disposition soit immédiatement applicable ; le 8 mai 1802, le ministre Portalis
écrit aux « citoyens archevêques et évêques » pour leur demander de choisir un
de leurs grands vicaires dans le clergé constitutionnel, et « un tiers ou un
quart » de leurs curés et chanoines dans ce clergé. Cette instruction cause
l'indignation de prêtres comme Jean Brion, curé de Cirières dans les
Deux-Sèvres : « Messieurs, si le "citoyen évêque" de Poitiers (…)
m'expédie un curé jureur pour vérifier mes comptes, je flanquerai l'odieux personnage,
incontinent, à la porte ! »
La plupart des évêques constitutionnels font leur
soumission à Rome. Cependant, certains prêtres constitutionnels refusent ce qui
apparaîtrait comme une absolution ou une rétractation, estimant que leur
serment à la constitution civile ne les met pas en rupture avec leur foi. À
l'inverse, des prêtres réfractaires comme Jean-Charles de Coucy, évêque de La
Rochelle, rejettent le concordat qui mettrait les prêtres jureurs à égalité
avec les prêtres non jureurs : ce refus est à l'origine d'un schisme anti-concordataire,
la « Petite Église ».
La Constitution civile du clergé est un décret
adopté le 12 juillet 1790 au début de la Révolution française (1789-1799) par
l'Assemblée nationale constituante, concernant l'organisation de l'Église de
France, notamment en raison de la nationalisation des biens de l'Église en
novembre 1789.
Sanctionnée contre son gré par Louis XVI le 24 août
1790, elle réorganise unilatéralement le clergé séculier français, instituant
une nouvelle Église, l'Église constitutionnelle. Cette réorganisation est
condamnée par le pape Pie VI en mars 1791, ce qui provoque la division du
clergé français en clergé constitutionnel (les « jureurs ») et clergé
réfractaire, division qui est à l'origine de la volonté de déchristianisation
qui marque le mouvement sans-culotte à partir de 1791 et des gouvernements
républicains à partir de 1792.
La Constitution civile du clergé est abrogée en 1801
par le Premier Consul Napoléon Bonaparte, qui fait la paix avec le pape grâce
au concordat, qui reste en vigueur en Moselle et en Alsace tandis qu'il est
remplacé dans le reste du pays par la Loi de séparation des Églises et de
l'État en 1905.
À la suite de la Nuit du 4 août 1789, l'ordre du
clergé, premier ordre en dignité de la société d'Ancien Régime, disparaît en
tant que corps politique.
À l'automne 1789 commencent à la Constituante les
débats sur la nouvelle organisation de l'Église de France. Le Comité
ecclésiastique, présidé par Treilhard (1742-1810), est chargé d'élaborer un
projet. Trois membres du comité, avocats de tendance janséniste, sont plus
spécialement concernés par son élaboration : Louis-Simon Martineau (1733-1799)
comme rapporteur, Armand Camus (1740-1804) et Lanjuinais (1753-1827) comme
défenseurs. Membres de la magistrature qui se sont affirmés dans le mouvement
de la fronde et du jansénisme parlementaire, adeptes du gallicanisme, ils
considèrent qu'ils ont le droit de réformer une église de France qu'ils veulent
indépendante du pape et soumise au gouvernement. Enfin, selon la tendance
janséniste formée autour du diacre Pâris et en s'inspirant du richérisme,
doctrine ecclésiologique très implantée dans le bas-clergé, qui prône le
gouvernement démocratique des communautés paroissiales et diocésaines, ils ont
l'ambition de réformer le clergé pour revenir à la pureté de l'« Église
primitive » .
Le rapport de Martineau, légèrement amendé, est voté le 12 juillet 1790 : il devient la Constitution civile du clergé. Après une période d'opposition, Louis XVI finit par donner son accord le 28 juillet pour que le décret soit promulgué le 24 août 1790.
14 août 1790 : Proclamation par le roi du décret sur
la constitution civile du clergé en annexe de la séance de l'assemblée
nationale constituante du lundi 12 juillet 1790
Assemblée
nationale constituante
Constitution
civile du clergé du 12 juillet 1790
TITRE 1er. — Des offices ecclésiastiques.
TITRE II. — Nomination aux bénéfices.
TITRE III. — Des traitements des Ministres de la
Religion.
TITRE IV. — De la loi de la résidence.
TITRE
1er. — Des offices ecclésiastiques.
Article 1. Chaque département formera un seul
diocèse, et chaque diocèse aura la même étendue et les mêmes limites que le
département.
Art. 2. Les sièges des évêchés des 83 départements
du royaume seront fixés… suivent les noms des villes où les évêchés seront
établis. Tous les autres évêchés existant dans les 83 départements du royaume,
et qui ne sont pas nommément compris au présent article, sont et demeurent
supprimés.
Art. 3. Le royaume sera divisé en dix
arrondissements métropolitains, dont les sièges seront Rouen, Reims, Besançon,
Rennes, Paris, Bourges, Bordeaux, Toulouse, Aix et Lyon. Suivent les noms de
ces arrondissements d’après leur position géographique, comme les côtes de la
Manche, le nord-est, le centre, etc., avec la liste des départements que chacun
d’eux doit contenir.
Art. 4. Il est défendu à toute église ou paroisse de
France, et à tout citoyen français, de reconnaître en aucun cas, sous quelque
prétexte que ce soit, l’autorité d’un évêque ordinaire ou métropolitain dont le
siège serait établi sous la dénomination d’une puissance étrangère, ni celle de
ses délégués résidant en France ou ailleurs : le tout sans préjudice de l’unité
de foi et de communion qui sera entretenue avec le chef visible de l’Église
universelle, ainsi qu’il sera dit ci-après.
Art. 5. Lorsque l’évêque diocésain aura prononcé
dans son synode sur des matières de sa compétence, il y aura lieu au recours au
métropolitain, lequel prononcera dans le synode métropolitain.
Art. 6. Il sera procédé incessamment, et sur l’avis de l’évêque diocésain et de l’administration des districts, à une nouvelle formation et circonscription de toutes les paroisses du royaume : le nombre et l’étendue en seront déterminés d’après les règles qui vont être établies.
Art. 7. L’église cathédrale de chaque diocèse sera
ramenée à son état primitif, d’être en même temps église paroissiale et église
épiscopale, par la suppression des paroisses, et par le démembrement des
habitations qu’il sera jugé convenable d’y réunir.
Art. 8. La paroisse épiscopale n’aura pas d’autre
pasteur immédiat que l’évêque. Tous les prêtres qui y seront établis seront ses
vicaires et en feront les fonctions.
Art. 9. Il y aura seize vicaires de l’église
cathédrale dans les villes qui comprendront plus de dix mille âmes, et douze
seulement où la population sera au-dessous de dix mille âmes.
Art. 10. Il sera conservé ou établi dans chaque
diocèse un seul séminaire pour la préparation aux ordres, sans entendre rien
préjuger, quant à présent, sur les autres maisons d’instruction et d’éducation.
Art. 11. Le séminaire sera établi, autant que faire
se pourra, près de l’église cathédrale, et même dans l’enceinte des bâtiments
destinés à l’habitation de l’évêque.
Art. 12. Pour la conduite et l’instruction des
jeunes élèves reçus dans le séminaire il y aura un vicaire supérieur et trois
vicaires directeurs subordonnés à l’évêque.
Art. 13. Les vicaires supérieurs et vicaires
directeurs sont tenus d’assister, avec les jeunes ecclésiastiques du séminaire,
à tous les offices de la paroisse cathédrale, et d’y faire toutes les fonctions
dont l’évêque ou son premier vicaire jugera à propos de les charger.
Art. 14. Les vicaires des églises cathédrales, les
vicaires supérieurs et vicaires directeurs du séminaire, formeront ensemble le
conseil habituel et permanent de l’évêque, qui ne pourra faire aucun acte de
juridiction, en ce qui concerne le gouvernement du diocèse et du séminaire,
qu’après en avoir délibéré avec eux ; pourra néanmoins l’évêque, dans le cours
de ses visites, rendre seul telles ordonnances provisoires qu’il appartiendra.
Art. 15. Dans toutes les villes et bourgs qui ne
comprendront pas plus de six mille âmes, il n’y aura qu’une seule paroisse ;
les autres paroisses seront supprimées et réunies à l’église principale.
Art. 16. Dans les villes où il y a plus de six mille
âmes, chaque paroisse pourra comprendre un plus grand nombre de paroissiens, et
il en sera conservé ou établi autant que les besoins des peuples et les
localités le demanderont.
Art. 17. Les assemblées administratives, de concert
avec l’évêque diocésain, désigneront à la prochaine législature les paroisses,
annexes ou succursales des villes ou de campagne qu’il conviendra de réserver
ou d’étendre, d’établir ou de supprimer, et ils en indiqueront les
arrondissements d’après ce que demanderont les besoins des peuples, la dignité
du culte et les différentes localités.
Art. 18. Les assemblées administratives et l’évêque
diocésain pourront même, après avoir arrêté entre eux la suppression et réunion
d’une paroisse, convenir que dans les lieux écartés, ou qui pendant une partie
de l’année ne communiqueront que difficilement avec l’église paroissiale, il
sera établi ou conservé une chapelle où le curé enverra, les jours de fête ou
de dimanche, un vicaire pour y dire la messe et faire au peuple les
instructions nécessaires.
Art. 19. La réunion qui pourra se faire d’une
paroisse à une autre emportera toujours la réunion des biens de la fabrique de
l’église supprimée à la fabrique de l’église où se fera la réunion.
Art. 20. Tous titres et offices autres que ceux
mentionnés en la présente constitution, les dignités, canonicats, prébendes,
demi-prébendes, chapelles, chapellenies, tant des églises cathédrales que des
églises collégiales, et tous chapitres réguliers et séculiers de l’un et
l’autre sexe, les abbayes et prieurés en règle ou en commende, aussi de l’un et
de l’autre sexe et tous autres bénéfices et prestimonies généralement
quelconques, de quelque nature et sous quelque dénomination que ce soit, sont,
à compter du jour de la publication du présent décret, éteints et supprimés
sans qu’il puisse jamais en être établi de semblables.
Art. 21. Tous bénéfices en patronage laïque sont
soumis à toutes les dispositions des décrets concernant les bénéfices de pleine
collation ou de patronage ecclésiastique.
Art. 22. Sont pareillement compris aux dites
dispositions tous titres et fondations de pleine collation laïcale, excepté les
chapelles actuellement desservies dans l’enceinte des maisons particulières ;
par un chapelain ou desservant à la seule disposition du propriétaire.
Art. 23. Le contenu dans les articles précédents
aura lieu, nonobstant toutes clauses, même de réversion, apposés dans les actes de fondation.
Art. 24. Les fondations de messes et autres
services, acquittés présentement dans les églises paroissiales par les curés et
par les prêtres qui y sont attachés, sans être pourvus de leurs places en titre
perpétuel de bénéfice, continueront provisoirement à être acquittées et payées
comme par le passé, sans néanmoins que dans les églises où il est établi des
sociétés de prêtres non pourvus en titre perpétuel de bénéfice, et connus sous
les divers noms de filleuls, agrégés, familiers, communalistes, mépartistes,
chapelains ou autres, ceux d’entre eux qui viendront à mourir ou à se retirer
puissent être remplacés.
Art. 25. Les fondations faites pour subvenir à
l’éducation des parents des fondateurs continueront d’être exécutées
conformément aux dispositions écrites dans les titres de fondation ; et à
l’égard de toutes autres fondations pieuses, les parties intéressées
présenteront leurs mémoires aux assemblées de département, pour, sur leur avis
et celui de l’évêque diocésain, être statué par le corps législatif sur leur
conservation ou leur remplacement.
TITRE
II. — Nomination aux bénéfices.
Art. 1er. À compter du jour de la publication du
présent décret, on ne connaîtra qu’une seule manière de pourvoir aux évêchés et
aux cures, c’est à savoir, la forme des élections.
Art. 2. Toutes les élections se feront par la voie
du scrutin et à la pluralité absolue des suffrages.
Art. 3. L’élection des évêques se fera dans la forme
prescrite et par le corps électoral indiqué, dans le décret du 22 décembre
1789, pour la nomination des membres de l’assemblée de département.
Art. 4. Sur la première nouvelle que le procureur
général syndic du département recevra de la vacance du siège épiscopal, par
mort, démission ou autrement, il en donnera avis aux procureurs-syndics des
districts, à l’effet par eux de convoquer les électeurs qui auront procédé à la
dernière nomination des membres de l’assemblée administrative, et en même temps
il indiquera le jour où devra se faire l’élection de l’évêque, lequel sera, au
plus tard, le troisième dimanche après la lettre d’avis qu’il écrira.
Art. 5. Si la vacance du siège épiscopal arrivait
dans les quatre derniers mois de l’année où doit se faire l’élection des
membres de l’administration du département, l’élection de l’évêque serait
différée et renvoyée à la prochaine assemblée des électeurs.
Art. 6. L’élection de l’évêque ne pourra se faire où
être commencée qu’un jour de dimanche, dans l’église principale du chef-lieu du
département, à l’issue de la messe paroissiale, à laquelle seront tenus
d’assister tous les électeurs.
Art. 7. Pour être éligible à un évêché, il sera
nécessaire d’avoir rempli, au moins pendant quinze ans, les fonctions du
ministère ecclésiastique dans le diocèse, en qualité de curé, de desservant ou
de vicaire, ou comme vicaire supérieur, ou comme vicaire directeur du
séminaire.
Art. 8. Les évêques dont les sièges sont supprimés
par le présent décret pourront être élus aux évêchés actuellement vacants,
ainsi qu’à ceux qui vaqueront par la suite, ou qui sont érigés en quelques
départements, encore qu’ils n’eussent pas quinze années d’exercice.
Art. 9. Les curés et autres ecclésiastiques qui par
l’effet de la nouvelle circonscription des diocèses, se trouveront dans un
diocèse différent de celui où ils exerçaient leurs fonctions, seront réputés les
avoir exercées dans leur nouveau diocèse, et ils y seront, en conséquence,
éligibles, pourvu qu’ils aient d’ailleurs le temps d’exercice ci-devant exigé.
Art. 10. Pourront aussi être élus les curés actuels
qui auraient dix années d’exercice dans une cure du diocèse, encore qu’ils
n’eussent pas auparavant rempli les fonctions de vicaire.
Art. 11. Il en sera de même des curés dont les
paroisses auraient été supprimées en vertu du présent décret, et il leur sera
compté comme temps d’exercice celui qui se sera écoulé depuis la suppression de
leur cure.
Art. 12. Les missionnaires, les vicaires généraux des évêques, les ecclésiastiques desservant les hôpitaux, ou chargés de l’éducation publique, seront pareillement éligibles, lorsqu’ils auront rempli leurs fonctions pendant quinze ans, à compter de leur promotion au sacerdoce.
Art. 13. Seront pareillement éligibles tous
dignitaires, chanoines, ou en général tous bénéficiers et titulaires qui
étaient obligés à résidence, ou exerçaient des fonctions ecclésiastiques, et
dont les bénéfices, titres, offices ou emplois se trouvent supprimés par le
présent décret, lorsqu’ils auront quinze années d’exercice comptées comme il
est dit des curés dans l’article précédent.
Art. 14. La proclamation de l’élu se fera par le président
de l’assemblée électorale dans l’église où l’élection aura été faite, en
présence du peuple et du clergé, et avant de commencer la messe solennelle qui
sera célébrée à cet effet.
Art. 15. Le procès-verbal de l’élection et de la
proclamation sera envoyée au roi par le président de l’assemblée des électeurs,
pour donner à Sa Majesté connaissance du choix qui aura été fait.
Art. 16. Au plus tard dans le mois qui suivra son
élection, celui qui aura été élu à un évêché se présentera en personne à son
évêque métropolitain ; et s’il est élu pour le siège de la métropole, au plus
ancien évêque de l’arrondissement, avec le procès-verbal d’élection et de
proclamation, et il le suppliera de lui accorder la confirmation canonique.
Art. 17. Le métropolitain ou l’ancien évêque aura la
faculté d’examiner l’élu, en présence de son conseil, sur sa doctrine et sur
ses mœurs ; s’il le juge capable, il lui donnera l’institution canonique ; s’il
croit devoir la lui refuser, les causes du refus seront données par écrit, signées
du métropolitain et de son conseil, sauf aux parties intéressées à se pourvoir
en voie d’appel comme d’abus, ainsi qu’il sera dit ci-après.
Art. 18. L’évêque à qui la confirmation sera
demandée ne pourra exiger de l’élu d’autre serment, sinon qu’il fait profession
de la religion catholique, apostolique et romaine.
Art. 19. Le nouvel évêque ne pourra s’adresser au
pape pour en obtenir aucune confirmation ; mais il lui écrira comme au chef
visible de l’Église universelle, en témoignage de l’unité de foi et de la
communion qu’il doit entretenir avec lui.
Art. 20. La consécration de l’évêque ne pourra se
faire que dans son Eglise cathédrale par son métropolitain, ou, à son défaut,
par le plus ancien évêque de l’arrondissement de la métropole assisté des évêques
des deux diocèses les plus voisins, un jour de dimanche, pendant la messe
paroissiale, en présence du peuple et du clergé.
Art. 21. Avant que la cérémonie de la consécration
commence l’élu prêtera, en présence des officiers municipaux, du peuple et du
clergé, le serment solennel de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse qui
lui est confié, d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir
de tout son pouvoir la constitution décrétée par l’Assemblée nationale et
acceptée par le roi.
Art. 22. L’évêque aura la liberté de choisir les vicaires de son Église cathédrale dans tout le clergé de son diocèse, à la charge par lui de ne pouvoir nommer que des prêtres qui auront exercé des fonctions ecclésiastiques au moins pendant dix ans. Il ne pourra les destituer que de l’avis de son conseil, et par une délibération qui y aura été prise à la pluralité des voix, en connaissance de cause.
Art. 23. Les curés actuellement établis en aucunes
églises cathédrales, ainsi que ceux des paroisses qui seront supprimées pour
être réunies à l’église cathédrale et en former le territoire, seront de plein
droit, s’ils le demandent, les premiers vicaires de l’évêque, chacun suivant
l’ordre de leur ancienneté dans les fonctions pastorales.
Art. 24. Les vicaires supérieurs et vicaires
directeurs du séminaire seront nommés par l’évêque et son conseil, et ne
pourront être destitués que de la même manière que les vicaires de l’église
cathédrale.
Art. 25. L’élection des curés se fera dans la forme
prescrite, et les électeurs indiqués dans le décret du 22 décembre 1789, pour
la nomination des membres de l’assemblée administrative du district.
Art. 26. L’assemblée des électeurs, pour la
nomination aux cures, se formera tous les ans à l’époque de la formation des
assemblées du district, quand même il n’y aurait qu’une seule cure vacante dans
le district ; à l’effet de quoi les municipalités seront tenues de donner avis
au procureur-syndic du district de toutes les vacances de cures qui arriveront
dans leur arrondissement, par mort, démission ou autrement.
Art. 27. En convoquant l’assemblée des électeurs, le
procureur-syndic enverra à chaque municipalité la liste de toutes les cures
auxquelles il faudra nommer.
Art. 28. L’élection des curés se fera par scrutins
séparés pour chaque cure vacante.
Art. 29. Chaque électeur, avant de mettre son
bulletin dans le vase du scrutin, fera serment de ne nommer que celui qu’il
aura choisi en son âme et conscience comme le plus digne, sans y avoir été
déterminé par dons, promesses, sollicitations ou menaces. Ce serment sera prêté
pour l’élection des évêques comme pour celle des curés.
Art. 30. L’élection des curés ne pourra se faire ou
être commencée qu’un jour de dimanche, dans la principale église du chef-lieu
de district, à l’issue de la messe paroissiale, à laquelle tous les électeurs
seront tenus d’assister.
Art. 31. La proclamation des élus sera faite par le
corps électoral, dans l’église principale, avant la messe solennelle qui sera
célébrée à cet effet et en présence du peuple et du clergé.
Art. 32. Pour être éligible à une cure, il sera
nécessaire d’avoir rempli les fonctions de vicaire dans une paroisse ou dans un
hôpital, ou autre maison de charité du diocèse, au moins pendant cinq ans.
Art. 33. Les curés dont les paroisses auront été supprimées en exécution du présent décret, pourront être élus, encore qu’ils n’eussent pas cinq années d’exercice dans le diocèse.
Art. 34. Seront pareillement éligibles aux cures
tous ceux qui ont été ci-dessus déclarés éligibles aux évêchés, pourvu qu’ils
aient aussi cinq années d’exercice.
Art. 35. Celui qui aura été proclamé élu à une cure
se présentera en personne à l’évêque avec le procès-verbal de son élection et
proclamation, à l’effet d’obtenir de lui l’institution canonique.
Art. 36. L’évêque aura la faculté d’examiner l’élu,
en présence de son conseil, sur sa doctrine et ses mœurs ; s’il le juge
capable, il lui donnera l’institution canonique ; s’il croit devoir la lui
refuser, les causes du refus seront données par écrit, signées de l’évêque et
de son conseil, sauf aux parties le recours à la puissance civile, ainsi qu’il
sera dit ci-après.
Art. 37. En examinant l’élu qui lui demandera
l’institution canonique, l’évêque ne pourra exiger de lui d’autre serment,
sinon qu’il fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine.
Art. 38. Les curés élus et institués prêteront le
même serment que les évêques dans leur église, un jour de dimanche, avant la
messe paroissiale, en présence des officiers municipaux du lieu, du peuple et du
clergé. Jusque-là ils ne pourront faire aucune fonction curiale.
Art. 39. Il y aura, tant dans l’église cathédrale
que dans chaque église paroissiale, un registre particulier, sur lequel le
secrétaire greffier de la municipalité du lieu écrira sans frais le
procès-verbal de la prestation du serment de l’évêque ou du curé, et il n’y
aura pas d’autre acte de prise de possession que ce procès-verbal.
Art. 40. Les évêchés et les cures seront réputés
vacants jusqu’à ce que les élus aient prêté le serment ci-dessus mentionné.
Art. 41. Pendant la vacance du siège épiscopal, le
premier, et, à son défaut, le second vicaire de l’église cathédrale remplacera
l’évêque, tant dans ses fonctions curiales que pour les actes de juridiction
qui n’exigent pas le caractère épiscopal ; mais en tout il sera tenu de se
conduire par les avis du conseil.
Art. 42. Pendant la vacance d’une cure,
l’administration de la paroisse est confiée au premier vicaire, sauf à y
établir un vicaire de plus si la municipalité le requiert ; et dans le cas où
il n’y aurait pas de vicaire dans la paroisse, il y sera établi un desservant
par l’évêque.
Art. 43. Chaque curé aura le droit de choisir ses
vicaires ; mais il ne pourra fixer son choix que sur des prêtres ordonnés ou
admis pour le diocèse par l’évêque.
Art. 44. Aucun curé ne pourra révoquer ses vicaires que pour des causes légitimes, jugées telles par l’évêque et son conseil.
TITRE
III. — Des traitements du clergé.
Article 1 – Les ministres de la religion exerçant
les premières et les plus importantes fonctions de la société, et obligés de
résider continuellement dans le lieu du service auquel la confiance des peuples
les a appelés, seront défrayés par le nation.
Article 2 — Il sera fourni à chaque évêque, à chaque
curé et aux desservants des annexes et succursales, un logement convenable, à
la charge par eux d’y faire toute les réparations locatives, sans entendre rien
innover, quant à présent, à l’égard des paroisses où le logement des curés est
fourni en argent, et sauf aux départements à prendre connaissance des demandes
qui seront formées par les paroisses et par les curés, il leur sera, en outre,
assigné à tous le traitement qui va être réglé.
Article 3 — Le traitement des évêques sera, savoir :
pour l’évêque de Paris, de cinquante mille livres ; pour les évêques des villes
dont le population est de cinquante mille âmes et au-dessus de vingt mille
livres ; pour les autres évêques, de douze mille livres.
Article 4 – Le traitement des vicaires des églises
cathédrales sera, savoir : à Paris, pour le premier vicaire, de six mille
livres ; pour le second, de quatre mille livres : pour tous les autres
vicaires, de trois mille livres. Dans les villes dont la population est de
cinquante mille âmes et au-dessus : pour le premier vicaire, de quatre mille
livres, pour le second, de trois mille livres ; pour tous les autres, de deux
mille livres. Dans les villes dont la population est de moins de cinquante
mille âmes : pour le premier vicaire, de trois mille livres, pour le second, de
deux mille quatre cent livres, pour tous les autres de deux mille livres.
Article 5 — Le traitement des curés sera, savoir : à
Paris de six mille livres. Dans les villes dont la population est de cinquante
mille âmes, et au dessus, de quatre mille livres. Dans celles dont la
population est de moins de cinquante mille âmes et de plus de dix mille âmes,
de trois mille livres. Dans les villes et bourgs dont la population est au
dessous de dix mille âmes et au dessus de trois mille âmes, de deux mille
quatre cents livres. Dans toutes les autres villes et bourgs et dans les
villages, lorsque la paroisse offrira une population de trois mille âmes et au
dessous, jusqu’à deux mille cinq cents, de deux mille livres ; lorsqu’elle en
offrira une de deux mille cinq cents âmes jusqu’à deux mille, de dix-huit cents
livres ; lorsqu’elle en offrira une de moins de deux mille et de plus de mille,
de quinze cents livres ; et lorsqu’elle en offrira une de mille âmes et
au-dessous, de douze cents livres.
Article 6 — le traitement des vicaires sera, savoir
: à Paris, pour le premier vicaire, de deux mille quatre cents livres ; pour le
second, de quinze cents livres ; pour tous les autres de mille livres. Dans les
villes dont la population est de cinquante mille âmes et au dessus, pour le
premier vicaire, de douze cents livres ; pour le second, de mille livres, et
pour tous les autres, de huit cents livres. Dans toutes les autres villes et
bourgs où la population sera de plus de trois mille âmes, de huit cents livres
pour les deux premiers vicaires et de sept cents livres pour tous les autres.
Dans toutes les autres paroisses de ville et de campagne, de sept cents livres
pour chaque vicaire.
Article 7 – Le traitement en argent des ministres de la religion leur sera payé d’avance, de trois mois en trois mois, par le trésorier du district, à peine par lui d’y être contraint par corps sur simple sommation ; et dans le cas où l’évêque, curé ou vicaire, viendrait à mourir ou à donner sa démission avant la fin du dernier quartier, il ne pourra être exercé contre lui, ni contre ses héritiers, aucune répétition.
Article 8 — Pendant la vacance des évêchés, des
curés et de tous offices ecclésiastiques payés par la nation, les fruits du
traitement qui y est attaché seront versés dans la caisse du district, pour subvenir
aux dépenses dont il va être parlé.
Article 9 — Les curés qui, à cause de leur grand âge
ou de leurs infirmités, ne pourraient plus vaquer à leurs fonctions, en
donneront avis au directoire du département, qui, sur les instructions de la
municipalité et de l’administration du district, laissera à leur choix, s’il y
a lieu, ou de prendre un vicaire de plus, lequel sera payé par la nation sur le
même pied que les autres vicaires, ou de se retirer avec une pension égale au
traitement qui aurait été fourni au vicaire.
Article 10 — Pourront aussi les vicaires, aumôniers
des hôpitaux, supérieurs des séminaires, et autres exerçant des fonctions
publiques, en faisant constater leur état de la manière qui vient d’être
prescrite, se retirer avec une pension de la valeur du traitement dont il
jouissent, pourvu qu’il n’excède pas la somme de huit cents livres.
Article 11 — La fixation qui vient d’être faite du
traitement des ministres de la religion, aura lieu à compter du jour de la
publication du présent décret, mais seulement pour ceux qui seront pourvus, par
la suite, d’office ecclésiastiques. À l’égard des titulaires actuels, soit ceux
dont les offices ou emplois sont supprimés, soit ceux dont les titres sont
conservés, leur traitement sera fixé par un décret particulier.
Article 12 – Au moyen du traitement qui leur sera assuré par la présente constitution, les évêques, les curés et leurs vicaires exerceront gratuitement les fonctions épiscopales et curiales.
TITRE
IV. — De la résidence.
Article 1 — La loi de la résidence sera
religieusement observée, et tous ceux qui seront revêtus d’un office ou emploi
ecclésiastique y seront soumis sans aucune exception ni distinction.
Article 2 – Aucun évêque ne pourra s’absenter chaque
année pendant plus de quinze jours consécutifs hors de son diocèse, que dans le
cas d’une véritable nécessité, et avec l’agrément du directoire de département
dans lequel son siège sera établi.
Article 3 — Ne pourront pareillement les curés et les vicaires s’absenter au lieu de leurs fonctions au-delà du terme qui vient d’être fixé, que pour des raisons graves ; et même en ce cas, seront tenus les curés d’obtenir l’agrément, tant de leur évêque, que du directoire de leur district, les vicaires, la permission de leurs curés.
Article 4 — Si un évêque ou un curé s’écartait de la
loi de la résidence, la municipalité du lieu en donnerait avis au
procureur-général-syndic du département, qui l’avertirait par écrit de rentrer
dans son devoir, et, après la seconde monition, le poursuivrait pour le faire
déclarer déchu de son traitement pour tout le temps de son absence.
Article 5 — Les évêques, les curés et les vicaires
ne pourront accepter de charges, d’emplois ou de commissions qui les
obligeraient de s’éloigner de leurs diocèses ou de leurs paroisses, ou qui les
enlèveraient aux fonctions de leur ministère ; et ceux qui en sont actuellement
pourvus, seront tenus de faire leur option dans le délai de trois mois, à
compter de la notification qui leur sera faite du présent décret, par le
procureur-général-syndic de leur département, sinon, et après l’expiration de
ce délai, leurs office sera réputé vacant, et il leur sera donné un successeur
en la forme ci-dessus prescrite.
Article 6 — Les évêques, les curés et les vicaires
pourront, comme citoyens actifs, assister aux assemblées primaires et
électorales, y être nommés électeurs, députés aux législatures, élus membres du
conseil général de la commune et du conseil des administrations des districts
et des départements ; mais leurs fonctions sont déclarées incompatibles avec
celles de maire et autres officiers municipaux, et de membres des directoires
de district et de département ; et s’ils étaient nommés, ils seraient tenus de
faire leur option.
Article 7 — L’incompatibilité mentionnée à l’article
6 n’aura d’effet que pour l’avenir, et si aucuns évêques, curés ou vicaires ont
été appelés par les vœux de leurs concitoyens aux offices de maire et autres
municipaux, ou nommés membres des directoires de district et de département,
ils pourront continuer d’en exercer les fonctions.
Le
nouveau règlement
Le texte comporte quatre titres :
« Des offices ecclésiastiques »
« Nomination aux bénéfices »
« Traitements et pensions »
« De la résidence »
Les
offices ecclésiastiques
Les diocèses et paroisses étaient profondément
remaniés :
L'article 1 du décret décide que : « Chaque
département formera un seul diocèse, et chaque diocèse aura la même étendue et
les mêmes limites que le département. » Le nombre de diocèses était de ce fait
réduit de 130 à 83. Les évêques s'entourent de vicaires épiscopaux qui, avec
les directeurs et supérieurs du séminaire diocésain, forment le « conseil » qui
doit donner son accord pour les actes de juridiction en rapport avec le
gouvernement du diocèse.
L'article 3 prévoit que : « Le royaume sera divisé
en dix arrondissements métropolitains, dont les sièges seront Rouen, Reims,
Besançon, Rennes, Paris, Bourges, Bordeaux, Toulouse, Aix et Lyon. » Ces
arrondissements métropolitains remplacent les 14 provinces ecclésiastiques
(archevêchés) de l'Ancien Régime.
Dans son article 15, le décret dispose que : « Dans
toutes les villes et bourgs qui ne comprendront pas plus de six mille âmes, il
n'y aura qu'une seule paroisse ; les autres paroisses seront supprimées et
réunies à l'église principale. »
Article 16 : « Dans les villes où il y a plus de six
mille âmes, chaque paroisse pourra comprendre un plus grand nombre de
paroissiens, et il en sera conservé ou établi autant que les besoins des
peuples et les localités le demanderont. »
Suppression
du clergé régulier et de certains offices ecclésiastiques
L'article 20 du décret décide que : « Tous titres et
offices autres que ceux mentionnés en la présente constitution, les dignités,
canonicats, prébendes, demi-prébendes, chapelles, chapellenies, tant des
églises cathédrales que des églises collégiales, et tous chapitres réguliers et
séculiers de l'un et l'autre sexe, les abbayes et prieurés en règle ou en
commende, aussi de l'un et de l'autre sexe et tous autres bénéfices [...] de
quelque nature et sous quelque dénomination que ce soit, sont, à compter du
jour de la publication du présent décret, éteints et supprimés sans qu'il
puisse jamais en être établi de semblables. »
Disparaissaient ainsi les chanoines, prébendiers ou
chapelains, « sans charge d'âme ».
La
nomination aux bénéfices
Les évêques sont élus par l'assemblée des électeurs
du département et les curés par celle des électeurs du district, que les
électeurs professent la religion catholique ou non. L'amendement proposé par
l'abbé Grégoire, disposant que les catholiques soient seuls électeurs, fut
repoussé;
Le texte conserve la distinction entre la
nomination, c'est-à-dire la désignation du titulaire, et l'institution
canonique, laquelle confère la juridiction. Cependant, si l'évêque conserve l'institution
des curés, il est lui-même institué non plus par le pape, mais par le
métropolitain ou le plus ancien évêque de l'arrondissement métropolitain. Le
pape n'est plus qu'« un chef visible de l'Église universelle », auquel il peut
écrire en gage d'unité de foi et de communion dans le sein de l'Église
catholique ;
Avant leur sacre, les évêques doivent prêter « le
serment solennel de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse […], d'être
fidèles à la nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout [leur] pouvoir
la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi ».
Les curés devront faire de même, un dimanche, avant la grand-messe.
Des
officiers civils
Les ecclésiastiques — évêques et curés — perçoivent
un traitement de l'État. Le traitement de l'évêque de Paris est de 50 000
livres, celui des autres évêques de 20 000 livres. Les vicaires épiscopaux
reçoivent entre 8 000 et 2 000 livres. Les curés entre 6 000, pour les cures de
Paris, et 1 200 livres, pour les cures les moins peuplées ;
Tous les religieux — évêques, prêtres, moines,
moniales — ont des droits civiques qui les autorisent à quitter leurs postes ou
leurs communautés monastiques.
Un ecclésiastique ne peut être maire, officier
municipal ou conseiller général. Il est cependant électeur et éligible à
l'Assemblée nationale.
Avant cette loi, les membres du clergé étaient
soumis à la juridiction interne de l'Église, qui les astreignait au célibat,
les empêchait de léguer les biens acquis dans l'exercice de leur ministère à
leur famille et d'habiter où bon leur semblait, et les soumettait à des
tribunaux ecclésiastiques, appelés officialités.
En français moderne, la loi aurait pu être appelée «
loi de réorganisation de l'Église et donnant statut d'agent public aux membres
du clergé ». Compromis entre les tendances gallicanes, jansénistes et
richéristes, la Constitution civile du clergé, tout en souhaitant établir
l'indépendance, sauf en matière doctrinale, de l'Église de France à l'égard de
la papauté, la soumet à l'État. Pour Pierre de la Gorce : « Peu d'actes ont
aussi mal résisté au temps. Vu à distance, celui-ci ne répond à aucune
conception nette »
La controverse
Le 29 mars 1790, le pape Pie VI tient
un consistoire secret, au cours duquel il dénonce particulièrement la
sécularisation des biens ecclésiastiques et la suppression des vœux de
religion. Le cardinal de Bernis, ambassadeur de France auprès du
Saint-Siège, obtient que cette allocution ne soit pas publiée. Il s'en félicite
dans ses dépêches à Montmaurin tout en
précisant : « Si on continue à traiter si durement l'Église de
France, je ne saurais répondre à la longue de la patience du chef de l'Église
catholique ».
Dans les mois qui suivent, la préparation de la
Constitution civile du clergé est suivie avec anxiété aussi bien à Rome que
par Louis XVI. Ce dernier sollicite les avis de deux de ses
ministres : Lefranc de Pompignan, ancien archevêque de Vienne,
et Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux. Se faisant les porte-parole
de leurs confrères, dont la plupart siègent à l'Assemblée nationale, ils
conseillent au roi de ne pas s'opposer à l'Assemblée et de rechercher un
compromis avec Pie VI. Cependant, le pape écrit le 9 juillet 1790 à Louis
XVI : « Nous devons vous dire avec fermeté et amour paternel
que, si vous approuvez les décrets concernant le Clergé, vous induirez en
erreur votre Nation entière, vous précipiterez votre Royaume dans le schisme et
peut-être dans une guerre civile de religion ». Le 10 juillet, des brefs de
Pie VI demandent au roi de refuser la Constitution. Ceux-ci sont remis à Louis
XVI le 23 juillet. Or, la veille, celui-ci a annoncé qu'il accepterait les
décrets. Croyant le Pape mal informé des affaires de France — celui-ci est
en effet conseillé par le cardinal de Bernis, fort prévenu contre le nouvel
ordre des choses — et persuadé de l'urgence, Louis XVI sanctionne et
promulgue les décrets le 24 août 1790.
Dès le mois d'août, Jean-René Asseline, évêque
de Boulogne, publie une réfutation de la Constitution civile, à laquelle
adhèrent quarante évêques. En octobre, Boisgelin, archevêque d'Aix,
publie ses Observations sur le serment prescrit aux ecclésiastiques et
sur le décret qui l'ordonne. Tous les évêques de France adhèrent à ce
texte, qui est envoyé au pape. Un très grand nombre de publications s'attachent
à défendre ou à combattre la Constitution civile. Pour les uns, elle est une
œuvre indispensable pour mettre fin aux abus : elle permet un retour à la
pureté et à la simplicité de l'Église primitive, et elle correspond aux vœux de
la Nation souveraine. Pour les autres, l'assemblée a commis un abus de pouvoir
en remodelant les circonscriptions ecclésiastiques. Celles-ci n'établissent pas
un pouvoir sur un territoire mais sur des âmes. Or, ce pouvoir sur les âmes ne
peut être conféré que par l'Église. Le concordat de Bologne avait été
établi par deux parties : le roi et le pape. Mais ce dernier n'a pas été
consulté. Enfin, la Constitution est schismatique : le sacre ne donne pas
à l'évêque une mission et un pouvoir de juridiction, laquelle ne peut lui
être conférée que par l'Institution canonique. Cependant, en réduisant celle-ci
à une formalité, puisque c'est le président de l'assemblée électorale qui
proclame l'élu évêque (titre II, art. 14) et non les autorités légitimes, le
lien avec le pape et l'Église est rompu. Ce qui fait écrire à
Boisgelin : « Nous ne pouvons pas transporter le schisme dans
nos principes ».
Le
serment à la Constitution civile
Le
serment obligatoire
Le 26 novembre, Voidel, député de la Moselle, dénonce la formation d'une ligue contre la Constitution civile. Il propose le serment obligatoire comme le moyen indispensable de régénérer l'église de France. Le décret est voté. Le Roi doit le sanctionner le 26 décembre 1790, ayant vainement espéré des concessions de la part du Pape, ce dernier ayant accepté, dix ans plus tôt, la réforme de l'Église d'Autriche opérée de façon autoritaire et unilatérale par l'empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette.
« Par décret de l'Assemblée nationale, et
conformément à la constitution civile du clergé en date du 24 août 1790, tous
les ecclésiastiques prêteront le serment exigé un jour de dimanche après la
messe, en présence du conseil général de la commune et des fidèles. Ceux qui ne
le prêteront pas seront réputés avoir renoncé à leur office et il sera pourvu à
leur remplacement. »
Le
serment était le suivant :
« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles
de la paroisse (ou du diocèse) qui m'est confiée, d'être fidèle à la Nation, à
la Loi, au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par
l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »
Le serment oblige prêtres et évêques à maintenir la
nouvelle organisation du clergé. Pour les deux cent cinquante officiers
ecclésiastiques membres de l'assemblée, le serment doit être prêté dans les
huit jours, soit le 4 janvier 1791 au plus tard. À la suite de l'abbé Grégoire,
cent cinq députés prêtent serment à la barre. Enfin, le 4 janvier 1791,
malgré la pression des tribunes, quatre seulement jurent. En tenant compte des
rétractations, ce sont quatre-vingt-dix-neuf députés ecclésiastiques qui
prêtent le serment.
Le 7 janvier commencent les prestations de serment
dans les provinces. Elles sont échelonnées tous les dimanches, de janvier et
février 1791, à des dates différentes selon les diocèses. La
quasi-totalité des évêques, sauf quatre, et la moitié des curés, refusent
alors de prêter serment.
À partir du 10 août 1792 et de la chute de la royauté, un nouveau serment, dit « de Liberté-Égalité », est mis en place ; celui-ci ne fait plus référence au roi.
Réponse officielle du pape Pie VI
Le pape Pie VI, qui ne répond pas durant
des mois aux demandes pressantes de l'ambassadeur de France, fait connaître sa
réponse officielle par les brefs Quod aliquantum, du 10 mars 1791,
et Caritas, du 13 avril 1791. Il demande aux membres du clergé
n'ayant pas encore prêté serment de ne pas le faire, et à ceux qui ont déjà
prêté serment de se rétracter dans l'espace de quarante jours. Les élections
épiscopales et paroissiales sont déclarées nulles et les consécrations
d'évêques sacrilèges. La publication des brefs est interdite, mais ceux-ci
circulent clandestinement et sont largement connus.
Malgré les nombreuses rétractations de prêtres assermentés
au sein de l'Église de France, une situation de schisme divise
le clergé en prêtres constitutionnels, désignés comme « jureurs »,
et prêtres insermentés, désignés comme « réfractaires ».
La rupture entre la Révolution et l'Église catholique semble inévitable.
Par souci d'apaisement, et en application de
la liberté religieuse affirmée
par la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, sur proposition
de Talleyrand et Sieyès,
l'Assemblée constituante vote le 7 mai 1791 un décret qui donne le droit aux
prêtres insermentés de célébrer la messe dans les églises constitutionnelles.
Les catholiques qui refusent la nouvelle église ont la possibilité de louer des
édifices pour le culte.
Assermentés et insermentés
On appelle insermentés les prêtres qui
refusent de prêter serment à la Constitution civile du clergé. La
quasi-totalité des évêques (sauf cinq), la totalité des prêtres des Missions étrangères de Paris et
une grosse moitié des curés seront des prêtres réfractaires.
On appelle assermentés — ou
« jureurs » ou « intrus » — les prêtres qui
prêtent serment à la Constitution civile du clergé. Charles-Maurice de
Talleyrand-Périgord, Henri
Grégoire, Yves Marie Audrein sont
les premiers à appartenir au clergé constitutionnel. Le premier évêque
constitutionnel est Louis-Alexandre Expilly
de La Poipe, recteur (curé) de Saint-Martin-des-Champs près
de Morlaix,
élu député du clergé en août 1788, et qui préside ensuite à l'Assemblée
constituante la commission qui rédige la Constitution civile du clergé. Il est
sacré évêque du Finistère à Paris par Talleyrand,
lui-même évêque,
en 1790,
avant d'être guillotiné le 22 mai 1794.
l'historien Jean de Viguerie, distingue six manières de prêter le serment :
- le
serment prêté purement et simplement ;
- le
serment d'abord refusé puis prêté ;
- le
serment prêté avec restriction ou avec rétractation partielle — ainsi
Bernard Bellegarrigue, curé de Born dans
la Haute-Garonne,
jure le 13 mars 1791 en précisant « D'après l'instruction de
l'Assemblée Nationale qu'elle n'entend porter aucune atteinte à la
religion catholique, apostolique et romaine » ;
- le
serment prêté puis entièrement rétracté ;
- le
refus avec explication, souvent fondé sur l'argument de l'impossibilité en
conscience ;
- le
refus pur et simple.
En fonction de la position hiérarchique
L'historien américain Timothy
Tackett note que la proportion de réfractaires était,
dans le haut clergé (évêques),
très supérieure à celle observée dans le bas clergé (prêtres et vicaires).
Il note par ailleurs que les vicaires étaient statistiquement davantage
réfractaires que les curés.
En fonction de la géographie
En général, les régions périphériques seront
davantage réfractaires. Cela pourrait être lié aux différences culturelles,
soulignées par l'usage encore très répandu de langues régionales : par
exemple, en Bretagne,
avec 20 % de jureurs ou en Alsace,
avec seulement 8 % de jureurs dans le Bas-Rhin. Dans ce contexte, on peut
aussi citer le Nord,
la Lorraine,
le Languedoc et l'Auvergne.
Cela pourrait peut-être aussi s'expliquer du fait d'une certaine méfiance
vis-à-vis des décisions de la capitale.
La diffusion des idées des Lumières est
sans doute également l'un des facteurs de motivation pour prêter ou non
serment. La présence d'un nombreux clergé gallican et/ou janséniste dans
le Bassin parisien est,
pour certains historiens, l'une des raisons pour lesquelles le serment y a
rencontré beaucoup de succès (90 % de jureurs dans le Loiret). Les autres
régions à majorité de jureurs sont la Bourgogne, la Provence (96 % de
jureurs dans le Var) et les régions
littorales du Sud-Ouest.
Au total, au niveau national, en tenant compte des
rétractations intervenues après les brefs pontificaux, on atteindrait une
proportion de 47 à 48 % de jureurs.
Élection du nouveau clergé
Pour remplacer les prêtres réfractaires,
il faudra élire de nouveaux prêtres : quatre-vingts évêques sont alors
élus et environ vingt mille prêtres sont remplacés. L'abbé
Grégoire, curé et député, qui avait participé à la rédaction
du projet de Constitution civile du clergé, sera élu évêque constitutionnel de
Loir-et-Cher, et deviendra, de fait, le chef de l'Église constitutionnelle de
France. Il faut souligner que ces élections sont ouvertes aux non catholiques,
ce qui ne pouvait qu'irriter les fidèles et la Papauté.
Conséquences de la Constitution civile
du clergé et du serment
La plupart des prêtres réfractaires prennent le
parti de la contre-révolution et
les patriotes suspectent les ecclésiastiques, ce qui engendre des haines
passionnées. De très nombreux catholiques, paysans, artisans ou bourgeois, qui
avaient soutenu le tiers
état,
rejoignent ainsi l'opposition. Dans l'Ouest de la France,
alors que des régions comme la Bretagne ou
la Vendée avaient
soutenu les débuts de la Révolution, celles-ci deviennent des foyers de
troubles et de guerres liés à la contre-révolution.
Les débats agitent en profondeur la société française
pendant les six premiers mois de 1791,
et commencent à couper le pays en deux. Ils divisent des familles, rompent des
amitiés anciennes. Charrier de La Roche, défenseur de la Révolution, constate
en octobre 1791 : « On accrédite des préjugés incendiaires dont
les mieux intentionnés n'ont aucun moyen de se garantir, on sème, on entretient
l'aigreur et l'animosité contre les sectateurs les plus paisibles du parti que
l'on n'a pas adopté ».
Le 29 novembre 1791,
un décret donne aux administrateurs locaux la possibilité de déporter les
prêtres de leur domicile en cas de trouble.
Les
suites
Des mesures de déchristianisation se poursuivent en France en 1793 et 1794, avec le développement du culte de la Raison et de l'Être suprême, et la fermeture des églises au culte du 31 mai 1793 jusque vers novembre 1794.
Les lois de 1790 — hors
Constitution civile du clergé, réservée au culte catholique — permettent
des mesures de tolérance par rapport aux protestants et aux juifs,
accordant à ces derniers la citoyenneté.
Les prêtres réfractaires sont l'objet d'une sévère
répression, notamment sous la Terreur,
et sont confondus à cette période avec les autres, les prêtres constitutionnels
(ou assermentés, ou jureurs).
Dans la Rhénanie occupée
par les forces françaises (1793), le mouvement de sécularisation chasse
l'archevêque de Mayence de
ses terres. La désacralisation des symboles et des édifices religieux et
aristocratiques favorise l'émergence du pouvoir bourgeois dans le Saint-Empire.
La fin : la première séparation de
l’Église et de l’État (1794)
« La
séparation de l'Église et de l'État avait été instaurée en fait par le décret
du 2 sansculotides an II (18 septembre 1794) : par raison
d'économie, Cambon fit
supprimer ce jour-là le budget de l'Église assermentée ; la Constitution
civile du clergé était ainsi implicitement rapportée et l'État complètement
laïcisé ».
Cinq mois plus tard, la Convention thermidorienne
confirme cette séparation en votant, le 21 février 1795 (3 ventôse an III),
le Décret sur la liberté des cultes :
Art. I - Conformément à l'article VII de la
Déclaration des Droits de l'homme et à l'article 122 de la Constitution,
l'exercice d'aucun culte ne peut être troublé.
Art. II - La République n'en salarie aucun.
Art. III.- Elle ne fournit aucun local, ni pour
l'exercice des cultes, ni pour le logement des ministres.
Art. IV.- Les cérémonies de tout culte sont
interdites hors de l'enceinte choisie pour leur exercice.
Art. V - La loi ne reconnaît aucun ministre du
culte, nul ne peut paraître en public avec les habits, ornements ou costumes
affectés à des cérémonies religieuses.
Art. VI - Tout rassemblement de citoyens pour
l'exercice d'un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités
constituées. Cette surveillance se renferme dans des mesures de police et de
sûreté publique.
Art. VII - Aucun signe particulier à un culte ne
peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que
ce soit. Aucune inscription ne peut désigner le lieu qui lui est affecté.
Aucune proclamation ni convocation publique ne peut être faite pour y inviter
les citoyens.
Art. VIII - Les communes ou sections de commune en
nom collectif, ne pourront acquérir ni louer de local pour l'exercice des
cultes…
Art. X - Quiconque troublerait par violence les
cérémonies d’un culte quelconque, ou en outragerait les objets, sera puni
suivant la loi du 22 juillet 1791 sur la police correctionnelle…
Enfin, la paix religieuse est totalement retrouvée
avec Bonaparte, alors Premier consul,
qui signe le Concordat avec
le Pape en 1801. Pie VII entérine une mise sous tutelle de l'Église de France.
Déclaration d'un prêtre non-juring (1791)
En janvier 1791 un prêtre non juring a soumis la
déclaration suivante à ses paroissiens, expliquant sa décision de ne pas prêter
le serment de l'Assemblée nationale constituante:
«À la municipalité de la paroisse de Quesques…
Déclaration du curé concernant le serment requis par
l'Assemblée:
Je déclare que ma religion ne me permet pas de
prêter un serment tel que requis par l'Assemblée nationale. Je suis heureux et
je promets même de veiller, du mieux qu'on peut, sur les fidèles de cette
paroisse qui me sont confiés; être fidèle à la nation et au roi; et observer la
Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et sanctionnée par le roi, dans
tout ce qui est de la compétence de son pouvoir, dans tout ce qui lui
appartient, dans l'ordre des affaires purement civiles et politiques.
Mais en ce qui concerne le gouvernement et les lois
de l'Église, je ne reconnais aucun supérieur et autre législateur que le pape
et les évêques. Vous, chrétiens, ne voudriez certainement pas être conduits par
des apostats et des schismatiques, et je le serais si j'avais la lâcheté de
prêter un serment tel que l'Assemblée nationale l'exige, car selon notre foi,
le souverain pontife n'est pas seulement à centre de l'unité catholique et à la
primauté d'honneur dans toute l'Église, mais aussi la primauté de la
juridiction…
En prêtant serment, j'aurais juré de ne plus
reconnaître notre Saint-Père, le pape et chef de l'Église, ni les évêques en
tant que gouverneurs, l'Assemblée nationale souhaitant se faire reconnaître ce
droit. Ma confiance en refusant le serment exigé par l'Assemblée nationale vous
montrera, Chrétiens, que ni la peur d'être poursuivie, ni cet intérêt qu'on
nous reproche souvent d'avoir mal agi ne peuvent me faire trahir ma conscience.
Ce sera un exemple pour tous ceux d'entre vous qui risquent de perdre leurs
biens, leur fortune, voire leur vie si nécessaire, plutôt que d'abandonner leur
foi, leur religion et d'offenser leur Dieu.
Ce sont les sentiments de celui qui a l'honneur d'être votre très humble serviteur.
Avec beaucoup de fraternité
JA Baude
Curé de la paroisse de Quesques et Lottinghem.
Dans un livre à la fois très vivant et d'une érudition sans failles, l'abbé Flament offre les résultats d'une longue et patiente enquête sur le clergé du diocèse normand de Sées. Sur un total de 2.004 prêtres, il a pu reconstituer 1.823 destinées que les événements révolutionnaires et les choix dramatiques qu'ils imposèrent ont profondément troublées et souvent opposées.
Ce travail considérable est présenté d'une manière
sobre et soucieuse d'objectivité, ce qui donne plus de poids encore à cet
inventaire qu'on pourrait légitimement qualifier de martyrologe. Une place
équitable est faite au clergé constitutionnel, victime lui aussi d'une
Révolution qu'il avait pourtant acceptée sans réserves. Ainsi Mgr d'Argentré,
prélat en titre, et son rival l'évêque constitutionnel Le Fessier sont-ils
présentés chacun avec leur entourage. Le premier, maire de la ville jusqu'en
1791, refuse la Constitution civile du clergé et part en exil. Le second, qui
le remplace, doit abdiquer en 1794 et se voit jeté en prison ; libéré, il
deviendra bibliothécaire puis maire de Sées de 1795 à 1802, tout en reprenant
officieusement ses fonctions spirituelles.
La question du serment est exposée avec précision
dans toute sa complexité que ne résume pas le choix - peu normand - entre oui et
non. Les différentes motivations sont mises en évidence, ainsi que l'aspect
fluctuant, dans le temps et dans l'espace, d'une option difficile et souvent
nuancée. S'il y a 53,5% d'insermentés en 1791 pour tout le diocèse, la
proportion est de 61% dans le district de Domfront et de 37% dans celui de L’aigle.
La diversité des destins sacerdotaux est très bien analysée. Parmi les
insermentés, il y a plus de 460 exilés, 226 emprisonnés lors des deux vagues de
persécution dont la seconde, en 1797, se traduit par de multiples déportations.
375 prêtres ont vécu dans la clandestinité, exposés à la vengeance des Bleus et
34 sont morts "martyrs" ; 14 d'entre eux, morts aux Carmes, à Paris,
devaient être béatifiés.
Les assermentés, malgré l'ouverture d'un séminaire
constitutionnel, voient leurs effectifs fondre progressivement : abandons, décès,
rétractations, abdications (734) et mariages (79 au moins) ont durement frappé
ce clergé "jureur". Certains sont entrés dans la clandestinité sous
la persécution, quelques-uns ont été victimes des chouans. Des plaies profondes
et durables ont rendu long et difficile le retour à la paix religieuse. Une
guerre locale larvée séparera longtemps les deux clergés, accrue par les
différences d'appréciation entre Mgr de Boischollet, l'évêque concordataire et
la Préfecture. Ajoutons-y le schisme de la Petite Eglise, générateur d'une
division nouvelle dans un clergé vieilli et souffrant alors d'une grave crise
de recrutement. Comme le souligne P. Chaunu dans une préface justement
louangeuse une telle étude régionale est une contribution discrète mais
essentielle à l'histoire religieuse de la France sous la Révolution.