Depuis le XIIe siècle, la ville de Troyes est en
plein développement politique, culturel, démographique et économique. En effet,
les comtes de Champagne, Henri le Libéral (1152-1181) et ses fils, Henri II
(1181-1197) et Thibaut III (1197-1202) prennent le titre de comtes de Troyes,
consacrant ainsi l’importance qu’ils attachent à la capitale de leur domaine
champenois, où ils font reconstruire leur palais et la collégiale
Saint-Étienne. Sous Henri le Libéral, le bien nommé, la ville prospère :
treize églises sont fondées, autant d’hôpitaux
et l’agglomération s’étend vers l’ouest, débordant son enceinte
primitive. De nombreux canaux irriguent la cité que les foires, favorisées par
le comte, animent et font vivre. Sous son règne et la régence de Marie, son
épouse, la vie littéraire et artistique est brillante : les Champenois
Chrestien de Troyes, Gace Brulé ou Geoffreoy de Villehardouin font la gloire de
la poésie et de la chronique en langue française dans la deuxième moitié du
XIIe siècle.
C’est à la cour de Champagne que Chrestien de
Troyes, à la demande de la comtesse Marie, met en forme romanesque achevée les
personnages légendaires du cycle arthurien, développant les règles de l’amour
courtois.
Au début du XIIIe siècle, Thibaut IV (1202-1253),
surnommé le chansonnier, travaille à l’unification de son domaine où une seule
monnaie, le denier provinois, est frappée à Troyes, Provins et Meaux.
La ville de Troyes prend alors une importance
particulière en devenant le siège d’un organe de justice spécialisée, les jours
de Troyes. D’autre part, toujours vivifiée par les foires qui durent une grande
partie de l’année, elle continue de se développer, rendant ainsi nécessaire
l’extension de son enceinte.[sous le règne de Thibaut IV, vers 1220]. Dans la
seconde moitié du siècle, l’influence capétienne grandira, pour aboutir au
rattachement de la Champagne au domaine royale, qui résultera de l’alliance de
Jeanne de Navarre [Fille du comte Henri III. Le rattachement ne sera définitif qu’en1361] avec
Philippe le Bel. A cette période correspond un déclin progressif de la
prospérité champenoise.
La vie culturelle au XIIIe siècle se nourrit
toujours aux sources de la poésie épique et du roman, mais la noblesse
champenoise apprécie surtout la poésie lyrique, mise à l’honneur par le comte
Thibaut lui-même, poète raffiné et excellent musicien :
« Si fist entre lui et Gace Brulé les plus
belles chansons et les plus délitables et mélodieuses qui oncques fussent ouies
en chanson né en vielle. Et les fist écrire en sa salle à Provins et en celle
de Troyes et son appelées les chansons au roi de Navarre. » [Cf. Les
Grandes Chroniques de France IV - 1838]
Ce « beau XIIIe siècle » est aussi
celui de la prospérité religieuse : les évêques sont de grands seigneurs
et la personnalité de Garnier de Trainel, de Hervé ou plus tard celle d’un
pape d’origine troyenne, Urbain IV, témoignent du dynamisme du haut clergé
troyen. C’est alors que s’élèveront de grands édifices, comme la cathédrale
elle-même, la collégiale Saint-Urbain, la nef et le transept de l’église de la
Madeleine, la nef de Saint-Jean-au-Marché [nef qui fut augmentée et modifiée au
XVe s., puis partiellement reconstruite après le grand incendie de 1524.] La
Champagne est un terrain d’intense création artistique et deux édifices sont
les témoins du talent et des capacités d’innovation des maîtres d’œuvre et des
peintres sur verre troyens : la cathédrale Saint-Pierre - Saint-Paul et la
collégiale Saint Urbain IV.
LA CATHÉDRALE
La date du début de la reconstruction de la
cathédrale, édifiée par l’évêque Milon au Xe siècle, varie suivant les auteurs,
qui l’attribuent tantôt à l’épiscopat de Garnier de Trainel, vers 1200 ;
tantôt à celui d’Hervé en 1208 [date d’acquisition d’un four sur le terrain de
la future chapelle de la Vierge]. En 1215 en tout cas, le chantier bat son
plein et, à la mort d’Hervé en 1223, les chapelles rayonnantes et une grande
partie du chœur sont achevées.
En 1228, malheureusement, un ouragan dévaste les
parties hautes du chœur dont la reconstruction s‘achève vers le milieu du
siècle. Entre 1240 et 1250, les fenêtres hautes reçoivent leurs verrières. La
construction du transept et d’une partie de la nef se poursuit à la fin du
XIIIe siècle et au XIVe siècle. Mais après la longue interruption des temps
difficiles de la guerre de Cent Ans, la nef ne sera terminée qu’à la fin du XVe
s., la façade occidentale au XVIe s. et la tour au XVIIe siècle.
Bien que la notoriété publique ne la place pas parmi
les « grandes » cathédrales gothiques, la cathédrale de Troyes se
distingue par le caractère monumental de son plan à doubles bas-côtés qui
s’achève par un vaste déambulatoire à chapelles rayonnantes, alliant ainsi deux
types de plan différents dont l’articulation se fait au nord par une chapelle
biaise.
L’élévation du chœur est intéressante elle aussi,
car elle est entièrement ajourée. Entre les grandes arcades et les fenêtres
hautes, le triforium est percé vers l’extérieur de baies garnies de vitraux qui
participent à l’éclairement maximal du chœur. Ce triforium ajouré est sans
doute parmi les premiers exemples connus avec celui de la basilique de
Saint-Denis. En tout cas, l’élévation intérieure du chœur de Troyes est un
exemple parfait de la première phase du gothique rayonnant, parfois appelé
« style de cour » (robert Branner), par référence aux grandes
constructions d’Ile-de-France.
Novatrice peut-être, la cathédrale de Troyes
manifeste sûrement la perfection d’un art parvenu à son apogée, qui a pour
principe l’évidement maximal du mur pour laisser passer la lumière enseignante
du vitrail.
Les vitraux du chœur de la cathédrale constituent un
ensemble intéressant, réalisé entre le tout début du XIIIe siècle pour les
baies des chapelles rayonnantes et le milieu du siècle pour les fenêtres
hautes : les plus anciens sont de larges bordures à motifs végétaux qui
dateraient de 1200 et pourraient avoir été remployées d’un édifice antérieur
(chapelle du Sacré-Cœur).
Vient ensuite, toujours dans les chapelles, une
belle série de verrières des années 1215-1225, consacrées au Miracle
et au Martyre de Saint André (chapelle Saint-Joseph), à la Vie
de la Vierge et à l’Enfance de Jésus ou à la Vie
publique du Christ (chapelle de la Vierge), dont la composition a été
rapprochée de celle des vitraux de Laon, Soissons ou Saint Quentin (J. Lafond).
Ces vitraux ont été malheureusement très restaurés
au XIXe s. et, au cours des démontages, certains panneaux ont disparu, que l’on
retrouve aujourd’hui dans des collections particulières ou des musées, comme
les panneaux de la Tentation du Christ au Victoria and Albert’s Museum de
Londres.
ci-dessous deux panneaux de la Tentation du Christ
Les fenêtres hautes du chœur, qui sont garnies de
vitraux des années 1240-1250, présentent une iconographie conventionnelle et
originale à la fois : conventionnelle dans les fenêtres axiales où, de
part et d’autre de la Passion du christ, se développent les thèmes de la Vie
de la Vierge et de Saint jean l’Évangéliste, ou bien
dans le triforium où sont représenté les Prophètes et les Apôtres. Plus
originales sont les baies latérales où les thèmes sont plus spécifiques à la
cathédrale de Troyes, à l’histoire de sa construction et à ses Saints Patrons :
on y trouve en effet l’histoire très particulière de la Translation des reliques de Constantinople,
rappelant que l’évêque Garnier de Trainel, lors du sac de la ville, avait
réservé les plus insignes reliques à son église cathédrale, ou encore la Hiérarchie
du Monde, où sont figurés les grands personnages du temps, l’empereur
Henri Ier, le pape Innocent III et enfin l’évêque Hervé accueillant
son métropolitain, Pierre de Corbeil, archevêque de Sens.
L’un des vitraux les plus curieux de la cathédrale, dans une baie haute du chômeur, côté nord, la Hiérarchie civile et ecclésiastique du Monde, où sont figurés les grands personnages du temps, dont l’empereur Henri 1er, le pape Innocent III et enfin l’évêque Hervé de Troyes, accueillant l’archevêque de Sens.
Dans leur traitement, ces vitraux sont considérés
comme plus conventionnels que dans leur iconographie : si les coloris sont
vifs et chauds, les personnages sont un peu hiératiques et ne manifestent pas
les tendances nouvelles de ce milieu du XIIIe qui vont vers l’assouplissement
des formes et des drapés, tels qu’on les trouvera à la collégiale Saint-Urbain
IV.
Voir : 2ème partie