Il est assez
curieux de constater que les historiens locaux ne paraissent pas s’être
particulièrement intéressés aux anciennes caves, pourtant nombreuses, et
aux galeries souterraines que l’on peut encore déceler actuellement,
et qui, autrefois, sillonnaient Troyes en tous sens. Et pourtant quel
intérêt serait celui d’une étude qui se proposerait non seulement de décrire
ces caves et souterrains si différents les uns des autres, mais, encore de
s’intéresser à la date de leur édification, à leur raison d’être, à leurs
utilisations successives, à leurs rapports communs…
Mon intention n’est pas
d’écrire un historique complet sur ce sujet, car bien des souterrains,
caves et caveaux sont déjà comblés. Mais il faut savoir que notre vieille cité,
et spécialement le quartier haut, était jadis abondamment pourvue de
caves et de souterrains. Malheureusement, des éboulements provoqués par la
vétusté, des comblements nécessités par la sécurité publique, l’établissement
des conduites d’eau, de gaz, d’électricité, de tout-à-l’égout, toutes les
canalisations indispensables à la vie d’une agglomération moderne en ont changé
la donne.
En
1580, le Conseil défend qu’il soit construit des « cavons »,
sans la visite du « voyeur ». On se plaint alors de ce que l’on
creuse des « cavons », sous les rues et places publiques, sans
les consolider par des voûtes, ce qui peut causer de grands préjudices.
En
1634, les maisons brûlées en 1524 et en 1530, ne sont pas toutes reconstruites
et le comblement des caves est ordonné jusqu’au niveau des rues.
Les
environs de l’église Sainte-Madeleine devaient être pourvus de galeries d’une
certaine importance, en considérant les vestiges découverts à la suite de
graves accidents.
Le 30 septembre 1860,
la maison de Mme Veuve Thibézard, construite en face l’église, à
l’angle des rues du Bois (rue Général de Gaulle et de la
Madeleine), s’écroulait au cours des travaux de pavage. M. Socard,
rédacteur de « L’Aube », écrit le 30 septembre et le 1er octobre 1860 :
« Une épouvantable catastrophe qui
heureusement, hâtons-nous de le dire, n’a pas fait de victimes, a jeté
hier l’alarme dans la ville de Troyes. Tous les habitants jouissaient sur la
promenade des derniers beaux jours si rares cette année et des loisirs que nous
permet le dimanche, lorsque vers 5 h ½ du soir, le tocsin sonnant à la
Madeleine apprenait à tous qu’un sinistre venait de se déclarer. On
courait de toutes parts et dans toutes les directions, dans la pensée qu’un feu
s’était manifesté au quartier haut, et personne ne voyait la lueur ou la fumée
de quelque incendie. Voici ce qui avait eu lieu : une maison de
pierre située rue de la Madeleine d’un côté et rue du Bois de
l’autre, s’était écroulée subitement. Par bonheur, un craquement qui
s’était fait entendre, dit-on, la nuit précédente, avait averti les habitants
du danger qu’ils couraient. En effet, une lézarde prononcée régnait depuis
le bas de la porte d’entrée jusqu’au toit, d’autres écartements plus latents
indiquèrent bientôt qu’il était prudent de fuir. Dès lors, les objets les plus
précieux furent déménagés et à 5 heures 15, on procédait encore au sauvetage de
quelques meubles. Un quart d’heure plus tard, la cheminée principale
s’enfonça perpendiculairement comme un décor de théâtre qui donne un
changement à vue. Ce fut ce qui détermina l’écroulement général. Tout à
coup, un pan de mur qui donnait sur la rue de la Madeleine s’abattit sur la
fenêtre de l’église qui éclaire les fonts baptismaux. Quelques instants après,
le pan de mur de la rue du Bois tomba à son tour et il ne resta debout que
le côté donnant sur une petite cour intérieure. Alors apparut
un spectacle affreux de ruines que l’œil ne contemple pas souvent…
Des meubles, des rideaux, une poutre, des lambris, des placards, des pans de
bois entiers, une couchette notamment se voyaient suspendus pour ainsi dire dans l’espace ou
renversés sur des planchers
inclinés. C’était une belle horreur que la curiosité pouvait contempler,
rassurée qu’elle était qu’aucune victime n’était à déplorer. Il parait
que la cause de la catastrophe vient de l’infiltration des eaux de la
rue qui, pendant plusieurs jours employées au pavage de la rue du Bois et
à l’établissement des trottoirs, avaient été détournées du côté de cette maison
et en avait ruiné les fondations ».
Telle est l’origine
d’un procès intenté par la propriétaire contre la ville de Troyes, et qui
se terminera seulement le 8 janvier 1864, par un arrêt du Conseil de la
Préfecture fixant à 10.166,56 F l’indemnité à payer par la ville de Troyes à
ladite dame Thibézard.
Le 15 avril 1861, les travaux entrepris pour les fondations du mur de séparation des immeubles contigus Thibézard et Forgeot, mettent à découvert l’entrée et l’escalier des caveaux dont les marches sont taillées « dans la terre jaune ». Le mur de façade, a-t-on constaté alors, s’enfonce verticalement dans l’écroulement et les fouilles révèlent des « caveaux situés à plus de 6 mètres de profondeur, dont l’existence était jusqu’alors insoupçonnée. Il s’agit d’une ancienne construction ogivale, paraissant remonter aux XIIe ou XIIIe siècles et faisant peut-être partie d’un système de défense souterrain. Ces caveaux suivent les rues du Bois et de la Madeleine, en coupant sous l’angle de la maison Thibézard »
En
avril 1868, sous l’Hôtel Marisy, 4 caveaux, à 9 m 50 de profondeur, se
dirigent vers 4 directions. La taille de la pierre et le mode d’appareil
indiquent que ce sont des ouvrages des XIVe et XVe siècles.
En
1922, lors d’installation des égouts près du collège Urbain IV, sont
découverts la présence d’au moins 20 souterrains.
En mai
1926, un effondrement des travaux d’égouts se produit en face le
portail de l’église Sainte-Madeleine, causé, lui aussi
par d’anciennes galeries communiquant avec l’édifice. En effet,
« sous le jubé, on trouve 2 souterrains gallo-romains (une
amphore intacte gisait à cet endroit), voûtés, allant dans le sens de la
longueur de l’édifice, possédant 3 étages, sur une profondeur de 9
mètres ».
Troyes, pour assurer sa
sécurité, dut vivre à l’abri de son imposante ceinture de fortifications. Mais,
l’espace y était mesuré, et de plus en plus, au fur et à mesure de l’expansion
de la cité. La place qu’on ne pouvait plus obtenir en largeur, on la
prenait en profondeur, sous forme de caves et de caveaux occupant non
seulement le sous-sol de l’immeuble, mais encore, en s’agrandissant sous la rue
elle-même.
Albert
Babeau, notre célèbre historien, révèle l’existence d’un long souterrain
sous la rue de la Monnaie, aboutissant à la porte du Beffroi, qui fournissait
« une issue discrète et sûre aux habitants notables auxquels était
confiée la garde de la cité ». Il pense d’ailleurs que des travaux
identiques ont été entrepris sous les rues de la Trinité, Emile Zola,
Brunneval, des Quinze-Vingt, place Audiffred, place Jean-Jaurès. Sous la pharmacie
sur cette place, il y avait 3 hauteurs de caves, couvertes de larges et
hautes voûtes cintrées et bien appareillées de craie et dans la dernière, on
voyait le souterrain muré.
Bien entendu, en plein cœur de Troyes, occupé par nos Foires universellement renommées, entre la rue de l’Orfèvrerie (rue Mignard) et le Marché aux Herbes (place du Marché-au-Pain), la ruelle de la Poissonnerie ne mesurait guère que 5 mètres de largeur. La place que l’on ne pouvait obtenir en largeur, on la prenait en profondeur, en creusant des sous-sols. Les architectes n’hésitaient pas à accroitre la superficie des caves, en avançant celles-ci sous le sol des rues.
Les caves anciennes ont connu les usages les plus divers. On les voit tour à tour servir de logement, de magasin à marchandises et aussi d’atelier de travail : l’atmosphère des caves était en effet très favorable aux travaux de tissage et des ateliers souterrains, où vers 1650, la tisseranderie comptait jusqu’à 1.600 métiers. Nos sous-sols servaient aussi de réserves à vivres.
Les caves de la rue de la Monnaie et des voies
adjacentes, ont été plus spécialement réservées autrefois au logement des
toiles qui représentaient alors une des plus importantes industries de
Troyes et qu’il fallait placer dans ces locaux frais et humides, pendant les 6
mois que duraient les Foires de Champagne.
L’Hôtel de l’élection (rue de la Monnaie) et l’Hôtel des Ursins possèdent l’un et l’autre un bel escalier de 30 marches. Les matériaux employés pour les voûtes sont la craie et les briques. Ch. Fichot, célèbre lithographe écrivait en 1840 : « Le sous-sol du vieux Troyes est farci de mystères. Chaque coup de pioche y met à jour un souvenir. La moindre pelletée de décombres en amène une épave ». Un grand nombre de maisons possédait leurs propres puits, et plusieurs caves sont dotées d’imposants massifs de maçonnerie cylindriques, dont quelques exemples existent encore (Bar Le Tricasse). Des passages reliaient entre elles les anciennes caves qui, dans leur ensemble, se rattachaient également à des collecteurs desservant les points principaux de la cité. Il se formait ainsi une série de ramifications secondaires aboutissant à un réseau principal, au même titre que les ruelles et rues débouchent tout naturellement sur les places et les boulevards de nos agglomérations.
Une nouvelle arme, l’artillerie, faisait craindre le démantèlement des fortifications, tenues jusqu’alors comme pratiquement imprenables. On comprend mieux le rôle primordial qui pouvait être dévolu aux souterrains sillonnant le sol troyen, et dont l’exécution témoigne d’un soin et d’un « métier » qui font toujours l’admiration des hommes de l’art. Grâce à eux, les populations pouvaient, tout d’abord, trouver un refuge et attendre la fin des troubles. Elles pouvaient aussi vivre provisoirement à l’abri du danger grâce aux précautions prises à l’avance. Il leur était possible également, ainsi qu’aux gens d’armes, et dans les meilleurs conditions de rapidité, de sécurité et de discrétion de se porter au secours. Enfin, dans les cas désespérés, le système de galeries constituait une retraite sûre et permettait de couper court à toute poursuite, grâce au verrouillage des portes solides placées en de nombreux endroits des souterrains. Mais, des affaissements de la chaussée ne tardèrent pas à compromettre la solidité de certains édifices, et des règlements interdirent la construction de nouvelles caves ou galeries sous la voie publique, puis exigèrent bientôt le comblement de celles existantes. Une ordonnance de 1774 est formelle : « Il est ordonné à tous propriétaires de caves actuellement existantes et construites sous les rues de cette ville, de les faire démolir et combler, à peine d’amende, de dommages et intérêts envers ceux qui pourront souffrir de l’écroulement desdites caves… ».
Il est intéressant de constater qu’au cours des journées troublées provoquées par la tension internationale et qui ont précédé la signature des accords de Munich de 1938, de nombreuses caves avaient été repérés par les services compétents et retenues comme refuges éventuels contre les bombardements aériens. Elles étaient signalées à l’attention du public par de petits panneaux de bois rectangulaires portant la mention en lettres noires, au pochoir : « Commission urbaine de défense passive … places ».
Vous pouvez voir quelques
caves intéressantes, au Cellier saint Pierre place Saint-Pierre (face à la
cathédrale) ; les chanoines allaient à la cathédrale en passant sous la
place. Rue de la Monnaie, sous les anciens magasins Franco-Belge. Rue de la
Corne de Cerf où j’avais une maison avec 2 caves faites en briques, la deuxième
ayant une porte murée qui devait rejoindre l’église de la Madeleine.
Il
semble que bien des aspects essentiels du « Troyes souterrain »
risquent de conserver jalousement leur secret.