ÉTUDES
THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES
LA
RENAISSANCE DISSIDENTE
L’étude des courants de
la théologie par l’art de la Renaissance nous montre la vigueur et
l’originalité des messages dissidents du XVe et du XVIe siècle. Herbert
Stein-Schneider brosse ici une large fresque de l’époque et de sa spiritualité
dissidente, héritée du Moyen Age. Cette présentation servira d’introduction à
son analyse hérésiologique du Retable d’Issenheim.
Il est fort regrettable
que si peu de théologiens soient aussi historiens de l’art. Il est tout aussi
regrettable que si peu d’historiens de l’art soient aussi théologiens. Mais il
est plus regrettable encore que si peu de théologiens et d’historiens de l’art
aient utilisé, dans leur analyse des œuvres d’art du XVe et du XVIe siècle, la
science de l’hérésiologie, qui est l’étude de la dissidence religieuse du Moyen
Age et de la Renaissance.
Car cette époque était
dominée, plus qu’aucune autre de notre histoire de l’art, par des questions
théologiques, par des problèmes religieux et par des dissidences spirituelles.
Le monde de cette époque s’exprimait essentiellement en termes théologiques,
mais il n’était pas toujours d’accord avec la manière dont l’Eglise administrait
un monde de plus en plus ouvert aux idées réformatrices. Il est vrai que
relative¬ ment peu de documents de ces dissidences nous sont parvenus. Mais une
des preuves les plus sûres de leur impact considérable reste le travail acharné
de l’Inquisition, qui cherchait à anéantir, systématique¬ ment, les documents
dissidents en même temps que leurs auteurs.
Toutefois, vers la fin
du XVe siècle, l’efficacité de l'Inquisition diminue. Les délations qui lui
fournissent ses victimes se font moins nombreuses. Ses activités ne sont plus
soutenues par toutes les couches de la population. Les municipalités se voient
menacées par l’élimination de leur élite intellectuelle et commerciale. La
population des Flandres, où l’Inquisition est arrivée seulement dans les fourgons
des Habsbourg en 1477, y voit une machination politique d’un occupant mal venu.
Un peu partout aussi l’opposition, pendant longtemps clandestine et souterraine,
relève la tête. Les grandes revendications, présentées par des prédicateurs qui
demandent une réforme, se répandent rapidement grâce à l’imprimerie bon marché.
Le sort, souvent tragique, de ces hommes qui représentent la conscience
collective, est suivi et discuté âprement partout en Europe. Savonarole est, parmi
eux, le plus connu. La mort mystérieuse du jeune Pic de La Mirandole, sauvé du
bûcher seulement par une intervention des Medici, ne demeure pas inaperçue.
Quand Martin Luther
rompt avec l’Eglise en 1520, en brûlant la bulle qui énumère ses erreurs, les
vagues de la dissidence, si longtemps retenues, déferlent. Les couvents se
vident, des villes entières se joignent à la Réforme. Il ne s’agit pas, ici,
d’une conversion subite et soudaine. L’opposition gronde depuis fort longtemps.
La résistance courageuse de Luther et l’appui que lui accordent les princes
sont seulement l’étincelle qui met le feu aux poudres. La Révolte des Paysans
de 1525, que Luther désavoue pour des raisons politiques, force la main à de
nombreux dissidents. Leur prise de position contre les seigneurs
ecclésiastiques devient un signe distinctif de leur révolte contre une Eglise
établie impliquée dans la vie politique. Le peintre Grünewald est un de ceux
qui prennent parti contre l’Eglise de Rome.
L’exemple
florentin
La ville de Florence a
montré la route de la dissidence organisée depuis bien longtemps déjà. En fait,
depuis la Révolte des Patarins en 1073. Mais la Renaissance, avec sa glasnost
de la pensée et de la réflexion théologique, en fait le centre le plus
important d’Europe. Ficino, le grand ami de Lorenzo de Medici, découvre Platon
et cherche la congruence entre la pensée du grand Athénien et celle du grand
Galiléen. Ses ennemis sont les conservateurs, dont fait partie la propre femme
de Lorenzo, qui est une Orsini de Rome. Elle y voit une conjuration païenne.
Pic de La Mirandole investit les millions gagnés par la Condotta dans la
recherche théologique. Savonarole, en sa révolte spiritualiste, prêche la
destruction des richesses trop visibles, des jeux et des instruments de musique,
la fin de la pollution de l’Eglise et un gouvernement démocratique pour la
ville de Florence.