vendredi 15 novembre 2024

La pharmacie à Troyes

 

Le médecin Andromaque surveille le travail de ses ouvriers, cueillant les éléments
pour la thériaque. Enluminure extraite de Kitāb al-Diryāq (Traité de la thériaque)
du Pseudo-Galien (1199). Manuscrit arabe n°2964


Le plus ancien document sur les apothicaires Troyens date de 1248. Jusqu’à ce jour, le seul document plus ancien existant, a été découvert sur le même sujet en France en 1207, à Perpignan.

Ce document de 1248 nous apprend que sous le règne du comte Thibault IV le chansonnier, régnant sur la Champagne et la Navarre, il y avait à Troyes, sa capitale, un apothicaire sous la dépendance d’un couvent apothicaire, apothicaire qui exerçait en même temps le commerce d’épicerie.

Le 24 décembre 1431, Pierre Le Tartier, lieutenant-général du Baillage de Troyes, rédige une ordonnance réglant la fabrication et la vente des matières pharmaceutiques, des bougies et torches de cire. 

C’est le seul document qui ait été pris à Troyes jusqu’à ce jour. L’ordonnance s’adresse aux « apothicaires, espiciers et ouvriers de cire », mais aucun des articles ne concerne l’épicerie proprement dite. Il semble donc qu’à Troyes, dès 1431, le commerce des drogues et l’épicerie simple soient différenciés, la fabrication et la vente des ouvrages de cire soient plus ou moins distinctes. La vente des drogues doit être faite par des gens « prudents, honnêtes et savants. Aussi l’apothicaire ne sera reçu que s’il est reconnu capable et ne pourra exercer son art qu’après avoir prêté serment. Pour cette même raison, les employés clercs ou varlets devront savoir lire, écrire, entendre le latin et prêter serment ». L’apothicaire doit récolter lui-même toutes les herbes, racines, fleurs et semences qui poussent dans la campagne environnante et les renouveler tous les ans. Il doit les étiqueter et mentionner la date de la récolte. Le règlement spécifie que les sirops doivent être faits de bon sucre et de bon miel. Les poudres employées doivent être fines et obtenues à partir de drogues « d’espèces convenables »… Toutes drogues en mauvais état doivent être jetées et l’apothicaire n’a pas, sous quelque prétexte que ce soit, le droit de les employer ou de les vendre. Des amendes sont prévues pour punir toutes infractions à cette règle. Toutes les médecines que l’apothicaire peut avoir à préparer, en dehors des préparations magistrales doivent l’être « selon les règles données par Maître Nicolas ». Il s’agit évidemment de l’auteur de « l’Antidotaire », dont l’ouvrage a été le « Codex » du Moyen Age.


L’apothicaire ne peut délivrer de médicaments que sur l’ordonnance écrite des médecins. Il doit vérifier que le praticien qui a rédigé cette ordonnance est « sage et expert », qu’il n’y a pas d’erreur dans la prescription. Dans l’affirmative il retournera l’ordonnance au médecin qui l’a rédigée, ou à un autre, « expert et sage en ladite science ». L’ordonnance doit être scrupuleusement et consciencieusement exécutée : le respect des doses et de la nature des drogues est également recommandé, « en aucun cas le quiproquo n’est admis ». L’apothicaire n’a pas le droit de renouveler une ordonnance « sans licence du médecin ». Il ne peut non plus l’exécuter de son propre chef pour un autre malade. Il n’a d’ailleurs, en aucun cas, le droit de donner de sa « propre autorité aucune médecine ». Enfin, maîtres et employés ne doivent donner de poison « sans licence de justice ou d’aucun sage et expert médecin ». Ces poisons doivent être enfermés, hors de la portée du public et même de la famille de l’apothicaire. Le règlement se termine par l’établissement de l’inspection des boutiques d’apothicaires. 4 inspecteurs seront élus chaque année et 3 d’entre eux assisteront obligatoirement aux visites. Ils auront pour salaire la moitié des amandes infligées aux délinquants, et ne devront faire montre d’aucune complaisance pour leurs confrères sous peine d’être punis eux-mêmes.

Ces statuts de 1431 sont en bien des points, d’accord avec les décrets qui règlent l’exercice de la pharmacie actuelle.

Moyse Charas (1619-1698)


La corporation des apothicaires de Troyes était organisée sur le type classique des corporations de l’Ancien Régime avec les 3 étapes qui permettaient d’y accéder : l’apprentissage, le compagnonnage et le brevet de maîtrise. L’apprentissage : il y a une double origine à ces jeunes apprentis : d’abord les fils de maîtres apothicaires, et puis les autres, qui sont fils de médecins, de bourgeois, mais le plus souvent les enfants de maîtres d’autres  corporations : épiciers simples, merciers, vinaigriers, fripiers… Les statuts mentionnent que les apprentis doivent être « de bonne vie et de parentage honorable. Les maîtres doivent les entretenir dans la crainte de Dieu, leur montrer la grandeur de la profession qu’ils ont choisie, les responsabilités qui leur incombent et les risques qu’ils encourent en n’exerçant pas loyalement et fidèlement leur état ». Ils auront un examen préalable de latin, qui leur permettra la lecture et la compréhension des ordonnances et des livres dans lesquels ils s’instruiront. La durée de l’apprentissage est de 4 ans à Troyes. L’apprentissage terminé, le jeune compagnon peut continuer ses études chez le même maître ou chez un autre apothicaire. Après environ 5 années de compagnonnage, le jeune aspirant, pourvu d’un parrain, va affirmer sa maîtrise. Le conducteur demande à ses confrères d’examiner les certificats du candidat, témoignant qu’il a « bien et dument fait et parfait son apprentissage en la ville de Troyes, et encore servi dans les boutiques de plusieurs maîtres du Royaume dans l’exercice dudit art », puis on « assigne » à l’aspirant un jour pour être examiné par les maîtres apothicaires, en présence d’un médecin. On lui présente « différentes drogues et simples » qu’il doit « nommer à première vue » et dont il doit savoir l’usage. Cet examen terminé, on indique à l’aspirant le chef-d’œuvre qu’il doit effectuer au cours d’un second examen, 4 à 5 jours plus tard, à la boutique du garde-juré. Si l’aspirant a satisfait à toutes les épreuves, il est conduit devant le bailli pour prêter serment. Vers 1750, la difficulté des examens s’accroit, la pharmacie chimique s’étant imposée en thérapeutique, va désormais figurer dans les examens concurremment avec les antiques recettes. N’oublions pas que certains apothicaires sont aussi épiciers et même ciriers. Les lettres de maîtrises remontent à Louis XI.

Comment était organisé, dans l’hôpital, le service de la pharmacie ? A l’époque de Louis XIII, l’hôpital avait 2 pharmaciens. Avant, ce sont les religieuses qui assuraient ce service. En 1796, on supprime cette charge en raison du trafic des remèdes que fait le pharmacien-chef, et qu’en plus, il a indûment touché de l’argent, et nourri sa famille aux frais de l’Hôtel-Dieu. Les pharmaciens de l’Hôtel Dieu étaient chargés en plus du service de cet hôpital,  des autres hôpitaux de la ville.

L’Hôtel-Dieu était aussi chargé de la distribution des boîtes de médicaments. Ces boîtes étaient, depuis 1721, envoyées régulièrement, sur l’ordre du roi. Elles étaient destinées aux malades pauvres des campagnes, pour pallier au défaut d’hôpital dans ces localités. Mais il y avait des médicaments de toute sorte, dont quelques-uns étaient dangereux et pouvaient être mal employés par erreur ou incompréhension, la plupart des malades ne sachant pas lire. D’autre part, la répartition était faite, non par des médecins, mais par des personnes charitables, et les remèdes n’étaient pas toujours ceux qui convenaient au malade. En 1787, les médecins de Troyes se plaignirent de ces distributions faites sans discernement et du petit nombre des boites envoyées annuellement par la Cour.


La pharmacie civile et la pharmacie hospitalière à Troyes furent longtemps en conflit. Un procès mit aux prises la Communauté avec les Administrateurs de l’Hôtel-Dieu (condamnés à 1.000 livres d’amende, en 1759), à propos de la vente de médicaments que l’Hôpital se permettait fort souvent. En 1777, le Roi fait une déclaration à Versailles, interdisant aux communautés religieuses et aux épiciers la vente des médicaments.

Lors des Etats Généraux de 1789, la corporation troyenne comprenait 4 maîtres dont Edme Gentil et son fils François, qui ont signé le cahier de leurs revendications. Parmi les principales revendications, les apothicaires demandent l’exclusivité de la vente des médicaments et protestent une fois de plus, contre les hôpitaux et les communautés religieuses avec lesquels ils ont eu si souvent maille à partir.

 « Charlatans » : les empiriques, marchands d’orviétan, opérateurs de toutes sortes étaient très nombreux à Troyes où l’affluence des foires les attirait. Leur venue n’allait pas sans jeter le trouble dans le commerce local honnête des drogues.   

 

Diplôme de pharmacien - 1819



Lignée d’apothicaires à Troyes : les Sorels, les Bourgeois et les Gentil.

La famille d’une vieille amie comptant environ dix générations d’apothicaires et pharmaciens (ses arrières-arrières-grands-pères, grands-pères, oncle, père, une de ses filles, une de ses petites filles), voici la lignée de sa famille : les Gentil.

Les plus anciens sont : Pierre Gentil, marié en 1596, ayant eu 8 enfants, dont 1 médecin, 1 chirurgien et un François Gentil apothicaire comme son père, né en 1609. Ce dernier, marié en 1634 et en deuxième noces en 1647, eut 9 enfants.

L’aîné Pierre, né en 1635 (décédé en 1697), continue le métier paternel. Marié en 1661, il a eu au moins 7 enfants.

En 1692, il fait partie de la Communauté des apothicaires.

L’aîné de ses enfants, prénommé aussi Pierre succède à son père. Marié en 1694, il a 12 enfants de 1695 à 1716. Antoine devint chirurgien et l’aîné Pierre devint apothicaire à l’Hôtel-Dieu. Le plus jeune Edme, né en 1709, prend la succession de son père. Marié en 1738, il eut 7 enfants.

Son fils François-Edme, né en 1740, fut reçu apothicaire en 1768, et est encore sur la liste des pharmaciens en 1821.

Il y a également d’autres Gentil, apparentés à la lignée précédente : Pierre Gentil, apothicaire de la paroisse de Saint-Nicolas, qui doit être distingué du Pierre Gentil, apothicaire de la paroisse de Saint-Nizier, qui eut un fils François qui épousa la fille de l’apothicaire Pierre Devilliers en 1684, et eut 8 enfants.

Il y a aussi un autre François Gentil apothicaire, marié à Marie-Charles Bourgeois en 1715 et un Claude Gentil apothicaire, marié vers 1728, à Magdeleine de Pains, fille de Jehan de Pains, également apothicaire.

Troyes tient une place exceptionnelle dans la littérature française du Moyen Age, ayant vu naître plusieurs auteurs de premier plan : au XIIe siècle, Chrétien de Troyes, le chansonnier Thibault IV de Champagne, les chroniqueurs Geoffroy de Villehardouin et Jean de Joinville. Un peu moins connus sont Huon de Méry et Bertrand de Bar-sur-Aube qui contribuèrent aux premières chansons de gestes. A tous ces grands noms de la littérature moyenâgeuse, il faut adjoindre l’auteur anonyme de Renart le Contrefait. En effet, ce dernier est un apothicaire troyen. Les comtes de Renart étaient alors très populaires. Il y a aussi Claude Bourgeois, apothicaire troyen du XVIIe siècle, qui a publié un éloge de l’alkermès. .

La chronique troyenne a retenu les noms de deux apothicaires du XVIe siècle, en raison de la singularité des événements auxquels ils ont été mêlés.

Jean Moussey et le grand incendie de Troyes de 1524, qui aurait été alimenté par « comble de poix, de soufre, d’huile de pavot et de plusieurs autres semblables matières faciles à s’enflammer », entreposés dans sa boutique d’apothicaire.

Au mois d’août 1561, devant l’Hôtel de Ville, il y a la Belle-Croix qui a la réputation de faire des miracles.

Pendant 3 semaines,  elle se met à changer de couleur, tantôt elle devient « rouge comme le feu, tantôt elle est blanche comme la neige, ou bien bleue ou verte… ».

Il y a de nombreuses guérisons et beaucoup de présents se convertissent à l’église catholique. Il y a un apothicaire nommé Gaulard qui habite sur la place de la Belle-Croix. Il émet des doutes sur la sincérité des miracles et pousse l’impudence jusqu’à placer devant sa boutique « l’anatomie d’un chat », en insinuant que le chat pourrait aussi bien être la cause des miracles. Le peuple indigné se précipite dans la maison de l’apothicaire, brise les vitres, rompt les fenêtres et met tout à sac. L’apothicaire s’étant caché est demeuré indemne. 

 





L’Apothicairerie de Troyes



Au cœur de Troyes, dans les murs de l’Hôtel-Dieu-le-Comte fondé au XIIe siècle, est conservée l’une des plus remarquables apothicaireries de France. Restée presque inchangée depuis le XVIIIe siècle, elle demeure aujourd’hui l’un des rares témoignages de l’art de la pharmacie d’antan.

L’apothicairerie est aménagée vers 1725. Les sœurs religieuses et apothicaires y entraient pour prendre les ingrédients nécessaires à la fabrication des remèdes qu’ils préparaient dans le laboratoire contigu pour les malades de l’hôpital.

Les murs de près de 5 m de hauteur de cette vaste pièce sont couverts de boiseries en chêne foncé, de style Louis XIV. La monumentale échelle roulante permettait d’accéder aux étagères les plus hautes.

 Sur ces étagères sont disposées près de 250 céramiques dont la majeure partie, blanche à décor bleu, date du XVIIIe siècle et provient probablement de Nevers. Les céramiques aux décors colorés, géométriques ou végétaux sont, pour la plupart, des productions lyonnaises du XVIe siècle.

 La collection de 319 boîtes en bois peintes, réalisée spécifiquement pour s’intégrer dans le lieu, est unique en France. Chacune des boîtes rectangulaires porte le nom du produit contenu, accompagné d’une illustration à l’intérieur d’un cartouche. La plupart de ces illustrations proviennent du livre de Pierre Pomet, Histoire générale des drogues, publié en 1694-95.

De grands mortiers, une grande fontaine en étain ainsi qu’un majestueux vase qui contenait de la Thériaque, remède mythique à base de vipère et d’opium, longtemps considéré comme la « panacée universelle », complètent ce décor grandiose.

Transformée en musée en 1976, l’Apothicairerie a fait l’objet de plusieurs classements au titre des Monuments historiques, notamment pour ses collections de boîtes en bois et de faïences.

À travers sa présentation renouvelée, elle redonne vie à l’histoire des apothicaires et explique leur rôle dans la ville et son hôpital au siècle des Lumières.

Des tablettes numériques permettent d’explorer ingrédients et recettes anciennes à base de corne de licorne ou de pierres précieuses. Les enfants pourront également y suivre sœur Violette, pour passer leur diplôme d’apothicaire et libérer le fantôme qui hante ces lieux !

 La pièce adjacente à la grande salle de l'Apothicairerie est l’ancien laboratoire de l’Hôtel-Dieu, où les sœurs religieuses et l’apothicaire préparaient les remèdes pour les malades.

 Il est aménagé au cours du XVIIIe siècle, vraisemblablement un peu après la grande salle de l’Apothicairerie puisque, à l’origine, se trouvait dans cette salle un grand escalier qui menait aux étages. On peut y admirer une très belle voûte d’ogives, qui retombent sur un gros pilier central.

Un traité du XVIIIe siècle entre les administrateurs et l’apothicaire de l’Hôtel-Dieu ainsi que divers inventaires anciens donnent une image assez précise de ce laboratoire qui était équipé de divers fourneaux et d’un tournebroche. Des récipients en cuivre, un petit alambic, des balances, plusieurs grands mortiers, des seringues d’étain, des pots à clystère occupaient les placards et rayonnages qui garnissaient les murs. Dans l’arrière-boutique se trouvait également une grande presse en bois.

 

A Troyes, le jardin de l'Apothicaire est installé au cœur de l'Hôtel-Dieu-le-Comte. Ce jardin de taille modeste s'inspire des alignements typiques du jardin médicinal médiéval. Le visiteur découvre dans le dédale des parterres de nombreuses plantes anciennes, communes ou moins communes, que chacun peut observer, toucher, et sentir ! Le jardin des Plantes Médicinales est le jardin type du Moyen-Age. Cet espace utile était chargé de produire les simples qui allaient tout au long de l'année soigner les riches et les pauvres de la paroisse.


Jardin médiéval des simples au Moyen-Age


Considérées comme des plantes magiques en raison de leur vertu de guérison, les plantes médicinales étaient traditionnellement cultivées dans l'enceinte des monastères, des abbayes, des hôpitaux et des cliniques.

 Pour redonner vie à cet espace appelé par les anciens Herbularium, la ville de Troyes en collaboration avec le Conseil Général de l'Aube et l'architecte en chef des Monuments Historiques a choisi un lieu prestigieux : la cour d'honneur de l'Hôtel-Dieu-le-Comte. Le choix de ce lieu est symbolique puisque l'Hôtel-Dieu-le-Comte resta pendant des siècles (du 12e au 19e) un hôpital de renom dans toute la France. Il était considéré en 1781 comme le plus beau et le plus moderne des hôpitaux de France.

 L'espace choisi pour accueillir le jardin des Plantes Médicinales est une vaste cour à l'aspect minéral de 1 300 m2. Le jardin éphémère ouvert à la visite entre la mi-juillet et la mi-octobre présente un tapis de végétaux composé de 85 espèces et 1200 plantes médicinales réparties en 34 parterres construits en gaulettes de châtaignier.

 L'agencement de cet espace éphémère rappelle les jardins à la Française du 18e siècle. Il permet à chaque visiteur de pouvoir découvrir des plantes anciennes de façon interactive puisque chaque plante peut être observée, sentie et touchée. Outre son aspect pédagogique, le jardin des Plantes Médicinales de Troyes a servi d'écrin végétal du 24 juillet au 30 août 2009 aux spectacles nocturnes gratuits de « Ville en Lumières » dont le thème médiéval de l’été 2009 était « Lancelot, le premier chevalier ».

 Cette initiative qui a été grandement appréciée par les visiteurs du site est 'reconduite d'années en années.

Jardins médiéval, cour de l'Hôtel Dieu Lecomte, Troyes


 

Les bénitiers liturgiques

 

Bénitier d’applique figurant un retable constitué d’un récipient orné de têtes d’angelot en appui sur des consoles moulurées, encadré de deux colonnes accostées d’anges aux angles, surmonté d’un dais à couronne et têtes d’angelot, motifs rayonnant sur le pourtour, au centre, la Vierge en gloire couronnée.
Faïence au décor polychrome de grand feu - Italie XVIIe siècle
Musée des beaux-Arts de Reims (51)

Récipient destiné à contenir l’eau bénite utilisée dans différents rituels chrétiens, le bénitier fait partie du mobilier liturgique incontournable des lieux de culte, mais aussi des objets domestiques du quotidien pendant des siècles.

Parmi les bénitiers liturgiques, l’on distingue le bénitier fixe du bénitier portatif. Le bénitier fixe se place à l’entrée de l’église ou de la chapelle,  il permet aux fidèles de se signer à leur arrivée dans les lieux. Le bénitier portatif est un vase muni d’un pied utilisé pour les aspersions et bénédictions rituelles. Il n’existe aucune prescription concernant sa forme et la qualité sinon qu’il doit être doublé intérieurement d’une feuille d’étain ou de plomb ou d’une cuve de faïence. L’eau bénite qu’il contient est répandue sur les fidèles et les objets par un goupillon ; l’eau peut être aussi dispersée à l’aide d’un rameau feuillu.

La distinction se prolonge sur le plan juridique : les bénitiers fixes, scellés au sol, à un pilier ou un mur, « lorsqu’ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés » (art. 525 C. Civ.) appartiendront à la catégorie des immeubles par destination, par attache à perpétuelle demeure, tandis que le bénitier portatif fait partie des biens meubles (art. 528 C. Civ.).

La même distinction vaut pour les bénitiers domestiques. Le vocabulaire patrimonial distingue les bénitiers des bénitiers d’applique selon leurs dimensions. Les premiers sont « réservés » aux églises tandis que les seconds correspondent à une « petite vasque appliquée et accrochée au mur ou à un meuble, utilisée dans une sacristie ou chez un particulier ».

ancienne mesure à grains aujourd'hui utilisée comme bénitier. 
Église Saint-Mérin à Lanmérin (22)

Bénitier portatif ou seau à eau bénite et goupillon

 
Bénitier d’applique en faïence de Nevers,  XVIIIe siècle 

Le bénitier domestique désigne un récipient où est conservée l’eau bénite. Des réserves d’eau bénite dans les maisons particulières existent dès l’époque paléochrétienne. Au Moyen Âge, l’eau est conservée dans des seaux. Des récipients plus spécifiques se constituent à la fin du XVe siècle, qui suivent les modes décoratives. Le dosseret (partie verticale) se développe, il sert à une suspension murale, en même temps qu’il permet un décor plus important et reflet des goûts de l’époque. Dans d’autres civilisations christianisées, il existe des récipients de formes différentes. Dans les provinces chinoises, les missionnaires notent une énorme consommation d’eau bénite, que les fidèles viennent chercher dans des « vases de porcelaine attachés au bras par un bracelet ».

Le prodigieux succès des bénitiers répond à un recours très fréquent à l’eau bénite qu’il est essentiel d’avoir sous la main en cas d’urgence, par exemple pour protéger contre un orage ou la grêle. L’eau doit encore rester accessible en cas de maladie, sa vertu prophylactique étant largement exploitée.

Du point de vue spirituel, les indulgences attachées à l’eau bénite rendent son usage biquotidien : un simple signe de croix double le nombre des jours d’indulgences obtenus s’il est fait les doigts humides. Dans chaque maison, une réserve d’eau bénite est conservée dans divers récipients. On a noté la présence constante des bénitiers dans les chambres, près du lit. On en trouve de nombreuses représentations sur des lithographies, des gravures, des peintures, comme Le viatique en Vendée (François Brillaud, 1910) ou Les pauvres gens (Léonie Humbert-Vignot, 1908) mais surtout sur de nombreux ex-voto.

Plus rarement, comme en Lorraine, le bénitier est suspendu au chambranle de la porte de la chambre, orné, comme partout, de buis béni ou de saule Marceau ; parfois une encoche est ménagée dans le dosseret pour maintenir le rameau béni servant à disperser l’eau bénite.

Bénitier lorrain en faïence par Emile Gallé


Assez rarement en France, le bénitier figure dans la salle commune, c’est le cas en Queyras. En Montbrisonnais, ils sont placés sur la planche au-dessus de l’évier. En Pays basque, il existe des bénitiers domestiques fixes, occupant une niche ou insérés dans le mur, comme dans les églises. Les hauteurs moyennes s’échelonnent de 167 à 328 millimètres, même si certaines maisons lorraines conservent un bénitier de plus grande taille avec un important dosseret. Les plus grands des bénitiers domestiques peuvent aussi servir dans les sacristies, rarement dans les églises. 

Le bénitier est de si bonne vente que bien peu de fabriques de céramique négligent ce produit, d’autant qu’elles conçoivent des objets religieux voisins comme à Sarrebourg et Forbach. Comme pour l’ensemble de la céramique, la fabrication augmente aux XVIIIe et XIXe siècles. La vente est souvent effectuée par des colporteurs ambulants, dans des foires et dans le commerce habituel. L’écoulement fléchit avec l’urbanisation et la déchristianisation, la date de rupture étant, comme souvent, la Seconde Guerre mondiale.

Le déclin est accéléré par l’épuisement ou l’éloignement des sites argileux, par le renchérissement du bois, par la concurrence des chemins de fer qui désertifie les routes nationales commerçantes et par le déclin général de l’artisanat. Seule la Bretagne conserve sa faïence stannifère, disparue partout ailleurs ; le bénitier est le cadeau rituel du retour de Pardon. Le style breton se singularise face à l’industrialisation. Notamment à Locmaria les bénitiers continuent à se vendre sur place puis reviennent au goût du jour avec la tendance esthétique archaïsante et, dès lors, leur diffusion devient nationale.

La céramique est de loin le matériau le plus répandu aux XVIIIe et XIXe siècles, susceptible de répondre aux plus pauvres des clients, comme aux plus riches qui préfèrent la porcelaine. Il existe cependant des quantités d’autres matériaux propres à satisfaire ce programme relativement simple : une cuve imperméable et un décor vertical comportant une perforation de suspension. On trouve des bénitiers en métal — précieux ou non —, joaillerie, ivoire, pierre dure, marbre, albâtre, onyx, nacre, verre, bois, cristal, os, corne, étoffe… ensuite viennent les matériaux industriels du XXe siècle.


Bénitier armorié XVIIIe

Les bénitiers en verre, souvent blanc, tiennent une place à part. Les premiers repérés en France proviennent de Lorraine (1536). L’influence vénitienne s’implante et demeure, en particulier au XVIIIe siècle. Les fabriques les plus connues sont à Nevers, Orléans, en Margeride, à Chaillot à Paris, en Alsace (Brünstadt), en Normandie et en Hautes-Pyrénées (à Gourgues, dont les bénitiers sont cependant jugés médiocres), en Argonne (dans le Binois), dans le Périgord et l’Agenais. Certains musées français ont une importante collection de bénitiers en verre (Bordeaux, Clermont, Aurillac, Châlons-sur-Marne, Mulhouse, Angers, Montrottier…).

Bénitier en verre soufflé, Auvergne, fin XVIIIe

Bénitier en verre moulé, début XIXe


Il existe des bénitiers insérés au pied d’un retable, dit retable-bénitiers, constituant comme un petit autel ou lieu de dévotion portatif. En région confolentaise et en Montbrisonnais, on trouve des cruchons en grès, percés dans leur flanc d’un trou permettant tout juste le passage de l’index, on y plonge le doigt avant la prière. À Ligron, on fabrique les deux sortes de bénitiers, appelées « à cuve ouverte », la plus habituelle, l’autre, dont on conserve un exemplaire de 1765, est appelé « à cuve fermée », d’un accès étroit, souvent en biais, laissant passer quelques doigts seulement. Ces dispositions dénotent un souci d’économie et d’hygiène : ne mouiller que le doigt utile et préserver l’eau des pollutions.

L’essentiel du décor est en général situé sur un dosseret en forme de plaque, mais parfois constitué par une sculpture. La plus simple est une croix. Ce type qui réunit deux objets en un seul, un crucifix et un bénitier, ne semble pas très courant. Les dosserets comportent de très nombreux motifs décoratifs variés, des arbres, des fleurs, des décors géométriques, des enfants, des têtes d’ange, le Christ, la Vierge, le Sacré-Cœur de Jésus ou celui de Marie, des anges gardiens, des saints. Les bénitiers patronymiques existent partout, mais on ne peut préciser leur succès réel.






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