Procès
en condamnation et exécution de Jeanne d’Arc
Au nom du Seigneur, ainsi soit-il.
Ici commence le procès en matière de foi contre
défunte femme Jeanne, appelée vulgairement la Pucelle.
A tous ceux qui les présentes lettres verront,
Pierre Cauchon, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et frère Jean
Lemaître, de l’Ordre des frères prêcheurs, commis, dans le diocèse de Rouen, et
chargé spécialement, eu qualité de vice-inquisiteur, de suppléer dans ce procès
religieuse et prudente personne maître Jean Graverent, dudit Ordre, docteur
distingué en théologie, inquisiteur de la foi et de la plaie hérétique, député,
par délégation apostolique, au royaume de France; salut en Notre-Seigneur
Jésus-Christ auteur et consommateur de la foi.
Il a plu à la céleste Providence qu’une femme nommée
Jeanne et vulgairement la Pucelle ait été prise et appréhendée par les gens de
guerre dans les bornes et limites de nos diocèse et juridiction.
Or, c’était un bruit public que cette femme, au
mépris. de la pudeur et de toute vergogne et respect de son sexe, portait, avec
une impudence inouïe et monstrueuse, des habits difformes convenant au sexe
masculin.
On disait encore que sa témérité l'avait conduite à
faire, dire et semer beaucoup de choses contraires à la foi catholique et aux
articles de la croyance orthodoxe. Ce faisant, elle s'était rendue gravement
coupable tant dans notre diocèse que dans plusieurs autres lieux du royaume.
L'Université de Paris ayant eu connaissance de ces
faits, ainsi que frère Martin Belorme, vicaire général de mon dit seigneur
l'inquisiteur ès perversité hérétique, s'adressèrent aussitôt à l'illustre
prince monseigneur le duc de Bourgogne et au noble seigneur Jean de Luxembourg,
chevalier, qui tenaient ladite Pucelle sous leur puissance et autorité. Ils
requirent lesdits seigneurs, par sommation, au nom du vicaire, sous les peines
juridiques, de nous rendre et envoyer ladite femme ainsi diffamée et suspecte
d'hérésie, comme au juge ordinaire.
Nous, évêque susdit, remplissant notre office pastoral,
travaillant de toutes nos forces à l'exaltation et promotion de la foi
chrétienne, avons voulu nous livrer à une en- quête légitime sur les faits
ainsi divulgués et procéder , avec mûre délibération, conformément au droit et
à la raison, à la conduite ultérieure qui nous paraîtrait légitime.
C'est pourquoi nous avons à notre tour, et sous les
peines de droit, requis lesdits prince et seigneur de remettre à notre
juridiction spirituelle ladite femme pour être jugée.
A son tour, le sérénissime et très chrétien prince
notre maître, le roi de France et d’Angleterre1, a requis lesdits seigneurs,
pour parvenir au même résultat. Enfin le très illustre duc de Bourgogne et le
seigneur susnommé Jean de Luxembourg, accordant favorable accueil auxdites
monitions et désirant, dans leurs âmes catholiques, accorder leur aide à des
actes ayant pour but l'accroissesement de la foi, ont livré et envoyé ladite
Pucelle à notre dit seigneur et à ses commissaires.
Ledit seigneur, dans son zèle et sa royale
sollicitude en faveur de la foi, nous a ensuite délivré ladite femme, pour que
nous soumettions les faits et dits de la prévenue à une enquête préalable et
approfondie, avant de procéder ultérieurement. En suite de ces actes, nous
avons prié l'illustre et célèbre chapitre de Rouen, détenteur de toute la
juridiction spirituelle et administration, le siège épiscopal vacant, de nous
accorder territoire dans cette ville de Rouen, pour y déduire ce procès: ce qui
nous a été gracieusement et libéralement concédé.
Avant de procéder contre ladite Pucelle à la
procédure ultérieure, nous avons jugé raisonnable de nous concerter, par une
grave et mûre délibération, avec des personnes lettrées et habiles en droit
divin et humain, dont le nombre, grâce à Dieu, en cette ville de Rouen, est
considérable.
1. Henri VI d’Angleterre