Au XIIe siècle, en dehors de la ville de Troyes se groupaient les 4 bourgs de Croncels, Sainte-Savine, Saint-Jacques et Saint-Martin-ès-Vignes. Dans ce dernier, en 1100, le comte Hugues veut que quiconque le souhaite, puisse y bâtir, y habiter, y jouir de la liberté.
En 1497, en raison de
la servitude qu'entraînent les fortifications, le bailliage défend d'y
construire aucun édifice pouvant servir d'habitation.
L’église de
Saint-Martin démolie le 23 avril 1590, était située dans la rue Sainte-Jule.
Otton, abbé de Montiéramey, qui avait obtenu du comte Eudes des droits de
justice sur cette partie de la banlieue troyenne, devint en même temps
possesseur de l’église, nommant les curés sous la réserve de l’approbation
épiscopale. Mais cette église ayant été entièrement abattue, je ne saurais en
donner la moindre description.
Quant à la nouvelle, on
l’éleva sur un champ appartenant à Luc Lorey. Les paroissiens se chargèrent de
toute la dépense. La première pierre est posée le 15 octobre 1592, par François
Perricard, évêque d’Avranches, assisté de l’abbé de Citeaux, Edme de la Croix
et du duc de Chevreuse.
L’édifice achevé en 1597, est classé parmi les monuments historiques. Il mesure 52,50 m. sur 22,30 m. Sa forme est un rectangle avec chevet de 3 pans de forme campanulée. Sur la croisée s’élève un petit dôme surmonté d’un second plus petit terminé par une croix surmontée d’un coq. Ce n’est qu’en 1681 que la façade actuelle est achevée sur les plans du chanoine Louis Maillet, chanoine de la Cathédrale de Troyes, alors très en vogue, le même qui reconstruisit l'abbaye Saint-Loup.
Elle se compose d’un
portique à linteau droit où l’on peut lire les armoiries de Pierre-Henri
Thibaud de Montmorency-Luxembourg, abbé commanditaire de Montiéramey
(1679-1693), seigneur de Saint-Martin, qui est à cette époque, et reste
jusqu'en 1855, une commune de la banlieue de Troyes.
Le rez-de-chaussée est surmonté d’un péristyle de 6 colonnes de l’ordre corinthien (imitation du Temple de Jupiter Stator), qui supporte un large entablement et un fronton triangulaire. A gauche, un cadran solaire construit par Bazin, professeur de mathématiques en 1778, indique les méridiens de Paris et de l’Ile des Canaries avec la latitude des principales villes de l’Europe ainsi que le parallèle décrit par le soleil le jour de Saint-Martin, 11 novembre.
Le fronton renferme une horloge avec 3 petites cloches repeintes en 1826 par Hourseau, et dont le mécanisme a été renouvelé en 1879. Les fenêtres des bas-côtés sont à plein cintre et à 2 meneaux avec lobes variés.
La porte méridionale comprend une arcade à plein cintre, flanquée de 2 colonnes corinthiennes, un entablement avec frise, ornée au centre d’une gloire placée sur un cartouche. La porte en bois à 1 vantail est ornée de têtes de clous, ainsi que le tympan qui la surmonte. Sur ce dernier, une console en bois porte une statuette en bois de sainte Jule. Aux grandes portes refaites en 1754, on ajoute le tambour. La première travée à droite est occupée par la tour (bâtie en 1747) à 3 baies, couverte en ardoise, qui renferme la cloche rapportée de l’église ancienne.
A la Révolution, le petit clocher renfermait 4 cloches, qui furent toutes descendues. On attendit jusqu’en 1826 pour les remplacer. Elles furent fondues dans la cour du petit séminaire. Le clocher où sont suspendues les cloches, date de 1624, il a été réparé et consolidé en 1886 et 1934.
Saint-Martin comprend
une nef, 2 collatéraux et 2 rangs de chapelles, un transept formant travée et
un chevet à 3 pans formant galerie.
L’église possède de
magnifiques vitraux émaillés* des XVIe et XVIIe siècles, dont toute une série
créée par les Gontier père et fils. La verrière du credo (1606) illustre la foi
chrétienne. La peinture de la Jérusalem céleste (rangée du haut à droite) a été
réalisée par Linard Gontier père. La verrière de la Légende de la Croix date
1562. Elle vient de l'ancienne église Saint-Martin détruite. La mise au tombeau
que l'on voit, date de 1500.
Dans la verrière d'Abraham, Dieu commande à Abraham de sacrifier son fils. La grande verrière de l'Apocalypse occupe le bras sud du transept. Elle se décompose en deux étages : l'Apocalypse en bas avec ses trois registres ; en haut saint Louis entouré d'armoiries et trois grisailles de saints. L'étage supérieur contient une illustration de saint Louis portant le collier de l'ordre de saint Michel et la couronne d'épines. Ce vitrail daté de 1505, provient de l'ancienne église Saint-Martin. De part et d'autre, on trouve les armoiries peintes à l'émail des donateurs : Louis d'Autruy et Anne de Villeprouvée. Au-dessus, trois belles grisailles dues à Jean Barbarat datées de 1654 : les saints Pierre, Louis empereur et Jean-Baptiste. L'étage inférieur contient la verrière de l'Apocalypse. Les scènes qu'on y trouve rappellent les vitraux de l'église.
La verrière de la prise de Jérusalem par Vespasien et Titus est très documentée : en l'an 70, Titus et Vespasien arrivent sur un char. Le roi David avec sa lyre implore Dieu. Arrivée des soldats romains qui sonnent de la trompe. Les Romains donnent l'assaut. On remarque que les Juifs sont regardés comme des gens qui mangent leurs enfants, puisqu'une mère affamée fait rôtir le sien ! Registre du bas : les Juifs vaincus sont vendus à un marchand d'esclaves. Un soldat romain ouvre le ventre d'un Juif pour y récupérer la pièce d'or que celui-ci a avalé dans le panneau précédent.
La très belle verrière du Calvaire dans la fenêtre d'axe est due à Linard Gontier le Jeune, datée des années 1630-1640. Dans le registre du bas, entourant la Vierge et saint Jean, des cavaliers montent la garde sur la droite tandis que des soldats jouent aux dés sur la gauche (pour savoir qui emportera la tunique de Jésus). Les parties hautes du chœur offrent un magnifique spectacle de grandes surfaces colorées où les scènes historiées s'étalent sur trois ou cinq lancettes : les verrières de la vie de saint Pierre, de la vie de saint Jean-Baptiste et de l'Annonciation. Tous ces vitraux ont été réalisés par la famille Gontier entre 1625 et 1640.
En 1851, trouvant la sacristie trop étroite, le conseil de fabrique fait démolir le mur qui la sépare du trésor de façon que les deux pièces n’en forment plus qu’une. Elle est éclairée par deux petites fenêtres ornées de petites peintures sur verre : saint Martin à cheval, saint François d’Assise, saint Antoine, un christ en croix et quelques reliquaires.
La fête patronale tombe le 11 novembre, mais on la célèbre le dimanche qui suit le 4 juillet, jour de la translation des reliques, en vertu d’une ordonnance du 24 mai 1812.
En 1800, les habitants
de Saint-Martin profitent des avantages de notre ville, sans en supporter les
charges : leurs enfants fréquentent les écoles de Troyes, les indigents sont
admis à l'Hôtel-Dieu, les pompiers éteignent les incendies... le tout
gratuitement !
L'octroi à l'entrée de
Saint-Martin entraîne le paiement de droits sur toutes les marchandises
consommables qui y entrent. Pauvres marchands troyens, heureux concitoyens de
Saint-Martin qui échappent à ces taxes. Les gens sont heureux, mais les édiles
Troyens veulent les annexer. " La guerre de Troyes " ne fait que
commencer !
50 ans que cela dura !
Du maire au préfet, ils tentent tout pour son rattachement. Mais le Conseil
d'Etat n'est pas d'accord sur le motif " qu'il n'est pas sage d'augmenter
les villes aux dépens des communes rurales ".
Les Troyens étouffent,
ils démolissent leurs remparts, permettant de voir le charmant village où la
vie continue d'être plus facile. Si bien, que les Troyens aisés viennent s'y
loger, y construire. Bientôt, la population de cette commune plus que double !
Les entrepôts, non
sujets à l’octroi s’y installent. La fraude augmente. Les denrées destinées aux
troyens s’entassent ainsi dans un " lieu franc ". La coupe est
pleine, le Conseil Municipal de Troyes demande l’annexion de Saint-Martin.
C’est chose faite le 10 juillet 1856.
L’école de la paroisse
de Saint-Martin relevait de l’abbé de Montiéramey. Le maître fait la classe
dans la maison qu’il habite. En 1755, les marguilliers construisent une grande salle
de classe, attenante à la maison. Le maître doit commencer et finir les classes
par la prière, faire réciter le catéchisme 2 fois par semaine et, en plus
l’évangile aux grands élèves, ne laisser vaquer l’école qu’une fois par
semaine, ordinairement le jeudi, conduire les enfants à la messe… De plus, il s’oblige à sonner l’Angélus et à
régler l’horloge. Il peut faire au temps des vendanges une quête où on lui
donne du vin ou de l’argent, 10 sous par ménage. Rétribution scolaire : « 8
sous pour les enfants à l’alphabet, 10 sous pour ceux qui commencent à lire, 12
sous pour ceux qui écrivent et 14 sous pour ceux qui font les règles de
l’arithmétique ». En retour, le maître s’oblige à assister à tous les offices,
dresser les enfants pour le chant, faire le catéchisme…
Une école est
construite en 1844, et abandonnée en 1910 quand le groupe scolaire Jules Ferry
est construit à l’entrée de la rue des Marots. En 1876, une école libre est
fondée rue de la Reine Blanche, l’ancienne école de Sainte-Madeleine est transférée
à l’entrée de la rue de la Paix en 1880. L’instruction des jeunes filles est
confiée en 1842 aux Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. En 1906, à la suite de la
laïcisation, une école libre est créée et est très fréquentée, rue de la
Reine-Blanche. C’est sur la paroisse de Saint-Martin qu’a été construit le
Lycée de garçons succédant au collège Pithou en 1861. De 1865 à 1885, les
Ursulines tiennent un pensionnat rue des Marots. A la garde des enfants, elles
joignent la visite des malades. Un lycée de filles est élevé sur l’emplacement
du Petit Séminaire, pouvant contenir 300 élèves, en 1924.
Déjà cité en 1428,
existait un cimetière devant l’église Saint-Martin. Il est abandonné en 1871,
lorsqu’est créé le cimetière actuel. Une
croix de fer est érigée en 1779.
Anecdote : « En 1598,
Monsieur Petitjean, chanoine de Saint-Pierre de Troyes, est prié de se
transporter dimanche prochain en l’église de Saint-Martin-ès-Vignes pour faire
les exorcismes accoutumés à l’église catholique sur une fille demeurant en la
paroisse dudit lieu, laquelle été baptisée au prêche des hérétiques
(Protestants) ».
L'Orgue de Saint Martin* (voir ci-dessous)
Un buffet de 6 pieds fut d'abord construit pour 400 livres de 1534 à 1539 par Damien Doublet, menuisier. Au XVIIe siècle fut ajouté la petite tourelle centrale. Vers 1704, l'ancien banc seigneurial du XVIe siècle fut converti en tribune d'orgue et implanté au fond de la nef. L'orgue y fut alors installé en 1713. L'escalier en colimaçon date de 1841. En 1878-1880, un nouveau buffet de 12'fut implanté au fond de la tribune, derrière le meuble de 1539.
Lors des derniers travaux de reconstruction (1963-1970), seules les tours
extrêmes de cet ajout du XIXe siècle furent réutilisées. Aux faux positifs de
1854 et 1878 succéda un authentique buffet en chêne massif, abritant les jeux
répondant au premier clavier du nouvel orgue. Construit selon les procédés
traditionnels, il fut l'un des derniers ouvrages de l'ébéniste troyen Henri
Kuhnowski
C'est le lieu où la coutume veut que la sainte fut
décapitée, c'était un puits qui avait la renommée de guérir les fièvres. Le
dernier bâtiment datait du XVIIe siècle en forme d'arcature avec une niche qui
abritait la statue de la sainte. Il fut rasé en 1833.
C'est à côté de ce puits que fut trouvé au XVIIIe
siècle un tombeau qui fut dit gaulois de par la présence d'une Ascia, ce lieu
était connu comme cimetière des juifs.
Au XVe siècle, l’église Saint-Martin était bâtie rue Sainte-Jule, sur une petite place délimitée par les rues actuelles Ambroise Cottet, Sainte-Jule et de la Paix, en face l’entrée du Petit Lycée.
Le 10 novembre, veille
de la fête du patron de la paroisse, les Chanoines de Saint-Pierre se rendaient
à Saint-Martin en procession, ils y chantaient les vêpres, et se réunissaient ensuite
chez le curé pour y faire une collation.
Les origines de cette
coutume sont inconnues, parce que trop anciennes. La première mention de son
existence est un procès-verbal du 13 juillet 1409, dont voici le passage
essentiel :
«… les doyens de l’église de Troyes sont
accoutumés pour chaque an, la veille de la Saint-Martin d’hiver, faire
procession et aller en l’église paroissiale Saint-Martin-ès-Vignes-lez-Troyes
et chanter vêpres. Après lesquelles le curé de ladite église Saint-Martin doit
et est tenu administrer aux chanoines feu en sa maison et à boire en 3 fois :
bon vin vermeil, bon vin blanc et bon vin vermeil, donner 6 chandelles de cire
ou bougies bonnes et suffisantes, et aux enfants de chœur, s’il est jour de
manger chair, administrer chair rôtie avec oignons, sur une table au milieu de
la chambre du curé, ensemble pain et vin.
S’il n’est jour de manger chair, administrer auxdits enfants harengs
avec moutarde, pain et vin… ».
La cérémonie,
entièrement aux frais du curé était lourde pour son budget. En 1468, il voulut
empêcher la distribution des chandelles. Le chapitre lui intenta un procès, et
depuis, la coutume fut scrupuleusement observée pendant plus d’un siècle.
La procession fut
supprimée deux fois : en 1582, les huguenots « étaient les plus forts en cette
ville de Troyes », en 1583, une terrible épidémie de peste sévissant à Troyes,
et le curé de Saint-Martin en étant mort « le goûter fut remplacé à prix
d’argent ».
L’année 1590 marque un
grand changement dans l’histoire de la paroisse. Le comte de Saint Pol,
commandant à Troyes pour la Ligue "craignant que la ville ne fût assiégée
à cause des guerres civiles qui désolaient le royaume, fit raser l’église
Saint-Martin, ainsi que celles des Mathurins ou Trinitaires et des Antonins, qui
étaient trop près des remparts". Les matériaux servirent à édifier le fort
Chevreuse.
« Dans la même année,
on choisit un lieu pour bâtir une nouvelle église, et par sentence de
l’official, on s’arrêta à l’héritage de Luc Lorey », où elle est encore
aujourd’hui. La construction commença aussitôt, et n’empêcha pas la procession
de se dérouler. A cette époque, la voirie devait être en mauvais état, car
avant, les marguilliers « sont tenus pour d’autant plus honorer et faciliter
ladite procession, de affermir le chemin de paille et de roseaux dans les
endroits bourbeux et fangeux ».
Une partie de la
cérémonie avait lieu sur la voie publique, le curé et les prêtres recevant les
chanoines à la croix de Pouilly, qui se trouvait sur la place où débouchent,
aujourd’hui, les rues des Marots, Ambroise Cottet et l’avenue Pasteur. Le curé
les conduisait dans l’église pour les vêpres et au presbytère pour le goûter
(viande et vins) et la distribution des chandelles.
En 1591, la procession
devenait une lourde charge : la reconstruction de l’église coûtait très cher,
les revenus de l’église diminuaient, et les frais augmentaient, la nouvelle
paroisse étant très étendue, comptant 4.000 fidèles, il avait fallu embaucher «
Deux prêtres, un magister et une chambrière pour les secourir et administrer et
préparer leurs vivres ». Le curé demanda à l’évêque la suppression de toutes
ces charges.
A l’issue de la
procession de 1591, il refusa de servir le goûter et de distribuer les
chandelles. Le chapitre l’attaqua. L’affaire fut conduite devant le bailliage
de Sens, le chapitre demandant le maintien de ses privilèges, le curé en
réclamant l’abolition. On batailla ferme pendant 4 ans, et le curé Bessard fut
condamné aux dépens et à continuer cet usage. Ce dernier ne se considéra pas
vaincu et l’affaire fut appelée devant le Parlement. En 1604, l’affaire se
termina dans un sens favorable au Curé, et la procession se déroula sans
incident jusqu’en 1686, époque à laquelle un arrêt du Parlement la supprima.
Et depuis, ce souvenir
de la vie paroissiale dort dans les parchemins, aucune cérémonie, en l’église
Saint-Martin-ès-Vignes, n’est une survivance de cet « usage d’antan ».
Vitraux émaillés *
La technique de
l'émaillerie sur le verre date du second tiers du XVIe siècle. Durant tout le
Moyen Âge et le début de la Renaissance, un vitrail est un assemblage de verres
colorés maintenus par des plombs qui séparent les différentes couleurs. L'art
du vitrail au Moyen Âge a été scandé par la mise au point des pigments pris
dans le verre, élargissant ainsi la palette des couleurs. Au XIVe siècle
arrivent le jaune d'argent, puis la sanguine et, avec eux, le modelé en
grisaille. La pâte est étalée sur le verre, et non plus prise dans la masse,
permettant des effets de relief.
À partir du second
tiers du XVIe siècle, le travail du peintre verrier change. La technique de
l'émaillerie fait son apparition. Désormais l'artiste peut poser la couleur au
pinceau sur le verre, ouvrant la voie à une richesse de coloris nouvelle et à
une variété accrue dans les effets du dessin. L'émail, que l'on peut aussi
appeler «couleur vitrifiable», est un composé d'oxyde de colorant et de
fondant. Il se peint sur le verre blanc, puis est cuit au four. La chaleur le
fait s'intégrer à la verrière. Mais la technique n'est pas sans difficultés car
le fondant à étaler est une pâte chaude et visqueuse. Si elle n'est pas assez
visqueuse (mauvaise mise au point), elle peut couler sur le verre. Si elle
l'est trop, les couleurs seront modifiées à la cuisson. Sans compter l'effet de
l'usure du temps sur l'assemblage de matériaux fort différents (verre et pâte)
: dilatation, craquelures et finalement séparation des deux composés, achevant
la dégradation de l'œuvre.
Rappelons ici qu'il
faudra attendre la première moitié du XIXe siècle pour voir le directeur de la
manufacture de porcelaine de Sèvres, Alexandre Brongniart, prendre le taureau
par les cornes et lancer ses équipes de recherche sur la mise au point, une
fois pour toutes, des peintures qui permettront de vaincre les difficultés nées
de la technique de l'émaillerie. L'art du vitrail en sera bouleversé et
aboutira au concept du «vitrail-tableau», rapprochant ainsi la peinture sur
verre de la peinture sur faïence et sur porcelaine.
Revenons au XVIe
siècle. La difficulté de la technique à l'émail explique la rareté des vitraux
de ce genre. Françoise Bibolet écrit que, «de 1595 à 1630, l'art du vitrail est
en décadence partout». On peut aisément le concevoir. La nouvelle technique
avait certainement laissé envisager la création de chefs-d'œuvre, mais
c'étaient les vitraux ratés qui se multipliaient. Chez les peintres verriers,
le découragement avait dû succéder à la déception... Toutefois, à Troyes, un
siècle après le début de l'émaillerie, Linard Gontier releva le défi et, grâce
à un talent hors pair, réussit à créer les chefs-d'œuvre attendus.
Linard (ou Léonard)
Gontier est né à Troyes vers 1566 et mort vers 1641. Il travaillait avec ses
fils, qu'il a sans aucun doute formés. Le plus connu est Linard le Jeune (1601
- vers 1642). Lisons Françoise Bibolet : «Tout en continuant d'utiliser les
verres colorés, les Gontier seuls ont su appliquer l'émail avec un art discret
et sûr. Ils ont continué la technique ancienne du verre teint dans la masse,
mais rehaussé de touches d'émail dans les fonds de paysages, arbres,
perspectives ou animaux, dans les visages d'une foule, dans les broderies des
vêtements.»
Les Gontier utilisèrent
leur art avec maestria dans les petits vitraux. On peut en voir dans les
bas-côtés de Saint-Martin dans cette page. Voir aussi le vitrail de l'Immaculée
Conception à la chapelle du Saint-Sacrement de la cathédrale
Saint-Pierre-et-Saint-Paul. C'est par leurs grandes verrières qu'ils ont
surtout marqué l'histoire de l'art champenois, mêlant là aussi verres de
couleur et émail. À Saint-Martin, les baies hautes du chœur sont illuminées de
grandes scènes historiées des Gontier étalées sur plusieurs lancettes : vie de
saint Pierre, vie de saint Jean-Baptiste et Annonciation. À la cathédrale, les
Gontier ont réalisé le célèbre Pressoir mystique. D'autres peintres verriers
les ont suivis sur la même voie : les Macadré à Saint-Nizier ; Jean Barberat
dans le chœur de Saint-Pantaléon.
Source : «Les vitraux
de Saint-Martin-es-Vignes» de Françoise Bibolet, La Renaissance, Troyes, 1959.
l'Orgue de Saint Martin*
C'est dans l’église saint Martin que se trouve le plus ancien mobilier d'orgue de Champagne, constituant l'un des rares cas de contemporanéité d'une architecture et d'un orgue. Outre que, même ici, la rigueur des dates ne donne pas entière satisfaction (le buffet est antérieur à l'église), Il faut ajouter que l'ensemble mobilier n'est pas aussi homogène qu'il y paraît. Attardons-nous sur ses composantes pour mieux en juger.
Un buffet de 6 pieds fut d'abord construit pour 400
livres, de 1534 à 1539, par Damien Doublet, menuisier, dont on peut suivre les
activités troyennes en consultant les archives locales (SM 107 ; BM ms 2545
copie Finot 11, 270 et ms 2830 p. 6, 13 ; AD fichier Rondot -1 SI 5, 1 68, 1
70). Sur les frises supérieures et inférieures furent peints en noir, sur le
chêne naturel, les distiques élégiaques (en partie conservés) que voici
« Haec licet natas flectet co(n)cordia mentes
Et chelys ac plectru(m) barbitos et cythara
Dulcius ast aures mulcent (praestantia illa)
(Organa) multimodis effigiata sonis. »
A une époque plus mystique, le lecteur aurait pu se
remémorer le commentaire de sailli Jean-Chrysostome à propos du psaume 91 :
« Ici pas n'est besoin d'une cithare, ni d'un
plectron, ni d'aucun instrument.
Mais si tu le veux, tu peux faire de toi-même un
instrument en crucifiant
ta chair et en tâchant de réaliser avec ton corps
une harmonie parfaite ».
Mais quand vint effectivement le moment de remplacer
les vers d'un émule d'Ovide, on leur superposa les célèbres versets du psaume
150 (sacrifiés lors de la restauration de 1967).
Doublet utilisa le pied de 30 cm 48, en usage en
Champagne depuis le XIIIème siècle au moins. Il voulut que les tours extrêmes
s'élevassent à plus de 16 pieds du sol et que la largeur à ce niveau fût de 10
pieds. Les trois plates-faces centrales forment un carré de 6' 1" 8"'
de côté ainsi que le soubassement. De sorte que le rapport doré 1,618 est
omniprésent ainsi que le symbolisme qui l'accompagne. La profondeur du meuble
est de 3 pieds (cf plan ci-contre).
Au XVIIème siècle fut ajoutée la petite tourelle centrale, s'intégrant parfaitement à l'ensemble, mais gênant la lecture de certaines sentences. Les volets d'origine furent peut-être encore conservés pour un temps.
Vers 1704 l'ancien banc seigneurial du XVIème siècle
fut converti en tribune d'orgue et implanté au fond de la nef, contre le mur
Ouest (SI 176). Ses piliers cannelés et carrés, à chapiteaux cruciformes,
furent réemployés en sous-œuvre et remplacés pour situer la balustrade et le
plancher à hauteur convenable. Le tout fut peint en couleurs vives et, comme
pour le buffet, des sentences moins profanes que celles que recherchait la
Renaissance furent inscrites en lettres d'or sur fond vert d'eau (toujours
recouvertes de la peinture de 1841). Il est surprenant de constater que les
entrelacs des panneaux pleins (XVIe siècle) se répercutent au bas des fenêtres
de la nef (XVIIe siècle).
Envisagée en 1746, la construction du tambour ne fut
réalisée qu'en 1754, pour la somme de 245 livres 7 sols (A.D. Nouv. Acq. 1457,
1458). Un escalier droit descendait vers le bas-côté Nord jusqu'en 1841, date à
laquelle un autre, en colimaçon, fut dissimulé dans une sorte de trompe
hexagonale (le pendant date de 1844).
Au moment des agrandissements de 1878-1880 (A.
Bodié, arch.), un nouveau buffet de 12' fut implanté au fond de la tribune,
derrière l'ancien meuble de 1539, essayant de conférer au tout une
monumentalité qui ne sera jamais plus égalée ensuite.
Lors des derniers travaux de reconstruction
(1963-1970), seules les tours extrêmes de cet ajout du XIXème siècle furent
réutilisées. Aux faux positifs de 1854 et 1878 succéda un authentique buffet en
chêne massif, abritant les jeux répondant au premier clavier du nouvel orgue ;
construit selon les procédés traditionnels, il fut l'un des derniers ouvrages
de l'ébéniste troyen Henri Kuhnowski.
Comme on le voit, chaque époque a laissé sa marque à
cet ensemble. L'unité qui en résulte toutefois tient plus au respect de
l'esprit qu'à la concordance de la lettre.
Les particularités organales des instruments logés
dans ces boiseries jusqu'en 1794 nous sont toujours inconnues. Nous savons
seulement que le buffet fut prévu pour être installé au sol et qu'il ne pouvait
contenir qu'une partie instrumentale sans prétention, commandée par un seul
clavier (Fl-A4 ?). Avec une dizaine de jeux à peine, il était sans doute plus
important que celui de Méry-sur-Seine, mais plus modeste que ceux de Troyes,
Saint-Etienne (1550), et Nogent-sur-Seine (1587).
Au XVIIe siècle, il fut enrichi d'un dessus de récit
(SM 106, SI 205) et en 1720 il bénéficia d'une reconstruction (1.700 livres).
Depuis la Pentecôte 1713 il fut mis en tribune définitivement, comme l'atteste
cette inscription gravée dans le mur Ouest :
Claude Jolly / première organiste / de céans. En
1713 a commencé / A la feste de la pantecoste / 1713 / CIaude Jolly organiste /
et Mme Boulanger.
François Mangin, auteur de l'orgue de N.D. et Saint-Jacques-aux-Nonnains (aujourd'hui à Bar-sur-Seine), assura l'entretien jusqu'à sa mort. Les Jolly, autres facteurs troyens, lui succédèrent.
Le 18 germinal an Il (7.4.1794), la tuyauterie de
l'orgue de Saint-Martin-ès-Vignes, ainsi que d'autres, furent confisquées
conformément à la loi. L'orgue détruit resta muet pendant près d'un demi-siècle.
Quant à son mobilier épargné, personne n'en fit jamais beaucoup de cas. La
tribune fut très rarement remarquée (SI 45 p. 51 et 176 pp. 379-404) et le
buffet de Doublet fut longtemps considéré comme un pastiche assez réussi...
Nicolas Thibesart (1779 + 1843), maire de
Saint-Martin-ès-Vignes de 1840 à 1843, mit un terme à cette situation anormale
et offrit à sa paroisse la reconstruction de l'orgue. Pour cela il consulta
Nicolas-Antoine Lété, facteur d'orgues à Mirecourt (Vosges), qui lui fournit le
projet (SM 108) d'un petit orgue romantique de 15 jeux sur 2 claviers, projet
dont la réalisation s'éloignera quelque peu (SM 109 ; SI 101, 104, 124 ; cf les
" Compositions comparées "). Lété entretint son orgue jusqu'à la fin
de sa carrière (SM 1 1 0) tandis que, pendant les vingt années suivantes,
diverses bonnes volontés se chargèrent de la maintenance. Les Rolin prirent le
relais jusqu'au jour où la paroisse s'avisa de vouloir créer un grand orgue.
En 1870, les marguilliers envisagèrent de consulter
A. Cavaillé-Coll, comme le faisaient ceux de Chaumont. Mais, depuis que
Jaquot-Jeanpierre avait installé l'orgue de chœur de Saint-Martin (1869) et
réalisé d'autres travaux dans l'Aube, le facteur de Rambervillers (Vosges)
savait s'imposer en cultivant l'art de la négociation. Un premier devis (1
1.3.1877) de 18300 F fut proposé, puis un second (13.12.1878) de 18000 F pour
un orgue de 29 jeux sur 3 claviers et pédale (SM 1 1 2) qui servira de base au
Marché du 22.2.1879 (SM 1 1 3) conclu pour 17700 F (SI 26, 102, 175, 209 ; cf
tableau des " Compositions comparées "). Comme de coutume, le
constructeur se réserva l'entretien (SM 114), jusqu'au moment où Bossier obtint
la confiance de Désiré Béreau (1890 + 1962), le talentueux titulaire nommé en
1918 (SI 127). Cet organier, alors mieux apprécié que la postérité ne le
reconnaît aujourd'hui, se vit confier une restauration qu'inaugura André
Marchal le 18.10.1931 (c'est ainsi que disparut le cromorne de Lété, remplacé
par un ramassis de tuyaux destinés à constituer un Nazard), SI 103, 182.
Dès la nomination de l'actuel titulaire, un projet
de reconstruction fut envisagé, l'orgue de Jaquot-Jean-pierre et Cie n'offrant
plus qu'une mécanique infidèle au service d'une palette sonore assez pauvre,
quoique non dépourvue d'une certaine poésie. Le choix de l'esthétique et des
procédés de construction dépendirent de celui du facteur, qui résulta lui-même
de divers rebondissements imprévisibles.
Robert Boisseau, de Poitiers, fut le premier facteur
recommandé (devis du 21.1.1963 pour un orgue de 37 jeux sur 3 claviers et
pédale). Ses plans, livrés le 28.2.1963, sacrifiaient le buffet de 1539 en ne
conservant du meuble que sa façade afin d’agrémenter- en l'améliorant - celle
de Jaquot. Le dessin que fit de ce projet H.Kuhnowski, si réussi fût-il, ne
pouvait toutefois faire admettre la quasi destruction d'un meuble du XVIème siècle,
quoique non encore classé.
Philippe Hartmann, facteur d'orgues à Rainans (Jura), opposa diverses propositions (6 plans de 1963 à 1966 ; SM 11 5 à 11 8), fort séduisantes à certains égards, sans cependant respecter le fond du vieux buffet ni les côtés de la tribune. Une disposition compatible avec les impératifs de la conservation rigoureuse d'un mobilier très estimable fut enfin trouvée (SI 121), après que les travaux de facture d'orgue aient été commencés. Mais une faillite (1 967) arrêta le facteur, pourtant passionné par son projet.
Athanase Dunand, de Villeurbanne, avait travaillé à
Saint-Joseph de Troyes (1963-1968) D'abord appelé à expertiser les travaux
interrompus de Philippe Hartmann, il fut invité ensuite à les conduire à leur
terme. Le 4ème projet du facteur franc-comtois (24.11.1967), prévoyant 49 jeux
sur 4 claviers et pédale, fut réduit à 40 jeux (devis définitif d'A.Dunand du
10.4.1969 ; SM 11 9-120). Le Marché fut signé le 5.6.1969 (SM 121) et les
travaux furent achevés le 13.12.1970 (SM 59, 60, 122 à 124, 162 à 164). Ce fut
le dernier ouvrage d'un facteur arrivé en fin de carrière : chant du cygne
auquel il voulut donner le meilleur de lui-même en y associant son fils et
successeur.
Cette Voix de l'architecture ne correspond à aucun
pastiche français ou étranger, mais suit naturellement l'histoire du mobilier
et de la tuyauterie conservée pour atteindre une aptitude à l'exécution de la
musique du XXème siècle, d'où certaines dispositions techniques nouvelles, sans
exclure d'autres approches possibles.
Ces voix multiples d'hier, assemblées à celles
d'aujourd'hui, permirent une redécouverte de l'acoustique des édifices troyens
du XVIème siècle et de celui-ci en particulier, exceptionnellement favorable à
la musique, d'où les concerts fréquents qui y sont donnés depuis 1971 (SI 217).
La beauté toute simple de l'architecture
champenoise, baignée des harmonies matinales de l'orgue comme des ors du soleil
couchant, est unique, et concourt à servir la prière et l'art autant qu'on y
soit attentif.