Sainte
Geneviève de Nogent, la Vénus des Capucins
En 1632, Claude Bouthillier de Chavigny*, seigneur
de Pont (sur Seine), Intendant des finances, fonda le couvent des Capucins à
Nogent-sur-Seine (10).
Un jour, rendant visite à Mme de Bouthillier, les religieux
remarquèrent, dans le parc du château, une splendide statue de marbre blanc
représentants, d’après la tradition, Vénus. Loin de détourner les yeux, les
religieux, dont le monastère construit depuis peu était dépourvu de statues de
saints, trouvèrent à Vénus un certain air de piété et suggérèrent à Mme de
Bouthilier, qu’après quelques minimes transformations, celle-ci pourrait
devenir une Sainte Vierge très présentable, surtout si on lui faisait porter un
enfant jésus dans les bras car ceci aurait l’avantage de cacher sa poitrine.
La femme de l’intendant se laissa convaincre et fit
présent de sa Vénus aux Capucins.
L’Enfant Jésus fut fabriqué en plâtre qui, avec le
temps, finit par devenir complètement gris, contrastant avec la blancheur du
marbre. Qu’importe, la piété et la
ferveur étaient là. Vénus, devenu Vierge, passa tranquillement 150 ans au
milieu des Nogentais ravis d’une si belle Sainte Vierge…Jusqu’à la tourmente
révolutionnaire qui allait lui occasionner quelques ennuis…
En effet, en 1792, l’église du couvent ayant été
réquisitionnée pour être un « Temple de Justice », on enleva l’Enfant
Jésus devenu inutile pour le rôle que l’on voulait faire tenir à sa Mère et on
mit, dans la main de celle-ci, une balance. Ainsi devenue symbole de Justice,
elle fut placée à l’extérieur de l’ex-église saint Laurent.
L’ancien curé (1) reprenant ses fonctions passa à l’action. Voulant, sans nul doute préserver la statue de nouveaux avatars de la part des Républicains – Elle était très belle et faisait la convoitise de plus d’un – il décida de la transformer en Sainte Geneviève ! Pourquoi Sainte Geneviève ? Peut-être parce que cette sainte ayant sauvé Paris, obtiendrait sans doute plus de considération de la part des révolutionnaires…
En prenant son service chez les Capucins, Vénus
avait gardé ses charmes, les moines s’étant contentés de dissimuler sa poitrine
en lui faisant porter l’Enfant Jésus qui disparaitra ensuite dans la tourmente.
Si une poitrine bien formée pouvait passer chez la vierge allaitant, cela était
moins concevable pour une sainte Geneviève, du moins aux yeux du curé… En fait,
il est probable que celui-ci désira transformer complètement la statue afin de
la rendre méconnaissable car un personnage l’avait remarquée. Il est certain
que ce fut lui qui inspira des craintes pour la statue : il s’agissait du
conservateur du Musée des Monuments Français, Alexandre Lenoir, et celui-ci
était bien décidé à se l’octroyer !
Pour faire oublier la Vénus-Vierge, et avoir par la
même occasion une sainte Geneviève, le curé ne trouva pas d’autre solution que
de lui faire disparaitre le plus possible certains aspects de sa féminité par
trop reconnaissables. Il fit scier la poitrine et la chevelure puis il entoura
la statue de chiffons et de rubans et la fit placer dans la chapelle de la
Vierge. Cette transformation permit à la statue de rester dans l’église saint
Laurent sans être inquiétée.
Par la suite, les chiffons furent remplacés par une
coiffure et des raccords en plâtre ; puis, l’ensemble fut recouvert d’une
couche de peinture grisâtre. Elle traversa ainsi sans encombre le saccage de
l’église par les troupes ennemies en 1814 pour venir jusqu’à notre époque…
Aujourd’hui, sainte Geneviève est toujours à l’église
Saint Laurent de Nogent-sur-Seine. Il lui manque un bras – en plâtre – perdu
lors d’une chute malencontreuse. Elle est posée sur un plateau de bois, car on
ne semble pas trop savoir où la mettre. Elle se trouve actuellement à droite en
entrant par la porte Sud, et les fidèles et rares visiteurs passent devant sans
connaitre son histoire peu banale ! Puisse-t-elle être bientôt réhabilitée
et remise à l’honneur…
Cette anecdote est tirée des rapports d’Alexandre
Lenoir, le conservateur du Musée des Monuments Français qui vint maintes fois à
Nogent, au moment de la Révolution, en particulier pour faire effectuer le
transfert des cendres d’Héloïse et Abélard, du Paraclet à Paris ainsi que pour
la récupération du portique du cimetière de Nogent qui avait été accaparé par
l’ex-intendant des finances, M. de Boullongne, pour son parc de la
Chapelle-Godefroy.
Elle appelle plusieurs réflexions :
D’abord son caractère d’authenticité est indéniable.
En effet, c’est au cours de ses déplacements dans la région que Lenoir a
remarqué cette statue devant l’église du couvent des Capucins à Nogent.
Elle devait être très belle lorsqu’elle possédait sa
chevelure et… ses avantages, et son intention était bien de la récupérer pour
son musée.
Si Alexandre Lenoir fut parfois contesté pour ses
erreurs d’attributions de certaines œuvres d’art, dans le cas présent, il ne
date, ni n’attribue. Il se contente de décrire ce qu’il voit et de rapporter la
provenance de cette statue. Il n’y a aucune raison pour que cette provenance du
Château de Pont ait été inventée par des habitants ou d’ex-capucins.
En ce qui concerne les mutilations qu’il annonce, on
constate après examen de la statue, l’exactitude de ses descriptions : des
raccords de plâtre existent bien au niveau de la chevelure et, partiellement au
niveau de la poitrine.
On sait par A. Lenoir que celle-ci était au château
de Pont vers 1632. Aurait-elle été taillée en France, quelques années
auparavant, dans un bloc de marbre qu’on aurait fait venir d’Italie, par un
sculpteur épris d’Antiquité ? Ou l’a-t-elle été à une époque plus ancienne,
celle de la Renaissance ?
Il se peut également que cette statue provienne
d’Italie car, dès les premières expéditions de Charles VIII, les seigneurs
français commencèrent à acheter et rapporter des Antiques de ce pays. Dans ce
cas, son exécution pourrait être très antérieure. (2)
Est-elle réellement vénus ?
Cette appellation ne repose apparemment que sur
l’observation des Capucins de Nogent qui ont pu contempler cette œuvre, au
XVIIe, dans le parc du château de Pont ainsi que sur les indications de Mme de
Bouthilier.
Vénus est, à l’origine et dans la mythologie
italique, déesse des jardins et des labours. Ce n’est que plus tard qu’elle
sera identifiée à l’Aphrodite grecque dont elle prendra les légendes.
Cependant, cette statue pourrait aussi bien représenter
Déméter, sœur de Zeus et de Poséïdon, ou sa fille Koé ou bien d’autres
divinités. Il n’est que d’observer, à Rome, les sculptures antiques, pour s’en
convaincre.
(1 (1) C’est
A. Lenoir qui désigna ainsi le responsable de cette action mais il est probable
que ce ne fut pas l’ancien curé, Antoine Hurant, qui à ce moment devait être
interné. Il s’agissait plutôt de l’abbé Simonet qui s’était déjà opposé à
Mesnard. Peut-être, est-ce aussi avec la complicité de l’ancien capucin Matras
que la Vierge échappa aux recherches de Lenoir qui traita les
« ravisseurs » de la statue de « Parti des Fanatiques ».
(2 (2) Il
serait intéressant de rechercher dans d’éventuelles archives de la famille des
Bouthilier, une indication sur l’origine de cette « Vénus ».
SOURCES
Inventaire
Général des richesses d’Art de la France, Archives du Musée des Monuments
Français, 2ème partie, année 1798.
Extrait de « Faits divers en
l’église St Laurent de Nogent/Seine » par D. Prevot.
* Claude Bouthillier, né à Paris le 4
février 1581 et mort le 6 mars 1652, seigneur de Foulletourte et de Pont, comte
de Chavigny, est un homme d'État français.
Le 4 décembre 1613, il est reçu conseiller au
Parlement de Paris puis le 18 septembre 1619, il obtient un brevet de
conseiller d'État et secrétaire de la reine-mère Marie de Médicis.
Les relations de son père, Denis Bouthillier sieur
du Petit-Thouars et de Foulletourte, avec le cardinal de Richelieu, lui
permettent de faire carrière. Du 29 septembre 1628 à mai 1629, il est
secrétaire d’État à la Marine, puis, du 2 mai 1629 au 18 mars 1632, il est
secrétaire d'État des Affaires étrangères. Il garde alors le même premier
commis que ses prédécesseurs, Paul II Ardier. En 1630, il prend part aux
négociations lors du traité de Ratisbonne. En juillet 1632 il est nommé
intendant de la Maison du roi, et, cette même-année, conseiller au Conseil de
la Marine. Il fut capable de rester en bons termes aussi bien avec la reine
qu'avec le cardinal en dépit de leur rivalité. C'est lui qui présente Mazarin à
Richelieu.
Du 3 avril 1632 à juin 1643, il est surintendant des
finances en compagnie de Claude de Bullion et joue aussi un grand rôle
diplomatique (département des Affaires d'Allemagne en compagnie du Père
Joseph). Il est ensuite le seul titulaire de ces deux postes. Le 13 août 1632
il devient surintendant de la maison, affaire et finance de Navarre, le 13 août
1632, conseiller d’honneur au Parlement. De 1633 à 1640, il est chargé par
Richelieu de missions secrètes en Allemagne qui mèneront à l'entrée de la France
dans la guerre de Trente Ans. Il négocie en particulier l'alliance avec
Gustave-Adolphe.
Son tact et son habileté lui confèrent une position
d'influence unique à la cour pétrie de jalousie et d'intrigues. Il a la
confiance du roi, est le confident de Richelieu, l'ami de Marie de Médicis, et
au travers de son fils, Léon Bouthillier, devenu en 1635 chancelier de Gaston
d'Orléans, il a aussi un pouvoir d'influence sur le prince. Il devient un
médiateur inégalable et son influence personnelle, liée à sa double casquette
aux finances et à la politique étrangère de la France, fait de lui l'homme le
plus puissant du royaume après Richelieu.
En 1643, Richelieu fait de lui l'exécuteur de ses
dernières volontés et Louis XIII le nomme membre du conseil de régence qui aurait
dû gouverner après sa mort. Mais Anne d'Autriche en appelle au Parlement de
Paris pour casser les dernières volontés du roi défunt. Devant l'hostilité de
la régente à son égard, Bouthillier sera obligé de se retirer de la vie
publique et d'abandonner son poste de surintendant des finances en juin 1643 au
profit de Nicolas de Bailleul.
Il a fait construire par Pierre Le Muet dans les
années 1640 le château de Pont-sur-Seine au lieu-dit Les Caves. Il est
considéré immédiatement comme un des plus beaux bâtiments de France. Il a été
incendié pendant la campagne de France, en 1814.
Il meurt à Paris le 6 mars 1652 et est inhumé à
Pont-sur-Seine le 22 avril 1652 dans sa chapelle de l'église Saint-Martin dont
il avait confié la décoration à Philippe de Champaigne.
En août 1606 Claude Bouthillier épouse Marie de
Bragelongne, fille de Léon de Bragelongne, conseiller au Parlement de Paris, et
de Guyonne/Eléonore de La Grange. Il est le père de Léon Bouthillier
(1608-1652), comte de Chavigny. Marie de Bragelonne a assuré à Pont-sur-Seine
l'éducation de sa petite-nièce, orpheline de mère en bas âge, Anne de La
Grange-Trianon ; contre son gré (Marie envisageait la vie monastique pour sa
jeune protégée), Anne épousera secrètement en octobre 1648 Louis de Buade de
Frontenac (en fait, Anne était la petite-cousine de Marie de Bragelongne : car
la mère de Marie, Eléonore/Guyonne de La Grange-Trianon était la fille de Louis
de La Grange et la sœur d'Innocent de La Grange-Trianon, lui-même père de
Charles de La Grange et grand-père d'Anne de La Grange-Trianon ; Trianon : à
Luzarches et Epinay-Champlâtreux.
Ils fondèrent le couvent des capucins de Nogent (sur
Seine) (Aube 10)