vendredi 27 décembre 2024

Les Mays de ND de Paris et les dons du chanoine de La Porte

 


Les Mays de Notre-Dame sont de grands tableaux commandés par la corporation des orfèvres parisiens en accord avec les chanoines pour les offrir le 1er mai à Notre-Dame. Ils sont réalisés entre 1630 à 1707 par des peintres célèbres à leurs époques.

Le May, offrande de la corporation des orfèvres


Les orfèvres de Paris

Le 1er mai 1449, la corporation des orfèvres parisiens inaugure l’offrande du May à Notre-Dame de Paris. Leur forme évolua : arbre décoré de rubans, tabernacle orné de scènes bibliques de 1482 à 1604, puis de 1606 à 1629, tabernacle de forme triangulaire dans lequel s’insère directement (sur l’une de ses faces) un tableau peint sur bois, appelé « petit may ».

Les actes des apôtres

Avec la Renaissance, la peinture religieuse de grand format apparait dans les églises. A Paris, au XVIIe siècle, de grands retables peints décorent les maîtres-autels. A partir de 1630, de grandes toiles de plus de trois mètres de hauteur, illustrant les actes des apôtres, remplacent les petits Mays. Par ailleurs, le cinquième livre du Nouveau Testament rassemble les récits concernant Les Actes des Apôtres, écrits par saint Luc. Ils relatent l’activité missionnaire des premiers disciples de Jésus.

En définitive, le thème des toiles, choisi en collaboration avec les chanoines de la cathédrale, invite les peintres à soumettre leurs esquisses.

Une opportunité pour les peintres

D’abord placés devant l’autel de la Vierge, les grands Mays, se retrouvent accrochés aux piliers de la nef centrale. Au fur et à mesure que la collection s’agrandit, la localisation des Mays change. Il est possible de les retrouver dans les chapelles, les arcades du chœur ou du déambulatoire. Les artistes choisis sont généralement des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648. Cependant, la commande d’un May est un honneur convoité. La réalisation appartient souvent aux jeunes peintres, au talent prometteur. A une époque où les musées n’existent pas, l’exposition d’une œuvre dans la cathédrale leur procure l’opportunité d’une exposition publique permanente. De ce fait, ces commandes prennent la forme d’un concours et une véritable émulation anime les peintres. Ils y accordent donc un soin particulier pour parfaire leur réputation. Les collectionneurs cherchent également à en acquérir l’esquisse ou à en commander une seconde version.

Une série de tableaux partiellement conservée

En 1708, la dissolution de la corporation des orfèvres est due à difficultés financières. De fait, les commandes cessent. C’est pourquoi, les révolutionnaires saisissent les grands Mays, comme les autres biens ecclésiastiques, en 1793. Sur soixante-treize tableaux commandés par la confrérie entre 1630 et 1707, seuls cinquante et un se retrouvent encore au musée Petits-Augustins ou au Louvre. Dans l’ensemble, la production picturale à Paris au XVIIe siècle reste emblématique de la l’excellence. Finalement, l’évolution du goût permettent à certaines peintures de prospérer, alors que certaines, négligées par la critique, se font oublier.

Puisqu’au XIXe siècle, le décor est jugé encombrant et désuet, lors des restaurations, Eugène Viollet-le-Duc ne retient que quelques œuvres pour décorer des chapelles de la cathédrale. Les autres tableaux sont répartis ailleurs en France entre des églises, le Musée du Louvre, et les musées des Beaux-Arts en région, où ils sont exposés.


Œuvres présentées dans les chapelles de Notre Dame, avant l’incendie de 2019 :


La Descente du Saint-Esprit par Jacques Blanchard – 1634

Le May de 1634 peint par Jacques Blanchard illustre le thème de la Pentecôte. Dans les textes, cinquante jours après Pâques, l’esprit de Dieu, symbolisé par des langues de feu, souffle sur les apôtres.

Les apôtres sont rassemblés autour de Marie, assise à droite. Ils manifestent leur surprise à la vue des langues de feu qui se posent sur leurs têtes. Une architecture de style grec, garnie de colonnes ioniques, sert de décor. La composition est campée en croix, la variété des attitudes et des émotions rendent la scène dynamique.

Jacques Blanchard a 34 ans lorsqu’il peint cette toile. La critique reconnait en lui le talent d’un peintre prometteur. Blanchard a retenu de son voyage en Italie la leçon des maîtres italiens : il intègre avec subtilité les jeux de lumières sur les différents plans de la composition.


Saint Pierre guérissant les malades de son ombre par Laurent de la Hyre – 1635

Le May de 1635, peint par Laurent de La Hyre caractérise la peinture classique française en vogue à Paris dans les années 1630-1640. Le thème est tiré des « Actes des apôtres ».


La composition se lit par plans successifs tels que le fil de l’histoire. Au premier plan, un jeune enfant pleure la mort de sa mère qui vient d’expier. Elle apparait blafarde, allongée, la main tout juste abandonné sur son enfant. Au second plan, Pierre, isolé au centre de la composition passe parmi les malades. Il évoque ainsi l’apôtre désigné par le Christ comme « la pierre sur laquelle bâtir l’Église». Son ombre se projette sur un homme au visage bandé qui l’implore à ses pieds. Il incarne alors l’allégorie de l’Église par laquelle les prodiges se réalisent. Au troisième plan, sous la colonnade de Salomon, d’autres malades sont au sol ou soutenus par des femmes.

 Le thème du secours porté aux malades rappelle la charité de l’Église et l’Hôtel-Dieu, à proximité de la cathédrale. En effet, il s’agit d’un lieu d’hospice pour les pauvres et les malades. Le teint blafard de la femme morte, évoque également les épidémies de peste qui sévissent en France vers 1630.

Laurent de la Hyre (1606-1656)

De la Hyre traduit son goût de l’antiquité et de la culture classique par le décor antique de ses œuvres. Sa palette se caractérise par une harmonie de couleurs claires et pures. A Paris, il se présente comme un jeune peintre prometteur lorsque la confrérie lui commande le May de 1635. Finalement, le tableau trouve sa place dans le transept nord de la cathédrale. L’engouement autour de son œuvre lui permet alors d’accéder à une nouvelle commande : l’illustration de La conversion de saint Paul.


La Conversion de saint Paul par Laurent de la Hyre – 1637

Le May de 1637, peint par Laurent de La Hyre, raconte un épisode de la vie de saint Paul. Alors qu’il est un soldat romain qui persécute les chrétiens, il est saisi de la vision du Christ sur la route de Damas.


Pour interpréter la soudaine conversion de Saül, Laurent de la Hyre illustre le moment où le Christ lui apparait dans le ciel et lui dit : « Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? ». D’abord, le Christ est représenté dans le ciel, en haut à gauche. Renversé au sol, Paul est en tenue de légionnaire romain. Ainsi, il regarde le Christ, ébloui. Un soldat cherche à le relever tandis que la forte lumière aveugle l’escorte. D’autre part, la composition campe solidement entre jeux de spirales et lignes obliques. Les attitudes agitées des personnages offrent une grande dynamique à la scène. Dans l’ensemble, la grande expressivité des émotions met en lumière l’esprit baroque. La lumière éblouissante au milieu d’un ciel orageux accentue l’effet dramatique.


Le Centurion Corneille aux pieds de saint Pierre par Aubin Vouet – 1639

Le May de 1639, représente le moment où Pierre arrive à Césarée à la rencontre de Corneille. Le centurion se prosterne et Pierre lui dit « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi ». Ce tableau est peint par Aubin Vouet.


Le peintre choisit de retenir le dernier verset du récit : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. » Au milieu, à droite, l’apôtre Pierre relève le centurion, prosterné. Ainsi, la famille de Corneille se place symboliquement du côté gauche, le côté proscrit. Une femme, tenant un enfant, pointe son doigt vers Pierre. Comme dans le texte, des frères de Jaffa se tiennent près de lui. Par ailleurs, les grandes colonnes du second plan rappellent les piliers de la cathédrale. Il s’agit d’un lien symbolique pour les fidèles entre l’histoire passée et le lieu présent, dans lequel ils se trouvent. Ce tableau illustre l’intérieur de la chapelle Saint-Pierre.

Aubin Vouet (1595-1641)

Aubin Vouet se spécialise dans les grandes peintures mythologiques et religieuses. Quant à son voyage à Rome, il lui apprend la leçon de Caravage : éclairage puissant, palette aux coloris vifs et grands drapés rythmant la scène. Comme son frère Simon Vouet, peintre attitré de Louis XIII, il dessine des compositions où il prête au sujet plus d’emphase, notamment en surélevant les personnages. Tombé dans l’oubli, il bénéficie pourtant à son époque d’une solide réputation. Il est l’un des premiers peintres à recevoir la commande du May de Notre-Dame ; honneur renouvelé à trois reprise en 1632, 1639 et 1640.

 

 

La Prédication de saint Pierre à Jérusalem par Charles Poerson – 1642

Le May de 1642 est un tableau peint par Charles Poërson. Il représente saint Pierre, prédicateur à Jérusalem. D’après saint Luc, dans Les Actes des Apôtres, Pierre proclame : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés ».


La scène illustre le verset 40, lorsque Pierre interpelle son auditoire en leur disant « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés ». Le peintre évoque subtilement la « génération tortueuse » par les colonnes antiques tordues, en forme de S, et l’homme craintif de dos qui s’y accroche et se contorsionne. Campé au milieu de la composition, saint Pierre lève les bras. Ainsi vêtu de jaune, il représente l’espérance. D’un côté, il pointe le ciel de sa main gauche. Tandis que de sa main droite il semble bénir la foule d’un geste protecteur. Au premier plan, à droite, une femme étendue au sol retient son nourrisson. Elle semble frappée d’une lumière divine, allégorie de la lumière de Dieu qui protège la mère et l’enfant. Vêtue de bleu, elle symbolise la couleur donnée traditionnellement au vêtement de Marie à cette époque. Le tableau se trouve dans la chapelle Saint-Pierre.

 

Charles Poërson (1609-1667)

Charles Poërson est l’élève de Simon Vouet, peintre du roi Louis XIII et très réputé à Paris vers 1630-1640. Le sens du mouvement, le jeu des mains et les draperies peints par Vouet sont de grandes influences pour Poërson. Les sculptures de Michel Ange inspirent également les torses musclés de ses œuvres, notamment « l’esclave rebelle » (Musée du Louvre). L’œuvre appartient alors aux collections de Richelieu, où Charles Poërson a pu la voir. Michel Ange sculpte ce marbre dans une période de grands troubles politiques à Rome. Ainsi, il interprète cette période dans son œuvre par le maniérisme de l’attitude. Par résonance politique, l’œuvre évoque les troubles politiques subis par Louis XIII et Richelieu à la même époque pour lutter contre le protestantisme et rivalités européennes.

 

Le Crucifiement de saint Pierre par Sébastien Bourdon – 1643

La corporation des orfèvres parisiens commande à Sébastien Bourdon le May de 1643. Il représente le martyr de saint Pierre crucifié la tête en bas selon son souhait.

 


Le peintre place la scène du crucifiement essentiellement au centre du tableau. Les jeux d’obliques de la composition donnent une impression d’agitation pour interpréter le désordre ambiant à Rome à cette époque. De même, la statue antique qui vacille souligne ce désordre, en parallèle à la chute de l’empire romain. Les attitudes et postures des personnages montrent également un certain déséquilibre. L’éclairage puissant centré sur Pierre, et les bourreaux de droite, accentue l’effet théâtral et dramatique de la scène. En bas à gauche, Marcel ou Apulée, disciple de Pierre, se vêt comme les chanoines. Il lui parle et le conforte alors sur la pérennité de son engagement. Du reste, un ange dans le ciel présente une couronne de fleurs. Cette couronne alignée avec le visage de saint Pierre symbolise le lien spirituel de la foi, entre la terre et le ciel.

 

Sébastien Bourdon (1616-1671)

Sébastien Bourdon est un jeune peintre de 27 ans lorsqu’il reçoit la commande du May de Notre Dame. Il est arrivé à Paris à 23 ans après un voyage à Rome où il étudie les grands maîtres de la peinture. Il séduit sa clientèle parisienne grâce à sa palette colorée et à la complexité de ses compositions.

 

Le Crucifiement de saint André par Charles Le Brun – 1647

Premiers disciples de Jésus avec son frère Pierre, le vieil homme est crucifié sur ordre du proconsul Egéas vers l’an 60.


Le peintre représente la scène en deux registres. En haut, le proconsul Égéas, assis à son tribunal, vient d’ordonner la mort d’André, lié sur la croix par les pieds et les mains. Les bourreaux arrachent ses vêtements et le préparent au supplice, tandis que les soldats dispersent la foule qui proteste. André est crucifié sur une croix en forme de X qui porte depuis le Moyen Age le nom de croix de saint André. Ce signe est d’ailleurs bien connu des chrétiens.

Pour identifier facilement l’apôtre, le peintre représente saint André dans une attitude d’exaltation. En d’autres termes, bras et jambes écartés rappelant la forme en X de la croix de son martyr. Le vieil homme invoque alors le ciel où un angelot lui montre les palmes, symboles de gloire, dont les cieux l’honorent. Malgré la profusion des personnages, Le Brun dégage une lecture simple de la scène grâce à une lumière franche posée sur le saint martyr et l’ange.

Charles Le Brun (1619-1690)

Charles Le Brun s’est formé dans l’atelier de Simon Vouet, peintre du May de 1640, La délivrance de saint Pierre. Après quatre années passées à Rome à étudier les grands maîtres, il retourne à Paris en 1646. Nommé dès l’année suivante Peintre et Valet de chambre du Roi. A la même période, il reçoit la commande de ce May de 1647.


Saint Paul rend aveugle le faux prophète Barjesu et convertit le proconsul Sergius 

par Nicolas Loir – 1650


L'épisode est tiré du chapitre XIII des "Actes des apôtres" (versets 8-12). Alors qu'il était à Paphos, sur l'île de Chypre, prêchant la parole de Dieu devant le proconsul Sergius Paulus, saint Paul fut interrompu et contredit par le magicien Barjésus (appelé aussi Élymas) ; il fit appel à l’Esprit Saint et rendit temporairement aveugle le faux prophète. Suite à ce miracle, le proconsul se convertit au christianisme.

 Tableau conservé dans des réserves hors de la cathédrale


La Lapidation de saint Étienne par Charles Le Brun – 1651

Ce May, offert par la corporation des orfèvres à Notre-Dame en 1651 est peint par Charles Le Brun. Il représente le martyr de saint Etienne tel que décrit dans les Actes des Apôtres.


Avant tout, le tableau représente le moment où Étienne est traîné hors de la ville de Jérusalem. Son martyr a supposément lieu à la Porte de Damas. On l’observe, étendu sur le sol, les bras écartés, lapidé par ses bourreaux. Alors qu’un autre groupe, assiste à la scène. Le jeune Saül fait référence à Saül de Tarse convertit sur le chemin de Damas à Jérusalem (cf La Conversion de saint Paul de 1637). Dans le ciel, des anges portent Dieu le Père et le Christ. Le Christ porte ainsi sa croix et tend la main vers le jeune martyr qui le contemple.

Charles Le Brun (1619-1690)

Charles Le Brun a reçu la commande de ce May de 1647. Toutefois, lorsqu’il peint ce tableau en 1651, sa réputation est déjà solide. Grâce à Mazarin, il vient d’entrer au service de Louis XIV après avoir fondé en 1648 l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture. Le tableau se trouve dans la chapelle saint Éloi, patron des orfèvres, dont la corporation finance les Mays de Notre Dame. De cette manière, ils rendent hommage autant au premier martyr chrétien qu’à l’illustre artiste du roi.

 

La Flagellation de saints Paul et Silas par Louis Testelin – 1655


Tableau conservé dans des réserves hors de la cathédrale


Saint André tressaille de joie à la vue de son supplice par Gabriel Blanchard – 1670


Tableau conservé dans des réserves hors de la cathédrale


Le Prophète Agabus prédisant à saint Paul ses souffrances à Jérusalem par Louis Chéron – 1687

Le May de 1687 illustre le thème de la confiance et de la foi de saint Paul. Face à Agabus, disciple de Jésus, qui prédit sa mort il répond « je suis prêt ». Le tableau est peint par le Louis Chéron.


Agabus, assis au centre de la composition, lève le bras droit vers la colombe, symbole du Saint-Esprit. Il prédit à Paul son futur martyr. Paul se situe à gauche de la composition, au milieu de quatre disciples, dont l’un se lamente à ses pieds. Toutefois, son attitude est paisible, les bras ouverts en signe d’acception. Ce geste interprète le texte de saint Luc « je suis prêt ». D’autre part, il indique de sa main gauche la ceinture liée au pied d’Agabus par laquelle il est prêt à mourir en martyr. A droite, un groupe de femmes exprime leurs émotions à l’annonce de la prédication. La lecture de la composition est claire et lisible. Bien que Agabus soit au centre de la scène, l’artiste rappelle que le principal protagoniste de la scène est saint Paul qu’il vêt de rouge, couleur du rang des cardinaux et du sang des martyrs.

 

Louis Chéron (1660-1725)

Louis Chéron, un peintre parisien, honoré par deux fois du Prix de Rome en peinture. A Rome, il étudie Raphaël et le maniérisme italien. En effet, on retrouve l’influence de Raphaël dans l’architecture classique du fond de la scène et la monumentalité des personnages aux amples drapés, tel qu’il a pu les voir dans les Chambres de Vatican. Le maniérisme s’exprime à travers les couleurs acides et sombres à droite de la composition. Il a vingt-sept ans lorsqu’il livre sa commande. La chapelle Notre-Dame de Guadalupe accueille son May, malgré un succès de courte durée. D’origine protestante, l’exiler à Londres lui est inévitable. En revanche, c’est dans cette ville qu’il gagne sa renommée. Plus tard, son enterrement a lieu l’église Saint-Paul de Covent Garden.

 

 Les fils de Sceva battus par le démon par Mathieu Elias – 1702


Offert à la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1702 ; mentionné dans la nef du côté cloître depuis la porte d’entrée entre 1715 et 1728 ; mentionné sous les bas-côtés de la nef du côté cloître en entrant de 1742 à 1779 ; mentionné dans la chapelle Sainte-Geneviève de 1781 à 1793 ; restauré en 1781 ; envoyé au musée spécial de l’École française au château de Versailles en 1798 ; transféré à Notre-Dame de Paris en 1802 ; restauré en 1844 par Capados Pereira ; donné par le chapitre de Notre-Dame de Paris au Musée du Louvre en 1862 ; mentionné dans les réserves du Musée du Louvre en 1942 ; mis en dépôt par le Musée du Louvre à la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1963 ; état général assez satisfaisant, très empoussiéré en 2006, dépoussiérage en 2008).


Pour aller plus loin, d’autres tableaux de ND de Paris

 

Un ensemble de huit grands tableaux illustrant la Vie de la Vierge est commandé au XVIIIe siècle pour décorer le chœur de Notre-Dame.

La Visitation peinte par Jean Jouvenet en 1716 est l’œuvre la plus appréciée en son temps.

 

La Visitation par Jouvenet (1716)


Parmi les huit grands tableaux qui ornaient le chœur, seul celui-ci demeure aujourd’hui à Notre-Dame. Il témoigne avec force du décor grandiose mis en place au début du XVIIIe siècle.

Signature : J. JOUVENET. DEXTRA PARALYTICUS. SINISTRA PINXIT 1716

Inaccessible depuis l’incendie


Le don du chanoine de La Porte

En 1709, le chanoine de La Porte (1627-1710), instigateur financier du Vœu de Louis XIII et de la refonte du chœur, décide d’offrir à la cathédrale un ensemble de tableaux sur le thème de la vie de la Vierge, dont la Visitation. Lorsqu’il décède à 83 ans, en 1710, l’œuvre est inachevée. Grâce à l’héritage qu’il lègue à Notre- Dame, les huit tableaux sont finalisés et placés dans le chœur de la cathédrale en 1715. Les thèmes et artistes retenus sont les suivants :

La Visitation de Jouvenet (1716)

L’Annonciation de Hallé (1717)

(La Nativité et)  l’Adoration des Mages de Charles La Fosse

l’Assomption et Jésus au temple de Coypel

La Fuite en Égypte et la Présentation au Temple de Boullongne.

 

Soucieux de sa postérité, le chanoine se fait représenter à la même époque dans un grand tableau de Jean Jouvenet : La messe du chanoine de La Porte.


La messe du chanoine Antoine de La Porte vers 1710 
par Jean Jouvenet, INV 5502 ; MR 1861
Musée du Louvre


Les aléas de l’histoire

Lors des saisies révolutionnaires, les peintures sont transférées au Museum à Versailles. Durant ce transfert, trois toiles disparaissent. Plus tard, dans le cadre du Concordat, Napoléon Ier accorde la restitution des cinq toiles subsistantes. Elles retrouvent donc leurs places dans la cathédrale en 1807, accrochées dans de nouveaux cadres.

Lorsque Eugène Viollet-le-Duc restaure la cathédrale au XIXe siècle, il note dans ses carnets : « à l’occasion du baptême du Prince impérial, le 14 juin 1856, les tableaux ont été descendus et qu’on a pu voir ainsi les avantages qu’il y aurait pour le culte […] à ne pas replacer ces tableaux qui bouchent les arcades des bas-côtés et assombrissent toute cette partie latérale du chœur ». Il ajoute : « cet enlèvement permettrait de restaurer des piliers gravement endommagés et sapés, de manière à compromettre la solidité de l’édifice ».

 Dans les années 1860, le musée du Louvre expose les toiles. Seule la Visitation de Jouvenet revient à la cathédrale en 1947.


Le tableau de la Visitation

La scène illustre la visite de Marie, enceinte du Christ à sa cousine Elisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. Pour cette rencontre, elle voyage depuis Nazareth en Galilée jusqu’à Hébron en Judée. Marie, accompagnée de Joseph, se place à droite avec leur âne. Sur la gauche, le prêtre Zacharie, époux d’Élisabeth se tient en retrait. Cette scène symbolise traditionnellement la prophétie de Jean Baptiste, en d’autres termes, le lien entre l’ancien monde et le nouveau monde. Elisabeth apparait comme une vieille femme. Dans sa composition, le peintre ne retient pas l’épisode traditionnel de la rencontre de Marie où les deux femmes dialoguent mais celui, plus rarement traité, du « Magnificat ». Marie, glorieuse, lève les mains et yeux vers le ciel, auréolée de lumière. Le peintre accentue l’effet de gloire en plaçant les deux femmes surélevées sur des marches au centre du tableau, et l’ensemble des personnages disposés en cercle autour d’elles.

 Tout à fait à gauche de la composition, l’artiste s’est représenté à côté du chanoine de La Porte. Le chanoine est déjà mort depuis six ans à la date où Jouvenet peint l’œuvre. Toutefois, il l’a déjà portraituré par deux fois et s’en inspire dans cette reprise. Jouvenet use d’une tradition ancienne dans la peinture religieuse de représenter son commanditaire dans le tableau. Quant à l’au portrait du peintre (mort l’année suivante), il se représente jeune, sous un profil plus idéalisé que réaliste.

 Jean Jouvenet (1644-1717)

Jean Jouvenet entre à 17 ans au sein de l’atelier de Charles Le Brun, premier peintre de Louis XIV, auquel Notre Dame a commandé deux Mays. Notamment, Le Crucifiement de saint André (1647) et La lapidation de saint Étienne (1651). Il travaille pour Versailles et reçoit de nombreuses commandes du roi. De fait, il devient directeur de l’académie de peinture en 1705.

 En 1673, l’artiste n’a que 29 ans lorsque le chapitre de Notre-Dame lui commande un May sur le thème de La guérison du paralytique. Ce thème est une coïncidence fortuite. En effet, lors qu’il peint La Visitation, il est âgé de 72 ans, et souffre depuis trois ans d’une paralysie de la main droite suite à une crise d’apoplexie. Travailleur acharné, il s’habitue à peindre de la main gauche. Il date et signe son tableau sur la première marche: « J. Jouvenet dextra paralyticus sinistra fecit 1716 »., c’est-à-dire « fait de la main gauche car la droite est paralysée ».

 Un style à la mode

La gestuelle de Charles le Brun, lui-même influencé par Rubens, influence le style de Jouvenet. Il s’intéresse à créer des effets théâtraux dans le mouvement des drapés tout en gardant une fraîcheur de tonalité. Ainsi, le sujet revêt une emphase très appréciée par le roi. L’artiste se copie lui-même en reprenant la modèle de la Vierge qu’il a peint dans La Descente du Saint-Esprit de la chapelle du château de Versailles. Cette nouvelle représentation de la Vierge qui plait au roi, plait à la cour et devient à la mode. C’est pourquoi cette Visitation, connue et admirée par ses contemporains, a été plusieurs fois copiée au XVIIIe siècle.


 Saint Thomas d’Aquin, Fontaine de Sagesse par Antoine Nicolas (1648)

Ce tableau du XVIIe siècle témoigne de la ferveur des catholiques à l’égard de saint Thomas d’Aquin. Ce dominicain étudie puis enseigne la théologie à l’université de Paris au milieu du XIIe siècle. Ses écrits, rédigés à Paris, sont contemporains de l’ouverture de Notre-Dame.


Épargné lors de l’incendie de ND


Saint Thomas d’Aquin (1225-1274)

Né en Italie, Thomas d’Aquin entre dans l’ordre dominicain en 1244. Il vient à deux reprises étudier à l’université de Paris en 1245 et 1252. Il est probable qu’il fréquente Notre-Dame dont le premier chantier vient toujours juste de s’achever sous le règne de saint Louis. Parti enseigner la théologie à Rome, il retourne à Paris en 1268 alors que des querelles morales autour des pensées d’Aristote font rage dans l’Église. Là, durant quatre ans, il écrit la majorité de son œuvre. Ses propos questionnent la foi et l’existence de Dieu à travers la nature et la connaissance du monde. Ainsi, il associe théologie et philosophie. Somme toute, ses écrits portent sur l’âme, le corps, les passions, la liberté et la béatitude.

Considéré comme père spirituel de l’Église, inhumé à Toulouse puis canonisé en 1323, il obtient en 1567 le titre de docteur de l’Église. A cette époque, ses écrits sont contestés par les protestants lors de la Réforme. Au milieu du XVIIe siècle, l’enseignement de saint Thomas d’Aquin est largement diffusé par l’Église catholique. Sa renommée s’accroit lorsqu’Ignace de Loyola le choisit comme maitre spirituel de l’ordre des jésuites, dont Louis XIII et Louis XIV soutiennent l’enseignement.

Le tableau

Identifiable par son titre de doctor angelicus, inscrit sur le piédestal, saint Thomas d’Aquin s’illustre assis au centre, vêtu de l’habit dominicain. Il tient un crucifix de la main droite, et un livre ouvert de la main gauche. Il porte également une parure composée d’un soleil d’or sur une chaine et une chape étoilée. C’est avec ces ornements qu’il apparait en vision au dominicain Albert de Brescia au XIIIe siècle. Saint Augustin explique que son enseignement a éclairé l’Église comme ce soleil sur sa poitrine. Par conséquent, soleil et chaîne dorée deviennent les attributs iconographiques de saint Thomas d’Aquin.

De part et d’autre du saint, des personnages tendent des écuelles pour boire à la source jaillissante. Une inscription au bas de la toile indique  Hi puros promunt divino e fontes liquores  qu’on peut traduire par  Eux tirent de pures liqueurs de la fontaine divine. Sa théologie se compare à une  liqueur  spirituelle qui abreuve les âmes qui ont soif de connaître Dieu. Les religieux autour de saint Thomas d’Aquin appartiennent à divers ordres religieux : dominicain, carmélite, franciscain, capucin. Parmi eux, figure un roi (le jeune Louis XIV ?) paré de l’hermine. Deux jeunes gens au premier plan ont également accès à la source.

 Antoine Nicolas

Antoine Nicolas, originaire de Langres, peint se tableau en 1648, l’époque de la Régence. A cette période, Louis XIV est un jeune roi mais ne gouverne pas encore. On ignore donc l’origine de cette commande. La communauté des Dominicaines de Saint-Maur-des-Faussés conserve le tableau avant de le donner au couvent dominicain de l’Annonciation du faubourg Saint-Honoré à Paris vers 1950. Le couvent en fait don à Notre-Dame de Paris à l’occasion du 700e anniversaire de la mort de saint Thomas d’Aquin en 1974.


L’Annonciation de Hallé

l'Annonciation 1717 Hallé, Claude-Guy France inv. MI 311 Musée du Louvre

Commandé entre 1715 et 1717 pour remplacer une première toile commandée vers 1710 grâce à la générosité du chanoine Antoine de La Porte (1627-1710), pour orner le chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, avec sept autres tableaux par Louis de Boullongne, "Le Repos pendant la fuite en Egypte", M.I. 305 (déposé à Arras, musée des Beaux-Arts, 1938), et "La Présentation au temple", M.I. 306, Antoine Coypel, "L'Assomption de la Vierge" (disparu) et "Jésus au temple" (Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), chapelle des Pénitents Blancs), Jean Jouvenet, "La Visitation", M.I. 314 (déposé à Paris, cathédrale Notre-Dame, 1949), et Charles de La Fosse, "La Nativité", INV. 3562, et "L'Adoration des Mages", M.I. 316.

Chacun des tableaux a été payé 2500 livres. Ils furent accrochés au-dessus des stalles du chœur entre 1715 et 1717.

La toile initialement commandée à Claude Guy Hallé fut mise en place en 1715 mais remplacée dès 1717, probablement pour des raisons d’iconographie religieuse, par la peinture aujourd’hui conservée au Louvre. Elle a été gravée par Jacques François Blondel pour "L’Architecture française" de Mariette (1727), sans doute d’après un dessin exécuté en 1716, et vendue par Claude Guy Hallé lui-même en 1735 (Willk-Brocard, 1995 ; Marandet, 2017). La version conservée au musée du Louvre a été gravée par Nicolas Henri Tardieu.

Paris, cathédrale Notre-Dame de Paris ; saisi à la Révolution, 1793 ; Paris, dépôt des Petits-Augustins ; Paris, Muséum des arts, 1794 ; Paris, cathédrale Notre-Dame, 1802 ; don du chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Paris au musée du Louvre, 1862.


La Nativité et l’Adoration des Mages de Charles La Fosse

l'Adoration des Mages  1715  Charles de La Fosse, inv. MI 316 Musée du Louvre


Charles de La Fosse, l’infatigable peintre novateur et le décorateur le plus admiré de la fin du XVIIe siècle, est tombé dans l’oubli comme nombre de ses contemporains. Il a pâti du qualificatif dépréciatif d’artiste « de transition » qui établit le lien entre deux génies, Charles Le Brun et Antoine Watteau.

Exact contemporain de Louis XIV (1638-1715), il fut pourtant le seul artiste de sa génération à participer à tous les chantiers royaux. Des Tuileries à l’abside de la chapelle royale de Versailles, il décora le salon d’Apollon dans les Grands Appartements puis participa à la commande du Grand Trianon en 1688. Après le château de Marly, il fut sollicité pour le château de Meudon et pour l’église des Invalides dont il décora le dôme. Les mécènes les plus puissants comme la Grande Mademoiselle ou lord Montagu ne lui manquèrent jamais. Sa carrière fut brillante et ce jusqu’à sa mort à quatre-vingts ans. Il effectua comme il se devait son apprentissage auprès de Charles Le Brun. En 1658, il gagna l’Italie, Rome, puis Venise où il séjourna de 1660 à 1663, tournant décisif dans l’évolution de son art qui fera de lui l’un des « coloristes » les plus influents dans la querelle les opposant aux poussinistes. Dès 1681, avec Le Sacrifice d’Iphigénie dans le salon de Diane au château de Versailles, il adopta les leçons de Rubens pour ne plus les quitter. L’année 1699, qui marque l’apogée de sa carrière, voit en effet son ami Jules Hardouin-Mansart devenir surintendant des Bâtiments du roi et sa propre nomination à la tête de l’Académie royale de peinture et de sculpture, tandis que Roger de Piles, le plus tenace défenseur du parti coloriste, intègre cette institution avec le rang de conseiller. Au tournant du siècle, il adopta un ton gracieux dans ses tableaux de chevalet, comme dans le célèbre Moïse sauvé des eaux du musée du Louvre, avec des reflets scintillants sur les draperies et les arbres floconneux qui préfigurent l’esthétique rococo et ouvrent la voie à la peinture du XVIIIe siècle. À la fin de sa vie, le soutien qu’il apporta à Antoine Watteau avec qui il cohabita chez Pierre Crozat explique en grande partie sa redécouverte récente par le marché international. Ce dernier s’inspira en effet de la technique graphique de La Fosse, celle des trois crayons où le relief des formes se marie avec bonheur à la délicatesse des épidermes. Alain Mérot juge que « La Fosse, ce “maître des Modernes”, a accompagné – et finalement réalisé – la recomposition du grand art français à la fin du règne de Louis XIV ». L’hommage qui lui est rendu en 2015 au château de Versailles lui a restitué son rang, celui du peintre le plus influent de la seconde partie du règne de Louis XIV.

Charles de la Fosse à Versailles : ici


La Fuite en Égypte de Boullongne


Le repos pendant la fuite en Egypte ; 1715
Boullogne, Louis II de, dit Le Jeune (Paris, 1654 - Paris, 1733)
inv : MI 305 ; D 938 16 – musée du Louvre
Signé, daté en bas à gauche : L. DE BOULLONGNE FIC. 1715

Paris, cathédrale Notre-Dame ; saisi à la Révolution ; Paris, dépôt des Petits-Augustins, 1793 ; Paris, Muséum des arts, 1794 ; Paris, cathédrale Notre-Dame ; don du chapitre de la cathédrale Notre-Dame au musée du Louvre, 1862, Dépositaire : Musée des Beaux-arts, Arras


Tout étant possible : 

Le repos pendant la Fuite en Égypte
Louis II de BOULLOGNE (Paris 1654 - 1733), dit le jeune 

NANTES  BELLE VENTE MOBILIERE le samedi 26 novembre 2022

Louis II de BOULLOGNE (Paris 1654 - 1733), dit le jeune - Le repos pendant la Fuite en Egypte. Toile. Cadre : en chêne mouluré et doré d'époque Louis XV. Hauteur : 55 cm, Largeur : 65 cm (Soulèvements) Notre toile est à rapprocher du grand format commandé par le chanoine Antoine de La Porte (1627-1710) pour décorer le chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, avec sept autres tableaux en tout, sur le thème de la vie de la Vierge. Ils ont été demandés à cinq artistes (Louis de Boullogne, Antoine Coypel, Claude-Guy Hallé, Jean Jouvenet et Charles de La Fosse) et furent accrochés au-dessus des stalles entre 1715 et 1717. Chacune fut payée 2500 livres. Le tableau final du "Le repos pendant la Fuite en Egypte", qui mesure 4,25 x 4,31 mètres, est aujourd'hui conservé au musée des Beaux-Arts d'Arras (dépôt du musée du Louvre). 

Concernant l'autre composition de Louis de Boullogne pour ce cycle, la Présentation au Temple (musée du Louvre), l'esquisse, ou plutôt le modello de présentation, a été acquise par le musée d'Art Roger-Quillot de Clermont-Ferrand en 2018. C'est une toile au même dimension que la nôtre. 

Bibliographie récente en rapport : catalogue de l'exposition "Les couleurs du ciel Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle", Paris, musée Carnavalet, 2012-2013, p.352 - 353. Expert : Cabinet Turquin.

Tableaux anciens (avant l’impressionnisme 1870)

Prix d’adjudication hors frais : 18800 €



La Présentation au Temple de Boullongne


La Présentation au Temple ; 1715 ; Boullogne, Louis II de, dit Le Jeune 
inv. MI 306 - musée du Louvre

Paris, cathédrale Notre-Dame de Paris ; saisi à la Révolution, 1793 ; Paris, dépôt des Petits-Augustins ; Paris, Muséum des arts, 1794 ; envoyé au musée spécial de l’école française à Versailles, 1797 ; Paris, musée Napoléon, 1806 ; Paris, cathédrale Notre-Dame, 1807 ; don du chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Paris au musée du Louvre, 1862.



Une mise à jour sera faite après mon prochain passage à ND de Paris



Paul Claudel « Ma Conversion »

 


 « La sécularisation allait déjà bon train en ce Noël 1886. On croyait que la raison allait tout éclairer. Et pourtant la lumière a jailli d’ailleurs, comme un éclair, dans la vie de Paul Claudel: "En un instant mon cœur fut touché et je crus! »

Paul Claudel      

Je suis né le 6 août 1868. Ma conversion s’est produite le 25 décembre 1886. J’avais donc dix-huit ans. Mais le développement de mon caractère était déjà, à ce moment, très avancé. Bien que rattachée des deux côtés à des lignées de croyants qui ont donné plusieurs prêtres à l’Eglise, ma famille était indifférente et, après notre arrivée à Paris, devint nettement étrangère aux choses de la foi.

Auparavant j’avais fait une bonne première communion qui, comme pour la plupart des jeunes garçons, fut à la fois le couronnement et le terme de mes pratiques religieuses. J’ai été élevé, ou plutôt instruit, d’abord par un professeur libre, dans des collèges (laïcs) de province, puis enfin au lycée Louis-le-Grand. Dès mon entrée dans cet établissement, j’avais perdu la foi, qui me semblait inconciliable avec la pluralité des mondes. La lecture de la Vie de Jésus de Renan fournit de nouveaux prétextes à ce changement de convictions que tout, d’ailleurs, autour de moi, facilitait ou encourageait.

Que l’on se rappelle ces tristes années quatre-vingts, l’époque du plein épanouissement de la littérature naturaliste. Jamais le joug de la matière ne parut mieux affermi. Tout ce qui avait un nom dans l’art, dans la science et dans la littérature, était irréligieux. Tous les soi-disant grands hommes de ce siècle finissant s’étaient distingués par leur hostilité à l’Eglise. Renan régnait. Il présidait la dernière distribution de prix du lycée Louis-le-Grand à laquelle j’assistai et il me semble que je fus couronné de ses mains. Victor Hugo venait de disparaître dans une apothéose.

A dix-huit ans, je croyais donc ce que croyaient la plupart des gens dits cultivés de ce temps. La forte idée de l’individuel et du concret était obscurcie en moi. J’acceptais l’hypothèse moniste et mécaniste dans toute sa rigueur; je croyais que tout était soumis aux «lois», et que ce monde était un enchaînement dur d’effets et de causes que la science allait arriver après-demain à débrouiller parfaitement. Tout cela me semblait d’ailleurs fort triste et fort ennuyeux. Quant à l’idée du devoir kantien que nous présentait mon professeur de philosophie, M. Burdeau, jamais il ne me fut possible de la digérer.

Je vivais d’ailleurs dans l’immoralité et, peu à peu, je tombai dans un état de désespoir. La mort de mon grand-père, que j’avais vu de longs mois rongé par un cancer à l’estomac, m’avait inspiré une profonde terreur et la pensée de la mort ne me quittait pas. J'avais complètement oublié la religion et j'étais à son égard d'une ignorance sauvage. La première lueur de vérité me fut donnée par la rencontre des livres d'un grand poète, à qui je dois une éternelle reconnaissance, et qui a eu dans la formation de ma pensée une part prépondérante, Arthur Rimbaud. La lecture des Illuminations, puis, quelques mois après, d'Une Saison en enfer, fut pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ouvraient une fissure dans mon bagne matérialiste et me donnaient l'impression vivante et presque physique du surnaturel. Mais mon état habituel d'asphyxie et de désespoir restait le même.

Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettantisme supérieur, je trouverais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C'est dans ces dispositions que, coudoyé et bousculé par la foule, j'assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand'messe. Puis, n'ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. Les enfants de la maîtrise en robes blanches et les élèves du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l'entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie.

En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, de l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable.

En essayant, comme je l’ai fait souvent, de reconstituer les minutes qui suivirent cet instant extraordinaire, je retrouve les éléments suivants qui, cependant, ne formaient qu’un seul éclair, une seule arme, dont la Providence divine se servait pour atteindre et s’ouvrir enfin le cœur d’un pauvre enfant désespéré: «Que les gens qui croient sont heureux! Si c’était vrai, pourtant! C’est vrai! Dieu existe, Il est là. C’est quelqu’un, c’est un être aussi personnel que moi! Il m’aime, Il m’appelle.» Les larmes et les sanglots étaient venus et le chant si tendre de l’Adeste ajoutait encore à mon émotion.

Emotion bien douce où se mêlait cependant un sentiment d’épouvante et presque d’horreur ! Car mes convictions philosophiques étaient entières. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer, la religion catholique me semblait toujours le même trésor d’anecdotes absurdes, ses prêtres et les fidèles m’inspiraient la même aversion qui allait jusqu’à la haine et jusqu’au dégoût. L’édifice de mes opinions et de mes connaissances restait debout et je n’y voyais aucun défaut. Il était seulement arrivé que j’en étais sorti.

Un Etre nouveau et formidable, avec de terribles exigences, pour le jeune homme et l’artiste que j’étais, s’était révélé que je ne savais concilier avec rien de ce qui m’entourait. L’état d’un homme qu’on arracherait d’un seul coup de sa peau pour le planter dans un corps étranger au milieu d’un monde inconnu est la seule comparaison que je puisse trouver pour exprimer cet état de désarroi complet. Ce qui était le plus répugnant, à mes opinions et à mes goûts, c’est cela pourtant qui était vrai, c’est cela dont il fallait bon gré, mal gré, que je m’accommodasse. Ah! Ce ne serait pas, du moins, sans avoir essayé tout ce qu’il m’était possible pour résister.

Cette résistance a duré quatre ans. J’ose dire que je fis une belle défense et que la lutte fut loyale et complète. Rien ne fut omis. J’usai de tous les moyens de résistance et je dus abandonner l’une après l’autre des armes qui ne me servaient à rien. Ce fut la grande crise de mon existence, cette agonie de la pensée dont Arthur Rimbaud a écrit: «Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes. Dur ennemi! le sang séché fume sur ma face!» Les jeunes gens qui abandonnent si facilement la foi ne savent pas ce qu’il en coûte pour la recouvrer et de quelles tortures elle devient le prix. La pensée de l’enfer, la pensée aussi de toutes les beautés et de toutes les joies, dont, à ce qu’il me paraissait, mon retour à la vérité, devait m’imposer le sacrifice, étaient surtout ce qui me retirait en arrière.

Mais enfin, dès le soir même de ce mémorable jour à Notre-Dame, après que je fus rentré chez moi par les rues pluvieuses qui me semblaient maintenant si étranges, j’avais pris une bible protestante qu’une amie allemande avait donnée autrefois à ma sœur Camille et, pour la première fois, j’avais entendu l’accent de cette voix si douce et si inflexible qui n’a cessé de retentir dans mon cœur.

Je ne connaissais que par Renan l’histoire de Jésus et, sur la foi de cet imposteur, j’ignorais même qu’il se fût jamais dit le Fils de Dieu. Chaque mot, chaque ligne démentait, avec une simplicité majestueuse, les impudentes affirmations de l’apostat et me dessillait les yeux. C’est vrai, je l’avouais avec le centurion, oui, Jésus était le Fils de Dieu. C’est à moi, Paul, entre tous, qu’Il s’adressait et Il me promettait son amour. Mais, en même temps, si je ne Le suivais, Il ne me laissait d’autre alternative que la damnation. Ah! Je n’avais pas besoin qu’on m’expliquât ce qu’était l’enfer et j’y avais fait ma « Saison ». Ces quelques heures m’avaient suffi pour me montrer que l’enfer est partout où n’est pas Jésus-Christ. Et que m’importait le reste du monde auprès de cet Etre nouveau et prodigieux qui venait de m’être révélé?

C’était l’homme nouveau en moi qui parlait ainsi, mais l’ancien résistait de toutes ses forces et ne voulait rien abandonner de cette vie qui s’ouvrait à lui. L’avouerai-je ? Au fond, le sentiment le plus fort qui m’empêchait de déclarer mes convictions était le respect humain. La pensée d’annoncer à tous ma conversion, de dire à mes parents que je voulais faire maigre le vendredi, de me proclamer moi-même un de ces catholiques tant raillés, me donnait des sueurs froides et, par moments, la violence qui m’était faite me causait une véritable indignation. Mais je sentais sur moi une main ferme. Je ne connaissais pas un prêtre. Je n’avais pas un ami catholique.

L’étude de la religion était devenue mon intérêt dominant. Chose curieuse ! l’éveil de l’âme et celui des facultés poétiques se faisaient chez moi en même temps, démentant mes préjugés et mes terreurs enfantines. C’est à ce moment que j’écrivis les premières versions de mes drames: Tête d’Or et La Ville. Quoiqu’étranger encore aux sacrements, déjà je participais à la vie de l’Eglise, je respirais enfin et la vie pénétrait en moi par tous les pores. Les livres qui m’ont le plus aidé à cette époque sont d’abord les Pensées de Pascal, ouvrage inestimable pour ceux qui cherchent la foi, bien que son influence ait souvent été funeste; les Elévations sur les Mystères et les Méditations sur les Evangiles de Bossuet, et ses autres traités philosophiques; le Poème de Dante, et les admirables récits de la Sœur Emmerich. La Métaphysique d’Aristote m’avait nettoyé l’esprit et m’introduisait dans les domaines de la véritable raison. L’Imitation appartenait à une sphère trop élevée pour moi et ses deux premiers livres m’avaient paru d’une dureté terrible.

Mais le grand livre qui m’était ouvert et où je fis mes classes, c’était l’Eglise. Louée soit à jamais cette grande mère majestueuse aux genoux de qui j’ai tout appris! Je passais tous mes dimanches à Notre-Dame et j’y allais le plus souvent possible en semaine. J’étais alors aussi ignorant de ma religion qu’on peut l’être du bouddhisme, et voilà que le drame sacré se déployait devant moi avec une magnificence qui surpassait toutes mes imaginations. Ah ! ce n’était plus le pauvre langage des livres de dévotion! C’était la plus profonde et la plus grandiose poésie, les gestes les plus augustes qui aient jamais été confiés à des êtres humains.

Je ne pouvais me rassasier du spectacle de la messe et chaque mouvement du prêtre s’inscrivait profondément dans mon esprit et dans mon cœur. La lecture de l’office des Morts, de celui de Noël, le spectacle des jours de la Semaine Sainte, le sublime chant de l’Exultet auprès duquel les accents les plus enivrés de Sophocle et de Pindare me paraissaient fades, tout cela m’écrasait de respect et de joie, de reconnaissance, de repentir et d’adoration! Peu à peu, lentement et péniblement, se faisait jour dans mon cœur cette idée que l’art et la poésie aussi sont des choses divines, et que les plaisirs de la chair, loin de leur être indispensables, leur sont au contraire un détriment. Combien j’enviais les heureux chrétiens que je voyais communier! Quant à moi, j’osais à peine me glisser parmi ceux qui, à chaque vendredi de Carême, venaient baiser la couronne d’épines.

Cependant les années passaient et ma situation devenait intolérable. Je priais Dieu avec larmes en secret et cependant je n’osais ouvrir la bouche. Pourtant, chaque jour, mes objections devenaient plus faibles et l’exigence de Dieu plus dure. Ah! que je Le connaissais bien à ce moment, et que Ses touches sur mon âme étaient fortes! Comment ai-je trouvé le courage d’y résister?

La troisième année, je lus les Ecritures posthumes de Baudelaire et je vis qu’un poète que je préférais à tous les Français avait trouvé la foi dans les dernières années de sa vie et s’était débattu dans les mêmes angoisses et dans les mêmes remords que moi. Je réunis mon courage et j’entrai un après-midi dans un confessionnal de Saint-Médard, ma paroisse. Les minutes où j’attendis le prêtre sont les plus amères de ma vie. Je trouvai un vieil homme qui me parut fort peu ému d’une histoire qui, à moi, semblait si intéressante; il me parla des «souvenirs de ma première communion» (à ma profonde vexation) et m’ordonna avant toute absolution de déclarer ma conversion à ma famille: en quoi aujourd’hui je ne puis lui donner tort. Je sortis de la boîte humilié et courroucé, et n’y revins que l’année suivante, lorsque je fus décidément forcé, réduit et poussé à bout. Là dans cette même église Saint-Médard, je trouvai un jeune prêtre miséricordieux et fraternel, M. l’abbé Ménard, qui me réconcilia, et plus tard, le saint et vénérable ecclésiastique, l’abbé Villaume, qui fut mon directeur et mon père bien-aimé, et dont, du ciel où il est maintenant je ne cesse de sentir sur moi la protection. Je fis ma seconde communion en ce même jour de Noël, le 25 décembre 1890 à Notre-Dame.

 

Paul Claudel, texte écrit en 1913

 

Paul Claudel est  né le 6 août 1868 à Villeneuve-sur-Fère (Aisne), et mort le 23 février 1955 à Paris, est un dramaturge, poète, essayiste et diplomate français, membre de l'Académie française. Il est le frère de la sculptrice Camille Claudel, le gendre de l'architecte Louis Sainte-Marie Perrin, et le beau-père du diplomate Jacques-Camille Paris.

Il étudie le droit et la philosophie avant de se tourner vers l'écriture. Ses premiers poèmes ont été publiés en 1890, et en 1893, il a écrit sa première pièce de théâtre à succès La Ville. Il a également travaillé comme diplomate pour le gouvernement français, ce qui l'a amené à voyager dans de nombreux pays, dont la Chine, où il a écrit une série de poèmes inspirés par sa rencontre avec la culture chinoise. En plus de ses poèmes, Claudel a écrit de nombreux drames, dont Le Soulier de satin et L'Annonce faite à Marie. Ses œuvres ont été traduites dans de nombreuses langues et ont été jouées dans le monde entier.

 

L’Annonce faite à Marie

 

L'Annonce faite à Marie est un « mystère » en quatre actes et un prologue de Paul Claudel créé le 22 décembre 1912 par la troupe du théâtre de l'Œuvre (salle Malakoff) dans une mise en scène d'Aurélien Lugné-Poe à laquelle participe Claudel lui-même.

Dans un « Moyen Âge de convention », Violaine, fille d'Anne Vercors, et fiancée à Jacques Hury, rencontre l'architecte Pierre de Craon, qui l'a autrefois désirée et a, depuis, contracté la lèpre. Violaine consent à lui donner, par compassion et charité, un baiser d'adieu. Mais la scène a été surprise par sa sœur Mara, amoureuse de Hury, et celle-ci va tout tenter pour nuire à sa rivale. C'est à ce moment que le père, Anne, annonce son intention subite d'abandonner la prospérité du domaine familial pour se rendre en Terre sainte laissant à Jacques le patronage de la maison et la main de Violaine.

À la suite du baiser donné à Pierre de Craon, Violaine contracte également la lèpre et, dénoncée par sa sœur, elle se voit reniée par les siens et abandonnée par son fiancé qui l'envoie dans une léproserie et épouse Mara. Elle se retire dans la forêt malade pour se vouer à Dieu. Mais voici que meurt l'enfant né du mariage de Mara et de Jacques. Désespérée, Mara va supplier la lépreuse dans sa caverne durant la nuit de Noël : elle ne l'aime pas, mais elle a foi dans la vertu de sa sainteté qui peut obtenir de Dieu un miracle. Violaine l'associe à ses prières et ressuscite l'enfant dont les yeux prennent alors la couleur des yeux bleus de Violaine alors qu'ils étaient noirs comme ceux de Mara.

À l'acte suivant, Violaine est tuée par Mara, toujours jalouse et, avant de mourir, elle obtient pour cette dernière le pardon de son père et de son mari. Et, tandis que la lèpre de Pierre de Craon a été mystérieusement guérie, Mara trouve enfin la paix dans le pardon, au son des cloches de l'Angélus dont le premier versicule donne son titre à la pièce : Angelus Domini nuntiavit Mariae (« L’ange du Seigneur apporta l’annonce à Marie »). L'histoire de cette jeune fille Violaine devenant progressivement une sainte, assimilée à la Vierge Marie, donne finalement la signification de ce mystère : la « possession d'une âme par le surnaturel », comme l'a décrit Claudel lui-même.


L’annonce faite  à Marie

Mara à gauche (ma mère) tient son enfant mort et Violaine la lépreuse à droite (ma tante) 

mise en scène par l’abbé J.D Bonnard




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