Les
mireurs d’urines
Il y a à peine 200 ans, la médecine ne
connaissait, comme moyen d’investigation pour juger de la santé d’un malade,
que de deux procédés : ma prise de poules et l’observation des urines.
Les battements du cœur par la prise du
pouls furent observés dès la plus Haute antiquité, et les Chinois surent même
distinguer de nombreuses variations de pulsations.
En ce qui concerne l’examen des urines,
on en trouve mention dans les papyrus égyptiens et sur les tablettes d’argiles
assyriennes.
A
l’époque biblique, la physiologie de la nutrition se
réduit chez les Juifs à cette phrase : « Tout ce qui entre dans la
bouche va dans le ventre, puis est jeté dans les lieux secrets ».
Cette courte et simpliste définition peut donner un
certain sens à l’étude des excréments et des urines.
Aristote,
né à Stagire, en Madédoine en 384 av. J.-C., (on le nomme souvent sous le nom
de Stagirite) fit des dissections animales et en tira des conclusions assez
hasardeuses pour le corps humain. Les riens, enseigne-t-il, filtrent l’urine du
sang grâce à la chaleur accumulée dans la capsule graisseuse qui les coiffe.
L’urine passe par les uretères dans la vessie, d’où elle est éliminée par
l’urètre. Définition comme toute assez valable, et qui montre à quel degré de
connaissance anatomique on était alors parvenu.
Et voici la fameuse Ecole d’Alexandrie, née en 332 av. J.-C., elle connut de grands
médecins dont l’érudition est basée sur le sens pratique. Citons Hérophile et son « Traité du
Pouls », Aristogène et Dioscoride de Phacas, Erasistrate dont on cite volontiers ce
trait de bon sens et d’humour :
Appelé un jour auprès d’un malade et entendant
celui-ci ronfler, il s’écria : « J’entends dans cette maison le
meilleur médecin ! »
L’École
empirique fut fondée à Alexandrie entre 270 et 220 av. J.-C.
Pour pénétrer les causes secrètes des maladies, les Empiriques se fondaient sur
trois principes. C’est ce qu’un des leurs, Glaucias,
a nommé le Trépied :
observations fréquentes, observations étrangères, principe d’analogie. Ainsi,
les Empiriques eurent le mérite de faire table rase des connaissances médicales
traditionnelles pour ne ternir compte que de l’observation (selon Hippocrate).
Ils ont donc fait œuvre scientifique.
Galien
vint beaucoup plus tard. Il est né à Pergame en 131 de notre ère. Cet illustre
médecin grec était resté fidèle aux conceptions d’Aristote (en particulier sur
l’anatomie humaine) et aux principes hippocratiques de la médecine, quoi qu’en
dise le vers fameux :
« Hippocrate dit oui, mais Galien dit
non ».
Ayant fait ce rapide survol de la question médicale
dans l’Antiquité, c’est avec le Moyen-Age que nous allons aborder le sujet plus
précis qui nous préoccupe.
Le
Moyen-Age a connu ses mireurs d’urines
Comment procédaient-ils ? On ne connaissait pas
alors le tube à essais, non plus que le prosaïque verre à pisse des modernes
gens de laboratoire. L’urine était observée, par transparence, dans le matula, autrement dit, le vase de nuit.
On jugeait ainsi de l’aspect des urines, de la
couleur, de la limpidité, et on observait surtout les « contenta »,
c’est-à-dire les sédiments. Un moine du 7ème siècle Théophile dit Protospatharios, est
l’auteur de travaux importants sur la séméiologie uroscopique. Arabes, Salernitains
et Byzantins, trouvèrent dans ses travaux une base pour de nouvelles
observations. Mais c’est surtout au 14ème siècle, avec Johannès Actuarios et son important
traité le « Peri ouron », que l’examen des urines prendra un
caractère presque scientifique. En effet, Actuarios, qui était médecin,
consacra 46 chapitres de son traité à la valeur séméiologique de l’examen des
contenta dans les urines. Mais écoutons-le plutôt :
« La science des urines est plus rapide et plus
sûre que celle du pouls, car elle place tout sous nos yeux, tandis que l’autre
subordonne tout au toucher. Or, il semble bien qu’il soit plus facile à juger
sur ce qu’on voit que d’après ce qu’on touche. »
Le professeur Cheymol, de la Faculté de médecine de
Paris, pharmacien chef honoraire des Hôpitaux, nous livre dans une vaste étude
sur le même sujet, deux judicieuses observations. La première est : de
l’uroscopie raisonnée, qui n’était qu’un moyen, on est passé insensiblement au XIIe siècle à
l’uromanie, voire à l’uromancie. Et le mireur d’urine – c’était généralement un
médecin (1) – eut beau jeu car – et ceci nous mène à la seconde observation du
professeur Cheymol – les prescriptions de l’Église concernant l’honneur du
sang, le devoir pour le clergé de soigner les âmes, non les corps… allaient
faire de lui un spécialiste. On distingua alors en effet trois personnes
distinctes préposées aux soins médicaux : le fysicien ou mieureur
d’urines, le chirurgien de robe
longue et le barbier-chirurgien,
un laïc en robe courte.
Parmi les célèbres médecins des XIe
et XIIe
siècles qui se sont intéressés à l’uroscopie, nous citerons deux maitres
arabes, Rhazès et Avicenne (Ibn Sina), les maîtres
salernitains Musandinus, Salernus, Urson, Maurus, mais aussi un
français célèbre Gilles de Corbeil
né en 1140, médecin de Philippe auguste et Chanoine de Notre-Dame de Paris. Ce
savant a écrit un poème sur les urines « Carmina de urinrum
Judiciis », 352 vers, tendant à démontrer l’excellence de l’examen des
urines pour le diagnostic et le pronostic des maladies.
Des
vers sur les urines !
Certains biologistes contemporains ont aussi cultivé la muse sur ce prosaïque sujet. Tel Camille Méhu que l’urine a conduit, selon ses dires, jusqu’à l’Académie… mais ce Méhu était un joyeux farceur et son petit quatrain n’avait d’autre but que de divertir un peu son ami Tanrel.
Tout autre était le poème de Gilles de Corbeil, qui
servit de base d’études vraiment sérieuse à ses élèves et à une foule
d’écoliers, avant même que l’auteur ait pu le corriger. Gille a écrit dans la
préface de son poème du pouls :
« Nous avons un très grand nombre de traités
sur la science des urines, mais ils sont tous mal ordonnés et obscurs. C’est ce
qui nous a engagé, dans l’intérêt de nos élèves, à en composer un autre plus
concis et plus clair. Malheureusement ce livre est sorti de nos mains avant que
nous ayons pu le revoir et le corriger. Comme un avorton, il a vu le jour
inopinément, avant l’heure fixée par sa naissance.
Ce savant médecin tenait beaucoup à sa muse, parfois
polémique, puisqu’il a aussi écrit une satire en 6 000 hexamètres, (de
ieros, sacré et picros, amer) ce qui veut dire probablement « médecine
amère pour personnage sacré ».
Gilles de Corbeil, (né à Corbeil) étudia à Salerne,
ville qui possédait alors une célèbre école de médecine. Son « Carmina de
urinarum judiciis » (chant sur l’appréciation des urines), œuvre de
jeunesse, est un rappel d’aphorismes tirés d’écrits anciens : les traités
des urines de Maurus et d’Urson. Gilles de Corbeil a aussi écrit un traité,
très en avance pour son époque, sur les signes et symptômes des maladies.
Notons encore qu’en ce 12ème siècle, plusieurs conciles (Latran,
Montpellier, Tours, également le concile de Paris tenu en 1212), font défense
aux moines et religieux d’exercer et même d’étudier la médecine. Au mépris de
leurs engagements, ils abandonnent le soin des âmes pour ne s’occuper que de
celui des corps et promettent de guérir les maladies à prix d’argent…
[Au XIIe
siècle, l'Église a interdit aux moines de devenir médecins pour plusieurs
raisons. L'une des principales raisons était de maintenir la séparation entre
les rôles religieux et séculiers. L'Église voulait que les moines se
concentrent sur leurs devoirs spirituels et religieux, plutôt que de se
disperser dans des activités séculières comme la médecine.
De plus, l'Église craignait que la pratique de la
médecine ne conduise à des conflits d'intérêts et à des abus de pouvoir. Les
moines, en tant que figures religieuses, étaient censés être des modèles de
vertu et de moralité. En devenant médecins, ils auraient pu être tentés de
profiter de leur position pour obtenir des avantages personnels.
Enfin, l'Église considérait que la guérison des
maladies devait être principalement une question de foi et de prière, plutôt
que de science et de médecine. Les moines étaient encouragés à prier pour les
malades et à leur offrir un soutien spirituel, plutôt qu'à chercher des remèdes
médicaux.]
De nombreux documents du XIIe siècle
démontrent qu’il y avait au Moyen-Age deux classes de médecins : ceux qui
avaient étudié sérieusement leur art dans les écoles et le pratiquaient
honnêtement, et ceux qui sous prétexte d’avoir passé quelque temps à Salerne ou
à Montpellier, exploitaient ensuite la crédulité publique et méritaient bien
plus le nom de charlatans.
L’histoire nous a conservé aussi le nom de quelques mirgesses (par analogie avec le nom de
mire donné aux médecins).
Gilles nous livre encore, avec sa grande faconde,
les propos suivants :
« Que la jeunesse lise mes œuvres, qu’elle les
garde en sa mémoire et qu’elle sache bien qu’elle en tirera plus de profit que
la lecture des Amours d’Ovide… »
Après avoir conseillé la prise du pouls, voici ce
qu’il écrit encore :
« Tu examineras ensuite l’urine : sa
consistance, sa couleur, son dépôt ; souvent ces divers caractères
permettent de connaitre la maladie. Cela fait, tu feras espérer au malade une
prompte guérison, tout en disant à ses familiers qu’il est gravement atteint.
Cette façon d’agir augmentera d’autant, à leurs yeux, ton mérite et ta gloire,
s’il vient à guérir. Si, au contraire, il succombe, ils verront que tu l’avais
prévu dès l’origine. »
A l’encontre de cette attitude quelque peu
roublarde, Gilles de Corbeil fait preuve d’une belle honnêteté et d’un esprit
charitables lorsqu’il écrit :
« S’il arrive à quelqu’un de vous d’être malade
à son tour et de réclamer nos soins, nous nous empresserons d’accourir, toute
autre occupation cessant et sans rien exiger. »
Il est un autre traité que l’on peut considérer
comme la somme du savoir acquis par les mireurs d’urines au Moyen-Age. C’est le
Miroir des Urines de Davach de la
Rivière, qui eut huit éditions aux XVIIe
et XVIIIe
siècle. Tout est prévu dans cet ouvrage, jusqu’au moindre détail. D’abord le
recueil des urines : le matin au chant du coq, les urines doivent être
placées en un endroit tempéré et sans vent, à l’abri du soleil et de la
chaleur.
L’auteur distingue deux sortes d’urines : si
elle est normale, il dit « cuite », si elle est farcie de produits
alimentaires non assimilés, il la juge « crue ».
Galien distinguait 6 couleurs possibles dans les
urines. Or, au XIIe
siècle, quel progrès sur ce point, puisqu’on en distinguait déjà 20 !
Mais voilà qui est plus étonnant, au XVIIe
siècle, l’examen des urines autorise le diagnostic à distance. Thomas Willis, médecin londonien ajouta
aux caractères objectifs nombreux de l’urine, le goût. Il décela ainsi la
présence de sucre (urina mellita ou urine miellée), découvrant ainsi le diabète
sucré.
Jean Fernel, mathématicien et astronome, était aussi
le médecin de Henri II (1485-1558). Il s’était illustré en guérissant Diane de
Poitiers d’une maladie grave. Cet homme illustre attachait une grande
importance à l’uroscopie. Ce fut le véritable fondateur de l’analyse clinique
des urines.
C’est Paracelse,
de son vrai nom Philippus Aureolus Theophrastus Combastus von Hehenheim (2),
célèbre médecin du XVIe
siècle, qui apporta de nouvelles lumières sur l’examen des urines. Créateur de
l’art dit « spagirique » (extraire, rassembler) il chercha à
dissocier les différentes parties de l’urine pour les poser après distillation.
A la même époque, il est vrai, les indiens du Tibet
étaient réputés pour leur habileté à soigner n’importe quel malade sans avoir
rien vu d’autre que ses urines.
Avant Paracelse, voici comment nos empiriques
voyaient les choses. Observant une urine dans un urinal ou dans la matula, ils
considéraient les sédiments à divers étages. Ils en retenaient quatre, du haut
en bas ; et ce quatre régions de l’urine correspondaient, selon eux, aux
quatre parties du corps, c’est-à-dire : la région supérieure à la tête, la
région immédiatement en dessous à la poitrine, la troisième région à l’abdomen,
la quatrième enfin à l’appareil uro-génital. Ainsi, si quelque chose était
anormal dans une de ces régions de l’urine, c’est que la partie correspondante
du corps était mal en point. Aussi simple que cela !...
L’importance accordée à la matula était telle
qu’elle devint même un emblème, voire une enseigne, ainsi qu’en témoignent les
nombreuses peintures, sculptures et bois gravés (3). Jusqu’au XVIIe
siècle, Saint Côme ne sera jamais représenté sans ce récipient ; citons
aussi le calice d’ivoire conservé à la cathédrale de Milan, où un médecin est
affublé de cet accessoire (4).
Guy
de Chauliac, chirurgien célèbre, s’éleva contre
cette pratique qui frisait le charlatanisme. Pour mettre un terme à ces abus,
le Collège des médecins de Londres interdit, au XVe siècle, de prescrire un
traitement sur le seul examen de l’urinal.
Le flamand Van
Helmont, le plus illustre des disciples de Paracelse, sera le premier à
rechercher la densité de l’urine. Parmi les continuateurs de ces précurseurs de
la biochimie, citons encore, avec Thomas Willis et Jean Fernel déjà nommés, François de la Boë dit Sylvius.
Sans poursuivre plus avant cet historique, arrivons
au début du XIXe
siècle. Cette époque peut être marquée par les savants modernes d’une pierre
blanche, puisqu’elle voit le chimiste suédois Berzélius fournir la première analyse d’urine dite
« complète ».
Guy
Patin (1601-1672) était, parait-il, un personnage peu
sympathique. Le 26 mars 1626, sa thèse cardinale répond par la négative à cette
question :
- Peut-on trouver dans l’urine un signe certain de
grossesse ?
Qu’il ait pu poser la question, voilà qui est
étonnant !
Voici donc traitée brièvement et bien imparfaitement,
l’histoire des mireurs d’urines. Voyons quelles traces ces dernières ont
laissées dans notre département. Il en est, convenons-en, qui furent des
charlatans notoires, tel Nicolas Ehrart
poursuivi en 1494, qui soignait et guérissait les coups et blessures, examinant
les urines et prescrivant ses médicaments.
Tel
Jean Rayer ou Raget, ancien aide aux armées (régiment de Custine-dragons),
arrivé à Troyes dès la Révolution, il persistera, malgré procès et
condamnations, à exercer l’art de guérir jusqu’à sa mort survenue en 1819.
Fils
d’un négociant de Lyon, ce Rayer se dit chirurgien et prétend s’occuper des
urines depuis l’âge de 12 ans. Il se dira d’ailleurs « consulteur
d’urines ». Cependant, on peut lire dans un document d’époque 1er
Germinal An III (23 mars 1795) :
« Le
chirurgien Pissier (nom prédestiné) considère comme charlatan Rajal ci-devant
chasseur à cheval, tailleur dans son régiment ».
Quoiqu’il en soit, Rayer ou Rajal ne mérite pas que l’on fasse de lui une longue biographie. Indiquons seulement qu’il fut dénoncé par le docteur Bouquot comme exerçant l’art de guérir sans titre, sans aucune capacité reconnue, de surcroit sans talent et de mœurs suspectes ! C’est du moins la conclusion des membres de l’Administration Municipale de Troyes qui dresse le 15 Germinal An IV (4 avril 1798) un état du corps médical. En 1804, il demande son inscription sur la liste des officiers de santé, au vu d’un certificat suspect. Le maire et les notables de Troyes, ainsi qu’un jury médical, s’opposent à son inscription car… « Raget est un consulteur d’urines qui indique des traitements sur leur seule inspection ».
Le docteur Bidor, médecin troyen, a fait de ce charlatan une mordante caricature dans un poème intitulé « Les mystères de l’uroscopie ». Raget, nous dit-il, avait la façon bien simple d’abuser les clients sur ses dons de devin. Il se cachait dans une « niche ». Le patient, en arrivant, racontait son histoire à la femme du charlatan. Celui-ci sortait alors de sa cachette parfaitement au courant de l’histoire de la maladie.
« L’air
grave et sourcilleux, il admirait
Du
fluide apporté l’aspect trouble ou limpide
Hum !
Hum ! dans cette eau là je vois beaucoup d’humide ;
C’est
une femme, elle a bien des fois crachotté,
Mais
surtout voici certain nuage
Qui
parle clairement à qui sait son langage.
Oh !
qu’il me faut ici mettre d’habileté
Que
je t’estime heureux de m’avoir consulté ! »
Sincère ou non, Raget serait – parait-il – mort de chagrin à la suite d’une condamnation ferme de prison et à une amende de 1 000 francs dont il n’aurait pu s’acquitter. Ce dernier trait plaiderait plutôt en sa faveur. Ne lui marchandons pas notre indulgence.
Charles Feuillet, tisserand,
se présentait lui aussi à nos concitoyens comme un « Inspecteur des
urines ». Déjà dénoncé comme charlatan par Pissier, le 1er
Germinal An III, Feuillet, habitant rue des Trois Maures (aujourd’hui rue du
Paon), figura sur la liste dressée le 26 Nivose An V.
On ne brûlait plus de sorcières en ces premiers temps républicains. Convenons toutefois que nos mireurs ou inspecteurs d’urines, assimilés – parfois sans discernement – à de vulgaires charlatans, n’avaient pas toujours la vie belle. Encore ne m’attarderai-je pas sur quelques cas plus tragiques où les eaux de la Seine remplacèrent les bûchers du Moyen-Age.
Ainsi,
le mireur d’urine, s’il se double parfois d’un charlatan, est dans on essence
beaucoup mieux que cela. Il doit être en fait considéré comme le précurseur des
biologistes modernes. Que font-ils d’autre, ces derniers, lorsqu’ils se livrent
– employant un terme pompeux – à l’examen organoleptique d’une urine, que les
gestes de l’empirique, Après, seulement, intervient l’acte scientifique pur.
Les
mireurs d’urines se servaient adroitement de leurs sens : la vie,
l’odorat… le goût, même ! Pourquoi pas ? Jusqu’au début du XXe siècle, dans
certaines campagnes, des personnes diabétiques jugent à un ou deux grammes près
de la quantité de sucre contenue dans leur urine, en goûtant cette dernière.
Pas question là de charlatanisme, puisqu’il n’y a pas recherche de
profit !
Tentons ici une définition :
Le mireur d’urines – selon moi – c’est un empirique généralement bien intentionné. Versant quelquefois, par esprit de lucre, dans un certain charlatanisme, mais, presque toujours sincère. Aimant la recherche, ayant un certain don d’observation, puis de déduction, par la mise en œuvre de ses sens.
Etre
souvent présomptueux, il faut bien le reconnaitre, parce que l’humilité n’est
l’apanage que des vrais savants, lesquels n’ignorent pas… qu’ils ne savent pas
grand-chose.
Voici un charmante et authentique anecdote. Il y a de nombreuses années, une dame présente un flacon d’urines à analyser au Dr Delvincourt qui nous raconte :
« -
Que faut-il rechercher Madame ?
- C’est pour la recherche de l’atome.
Comme je savais cette personne diabétique
je n’ai pas insisté et j’ai procédé à la recherche de l’acétone ! »
(1) Le nom de Mire venait du grec Muron, parfum. Arétée nous apprend que les grecs appelaient muropoioi « qui traite des parfums », ou encore mirès, les chirurgiens, médecins et apothicaires ; alors l’expression mireur d’urine ne viendrait-elle pas de ce que ces hommes de l’art jugeaient du caractère des maladies par l’aspect des urines ?
(2) Paracelse :
né le 10 novembre 1493 à Einsiedeln (en Suisse centrale), avait choisi ce nom
parce qu’il était persuadé d’être l’égal d’Aurélius Cornélius Celsus, célèbre
écrivain médical romain du 1er siècle.
(3) Saint
Côme et Saint Damien, deux
frères jumeaux nommés Anargyres
(sans argent) à cause de leur grande charité. Martyrisés sous Dioclétien, ils
sont considérés comme les patrons des médecins et des chirurgiens.
(4) Deux peintures du Musée d’histoire de la
médecine de Nancy, l’une sur bois représentant Saint Côme un urinal dans la
main gauche, une palme dans la droite ; l’autre, sur toile montrant Guy de
Chauliac occupé à mirer une urine, traité médical en main.
Les maîtres hollandais du XVIIe
siècle représentent cet acte, tantôt chez le malade lui-même, dans son milieu
familiale, en ce cas le tableau présente toujours un grand intérêt lié à
l’ameublement ; tantôt chez le médecin, l’apothicaire, le charlatan ou le
chimiste. Dans ce cas, l’analyste est généralement entouré d’accessoires de
pharmacie : pots, chevrettes, etc. Si c’est un médecin, se trouvent un ou
deux aides à ses côtés.
Musée de la santé en Lorraine à Nancy
Après la disparition d'Antoine Beau, « le flambeau »
fut repris par le Doyen Georges Grignon (1927-2005) qui orchestra son transfert
à la Faculté de médecine de Brabois, avec la participation de Christiane
Pelletier, et avec le soutien sans faille du Doyen Jacques Roland. Il en fut le
« Conservateur ». Aidé par deux amis de longue date, le Professeur Jean Floquet
et le Docteur Jacques Vadot, le « Musée » put ainsi se développer sur un mode
plus «ouvert au public», avec sa galerie historique située dans la salle du
conseil, de nombreux tableaux exposés dans les deux salles de thèse et d'autres
salles de réunion. Des panneaux explicatifs ont été réalisés pour chaque
période.
La Faculté de médecine de Nancy-Brabois peut ainsi
s'enorgueillir de pouvoir exposer une « Histoire de l'enseignement médical en
Lorraine » à travers une riche collection de peintures allant de la Faculté de
Pont à Mousson à l'actuelle, en ayant traversé l'époque de Stanislas, la
période révolutionnaire et une grande partie du XIXème siècle, avant
d'accueillir, en 1872, les enseignants de la Faculté de Strasbourg refusant de
passer sous le joug prussien.
Une première «
Association des Amis du Musée de la Faculté de Médecine » fut créée, en 1996, pour servir de « bras
armé; » à cette nouvelle structure. Elle permettait de trouver des « aides
extérieures » (dont l'Association des Chefs de services hospitaliers), de
publier « Lettres » et documents ou d'organiser divers évènements. Elle a été
présidée successivement par le Docteur Vadot puis le Professeur Jean-Luc
Schmutz.
Depuis 2019 elle est devenue « Association des Amis du Musée de la Santé de
Lorraine » après l'arrivée en 2018 sur
le plateau de Brabois des Facultés d'odontologie et de pharmacie, en lien
étroit avec le Centre Hospitalier Régional Universitaire, constituant un « Pôle
Santé; ». Son actuel président en est le Professeur Pierre Labrude.
En 2005, au décès de Georges Grignon, Jean Floquet
avait été nommé au poste de « conservateur », cette charge ayant été transmise
en 2020 à Philippe Wernert. Ce dernier a orchestré le transfert de nombreuses
vitrines, provenant de la Faculté de pharmacie de la rue Albert Lebrun à Nancy.
Elles ont été installées au rez-de-chaussée du
premier bâtiment construit à l'entrée du Pôle Santé dans une grande salle mise
à notre disposition. Avec la participation de quelques membres motivés du
conseil d'administration ont été rassemblés dans ces vitrines documents, petits
et moyens matériels relatifs à la médecine, l'odontologie, la pharmacie et les
hôpitaux. Des objets plus importants ont été installés dans des espaces libres.
Le musée renferme de nombreuses œuvres :
essentiellement des portraits, des bustes, des documents divers et une
originale collection de moulages dermatologiques en cire, provenant de
l'Hôpital Fournier de Nancy et restaurée grâce au soutien financier des
dermatologistes lorrains.
Exposées largement dans une galerie jouxtant la
salle du conseil, dans les deux salles de thèses et dans une salle de réunion,
ces collections comportent une cinquantaine de tableaux dont les plus anciens
proviennent de la Faculté de Pont-à-Mousson, crée à la fin du 16ème siècle.
Leur valeur historique et artistique est reconnue par leur classement au
Patrimoine mobilier départemental de Meurthe-et-Moselle. Ces œuvres, dont une
dizaine ont été classées au niveau national, sont le reflet des hommes qui ont
exercé la médecine en Lorraine depuis le début du XVIIème siècle et,
particulièrement ceux qui en ont assuré l'enseignement.
Les membres de l'association des "Amis du
Musée" s'investissent dans la conservation et la restauration de ce
patrimoine ancien remarquable.
Le tableau - peinture sur toile de 76x57 cm -
représente Chauliac en buste, légèrement tourné
vers la droite. Il est assis dans un fauteuil dont on aperçoit un
accoudoir. Son vêtement est sombre, limité par un étroit col blanc. Le visage
assez allongé est entouré par une barbe blanche mi-longue avec une moustache. Il est coiffé d’une
coiffe aplatie, noire. Chauliac tient dans ses mains un livre fermé de couleur
rouge sur lequel on peut lire « HIPPOCRATES ». D’autres livres sont sur une
étagère en arrière de lui. On peut
déchiffrer les noms d’ « AVICENNA, GALENUS, ALBUCASI ». Une autre étagère
supporte deux flacons de verre renfermant un liquide coloré, sans doute de
l’urine qu’il analyse. Ce tableau
pourrait être d’un artiste italien du XVIème siècle, l’inscription étant
postérieure et faite à la demande de Louis lui-même. Le cadre est en bois
mouluré, sobre mais doré.
Guy de CHAULIAC (vers 1297-1368), médecin illustre,
qui a donné son nom à la Faculté de médecine languedocienne, fut un chirurgien
célèbre, associé du Collège. Son tableau, offert par Louis au Collège royal orne l’un des murs de la
salle de thèses n°2.
Guy de Chauliac soigna trois papes en Avignon et son traité de chirurgie - dont il fit une
traduction française - Guidon de la pratique de cyrurgie, Lyon 1478 - restera
utilisé jusqu’au XVIIIème
siècle. Il en existe un exemplaire à la bibliothèque universitaire de médecine
de Nancy. L’admiration de Louis est donc compréhensible.
La donation est attestée par une longue
inscription noire sur un bandeau
doré à la partie basse du tableau :
HANC VERAM GUIDONIS A CAULIACO EFFIGIEM REGIO
MEDICI. NANC. COLLEGIO DD. ANT LOUIS, Nobilibus Atavis Lothar .Editus, Collegii
Soc. Honor. Acad. Reg. Chir. Paris. Secretar. Perp. j u d
Cette
véritable effigie de Guy de CHAULIAC a
été donnée au Collège Royal de Médecine de Nancy par Antoine LOUIS, lié à la
Lorraine par de nobles ancêtres ?, sociétaire honoraire du Collège de Lorraine,
secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de chirurgie de Paris, juge.
Musée
de la Faculté de médecine de Nancy
Six tableaux de forme octogonale, de taille
identique, peintures à l’huile sur toile,
mesurant 91x78 cm, avec un cadre en bois mouluré, soigneusement peints,
proviennent de l’ancienne Faculté de
Pont-à-Mousson dont ils ornaient la salle des actes. Ils sont donc tous
antérieurs à 1768, année au cours de laquelle la Faculté fut transférée de
Pont-à-Mousson à Nancy.
Si la présence de portraits n’a rien de particulier
dans une salle des actes, cette collection a pour originalité de présenter côte
à côte des personnages à la fois historiques (Galien, Hippocrate, Schröder),
légendaires (Hermès-Trismégiste) et religieux (Saint Côme et Saint Damien).
Qui
sont Saint Côme et Saint Damien ?
Frères jumeaux d’origine arabe et issus d’une
famille noble et chrétienne, Côme et Damien sont nés au IIIème siècle à Egée en
Asie Mineure actuelle. Fort habiles dans l’art médical, ils parcourent les
villes et bourgades, guérissent les malades au nom du Christ. Ils exercent leur
art gratuitement et deviennent ainsi les Anargyres, « ceux qui repoussent
l’argent ».
Battant en brèche l’autorité du proconsul Lysias,
juge en la ville d’Egée, ils subissent le martyre dont les différents épisodes
sont purement légendaires : ils sont jetés enchaînés dans la mer, mais un ange
rompt leurs liens et les ramène au rivage. Lysias les fait attacher à un poteau
et ordonne de les brûler vifs, mais les flammes se retournent contre les
bourreaux. On tente de les lapider et de les percer de flèches, mais les
flèches et les pierres refusent de les frapper. De guerre lasse, Lysias les
fait décapiter avec leurs trois autres frères vers l’an 287. Les restes des
martyrs furent enterrés à Cyr et transportés plus tard en la basilique Saint
Côme et Saint Damien de Rome. Ces saints ont été très honorés à Rome, à Byzance
et en Orient.
L’empereur Justinien (527-565) guéri par
l’intercession des deux saints, orne leur église à Constantinople qui devient
un lieu de pèlerinage. Le pape Symmaque (498-514) leur dédie un oratoire, et
Félix V (526-530) une basilique au Forum. Le culte est ensuite diffusé en
Europe à partir de la légende dorée de Jacques de Voragine qui rapporte la
greffe miraculeuse d’une jambe empruntée à un Ethiopien défunt au profit du
sacristain de l’église Saint Côme et Saint Damien à Rome. Ce dernier atteint de
gangrène gazeuse fut guéri et se retrouva donc avec une jambe noire, l’autre
blanche.
Au XIIème siècle, lors des croisades, des reliques
des deux saints sont offertes au seigneur de Luzarches qui les partage entre
Luzarches et Paris. Les chirurgiens, dont la corporation est l’une des plus
anciennes de France, choisissent alors pour saints patrons Côme et Damien et
prennent comme principal engagement de consulter gratuitement les pauvres, le
premier lundi de chaque mois, respectant ainsi les qualités d’anargyres des
deux saints.
Des saints bien ancrés en Lorraine
Si le culte de Saint Côme et Saint Damien se répand
très tôt dans le monde dès le Vème siècle, il se développe également dans l’Est
de la France. De nombreux lieux de culte sont ainsi dressés en leur mémoire
dans notre région. L’église de Vézelise par exemple (1520), dédiée aux deux
saints, a contribué par son important sanctuaire à faire connaître les saints médecins
et à diffuser leur culte en Lorraine.
Plusieurs figurations de Côme et Damien existent
dans l’église d’Alaincourt-la-Côte en Moselle. L’église de Benestroff,
également en Moselle, compte elle aussi deux très belles statues anciennes.
Il n’est donc pas étonnant que la Faculté de
Pont-à-Mousson dédie son petit sceau aux deux saints. Il faut savoir que seules
deux Facultés ont choisi Côme et Damien parmi leurs Saints patrons :
Pont-à-Mousson et Poitiers.
La représentation de Saint Côme et Saint Damien dans
notre musée et ses particularités
Populaires, les saints anargyres Côme et Damien ont
été fréquemment représentés depuis l’Antiquité. Patrons des chirurgiens, ils
apparaissent dans les images de confrérie, sur les sceaux et les jetons.
Puissants protecteurs, ils attirent de nombreux dévots, dont certains riches et
célèbres comme les Médicis. Côme l’Ancien (1389-1464) eut pour son saint patron
une grande dévotion et finança les travaux de Fra Angelico, auteur de
remarquables toiles illustrant plusieurs épisodes de leur légende : La guérison
du diacre Justinien, l’enterrement de Côme et Damien avec leurs frères (Musée
San Marco à Florence).
L’iconographie des saints a retenu l’attention des
historiens parce qu’on les a représentés comme des médecins de la fin du Moyen
Age ou de l’époque baroque. Ils portent habituellement les vêtements amples et
le haut chapeau que les médecins portaient pour affirmer leur dignité. Leurs
attributs sont : la trousse, la lancette pour les saignées, la pince, la
spatule, le mortier et son pilon, le pot d’onguent, l’urinal, et tant pour
s’instruire que pour rédiger l’ordonnance, plume et encre, rouleau et livre.
Les particularités des deux tableaux octogonaux de
la Faculté
De manière classique, les deux saints portent le
costume des professeurs de médecine de la fin du XVIème siècle : la longue robe
rouge, le collet blanc, le chapeau haut.
Comme pour tous les autres tableaux octogonaux, les
noms sont peints en lettres capitales rouges. Au-dessus de leurs visages
identiques, puisqu’ils sont jumeaux, on devine deux fines auréoles. Leurs
attributs sont eux aussi classiques et choisis parmi des instruments évoquant
médecine et chirurgie : la spatule et la boîte d’onguents pour Saint Côme, le
pot de panacée, remède universel contre tous les maux pour Saint Damien. Saint
Côme et Saint Damien ont été représentés ici pour leur authentique qualité de
médecins. On ne note aucun caractère qui soit lié à leur stature de saints et
de martyrs.
Ils sont considérés comme de véritables saints médecins,
et non comme des saints guérisseurs.
Pas une seule sculpture ou effigie de ces deux hommes n’a pu traverser l’histoire et le temps. A ce jour, leurs visages sont ceux idéalisés par les artistes du Moyen-Age. Ces tableaux ne dérogent pas à la règle en représentant les deux hommes dans des costumes médiévaux propres aux médecins. Rappelons que les vêtements ont une signification sociale selon le rang et les fonctions occupées, et si les tenues courtes sont à la mode, les robes et les manteaux longs restent l’apanage des doctes, prêtres et notables. Médecins et juristes portent le même costume : robe longue et rouge, doublée de fourrure blanche comme Saint Côme et Saint Damien. Cependant ici, pour vêtir Hippocrate et Galien, l’artiste n’a pas retenu l’habit professoral mais des habits simples de médecins. Leur appartenance à l’Antiquité est manifeste et même classique car les Anciens étaient systématiquement dépeints comme des hommes imposants, grands avec la barbe grisonnante et les cheveux longs.
Hippocrate
Ici, Hippocrate tient dans sa main gauche un crâne
posé sur une table et dans la droite une sorte de scie. Pour comprendre le sens
de cet attribut, il faut se pencher sur son histoire. Né vers 460 avant J-C,
sur l’île de Cos, tout prédispose le jeune Hippocrate à un destin hors du
commun. Fils d’Héraclide, médecin et prêtre voué au culte d’Asclépios, dieu de
la médecine, il serait le vingtième descendant d’Héraclès et le dix-septième
descendant d’Asclépios lui-même. A treize ans, il étudie la médecine auprès de
son père mais aussi de son grand-père Hippocrate Ier, professeur d’anatomie.
Pour parfaire ses connaissances, il voyage en Thessalie, Macédoine, Asie
mineure, Egypte,…
Il fonde son école à Cos vers 440 avant J-C. Il
organise la lutte contre la peste à Athènes qui fit cinquante mille victimes en
429 avant J-C. Il redevient ensuite, pendant de longues années, périodeute,
c’est-à-dire médecin itinérant, avant de fonder une nouvelle école à Larissa où
il s’éteindra vers 377 avant J-C. Sur son tombeau, dit-on, vécut un essaim
d’abeilles dont le miel guérissait les aphtes des enfants. Ainsi finit la vie
d’Hippocrate comme elle avait débuté : entourée de légendes…
La célébrité d’Hippocrate est liée à une nouvelle
conception de la médecine qui s’appuie sur quelques principes : tout observer,
soigner le patient plutôt que la maladie, se livrer à une estimation honnête du
malade et de ses conditions de vie, seconder et faire confiance à la nature. Ce
dernier principe, trait constant de la philosophie hippocratique, entraîne une
certaine passivité découlant de l’importance accordée aux vertus curatives de
la nature. La théorie qu’il développe sur les quatre éléments constituant le
corps (air, terre, eau, feu) et les quatre humeurs (sang et chaleur provenant
du cœur, flegme et froid du cerveau, bile noire et humidité de l’estomac, bile
jaune et sécheresse du foie) inspirera la médecine durant des siècles. La
maladie est expliquée par le dérèglement de ces humeurs. Il en reste que
soigner l’individu comme une entité prise dans son environnement avec
objectivité et rigueur morale est une révolution et un concept résolument
moderne.
Ses travaux, réflexions, pensées sont répertoriés
dans une soixantaine de traités rassemblés dans le Corpus hippocraticus. Les
premières règles déontologiques de la pratique médicale y sont fixées, même si
le fameux serment a été rédigé par ses élèves et non par lui-même.
D’Hippocrate, la séméiologie actuelle retient encore
: le syndrome méningé, le trismus du tétanos, la fièvre tierce et quarte du
paludisme, l’encéphalopathie hépatique, l’hippocratisme digital de
l’insuffisant respiratoire, …
La faiblesse des connaissances anatomiques et
physiologiques d’Hippocrate est expliquée par son mépris pour la dissection.
Par contre, sa connaissance en ostéologie est à la hauteur de son intérêt pour
la chirurgie. Il invente ainsi un treuil pour réduire les luxations, cautérise
les hémorragies au fer rouge et crée un instrument pour réaliser des
trépanations.
C’est cet instrument rappelant l’invention
d’Hippocrate qui est ici représenté sur le tableau.
Parmi les remèdes, traités, principes et
découvertes, le plus bel héritage d’Hippocrate est sans doute d’avoir prôné une
médecine rationnelle, rigoureuse et objective : « Savoir, c’est la science,
croire savoir c’est l’ignorance […]. Tout ce qui se fait, se fait par un
pourquoi ».
Galien
A l’instar d’Hippocrate, Galien est vêtu de la
longue robe du médecin du Moyen-Age. Debout, la main gauche posée sur la
hanche, il pose dignement et tient dans sa main droite une plante médicinale.
Rien ne semblait prédisposer Galien à une carrière
médicale. Né à Pergame en l’an 131, Galien Claude est issu d’une famille aisée.
Son père Nikon, architecte et sénateur, le surnomme Galenus (le doux),
cependant il hérite d’un caractère irascible, celui paraît-il, de sa mère.
Son père le destine à une carrière d’administrateur
romain, mais à 17 ans, il s’oriente vers la médecine. Il parfait sa formation à
Smyrne, Corinthe, devient l’élève d’Erasistrate et d’Hérophile à Alexandrie. De
retour à Pergame, il soigne les gladiateurs et accroît ses connaissances en
anatomie et traumatologie. Il dissèque par ailleurs les animaux du cirque.
Vers 162, il s’installe à Rome sur la voie sacrée où
la médecine est quasi inexistante. Il s’y bâtit une solide réputation, finit
par être introduit auprès de l’empereur Marc Aurèle, organise des conférences
et des expositions d’anatomie. Disciple d’Hippocrate, il prône une remise en
cause continuelle des décisions en fonction de ses propres travaux.
Bon anatomiste, il dissèque en public et transpose
ses constatations animales à l’homme, source de ses erreurs. On lui doit les
termes d’épiphyse, de cotyle, d’apophyse. Son sens de l’observation fait de lui
un lointain précurseur de la physiologie expérimentale (rôle du rein, du
faisceau pyramidal, du péristaltisme intestinal, des canaux galactophores). Il
réactualise la clinique bien éclipsée par la philosophie et développe une
méthode diagnostique fondée sur l’observation du malade. Bien que brillant, il
est aussi cassant et orgueilleux et s’attire la haine de ses confrères. Il
quitte Rome en 166 lors d’une épidémie de peste. Rappelé par Marc Aurèle en
168, il devient son consultant après l’avoir guéri d’un embarras gastrique jugé
incurable par les autres praticiens. Après avoir refusé d’accompagner
l’empereur en Germanie, il assure son rôle de médecin consultant à la cour de
Commode, fils et successeur de Marc Aurèle, et s’éteint en 201.
C’est par l’intermédiaire des traducteurs arabes
qu’il devient célèbre au Moyen Age. Galien est reconnu alors comme le plus
grand médecin de l’Antiquité, ses traités sont la référence absolue. L’Eglise
s’empare de cette doctrine médicale qui, rédigée comme un dogme, fait référence
à un dieu unique, défend une certaine éthique médicale et intégrité morale et
reconnaît la capacité de réflexion et de courage des chrétiens devant la mort.
Une fois figée, la doctrine de Galien est un
compromis rassurant entre la science et la religion. Il faudra attendre le
XVIème siècle pour que Vésale ouvre la querelle des anciens et des modernes,
des galénistes et des anti-galénistes. En replaçant la connaissance précise de
l’anatomie au centre de la science médicale, Vésale renoue alors avec la
véritable démarche de Galien, loin des pratiques médiévales qui ont dénaturé
l’héritage de l’antiquité.
Mais pour quelle raison, sur le tableau, Galien
est-il représenté avec une plante ? Tout simplement parce qu’il a également
effectué des travaux poussés sur les plantes médicinales à l’origine de la
pharmacie galénique ; il a ainsi décrit 473 remèdes d’origine végétale ou
minérale dont l’utilisation thérapeutique se définissait par la qualité, la
quantité, le mode d’administration et l’opportunité de leur usage, instituant
ainsi le premier code de préparation des médicaments à partir d’éléments de
base. Il a complété la thériaque, antidote suprême, panacée des panacées,
inventée par son contemporain Nicandros ; cet antidote régnera sur la
pharmacopée pendant des siècles et ne sera retirée du codex qu’en 1908.
Botaniste, chirurgien, anatomiste, pharmacien,
médecin, philosophe, Galien s’ouvrit à de nombreuses disciplines tout en
restant fidèle à la pensée hippocratique : « Le clinicien doit s’enquérir de
toutes les manifestations présentes et passées en examinant lui-même les
symptômes actuels et en s’informant des antécédents auprès du malade et de ses
proches ».
Hermès Trismégiste et Schroeder sont deux
personnages étranges de par leurs vêtements et leur attribut, loin des costumes
traditionnels et des robes rouges professorales qui les entourent. Ces deux
portraits peu communs provenant de la salle des actes de l’ancienne Faculté de
Pont-à-Mousson suscitent souvent l’interrogation et l’étonnement. Voisinant
dans la salle avec Saint Côme et Saint Damien, Galien et Hippocrate. Six noms
sont donc associés en une seule et même collection. La présence de Galien et
d’Hippocrate s’explique aisément tout comme celle des Saints médecins Côme et
Damien. Hermès Trismégiste et Schröder demandent pour leur part quelques
commentaires. S’agit-il d’une collection hétéroclite, dénuée de logique ? En
conclusion, nous avancerons une hypothèse pour tenter d’expliquer cette étrange
association entre personnages historiques, religieux et légendaires.
Portrait d’Hermès Trismégiste
Il s’agit sans doute du plus curieux de tous les
tableaux exposés au Musée de la Faculté de médecine. Le personnage étonne
d’emblée par ses vêtements hors du commun : il porte un pilos, chapeau de
feutre de forme oblique ainsi qu’une chlamyde, manteau de lin court et épais
agrafé sur l’épaule. Il s’agit de vêtements grecs anciens. L’usage était de
porter le pilos à la campagne ; quant à la chlamyde, elle était
traditionnellement utilisée par les soldats ou les voyageurs. Pilos et chlamyde
sont également les attributs d’une divinité grecque : Hermès.
Cependant, ne figurent sur cette représentation ni
le caducée ni les ailettes propres au messager des dieux. Le personnage
représenté tient en effet entre ses mains une verrerie formée de deux sphères
reliées par une longue tige. Mais d’Hermès à Hermès Trismégiste il n’y a qu’un
pas ou plutôt trois vies. En effet, Trismégiste du grec tris, trois fois, et
megistos très grand, signifie Hermès le trois fois grand.
Identifié au dieu égyptien Thot, Hermès passe pour
être le créateur de l’alchimie. Selon la légende rapportée par Hermias
d’Alexandrie, il a, en Egypte, vécu trois vies : la première, avant le Déluge,
comme inventeur de l’astronomie ; la deuxième comme grand constructeur de
Babel, médecin et philosophe ; la troisième récapitulant les deux premières en
tant qu’expert en alchimie, d’où son triple savoir et sa triple sagesse. On
peut lire dans un de ses écrits : « …Je suis appelé Hermès Trismégiste, car je
possède les trois parties de la sagesse du monde entier… ».
Les doctrines ésotériques répandues sous son nom
sont réunies dans une compilation établie du VIème au Xème siècle sous le titre
de Corpus Hermeticum. La découverte, vers l’an mille, de la Table d’émeraude,
un des textes fondateurs de l’alchimie, bouleverse les pensées.
Sa version la plus ancienne en langue arabe date du
VIème siècle. La copie latine beaucoup plus tardive permet sa diffusion. Des
légendes inépuisables apparaissent autour de ce texte. La plus fameuse raconte
qu’Hermès l’a inscrit sur l’émeraude tombée du front de Lucifer, le jour de la
défaite de l’ange rebelle.
Ainsi commence La table d’émeraude :
« En vérité, certainement et sans aucun doute
Tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut
Et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas
Pour accomplir les miracles d’une seule chose ».
La lecture
complète du texte donne assurément un sens à l’hermétisme ! Cependant ces
quatre premières lignes fort célèbres auraient pu inspirer l’auteur du tableau.
L’instrument d’alchimie qu’Hermès tient entre ses mains ne pourrait-il pas
illustrer la relativité qui existe entre le haut et le bas et donc les
premières lignes de la Table d’émeraude ? Outre le symbolisme de l’instrument,
une autre énigme plus importante demeure : comment un personnage légendaire
comme Hermès Trismégiste peut-il figurer dans une salle des actes de la Faculté
de médecine aux côtés de Galien et d’Hippocrate ? Bien sûr, Hermès est le dieu
des médecins. Mais ici c’est bien Hermès l’alchimiste qui est représenté.
Loin des considérations mythologiques, les œuvres
attribuées à Hermès se sont répandues en France avec un impact manifeste. Si
elles développent l’idée d’une connaissance sacrée révélée aux Anciens aux
premiers jours de l’humanité, elles dictent également des principes alchimiques
où se côtoient rites magiques et formules d’oxydoréductions authentiques.
L’histoire de la chimie et de la pharmacie repose
sur cette dualité. Les remèdes et les recettes de santé du Moyen Âge puisent
leur source dans un mélange de connaissances et de croyances de l’Antiquité,
d’expériences des moines et de travaux des érudits arabes.
De nos jours, l’image classique de l’alchimie est
d’être une fausse science, hermétique, incompréhensible, voire grotesque.
Quelques citations lapidaires des textes les moins abordables et souvent les
moins représentatifs, justifient cette idée. Ce jugement trop rapide laisse
dans l’ombre tout un domaine passionnant de l’histoire des idées. L’alchimie,
arabisation du mot chimie, a accumulé un trésor de pratiques dont a bénéficié
la chimie expérimentale. Jean-Baptiste Dumas, chimiste français du XIXème
siècle à qui l’on doit la détermination de la masse atomique d’un grand nombre
d’éléments, écrit : « La chimie pratique a pris naissance dans les ateliers du
forgeron, du potier, du verrier, et dans la boutique du parfumeur ». Si la
médecine trouve aisément sa filiation à travers l’histoire, l’art de la
pharmacie évolue très lentement dans un contexte flou où alchimistes et
proto-chimistes se côtoient, s’opposent et s’interchangent.
Aujourd’hui, la chimie apparaît organisée,
clarifiée, rendue perméable et intelligible. Mais il reste encore dans son
utilisation en médecine des zones de pénombre. Témoin de cette évolution
confuse entre magie et science, Hermès Trismégiste dit père de l’alchimie,
trouve donc bien sa place dans cette collection pour représenter l’origine de
la pharmacie.
Portrait
de Johann Schröder
Personnage plus classique, à côté d’Hermès, se tient
un médecin des armées. Le costume date du début du XVIIème siècle. L’homme
tient dans ses mains une cornue : un vase étroit et courbé servant à la
distillation en chimie. Les lettres rouges révèlent de nouveau l’identité du
personnage : Scroderus ou plutôt Johann Schröder.
Pour offrir un aperçu de l’histoire de la
littérature pharmaceutique, le musée allemand de Munich a réuni trois travaux
centraux : celui de Dioskurides pour l’antiquité, le Manuel pratique
pharmaceutique d’Hermann Hager pour les XIXème et XXème siècles et le livre de
Johann Schröder pour représenter la période intermédiaire.
Johann Schröder est né en 1600 à Salzuflen, en
Allemagne, et il disparaît en 1664 à Francfort. Sa vie est peu connue, par
contre son travail, basé sur ceux de Joseph du Chesne (1564-1609), a eu un
impact majeur. Il publie en 1641 pour la première fois son Pharmacopoeia
medico-chymica. Ce travail connaît à l’intérieur du pays et à l’étranger un
énorme succès.
Durant plus de cent ans, une vingtaine d’éditions
latines, allemandes, anglaises et françaises apparaissent. La révision complète
par le médecin Friedrich Hoffmann (1626-1675) en assure l’actualité
scientifique. Schröder est un acteur de la lente transformation de la
profession pharmaceutique qui s’opère dès le XVIème siècle. Des cours de
pharmacie sont dispensés désormais à la Faculté de médecine, même si ce n’est
qu’au XVIIIème siècle que la pharmacie est rationalisée et strictement
codifiée. Héritière de nombreuses intuitions alchimiques, la chimie prend, elle
aussi, son essor au XVIIème siècle et devient un enseignement prépondérant dans
la formation des apothicaires puis des pharmaciens. Avec des ouvrages comme
ceux de Schröder, mais aussi Charras et Lémery, la pharmacie conquit sa respectabilité
scientifique.
Explication de ces associations
Voici donc six noms réunis : Hippocrate et Galien,
Saint Côme et Saint Damien, Hermès Trismégiste et Schröder. En tenant compte
des costumes, cette collection de six tableaux semble s’associer deux par deux.
Si à première vue, l’association entre personnages historiques, religieux et
légendaires peut paraître curieuse, elle a une explication rationnelle : Galien
et Hippocrate représenteraient la médecine, Saint Côme et Saint Damien, la
chirurgie, Hermès Trismégiste et Schröder, la pharmacie. En effet, la Faculté
de Pont-à-Mousson est érigée en 1572 et la médecine est enseignée. En 1602, une
nouvelle chaire apparaît : celle d’anatomie et de chirurgie faisant entrer ces
disciples dans l’enseignement médical. En 1628, la pharmacie et la botanique
sont à leur tour introduites. Trois enseignements évoluent donc côte à côte :
la médecine, la chirurgie et la pharmacologie. Cette explication, bien
qu’hypothétique, donne un sens à l’association des six personnages.
LES EMPIRIQUES
Les empiriques appartiennent à la communauté stable
d’une société villageoise au milieu de laquelle ils vivent, partageant ses
joies, ses peines, ses occupations.
On peut se demander à quel rang social ils
appartiennent.
Lorsqu’ils exercent un métier, ces gens sont
barbiers, cordiers, tailleurs, tisserands et surtout bergers. En contact
permanent avec la nature, le berger a des allures un peu mystérieuses. On le
craint un peu comme sorcier, mais on le respecte car il soigne les gens aussi
bien que les bêtes.
Il va sans dire que les curés, médecins des âmes,
sont aussi parfois médecins des corps, tel le célèbre curé de Vauchassis. Le
maréchal-ferrant du village se trouve également au service des malades, car il
symbolise aussi une des forces de la nature.
Intimement mêlés à la vie communautaire, ces
empiriques se rendent proches de nous. Leurs remèdes sont en partie connus et
il est souvent possible de les décrire. Ceux-ci font également appel à des
procédés magiques, déterminés par des rites qu’il suffit de respecter pour
obtenir l’effet salutaire, tels que les prières, les cultes aux sources, les
pèlerinages, les processions, etc..
Ces guérisseurs occupant sagement un petit coin de
terroir, on est amené à se demander si la thérapeutique à laquelle ils
s’adonnent présente des caractères qui la rendent spécifiquement champenoise.
Nous ne le pensons pas. Trop d’interpénétrations,
trop d’influences subsistent entre les régions voisines pour qu’il soit
possible d’isoler un contexte de province. Néanmoins, les moyens de guérison
désignés ici ont été glanés sur la terre de Champagne, plus précisément dans le
département de l’Aube, et il y a lieu de s’attendre à une énumération de
remèdes dont la formule ne figure pas au Codex.
DU MOYEN-AGE AU XXe SIECLE
En l’an 1515, Marnot, cordier à Troyes guérit en trois ou quatre jours une
personne qui souffre depuis la plante des pieds jusqu’au-dessus du ventre. Il
vient également à bout du Mal de Naples
(syphilis) par un traitement fort simple !
Deux ou trois bains chauds, friction sur
tout le corps devant le feu avec un onguent parfumé et apposition d’un emplâtre
sur l’estomac.
Un jour de mars 1889, une dame vient
consulter Gilmont, domicilié à
Thuisy près d’Estissac :
« Veuillez, dit-il à la dame,
mettre de votre urine dans un verre, vous y ajouterez une pièce de deux sous,
la plus sale possible, je vous dirai ce qu’il faut faire. »
La malade obéit ; Gilmont saisit le
verre il absorbe une gorgée de liquide, le déguste et veut en faire boire à sa
cliente. Mais celle-ci refuse. Il prépare ensuite à l’intention de sa malade
une pommade composée de :
Graisse de cochon mâle, bourgeons de
sapin, platane, « venin » de crapaud et reine des bois, à mettre en
application sous les aisselles, les jarrets et le sommet de la tête.
Coût de la visite : 21 francs
Mêlé à la cire d’abeille, le venin de
crapaud convient également pour la catalepsie.
Toutefois, l’ordonnance de Gilmont est d’un prix un peu plus élevé : 25
francs.
Un guérisseur de Channes, appelé Guinot mentionne que l’épilepsie se traite bien avec le
« Baume de M. Lelièvre ». Il nous initie également à un remède qui
guérit la sciatique, la goutte et les vieux ulcères : « Prenez de la bouse de vache, ce que
vous voudrez, fricassez avec du beurre et appliquez la deux fois par jour sur
le mal ».
Il soigne la jaunisse :
« Mettez des feuilles de chélidoine
dans vos souliers, elles remplaceront vos chaussettes pendant quelques
jours »
On remarque dans ses Cahiers de guérisseur qu’il
travaille beaucoup avec la lune : La bourrache semée en nouvelle lune
fortifie le cœur ! Le navet au déclin de la lune chasse les mauvaises
humeurs.
Maillard, de Belleville, travaille
plutôt avec le soleil et vend un « esprit » solaire et balsamique
pour la purification du sang.
A propos « d’esprit », un
malheureux curé se trouvait riche de corps mais fort indigent d’esprit. Pour
faire revenir son esprit à l’endroit qu’il n’aurait jamais dû quitter, on
imagina de lui servir un excellent repas dont il garderait le souvenir !
On ne connait pas le résultat, toutefois
le procédé semble appréciable…
Pour les hémorroïdes, il est bien de mettre un tubercule de nieffle scrofulaire dans un sachet
qu’on suspend au panet de la chemise.
Si des rhumatismes affectent les reins, le malade soit se frictionner avec
de l’eau de vie et du savon. Ensuite, il accomplit une
neuvaine qui se termine par une messe en l’honneur de Saint-Parres.
Moins dévote, peut-être, la femme Portier de Cussangy, traite les rhumatismes
aigüs avec une pommade en bâton faire d’arsenic
et de mercure (pommade qu’elle dit
pourtant composée de simples cueillies dans les prairies).
Les rhumatisses
se guérissent pareillement avec le procédé suivant :
- Dans une bouteille en verre on place des
vers de terre (non de fumier). On enfouit la-dite bouteille dans du fumier de
cheval pendant 48 heures. Ensuite on se frotte avec une plume.
Voici une autre médication
sûre ! : rester longtemps les pieds posés sur un chien. Celui-ci
attrape les douleurs et en débarrasse le malade.
On peut aussi prendre une peau de chaut
fraichement égorgé !
[Je précise qu’un chat vivant fera très bien l’affaire, car oui, les chats absorbent
les douleurs humaines]
On pense également à la rage. Recteur d’école à Verrières, Pierre Moreau connait une bonne
recette, il faut boire trois bouteilles de vinaigre dans la journée !
En 1780, le curé de Soulaines pendait réaliser
la guérison du cancer. Sa méthode
est contenue dans un livre conservé à la Bibliothèque de Troyes « Observations
médio-chimiques sur le cancer » par l’abbé
Martinet.
Un autre curé (décidément) de campagne attaqua l’hydropisie et la petite vérole (variole) au moyen d’une poudre à prendre en prise
matin et soir pendant 24 jours. Toutefois, avant le traitement, i y a lieu de
se faire saigner.
Guinot,
de Channes, apporte par ailleurs des précisions sur la saignée :
- Le 3ème jour elle rend débile
- Le 6ème jour elle est bonne pour dissiper le sang
Le rhume se calme en portant un bas autour du cou
En 1775, les
rhumes et les fluxions de poitrine
ont mourir de nombreuses personnes. On recommande alors :
Une tisane préparée avec un navet, un oignon blanc,
une pomme de reinette, du bois de réglisse et du chiendent bouillis dans une
chopine d’eau. Il faut en boire un verre bien chaud, matin, midi et soir.
Pour guérir le rhume
de cerveau, il y a lieu de respirer plusieurs fois de l’eau par le nez et
de se moucher aussitôt. Au cours de la journée, on peut renouveler ce
traitement qui ne connait aucune contre-indication.
Si vous êtres affligé d’un rhume de poitrine, le « lait
de poule » parait très indiqué :
En avalant votre « lait de poule »,
essayez de cracher à chaque cuillerée.
Pour le flux
de nez (épistaxis), on invoque Sainte
Tanche, Saint Etanche en Champenois. Ou bien on se serre fortement le mollet gauche et l’on reste couché en
cet état durant deux heures.
Le flux de
ventre, le dévoiement, la diarrhée, sont faciles à guérir. Avant
de se coucher on dine d’un œuf frais
cuit « à la coque ». Au lieu de sel, on met deux fois l’équivalent en
graines sèches de Plantin.
On peut également adopter la médication
suivante :
- Dans une pinte d’eau, jeter un dé à coudre de lin,
un peu de guimauve, de la réglisse et une demi-tête de pavot. Faire bouillir
une heure, passer, laisser refroidir. Il faut boire cette décoction aux repas
et entre les repas.
A Saint-Julien-les-Villas, le mal de ventre se calme
par des cataplasmes de poireau.
Lorsque le mal gronde trop fort, il est bon de « tirer » son mouchoir
entre les dents.
A Rouilly-Saint-Loup, pour le même ennui, on propose
une forte décoction de pieds et de tête
de mouton.
A Villenauxe, on croit davantage à une décoction de chardon roulant, réduit en poudre et
employé à raison d’une pincée par tisane.
Le vin
possède aussi des propriétés merveilleuses, trop méconnues, car il
« grise » la fièvre et calme les coliques, surtout si l’on y mêle de
l’ail dont les propriétés sont sudoripares.
Une constipation
opiniâtre sera combattues efficacement par de la rondelote (lierre terrestre) en tisane.
Guinot de Channes, préfère la laitue car elle entretien la « liberté du ventre ».
On remédie au flux
d’urine (incontinence) en faisant manger des souris aux enfants. Chez les « grands corps » il y a
davantage à craindre « l’extinction d’urine ». Prendre alors des cosses de pois (haricots rouges), les
faire bouillir dans une cruche ou un coquemard et en boire l’eau.
« Remèdes sûr et éprouvé ».
Toutefois, Guinot croit davantage à l’efficacité des
petites pierres (coquille interne)
qu’on trouve dans les limaces. Pilées et bues dans du vin, elles font :
« Pisser aisément ».
Dans les cas les plus sérieux, un examen de l’urine
parait opportun. En effet, les empiriques les plus instruits savent qu’Hippocrate
observait les maux de ses patients au moyen des urines. En 1515, Marnot le cordier de Troyes, pratique
cet examen et un certain Bonpas
décèle également par ce moyen que l’un de ses clients est gravement malade.
A villenauxe, le consulteur d’urine tient en réserve
un purgatif drastique connu sous le nom de sirop
antiglaireux.
L’urine
possède aussi des propriétés aseptiques fort intéressantes.
A Saint-Julien-les-Villas, pour désinfecter une plaie provoquée par une dent de fourche, on
applique des compresses d’urine d’enfant.
En pis-aller on peut recourir à l’urine d’homme.
Des compresses d’urine sur les seins sont prescrites à Rouilly-Saint-Loup lorsque l’accouchée ne
nourrit pas son enfant.
Les cors
aux pieds ne doivent pas être négligés. Ils font trop souffrir ! On met de
l’herbe à cochon (polygonum
aviculare) dans une poche du côté du cor en disant : « Que mon cor
s’en aille à l’aide de cette herbe ! ».
Ce procédé psychosomatique ne convient pas à Guinot
de Channes qui prescrit : « Prenez de l’ail que vous appliquerez sur
le cor au premier quartier de la lune ».
Dans la région de Clairvaux, pour guérir abcès, « clous » et certains bobos, on prend eun’piau d’vieux oing ; c’est-à-dire la pellicule qui
recouvre la vieille graisse de porc fondu. Séparée de la graisse, cette peau en
application agit comme un résolutif.
Un
poireau (verrue) se soigne de la
façon suivant :
-
pendant neuf jours on le frotte avec un morceau de lard qu’on jette ensuite
dans les « cabinets » :
quand le lard est pourri, le poireau est guéri.
Pour les panaris, Lépicier dit le sorcier de Fravaux, prescrit un remède assez pittoresque : s’emparer d’une grenouille vivante, lui ouvrir le ventre, y mettre le doigt et lorsque la grenouille devient toute noire, le mal est prévenu ou guéri.
S’il
y a migraine, voici l’ordonnance de Guinot de Channes :
« Prenez
la tête d’une corneille, faites-la cuire sur un charbon, ensuite enlevez la
cervelle, mangez-la. Si violente soit-elle, la migraine se passera ».
Gérost de Villenauxe donne un moyen moins féroce (et plus hygiénique) qui aboutit au même résultat :
« En
vous levant, lavez-vous la figure, notamment le front et les tempes avec de
l’eau bien froide acifulée de vinaigre. Lavez en même temps le nez et
mouchez-vous à chaque fois ».
Ou bien si vous préférez :
- Lavez-vous le nez avec de l’eau douce au moyen d’une éponge ou d’un petit linge plié en plusieurs doubles. Ne craignez pas de vous servir de vos doigts en guise de mouchoir.
- Étant à jeun et votre cerveau se trouvant dégagé par cette première opération, fumez avec modération du tabac dans une pipe.
-Si votre mal de tête n’est pas enlevé par la fumée du tabac, prenez de la poudre de marron d’inde râpé bien sec, comme on prend du tabac à priser. Ne pas dépasser dix à douze prises par jour. Ordinairement à la troisième prise ou à la quatrième, le mal de tête disparait.
Contre les points (douleurs intercostales) on fait griller de l’avoine dans de l’huile. Ensuite on procède à une application de cataplasmes à l’endroit où se trouve le « point ».
Pour une entorse :
Séparez un hareng salé en deux, enlevez les arêtes et entourez le pied malade.
Si vous avez un moucheron ou une saleté dans un œil, frottez-vous l’autre œil et l’ordure disparaitra.
Pour combattre la conjonctivite, les bonnes femmes de nos campagnes prennent de petites fioles dans lesquelles elles recueillent précieusement les « pleurs » de la vigne (exsudat de sève). Souvent même, elles les provoquent en taillant un sarment dont elles courbent l’extrémité dans une fiole.
Le mal de dents si douloureux ne résiste pas à la graine de jusquiame.
Le curé de Brienne-le-Château agit différemment ; voici son procédé :
- Lorsque ce mal me prend, je fais une forte
lessive de cendre, je décante la liqueur et, quand elle est encore très chaude,
je me gargarise à diverses reprises et la douleur se passe.
Pour prévenir ce mal, le guérisseur de Fravaux indique de se couper les ongles tous les lundis.
La
fièvre disparait si l’on se coupe les ongles des doigts de pieds et qu’après
avoir fait une incision dans un tremble,
on y introduit les ongles en disant :
« Tremble,
tremble aussi longtemps que ma fièvre tremblera.
A Saint Mesmin, on arrête la fièvre par un brevet de papier suspendu au cou.
A Vougrey, les œufs d’entre les deux Notre-Dame (15 août – 8 septembre) arrêtent également la fièvre.
L’abbé Talon, curé de Villenauxe, tente de traiter le choléra :
- Prendre de la chaux vive sous forme de pierres, une dizaine environ, légèrement plus grosse que le poing, les tremper dans l’eau comme des morceaux de sucre.
Enveloppées
dans des linges mouillés, elles seront placées aux endroits stratégiques :
une à chaque plante de pieds, une entre les genoux, une entre les cuisses, une
auprès de chaque jambe, de chaque bras, de chaque hanche. Le gaz qui se dégage
fait suer abondamment et promptement. Pour activer la transpiration, il y a
lieu de charger le malade de couvertures et d’habits, sans l’étouffer bien entendu.
Souvent
Monsieur le curé passe la main sous les draps pour s’assurer si la chaux ne
prend pas feu et si la sueur arrive.
Si
la chaux prend feu, on retire la pierre et on éteint le feu avec de l’eau tenue
en réserve à cet effet. Si la sueur arrive, on enlève la chemise mouillée et
l’on en passe une autre. Cette opération se renouvelle autant de fois qu’il le
faut.
Ensuite,
on prépare le lavement suivant : 5 ou 6 œufs sont cassés et mélangés avec
de l’eau tiède dans laquelle a cuit une tête de pavot. D’un côté le bouillon
pointu est administré au malade, de l’autre celui-ci avale 1 ou 2 œufs
frais délayés dans de l’eau tiède avec 2 bonnes cuillerées d’eau de vie.
Mais, si le choléra persiste, le curé capitule et fait appeler le médecin…
Les ivrognes, eux-mêmes n’échappent pas à la médecine empirique :
Une
goutte de sang d’anguille leur donne le dégoût du vin.
Gérost
prétend guéri l’ivrogne en frottant son verre avec de la coloquinte.
Les croyances populaire rejoignent dans leurs postulats, les connaissances des empiriques :
La section du petit doigt peut entrainer la mort parce qu’il est l’extrémité des nerfs du corps.
La dent de l’œil (canine) ne devrait jamais être arrachée car l’enlever de force risque de faire perdre la vue à l’œil auquel elle est reliée par des nerfs…
Dans le genou, trois doigts au-dessus et trois doigts au-dessous, il y a un endroit mortel à cause des nerfs et d’autres choses qui se trouvent-là.
Aux deux extrémités de la vie, la tête et le ventre, correspondent : dans l’enfance, la tête influe sur le bas-ventre, dans la vieillesse le bas-ventre réagit sur la tête. Ce qui dans un âge est cause devient effet dans l’autre âge.
LE CLYSTERE
Le
clystère ou lavement, était autrefois fort à la mode. L’apothicaire
l’administrait au patient à l’aide d’une outre à laquelle était fixée une
canule. Ceci jusqu’au XVe
siècle, jusqu’à ce que fut inventée la seringue.
Le
clysoir à pompe appelé plus communément clysopompe,
permettait au patient de se soigner lui-même.
A Percy-le-Petit en Haute-Marne,
« Il y avait un opérateur, à la fin du XIXe siècle auquel tout le monde recourait. On ajustait une vessie de cochon sur une tige de sureau et on injectait en pressant la vessie. J’ai vu, à une vente, deux instruments qui ont succédé au tuyau de sureau ; une planchette à plat ; sur icelle, d’un bout, un tube avec un piston foulant ; de l’autre, l’extrémité du tube (après un coude) amincie en pointe ».
Extrait des notes du chanoine Donot.
« De nos jours, on se moque beaucoup de l’alchimie et de procédés thérapeutiques de l’ancien temps. L’efficacité de ces procédés était en effet très problématique. Il n’en reste pas moins que la médecine, la chirurgie moderne, la pharmacie n’ont pas entièrement fait disparaitre de vieux procédés dont les effets sont supérieurs aux leurs.
Qu’on
me permette d’évoquer ici avec émotion et reconnaissance le souvenir de celui
qui fut pendant 45 ans le bienfaiteur de toute la région connue sous le nom de
« la Montagne » (Hte Marne). Plus d’un de nos braves
« Montagnards » pourrait dire qu’il lui doit la guérison de maladies
– de peau par exemple – que des médecins avaient déclarées incurables. Et cela
par le simple traitement d’onguents naturels qu’il fabriquait lui-même, à
l’aide de plantes recueillies à cet effet, et à l’utilisation de
camphre ».
Il s’agit de l’abbé Breton, curé de Musseau en Hte Marne, décédé en 1922.
Notes
du Chanoine Donot
Le Fonds de dotation pour la gestion et la
valorisation du patrimoine pharmaceutique conserve un étonnant singe en bronze
doré. Agenouillé sur un tabouret aux pieds galbés et décorés de coquilles dans
le goût des années 1730-1750, l’animal a une apparence très humaine. Il est
habillé et coiffé d’un bonnet et tient une seringue bien trop grande pour lui.
Sa restauration a aussi été l’occasion de
s’interroger sur sa fonction. A première vue, il s’agit d’un simple objet
décoratif, qui se moque de la pratique abusive que faisaient les médecins des
clystères sous l’Ancien Régime en remplaçant le pharmacien par un singe (pour
en savoir plus, rendez-vous ici). Jusque-là, rien d’anormal : depuis le XVIIe
siècle, les artistes européens ont l’habitude de représenter des singes se
livrant à toutes sortes d’activités humaines : la chasse, la toilette, la danse,
etc. La morphologie de l’animal est en effet proche de celle de l’homme, c’est
donc l’avatar parfait pour se moquer des travers humains, tout en satisfaisant
le goût de l’époque pour l’exotisme. Le thème du lavement, par sa dimension
scatologique propre à faire rire, fait alors le bonheur des peintres de
singeries au XVIIIe siècle.
Mais ce petit singe a sans doute appartenu à un
pharmacien tout aussi facétieux. En effet, si on regarde sous l’objet, on
découvre un tuyau métallique, qui passe ensuite dans le corps du singe pour
aboutir à l’extrémité de la seringue. On peut donc imaginer que l’autre
extrémité était reliée à un petit réservoir d’eau et que, grâce à l’action
d’une poire, on pouvait projeter un filet d’eau dans la seringue comme lors
d’un véritable lavement. Assurément un bon moyen de surprendre ses clients !
Les Saint guérisseurs : Voir l'article sur les Saints Guérisseurs
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