mardi 18 mars 2025

Les Mires et les Empiriques

 


Les mireurs d’urines

Il y a à peine 200 ans, la médecine ne connaissait, comme moyen d’investigation pour juger de la santé d’un malade, que de deux procédés : ma prise de poules et l’observation des urines.

Les battements du cœur par la prise du pouls furent observés dès la plus Haute antiquité, et les Chinois surent même distinguer de nombreuses variations de pulsations.

En ce qui concerne l’examen des urines, on en trouve mention dans les papyrus égyptiens et sur les tablettes d’argiles assyriennes.

A l’époque biblique, la physiologie de la nutrition se réduit chez les Juifs à cette phrase : « Tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre, puis est jeté dans les lieux secrets ».

Cette courte et simpliste définition peut donner un certain sens à l’étude des excréments et des urines.

Aristote, né à Stagire, en Madédoine en 384 av. J.-C., (on le nomme souvent sous le nom de Stagirite) fit des dissections animales et en tira des conclusions assez hasardeuses pour le corps humain. Les riens, enseigne-t-il, filtrent l’urine du sang grâce à la chaleur accumulée dans la capsule graisseuse qui les coiffe. L’urine passe par les uretères dans la vessie, d’où elle est éliminée par l’urètre. Définition comme toute assez valable, et qui montre à quel degré de connaissance anatomique on était alors parvenu.

Et voici la fameuse Ecole d’Alexandrie, née en 332 av. J.-C., elle connut de grands médecins dont l’érudition est basée sur le sens pratique. Citons Hérophile et son « Traité du Pouls », Aristogène et Dioscoride de Phacas, Erasistrate dont on cite volontiers ce trait de bon sens et d’humour :

Appelé un jour auprès d’un malade et entendant celui-ci ronfler, il s’écria : « J’entends dans cette maison le meilleur médecin ! »

L’École empirique fut fondée à Alexandrie entre 270 et 220 av. J.-C. Pour pénétrer les causes secrètes des maladies, les Empiriques se fondaient sur trois principes. C’est ce qu’un des leurs, Glaucias, a nommé le Trépied : observations fréquentes, observations étrangères, principe d’analogie. Ainsi, les Empiriques eurent le mérite de faire table rase des connaissances médicales traditionnelles pour ne ternir compte que de l’observation (selon Hippocrate). Ils ont donc fait œuvre scientifique.

Galien vint beaucoup plus tard. Il est né à Pergame en 131 de notre ère. Cet illustre médecin grec était resté fidèle aux conceptions d’Aristote (en particulier sur l’anatomie humaine) et aux principes hippocratiques de la médecine, quoi qu’en dise le vers fameux :

« Hippocrate dit oui, mais Galien dit non ».

Ayant fait ce rapide survol de la question médicale dans l’Antiquité, c’est avec le Moyen-Age que nous allons aborder le sujet plus précis qui nous préoccupe.

Le Moyen-Age a connu ses mireurs d’urines

Comment procédaient-ils ? On ne connaissait pas alors le tube à essais, non plus que le prosaïque verre à pisse des modernes gens de laboratoire. L’urine était observée, par transparence, dans le matula, autrement dit, le vase de nuit.

On jugeait ainsi de l’aspect des urines, de la couleur, de la limpidité, et on observait surtout les « contenta », c’est-à-dire les sédiments. Un moine du 7ème siècle Théophile dit Protospatharios, est l’auteur de travaux importants sur la séméiologie uroscopique. Arabes, Salernitains et Byzantins, trouvèrent dans ses travaux une base pour de nouvelles observations. Mais c’est surtout au 14ème siècle, avec Johannès Actuarios et son important traité le « Peri ouron », que l’examen des urines prendra un caractère presque scientifique. En effet, Actuarios, qui était médecin, consacra 46 chapitres de son traité à la valeur séméiologique de l’examen des contenta dans les urines. Mais écoutons-le plutôt :

« La science des urines est plus rapide et plus sûre que celle du pouls, car elle place tout sous nos yeux, tandis que l’autre subordonne tout au toucher. Or, il semble bien qu’il soit plus facile à juger sur ce qu’on voit que d’après ce qu’on touche. »

Le professeur Cheymol, de la Faculté de médecine de Paris, pharmacien chef honoraire des Hôpitaux, nous livre dans une vaste étude sur le même sujet, deux judicieuses observations. La première est : de l’uroscopie raisonnée, qui n’était qu’un moyen, on est passé insensiblement au XIIe siècle à l’uromanie, voire à l’uromancie. Et le mireur d’urine – c’était généralement un médecin (1) – eut beau jeu car – et ceci nous mène à la seconde observation du professeur Cheymol – les prescriptions de l’Église concernant l’honneur du sang, le devoir pour le clergé de soigner les âmes, non les corps… allaient faire de lui un spécialiste. On distingua alors en effet trois personnes distinctes préposées aux soins médicaux : le fysicien ou mieureur d’urines, le chirurgien de robe longue et le barbier-chirurgien, un laïc en robe courte.

Parmi les célèbres médecins des XIe et XIIe siècles qui se sont intéressés à l’uroscopie, nous citerons deux maitres arabes, Rhazès et Avicenne (Ibn Sina), les maîtres salernitains Musandinus, Salernus, Urson, Maurus, mais aussi un français célèbre Gilles de Corbeil né en 1140, médecin de Philippe auguste et Chanoine de Notre-Dame de Paris. Ce savant a écrit un poème sur les urines « Carmina de urinrum Judiciis », 352 vers, tendant à démontrer l’excellence de l’examen des urines pour le diagnostic et le pronostic des maladies.

 

Carmina de Urinarum Judiciis (Poème sur les urines) de Gilles de Corbeil, 
édition imprimée de 1515

Des vers sur les urines !


Balthazar Van den Bossche (1681-1715) né à Anvers  « Le cabinet du médecin »
ici, le mireur d’urines est au fond – Un alchimiste. Musée de Cologne.
C’est en fait un urologue en train de mirer un urinal à moitié rempli.

 

Certains biologistes contemporains ont aussi cultivé la muse sur ce prosaïque sujet. Tel Camille Méhu  que l’urine a conduit, selon ses dires, jusqu’à l’Académie… mais ce Méhu était un joyeux farceur et son petit quatrain n’avait d’autre but que de divertir un peu son ami Tanrel.

Tout autre était le poème de Gilles de Corbeil, qui servit de base d’études vraiment sérieuse à ses élèves et à une foule d’écoliers, avant même que l’auteur ait pu le corriger. Gille a écrit dans la préface de son poème du pouls :

« Nous avons un très grand nombre de traités sur la science des urines, mais ils sont tous mal ordonnés et obscurs. C’est ce qui nous a engagé, dans l’intérêt de nos élèves, à en composer un autre plus concis et plus clair. Malheureusement ce livre est sorti de nos mains avant que nous ayons pu le revoir et le corriger. Comme un avorton, il a vu le jour inopinément, avant l’heure fixée par sa naissance.

Ce savant médecin tenait beaucoup à sa muse, parfois polémique, puisqu’il a aussi écrit une satire en 6 000 hexamètres, (de ieros, sacré et picros, amer) ce qui veut dire probablement « médecine amère pour personnage sacré ».

Gilles de Corbeil, (né à Corbeil) étudia à Salerne, ville qui possédait alors une célèbre école de médecine. Son « Carmina de urinarum judiciis » (chant sur l’appréciation des urines), œuvre de jeunesse, est un rappel d’aphorismes tirés d’écrits anciens : les traités des urines de Maurus et d’Urson. Gilles de Corbeil a aussi écrit un traité, très en avance pour son époque, sur les signes et symptômes des maladies.

Notons encore qu’en ce 12ème  siècle, plusieurs conciles (Latran, Montpellier, Tours, également le concile de Paris tenu en 1212), font défense aux moines et religieux d’exercer et même d’étudier la médecine. Au mépris de leurs engagements, ils abandonnent le soin des âmes pour ne s’occuper que de celui des corps et promettent de guérir les maladies à prix d’argent…

[Au XIIe siècle, l'Église a interdit aux moines de devenir médecins pour plusieurs raisons. L'une des principales raisons était de maintenir la séparation entre les rôles religieux et séculiers. L'Église voulait que les moines se concentrent sur leurs devoirs spirituels et religieux, plutôt que de se disperser dans des activités séculières comme la médecine.

De plus, l'Église craignait que la pratique de la médecine ne conduise à des conflits d'intérêts et à des abus de pouvoir. Les moines, en tant que figures religieuses, étaient censés être des modèles de vertu et de moralité. En devenant médecins, ils auraient pu être tentés de profiter de leur position pour obtenir des avantages personnels.

Enfin, l'Église considérait que la guérison des maladies devait être principalement une question de foi et de prière, plutôt que de science et de médecine. Les moines étaient encouragés à prier pour les malades et à leur offrir un soutien spirituel, plutôt qu'à chercher des remèdes médicaux.]

De nombreux documents du XIIe siècle démontrent qu’il y avait au Moyen-Age deux classes de médecins : ceux qui avaient étudié sérieusement leur art dans les écoles et le pratiquaient honnêtement, et ceux qui sous prétexte d’avoir passé quelque temps à Salerne ou à Montpellier, exploitaient ensuite la crédulité publique et méritaient bien plus le nom de charlatans.

L’histoire nous a conservé aussi le nom de quelques mirgesses (par analogie avec le nom de mire donné aux médecins).

Gilles nous livre encore, avec sa grande faconde, les propos suivants :

« Que la jeunesse lise mes œuvres, qu’elle les garde en sa mémoire et qu’elle sache bien qu’elle en tirera plus de profit que la lecture des Amours d’Ovide… »

Après avoir conseillé la prise du pouls, voici ce qu’il écrit encore :

« Tu examineras ensuite l’urine : sa consistance, sa couleur, son dépôt ; souvent ces divers caractères permettent de connaitre la maladie. Cela fait, tu feras espérer au malade une prompte guérison, tout en disant à ses familiers qu’il est gravement atteint. Cette façon d’agir augmentera d’autant, à leurs yeux, ton mérite et ta gloire, s’il vient à guérir. Si, au contraire, il succombe, ils verront que tu l’avais prévu dès l’origine. »

A l’encontre de cette attitude quelque peu roublarde, Gilles de Corbeil fait preuve d’une belle honnêteté et d’un esprit charitables lorsqu’il écrit :

« S’il arrive à quelqu’un de vous d’être malade à son tour et de réclamer nos soins, nous nous empresserons d’accourir, toute autre occupation cessant et sans rien exiger. »

Il est un autre traité que l’on peut considérer comme la somme du savoir acquis par les mireurs d’urines au Moyen-Age. C’est le Miroir des Urines de Davach de la Rivière, qui eut huit éditions aux XVIIe et XVIIIe siècle. Tout est prévu dans cet ouvrage, jusqu’au moindre détail. D’abord le recueil des urines : le matin au chant du coq, les urines doivent être placées en un endroit tempéré et sans vent, à l’abri du soleil et de la chaleur.

L’auteur distingue deux sortes d’urines : si elle est normale, il dit « cuite », si elle est farcie de produits alimentaires non assimilés, il la juge « crue ».

Galien distinguait 6 couleurs possibles dans les urines. Or, au XIIe siècle, quel progrès sur ce point, puisqu’on en distinguait déjà 20 !

Mais voilà qui est plus étonnant, au XVIIe siècle, l’examen des urines autorise le diagnostic à distance. Thomas Willis, médecin londonien ajouta aux caractères objectifs nombreux de l’urine, le goût. Il décela ainsi la présence de sucre (urina mellita ou urine miellée), découvrant ainsi le diabète sucré.

Jean Fernel, mathématicien et astronome, était aussi le médecin de Henri II (1485-1558). Il s’était illustré en guérissant Diane de Poitiers d’une maladie grave. Cet homme illustre attachait une grande importance à l’uroscopie. Ce fut le véritable fondateur de l’analyse clinique des urines.

C’est Paracelse, de son vrai nom Philippus Aureolus Theophrastus Combastus von Hehenheim (2), célèbre médecin du XVIe siècle, qui apporta de nouvelles lumières sur l’examen des urines. Créateur de l’art dit « spagirique » (extraire, rassembler) il chercha à dissocier les différentes parties de l’urine pour les poser après distillation.

A la même époque, il est vrai, les indiens du Tibet étaient réputés pour leur habileté à soigner n’importe quel malade sans avoir rien vu d’autre que ses urines.

Avant Paracelse, voici comment nos empiriques voyaient les choses. Observant une urine dans un urinal ou dans la matula, ils considéraient les sédiments à divers étages. Ils en retenaient quatre, du haut en bas ; et ce quatre régions de l’urine correspondaient, selon eux, aux quatre parties du corps, c’est-à-dire : la région supérieure à la tête, la région immédiatement en dessous à la poitrine, la troisième région à l’abdomen, la quatrième enfin à l’appareil uro-génital. Ainsi, si quelque chose était anormal dans une de ces régions de l’urine, c’est que la partie correspondante du corps était mal en point. Aussi simple que cela !...

L’importance accordée à la matula était telle qu’elle devint même un emblème, voire une enseigne, ainsi qu’en témoignent les nombreuses peintures, sculptures et bois gravés (3). Jusqu’au XVIIe siècle, Saint Côme ne sera jamais représenté sans ce récipient ; citons aussi le calice d’ivoire conservé à la cathédrale de Milan, où un médecin est affublé de cet accessoire (4).

Guy de Chauliac, chirurgien célèbre, s’éleva contre cette pratique qui frisait le charlatanisme. Pour mettre un terme à ces abus, le Collège des médecins de Londres interdit, au XVe siècle, de prescrire un traitement sur le seul examen de l’urinal.

Le flamand Van Helmont, le plus illustre des disciples de Paracelse, sera le premier à rechercher la densité de l’urine. Parmi les continuateurs de ces précurseurs de la biochimie, citons encore, avec Thomas Willis et Jean Fernel déjà nommés, François de la Boë dit Sylvius.

Sans poursuivre plus avant cet historique, arrivons au début du XIXe siècle. Cette époque peut être marquée par les savants modernes d’une pierre blanche, puisqu’elle voit le chimiste suédois Berzélius fournir la première analyse d’urine dite « complète ».

Guy Patin (1601-1672) était, parait-il, un personnage peu sympathique. Le 26 mars 1626, sa thèse cardinale répond par la négative à cette question :

- Peut-on trouver dans l’urine un signe certain de grossesse ?

Qu’il ait pu poser la question, voilà qui est étonnant !

Voici donc traitée brièvement et bien imparfaitement, l’histoire des mireurs d’urines. Voyons quelles traces ces dernières ont laissées dans notre département. Il en est, convenons-en, qui furent des charlatans notoires, tel Nicolas Ehrart poursuivi en 1494, qui soignait et guérissait les coups et blessures, examinant les urines et prescrivant ses médicaments.

Tel Jean Rayer ou Raget, ancien aide aux armées (régiment de Custine-dragons), arrivé à Troyes dès la Révolution, il persistera, malgré procès et condamnations, à exercer l’art de guérir jusqu’à sa mort survenue en 1819.

Fils d’un négociant de Lyon, ce Rayer se dit chirurgien et prétend s’occuper des urines depuis l’âge de 12 ans. Il se dira d’ailleurs « consulteur d’urines ». Cependant, on peut lire dans un document d’époque 1er Germinal An III (23 mars 1795) :

« Le chirurgien Pissier (nom prédestiné) considère comme charlatan Rajal ci-devant chasseur à cheval, tailleur dans son régiment ».

 Quoiqu’il en soit, Rayer ou Rajal ne mérite pas que l’on fasse de lui une longue biographie. Indiquons seulement qu’il fut dénoncé par le docteur Bouquot comme exerçant l’art de guérir sans titre, sans aucune capacité reconnue, de surcroit sans talent et de mœurs  suspectes ! C’est du moins la conclusion des membres de l’Administration Municipale de Troyes qui dresse le 15 Germinal An IV (4 avril 1798) un état du corps médical. En 1804, il demande son inscription sur la liste des officiers de santé, au vu d’un certificat suspect. Le maire et les notables de Troyes, ainsi qu’un jury médical, s’opposent à son inscription car… « Raget est un consulteur d’urines qui indique des traitements sur leur seule inspection ».

 Le docteur Bidor, médecin troyen, a fait de ce charlatan une mordante caricature dans un poème intitulé « Les mystères de l’uroscopie ». Raget, nous dit-il, avait la façon bien simple d’abuser les clients sur ses dons de devin. Il se cachait dans une « niche ». Le patient, en arrivant, racontait son histoire à la femme du charlatan. Celui-ci sortait alors de sa cachette parfaitement au courant de l’histoire de la maladie.

« L’air grave et sourcilleux, il admirait

Du fluide apporté l’aspect trouble ou limpide

Hum ! Hum ! dans cette eau là je vois beaucoup d’humide ;

C’est une femme, elle a bien des fois crachotté,

Mais surtout voici certain nuage

Qui parle clairement à qui sait son langage.

Oh ! qu’il me faut ici mettre d’habileté

Que je t’estime heureux de m’avoir consulté ! »

 Sincère ou non, Raget serait – parait-il – mort de chagrin à la suite d’une condamnation ferme de prison et à une amende de 1 000 francs dont il n’aurait pu s’acquitter. Ce dernier trait plaiderait plutôt en sa faveur. Ne lui marchandons pas notre indulgence.

 

Charles Feuillet, tisserand, se présentait lui aussi à nos concitoyens comme un « Inspecteur des urines ». Déjà dénoncé comme charlatan par Pissier, le 1er Germinal An III, Feuillet, habitant rue des Trois Maures (aujourd’hui rue du Paon), figura sur la liste dressée le 26 Nivose An V.

 On ne brûlait plus de sorcières en ces premiers temps républicains. Convenons toutefois que nos mireurs ou inspecteurs d’urines, assimilés – parfois sans discernement – à de vulgaires charlatans, n’avaient pas toujours la vie belle. Encore ne m’attarderai-je pas sur quelques cas plus tragiques où les eaux de la Seine remplacèrent les bûchers du Moyen-Age.

Ainsi, le mireur d’urine, s’il se double parfois d’un charlatan, est dans on essence beaucoup mieux que cela. Il doit être en fait considéré comme le précurseur des biologistes modernes. Que font-ils d’autre, ces derniers, lorsqu’ils se livrent – employant un terme pompeux – à l’examen organoleptique d’une urine, que les gestes de l’empirique, Après, seulement, intervient l’acte scientifique pur.

Les mireurs d’urines se servaient adroitement de leurs sens : la vie, l’odorat… le goût, même ! Pourquoi pas ? Jusqu’au début du XXe siècle, dans certaines campagnes, des personnes diabétiques jugent à un ou deux grammes près de la quantité de sucre contenue dans leur urine, en goûtant cette dernière. Pas question là de charlatanisme, puisqu’il n’y a pas recherche de profit !

Tentons ici une définition :

 Le mireur d’urines – selon moi – c’est un empirique généralement bien intentionné. Versant quelquefois, par esprit de lucre, dans un certain charlatanisme, mais, presque toujours sincère. Aimant la recherche, ayant un certain don d’observation, puis de déduction, par la mise en œuvre de ses sens.

Etre souvent présomptueux, il faut bien le reconnaitre, parce que l’humilité n’est l’apanage que des vrais savants, lesquels n’ignorent pas… qu’ils ne savent pas grand-chose.

 Voici un charmante et authentique anecdote. Il y a de nombreuses années, une dame présente un flacon d’urines à analyser au Dr Delvincourt qui nous raconte : 

« - Que faut-il rechercher Madame ?

   - C’est pour la recherche de l’atome.

    Comme je savais cette personne diabétique je n’ai pas insisté et j’ai procédé à la recherche de l’acétone ! »

 

 

 (1) Le nom de Mire venait du grec Muron, parfum. Arétée nous apprend que les grecs appelaient muropoioi « qui traite des parfums », ou encore mirès, les chirurgiens, médecins et apothicaires ; alors l’expression mireur d’urine ne viendrait-elle pas de ce que ces hommes de l’art jugeaient du caractère des maladies par l’aspect des urines ?

(2) Paracelse : né le 10 novembre 1493 à Einsiedeln (en Suisse centrale), avait choisi ce nom parce qu’il était persuadé d’être l’égal d’Aurélius Cornélius Celsus, célèbre écrivain médical romain du 1er siècle.

(3) Saint Côme et Saint Damien, deux frères jumeaux nommés Anargyres (sans argent) à cause de leur grande charité. Martyrisés sous Dioclétien, ils sont considérés comme les patrons des médecins et des chirurgiens.

(4) Deux peintures du Musée d’histoire de la médecine de Nancy, l’une sur bois représentant Saint Côme un urinal dans la main gauche, une palme dans la droite ; l’autre, sur toile montrant Guy de Chauliac occupé à mirer une urine, traité médical en main.

Les maîtres hollandais du XVIIe siècle représentent cet acte, tantôt chez le malade lui-même, dans son milieu familiale, en ce cas le tableau présente toujours un grand intérêt lié à l’ameublement ; tantôt chez le médecin, l’apothicaire, le charlatan ou le chimiste. Dans ce cas, l’analyste est généralement entouré d’accessoires de pharmacie : pots, chevrettes, etc. Si c’est un médecin, se trouvent un ou deux aides à ses côtés.

Gérard Thomas (1663-1720) « Le mireur d’urine »  
Musée des Beaux-Arts de Dijon

Musée  de la santé en Lorraine à Nancy 


Le Professeur Antoine Beau (1909-1996) fut avec le Professeur Gilbert Percebois (1930-2018) à l'origine du premier musée d'histoire de la médecine, situé dans l'ancienne Faculté. Mais cette structure, un peu confidentielle, était en fait réservée à un public limité.

Après la disparition d'Antoine Beau, « le flambeau » fut repris par le Doyen Georges Grignon (1927-2005) qui orchestra son transfert à la Faculté de médecine de Brabois, avec la participation de Christiane Pelletier, et avec le soutien sans faille du Doyen Jacques Roland. Il en fut le « Conservateur ». Aidé par deux amis de longue date, le Professeur Jean Floquet et le Docteur Jacques Vadot, le « Musée » put ainsi se développer sur un mode plus «ouvert au public», avec sa galerie historique située dans la salle du conseil, de nombreux tableaux exposés dans les deux salles de thèse et d'autres salles de réunion. Des panneaux explicatifs ont été réalisés pour chaque période.

La Faculté de médecine de Nancy-Brabois peut ainsi s'enorgueillir de pouvoir exposer une « Histoire de l'enseignement médical en Lorraine » à travers une riche collection de peintures allant de la Faculté de Pont à Mousson à l'actuelle, en ayant traversé l'époque de Stanislas, la période révolutionnaire et une grande partie du XIXème siècle, avant d'accueillir, en 1872, les enseignants de la Faculté de Strasbourg refusant de passer sous le joug prussien.

Une première «  Association des Amis du Musée de la Faculté de Médecine  » fut créée, en 1996, pour servir de « bras armé; » à cette nouvelle structure. Elle permettait de trouver des « aides extérieures » (dont l'Association des Chefs de services hospitaliers), de publier « Lettres » et documents ou d'organiser divers évènements. Elle a été présidée successivement par le Docteur Vadot puis le Professeur Jean-Luc Schmutz.

Depuis 2019 elle est devenue «  Association des Amis du Musée de la Santé de Lorraine  » après l'arrivée en 2018 sur le plateau de Brabois des Facultés d'odontologie et de pharmacie, en lien étroit avec le Centre Hospitalier Régional Universitaire, constituant un « Pôle Santé; ». Son actuel président en est le Professeur Pierre Labrude.

En 2005, au décès de Georges Grignon, Jean Floquet avait été nommé au poste de « conservateur », cette charge ayant été transmise en 2020 à Philippe Wernert. Ce dernier a orchestré le transfert de nombreuses vitrines, provenant de la Faculté de pharmacie de la rue Albert Lebrun à Nancy.

Elles ont été installées au rez-de-chaussée du premier bâtiment construit à l'entrée du Pôle Santé dans une grande salle mise à notre disposition. Avec la participation de quelques membres motivés du conseil d'administration ont été rassemblés dans ces vitrines documents, petits et moyens matériels relatifs à la médecine, l'odontologie, la pharmacie et les hôpitaux. Des objets plus importants ont été installés dans des espaces libres.

Le musée renferme de nombreuses œuvres : essentiellement des portraits, des bustes, des documents divers et une originale collection de moulages dermatologiques en cire, provenant de l'Hôpital Fournier de Nancy et restaurée grâce au soutien financier des dermatologistes lorrains.

Exposées largement dans une galerie jouxtant la salle du conseil, dans les deux salles de thèses et dans une salle de réunion, ces collections comportent une cinquantaine de tableaux dont les plus anciens proviennent de la Faculté de Pont-à-Mousson, crée à la fin du 16ème siècle. Leur valeur historique et artistique est reconnue par leur classement au Patrimoine mobilier départemental de Meurthe-et-Moselle. Ces œuvres, dont une dizaine ont été classées au niveau national, sont le reflet des hommes qui ont exercé la médecine en Lorraine depuis le début du XVIIème siècle et, particulièrement ceux qui en ont assuré l'enseignement.

Les membres de l'association des "Amis du Musée" s'investissent dans la conservation et la restauration de ce patrimoine ancien remarquable.


Guy de CHAULIAC (vers 1297-1368)

Le tableau - peinture sur toile de 76x57 cm - représente Chauliac en buste, légèrement tourné  vers la droite. Il est assis dans un fauteuil dont on aperçoit un accoudoir. Son vêtement est sombre, limité par un étroit col blanc. Le visage assez allongé est entouré par une barbe blanche mi-longue  avec une moustache. Il est coiffé d’une coiffe aplatie, noire. Chauliac tient dans ses mains un livre fermé de couleur rouge sur lequel on peut lire « HIPPOCRATES ». D’autres livres sont sur une étagère  en arrière de lui. On peut déchiffrer les noms d’ « AVICENNA, GALENUS, ALBUCASI ». Une autre étagère supporte deux flacons de verre renfermant un liquide coloré, sans doute de l’urine qu’il analyse. Ce tableau  pourrait être d’un artiste italien du XVIème siècle, l’inscription étant postérieure et faite à la demande de Louis lui-même. Le cadre est en bois mouluré, sobre mais doré.

Guy de CHAULIAC (vers 1297-1368), médecin illustre, qui a donné son nom à la Faculté de médecine languedocienne, fut un chirurgien célèbre, associé du Collège. Son tableau, offert par Louis  au Collège royal orne l’un des murs de la salle de thèses n°2.

Guy de Chauliac soigna trois papes en Avignon  et son traité de chirurgie - dont il fit une traduction française - Guidon de la pratique de cyrurgie, Lyon 1478 - restera utilisé jusqu’au XVIIIème siècle. Il en existe un exemplaire à la bibliothèque universitaire de médecine de Nancy. L’admiration de Louis est donc compréhensible.

La donation est attestée par une longue inscription  noire sur un bandeau doré  à la partie basse du tableau :

HANC VERAM GUIDONIS A CAULIACO EFFIGIEM REGIO MEDICI. NANC. COLLEGIO DD. ANT LOUIS, Nobilibus Atavis Lothar .Editus, Collegii Soc. Honor. Acad. Reg. Chir. Paris. Secretar. Perp.  j u d

 Cette véritable effigie de Guy de CHAULIAC  a été donnée au Collège Royal de Médecine de Nancy par Antoine LOUIS, lié à la Lorraine par de nobles ancêtres ?, sociétaire honoraire du Collège de Lorraine, secrétaire perpétuel de l’Académie Royale de chirurgie de Paris, juge.

 

Musée de la Faculté de médecine de Nancy

 

Six tableaux de forme octogonale, de taille identique, peintures à l’huile sur toile,  mesurant 91x78 cm, avec un cadre en bois mouluré, soigneusement peints, proviennent  de l’ancienne Faculté de Pont-à-Mousson dont ils ornaient la salle des actes. Ils sont donc tous antérieurs à 1768, année au cours de laquelle la Faculté fut transférée de Pont-à-Mousson à Nancy.

Si la présence de portraits n’a rien de particulier dans une salle des actes, cette collection a pour originalité de présenter côte à côte des personnages à la fois historiques (Galien, Hippocrate, Schröder), légendaires (Hermès-Trismégiste) et religieux (Saint Côme et Saint Damien).




Qui sont Saint Côme et Saint Damien ?

Frères jumeaux d’origine arabe et issus d’une famille noble et chrétienne, Côme et Damien sont nés au IIIème siècle à Egée en Asie Mineure actuelle. Fort habiles dans l’art médical, ils parcourent les villes et bourgades, guérissent les malades au nom du Christ. Ils exercent leur art gratuitement et deviennent ainsi les Anargyres, « ceux qui repoussent l’argent ».

Battant en brèche l’autorité du proconsul Lysias, juge en la ville d’Egée, ils subissent le martyre dont les différents épisodes sont purement légendaires : ils sont jetés enchaînés dans la mer, mais un ange rompt leurs liens et les ramène au rivage. Lysias les fait attacher à un poteau et ordonne de les brûler vifs, mais les flammes se retournent contre les bourreaux. On tente de les lapider et de les percer de flèches, mais les flèches et les pierres refusent de les frapper. De guerre lasse, Lysias les fait décapiter avec leurs trois autres frères vers l’an 287. Les restes des martyrs furent enterrés à Cyr et transportés plus tard en la basilique Saint Côme et Saint Damien de Rome. Ces saints ont été très honorés à Rome, à Byzance et en Orient.

L’empereur Justinien (527-565) guéri par l’intercession des deux saints, orne leur église à Constantinople qui devient un lieu de pèlerinage. Le pape Symmaque (498-514) leur dédie un oratoire, et Félix V (526-530) une basilique au Forum. Le culte est ensuite diffusé en Europe à partir de la légende dorée de Jacques de Voragine qui rapporte la greffe miraculeuse d’une jambe empruntée à un Ethiopien défunt au profit du sacristain de l’église Saint Côme et Saint Damien à Rome. Ce dernier atteint de gangrène gazeuse fut guéri et se retrouva donc avec une jambe noire, l’autre blanche.

Au XIIème siècle, lors des croisades, des reliques des deux saints sont offertes au seigneur de Luzarches qui les partage entre Luzarches et Paris. Les chirurgiens, dont la corporation est l’une des plus anciennes de France, choisissent alors pour saints patrons Côme et Damien et prennent comme principal engagement de consulter gratuitement les pauvres, le premier lundi de chaque mois, respectant ainsi les qualités d’anargyres des deux saints.

Des saints bien ancrés en Lorraine

Si le culte de Saint Côme et Saint Damien se répand très tôt dans le monde dès le Vème siècle, il se développe également dans l’Est de la France. De nombreux lieux de culte sont ainsi dressés en leur mémoire dans notre région. L’église de Vézelise par exemple (1520), dédiée aux deux saints, a contribué par son important sanctuaire à faire connaître les saints médecins et à diffuser leur culte en Lorraine.

Plusieurs figurations de Côme et Damien existent dans l’église d’Alaincourt-la-Côte en Moselle. L’église de Benestroff, également en Moselle, compte elle aussi deux très belles statues anciennes.

Il n’est donc pas étonnant que la Faculté de Pont-à-Mousson dédie son petit sceau aux deux saints. Il faut savoir que seules deux Facultés ont choisi Côme et Damien parmi leurs Saints patrons : Pont-à-Mousson et Poitiers.

La représentation de Saint Côme et Saint Damien dans notre musée et ses particularités

Populaires, les saints anargyres Côme et Damien ont été fréquemment représentés depuis l’Antiquité. Patrons des chirurgiens, ils apparaissent dans les images de confrérie, sur les sceaux et les jetons. Puissants protecteurs, ils attirent de nombreux dévots, dont certains riches et célèbres comme les Médicis. Côme l’Ancien (1389-1464) eut pour son saint patron une grande dévotion et finança les travaux de Fra Angelico, auteur de remarquables toiles illustrant plusieurs épisodes de leur légende : La guérison du diacre Justinien, l’enterrement de Côme et Damien avec leurs frères (Musée San Marco à Florence).

L’iconographie des saints a retenu l’attention des historiens parce qu’on les a représentés comme des médecins de la fin du Moyen Age ou de l’époque baroque. Ils portent habituellement les vêtements amples et le haut chapeau que les médecins portaient pour affirmer leur dignité. Leurs attributs sont : la trousse, la lancette pour les saignées, la pince, la spatule, le mortier et son pilon, le pot d’onguent, l’urinal, et tant pour s’instruire que pour rédiger l’ordonnance, plume et encre, rouleau et livre.

Les particularités des deux tableaux octogonaux de la Faculté

De manière classique, les deux saints portent le costume des professeurs de médecine de la fin du XVIème siècle : la longue robe rouge, le collet blanc, le chapeau haut.

Comme pour tous les autres tableaux octogonaux, les noms sont peints en lettres capitales rouges. Au-dessus de leurs visages identiques, puisqu’ils sont jumeaux, on devine deux fines auréoles. Leurs attributs sont eux aussi classiques et choisis parmi des instruments évoquant médecine et chirurgie : la spatule et la boîte d’onguents pour Saint Côme, le pot de panacée, remède universel contre tous les maux pour Saint Damien. Saint Côme et Saint Damien ont été représentés ici pour leur authentique qualité de médecins. On ne note aucun caractère qui soit lié à leur stature de saints et de martyrs.

Ils sont considérés comme de véritables saints médecins, et non comme des saints guérisseurs.

 


Pas une seule sculpture ou effigie de ces deux hommes n’a pu traverser l’histoire et le temps. A ce jour, leurs visages sont ceux idéalisés par les artistes du Moyen-Age. Ces tableaux ne dérogent pas à la règle en représentant les deux hommes dans des costumes médiévaux propres aux médecins. Rappelons que les vêtements ont une signification sociale selon le rang et les fonctions occupées, et si les tenues courtes sont à la mode, les robes et les manteaux longs restent l’apanage des doctes, prêtres et notables. Médecins et juristes portent le même costume : robe longue et rouge, doublée de fourrure blanche comme Saint Côme et Saint Damien. Cependant ici, pour vêtir Hippocrate et Galien, l’artiste n’a pas retenu l’habit professoral mais des habits simples de médecins. Leur appartenance à l’Antiquité est manifeste et même classique car les Anciens étaient systématiquement dépeints comme des hommes imposants, grands avec la barbe grisonnante et les cheveux longs.

Hippocrate

Ici, Hippocrate tient dans sa main gauche un crâne posé sur une table et dans la droite une sorte de scie. Pour comprendre le sens de cet attribut, il faut se pencher sur son histoire. Né vers 460 avant J-C, sur l’île de Cos, tout prédispose le jeune Hippocrate à un destin hors du commun. Fils d’Héraclide, médecin et prêtre voué au culte d’Asclépios, dieu de la médecine, il serait le vingtième descendant d’Héraclès et le dix-septième descendant d’Asclépios lui-même. A treize ans, il étudie la médecine auprès de son père mais aussi de son grand-père Hippocrate Ier, professeur d’anatomie. Pour parfaire ses connaissances, il voyage en Thessalie, Macédoine, Asie mineure, Egypte,…

Il fonde son école à Cos vers 440 avant J-C. Il organise la lutte contre la peste à Athènes qui fit cinquante mille victimes en 429 avant J-C. Il redevient ensuite, pendant de longues années, périodeute, c’est-à-dire médecin itinérant, avant de fonder une nouvelle école à Larissa où il s’éteindra vers 377 avant J-C. Sur son tombeau, dit-on, vécut un essaim d’abeilles dont le miel guérissait les aphtes des enfants. Ainsi finit la vie d’Hippocrate comme elle avait débuté : entourée de légendes…

La célébrité d’Hippocrate est liée à une nouvelle conception de la médecine qui s’appuie sur quelques principes : tout observer, soigner le patient plutôt que la maladie, se livrer à une estimation honnête du malade et de ses conditions de vie, seconder et faire confiance à la nature. Ce dernier principe, trait constant de la philosophie hippocratique, entraîne une certaine passivité découlant de l’importance accordée aux vertus curatives de la nature. La théorie qu’il développe sur les quatre éléments constituant le corps (air, terre, eau, feu) et les quatre humeurs (sang et chaleur provenant du cœur, flegme et froid du cerveau, bile noire et humidité de l’estomac, bile jaune et sécheresse du foie) inspirera la médecine durant des siècles. La maladie est expliquée par le dérèglement de ces humeurs. Il en reste que soigner l’individu comme une entité prise dans son environnement avec objectivité et rigueur morale est une révolution et un concept résolument moderne.

Ses travaux, réflexions, pensées sont répertoriés dans une soixantaine de traités rassemblés dans le Corpus hippocraticus. Les premières règles déontologiques de la pratique médicale y sont fixées, même si le fameux serment a été rédigé par ses élèves et non par lui-même.

D’Hippocrate, la séméiologie actuelle retient encore : le syndrome méningé, le trismus du tétanos, la fièvre tierce et quarte du paludisme, l’encéphalopathie hépatique, l’hippocratisme digital de l’insuffisant respiratoire, …

La faiblesse des connaissances anatomiques et physiologiques d’Hippocrate est expliquée par son mépris pour la dissection. Par contre, sa connaissance en ostéologie est à la hauteur de son intérêt pour la chirurgie. Il invente ainsi un treuil pour réduire les luxations, cautérise les hémorragies au fer rouge et crée un instrument pour réaliser des trépanations.

C’est cet instrument rappelant l’invention d’Hippocrate qui est ici représenté sur le tableau.

Parmi les remèdes, traités, principes et découvertes, le plus bel héritage d’Hippocrate est sans doute d’avoir prôné une médecine rationnelle, rigoureuse et objective : « Savoir, c’est la science, croire savoir c’est l’ignorance […]. Tout ce qui se fait, se fait par un pourquoi ».

Galien

A l’instar d’Hippocrate, Galien est vêtu de la longue robe du médecin du Moyen-Age. Debout, la main gauche posée sur la hanche, il pose dignement et tient dans sa main droite une plante médicinale.

Rien ne semblait prédisposer Galien à une carrière médicale. Né à Pergame en l’an 131, Galien Claude est issu d’une famille aisée. Son père Nikon, architecte et sénateur, le surnomme Galenus (le doux), cependant il hérite d’un caractère irascible, celui paraît-il, de sa mère.

Son père le destine à une carrière d’administrateur romain, mais à 17 ans, il s’oriente vers la médecine. Il parfait sa formation à Smyrne, Corinthe, devient l’élève d’Erasistrate et d’Hérophile à Alexandrie. De retour à Pergame, il soigne les gladiateurs et accroît ses connaissances en anatomie et traumatologie. Il dissèque par ailleurs les animaux du cirque.

Vers 162, il s’installe à Rome sur la voie sacrée où la médecine est quasi inexistante. Il s’y bâtit une solide réputation, finit par être introduit auprès de l’empereur Marc Aurèle, organise des conférences et des expositions d’anatomie. Disciple d’Hippocrate, il prône une remise en cause continuelle des décisions en fonction de ses propres travaux.

Bon anatomiste, il dissèque en public et transpose ses constatations animales à l’homme, source de ses erreurs. On lui doit les termes d’épiphyse, de cotyle, d’apophyse. Son sens de l’observation fait de lui un lointain précurseur de la physiologie expérimentale (rôle du rein, du faisceau pyramidal, du péristaltisme intestinal, des canaux galactophores). Il réactualise la clinique bien éclipsée par la philosophie et développe une méthode diagnostique fondée sur l’observation du malade. Bien que brillant, il est aussi cassant et orgueilleux et s’attire la haine de ses confrères. Il quitte Rome en 166 lors d’une épidémie de peste. Rappelé par Marc Aurèle en 168, il devient son consultant après l’avoir guéri d’un embarras gastrique jugé incurable par les autres praticiens. Après avoir refusé d’accompagner l’empereur en Germanie, il assure son rôle de médecin consultant à la cour de Commode, fils et successeur de Marc Aurèle, et s’éteint en 201.

C’est par l’intermédiaire des traducteurs arabes qu’il devient célèbre au Moyen Age. Galien est reconnu alors comme le plus grand médecin de l’Antiquité, ses traités sont la référence absolue. L’Eglise s’empare de cette doctrine médicale qui, rédigée comme un dogme, fait référence à un dieu unique, défend une certaine éthique médicale et intégrité morale et reconnaît la capacité de réflexion et de courage des chrétiens devant la mort.

Une fois figée, la doctrine de Galien est un compromis rassurant entre la science et la religion. Il faudra attendre le XVIème siècle pour que Vésale ouvre la querelle des anciens et des modernes, des galénistes et des anti-galénistes. En replaçant la connaissance précise de l’anatomie au centre de la science médicale, Vésale renoue alors avec la véritable démarche de Galien, loin des pratiques médiévales qui ont dénaturé l’héritage de l’antiquité.

Mais pour quelle raison, sur le tableau, Galien est-il représenté avec une plante ? Tout simplement parce qu’il a également effectué des travaux poussés sur les plantes médicinales à l’origine de la pharmacie galénique ; il a ainsi décrit 473 remèdes d’origine végétale ou minérale dont l’utilisation thérapeutique se définissait par la qualité, la quantité, le mode d’administration et l’opportunité de leur usage, instituant ainsi le premier code de préparation des médicaments à partir d’éléments de base. Il a complété la thériaque, antidote suprême, panacée des panacées, inventée par son contemporain Nicandros ; cet antidote régnera sur la pharmacopée pendant des siècles et ne sera retirée du codex qu’en 1908.

Botaniste, chirurgien, anatomiste, pharmacien, médecin, philosophe, Galien s’ouvrit à de nombreuses disciplines tout en restant fidèle à la pensée hippocratique : « Le clinicien doit s’enquérir de toutes les manifestations présentes et passées en examinant lui-même les symptômes actuels et en s’informant des antécédents auprès du malade et de ses proches ».

 


Hermès Trismégiste et Schroeder sont deux personnages étranges de par leurs vêtements et leur attribut, loin des costumes traditionnels et des robes rouges professorales qui les entourent. Ces deux portraits peu communs provenant de la salle des actes de l’ancienne Faculté de Pont-à-Mousson suscitent souvent l’interrogation et l’étonnement. Voisinant dans la salle avec Saint Côme et Saint Damien, Galien et Hippocrate. Six noms sont donc associés en une seule et même collection. La présence de Galien et d’Hippocrate s’explique aisément tout comme celle des Saints médecins Côme et Damien. Hermès Trismégiste et Schröder demandent pour leur part quelques commentaires. S’agit-il d’une collection hétéroclite, dénuée de logique ? En conclusion, nous avancerons une hypothèse pour tenter d’expliquer cette étrange association entre personnages historiques, religieux et légendaires.

 Portrait d’Hermès Trismégiste

Il s’agit sans doute du plus curieux de tous les tableaux exposés au Musée de la Faculté de médecine. Le personnage étonne d’emblée par ses vêtements hors du commun : il porte un pilos, chapeau de feutre de forme oblique ainsi qu’une chlamyde, manteau de lin court et épais agrafé sur l’épaule. Il s’agit de vêtements grecs anciens. L’usage était de porter le pilos à la campagne ; quant à la chlamyde, elle était traditionnellement utilisée par les soldats ou les voyageurs. Pilos et chlamyde sont également les attributs d’une divinité grecque : Hermès.

Cependant, ne figurent sur cette représentation ni le caducée ni les ailettes propres au messager des dieux. Le personnage représenté tient en effet entre ses mains une verrerie formée de deux sphères reliées par une longue tige. Mais d’Hermès à Hermès Trismégiste il n’y a qu’un pas ou plutôt trois vies. En effet, Trismégiste du grec tris, trois fois, et megistos très grand, signifie Hermès le trois fois grand.

Identifié au dieu égyptien Thot, Hermès passe pour être le créateur de l’alchimie. Selon la légende rapportée par Hermias d’Alexandrie, il a, en Egypte, vécu trois vies : la première, avant le Déluge, comme inventeur de l’astronomie ; la deuxième comme grand constructeur de Babel, médecin et philosophe ; la troisième récapitulant les deux premières en tant qu’expert en alchimie, d’où son triple savoir et sa triple sagesse. On peut lire dans un de ses écrits : « …Je suis appelé Hermès Trismégiste, car je possède les trois parties de la sagesse du monde entier… ».

Les doctrines ésotériques répandues sous son nom sont réunies dans une compilation établie du VIème au Xème siècle sous le titre de Corpus Hermeticum. La découverte, vers l’an mille, de la Table d’émeraude, un des textes fondateurs de l’alchimie, bouleverse les pensées.

Sa version la plus ancienne en langue arabe date du VIème siècle. La copie latine beaucoup plus tardive permet sa diffusion. Des légendes inépuisables apparaissent autour de ce texte. La plus fameuse raconte qu’Hermès l’a inscrit sur l’émeraude tombée du front de Lucifer, le jour de la défaite de l’ange rebelle.

 Ainsi commence La table d’émeraude :

 « En vérité, certainement et sans aucun doute

 Tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut

 Et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas

 Pour accomplir les miracles d’une seule chose ».

 

 La lecture complète du texte donne assurément un sens à l’hermétisme ! Cependant ces quatre premières lignes fort célèbres auraient pu inspirer l’auteur du tableau. L’instrument d’alchimie qu’Hermès tient entre ses mains ne pourrait-il pas illustrer la relativité qui existe entre le haut et le bas et donc les premières lignes de la Table d’émeraude ? Outre le symbolisme de l’instrument, une autre énigme plus importante demeure : comment un personnage légendaire comme Hermès Trismégiste peut-il figurer dans une salle des actes de la Faculté de médecine aux côtés de Galien et d’Hippocrate ? Bien sûr, Hermès est le dieu des médecins. Mais ici c’est bien Hermès l’alchimiste qui est représenté.

Loin des considérations mythologiques, les œuvres attribuées à Hermès se sont répandues en France avec un impact manifeste. Si elles développent l’idée d’une connaissance sacrée révélée aux Anciens aux premiers jours de l’humanité, elles dictent également des principes alchimiques où se côtoient rites magiques et formules d’oxydoréductions authentiques.

L’histoire de la chimie et de la pharmacie repose sur cette dualité. Les remèdes et les recettes de santé du Moyen Âge puisent leur source dans un mélange de connaissances et de croyances de l’Antiquité, d’expériences des moines et de travaux des érudits arabes.

De nos jours, l’image classique de l’alchimie est d’être une fausse science, hermétique, incompréhensible, voire grotesque. Quelques citations lapidaires des textes les moins abordables et souvent les moins représentatifs, justifient cette idée. Ce jugement trop rapide laisse dans l’ombre tout un domaine passionnant de l’histoire des idées. L’alchimie, arabisation du mot chimie, a accumulé un trésor de pratiques dont a bénéficié la chimie expérimentale. Jean-Baptiste Dumas, chimiste français du XIXème siècle à qui l’on doit la détermination de la masse atomique d’un grand nombre d’éléments, écrit : « La chimie pratique a pris naissance dans les ateliers du forgeron, du potier, du verrier, et dans la boutique du parfumeur ». Si la médecine trouve aisément sa filiation à travers l’histoire, l’art de la pharmacie évolue très lentement dans un contexte flou où alchimistes et proto-chimistes se côtoient, s’opposent et s’interchangent.

Aujourd’hui, la chimie apparaît organisée, clarifiée, rendue perméable et intelligible. Mais il reste encore dans son utilisation en médecine des zones de pénombre. Témoin de cette évolution confuse entre magie et science, Hermès Trismégiste dit père de l’alchimie, trouve donc bien sa place dans cette collection pour représenter l’origine de la pharmacie.

Portrait de Johann Schröder

Personnage plus classique, à côté d’Hermès, se tient un médecin des armées. Le costume date du début du XVIIème siècle. L’homme tient dans ses mains une cornue : un vase étroit et courbé servant à la distillation en chimie. Les lettres rouges révèlent de nouveau l’identité du personnage : Scroderus ou plutôt Johann Schröder.

Pour offrir un aperçu de l’histoire de la littérature pharmaceutique, le musée allemand de Munich a réuni trois travaux centraux : celui de Dioskurides pour l’antiquité, le Manuel pratique pharmaceutique d’Hermann Hager pour les XIXème et XXème siècles et le livre de Johann Schröder pour représenter la période intermédiaire.

Johann Schröder est né en 1600 à Salzuflen, en Allemagne, et il disparaît en 1664 à Francfort. Sa vie est peu connue, par contre son travail, basé sur ceux de Joseph du Chesne (1564-1609), a eu un impact majeur. Il publie en 1641 pour la première fois son Pharmacopoeia medico-chymica. Ce travail connaît à l’intérieur du pays et à l’étranger un énorme succès.

Durant plus de cent ans, une vingtaine d’éditions latines, allemandes, anglaises et françaises apparaissent. La révision complète par le médecin Friedrich Hoffmann (1626-1675) en assure l’actualité scientifique. Schröder est un acteur de la lente transformation de la profession pharmaceutique qui s’opère dès le XVIème siècle. Des cours de pharmacie sont dispensés désormais à la Faculté de médecine, même si ce n’est qu’au XVIIIème siècle que la pharmacie est rationalisée et strictement codifiée. Héritière de nombreuses intuitions alchimiques, la chimie prend, elle aussi, son essor au XVIIème siècle et devient un enseignement prépondérant dans la formation des apothicaires puis des pharmaciens. Avec des ouvrages comme ceux de Schröder, mais aussi Charras et Lémery, la pharmacie conquit sa respectabilité scientifique.

Explication de ces associations

Voici donc six noms réunis : Hippocrate et Galien, Saint Côme et Saint Damien, Hermès Trismégiste et Schröder. En tenant compte des costumes, cette collection de six tableaux semble s’associer deux par deux. Si à première vue, l’association entre personnages historiques, religieux et légendaires peut paraître curieuse, elle a une explication rationnelle : Galien et Hippocrate représenteraient la médecine, Saint Côme et Saint Damien, la chirurgie, Hermès Trismégiste et Schröder, la pharmacie. En effet, la Faculté de Pont-à-Mousson est érigée en 1572 et la médecine est enseignée. En 1602, une nouvelle chaire apparaît : celle d’anatomie et de chirurgie faisant entrer ces disciples dans l’enseignement médical. En 1628, la pharmacie et la botanique sont à leur tour introduites. Trois enseignements évoluent donc côte à côte : la médecine, la chirurgie et la pharmacologie. Cette explication, bien qu’hypothétique, donne un sens à l’association des six personnages.

 

 LES EMPIRIQUES

Chefs de Saint Côme et Saint Damien, patrons de la paroisse de Brageac en Auvergne

Les empiriques appartiennent à la communauté stable d’une société villageoise au milieu de laquelle ils vivent, partageant ses joies, ses peines, ses occupations.

On peut se demander à quel rang social ils appartiennent.

Lorsqu’ils exercent un métier, ces gens sont barbiers, cordiers, tailleurs, tisserands et surtout bergers. En contact permanent avec la nature, le berger a des allures un peu mystérieuses. On le craint un peu comme sorcier, mais on le respecte car il soigne les gens aussi bien que les bêtes.

Il va sans dire que les curés, médecins des âmes, sont aussi parfois médecins des corps, tel le célèbre curé de Vauchassis. Le maréchal-ferrant du village se trouve également au service des malades, car il symbolise aussi une des forces de la nature.

Intimement mêlés à la vie communautaire, ces empiriques se rendent proches de nous. Leurs remèdes sont en partie connus et il est souvent possible de les décrire. Ceux-ci font également appel à des procédés magiques, déterminés par des rites qu’il suffit de respecter pour obtenir l’effet salutaire, tels que les prières, les cultes aux sources, les pèlerinages, les processions, etc.. 

Ces guérisseurs occupant sagement un petit coin de terroir, on est amené à se demander si la thérapeutique à laquelle ils s’adonnent présente des caractères qui la rendent spécifiquement champenoise.

Nous ne le pensons pas. Trop d’interpénétrations, trop d’influences subsistent entre les régions voisines pour qu’il soit possible d’isoler un contexte de province. Néanmoins, les moyens de guérison désignés ici ont été glanés sur la terre de Champagne, plus précisément dans le département de l’Aube, et il y a lieu de s’attendre à une énumération de remèdes dont la formule ne figure pas au Codex.

 

Peinture murale de la ville de Samalut représentant les saints martyrs Ananias, Azarias et Misaël avec les saints Côme et Damien, provenant de Wadi Sarga, Égypte, British Museum.

 DU MOYEN-AGE AU XXe SIECLE

En l’an 1515, Marnot, cordier à Troyes guérit en trois ou quatre jours une personne qui souffre depuis la plante des pieds jusqu’au-dessus du ventre. Il vient également à bout du Mal de Naples (syphilis) par un traitement fort simple !

Deux ou trois bains chauds, friction sur tout le corps devant le feu avec un onguent parfumé et apposition d’un emplâtre sur l’estomac.

Un jour de mars 1889, une dame vient consulter Gilmont, domicilié à Thuisy près d’Estissac :

« Veuillez, dit-il à la dame, mettre de votre urine dans un verre, vous y ajouterez une pièce de deux sous, la plus sale possible, je vous dirai ce qu’il faut faire. »

La malade obéit ; Gilmont saisit le verre il absorbe une gorgée de liquide, le déguste et veut en faire boire à sa cliente. Mais celle-ci refuse. Il prépare ensuite à l’intention de sa malade une pommade composée de :

Graisse de cochon mâle, bourgeons de sapin, platane, « venin » de crapaud et reine des bois, à mettre en application sous les aisselles, les jarrets et le sommet de la tête.

Coût de la visite : 21 francs

Mêlé à la cire d’abeille, le venin de crapaud convient également pour la catalepsie. Toutefois, l’ordonnance de Gilmont est d’un prix un peu plus élevé : 25 francs.

Un guérisseur de Channes, appelé Guinot mentionne que l’épilepsie se traite bien avec le « Baume de M. Lelièvre ». Il nous initie également à un remède qui guérit la sciatique, la goutte et les vieux ulcères : « Prenez de la bouse de vache, ce que vous voudrez, fricassez avec du beurre et appliquez la deux fois par jour sur le mal ».

Il soigne la jaunisse :

« Mettez des feuilles de chélidoine dans vos souliers, elles remplaceront vos chaussettes pendant quelques jours »

On remarque dans ses Cahiers de guérisseur qu’il travaille beaucoup avec la lune : La bourrache semée en nouvelle lune fortifie le cœur ! Le navet au déclin de la lune chasse les mauvaises humeurs.

Maillard, de Belleville, travaille plutôt avec le soleil et vend un « esprit » solaire et balsamique pour la purification du sang.

A propos « d’esprit », un malheureux curé se trouvait riche de corps mais fort indigent d’esprit. Pour faire revenir son esprit à l’endroit qu’il n’aurait jamais dû quitter, on imagina de lui servir un excellent repas dont il garderait le souvenir !

On ne connait pas le résultat, toutefois le procédé semble appréciable…

Pour les hémorroïdes, il est bien de mettre un tubercule de nieffle scrofulaire dans un sachet qu’on suspend au panet de la chemise.

Si des rhumatismes affectent les reins, le malade soit se frictionner avec de l’eau de vie et du savon. Ensuite, il accomplit une neuvaine qui se termine par une messe en l’honneur de Saint-Parres.

Moins dévote, peut-être, la femme Portier de Cussangy, traite les rhumatismes aigüs avec une pommade en bâton faire d’arsenic et de mercure (pommade qu’elle dit pourtant composée de simples cueillies dans les prairies).

Les rhumatisses se guérissent pareillement avec le procédé suivant :

- Dans une bouteille en verre on place des vers de terre (non de fumier). On enfouit la-dite bouteille dans du fumier de cheval pendant 48 heures. Ensuite on se frotte avec une plume.

Voici une autre médication sûre ! : rester longtemps les pieds posés sur un chien. Celui-ci attrape les douleurs et en débarrasse le malade.

On peut aussi prendre une peau de chaut fraichement égorgé !

[Je précise qu’un chat vivant fera très bien l’affaire, car oui, les chats absorbent les douleurs humaines]

On pense également à la rage. Recteur d’école à Verrières, Pierre Moreau connait une bonne recette, il faut boire trois bouteilles de vinaigre dans la journée !

En 1780, le curé de Soulaines pendait  réaliser la guérison du cancer. Sa méthode est contenue dans un livre conservé à la Bibliothèque de Troyes « Observations médio-chimiques sur le cancer » par l’abbé Martinet.

Un autre curé (décidément) de campagne attaqua l’hydropisie et la petite vérole (variole) au moyen d’une poudre à prendre en prise matin et soir pendant 24 jours. Toutefois, avant le traitement, i y a lieu de se faire saigner.

Guinot, de Channes, apporte par ailleurs des précisions sur la saignée :

- Le 1er jour de la lune elle est mauvaise, car elle cause les couleurs pâles
- Le 3ème jour elle rend débile
- Le 6ème jour elle est bonne pour dissiper le sang
- Le 20ème jour elle est mauvaise, mais bonne le lendemain, etc ;..

 Le rhume se calme en portant un bas autour du cou

En 1775, les rhumes et les fluxions de poitrine ont mourir de nombreuses personnes. On recommande alors :

Une tisane préparée avec un navet, un oignon blanc, une pomme de reinette, du bois de réglisse et du chiendent bouillis dans une chopine d’eau. Il faut en boire un verre bien chaud, matin, midi et soir.

Pour guérir le rhume de cerveau, il y a lieu de respirer plusieurs fois de l’eau par le nez et de se moucher aussitôt. Au cours de la journée, on peut renouveler ce traitement qui ne connait aucune contre-indication.

Si vous êtres affligé d’un rhume de poitrine, le « lait de poule » parait très indiqué :

En avalant votre « lait de poule », essayez de cracher à chaque cuillerée.

Pour le flux de nez (épistaxis), on invoque Sainte Tanche, Saint Etanche en Champenois. Ou bien on se serre fortement le mollet gauche et l’on reste couché en cet état durant deux heures.

Le flux de ventre, le dévoiement, la diarrhée, sont faciles à guérir. Avant de se coucher on dine d’un œuf frais cuit « à la coque ». Au lieu de sel, on met deux fois l’équivalent en graines sèches de Plantin.

On peut également adopter la médication suivante :

- Dans une pinte d’eau, jeter un dé à coudre de lin, un peu de guimauve, de la réglisse et une demi-tête de pavot. Faire bouillir une heure, passer, laisser refroidir. Il faut boire cette décoction aux repas et entre les repas.

A Saint-Julien-les-Villas, le mal de ventre se calme par des cataplasmes de poireau. Lorsque le mal gronde trop fort, il est bon de « tirer » son mouchoir entre les dents.

A Rouilly-Saint-Loup, pour le même ennui, on propose une forte décoction de pieds et de tête de mouton.

A Villenauxe, on croit davantage à une décoction de chardon roulant, réduit en poudre et employé à raison d’une pincée par tisane.

Le vin possède aussi des propriétés merveilleuses, trop méconnues, car il « grise » la fièvre et calme les coliques, surtout si l’on y mêle de l’ail dont les propriétés sont sudoripares.

Une constipation opiniâtre sera combattues efficacement par de la rondelote (lierre terrestre) en tisane.

Guinot de Channes, préfère la laitue car elle entretien la « liberté du ventre ».

On remédie au flux d’urine (incontinence) en faisant manger des souris aux enfants. Chez les « grands corps » il y a davantage à craindre « l’extinction d’urine ». Prendre alors des cosses de pois (haricots rouges), les faire bouillir dans une cruche ou un coquemard et en boire l’eau.

« Remèdes sûr et éprouvé ».

Toutefois, Guinot croit davantage à l’efficacité des petites pierres (coquille interne) qu’on trouve dans les limaces. Pilées et bues dans du vin, elles font : « Pisser aisément ».

Dans les cas les plus sérieux, un examen de l’urine parait opportun. En effet, les empiriques les plus instruits savent qu’Hippocrate observait les maux de ses patients au moyen des urines. En 1515, Marnot le cordier de Troyes, pratique cet examen et un certain Bonpas décèle également par ce moyen que l’un de ses clients est gravement malade.

A villenauxe, le consulteur d’urine tient en réserve un purgatif drastique connu sous le nom de sirop antiglaireux.

L’urine possède aussi des propriétés aseptiques fort intéressantes.

A Saint-Julien-les-Villas, pour désinfecter une plaie provoquée par une dent de fourche, on applique des compresses d’urine d’enfant. En pis-aller on peut recourir à l’urine d’homme.

Des compresses d’urine sur les seins sont prescrites à Rouilly-Saint-Loup lorsque l’accouchée ne nourrit pas son enfant.

Les cors aux pieds ne doivent pas être négligés. Ils font trop souffrir ! On met de l’herbe à cochon (polygonum aviculare) dans une poche du côté du cor en disant : « Que mon cor s’en aille à l’aide de cette herbe ! ».

Ce procédé psychosomatique ne convient pas à Guinot de Channes qui prescrit : « Prenez de l’ail que vous appliquerez sur le cor au premier quartier de la lune ».

Dans la région de Clairvaux, pour guérir abcès, « clous » et certains bobos, on prend eun’piau d’vieux oing ; c’est-à-dire la pellicule qui recouvre la vieille graisse de porc fondu. Séparée de la graisse, cette peau en application agit comme un résolutif.

Un poireau (verrue) se soigne de la façon suivant :

- pendant neuf jours on le frotte avec un morceau de lard qu’on jette ensuite dans les « cabinets » : quand le lard est pourri, le poireau est guéri.

 Pour les panaris, Lépicier dit le sorcier de Fravaux, prescrit un remède assez pittoresque : s’emparer d’une grenouille vivante, lui ouvrir le ventre, y mettre le doigt et lorsque la grenouille devient toute noire, le mal est prévenu ou guéri.

S’il y a migraine, voici l’ordonnance de Guinot de Channes :

« Prenez la tête d’une corneille, faites-la cuire sur un charbon, ensuite enlevez la cervelle, mangez-la. Si violente soit-elle, la migraine se passera ».

 Gérost de Villenauxe donne un moyen moins féroce (et plus hygiénique) qui aboutit au même résultat :

« En vous levant, lavez-vous la figure, notamment le front et les tempes avec de l’eau bien froide acifulée de vinaigre. Lavez en même temps le nez et mouchez-vous à chaque fois ».

 Ou bien si vous préférez :

 - Lavez-vous le nez avec de l’eau douce au moyen d’une éponge ou d’un petit linge plié en plusieurs doubles. Ne craignez pas de vous servir de vos doigts en guise de mouchoir.

 - Étant à jeun et votre cerveau se trouvant dégagé par cette première opération, fumez avec modération du tabac dans une pipe.

 -Si votre mal de tête n’est pas enlevé par la fumée du tabac, prenez de la poudre de marron d’inde râpé bien sec, comme on prend du tabac à priser. Ne pas dépasser dix à douze prises par jour. Ordinairement à la troisième prise ou à la quatrième, le mal de tête disparait.

 Contre les points (douleurs intercostales) on fait griller de l’avoine dans de l’huile. Ensuite on procède à une application de cataplasmes à l’endroit où se trouve le « point ».

 Pour une entorse :

 Séparez un hareng salé en deux, enlevez les arêtes et entourez le pied malade.

 Si vous avez un moucheron ou une saleté dans un œil, frottez-vous l’autre œil et l’ordure disparaitra.

 Pour combattre la conjonctivite, les bonnes femmes de nos campagnes prennent de petites fioles dans lesquelles elles recueillent précieusement les « pleurs » de la vigne (exsudat de sève). Souvent même, elles les provoquent en taillant un sarment dont elles courbent l’extrémité dans une fiole.

 Le mal de dents si douloureux ne résiste pas à la graine de jusquiame.

 Le curé de Brienne-le-Château agit différemment ; voici son procédé :

 - Lorsque ce mal me prend, je fais une forte lessive de cendre, je décante la liqueur et, quand elle est encore très chaude, je me gargarise à diverses reprises et la douleur se passe.

 Pour prévenir ce mal, le guérisseur de Fravaux indique de se couper les ongles tous les lundis.

La fièvre disparait si l’on se coupe les ongles des doigts de pieds et qu’après avoir fait une incision dans un tremble, on y introduit les ongles en disant :

« Tremble, tremble aussi longtemps que ma fièvre tremblera.

 A Saint Mesmin, on arrête la fièvre par un brevet de papier suspendu au cou.

 A Vougrey, les œufs d’entre les deux Notre-Dame (15 août – 8 septembre) arrêtent également la fièvre.

 L’abbé Talon, curé de Villenauxe, tente de traiter le choléra :

 - Prendre de la chaux vive sous forme de pierres, une dizaine environ, légèrement plus grosse que le poing, les tremper dans l’eau comme des morceaux de sucre.

Enveloppées dans des linges mouillés, elles seront placées aux endroits stratégiques : une à chaque plante de pieds, une entre les genoux, une entre les cuisses, une auprès de chaque jambe, de chaque bras, de chaque hanche. Le gaz qui se dégage fait suer abondamment et promptement. Pour activer la transpiration, il y a lieu de charger le malade de couvertures et d’habits, sans l’étouffer bien entendu.

Souvent Monsieur le curé passe la main sous les draps pour s’assurer si la chaux ne prend pas feu et si la sueur arrive.

Si la chaux prend feu, on retire la pierre et on éteint le feu avec de l’eau tenue en réserve à cet effet. Si la sueur arrive, on enlève la chemise mouillée et l’on en passe une autre. Cette opération se renouvelle autant de fois qu’il le faut.

Ensuite, on prépare le lavement suivant : 5 ou 6 œufs sont cassés et mélangés avec de l’eau tiède dans laquelle a cuit une tête de pavot. D’un côté le bouillon pointu est administré au malade, de l’autre celui-ci avale 1 ou 2 œufs frais délayés dans de l’eau tiède avec 2 bonnes cuillerées d’eau de vie.

 Mais, si le choléra persiste, le curé capitule et fait appeler le médecin…

 Les ivrognes, eux-mêmes n’échappent pas à la médecine empirique :

Une goutte de sang d’anguille leur donne le dégoût du vin.

Gérost prétend guéri l’ivrogne en frottant son verre avec de la coloquinte.

 Les croyances populaire rejoignent dans leurs postulats, les connaissances des empiriques :

 La section du petit doigt peut entrainer la mort parce qu’il est l’extrémité des nerfs du corps.

 La dent de l’œil (canine) ne devrait jamais être arrachée car l’enlever de force risque de faire perdre la vue à l’œil auquel elle est reliée par des nerfs…

 Dans le genou, trois doigts au-dessus et trois doigts au-dessous, il y a un endroit mortel à cause des nerfs et d’autres choses qui se trouvent-là.

 Aux deux extrémités de la vie, la tête et le ventre, correspondent : dans l’enfance, la tête influe sur le bas-ventre, dans la vieillesse le bas-ventre réagit sur la tête. Ce qui dans un âge est cause devient effet dans l’autre âge.

 

LE CLYSTERE


Le clystère ou lavement, était autrefois fort à la mode. L’apothicaire l’administrait au patient à l’aide d’une outre à laquelle était fixée une canule. Ceci jusqu’au XVe siècle, jusqu’à ce que fut inventée la seringue.

Le clysoir à pompe appelé plus communément clysopompe, permettait au patient de se soigner lui-même.

 A Percy-le-Petit en Haute-Marne,

 « Il y avait un opérateur, à la fin du XIXe siècle auquel tout le monde recourait. On ajustait une vessie de cochon sur une tige de sureau et on injectait en pressant la vessie. J’ai vu, à une vente, deux instruments qui ont succédé au tuyau de sureau ; une planchette à plat ; sur icelle, d’un bout, un tube avec un piston foulant ; de l’autre, l’extrémité du tube (après un coude) amincie en pointe ».

 Extrait des notes du chanoine Donot.

 « De nos jours, on se moque beaucoup de l’alchimie et de procédés thérapeutiques de l’ancien temps. L’efficacité de ces procédés était en effet très problématique. Il n’en reste pas moins que la médecine, la chirurgie moderne, la pharmacie n’ont pas entièrement fait disparaitre de vieux procédés dont les effets sont supérieurs aux leurs.

Qu’on me permette d’évoquer ici avec émotion et reconnaissance le souvenir de celui qui fut pendant 45 ans le bienfaiteur de toute la région connue sous le nom de « la Montagne » (Hte Marne). Plus d’un de nos braves « Montagnards » pourrait dire qu’il lui doit la guérison de maladies – de peau par exemple – que des médecins avaient déclarées incurables. Et cela par le simple traitement d’onguents naturels qu’il fabriquait lui-même, à l’aide de plantes recueillies à cet effet, et à l’utilisation de camphre ».

Il s’agit de l’abbé Breton, curé de Musseau en Hte Marne, décédé en 1922.

Notes du Chanoine Donot

 

 

Azulejos du XVIIIe siècle. Musée national de l'Azulejo, Lisbonne, Portugal

 


Le Fonds de dotation pour la gestion et la valorisation du patrimoine pharmaceutique conserve un étonnant singe en bronze doré. Agenouillé sur un tabouret aux pieds galbés et décorés de coquilles dans le goût des années 1730-1750, l’animal a une apparence très humaine. Il est habillé et coiffé d’un bonnet et tient une seringue bien trop grande pour lui.

Sa restauration a aussi été l’occasion de s’interroger sur sa fonction. A première vue, il s’agit d’un simple objet décoratif, qui se moque de la pratique abusive que faisaient les médecins des clystères sous l’Ancien Régime en remplaçant le pharmacien par un singe (pour en savoir plus, rendez-vous ici). Jusque-là, rien d’anormal : depuis le XVIIe siècle, les artistes européens ont l’habitude de représenter des singes se livrant à toutes sortes d’activités humaines : la chasse, la toilette, la danse, etc. La morphologie de l’animal est en effet proche de celle de l’homme, c’est donc l’avatar parfait pour se moquer des travers humains, tout en satisfaisant le goût de l’époque pour l’exotisme. Le thème du lavement, par sa dimension scatologique propre à faire rire, fait alors le bonheur des peintres de singeries au XVIIIe siècle.

Mais ce petit singe a sans doute appartenu à un pharmacien tout aussi facétieux. En effet, si on regarde sous l’objet, on découvre un tuyau métallique, qui passe ensuite dans le corps du singe pour aboutir à l’extrémité de la seringue. On peut donc imaginer que l’autre extrémité était reliée à un petit réservoir d’eau et que, grâce à l’action d’une poire, on pouvait projeter un filet d’eau dans la seringue comme lors d’un véritable lavement. Assurément un bon moyen de surprendre ses clients !

 

 Les Saint guérisseurs Voir l'article sur les Saints Guérisseurs







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