dimanche 12 mai 2024

Église Saint Martin de Laon (02)

 

Église Saint Martin de Laon ancienne abbatiale

archives de 1900

La fondation de Saint-Martin de Laon

En 1115, Norbert de Xanten, chanoine chapelain à la cour du Saint-Empire romain germanique, décide d’abandonner sa vie aristocratique et mondaine pour se consacrer à une existence pauvre et à la prédication de l’Evangile. La même année, Bernard de Fontaine entre à Clairvaux.

Il existait à Laon, depuis fort longtemps, une collégiale dédiée à Saint Martin, dont les chanoines n’acceptèrent pas les tentatives de réforme voulue par l’évêque Barthélémy vers 1117. Ce dernier confie en 1120 à Norbert, de passage dans son diocèse, la réforme du chapitre de la collégiale de Saint-Martin de Laon. Nouvel échec.

L’évêque Barthélémy installe Norbert dans son diocèse, au lieu-dit "pré-montré", en forêt de Saint-Gobain. La charte de fondation de cette communauté monastique date de 1120. Les religieux adoptent à Noël 1121 une règle inspirée de celle de saint Augustin. Avec de multiples fondations à travers toute l’Europe, un nouvel ordre allait naître, celui des chanoines réguliers de Prémontré.

A l'instigation de l'évêque Barthélémy, Norbert installe en 1124 douze prémontrés à Saint-Martin, après expulsion des chanoines. Gautier de Saint-Maurice, compagnon de Norbert, en est le premier abbé. Il deviendra évêque de Laon entre 1151 et 1155.

Dans le plus grand dénuement au début, l'abbaye est rapidement et suffisamment dotée pour devenir dès la moitié du siècle une des plus riches du diocèse. De passage à Saint-Martin en 1131, le pape Innocent II confirme les privilèges de l’abbaye. En 1137, le monastère compte 500 religieux et religieuses que l’on sépare alors. L’abbaye Saint-Martin est considérée comme le 2ème en dignité dans l'ordre de Prémontré. Elle connaît une grande prospérité, un rayonnement intense (avec plus de 150 fondations en Europe). L’italien Albert de Mora, prémontré à Saint-Martin, est élu pape en 1187 et le reste 57 jours sous le nom de Grégoire VIII (édicte 13 privilèges en faveur de l'ordre).


L'église

archives de 1840

La construction de l’abbatiale est probablement entreprise par l’abbé Garin, successeur de Gautier à partir de 1155. Bien que d’un style très différent, voire opposé, elle est absolument contemporaine de la cathédrale. Elle présente dans son ensemble un grand intérêt stylistique : bien conservée, elle témoigne de l’aspect qu’avaient les premières églises prémontrées en France.

Les flancs sont ceux d’une église romane, avec des fenêtres simples, une corniche avec un cordon mouluré (trous cubiques), des modillons avec masques. Les arcs-boutants furent installés lors du voûtement de la nef. Curieusement situées aux angles occidentaux du transept et de la nef, les tours d'inspiration rhénane conservent un aspect roman (h : 35m).


Façade

La façade occidentale est refaite – ou simplement faite – vers 1270/1280, peut-être au début du 14ème s. Le décor, remplages, moulures et sculptures (frises, reliefs et gargouilles) est conforme à cette période. Cette partie de l’église, aujourd’hui paroissiale, fut restaurée après les dégâts causés par les deux guerres mondiales.

Saint Martin sur son cheval, donne son manteau à un pauvre

La façade est rythmée par 4 contre-forts dont la verticalité est accentuée par les arcs-boutant latéraux et les deux clochetons qui la surmontent (créées par l’architecte Brunet en 1929). Les 3 portails reflètent la disposition intérieure.

- tympan sud : décollation de saint Jean Baptiste.

- portail central : 2 anges, 1 diacre (saint Laurent ?), 1 évêque (Augustin, Martin, Norbert ?) ; belles statues qui ne sont pas à leur emplacement d'origine et qui ne proviennent probablement pas de Saint-Martin ; le pilier central absent (statue de la Vierge ?) ; au tympan, réseau plaqué d'influence champenoise.

- tympan nord : martyr de saint Laurent sur son grill devant l’empereur Valérien.


Les pentures des portes ainsi que les traces de peintures sont d'origine.

Intérieur

Le plan basilical est dit « bernardin » ; emprunté aux constructions cisterciennes, il présente un chevet plat et 3 chapelles orientées sur chacun des bras du transept [L : 75m ; h : 17m (chœur : 14 m)].

Le chœur reprend une disposition présente dans certaines églises rurales laonnoises ou soissonnaises, avec 3 niches à l’origine (seules les 2 niches latérales subsistent).

Seuls le chœur, les 2 travées sous les tours et les chapelles orientées étaient voûtés à l’origine. Elles ont une forme bombée, et les nervures sont constituées de 3 tores accolés.

Le chœur possède de superbes boiseries : du 17ème s. dans le sanctuaire ; du 18ème s. pour le chœur liturgique et les stalles (vers 1745, de Berthelemy père). L’autel date de 1760.


Au-dessus des stalles, des occuli du 18ème s. sont conformes à l’art somptueux des prémontrés.

Transept

Le transept d’origine était plus bas, avec une charpente apparente. A la fin du 12ème siècle, peu avant ou peu après l'achèvement des travaux, le transept est surélevé et voûté (noter l'encorbellement à la retombée des voûtes évitant le bouchage de la chapelle orientée centrale), avec ajout d’un occulus côté sud.

Dans le bras nord du transept, on remarque les traces des ouvertures permettant la communication avec les parties conventuels (dortoir, sacristie, infirmerie).

 la crèche (bras nord ; début 16ème s.) et la chapelle des reliques (bras sud ; la relique de saint Laurent fut rapportée de Hongrie en 1220).

Lors des travaux de rstauration des boiseries du transept nord, 
on a découvert un haut-relief sculpté sur un mur pilier et dissimulé par l'un
des panneaux de bois.


Il s'agit d'une représentation d'une scène de la Nativité datant du début
du XVIe siècle, appelée "Adoration des Bergers"

Nef :

Très inspiré de l'art cistercien la nef est sévère et dépouillée. Les 9 travées sont rythmées par de gros piliers rectangulaires. Les murs sont nus, sans décoration ni mouluration. Les bas-côtés étaient probablement charpentés à l’origine.

A la fin du 12ème siècle, peu avant ou peu après l'achèvement des travaux, la nef est voûtée ; des colonnettes baguées avec fût en délit, sont plaquées sur les murs jusqu'à la naissance des arcs doubleaux et d’ogives avec des chapiteaux à crochets. Les arcs doubleaux présentent un bandeau entre deux tores dégagés par des cavets. La voûte n’ayant pas été prévue à l’origine, on remarque l’absence d'arcs formerets, conférant au voûtement un aspect « mal fini » et engendrant des problèmes d’infiltration. Les fenêtres sont simples, sans remplage, aux ébrasements nus.

L'édifice compte 7 chapelles. Les 3 petites chapelles orientées dans chaque bras du transept, destinées à recevoir un autel, sont construites sur l'emprise de 2 travées. Une chapelle plus conséquante se situe dans le bas-côté sud de la nef. Dédiée à Saint-Eloi (correspondant à la récupération d’un autel de paroisse) percée à la fin du 13ème ou au début du 14ème s. 

La chapelle servait autrefois de paroisse pour la ferme d'Avin, puis pour Saiint Pierre-le-Viel en 1787. Une grande verrière ogivale éclaire la chapelle où 4 consoles à tête humaine portent la croisée d'ogives. sur l'autel se trouve un très beau Christ de pitié sculpté dans la pierre au XVIe siècle.

Pendant la 1ère guerre mondiale cette statue fut brisée en de multiples morceaux lors d'un bombardement.

Cette chapelle est fermée par une haute balustrade couronnée d'un entablement sur lequel sont représentés les 12 apôtres en buste (il en manque 3) et surmontée d'un Christ "Salvador Mundi". Cette clôture de pierre Renaissance de 1540 a inspiré celles de la cathédrale de Laon. 

La porte en chêne a subi des dégradations au moment de la Révolution.




Non loin, sur un des piliers, se trouve la pierre funéraire de Pierre Du Pont (Petrus de Ponte), abbé de Saint-Martin mort en 1461. Dans le registre supérieur, l’abbé, mitré et crossé, accompagné de saint Pierre portant la clef, est agenouillé devant Marie couronnée allaitant Jésus. Un phylactère correspond à une supplique exprimée par l’abbé. On remarque le blason de l’abbaye « de gueules à une roue d'or en abîme accompagnée de 3 fleurs de lys de même, posées 2 et 1 » ; Louis VII offre en 1138, pour le repos de l'âme de son père (!), la vigne "La Rouelle". Dans le registre inférieur, l’abbé portant une mitre non décorée est allongé sur un tapis, la crosse à ses côtés. Des vers courent sur son corps nu. En dessous, une inscription latine : « en proie aux vers je suis ici donné, et ainsi j'essaie de montrer, comment je suis présenté, tout honneur déposé » et le nom du personnage, petrus de ponte. 

Plus loin dans l'édifice, au pilier :

Monument de Pierre de La Bretèche (†1690) et de Jeanne-angélique Caloux son épouse (†1692), 
pierre et marbre, XVIIe siècle, la dalle 

sur un pilier voisin : 

Monument de Marie Escarcel (†1647)
pierre polychrome et marbre

A l’entrée de la nef, de part et d’autre de la porte, on remarque deux gisants :

- Gisant fin XIIe début XIIIème s. d’un chevalier de Montchâlons ou de Raoul II de Coucy, mort en 1250.

Gisant en pierre bleue de Tournai, représente un chevalier vêtu d'une tunique courte et d'un haubert.
Son bouclier figure le blason de la famille de Montchâlons (de gueule à trois pals de vair au chef d'or).
La légende populaire l'attribue à un seigneur Montchâlons dont le corps aurait été déposé dans une tombe creusée à l'entrée du grad portail. L'église aurait été allongée par la suite d'une travée afin d'abriter cette tombe. (Il parait en tout cas vraisemblable que le monument a été exécuté là où il se trouve).

- Gisant de Jeanne de Flandres, veuve en 1311 d'Enguerrand IV de Coucy puis abbesse de Notre-Dame du Sauvoir – morte en 1334.  

Gisant de marbre blanc, début XVIe, par Pierre de Luez représentant Jeanne de Flandre qui, après la mort de son époux Enguerrand IV de Coucy, entre en religion et devient abbesse de l'ancienne abbaye cistercienne Notre-Dame du Savoir à Laon († 1334 à Paris, son coeur inhumé en l'abbaye de Laon).
On remarquera la crosse finement ciselée passsée harmonieusement sous son bras gauche, sa tête reposant sur un coussin et ses pieds sur 2 lions.
(ce gisant provient de l'église de l'abbaye du Sauvoir et fué déplacé après la Révolution. Une reproductionest présentée à la Cité de l'Architecture et du patrimoine à Paris - Trocadéro)


La Verrière du Chevet


La verrière est composée de 4 lancettes surmontées d'un grand oculus à 6 lobes et de 4 écoinçons.  Elle fut réalisée par  l'atelier Tournel de Paris en 1950. Cette verrière, composée de 9 scènes, figure la vie de saint Martin, 5 de ses miracles, son sacre, son enterrement et ses 2 "oeuvres" : la charité et l'apostolat de saint Martin, que l'on retrouve sur les phulactères portés par les 2 anges des écoinçons réunissant les lancettes.

(les vitraux se lisent de gauche à droite et de bas en haut)

1 - Martin rencontre un pauvre à une porte d'amiens, il partage son manteau

2 - La nuit suivante,  le Christ habillé de la moitié du manteau offert, apparait à Martin endormi.

3 - Alors qu'il est moine à Ligugé, Martin ressucite un jeune catéchumène, mort avant d'être baptisé.

4 - Martin est consacré avêque de Tours;

5 - Martin démolit les santuaires païens et convertit les paysans

6 - Martin et ses moines abattent un pin dédié à la déesse Cybèle

7 - Martin délivre un possédé qui devient catéchumène.

8 - Lors d'une messe à tours et au moment de l'élévation du calice, un rayonnement jaillit de la tête de Martin, pour former dans le ciel un globe de feu

9 - " Translation " du corps de Martin en barque de Candes-Saint-Martin à Tours par deux moines.                L'âme de Martin monte au ciel.                                                                                                                     Mise au tombeau de Martin à tours.


Bâtiments conventuel


Ils se situent habituellement au Sud de l'église ; à Saint-Martin, par des contraintes dues à la topographie urbaine, ils se situent au Nord (l’abbaye ayant réutilisé une collégiale plus ancienne).


Le logis abbatial fut reconstruit par le dernier abbé régulier de Saint-Martin, Nicolas Le Saige, entre 1616 et 1621 (brique et pierre ; style et décor classique).

Rez-de-chaussée semi-enterré (offices) et étage noble avec perron et escalier en U, à la manière des vendangeoirs. 2 pavillons : escalier à gauche et chapelle à droite.

Les ailes en biais accentuent la perspective et la majesté du logis.

L'abbaye tombe en commende en 1645, le premier abbé commendataire étant le Cardinal Mazarin.

Un pavillon d'agrément, construit à la même époque que le logis, porte les armes de François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon et abbé commendataire (1672-1701).

En 1730, la mense abbatiale est associée à celle de l'évêque de Laon, insuffisante.

Une reconstruction quasi-totale des bâtiments conventuels commence vers 1730. Le cloître est surélevé.

- aile orientale et cloître (1736-1754) et superbe escalier suspendu de Charles Bonhomme (1736, remarquer la stéréotomie) ; remarquer à l’extrémité de la galerie orientale du cloître le blason de l’abbaye « de gueules à une roue d'or en abîme accompagnée de 3fleurs de lys de même, posées 2 et 1 » ; Louis VII offre en 1138, pour le repos de l'âme de son père (!), la vigne "La Rouelle". Les briques constituant la voûte du cloître n’étaient probablement destinées à être apparente à l’origine.

- aile occidentale du cloître édifiée en 1788...

En 1789, seulement 16 prémontrés occupaient les lieux.

La Révolution est un désastre pour l'ordre et pour l'abbaye qui devient caserne et hôpital en 1792-1795.

Les bâtiments sont concédés en 1803 à l’administration des hôpitaux civils.

L’église devient paroissiale en 1805.

Situé à l’emplacement de la MAL auparavant, l'Hôtel-Dieu est transféré à Saint-Martin (voir portail d’entrée) avant 1811. Il est toujours tenu par des sœurs Augustines (les dernières quittent l’Hôtel-Dieu en 1969).

L’ancienne salle capitulaire de l’abbaye est devenue chapelle de l’Hôtel-Dieu et de la communauté de religieuses : les boiseries (lambris et stalles proviennent de l’ancienne abbaye cistercienne de Foigny ; 4 scènes aux angles : Annonciation ; Nativité ; Résurrection ; Pentecôte (lambris et stalles vers 1750).

Bombardement et incendie en 1944. Mort de Mère Marie-Catherine dans la nuit du 23 au 24 juin.

Le nouvel hôpital est construit entre 1957 et 1960.

La Bibliothèque est inaugurée en 1980.

La Relique de Saint Laurent en l’église Saint Martin de Laon



[Nous savions que I ‘église Saint-Martin de Laon avait possédé dans les temps anciens une relique, un bras de Saint Laurent : relique qui fût entourée d‘une grande vénération et en l’honneur de laquelle on décida, fin XIIIe siècle, début XIVe siècle, lors de la transformation de la façade abbatiale, de consacrer un des portails. En effet, on voit encore au-dessus de la porte de gauche, sculptée, l’histoire du martyr de Saint Laurent ; dans le registre inférieur, le saint est étendu sur son gril, deux bourreaux s’activent à manier de gros soufflets, tandis qu’un roi assis assiste, indifférent au supplice ; au registre supérieur, des anges, les mains voilées, emportent au ciel l’âme délivrée du martyr.

 D’autre part, j’ai découvert dans un manuscrit de la bibliothèque d’Auxerre, provenant de l’abbaye Prémontrée de Saint Marien de cette ville, toute l’histoire de l’arrivée à Laon de la relique de Saint Laurent. En ce début du XIIe  siècle, était à Laon un chanoine régulier du nom de Thomas, qui avait une grande dévotion à Saint Laurent. Or, par trois fois, la nuit,

Laurent apparut à Thomas, lui ordonnant d’aller chercher sa relique dans un pays, où elle n’était guère honorée. Thomas partit pour Rome et atteignit par mer Jérusalem, puis revint par terre, s’arrêtant dans le monastère de Sainte-Croix de Lehses, près d‘Aggriensis, dit le manuscrit, les annales prémontrées situent Lehses près de Vac, au nord de Prague, en Hongrie, un monastère prémontré s’il vous plaît. Alors que Thomas se reposait, Saint Laurent lui apparut, lui ordonnant de se lever promptement, d’aller à l’église où était le reliquaire, de prendre son bras et de retourner immédiatement à Laon. Sans hésiter, Thomas se glissa sans bruit dans l’église, enveloppa le bras du martyr dans une soierie toute brodée d’inscriptions et s’enfuit sans difficulté, trouvant devant lui toutes les portes ouvertes et tous les frères écrases de sommeil. Après une longue marche périlleuse à travers le pays, il arriva à la porte d‘une grande ville, à l’entrée de laquelle tous les marchands étaient contrôlés et fouillés ; malgré ce barrage de police, Thomas passa sans être inquiété. Arrivé non loin de Laon, à Diona, près de Rethel, une filiale de Saint-Martin, Thomas se reposa, prévenant l’abbé de Saint-Martin, Gautier de Douai, que la relique était arrivée à bon port. Les Prémontrés vinrent au-devant d’elle solennellement jusqu’à Diona, puis la ramenant en grand honneur à Laon, elle fut reçue au pied de la montagne par l’évêque de Laon, Anselme, entouré de tout son clergé, et déposée à l’abbaye Saint-Martin.

 A partir de ce jour, Thomas le voleur porta le nom de Thomas Laurentin, la relique opéra de nombreux miracles rendant la santé aux chanoines malades et même réanima un enfant qui s’était noyé dans un puits entre Saint-Martin et Saint-Vincent.

Dès 1243, l’évêque Garnier promulgua des indulgences pendant l’octave de la fête de Saint Laurent.

J’avais repéré, assez intriguée d’ailleurs, dans une des chapelles du transept sud de Saint Martin, un reliquaire récent et pourtant en mauvais état, contenant une relique étrange, c’est un avant-bras et une main, dont il manque le pouce et dont les doigts sont rétractés, comme il se doit pour un brûlé. J’avais mentalement rapproché cette relique de l’histoire de Saint Laurent, jusqu’au soir de février 1977, oh lors d’une petite soirée à Saint-Martin, en faveur des orgues, le reliquaire fut sorti de sa chapelle, à ma demande, par M. le Doyen Nicolas qui, nettoyant la châsse, découvrit à l’intérieur une liasse de treize lettres authentifiant le bras actuel comme celui de Saint Laurent d’avant la Révolution, liasse de lettres d’autant plus intéressantes que neuf de celles-ci sont datées entre le 28 décembre 1793 et le 7 août 1796, c’est-à-dire en pleine période révolutionnaire ; elles donnent des détails très intéressants sur le culte de Saint Laurent, la relique et sa châsse et aussi sur les signataires de ces documents.

La première, la plus importante, car c’est la plus complète, a été écrite par Jean Joseph Selleux, ancien marguillier de Saint-Martin, le 28 décembre 1793 et doit être lue en entier :

- ( Je soussigné Jean Joseph Selleux, administrateur de l’église paroissiale de Saint-Martin de Laon, ci-devant maison conventuelle de religieux Prémontrés, nommé par acte d’assemblée de fabrique et continué le 2 janvier 1793 par acte d’assemblée générale de la commune de Laon, à qui les administrations de fabriques avaient été conférées par décret de septembre 1792.

- Certifie que la partie inférieure avec la main y tenante qui se trouve en ma possession et que j’ai séquestrée est véritablement le bras qui a toujours été en très grande vénération en cette ville et campagnes et reconnu être le bras de Saint Laurent, lequel fut apporté en la dite église de Saint-Martin dès le XIIe siècle par Saint Godefroy, religieux profès de la dite maison ainsi qu’il était représenté sur un tableau attaché contre le deuxième pilier dans la nef de la dite église à gauche en entrant, tenant la figure du dit bras entre ses mains avec une inscription au bas qui annonçait l’année qu’il l’apporta en cette ville.

- Je certifie avoir entendu dire plusieurs fois par M. Lanciaux, religieux profès de la dite maison, que le pouce qui manque à cette main en a été détaché pour être donné à une reine de

France, qui était alors Régente, qu’il croyait être Anne d’Autriche, laquelle en échange envoya un os du bras de Saint Barthélemy apôtre ; ce qu’il a oublié d’insérer dans l’attestation qu’il m’a donné  vu le trouble à cause de l’arrestation dont il était menacé mais qu’il promit de rectifier dans son attestation s’il n’eut pas été prévenu par la mort qui l’enleva après une maladie de plusieurs mois à laquelle il succomba.

- Que depuis le temps que le bras fut apporté en cette ville, il a toujours été en grande vénération tant en icelle que Païs lointains, qu’on célébrait cette fête le 10 août avec très grande pompe et octave solennel, processions le jour de la feste, le dimanche suivant et le jour de l’octave, lesquelles on y portait la châsse où le bras reposait. On doit trouver au district de cette ville dans la chronique de la dite maison et bibliothèque quelque rapport à cette narration si on les a respecté.

- Cette relique était en si grande vénération que les pèlerins venant adorer la Sainte Face de Notre Seigneur Jésus Christ qui était à Montreuil-sous-Laon et aujourd‘hui séquestrée au district, n’auraient pas été satisfaits s’ils n’avaient rendu hommage, fait des prières et des offrandes à Dieu, en l’honneur de Saint Laurent.

- En 1791, lors de la suppression de toutes les maisons religieuses et paroisses de cette ville, l’église de Saint-Martin étant désignée pour une des deux paroisses qui devaient être érigées et conservées, les reliquaires y furent réservés ainsi que la châsse de Saint Laurent, que lors du premier enlèvement de l’argenterie fait le 30 septembre 1792. Le corps de cette châsse fut compris dans cet enlèvement, il s’est trouvé pesé 103 marcs argent doré ; c’était un présent fait par un des rois de France, mais à cause des soudures, elle fut réduite à 97 marcs 6 onces, ainsi qu’il appert par le procès-verbal du district du 9 octobre suivant, laquelle fut envoyée pour être mise au creuset ; alors fut conservé le bassin aussi d’argent doré dans lequel reposait le bras jusqu’au mois de Novembre 1793, mois mémorable pour la suppression totale du reste des églises de la ville, faubourgs et campagnes et de toutes les communes attachées au culte des catholiques, sans qu’il y ait aucun décret formel, mais bien l’enthousiasme qu’on avait eu soin de jeter adroitement dans l’esprit du peuple dont un petit nombre se rendait redoutable.

Ce bassin s’est trouvé pesé 9 marcs sur le procès-verbal des 13 et 14 frimaire nouveau stil ou suivant l’ancien stil le 25 décembre 1793 ; autour du dit bras était une petite lame d’or très fin du poids de trois gros laquelle était gravée en gothique, bras de Saint Laurent qui fut aussi enlevé pour être mis au creuset.

C’est en ce jour qu’en ma susdite qualité d’administrateur me trouvant à l’inventaire du mobilier de la dite paroisse, j’ai soustrait le bras de Saint Laurent à la fureur et à l’acharnement des ennemis de la religion chrétienne et que j’ai fait disparaître aux yeux de ceux qui cherchaient à étouffer et éteindre entièrement le souvenir et la vénération dus aux saints, j’ai soustrait aussi quelques débris de reliques et ossements de saints, tels que j’ai pu et dont j’ai fait déclaration particulière avec observation que j’ai aussi signée, en foi de quoi j’ai signé le présent que je certifie véritable pour servir d’autenticité à la postérité et d‘attestation fait à Laon, le vingt-huit décembre 1793. Selleux. >>

Donc le plat doré fut envoyé au creuset le jour de Noël et Selleux raconte les faits trois jours plus tard. La seule chose à remarquer, c’est qu’il appelle Godefroy et non Thonias le voleur de la relique au XIIIe siècle.

 - Une deuxième lettre écrite huit jours plus tard, le 4 Janvier 1794, et signée Duchemin certifie qu’il a vu et reconnu dans les mains du citoyen Selleux le bras et la main de Saint Laurent martyr. On célébrait la fête le 10 Août depuis qu’on l’avait apporté il y a plus de 500 ans, ce qui était représenté dans un tableau pendu dans la nef de cette église.

 - Une troisième lettre du 14 Janvier 1794 signée Le Riche certifie lui aussi avoir reconnu en possession du citoyen Selleux le bras de Saint Laurent qui était depuis des siècles à Saint-Martin jusqu’au mois de Novembre 1793, quand on a dépouillé et dévasté toutes les églises et maisons reliquaires.

- La quatrième lettre du 10 Mars 1794 est écrite par Claude Nicolas Joseph Lanciaux, chanoine régulier prémontré profès de Saint-Martin, depuis l’an 1741, qui reconnaît la relique dans les mains du sieur Jean- Joseph Selleux, marguillier de Saint-Martin comme celle de Saint Laurent vénérée ici et dont les témoignages authentiques qui se conservaient dans la dite abbaye ont été perdus lors de la destruction de la maison arrivée en 1791. Selleux, lorsqu’on a enlevé l’or, l’argent et les pierreries dont était composée la châsse, l’a soustraite à la fureur des impies, qui en ce temps, cherchaient à profaner et à détruire tout ce qui appartenait au culte de la religion catholique. La fête de Saint Laurent que l‘on célébrait tous les ans en grande solennité, le 10 Août, attirait un nombre infini de fidèles, il y avait procession solennelle le jour de la fête, le dimanche de l’octave et le jour de l’octave. Cette relique n’était pas seulement en très grande vénération dans tout le pays laonnois, mais bien dans le Hainaut et le Cambrésis. La Ville de Soignies, à quatre lieues de Bruxelles, où il y avait une confrérie Saint-Laurent établie, envoyait tous les ans deux députés au environ de la Pentecôte, auxquels on donnait un certificat de leur apparution et des offrandes qu’ils y apportaient. Il y avait aussi dans la nef de la dite église un tableau représentant Saint Godefroy profès de la maison, tenant le susdit bras dans les mains avec une inscription en bas du tableau indiquant l’année que cette relique fut apportée et déposée dans la susdite église.

Cette lettre d‘un prémontr6 de Saint-Martin est 6mouvante, puisque Selleux nous a dit qu’il était très malade et menacé d’arrestation.

- La cinquième lettre du 12 Mars 1794 est signée Cercellier qui passa la plus grande partie de sa vie au service de la dite église Saint-Martin ; il rappelle le tableau de la nef et les confréries de Flandre venant en pèlerinage jusqu'à ce que toutes les églises fussent fermées et les trésors enlevés, dont la dite châsse qui pesait plus de cent marcs et qui avait été donnée par un roi de France.

 - La sixième lettre est du 23 Juin 1794, (elle est courageuse, étant donné les quarante arrestations du 15 Mai, dont Colinet) authentifie la relique sauvée du désastre dans l'église de France en Novembre 1793 et elle est signée de trois frères des écoles  chrétiennes de Laon, le directeur Pierre Morin, dit frère Lenfry, Jacques Savine, dit frère Arnoux et Claude Bulod, dit frère Perme.

- La septième lettre est de Lienard, du 25 Mars 1795, un garçon majeur âgé de 65 ans, demeurant à l'hospice national des indigents, ancien clerc laïc et maître des garçons du ci-devant hôpital général de Laon, reconnaît la relique comme véritable, étant né et ayant demeuré longtemps vis-à-vis de la dite église où reposait le saint bras ; et délivre ce présent à Selleux pour servir d'authenticité à la postérité en lieu et place du procès-verbal d'arrestation qui s'est trouvé égaré dans le désordre où des choses étaient alors.

 - La huitième lettre du 23 Juillet 1796 est à nouveau d'un Prémontré de Saint-Martin, profès en cette abbaye depuis 1746, Nicolas François Drouet dit de Braux ; il reprend toutes les attestations et ajoute avoir vu dans un ancien manuscrit de la maison le procès-verbal de la réception du bras, transporté de Rome à Antioche, d'Antioche en Hongrie dans l'abbaye Sainte Croix de Lelesz, ordre des Prémontrés et rapporté à Saint-Martin par le bienheureux Thomas, en présence d'Anselme évêque de Laon et Gautier de Douai, abbé. On voit dans les annales de l'ordre une bulle en date de 1246 donnée par Gautier de Tournai qui accorde des indulgences à ceux de son diocèse qui après s'être confessés viendront vénérer cette relique. On y voit encore deux bulles du pape Innocent IV, l'une de la première année de son pontificat, l'autre de la troisième qui accorde des indulgences à ceux qui confessés et pénitents visiteront cette relique. Elle était conservée dans une riche châsse d'argent doré, la châsse a été enlevée en 1793, lorsqu'on a enlevé l'argenterie de toutes les églises et le bras a été conservé par le zèle et les soins de Selleux, marguillier de Saint-Martin. Ce Drouet prémontré devait être aussi très âgé et semble être resté dans le Laonnois pendant les événements. Arrêté le 19 septembre 1793, après perquisition et scellés dans sa chambre, n'a qu'une seule chemise.

- La neuvième lettre est du 7 Avril 1796 vieux stil ou 20 thermidor an 4 nouveau stil à 9 heures du matin en la sacristie de Saint-Martin pour attester la relique à la réquisition de Sdleux, signée par Godart Charles Antoine ci-devant chanoine et doyen et Jean François Félix Courtois ancien chanoine de ci-devant collégiale Saint-Pierre et Saint- Jean, tous deux prêtres du diocèse de Laon et Colinet aussi prêtre du diocèse et quelques paroissiens (12, y compris Selleux).

A cette époque, Colinet vit plus ou moins dans la clandestinité, il avait eu l’audace, dès le 30 Mars 1795, de demander à être curé de Saint-Martin, quelques églises étant rendues au culte.

Toutes les lettres révèlent un certain courage, car elles étaient toutes compromettantes pour les signataires.

Les quatre dernières lettres sont moins intéressantes, puisqu’elles ont été signées après la tourmente.

La première, du 14 Thermidor, an 12, ou 2 Août 1804, par Berthaut, directeur des Messageries de Laon et administrateur de la fabrique judiciaire de Saint-Martin en présence de Majeur, curé de Notre-Dame et Courtois desservant Saint-Martin ont procédé à la reconnaissance de la relique. Ici, il est intéressant de noter la présence de Courtois, déjà Vue dans la lettre précédente.

Puis le 15 Août 1804, la confirmation par Jean-Claude Le Blanc Beaulieu avec l’archidiacre Mignot, évêque de Soissons et Laon.

Le 2 Juillet 1837, nouvelle confirmation par Jules Francois Simony, évêque de Soissons et Laon.

 Et enfin, le 7 Novembre 1869, Jean Jules Dours, évêque de Soissons et Laon, en présence du recteur de Saint-Martin, Jean-Baptiste Désiré Baton a clos la nouvelle châsse de son sceau.

Elle était ornée de pierres vernies et de filigranes et close de vitres.

C’est à l’heure actuelle une châsse assez poussiéreuse sans valeur artistique et dont les vitres sont cassées. [je précise qu’en 2023 la châsse est retaurée]

Ces lettres sont extrêmement intéressantes.

 1)        D’abord, elles montrent l’attitude courageuse de quelques Laonnois face à la persécution religieuse. Il ne faut pas oublier que ces lettres, si elles avaient été découvertes lors d’une perquisition, auraient conduit les signataires en prison, à l’échafaud ou à la déportation. C’est le cas de la lettre signée par les trois frères des écoles chrétiennes, le 23 Juin 1794 ; 40 Laonnois ayant été arrêtés le 15 Mai à Laon, dont le prémontré Colinet.

2)  Elles nous font découvrir quelques Prémontrés de Saint Martin chassés de leur maison   en 1791, qui vivent encore à Laon, dans l’ombre de leur chère abbaye.

- Le premier, Lanciaux, est très âgé et malade, nous dit Selleux, profès depuis 1741, si nous le supposons âgé de 21 ans lors de sa profession, il a donc en 1794, 74 ans. Ses craintes d’être arrêté, le 10 Mars 1794, ne sont pas sans fondement, son collègue François Colinet, dont nous reparlerons, sera arrêté par deux fois. Les Archives révolutionnaires de Laon nous montrent Lefèvre ancien prieur de Saint-Martin détenu et déporté en Angleterre, malgré ses crises de goutte.

- Le deuxième, Drouet, dit de Braux, est aussi fort âgé, profès en 1746, il a 70 ans et vit aussi à Laon. Sa déportation est commuée en réclusion.

- Quant au troisième, Colinet, il apparaît sur la neuvième lettre du 7 Aout 1796 avec non pas son titre de prémontré, mais simplement prêtre du diocèse. Nous savons en effet par ailleurs que relâché en Octobre 1794, Colinet va se mettre à la disposition de Duguet, ‘ex-curé de Parfondeval et qu’il a reçu par son truchement des pouvoirs spéciaux et illimités d’évangéliser, dire la messe et confesser de la part de Mgr de Sabran. Colinet est donc prêtre dans le diocèse et il vit clandestinement. Ce fait amènera, lors des persécutions religieuses du Directoire déclenchées le 19 Fructidor ou 5 Septembre 1797, sa deuxième arrestation, le

5 Juillet 1798 et sa déportation à l’île de Ré, où il arriva le 5 Septembre avec 14 autres prêtres du diocèse de Laon.

2)         Ces lettres nous font assister au saccage du mobilier des églises et à d’irréparables destructions d’objets d’art, tant à la cathédrale, qu’à Saint-Martin, l’inventaire du trésor de la cathédrale et les lettres de Saint-Martin étant les seules traces de ces pièces disparues. Elles nous rappellent aussi le pillage de la bibliothèque de Saint-Martin, les manuscrits se rapportant à l’histoire de cette maison ayant hélas disparu, et nous indiquent comment la Sainte Face de Montreuil, venue échouer dans un placard du district, a échappé à la destruction. Pour les manuscrits, nous ne connaissons que quelques épaves, quatre à Paris, deux à Laon, alors qu’a été sauvée une admirable collection d‘incunables et livres du XVIe siècle. Elle nous permet d’imaginer la nef de Saint-Martin ornée d’un tableau racontant l’histoire de la relique, sans qu’on puisse deviner la valeur de cette peinture.

Mais nous savons par Fleury que l’illustre ramoneur italien Barofio a dépendu tous les tableaux des églises de Laon, les a fait barbouiller de goudron et brûler au pied de la déesse Raison, Mlle Barofio ; dans ces tableaux, il y avait les inestimables chefs-d’œuvre des frères Le Nain qui avaient peint pour toutes les églises de Laon. Enfin, elles montraient l’importance du pèlerinage à Saint Laurent à Laon et ses ramifications avec le Nord de la France et les provinces belges. Il serait intéressant de savoir si Soignies conserve encore quelques documents.]

par Suzanne MARTINET

 Rapport des MH

L’ancienne abbatiale Saint-Martin de Laon est visible de loin, surplombant le plateau à l’Occident, derrière la porte de Soissons, et faisant écho, depuis le contrebas, à la cathédrale Notre-Dame qui en domine la partie orientale. Elle est encore flanquée, au nord, de bâtiments conventuels de l’époque moderne, qu’il ne nous appartient pas de détailler ici ; ces constructions, incluant le cloître de l’époque moderne, ont été en partie reconverties pour accueillir la bibliothèque municipale Suzanne-Martinet ; d’autres bâtiments, comme le logis abbatial, ont été inclus dans le centre hospitalier de Laon.

Saint-Martin présente un plan simple : à une longue nef basilicale de neuf travées barlongues bordées de collatéraux aux travées oblongues, succède un transept aux bras saillants longs de deux travées, ouvrant sur un chœur à chevet plat de deux travées droites. Trois chapelles orientées de plan carré sont accolées à chaque bras du transept ; les flancs nord et sud du sanctuaire sont dotés chacun d’une niche d’autel couverte en berceau brisé. De telles niches, généralement situées dans l’axe du chœur, sont observables dans les églises rurales de Nouvion-le-Vineux, de Courmelles et de Berzy-le-Sec ; leur présence de part et d’autre du sanctuaire de Saint-Martin soulève d’évidentes questions d’ordre liturgique. Les fouilles archéologiques ont montré qu’une troisième niche d’autel était jadis ménagée dans la paroi orientale du sanctuaire ; une telle concentration est exceptionnelle, sinon unique, comme l’a relevé Jacques Thiébaut. Le voûtement d’ogives quadripartite est généralisé dans tout l’édifice ; nous verrons, cependant, qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Les voûtes du chœur se distinguent par leur caractère très bombé. Une chapelle de plan oblong dédiée à Saint-Éloi est accolée, au sud, à la sixième travée de la nef ; une sacristie moderne de plan carré lui succède, flanquant les septième et huitième travées. Deux clochers s’élèvent sur la dernière travée des collatéraux, aux angles occidentaux du transept. Cette disposition est très rare ; deux autres exemples seulement en sont connus, à Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay et à l’ancienne abbatiale d’Anchin, disparue5. Saint-Martin se distingue par sa couverture continue depuis la façade occidentale jusqu’à l’extrémité orientale de la croisée du transept, reflétant ses volumes intérieurs à la fois vastes et simples.

L’élévation interne du chœur de l’église Saint-Martin est marquée par les amputations consécutives à l’installation des boiseries à l’époque moderne ; les colonnes recevant la retombée des doubleaux, aux riches chapiteaux feuillagés, sont tronquées à mi-hauteur et reposent sur des consoles sculptées ; il n’en va pas de même pour les colonnettes qui les flanquent, et reçoivent la retombée des ogives. Le premier niveau d’élévation de la travée du sanctuaire, au nord et au sud, est marqué par la présence des niches d’autel, cantonnées, à leurs angles, de petites colonnettes recevant les arcs bordant chaque extrémité du berceau brisé qui les couvre. Le deuxième niveau des deux travées du chœur est délimité par un bandeau mouluré d’un cavet, et percé d’une unique fenêtre en plein-cintre inscrite dans le formeret. La paroi orientale témoigne d’une reprise dont il sera question plus loin ; le chevet est ajouré par une grande baie gothique rayonnante, lointain écho de celle de la façade, dont il sera question plus loin ; elle est composée d’un oculus polylobé entouré de petits oculi, évoquant la rose du bras méridional du transept, dominant deux lancettes elles-mêmes subdivisées en deux lancettes plus petites. De part et d’autre, il est possible d’observer la trace de la moitié de deux fenêtres plus petites, aujourd’hui condamnées. Les ogives sont profilées de trois tores ; les clefs de voûte offrent un décor sculpté très fin. Deux coquilles et une Gloire entourée de chérubins ont été implantées à l’époque moderne. Les chapelles latérales sont d’une élévation très simple ; ajourées d’une unique fenêtre à l’Orient, les retombées de leurs ogives sont accueillies par quatre colonnes aux angles.

De l’extérieur, chaque travée du chœur est ajourée, au premier niveau, d’une baie en plein-cintre excentrée flanquant la niche d’autel, et d’une baie en plein-cintre plus petite au second niveau ; on y observe l’archivolte prolongée en cordon, employée dans toutes les parties de l’édifice ; au pignon oriental, cette moulure se brise en quart de cercle à la rencontre de l’arc brisé de la baie, laissant deviner une modification, le parti d’origine étant sans doute ajouré de deux baies en plein-cintre. Les gouttereaux sont sommés d’une corniche à trous cubiques annonçant celle de la nef ; le pignon oriental est doté d’un troisième niveau de deux arcatures aveugles en arc légèrement brisé, surmontées d’une ouverture sur les combles. Les niches d’autel, qui constituent les dispositions les plus notables de ce chœur, sont ajourées d’une large baie ébrasée, en arc légèrement brisé ; leurs angles sont garnis de colonnettes ; elles sont coiffées de toits en bâtière en pierre.

La croisée du transept retombe sur quatre piles composées, sommées de chapiteaux feuillagés à crochets ; les colonnes recevant les doubleaux sont tronquées selon les dispositions énoncées ci-dessus. À l’extérieur, le pignon oriental de la croisée surplombe le faîte du toit en bâtière du chœur ; il est percé de deux ouvertures en plein-cintre et de deux oculi. La construction des bâtiments conventuels à l’époque moderne ayant modifié l’apparence du bras septentrional du transept en condamnant ses percements, nous pouvons focaliser notre description sur le bras méridional. Celui-ci présente, à l’intérieur, une élévation à trois niveaux. Son revers de façade est percé d’un premier niveau de hautes baies en arc brisé, directement surmontées d’une seconde rangée de baies en arc brisé, aux proportions moins élancées, surmontées d’une archivolte se poursuivant en un cordon mouluré continu. Le troisième niveau est ajouré d’une grande rose composée d’un oculus polylobé central entouré de petits oculi, l’ensemble étant cerclé de deux voussures. Un formeret encadre exclusivement le dernier niveau de la composition. Une telle rose peut également être observée à la façade du bras méridional du transept de la petite église Saint-Pierre de Chaillevois, près de Laon. La paroi orientale ne présente que deux niveaux d’élévation. Le premier est ajouré de deux fenêtres en plein-cintre très ébrasées vers l’intérieur ; entre ces deux ouvertures, on distingue nettement la marque d’une troisième, aujourd’hui condamnée par la colonne et les deux colonnettes accueillant respectivement la retombée du doubleau et des ogives ; celles-ci sont juchées sur des consoles aux multiples ressauts, et présentent des chapiteaux à crochets. Un cordon mouluré marque la jonction avec le second niveau, d’un appareil plus petit, où les deux travées clairement délimitées par les nervures sont percées d’une baie en arc légèrement brisé, encadrée du formeret. La paroi occidentale présente une élévation différente de son pendant oriental ; ses deux travées sont nettement délimitées par un faisceau montant de fond ; la travée septentrionale n’est pas ajourée de fenêtres, mais son premier niveau accueille une grande arcade à deux rouleaux communiquant avec les bas-côtés. La travée méridionale est percée, en son premier niveau, d’une grande baie légèrement brisée, excentrée vers le sud ; son second niveau présente des dispositions analogues à celui de la paroi orientale. Des colonnettes en délit baguées montent de fond aux quatre angles des bras du transept pour recevoir la retombée des nervures ; les formerets retombent simplement sur les cordons moulurés délimitant le niveau supérieur, associés aux tailloirs des chapiteaux pour former une mouluration continue. Cet étagement d’ajours offre un volume particulièrement lumineux, malgré sa relative muralité due, d’une part, à la présence du doubleau ayant condamné la fenêtre centrale du premier niveau de la paroi orientale comme nous le verrons, et de l’autre, à la présence des organes de soutien, que nous détaillerons ci-après.

La façade du bras septentrional du transept, mitoyen des bâtiments conventuels, ne présente pas d’élévation extérieure visible ; en revanche, son pendant méridional déploie une élévation ambitieuse sur quatre niveaux, reposant sur un haut soubassement. Épaulé par deux puissants contreforts d’angle et un contrefort central, il superpose un premier niveau de deux baies en tiers-point disposées de part et d’autre de la verticale médiane ; ces ouvertures, dont les ébrasements sont garnis de trois voussures retombant sur des colonnettes aux chapiteaux feuillagés, sont surmontées d’une archivolte. Le premier ressaut des contreforts et l’appui des baies est bordé d’un cordon mouluré ceinturant tout le bras du transept, induisant de fortes horizontales dans la composition. Le second niveau est ajouré de deux baies en plein-cintre, surmontées d’une archivolte prolongée par un cordon ceinturant à nouveau toute la structure. Le troisième niveau est occupé par la grande rose précédemment décrite ; son ébrasement est souligné par une archivolte continue, et par une succession de moulurations concentriques ressurgissant jusque sur la corniche supérieure ; ce type de modénature évoque les roses de Vorges et de Mons-en-Laonnois. L’ultime niveau est occupé par une série d’arcatures en arc brisé (quatre plus une, sommant l’ensemble) ; les deux arcatures centrales, ajourées, sont des ouvertures sur les combles. Un cordon interrompu court à l’appui des arcs. Le flanc occidental du bras méridional du transept juxtapose simplement deux baies en arc brisé, recevant à son angle la tourelle d’escalier du clocher méridional.

L’élévation du flanc oriental du bras sud du transept déploie des dispositions architectoniques singulières, méritant un développement particulier ; celles-ci suscitèrent notamment l’attention d’Eugène Viollet-le-Duc, qui leur consacra un certain développement dans l’article de son célèbre Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVe siècle consacré aux contreforts. Le premier niveau est occupé par la saillie des trois chapelles orientées, contiguës et couvertes d’un unique toit en appentis ; leurs trois travées sont séparées par de larges contreforts à trois glacis. Alors que les deux chapelles septentrionales sont ajourées d’une large baie ébrasée en plein-cintre, la chapelle méridionale est moulurée, à mi-hauteur, d’un cordon, surmonté d’une baie plus petite, elle-même surlignée d’une archivolte continue ; une grande baie devait autrefois exister au-dessous, mais elle se voit aujourd’hui remplacée par une ouverture rectangulaire. Comme nous l’avons vu, les bras du transept sont chacun composés de deux travées ; il fallait donc assurer la transition entre le rythme tripartite des chapelles et le rythme bipartite des parties supérieures. Pour ce faire, le maître d’œuvre de Saint-Martin répercuta les contreforts du gouttereau des chapelles sur le second niveau d’élévation du bras du transept ; ceux-ci se développent en saillie et se rejoignent pour former un puissant arc en tiers-point sommé d’un gâble supportant le contrefort unique du troisième niveau. Cette solution virtuose unifie les volumes de l’élévation et leur confère un élan particulier en extérieur. Chaque travée de ce second niveau d’élévation est percé d’une baie, la baie centrale étant aveuglée en raison de la présence du doubleau. Enfin, le troisième niveau, plus élevé, est ajouré d’une grande baie en tiers-point par travée, séparées par le contrefort central, coiffé d’un gâble, et dont les angles sont garnis de deux colonnettes.

À l’angle du transept et de la nef s’élèvent deux grandes tours prenant leur souche à l’ultime travée des collatéraux. Différentes phases de construction sont clairement lisibles en observant la tour méridionale, la tour septentrionale ayant subi des modifications en raison de sa mitoyenneté avec les bâtiments conventuels modernes. Le second niveau, à hauteur du troisième niveau du bras méridional du transept, est ajouré d’une unique baie en plein-cintre à archivolte continue au sud ; au-dessus d’une corniche à trous cubiques se dresse un troisième niveau plus orné, dont les contreforts reçoivent, aux angles, des colonnettes à chapiteaux feuillagés ; de telles colonnettes se retrouvent dans les baies géminées en plein-cintre observables sur les deux faces visibles. Le quatrième niveau, qui reprend les mêmes dispositions dans sa partie inférieure, est ajouré de baies plus élancées, garnies d’une seconde rangée de colonnettes surmontées de voussures et archivoltes respectivement sculptées de trous cubiques et de fleurettes à quatre pétales. Le haut étage du beffroi surplombe l’ensemble, déployant un riche vocabulaire gothique rayonnant : les angles des contreforts sont adoucis par des colonnettes aux chapiteaux végétaux, dont les chapiteaux soutiennent une corniche de feuillages ; chaque face est percée d’un grand ajour gothique rayonnant subdivisé en deux lancettes trilobées surmontées d’un oculus trilobé ; ces baies sont entourées d’une grande archivolte garnie de crochets et surmontée d’une guirlande de fleurs, retombant sur des petites colonnettes. Le vocabulaire de ces tours peut notamment être rapproché du clocher de l’église Saint-Jean-Baptiste de Vorges, témoignage du rayonnement du chantier de Saint-Martin.

Le chœur déborde aujourd’hui de deux travées sur la nef ; l’implantation des stalles a nécessité le comblement des grandes-arcades et l’adaptation des supports, qui présentent une étrange variété : ainsi, les faisceaux marquant la jonction, d’une part, avec la nef, et de l’autre avec la croisée, voient leur colonne centrale retomber sur un cul-de-lampe feuillagé, tandis que les faisceaux faisant la jonction entre la huitième et la neuvième travée reposent, à mi-hauteur, sur des consoles complexes, elles-mêmes soutenues par de petites piles quadrangulaires engagées et flanquées de colonnettes gothiques. La présence de ces colonnettes permet d’imaginer que le chœur liturgique débordait, dès le Moyen Âge, sur les premières travées de la nef.

La nef de l’abbatiale présente une élévation sobre à l’intérieur comme à l’extérieur, exception faite de la chapelle Saint-Éloi. À l’intérieur, le vaste vaisseau central, sobre et homogène, superpose très simplement grandes arcades à deux rouleaux et fenêtres hautes, séparées par un pan de mur nu. Les travées sont rythmées par des colonnes bordées de deux colonnettes en délit baguées ; ces supports sont postérieurs au parti d’origine, comme nous le verrons. Les chapiteaux sont sculptés de feuilles s’achevant en crochets. l’élévation ne présente aucune véritable horizontale ; les piles cruciformes ne présentent une imposte qu’à l’intrados des arcs. Les arcs doubleaux sont moulurés de deux tores et d’un bandeau plat central, évoquant le vocabulaire de la cathédrale de Laon. Les voûtains, bordant de près l’arc supérieur des fenêtres hautes, ne sont pas soulignés par des formerets. Les bas-côtés sont rythmés par de larges doubleaux en arcs brisés légèrement surbaissés à intrados plat. Les retombées des nervures sont accueillies par des colonnettes en délit baguées aux chapiteaux feuillagés, orientées en fonction de la retombée qu’elles accueillent ; cette disposition particulière, évoquant les parties hautes de la cathédrale, se retrouve également dans quelques églises des environs : on l’observe dans les collatéraux du chœur de l’église de Vaux, ainsi qu’à Vorges et à Laval. La première travée de la nef était jadis percée d’un petit portail en arc à deux voussures en arc brisé, dont le tympan est appareillé en crossettes, stéréotomie prestigieuse que l’on observe en certaines autres occurrences dans la région.

À l’extérieur, les travées sont régulièrement rythmées par des arcs-boutants d’un quart-de-cercle environ, sans charge sommitale, se fondant dans les contreforts des collatéraux. Les gouttereaux des bas-côtés sont simplement percés d’une fenêtre en plein-cintre par travée, surmontant un haut soubassement. Une archivolte se poursuivant de part et d’autre pour former un cordon horizontal surligne chaque fenêtre, selon une formule courante dans la région. Ce traitement se retrouve au niveau supérieur, le gouttereau étant surmonté d’une corniche ornée de trous en cubiques soutenue par des modillons jalonnant une assise taillée en cavet ; ceux-ci sont sculptés de motifs végétaux et de masques. La deuxième travée est ajourée d’une grande baie rayonnante, formée de deux lancettes trilobées surmontées d’un oculus quadrilobé.

La chapelle Saint-Éloi est close par une riche clôture Renaissance d’ordre corinthien, ornée de sculptures figurées du Christ et des Apôtres et datée de 1540. Une niche à dais Renaissance est observable sur sa paroi orientale. Elle est ajourée d’une grande baie composée de trois lancettes trilobées surmontées d’une rose formée de trilobes entourant un oculus central ; les écoinçons sont garnis de trilobes ajourés. À l’extérieur, la chapelle est épaulée par des contreforts saillants. Bien qu’elle puisse donner l’illusion d’un transept occidental à croisillons bas lorsque l’on considère l’édifice depuis son flanc méridional, il n’en est rien ; en effet, cette saillie n’existe qu’au sud. Nous verrons, toutefois, que le véritable transept de l’église déployait, dans son parti primitif, des croisillons bas. La sacristie moderne présente une élévation très simple, étant simplement ajourée de deux fenêtres en plein-cintre.

La façade occidentale, dont la couture inclut la première travée de la nef par certains détails, se distingue par son riche décor gothique rayonnant, comptant parmi les plus somptueux de la région. Sa travée centrale est subdivisée en trois niveaux horizontaux. Le premier niveau accueille un large portail aux multiples voussures, bordé de deux statues de part et d’autre, abritées sous des dais. Son tympan orné de remplages accueille deux anges thuriféraires. Le tympan du portail latéral septentrional figure le martyre de saint Laurent ; son pendant méridional représente l’histoire du martyre de saint Jean-Baptiste. Le second niveau est ajouré d’une grande baie rayonnante au réseau complexe, précédée d’un passage mural bordé d’une balustrade en pierre ajourée. Le dernier niveau est structuré autour du grand pignon, percé d’un oculus accueillant un haut-relief de saint Martin partageant sa chlamyde avec le pauvre d’Amiens ; celui-ci est précédé d’un nouveau passage mural, également bordé d’une balustrade. Deux puissantes tourelles d’escalier à la silhouette élancée, de plan polygonal, épaulent la travée centrale ; elles sont sommées par des flèches de pierre à crochets de construction récente, comme nous le verrons. Les travées latérales, correspondant aux bas-côtés, superposent chacune un portail au tympan sculpté et aux multiples voussures et une baie en arc-brisé circonscrite dans la retombée de son arc, surlignée d’une archivolte prolongée par un bandeau rejoignant l’appui de la balustrade du second niveau de la travée centrale. L’élévation est unifiée par les arcs-boutants dont la haute culée sommée d’un pinacle est épaulée de trois contreforts au couronnement analogue. Les nombreux jeux d’horizontales et de verticales, ainsi que les retraits successifs dans l’épaisseur du mur de la travée centrale, animent la façade en lui conférant un grand dynamisme. Il convient de noter que les trois portails occidentaux de Saint-Martin possèdent, en outre, des pentures du XIVe siècle. Les dispositions de la façade occidentale primitive ne sont pas connues.

Principales étapes de construction

L’église Saint-Martin de Laon était achevée, dans son gros-œuvre, vers 1200 ; mais les travaux devaient être parvenus à un certain degré d’avancement en 1174, à la mort de l’évêque Gautier de Mortagne, qui y fut enterré. La nef basilicale fut construite, avec ses bas-côtés, entre 1135 et 1150 environ. Cette nef s’inscrivait, dans son parti d’origine, dans une tradition romane locale dont elle adopta les dispositions générales. Les trois vaisseaux étaient alors couverts d’une charpente apparente, et devaient s’achever par un transept à croisillons bas selon Julia Fritsch et Jacques Thiébaut. Cette disposition à croisillons bas se retrouve dans les églises de Bruyères, d’Urcel et de Nouvion.

Le chœur fut bâti dans les années 1150-1160, correspondant au début du chantier de la cathédrale. Son voûtement évoque les tribunes des travées occidentales du chœur – ayant échappé à la campagne de modification des alentours de 1200 ; cette parenté s’observe notamment dans la modénature. Les niches d’autel furent ajoutées a posteriori de la construction du gros-œuvre, probablement dans les années qui suivirent son achèvement. Leur disposition latérale est, comme nous l’avons dit, un caractère exceptionnel, malgré l’existence d’autres exemples de niches d’autel dans la région. Comme nous l’avons signalé plus haut, une troisième niche d’autel se trouvait jadis dans l’axe du sanctuaire ; il est possible de proposer une reconstitution de l’état d’origine de la paroi orientale par l’observation des traces signalées précédemment : la niche d’autel devait s’élever au même niveau que ses deux pendants latéraux ; comme l’indiquent les traces visibles à l’intérieur, elle était vraisemblablement flanquée de deux fenêtres en plein-cintre ; et comme semble le suggérer la brisure de la mouluration surplombant l’actuelle baie rayonnante, son toit devait être surmonté d’un niveau ajouré de deux baies en plein-cintre. Les chapiteaux de l’arc-triomphal déploient un décor de feuilles d’acanthes d’un type particulier, dont d’autres exemples peuvent être observés à Notre-Dame de Noyon, à la collégiale d’Oulchy-le-Château, à Nouvion-le-Vineux, mais aussi à la paroi orientale du bras nord du transept de la cathédrale de Laon, portion la plus primitive de l’édifice, confirmant une datation aux alentours de 1150.

La construction des cinq niveaux des tours du transept s’échelonna sur un siècle à partir de la seconde moitié du XIIe siècle. Elles furent gravement endommagées par un ouragan à la fin du XIVe siècle, nécessitant la reconstruction de leurs flèches.

Le voûtement de la nef fut entrepris dans l’ultime décennie du XIIe siècle ; il nécessita l’ajout des supports précédemment décrits pour recevoir la retombée du doubleau et des ogives. La modénature y est comparable à celle des tribunes de la cathédrale, ainsi que la sculpture des chapiteaux ; selon Julia Fritsch, il est également possible de rapprocher ces dispositions de la nef de la cathédrale de Noyon. On peut en effet observer dans chaque cas des colonnettes en délit baguées, des tailloirs orientés et des chapiteaux à crochets. Les bas-côtés présentaient déjà des arcs diaphragmes soutenant la toiture dans leur premier parti, conformément à une tradition locale fort répandue ; les ogives y furent adaptées naturellement. Cependant, le contrebutement apporté par ces structures ne suffisait plus à assurer l’équilibre d’une nef voûtée ; des arcs-boutants furent donc implantés dès la fin du XIIe siècle.

 Le transept fut surhaussé avant d’être voûté, afin d’assurer l’équilibre de la croisée ; cette modification explique à la fois la forme singulière du contrefort épaulant le flanc oriental du bras sud, la présence d’une corniche saillante à l’extérieur comme à l’intérieur, l’implantation de supports plaqués aux angles et sur les parois. En revanche, aucune trace de ce surhaussement n’est clairement observable sur la façade, qui dut néanmoins être également surhaussée. Le dessin de la rose du bras méridional peut être rapproché de la rose de la façade du bras nord du transept de l’abbatiale Saint-Vincent de Laon, bâtie entre 1174 et 1205 sous l’abbé Hughes, détruite à la Révolution mais connue par quelques documents iconographiques, figurant un oculus central entouré d’oculi de diamètre plus réduit (un dessin également observable au bras nord du transept de l’église de Guignicourt). La proximité entre les deux compositions s’exprimait aussi dans les dispositions plus générales de la façade du bras méridional du transept de Saint-Vincent, superposant une rose à un premier niveau certes unique, mais bipartite et épaulé d’un contrefort central. La parenté des deux roses avec celle du bras nord de la cathédrale, plus développée et datée des années 1180-1190, fournit un repère précieux pour la datation.

L’état final de la nef de Saint-Martin peut être rapproché de productions cisterciennes contemporaines, à l’instar de Notre-Dame de Pontigny – et tout particulièrement des travées droites du chœur de cette dernière. Cette parenté de l’architecture norbertine avec les réalisations cisterciennes n’a rien d’étonnant ; en effet, comme l’a rappelé Jacques Thiébaut, les Statuts de l’Ordre de Prémontré s’inspirèrent de la spiritualité cistercienne, et le plan recommandé par saint Bernard fut adopté dans de nombreuses églises de l’Ordre, y compris l’abbatiale de Prémontré elle-même ; d’autre part, comme l’a souligné Julia Fritsch, le chevet plat faisait partie de la tradition régionale depuis le début du siècle. Saint-Martin apparaît donc, en plan et en élévation, comme une fusion de l’architecture cistercienne et de la tradition régionale, ponctuée de références subtiles au chantier voisin de Notre-Dame. Certains de ses caractères, en particulier sa nef, se situent par ailleurs à la lisière entre l’architecture romane et l’architecture gothique, à laquelle sa campagne de voûtement la rattache. Son architecture témoigne, comme l’a écrit Dany Sandron, d’un esprit propre à l’Ordre de Prémontré, puisant à de multiples sources pour forger un vocabulaire original.

La réfection de la façade occidentale, le surhaussement des tours, le percement de la baie occidentale et la construction de la chapelle Saint-Éloi sont à attribuer à une campagne menée dans la seconde moitié du XIIIe siècle, correspondant à une période de grande prospérité ; celle-ci allait prendre fin dès la fin du siècle pour laisser place à une série de tribulations. Cette dernière campagne témoigne d’un changement d’esprit, contrastant avec la sobriété réformatrice des débuts pour déployer un programme particulièrement raffiné. Dany Sandron souligna cependant l’étonnante maladresse observable dans les maçonneries de la façade occidentale, superposant des assises très irrégulières, ce qui suggère le remploi d’éléments de la façade primitive ; ce caractère contraste avec la stéréotomie très soignée du reste du monument.

L’architecture des deux tours du transept permet de dater leur construction, en différentes phases, du milieu du XIIe à la seconde moitié du XIIIe siècle ; elles furent amputées de leurs flèches en 1737.

Histoire et dates importantes

L’abbaye Saint-Martin tenait jadis une place de premier rang dans l’Ordre de Prémontré ; elle fut dirigée par saint Norbert lui-même avant que celui-ci ne fonde la première maison de l’Ordre à Prémontré, à la demande de l’évêque Barthélémy de Jur ; cependant, les chanoines, peu enclins à l’obéissance, furent chassés par l’évêque pour être remplacés, quelques temps plus tard, par des Norbertins. Le premier abbé de Saint-Martin, qui contribua au rayonnement de la maison, fut Gautier de Saint-Maurice, de 1124 à 1151 – date à laquelle il fut élevé à la dignité d’évêque de Laon. Au XIIe siècle, période correspondant à la construction de l’église actuelle, l’abbaye, alors sous l’autorité de l’abbé Warin, faisait partie des institutions régulières les plus florissantes du Nord du Royaume Les sources écrites donnent une idée de la taille du monastère : ainsi, un texte du moine Hermann fournit le nombre de cinq cent religieux pour l’an 1136. L’abbaye bénéficiait de la protection du Pape, de l’évêque et du roi. Cette maison connut, en ses premières années, des difficultés sur le plan temporel ; celles-ci disparurent rapidement et laissèrent place à une grande prospérité, l’institution acquérant cent quatre-vingt-dix propriétés entre 1128 et 1155. Néanmoins, ces possessions n’entravèrent pas l’idéal de la vie régulière norbertine, l’enclos de l’abbaye bénéficiant d’un cadre paisible à l’ouest du plateau, couvrant environ six hectares. L’église sortit en grande partie de terre sous l’abbatiat de Warin, successeur de Gautier de Saint-Maurice, de 1151 à 1171. Au XIIIe siècle, le temporel continua de se développer, notamment dans le vignoble à Vorges et à Bruyères, dont les églises possèdent d’intéressants points de comparaison avec l’abbatiale. La relique du bras gauche de saint Laurent fut accueillie à Saint-Martin au début du XIIIe siècle ; cet évènement explique probablement l’iconographie du portail nord de la façade occidentale ; la visite de l’abbatiale le jour de la fête du martyr était indulgenciée.

L’abbaye, mère de quatorze fondations, fut supprimée à la Révolution ; son église devint paroissiale. L’église subit des dégâts lors des bombardements de la Grande Guerre, occasionnant une campagne de restauration menée par Émile Brunet, qui vit la reconstruction des flèches des tourelles de la façade. Les bombardements alliés de 1944 n’endommagèrent pas significativement l’église, mais infligèrent de lourds dégâts à l’hôpital, occupant en partie les anciens bâtiments conventuels.

L’église Saint-Martin fut classée aux Monuments historiques en 1850. Elle renferme un important patrimoine mobilier classé ; ce caractère doit faire l’objet d’une attention d’autant plus soutenue que le patrimoine ecclésiastique mobilier du Laonnois est d’une grande pauvreté – exception faite de la cathédrale Notre-Dame. Bien que la présente notice n’ait pas vocation à en dresser un inventaire détaillé, citons tout de même la clôture de la chapelle du collatéral méridional, datée de la seconde moitié du XVIe siècle, les autels du XVIIIe siècle et leurs tabernacles, et les stalles datées par source de 1754. L’église renferme également d’importantes pièces de sculptures parmi lesquelles il nous faut citer, outre la statuaire monumentale de la façade occidentale, le gisant du XIIIe siècle en pierre de Tournai représentant un chevalier à l’identité incertaine ; le gisant du deuxième quart du XIVe siècle représentant une abbesse traditionnellement identifiée comme Jeanne de Flandre, morte en 1334, et le Dieu de pitié du XVIe siècle placé sur l’autel de la chapelle du flanc méridional de la nef. Mentionnons enfin, parmi les différents monuments funéraires présents dans l’église, celui de l’abbé Pierre Dupont, en pierre de Tournai, daté du troisième quart du XVe siècle.

Etat de conservation

L’église Saint-Martin présente globalement un assez bon état de conservation dans son gros-œuvre ; cependant, les maçonneries de la façade occidentale, témoignage majeur du gothique rayonnant dans la région, sont envahies par les lichens ; une végétation rampante court sur sa tourelle méridionale, et les joints des maçonneries semblent très usés. Cette observation peut être étendue aux arcs-boutants de la nef, aux deux clochers et aux parties orientales de l’édifice en particulier. Le bras méridional du transept, œuvre remarquable, est particulièrement dégradé ; le contrefort d’un genre singulier épaulant son flanc oriental est attaqué par la végétation et présente des fissures. L’intérieur de l’abbatiale présente d’importantes traces d’humidités, notamment observables dans les collatéraux où des algues entachent les colonnettes en délit. Des traces d’humidité coulent des fenêtres hautes. Des taches d’humidité envahissent également les voûtes.

 

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