La fondation de Saint-Martin de Laon
En 1115, Norbert de Xanten, chanoine chapelain à la
cour du Saint-Empire romain germanique, décide d’abandonner sa vie
aristocratique et mondaine pour se consacrer à une existence pauvre et à la
prédication de l’Evangile. La même année, Bernard de Fontaine entre à
Clairvaux.
Il existait à Laon, depuis fort longtemps, une
collégiale dédiée à Saint Martin, dont les chanoines n’acceptèrent pas les
tentatives de réforme voulue par l’évêque Barthélémy vers 1117. Ce dernier
confie en 1120 à Norbert, de passage dans son diocèse, la réforme du chapitre
de la collégiale de Saint-Martin de Laon. Nouvel échec.
L’évêque Barthélémy installe Norbert dans son
diocèse, au lieu-dit "pré-montré", en forêt de Saint-Gobain. La charte
de fondation de cette communauté monastique date de 1120. Les religieux
adoptent à Noël 1121 une règle inspirée de celle de saint Augustin. Avec de
multiples fondations à travers toute l’Europe, un nouvel ordre allait naître,
celui des chanoines réguliers de Prémontré.
A l'instigation de l'évêque Barthélémy, Norbert
installe en 1124 douze prémontrés à Saint-Martin, après expulsion des chanoines.
Gautier de Saint-Maurice, compagnon de Norbert, en est le premier abbé. Il
deviendra évêque de Laon entre 1151 et 1155.
Dans le plus grand dénuement au début, l'abbaye est
rapidement et suffisamment dotée pour devenir dès la moitié du siècle une des
plus riches du diocèse. De passage à Saint-Martin en 1131, le pape Innocent II
confirme les privilèges de l’abbaye. En 1137, le monastère compte 500 religieux
et religieuses que l’on sépare alors. L’abbaye Saint-Martin est considérée
comme le 2ème en dignité dans l'ordre de Prémontré. Elle connaît une grande
prospérité, un rayonnement intense (avec plus de 150 fondations en Europe).
L’italien Albert de Mora, prémontré à Saint-Martin, est élu pape en 1187 et le
reste 57 jours sous le nom de Grégoire VIII (édicte 13 privilèges en faveur de
l'ordre).
L'église
La construction de l’abbatiale est probablement
entreprise par l’abbé Garin, successeur de Gautier à partir de 1155. Bien que
d’un style très différent, voire opposé, elle est absolument contemporaine de
la cathédrale. Elle présente dans son ensemble un grand intérêt stylistique :
bien conservée, elle témoigne de l’aspect qu’avaient les premières églises
prémontrées en France.
Les flancs sont ceux d’une église romane, avec des fenêtres simples, une corniche avec un cordon mouluré (trous cubiques), des modillons avec masques. Les arcs-boutants furent installés lors du voûtement de la nef. Curieusement situées aux angles occidentaux du transept et de la nef, les tours d'inspiration rhénane conservent un aspect roman (h : 35m).
Façade
La façade occidentale est refaite – ou simplement faite – vers 1270/1280, peut-être au début du 14ème s. Le décor, remplages, moulures et sculptures (frises, reliefs et gargouilles) est conforme à cette période. Cette partie de l’église, aujourd’hui paroissiale, fut restaurée après les dégâts causés par les deux guerres mondiales.
La façade est rythmée par 4 contre-forts dont la
verticalité est accentuée par les arcs-boutant latéraux et les deux clochetons
qui la surmontent (créées par l’architecte Brunet en 1929). Les 3 portails
reflètent la disposition intérieure.
- tympan sud : décollation de saint Jean Baptiste.
- portail central : 2 anges, 1 diacre (saint Laurent
?), 1 évêque (Augustin, Martin, Norbert ?) ; belles statues qui ne sont pas à
leur emplacement d'origine et qui ne proviennent probablement pas de
Saint-Martin ; le pilier central absent (statue de la Vierge ?) ; au tympan,
réseau plaqué d'influence champenoise.
- tympan nord : martyr de saint Laurent sur son
grill devant l’empereur Valérien.
Les pentures des portes ainsi que les traces de peintures sont d'origine.
Intérieur
Le plan basilical est dit « bernardin » ; emprunté aux constructions cisterciennes, il présente un chevet plat et 3 chapelles orientées sur chacun des bras du transept [L : 75m ; h : 17m (chœur : 14 m)].
Le chœur reprend une disposition présente dans certaines églises rurales laonnoises ou soissonnaises, avec 3 niches à l’origine (seules les 2 niches latérales subsistent).
Seuls le chœur, les 2 travées sous les tours et les
chapelles orientées étaient voûtés à l’origine. Elles ont une forme bombée, et
les nervures sont constituées de 3 tores accolés.
Le chœur possède de superbes boiseries : du 17ème s.
dans le sanctuaire ; du 18ème s. pour le chœur liturgique et les stalles (vers
1745, de Berthelemy père). L’autel date de 1760.
Au-dessus des stalles, des occuli du 18ème s. sont
conformes à l’art somptueux des prémontrés.
Transept
Le transept d’origine était plus bas, avec une
charpente apparente. A la fin du 12ème siècle, peu avant ou peu après
l'achèvement des travaux, le transept est surélevé et voûté (noter
l'encorbellement à la retombée des voûtes évitant le bouchage de la chapelle
orientée centrale), avec ajout d’un occulus côté sud.
Dans le bras nord du transept, on remarque les
traces des ouvertures permettant la communication avec les parties conventuels
(dortoir, sacristie, infirmerie).
la crèche (bras nord ; début 16ème s.) et la
chapelle des reliques (bras sud ; la relique de saint Laurent fut rapportée de
Hongrie en 1220).
Très inspiré de l'art cistercien la nef est sévère et dépouillée. Les 9 travées sont rythmées par de gros piliers rectangulaires. Les murs sont nus, sans décoration ni mouluration. Les bas-côtés étaient probablement charpentés à l’origine.
A la fin du 12ème siècle, peu avant ou peu après
l'achèvement des travaux, la nef est voûtée ; des colonnettes baguées avec fût
en délit, sont plaquées sur les murs jusqu'à la naissance des arcs doubleaux et
d’ogives avec des chapiteaux à crochets. Les arcs doubleaux présentent un
bandeau entre deux tores dégagés par des cavets. La voûte n’ayant pas été
prévue à l’origine, on remarque l’absence d'arcs formerets, conférant au
voûtement un aspect « mal fini » et engendrant des problèmes d’infiltration.
Les fenêtres sont simples, sans remplage, aux ébrasements nus.
L'édifice compte 7 chapelles. Les 3 petites chapelles orientées dans chaque bras du transept, destinées à recevoir un autel, sont construites sur l'emprise de 2 travées. Une chapelle plus conséquante se situe dans le bas-côté sud de la nef. Dédiée à Saint-Eloi (correspondant à la récupération d’un autel de paroisse) percée à la fin du 13ème ou au début du 14ème s.
La chapelle servait autrefois de paroisse pour la ferme d'Avin, puis pour Saiint Pierre-le-Viel en 1787. Une grande verrière ogivale éclaire la chapelle où 4 consoles à tête humaine portent la croisée d'ogives. sur l'autel se trouve un très beau Christ de pitié sculpté dans la pierre au XVIe siècle.
Pendant la 1ère guerre mondiale cette statue fut brisée en de multiples morceaux lors d'un bombardement.
Cette chapelle est fermée par une haute balustrade couronnée d'un entablement sur lequel sont représentés les 12 apôtres en buste (il en manque 3) et surmontée d'un Christ "Salvador Mundi". Cette clôture de pierre Renaissance de 1540 a inspiré celles de la cathédrale de Laon.
La porte en chêne a subi des dégradations au moment de la Révolution.
Non loin, sur un des piliers, se trouve la pierre funéraire de Pierre Du Pont (Petrus de Ponte), abbé de Saint-Martin mort en 1461. Dans le registre supérieur, l’abbé, mitré et crossé, accompagné de saint Pierre portant la clef, est agenouillé devant Marie couronnée allaitant Jésus. Un phylactère correspond à une supplique exprimée par l’abbé. On remarque le blason de l’abbaye « de gueules à une roue d'or en abîme accompagnée de 3 fleurs de lys de même, posées 2 et 1 » ; Louis VII offre en 1138, pour le repos de l'âme de son père (!), la vigne "La Rouelle". Dans le registre inférieur, l’abbé portant une mitre non décorée est allongé sur un tapis, la crosse à ses côtés. Des vers courent sur son corps nu. En dessous, une inscription latine : « en proie aux vers je suis ici donné, et ainsi j'essaie de montrer, comment je suis présenté, tout honneur déposé » et le nom du personnage, petrus de ponte.
Plus loin dans l'édifice, au pilier :
sur un pilier voisin :
A l’entrée de la nef, de part et d’autre de la porte, on remarque deux gisants :
- Gisant fin XIIe début XIIIème s. d’un chevalier de Montchâlons
ou de Raoul II de Coucy, mort en 1250.
- Gisant de Jeanne de Flandres, veuve en 1311 d'Enguerrand IV de Coucy puis abbesse de Notre-Dame du Sauvoir – morte en 1334.
La Verrière du Chevet
(les vitraux se lisent de gauche à droite et de bas en haut)
1 - Martin rencontre un pauvre à une porte d'amiens, il partage son manteau
2 - La nuit suivante, le Christ habillé de la moitié du manteau offert, apparait à Martin endormi.
3 - Alors qu'il est moine à Ligugé, Martin ressucite un jeune catéchumène, mort avant d'être baptisé.
4 - Martin est consacré avêque de Tours;
5 - Martin démolit les santuaires païens et convertit les paysans
6 - Martin et ses moines abattent un pin dédié à la déesse Cybèle
7 - Martin délivre un possédé qui devient catéchumène.
8 - Lors d'une messe à tours et au moment de l'élévation du calice, un rayonnement jaillit de la tête de Martin, pour former dans le ciel un globe de feu
9 - " Translation " du corps de Martin en barque de Candes-Saint-Martin à Tours par deux moines. L'âme de Martin monte au ciel. Mise au tombeau de Martin à tours.
Ils se situent habituellement au Sud de l'église ; à
Saint-Martin, par des contraintes dues à la topographie urbaine, ils se situent
au Nord (l’abbaye ayant réutilisé une collégiale plus ancienne).
Le logis abbatial fut reconstruit par le dernier
abbé régulier de Saint-Martin, Nicolas Le Saige, entre 1616 et 1621 (brique et
pierre ; style et décor classique).
Rez-de-chaussée semi-enterré (offices) et étage
noble avec perron et escalier en U, à la manière des vendangeoirs. 2 pavillons
: escalier à gauche et chapelle à droite.
Les ailes en biais accentuent la perspective et la
majesté du logis.
L'abbaye tombe en commende en 1645, le premier abbé
commendataire étant le Cardinal Mazarin.
Un pavillon d'agrément, construit à la même époque
que le logis, porte les armes de François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon
et abbé commendataire (1672-1701).
En 1730, la mense abbatiale est associée à celle de
l'évêque de Laon, insuffisante.
Une reconstruction quasi-totale des bâtiments
conventuels commence vers 1730. Le cloître est surélevé.
- aile orientale et cloître (1736-1754) et superbe
escalier suspendu de Charles Bonhomme (1736, remarquer la stéréotomie) ;
remarquer à l’extrémité de la galerie orientale du cloître le blason de
l’abbaye « de gueules à une roue d'or en abîme accompagnée de 3fleurs de lys de
même, posées 2 et 1 » ; Louis VII offre en 1138, pour le repos de l'âme de son
père (!), la vigne "La Rouelle". Les briques constituant la voûte du
cloître n’étaient probablement destinées à être apparente à l’origine.
- aile occidentale du cloître édifiée en 1788...
En 1789, seulement 16 prémontrés occupaient les
lieux.
La Révolution est un désastre pour l'ordre et pour
l'abbaye qui devient caserne et hôpital en 1792-1795.
Les bâtiments sont concédés en 1803 à
l’administration des hôpitaux civils.
L’église devient paroissiale en 1805.
Situé à l’emplacement de la MAL auparavant,
l'Hôtel-Dieu est transféré à Saint-Martin (voir portail d’entrée) avant 1811.
Il est toujours tenu par des sœurs Augustines (les dernières quittent
l’Hôtel-Dieu en 1969).
L’ancienne salle capitulaire de l’abbaye est devenue
chapelle de l’Hôtel-Dieu et de la communauté de religieuses : les boiseries
(lambris et stalles proviennent de l’ancienne abbaye cistercienne de Foigny ; 4
scènes aux angles : Annonciation ; Nativité ; Résurrection ; Pentecôte (lambris
et stalles vers 1750).
Bombardement et incendie en 1944. Mort de Mère
Marie-Catherine dans la nuit du 23 au 24 juin.
Le nouvel hôpital est construit entre 1957 et 1960.
La Bibliothèque est inaugurée en 1980.
La Relique de Saint Laurent en l’église Saint Martin
de Laon
[Nous savions que I ‘église Saint-Martin de Laon
avait possédé dans les temps anciens une relique, un bras de Saint Laurent :
relique qui fût entourée d‘une grande vénération et en l’honneur de laquelle on
décida, fin XIIIe siècle, début XIVe siècle, lors de la transformation de la
façade abbatiale, de consacrer un des portails. En effet, on voit encore
au-dessus de la porte de gauche, sculptée, l’histoire du martyr de Saint
Laurent ; dans le registre inférieur, le saint est étendu sur son gril, deux
bourreaux s’activent à manier de gros soufflets, tandis qu’un roi assis
assiste, indifférent au supplice ; au registre supérieur, des anges, les mains
voilées, emportent au ciel l’âme délivrée du martyr.
D’autre part,
j’ai découvert dans un manuscrit de la bibliothèque d’Auxerre, provenant de
l’abbaye Prémontrée de Saint Marien de cette ville, toute l’histoire de
l’arrivée à Laon de la relique de Saint Laurent. En ce début du XIIe siècle, était à Laon un chanoine régulier du
nom de Thomas, qui avait une grande dévotion à Saint Laurent. Or, par trois
fois, la nuit,
Laurent apparut à Thomas, lui ordonnant d’aller
chercher sa relique dans un pays, où elle n’était guère honorée. Thomas partit
pour Rome et atteignit par mer Jérusalem, puis revint par terre, s’arrêtant
dans le monastère de Sainte-Croix de Lehses, près d‘Aggriensis, dit le
manuscrit, les annales prémontrées situent Lehses près de Vac, au nord de
Prague, en Hongrie, un monastère prémontré s’il vous plaît. Alors que Thomas se
reposait, Saint Laurent lui apparut, lui ordonnant de se lever promptement,
d’aller à l’église où était le reliquaire, de prendre son bras et de retourner
immédiatement à Laon. Sans hésiter, Thomas se glissa sans bruit dans l’église,
enveloppa le bras du martyr dans une soierie toute brodée d’inscriptions et
s’enfuit sans difficulté, trouvant devant lui toutes les portes ouvertes et
tous les frères écrases de sommeil. Après une longue marche périlleuse à
travers le pays, il arriva à la porte d‘une grande ville, à l’entrée de
laquelle tous les marchands étaient contrôlés et fouillés ; malgré ce barrage
de police, Thomas passa sans être inquiété. Arrivé non loin de Laon, à Diona,
près de Rethel, une filiale de Saint-Martin, Thomas se reposa, prévenant l’abbé
de Saint-Martin, Gautier de Douai, que la relique était arrivée à bon port. Les
Prémontrés vinrent au-devant d’elle solennellement jusqu’à Diona, puis la
ramenant en grand honneur à Laon, elle fut reçue au pied de la montagne par
l’évêque de Laon, Anselme, entouré de tout son clergé, et déposée à l’abbaye
Saint-Martin.
Dès 1243, l’évêque Garnier promulgua des indulgences
pendant l’octave de la fête de Saint Laurent.
J’avais repéré, assez intriguée d’ailleurs, dans une
des chapelles du transept sud de Saint Martin, un reliquaire récent et pourtant
en mauvais état, contenant une relique étrange, c’est un avant-bras et une
main, dont il manque le pouce et dont les doigts sont rétractés, comme il se
doit pour un brûlé. J’avais mentalement rapproché cette relique de l’histoire
de Saint Laurent, jusqu’au soir de février 1977, oh lors d’une petite soirée à
Saint-Martin, en faveur des orgues, le reliquaire fut sorti de sa chapelle, à
ma demande, par M. le Doyen Nicolas qui, nettoyant la châsse, découvrit à
l’intérieur une liasse de treize lettres authentifiant le bras actuel comme
celui de Saint Laurent d’avant la Révolution, liasse de lettres d’autant plus
intéressantes que neuf de celles-ci sont datées entre le 28 décembre 1793 et le
7 août 1796, c’est-à-dire en pleine période révolutionnaire ; elles donnent des
détails très intéressants sur le culte de Saint Laurent, la relique et sa
châsse et aussi sur les signataires de ces documents.
La première, la plus importante, car c’est la plus
complète, a été écrite par Jean Joseph Selleux, ancien marguillier de
Saint-Martin, le 28 décembre 1793 et doit être lue en entier :
- ( Je soussigné Jean Joseph Selleux, administrateur
de l’église paroissiale de Saint-Martin de Laon, ci-devant maison conventuelle
de religieux Prémontrés, nommé par acte d’assemblée de fabrique et continué le
2 janvier 1793 par acte d’assemblée générale de la commune de Laon, à qui les
administrations de fabriques avaient été conférées par décret de septembre
1792.
- Certifie que la partie inférieure avec la main y
tenante qui se trouve en ma possession et que j’ai séquestrée est véritablement
le bras qui a toujours été en très grande vénération en cette ville et
campagnes et reconnu être le bras de Saint Laurent, lequel fut apporté en la
dite église de Saint-Martin dès le XIIe siècle par Saint Godefroy, religieux
profès de la dite maison ainsi qu’il était représenté sur un tableau attaché
contre le deuxième pilier dans la nef de la dite église à gauche en entrant,
tenant la figure du dit bras entre ses mains avec une inscription au bas qui
annonçait l’année qu’il l’apporta en cette ville.
- Je certifie avoir entendu dire plusieurs fois par
M. Lanciaux, religieux profès de la dite maison, que le pouce qui manque à
cette main en a été détaché pour être donné à une reine de
France, qui était alors Régente, qu’il croyait être
Anne d’Autriche, laquelle en échange envoya un os du bras de Saint Barthélemy
apôtre ; ce qu’il a oublié d’insérer dans l’attestation qu’il m’a donné vu le trouble à cause de l’arrestation dont
il était menacé mais qu’il promit de rectifier dans son attestation s’il n’eut
pas été prévenu par la mort qui l’enleva après une maladie de plusieurs mois à
laquelle il succomba.
- Que depuis le temps que le bras fut apporté en
cette ville, il a toujours été en grande vénération tant en icelle que Païs
lointains, qu’on célébrait cette fête le 10 août avec très grande pompe et octave
solennel, processions le jour de la feste, le dimanche suivant et le jour de
l’octave, lesquelles on y portait la châsse où le bras reposait. On doit
trouver au district de cette ville dans la chronique de la dite maison et
bibliothèque quelque rapport à cette narration si on les a respecté.
- Cette relique était en si grande vénération que
les pèlerins venant adorer la Sainte Face de Notre Seigneur Jésus Christ qui
était à Montreuil-sous-Laon et aujourd‘hui séquestrée au district, n’auraient
pas été satisfaits s’ils n’avaient rendu hommage, fait des prières et des
offrandes à Dieu, en l’honneur de Saint Laurent.
- En 1791, lors de la suppression de toutes les
maisons religieuses et paroisses de cette ville, l’église de Saint-Martin étant
désignée pour une des deux paroisses qui devaient être érigées et conservées,
les reliquaires y furent réservés ainsi que la châsse de Saint Laurent, que
lors du premier enlèvement de l’argenterie fait le 30 septembre 1792. Le corps
de cette châsse fut compris dans cet enlèvement, il s’est trouvé pesé 103 marcs
argent doré ; c’était un présent fait par un des rois de France, mais à cause
des soudures, elle fut réduite à 97 marcs 6 onces, ainsi qu’il appert par le
procès-verbal du district du 9 octobre suivant, laquelle fut envoyée pour être
mise au creuset ; alors fut conservé le bassin aussi d’argent doré dans lequel
reposait le bras jusqu’au mois de Novembre 1793, mois mémorable pour la
suppression totale du reste des églises de la ville, faubourgs et campagnes et
de toutes les communes attachées au culte des catholiques, sans qu’il y ait
aucun décret formel, mais bien l’enthousiasme qu’on avait eu soin de jeter
adroitement dans l’esprit du peuple dont un petit nombre se rendait redoutable.
Ce bassin s’est trouvé pesé 9 marcs sur le
procès-verbal des 13 et 14 frimaire nouveau stil ou suivant l’ancien stil le 25
décembre 1793 ; autour du dit bras était une petite lame d’or très fin du poids
de trois gros laquelle était gravée en gothique, bras de Saint Laurent qui fut
aussi enlevé pour être mis au creuset.
C’est en ce jour qu’en ma susdite qualité
d’administrateur me trouvant à l’inventaire du mobilier de la dite paroisse,
j’ai soustrait le bras de Saint Laurent à la fureur et à l’acharnement des
ennemis de la religion chrétienne et que j’ai fait disparaître aux yeux de ceux
qui cherchaient à étouffer et éteindre entièrement le souvenir et la vénération
dus aux saints, j’ai soustrait aussi quelques débris de reliques et ossements
de saints, tels que j’ai pu et dont j’ai fait déclaration particulière avec
observation que j’ai aussi signée, en foi de quoi j’ai signé le présent que je
certifie véritable pour servir d’autenticité à la postérité et d‘attestation
fait à Laon, le vingt-huit décembre 1793. Selleux. >>
Donc le plat doré fut envoyé au creuset le jour de
Noël et Selleux raconte les faits trois jours plus tard. La seule chose à
remarquer, c’est qu’il appelle Godefroy et non Thonias le voleur de la relique
au XIIIe siècle.
- Une
deuxième lettre écrite huit jours plus tard, le 4 Janvier 1794, et signée
Duchemin certifie qu’il a vu et reconnu dans les mains du citoyen Selleux le
bras et la main de Saint Laurent martyr. On célébrait la fête le 10 Août depuis
qu’on l’avait apporté il y a plus de 500 ans, ce qui était représenté dans un
tableau pendu dans la nef de cette église.
- La quatrième lettre du 10 Mars 1794 est écrite par
Claude Nicolas Joseph Lanciaux, chanoine régulier prémontré profès de
Saint-Martin, depuis l’an 1741, qui reconnaît la relique dans les mains du
sieur Jean- Joseph Selleux, marguillier de Saint-Martin comme celle de Saint
Laurent vénérée ici et dont les témoignages authentiques qui se conservaient
dans la dite abbaye ont été perdus lors de la destruction de la maison arrivée
en 1791. Selleux, lorsqu’on a enlevé l’or, l’argent et les pierreries dont
était composée la châsse, l’a soustraite à la fureur des impies, qui en ce
temps, cherchaient à profaner et à détruire tout ce qui appartenait au culte de
la religion catholique. La fête de Saint Laurent que l‘on célébrait tous les
ans en grande solennité, le 10 Août, attirait un nombre infini de fidèles, il y
avait procession solennelle le jour de la fête, le dimanche de l’octave et le
jour de l’octave. Cette relique n’était pas seulement en très grande vénération
dans tout le pays laonnois, mais bien dans le Hainaut et le Cambrésis. La Ville
de Soignies, à quatre lieues de Bruxelles, où il y avait une confrérie
Saint-Laurent établie, envoyait tous les ans deux députés au environ de la
Pentecôte, auxquels on donnait un certificat de leur apparution et des
offrandes qu’ils y apportaient. Il y avait aussi dans la nef de la dite église
un tableau représentant Saint Godefroy profès de la maison, tenant le susdit bras
dans les mains avec une inscription en bas du tableau indiquant l’année que
cette relique fut apportée et déposée dans la susdite église.
Cette lettre d‘un prémontr6 de Saint-Martin est
6mouvante, puisque Selleux nous a dit qu’il était très malade et menacé
d’arrestation.
- La cinquième lettre du 12 Mars 1794 est signée
Cercellier qui passa la plus grande partie de sa vie au service de la dite
église Saint-Martin ; il rappelle le tableau de la nef et les confréries de
Flandre venant en pèlerinage jusqu'à ce que toutes les églises fussent fermées
et les trésors enlevés, dont la dite châsse qui pesait plus de cent marcs et
qui avait été donnée par un roi de France.
- La sixième
lettre est du 23 Juin 1794, (elle est courageuse, étant donné les quarante
arrestations du 15 Mai, dont Colinet) authentifie la relique sauvée du désastre
dans l'église de France en Novembre 1793 et elle est signée de trois frères des
écoles chrétiennes de Laon, le directeur
Pierre Morin, dit frère Lenfry, Jacques Savine, dit frère Arnoux et Claude
Bulod, dit frère Perme.
- La septième lettre est de Lienard, du 25 Mars
1795, un garçon majeur âgé de 65 ans, demeurant à l'hospice national des indigents,
ancien clerc laïc et maître des garçons du ci-devant hôpital général de Laon,
reconnaît la relique comme véritable, étant né et ayant demeuré longtemps
vis-à-vis de la dite église où reposait le saint bras ; et délivre ce présent à
Selleux pour servir d'authenticité à la postérité en lieu et place du
procès-verbal d'arrestation qui s'est trouvé égaré dans le désordre où des
choses étaient alors.
- La neuvième lettre est du 7 Avril 1796 vieux stil
ou 20 thermidor an 4 nouveau stil à 9 heures du matin en la sacristie de
Saint-Martin pour attester la relique à la réquisition de Sdleux, signée par
Godart Charles Antoine ci-devant chanoine et doyen et Jean François Félix
Courtois ancien chanoine de ci-devant collégiale Saint-Pierre et Saint- Jean,
tous deux prêtres du diocèse de Laon et Colinet aussi prêtre du diocèse et
quelques paroissiens (12, y compris Selleux).
A cette époque, Colinet vit plus ou moins dans la
clandestinité, il avait eu l’audace, dès le 30 Mars 1795, de demander à être
curé de Saint-Martin, quelques églises étant rendues au culte.
Toutes les lettres révèlent un certain courage, car
elles étaient toutes compromettantes pour les signataires.
Les quatre dernières lettres sont moins
intéressantes, puisqu’elles ont été signées après la tourmente.
La première, du 14 Thermidor, an 12, ou 2 Août 1804,
par Berthaut, directeur des Messageries de Laon et administrateur de la
fabrique judiciaire de Saint-Martin en présence de Majeur, curé de Notre-Dame
et Courtois desservant Saint-Martin ont procédé à la reconnaissance de la
relique. Ici, il est intéressant de noter la présence de Courtois, déjà Vue
dans la lettre précédente.
Puis le 15 Août 1804, la confirmation par
Jean-Claude Le Blanc Beaulieu avec l’archidiacre Mignot, évêque de Soissons et
Laon.
Le 2 Juillet 1837, nouvelle confirmation par Jules
Francois Simony, évêque de Soissons et Laon.
Elle était ornée de pierres vernies et de filigranes
et close de vitres.
C’est à l’heure actuelle une châsse assez
poussiéreuse sans valeur artistique et dont les vitres sont cassées. [je
précise qu’en 2023 la châsse est retaurée]
Ces lettres sont extrêmement intéressantes.
1) D’abord, elles montrent l’attitude
courageuse de quelques Laonnois face à la persécution religieuse. Il ne faut
pas oublier que ces lettres, si elles avaient été découvertes lors d’une
perquisition, auraient conduit les signataires en prison, à l’échafaud ou à la
déportation. C’est le cas de la lettre signée par les trois frères des écoles
chrétiennes, le 23 Juin 1794 ; 40 Laonnois ayant été arrêtés le 15 Mai à Laon,
dont le prémontré Colinet.
2) Elles nous
font découvrir quelques Prémontrés de Saint Martin chassés de leur maison en 1791, qui vivent encore à Laon, dans
l’ombre de leur chère abbaye.
- Le premier, Lanciaux, est très âgé et malade, nous
dit Selleux, profès depuis 1741, si nous le supposons âgé de 21 ans lors de sa
profession, il a donc en 1794, 74 ans. Ses craintes d’être arrêté, le 10 Mars
1794, ne sont pas sans fondement, son collègue François Colinet, dont nous
reparlerons, sera arrêté par deux fois. Les Archives révolutionnaires de Laon
nous montrent Lefèvre ancien prieur de Saint-Martin détenu et déporté en
Angleterre, malgré ses crises de goutte.
- Le deuxième, Drouet, dit de Braux, est aussi fort
âgé, profès en 1746, il a 70 ans et vit aussi à Laon. Sa déportation est
commuée en réclusion.
- Quant au troisième, Colinet, il apparaît sur la
neuvième lettre du 7 Aout 1796 avec non pas son titre de prémontré, mais
simplement prêtre du diocèse. Nous savons en effet par ailleurs que relâché en
Octobre 1794, Colinet va se mettre à la disposition de Duguet, ‘ex-curé de
Parfondeval et qu’il a reçu par son truchement des pouvoirs spéciaux et
illimités d’évangéliser, dire la messe et confesser de la part de Mgr de
Sabran. Colinet est donc prêtre dans le diocèse et il vit clandestinement. Ce
fait amènera, lors des persécutions religieuses du Directoire déclenchées le 19
Fructidor ou 5 Septembre 1797, sa deuxième arrestation, le
5 Juillet 1798 et sa déportation à l’île de Ré, où
il arriva le 5 Septembre avec 14 autres prêtres du diocèse de Laon.
2) Ces
lettres nous font assister au saccage du mobilier des églises et à
d’irréparables destructions d’objets d’art, tant à la cathédrale, qu’à
Saint-Martin, l’inventaire du trésor de la cathédrale et les lettres de
Saint-Martin étant les seules traces de ces pièces disparues. Elles nous
rappellent aussi le pillage de la bibliothèque de Saint-Martin, les manuscrits
se rapportant à l’histoire de cette maison ayant hélas disparu, et nous
indiquent comment la Sainte Face de Montreuil, venue échouer dans un placard du
district, a échappé à la destruction. Pour les manuscrits, nous ne connaissons
que quelques épaves, quatre à Paris, deux à Laon, alors qu’a été sauvée une
admirable collection d‘incunables et livres du XVIe siècle. Elle nous permet
d’imaginer la nef de Saint-Martin ornée d’un tableau racontant l’histoire de la
relique, sans qu’on puisse deviner la valeur de cette peinture.
Mais nous savons par Fleury que l’illustre ramoneur
italien Barofio a dépendu tous les tableaux des églises de Laon, les a fait
barbouiller de goudron et brûler au pied de la déesse Raison, Mlle Barofio ;
dans ces tableaux, il y avait les inestimables chefs-d’œuvre des frères Le Nain
qui avaient peint pour toutes les églises de Laon. Enfin, elles montraient
l’importance du pèlerinage à Saint Laurent à Laon et ses ramifications avec le
Nord de la France et les provinces belges. Il serait intéressant de savoir si
Soignies conserve encore quelques documents.]
par Suzanne MARTINET
L’ancienne abbatiale Saint-Martin de Laon est
visible de loin, surplombant le plateau à l’Occident, derrière la porte de
Soissons, et faisant écho, depuis le contrebas, à la cathédrale Notre-Dame qui
en domine la partie orientale. Elle est encore flanquée, au nord, de bâtiments
conventuels de l’époque moderne, qu’il ne nous appartient pas de détailler ici
; ces constructions, incluant le cloître de l’époque moderne, ont été en partie
reconverties pour accueillir la bibliothèque municipale Suzanne-Martinet ;
d’autres bâtiments, comme le logis abbatial, ont été inclus dans le centre
hospitalier de Laon.
Saint-Martin présente un plan simple : à une longue
nef basilicale de neuf travées barlongues bordées de collatéraux aux travées
oblongues, succède un transept aux bras saillants longs de deux travées,
ouvrant sur un chœur à chevet plat de deux travées droites. Trois chapelles
orientées de plan carré sont accolées à chaque bras du transept ; les flancs
nord et sud du sanctuaire sont dotés chacun d’une niche d’autel couverte en
berceau brisé. De telles niches, généralement situées dans l’axe du chœur, sont
observables dans les églises rurales de Nouvion-le-Vineux, de Courmelles et de
Berzy-le-Sec ; leur présence de part et d’autre du sanctuaire de Saint-Martin
soulève d’évidentes questions d’ordre liturgique. Les fouilles archéologiques
ont montré qu’une troisième niche d’autel était jadis ménagée dans la paroi
orientale du sanctuaire ; une telle concentration est exceptionnelle, sinon
unique, comme l’a relevé Jacques Thiébaut. Le voûtement d’ogives quadripartite
est généralisé dans tout l’édifice ; nous verrons, cependant, qu’il n’en fut
pas toujours ainsi. Les voûtes du chœur se distinguent par leur caractère très
bombé. Une chapelle de plan oblong dédiée à Saint-Éloi est accolée, au sud, à
la sixième travée de la nef ; une sacristie moderne de plan carré lui succède,
flanquant les septième et huitième travées. Deux clochers s’élèvent sur la dernière
travée des collatéraux, aux angles occidentaux du transept. Cette disposition
est très rare ; deux autres exemples seulement en sont connus, à
Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay et à l’ancienne abbatiale d’Anchin,
disparue5. Saint-Martin se distingue par sa couverture continue depuis la
façade occidentale jusqu’à l’extrémité orientale de la croisée du transept,
reflétant ses volumes intérieurs à la fois vastes et simples.
L’élévation interne du chœur de l’église
Saint-Martin est marquée par les amputations consécutives à l’installation des
boiseries à l’époque moderne ; les colonnes recevant la retombée des doubleaux,
aux riches chapiteaux feuillagés, sont tronquées à mi-hauteur et reposent sur
des consoles sculptées ; il n’en va pas de même pour les colonnettes qui les
flanquent, et reçoivent la retombée des ogives. Le premier niveau d’élévation
de la travée du sanctuaire, au nord et au sud, est marqué par la présence des
niches d’autel, cantonnées, à leurs angles, de petites colonnettes recevant les
arcs bordant chaque extrémité du berceau brisé qui les couvre. Le deuxième
niveau des deux travées du chœur est délimité par un bandeau mouluré d’un
cavet, et percé d’une unique fenêtre en plein-cintre inscrite dans le formeret.
La paroi orientale témoigne d’une reprise dont il sera question plus loin ; le
chevet est ajouré par une grande baie gothique rayonnante, lointain écho de
celle de la façade, dont il sera question plus loin ; elle est composée d’un
oculus polylobé entouré de petits oculi, évoquant la rose du bras méridional du
transept, dominant deux lancettes elles-mêmes subdivisées en deux lancettes
plus petites. De part et d’autre, il est possible d’observer la trace de la
moitié de deux fenêtres plus petites, aujourd’hui condamnées. Les ogives sont
profilées de trois tores ; les clefs de voûte offrent un décor sculpté très
fin. Deux coquilles et une Gloire entourée de chérubins ont été implantées à
l’époque moderne. Les chapelles latérales sont d’une élévation très simple ;
ajourées d’une unique fenêtre à l’Orient, les retombées de leurs ogives sont
accueillies par quatre colonnes aux angles.
De l’extérieur, chaque travée du chœur est ajourée,
au premier niveau, d’une baie en plein-cintre excentrée flanquant la niche
d’autel, et d’une baie en plein-cintre plus petite au second niveau ; on y
observe l’archivolte prolongée en cordon, employée dans toutes les parties de
l’édifice ; au pignon oriental, cette moulure se brise en quart de cercle à la
rencontre de l’arc brisé de la baie, laissant deviner une modification, le
parti d’origine étant sans doute ajouré de deux baies en plein-cintre. Les
gouttereaux sont sommés d’une corniche à trous cubiques annonçant celle de la
nef ; le pignon oriental est doté d’un troisième niveau de deux arcatures
aveugles en arc légèrement brisé, surmontées d’une ouverture sur les combles.
Les niches d’autel, qui constituent les dispositions les plus notables de ce
chœur, sont ajourées d’une large baie ébrasée, en arc légèrement brisé ; leurs
angles sont garnis de colonnettes ; elles sont coiffées de toits en bâtière en
pierre.
La croisée du transept retombe sur quatre piles
composées, sommées de chapiteaux feuillagés à crochets ; les colonnes recevant
les doubleaux sont tronquées selon les dispositions énoncées ci-dessus. À l’extérieur,
le pignon oriental de la croisée surplombe le faîte du toit en bâtière du chœur
; il est percé de deux ouvertures en plein-cintre et de deux oculi. La
construction des bâtiments conventuels à l’époque moderne ayant modifié
l’apparence du bras septentrional du transept en condamnant ses percements,
nous pouvons focaliser notre description sur le bras méridional. Celui-ci
présente, à l’intérieur, une élévation à trois niveaux. Son revers de façade
est percé d’un premier niveau de hautes baies en arc brisé, directement
surmontées d’une seconde rangée de baies en arc brisé, aux proportions moins
élancées, surmontées d’une archivolte se poursuivant en un cordon mouluré
continu. Le troisième niveau est ajouré d’une grande rose composée d’un oculus
polylobé central entouré de petits oculi, l’ensemble étant cerclé de deux
voussures. Un formeret encadre exclusivement le dernier niveau de la
composition. Une telle rose peut également être observée à la façade du bras
méridional du transept de la petite église Saint-Pierre de Chaillevois, près de
Laon. La paroi orientale ne présente que deux niveaux d’élévation. Le premier
est ajouré de deux fenêtres en plein-cintre très ébrasées vers l’intérieur ;
entre ces deux ouvertures, on distingue nettement la marque d’une troisième,
aujourd’hui condamnée par la colonne et les deux colonnettes accueillant
respectivement la retombée du doubleau et des ogives ; celles-ci sont juchées
sur des consoles aux multiples ressauts, et présentent des chapiteaux à
crochets. Un cordon mouluré marque la jonction avec le second niveau, d’un
appareil plus petit, où les deux travées clairement délimitées par les nervures
sont percées d’une baie en arc légèrement brisé, encadrée du formeret. La paroi
occidentale présente une élévation différente de son pendant oriental ; ses
deux travées sont nettement délimitées par un faisceau montant de fond ; la
travée septentrionale n’est pas ajourée de fenêtres, mais son premier niveau
accueille une grande arcade à deux rouleaux communiquant avec les bas-côtés. La
travée méridionale est percée, en son premier niveau, d’une grande baie
légèrement brisée, excentrée vers le sud ; son second niveau présente des
dispositions analogues à celui de la paroi orientale. Des colonnettes en délit
baguées montent de fond aux quatre angles des bras du transept pour recevoir la
retombée des nervures ; les formerets retombent simplement sur les cordons
moulurés délimitant le niveau supérieur, associés aux tailloirs des chapiteaux
pour former une mouluration continue. Cet étagement d’ajours offre un volume
particulièrement lumineux, malgré sa relative muralité due, d’une part, à la
présence du doubleau ayant condamné la fenêtre centrale du premier niveau de la
paroi orientale comme nous le verrons, et de l’autre, à la présence des organes
de soutien, que nous détaillerons ci-après.
La façade du bras septentrional du transept, mitoyen
des bâtiments conventuels, ne présente pas d’élévation extérieure visible ; en
revanche, son pendant méridional déploie une élévation ambitieuse sur quatre
niveaux, reposant sur un haut soubassement. Épaulé par deux puissants
contreforts d’angle et un contrefort central, il superpose un premier niveau de
deux baies en tiers-point disposées de part et d’autre de la verticale médiane
; ces ouvertures, dont les ébrasements sont garnis de trois voussures retombant
sur des colonnettes aux chapiteaux feuillagés, sont surmontées d’une
archivolte. Le premier ressaut des contreforts et l’appui des baies est bordé
d’un cordon mouluré ceinturant tout le bras du transept, induisant de fortes
horizontales dans la composition. Le second niveau est ajouré de deux baies en
plein-cintre, surmontées d’une archivolte prolongée par un cordon ceinturant à
nouveau toute la structure. Le troisième niveau est occupé par la grande rose
précédemment décrite ; son ébrasement est souligné par une archivolte continue,
et par une succession de moulurations concentriques ressurgissant jusque sur la
corniche supérieure ; ce type de modénature évoque les roses de Vorges et de Mons-en-Laonnois.
L’ultime niveau est occupé par une série d’arcatures en arc brisé (quatre plus
une, sommant l’ensemble) ; les deux arcatures centrales, ajourées, sont des
ouvertures sur les combles. Un cordon interrompu court à l’appui des arcs. Le
flanc occidental du bras méridional du transept juxtapose simplement deux baies
en arc brisé, recevant à son angle la tourelle d’escalier du clocher
méridional.
L’élévation du flanc oriental du bras sud du
transept déploie des dispositions architectoniques singulières, méritant un
développement particulier ; celles-ci suscitèrent notamment l’attention
d’Eugène Viollet-le-Duc, qui leur consacra un certain développement dans
l’article de son célèbre Dictionnaire raisonné de l’architecture française du
XIe au XVe siècle consacré aux contreforts. Le premier niveau est occupé par la
saillie des trois chapelles orientées, contiguës et couvertes d’un unique toit
en appentis ; leurs trois travées sont séparées par de larges contreforts à
trois glacis. Alors que les deux chapelles septentrionales sont ajourées d’une
large baie ébrasée en plein-cintre, la chapelle méridionale est moulurée, à
mi-hauteur, d’un cordon, surmonté d’une baie plus petite, elle-même surlignée
d’une archivolte continue ; une grande baie devait autrefois exister
au-dessous, mais elle se voit aujourd’hui remplacée par une ouverture
rectangulaire. Comme nous l’avons vu, les bras du transept sont chacun composés
de deux travées ; il fallait donc assurer la transition entre le rythme
tripartite des chapelles et le rythme bipartite des parties supérieures. Pour
ce faire, le maître d’œuvre de Saint-Martin répercuta les contreforts du
gouttereau des chapelles sur le second niveau d’élévation du bras du transept ;
ceux-ci se développent en saillie et se rejoignent pour former un puissant arc
en tiers-point sommé d’un gâble supportant le contrefort unique du troisième
niveau. Cette solution virtuose unifie les volumes de l’élévation et leur
confère un élan particulier en extérieur. Chaque travée de ce second niveau
d’élévation est percé d’une baie, la baie centrale étant aveuglée en raison de
la présence du doubleau. Enfin, le troisième niveau, plus élevé, est ajouré
d’une grande baie en tiers-point par travée, séparées par le contrefort
central, coiffé d’un gâble, et dont les angles sont garnis de deux colonnettes.
À l’angle du transept et de la nef s’élèvent deux
grandes tours prenant leur souche à l’ultime travée des collatéraux.
Différentes phases de construction sont clairement lisibles en observant la
tour méridionale, la tour septentrionale ayant subi des modifications en raison
de sa mitoyenneté avec les bâtiments conventuels modernes. Le second niveau, à
hauteur du troisième niveau du bras méridional du transept, est ajouré d’une
unique baie en plein-cintre à archivolte continue au sud ; au-dessus d’une
corniche à trous cubiques se dresse un troisième niveau plus orné, dont les
contreforts reçoivent, aux angles, des colonnettes à chapiteaux feuillagés ; de
telles colonnettes se retrouvent dans les baies géminées en plein-cintre
observables sur les deux faces visibles. Le quatrième niveau, qui reprend les
mêmes dispositions dans sa partie inférieure, est ajouré de baies plus
élancées, garnies d’une seconde rangée de colonnettes surmontées de voussures
et archivoltes respectivement sculptées de trous cubiques et de fleurettes à
quatre pétales. Le haut étage du beffroi surplombe l’ensemble, déployant un
riche vocabulaire gothique rayonnant : les angles des contreforts sont adoucis
par des colonnettes aux chapiteaux végétaux, dont les chapiteaux soutiennent
une corniche de feuillages ; chaque face est percée d’un grand ajour gothique
rayonnant subdivisé en deux lancettes trilobées surmontées d’un oculus trilobé
; ces baies sont entourées d’une grande archivolte garnie de crochets et
surmontée d’une guirlande de fleurs, retombant sur des petites colonnettes. Le
vocabulaire de ces tours peut notamment être rapproché du clocher de l’église
Saint-Jean-Baptiste de Vorges, témoignage du rayonnement du chantier de Saint-Martin.
Le chœur déborde aujourd’hui de deux travées sur la
nef ; l’implantation des stalles a nécessité le comblement des grandes-arcades
et l’adaptation des supports, qui présentent une étrange variété : ainsi, les
faisceaux marquant la jonction, d’une part, avec la nef, et de l’autre avec la
croisée, voient leur colonne centrale retomber sur un cul-de-lampe feuillagé,
tandis que les faisceaux faisant la jonction entre la huitième et la neuvième
travée reposent, à mi-hauteur, sur des consoles complexes, elles-mêmes
soutenues par de petites piles quadrangulaires engagées et flanquées de
colonnettes gothiques. La présence de ces colonnettes permet d’imaginer que le
chœur liturgique débordait, dès le Moyen Âge, sur les premières travées de la
nef.
La nef de l’abbatiale présente une élévation sobre à
l’intérieur comme à l’extérieur, exception faite de la chapelle Saint-Éloi. À
l’intérieur, le vaste vaisseau central, sobre et homogène, superpose très
simplement grandes arcades à deux rouleaux et fenêtres hautes, séparées par un
pan de mur nu. Les travées sont rythmées par des colonnes bordées de deux
colonnettes en délit baguées ; ces supports sont postérieurs au parti
d’origine, comme nous le verrons. Les chapiteaux sont sculptés de feuilles
s’achevant en crochets. l’élévation ne présente aucune véritable horizontale ;
les piles cruciformes ne présentent une imposte qu’à l’intrados des arcs. Les
arcs doubleaux sont moulurés de deux tores et d’un bandeau plat central,
évoquant le vocabulaire de la cathédrale de Laon. Les voûtains, bordant de près
l’arc supérieur des fenêtres hautes, ne sont pas soulignés par des formerets.
Les bas-côtés sont rythmés par de larges doubleaux en arcs brisés légèrement
surbaissés à intrados plat. Les retombées des nervures sont accueillies par des
colonnettes en délit baguées aux chapiteaux feuillagés, orientées en fonction
de la retombée qu’elles accueillent ; cette disposition particulière, évoquant
les parties hautes de la cathédrale, se retrouve également dans quelques
églises des environs : on l’observe dans les collatéraux du chœur de l’église
de Vaux, ainsi qu’à Vorges et à Laval. La première travée de la nef était jadis
percée d’un petit portail en arc à deux voussures en arc brisé, dont le tympan
est appareillé en crossettes, stéréotomie prestigieuse que l’on observe en
certaines autres occurrences dans la région.
À l’extérieur, les travées sont régulièrement
rythmées par des arcs-boutants d’un quart-de-cercle environ, sans charge
sommitale, se fondant dans les contreforts des collatéraux. Les gouttereaux des
bas-côtés sont simplement percés d’une fenêtre en plein-cintre par travée,
surmontant un haut soubassement. Une archivolte se poursuivant de part et
d’autre pour former un cordon horizontal surligne chaque fenêtre, selon une formule
courante dans la région. Ce traitement se retrouve au niveau supérieur, le
gouttereau étant surmonté d’une corniche ornée de trous en cubiques soutenue
par des modillons jalonnant une assise taillée en cavet ; ceux-ci sont sculptés
de motifs végétaux et de masques. La deuxième travée est ajourée d’une grande
baie rayonnante, formée de deux lancettes trilobées surmontées d’un oculus
quadrilobé.
La chapelle Saint-Éloi est close par une riche
clôture Renaissance d’ordre corinthien, ornée de sculptures figurées du Christ
et des Apôtres et datée de 1540. Une niche à dais Renaissance est observable
sur sa paroi orientale. Elle est ajourée d’une grande baie composée de trois
lancettes trilobées surmontées d’une rose formée de trilobes entourant un
oculus central ; les écoinçons sont garnis de trilobes ajourés. À l’extérieur,
la chapelle est épaulée par des contreforts saillants. Bien qu’elle puisse
donner l’illusion d’un transept occidental à croisillons bas lorsque l’on
considère l’édifice depuis son flanc méridional, il n’en est rien ; en effet,
cette saillie n’existe qu’au sud. Nous verrons, toutefois, que le véritable
transept de l’église déployait, dans son parti primitif, des croisillons bas.
La sacristie moderne présente une élévation très simple, étant simplement
ajourée de deux fenêtres en plein-cintre.
La façade occidentale, dont la couture inclut la
première travée de la nef par certains détails, se distingue par son riche
décor gothique rayonnant, comptant parmi les plus somptueux de la région. Sa travée
centrale est subdivisée en trois niveaux horizontaux. Le premier niveau
accueille un large portail aux multiples voussures, bordé de deux statues de
part et d’autre, abritées sous des dais. Son tympan orné de remplages accueille
deux anges thuriféraires. Le tympan du portail latéral septentrional figure le
martyre de saint Laurent ; son pendant méridional représente l’histoire du
martyre de saint Jean-Baptiste. Le second niveau est ajouré d’une grande baie
rayonnante au réseau complexe, précédée d’un passage mural bordé d’une
balustrade en pierre ajourée. Le dernier niveau est structuré autour du grand
pignon, percé d’un oculus accueillant un haut-relief de saint Martin partageant
sa chlamyde avec le pauvre d’Amiens ; celui-ci est précédé d’un nouveau passage
mural, également bordé d’une balustrade. Deux puissantes tourelles d’escalier à
la silhouette élancée, de plan polygonal, épaulent la travée centrale ; elles
sont sommées par des flèches de pierre à crochets de construction récente,
comme nous le verrons. Les travées latérales, correspondant aux bas-côtés,
superposent chacune un portail au tympan sculpté et aux multiples voussures et
une baie en arc-brisé circonscrite dans la retombée de son arc, surlignée d’une
archivolte prolongée par un bandeau rejoignant l’appui de la balustrade du
second niveau de la travée centrale. L’élévation est unifiée par les
arcs-boutants dont la haute culée sommée d’un pinacle est épaulée de trois
contreforts au couronnement analogue. Les nombreux jeux d’horizontales et de
verticales, ainsi que les retraits successifs dans l’épaisseur du mur de la
travée centrale, animent la façade en lui conférant un grand dynamisme. Il
convient de noter que les trois portails occidentaux de Saint-Martin possèdent,
en outre, des pentures du XIVe siècle. Les dispositions de la façade
occidentale primitive ne sont pas connues.
Principales étapes de construction
L’église Saint-Martin de Laon était achevée, dans
son gros-œuvre, vers 1200 ; mais les travaux devaient être parvenus à un
certain degré d’avancement en 1174, à la mort de l’évêque Gautier de Mortagne,
qui y fut enterré. La nef basilicale fut construite, avec ses bas-côtés, entre
1135 et 1150 environ. Cette nef s’inscrivait, dans son parti d’origine, dans
une tradition romane locale dont elle adopta les dispositions générales. Les
trois vaisseaux étaient alors couverts d’une charpente apparente, et devaient
s’achever par un transept à croisillons bas selon Julia Fritsch et Jacques
Thiébaut. Cette disposition à croisillons bas se retrouve dans les églises de
Bruyères, d’Urcel et de Nouvion.
Le chœur fut bâti dans les années 1150-1160,
correspondant au début du chantier de la cathédrale. Son voûtement évoque les
tribunes des travées occidentales du chœur – ayant échappé à la campagne de modification
des alentours de 1200 ; cette parenté s’observe notamment dans la modénature.
Les niches d’autel furent ajoutées a posteriori de la construction du
gros-œuvre, probablement dans les années qui suivirent son achèvement. Leur
disposition latérale est, comme nous l’avons dit, un caractère exceptionnel,
malgré l’existence d’autres exemples de niches d’autel dans la région. Comme
nous l’avons signalé plus haut, une troisième niche d’autel se trouvait jadis
dans l’axe du sanctuaire ; il est possible de proposer une reconstitution de
l’état d’origine de la paroi orientale par l’observation des traces signalées
précédemment : la niche d’autel devait s’élever au même niveau que ses deux
pendants latéraux ; comme l’indiquent les traces visibles à l’intérieur, elle
était vraisemblablement flanquée de deux fenêtres en plein-cintre ; et comme
semble le suggérer la brisure de la mouluration surplombant l’actuelle baie
rayonnante, son toit devait être surmonté d’un niveau ajouré de deux baies en
plein-cintre. Les chapiteaux de l’arc-triomphal déploient un décor de feuilles
d’acanthes d’un type particulier, dont d’autres exemples peuvent être observés
à Notre-Dame de Noyon, à la collégiale d’Oulchy-le-Château, à
Nouvion-le-Vineux, mais aussi à la paroi orientale du bras nord du transept de
la cathédrale de Laon, portion la plus primitive de l’édifice, confirmant une
datation aux alentours de 1150.
La construction des cinq niveaux des tours du
transept s’échelonna sur un siècle à partir de la seconde moitié du XIIe siècle.
Elles furent gravement endommagées par un ouragan à la fin du XIVe siècle,
nécessitant la reconstruction de leurs flèches.
Le voûtement de la nef fut entrepris dans l’ultime
décennie du XIIe siècle ; il nécessita l’ajout des supports précédemment décrits
pour recevoir la retombée du doubleau et des ogives. La modénature y est
comparable à celle des tribunes de la cathédrale, ainsi que la sculpture des
chapiteaux ; selon Julia Fritsch, il est également possible de rapprocher ces
dispositions de la nef de la cathédrale de Noyon. On peut en effet observer
dans chaque cas des colonnettes en délit baguées, des tailloirs orientés et des
chapiteaux à crochets. Les bas-côtés présentaient déjà des arcs diaphragmes
soutenant la toiture dans leur premier parti, conformément à une tradition
locale fort répandue ; les ogives y furent adaptées naturellement. Cependant,
le contrebutement apporté par ces structures ne suffisait plus à assurer
l’équilibre d’une nef voûtée ; des arcs-boutants furent donc implantés dès la
fin du XIIe siècle.
Le transept fut surhaussé avant d’être voûté, afin d’assurer l’équilibre de la croisée ; cette modification explique à la fois la forme singulière du contrefort épaulant le flanc oriental du bras sud, la présence d’une corniche saillante à l’extérieur comme à l’intérieur, l’implantation de supports plaqués aux angles et sur les parois. En revanche, aucune trace de ce surhaussement n’est clairement observable sur la façade, qui dut néanmoins être également surhaussée. Le dessin de la rose du bras méridional peut être rapproché de la rose de la façade du bras nord du transept de l’abbatiale Saint-Vincent de Laon, bâtie entre 1174 et 1205 sous l’abbé Hughes, détruite à la Révolution mais connue par quelques documents iconographiques, figurant un oculus central entouré d’oculi de diamètre plus réduit (un dessin également observable au bras nord du transept de l’église de Guignicourt). La proximité entre les deux compositions s’exprimait aussi dans les dispositions plus générales de la façade du bras méridional du transept de Saint-Vincent, superposant une rose à un premier niveau certes unique, mais bipartite et épaulé d’un contrefort central. La parenté des deux roses avec celle du bras nord de la cathédrale, plus développée et datée des années 1180-1190, fournit un repère précieux pour la datation.
L’état final de la nef de Saint-Martin peut être
rapproché de productions cisterciennes contemporaines, à l’instar de Notre-Dame
de Pontigny – et tout particulièrement des travées droites du chœur de cette
dernière. Cette parenté de l’architecture norbertine avec les réalisations
cisterciennes n’a rien d’étonnant ; en effet, comme l’a rappelé Jacques
Thiébaut, les Statuts de l’Ordre de Prémontré s’inspirèrent de la spiritualité
cistercienne, et le plan recommandé par saint Bernard fut adopté dans de
nombreuses églises de l’Ordre, y compris l’abbatiale de Prémontré elle-même ;
d’autre part, comme l’a souligné Julia Fritsch, le chevet plat faisait partie
de la tradition régionale depuis le début du siècle. Saint-Martin apparaît
donc, en plan et en élévation, comme une fusion de l’architecture cistercienne
et de la tradition régionale, ponctuée de références subtiles au chantier
voisin de Notre-Dame. Certains de ses caractères, en particulier sa nef, se
situent par ailleurs à la lisière entre l’architecture romane et l’architecture
gothique, à laquelle sa campagne de voûtement la rattache. Son architecture
témoigne, comme l’a écrit Dany Sandron, d’un esprit propre à l’Ordre de
Prémontré, puisant à de multiples sources pour forger un vocabulaire original.
La réfection de la façade occidentale, le
surhaussement des tours, le percement de la baie occidentale et la construction
de la chapelle Saint-Éloi sont à attribuer à une campagne menée dans la seconde
moitié du XIIIe siècle, correspondant à une période de grande prospérité ;
celle-ci allait prendre fin dès la fin du siècle pour laisser place à une série
de tribulations. Cette dernière campagne témoigne d’un changement d’esprit,
contrastant avec la sobriété réformatrice des débuts pour déployer un programme
particulièrement raffiné. Dany Sandron souligna cependant l’étonnante
maladresse observable dans les maçonneries de la façade occidentale,
superposant des assises très irrégulières, ce qui suggère le remploi d’éléments
de la façade primitive ; ce caractère contraste avec la stéréotomie très
soignée du reste du monument.
L’architecture des deux tours du transept permet de
dater leur construction, en différentes phases, du milieu du XIIe à la seconde
moitié du XIIIe siècle ; elles furent amputées de leurs flèches en 1737.
Histoire et dates importantes
L’abbaye Saint-Martin tenait jadis une place de
premier rang dans l’Ordre de Prémontré ; elle fut dirigée par saint Norbert
lui-même avant que celui-ci ne fonde la première maison de l’Ordre à Prémontré,
à la demande de l’évêque Barthélémy de Jur ; cependant, les chanoines, peu
enclins à l’obéissance, furent chassés par l’évêque pour être remplacés,
quelques temps plus tard, par des Norbertins. Le premier abbé de Saint-Martin,
qui contribua au rayonnement de la maison, fut Gautier de Saint-Maurice, de
1124 à 1151 – date à laquelle il fut élevé à la dignité d’évêque de Laon. Au
XIIe siècle, période correspondant à la construction de l’église actuelle,
l’abbaye, alors sous l’autorité de l’abbé Warin, faisait partie des
institutions régulières les plus florissantes du Nord du Royaume Les sources
écrites donnent une idée de la taille du monastère : ainsi, un texte du moine
Hermann fournit le nombre de cinq cent religieux pour l’an 1136. L’abbaye
bénéficiait de la protection du Pape, de l’évêque et du roi. Cette maison
connut, en ses premières années, des difficultés sur le plan temporel ;
celles-ci disparurent rapidement et laissèrent place à une grande prospérité, l’institution
acquérant cent quatre-vingt-dix propriétés entre 1128 et 1155. Néanmoins, ces
possessions n’entravèrent pas l’idéal de la vie régulière norbertine, l’enclos
de l’abbaye bénéficiant d’un cadre paisible à l’ouest du plateau, couvrant
environ six hectares. L’église sortit en grande partie de terre sous l’abbatiat
de Warin, successeur de Gautier de Saint-Maurice, de 1151 à 1171. Au XIIIe
siècle, le temporel continua de se développer, notamment dans le vignoble à
Vorges et à Bruyères, dont les églises possèdent d’intéressants points de
comparaison avec l’abbatiale. La relique du bras gauche de saint Laurent fut
accueillie à Saint-Martin au début du XIIIe siècle ; cet évènement explique
probablement l’iconographie du portail nord de la façade occidentale ; la
visite de l’abbatiale le jour de la fête du martyr était indulgenciée.
L’abbaye, mère de quatorze fondations, fut supprimée
à la Révolution ; son église devint paroissiale. L’église subit des dégâts lors
des bombardements de la Grande Guerre, occasionnant une campagne de
restauration menée par Émile Brunet, qui vit la reconstruction des flèches des
tourelles de la façade. Les bombardements alliés de 1944 n’endommagèrent pas
significativement l’église, mais infligèrent de lourds dégâts à l’hôpital, occupant
en partie les anciens bâtiments conventuels.
L’église Saint-Martin fut classée aux Monuments
historiques en 1850. Elle renferme un important patrimoine mobilier classé ; ce
caractère doit faire l’objet d’une attention d’autant plus soutenue que le patrimoine
ecclésiastique mobilier du Laonnois est d’une grande pauvreté – exception faite
de la cathédrale Notre-Dame. Bien que la présente notice n’ait pas vocation à
en dresser un inventaire détaillé, citons tout de même la clôture de la
chapelle du collatéral méridional, datée de la seconde moitié du XVIe siècle,
les autels du XVIIIe siècle et leurs tabernacles, et les stalles datées par
source de 1754. L’église renferme également d’importantes pièces de sculptures
parmi lesquelles il nous faut citer, outre la statuaire monumentale de la
façade occidentale, le gisant du XIIIe siècle en pierre de Tournai représentant
un chevalier à l’identité incertaine ; le gisant du deuxième quart du XIVe
siècle représentant une abbesse traditionnellement identifiée comme Jeanne de
Flandre, morte en 1334, et le Dieu de pitié du XVIe siècle placé sur l’autel de
la chapelle du flanc méridional de la nef. Mentionnons enfin, parmi les
différents monuments funéraires présents dans l’église, celui de l’abbé Pierre
Dupont, en pierre de Tournai, daté du troisième quart du XVe siècle.
Etat de conservation
L’église Saint-Martin présente globalement un assez
bon état de conservation dans son gros-œuvre ; cependant, les maçonneries de la
façade occidentale, témoignage majeur du gothique rayonnant dans la région,
sont envahies par les lichens ; une végétation rampante court sur sa tourelle
méridionale, et les joints des maçonneries semblent très usés. Cette
observation peut être étendue aux arcs-boutants de la nef, aux deux clochers et
aux parties orientales de l’édifice en particulier. Le bras méridional du
transept, œuvre remarquable, est particulièrement dégradé ; le contrefort d’un
genre singulier épaulant son flanc oriental est attaqué par la végétation et
présente des fissures. L’intérieur de l’abbatiale présente d’importantes traces
d’humidités, notamment observables dans les collatéraux où des algues entachent
les colonnettes en délit. Des traces d’humidité coulent des fenêtres hautes.
Des taches d’humidité envahissent également les voûtes.
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