jeudi 30 mai 2024

Recettes champenoises

 


La soupe aux choux et la potée champenoise

Ce n’était pas un plat bien compliquée à faire, il représentait un avantage pour la ménagère : une fois mis en route, elle pouvait aller faire « ses ouvrages pa’la cour » sans soucis. Le pot, soit pendu à la crémaillère, soit posé en avant de l’âtre, devant sur les braises, cuisaient tout doucement et ne demandait plus aucun soin. Cette potée était la base de la nourriture rurale de cette époque.

Il fallait, la veille, mettre un morceau de porc salé, dans un seau d’eau froide, pour que, durant toute la nuit, il perde, petit à petit, la plus grande partie de son sel.

Dès le matin, la fermière a mis le morceau à dessaler dans un pot de terre rempli d’eau froide. L’eau s’échauffe lentement et il faudra écumer avant l’ébullition. Pendant ce temps, notre Louise épluche un ou deux poireaux (autant de feuilles vertes que de blanc, il ne faut rien perdre) quatre ou cinq carottes, deux navets (en hiver, on les remplace facilement par du chou-navet, de l’espèce appelée aujourd’hui : rutabaga). Ici, on ajoutait encore un panais (pour son parfum, surtout car ce légume a une saveur très particulière que beaucoup de personnes n’apprécient pas). Et lorsque l’eau bout, débarrassée de son écume, on y plonge cette première fournée de légumes, et on laisse cuire tranquillement… une heure et demi ou deux heures pour le moins !

Revenue de ses travaux de la basse-cour, la fermière peut alors penser à la deuxième série : chou et pommes de terre. Un beau chou bien pommé dont on épluche et ôte les premières feuilles vertes : celles-ci seront utilisées néanmoins ; mais la pomme du chou ne sera pas détaillée : seulement coupée en deux pour être plus facilement débarrassée de son trognon, elle ira dans le pot, accompagnée des grosses feuilles du tour un peu broyées dans les mains ; de nouveau , au moins une bonne heure de cuisson ; là, notre cuisinière va vérifier la cuisson de son salé : il est probablement à point ; elle l’enlève donc sur une assiette, et le remplace par quelques pommes de terre… : non pas des pommes de terre à fricot, qui, dans ce plat se montreraient trop fermes et mêmes dures ; mais plutôt des espèces champenoises : Beauvais ou équivalentes ; il s’agira de surveiller leur cuisson car, celle-ci atteinte, le tubercule se déliterait facilement. Cuites à point, elles seront veloutées et s’écarteront en croulant sous la fourchette.

Cette fois, tout est fini, on peut servir.

D’abord, dans la soupière, la ménagère a coupé de larges tranches de ce gros pain de ménage fariné, bien en mie. (Où sont nos baguettes et flûtes modernes ?) Sur ces tranches, avec la poche, elle verse le bouillon de cuisson aux larges yeux.  Puis dans un plat, elle dispose les légumes et couronne le tout du morceau de salé remis à doucir quelques instants pendant qu’on dégustait la soupe aux choux. Le lard rose tremblote.

Le fumet emplit toute la cuisine. Mais où sont les potées d’antan ?

 



La daube de Clérey

La daube était de consommation courante. Elle constituait le plat de résistance des repas d’enterrements. Quand un malade sentait ses dernières forces l’abandonner, il disait volontiers aux membres de sa famille et à ses amis : « Ah ! je vous ferai bientôt manger de la daube ».

Préparation :

Le boucher livrait des petits morceaux de bœuf qu’il coupait selon ses disponibilités, dans la viande de première ou de deuxième catégorie qui n’avait pas été utilisée pour des rôtis ou des braisés.

On faisait revenir ces morceaux dans une cuillerée de saindoux et quelques lardons ; on retirait ces derniers quand ils avaient rejeté toute leur graisse ; on versait une petite quantité d’eau et un bon verre de vin blanc du cru, (à cette époque, la vigne était cultivée à Clérey). On ajoutait tous les assaisonnements : sel, poivre, oignon entier (qu’on retirait avant de servir), ail, échalote, clou de girofle (important), thym, laurier, persil. Si la saison s’y prêtait, on n’oubliait pas les champignons.

La daubière, placée sur un brasier tiré du foyer et amenée sur le devant de l’âtre, était alors soigneusement fermée à l’aide d’un couvercle garnie de braises ardentes. Feu dessous, feu dessus, la viande cuisait doucement, « à l’étouffée », laissant échapper son jus.

Elle mijotait longtemps (3 à 4 heures) pendant lesquelles on découvrait la daubière le moins possible, seulement pour surveiller le niveau de la sauce et goûter si elle était à point. Quand la cuisson était à peu près terminée, (une fourchette enfoncée dans un morceau renseignait la cuisinière), on réduisait l’ardeur du brasier jusqu’à l’heure du repas.

La cuisson lente et le minimum d’évaporation donnaient à la daube une saveur particulière.

 


A Rumilly, Madame Caillet fait encore la daube ainsi que ci-dessus. A peu de détails près, sa recette est la même que celle de Mademoiselle Breton

« Je mets la coquèle sur la table, [une coquèle en fonte à trois pieds, avec un manche] je dispose au fond un lit de lard, puis un lit de viande coupée en morceaux ; j’ajoute un tout petit lit de beurre, puis du sel, du poivre, de l’oignon, de l’ail et un bouquet de laurier et de thym.

Je bouche et transporte mon récipient devant le feu. Sur le couvercle de la coquèle, je verse de l’eau. Je laisse cuire à feu doux pendant trois heures au moins ».


Une friandise bien champenoise : La galette en fromage


C’était la friandise traditionnelle offerte aux amis ou savourée en famille, lors de la fête patronale, ou fête votive du village ; elle a lieu ici le premier dimanche d’aout, l’église étant dédiée à Saint Pierre-es-liens.

Il faut dire qu’il y a 60 ans seulement, rares étaient chez nos paysans, les desserts et autres gâteries ; quand on cuisait le pain [car au début de ce siècle, on cuisait encore le pain dans de nombreuses familles] la ménagère ajoutait à la fournée, une ou deux galettes de pâte à peine différente de celle du pain, garnies de fruits ou de sucre. Mais la fête du village était l’occasion de chauffer le four pour bien autre chose que la cuisson du pain. Chaque maitresse de maison préparait une tournée entière de galettes : sucrettes, « tartes en cerises » ou « en prunes », mais surtout les célèbres « galettes en fromage ».

La semaine précédente, la ménagère avait mis suffisamment de lait « en » présure ; le fromage obtenu est mis à égoutter dans des éclisses pour que s’échappe le lait clé, car le matton doit être bien sec. Elle avait mis d’autre part dans de grandes jattes ou des pots de grès posés au frais dans l’entrée de la cave ou dans la fromagerie, du lait de ses godines, trois ou quatre jours après, la fermière a levé sur chaque récipient une couche épaisse de belle crème jaune, onctueuse, grasse à souhait.

La veille de la fête, sur la table, elle verse la farine, y fait une fontaine où elle fait couler du saindoux ramolli, de l’eau tiède et salée. Du bout des doigts, elle délaye (elle dit détrempe) la pâte, mélangeant légèrement ses ingrédients jusqu’à obtenir une grosse boule de pate mollette, pas liquide, mais surtout pas trop resséchée. Un linge dessus et repose toi une heure, petite merveille !

Pendant ce temps, la ménagère prépare sa farce : dans un seau elle met les 3 ou 4 fromages bien égouttés, les broie avec la main, les écrase, les réduit en gros grains ; puis elle casse là-dessus un œuf entier, le mélange et deux, et trois, et dix et douze œufs disparaissent dans le seau ! Je me rappelle ma surprise, lorsque j’arrivai à Torcy en 1919, devant de tels préparatifs. Je croyais voir confectionner le repas de quelques Gargamelle ou Grand-Gousier !

Le mélange œufs-fromage est maintenant homogène, mêlons-y du sucre en poudre et de la crème ; remuons et brassons bien. Pas de vanille ou autre parfum : nos produits de la ferme, purs et jaloux de leur saveur personnelle. Les proportions de ces différents matériaux ? Je ne saurais plus les dire avec précision : compter les œufs, cela se pouvait ; mais pour le reste, ma belle-mère disait toujours : « je vois, je ne pèse pas, je mets à lure-lure et toujours plus que moins » (deux tournures de paroles de ce bon vieux temps de sa jeunesse !). En tout cas, le résultat était délicieux !

Ceci terminé, il fallait revenir à la pâte : on l’étale sur la table enfarinée, avec un rouleau de bois (ou encore une bouteille à bière vide et farinée). De ses doigts habiles, la ménagère manie à petite pincées, qu’elle dispose sur la pâte aplatie, une bonne quantité de beurre, sur quoi elle replie sa pâte, les quatre angles venant se superposer au centre. Elle renouvelle ce travail trois fois, avec un repos plus ou moins long entre les opérations.

Entre temps, on a allumé le four ; plusieurs fois on y a entonné les fagots de bois sec.

Les plaquettes ou tourtière ou platine ont été graissées ; la pâte y est présentée. D’une main légère, la bonne fermière la régularise, passe le rouleau sur les bords, dispose de-ci de-là sur la surface de petits paquets de beurre manié de sucre, cristallisé, enfin, au moment d’enfourner, avec une grande poche (ici, on n’a jamais appelé autrement les louches) elle verse dessus la farce qu’elle a encore bien remuée auparavant pour lui assurer une parfait homogénéité. Notez que plusieurs personnes étaient occupées à cette fabrication : l’une enfournait sur la longue pelle de bois les tartes que l’autre y avait déposées et qu’une troisième emplissait de farce, juste au moment de l’engouffrement.

En une demi-heure environ, le four avait donné à chaque petit chef-d’œuvre une cuisson, un doré, que nos fours de cuisinière ne sauront jamais obtenir avec cette régularité, ce « juste à point » si difficilement réalisé.

Mangée toute chaude ou froide, ou tiède, c’était un délice !

Je dois ajouter qu’ici au village, plusieurs personnes chauffaient le four à l’occasion de la fête, il y a quelque trente ou quarante ans. Maintenant, c’est fini ; seule, Madame Merlin qui est âgée aujourd’hui de 76 années l’a encore fait il y a dix ans.

 




Bonus




 

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