La
soupe aux choux et la potée champenoise
Ce n’était pas un plat bien compliquée à faire, il
représentait un avantage pour la ménagère : une fois mis en route, elle
pouvait aller faire « ses ouvrages pa’la cour » sans soucis. Le pot,
soit pendu à la crémaillère, soit posé en avant de l’âtre, devant sur les
braises, cuisaient tout doucement et ne demandait plus aucun soin. Cette potée
était la base de la nourriture rurale de cette époque.
Il fallait, la veille, mettre un morceau de porc salé, dans
un seau d’eau froide, pour que, durant toute la nuit, il perde, petit à petit,
la plus grande partie de son sel.
Dès le matin, la fermière a mis le morceau à dessaler dans
un pot de terre rempli d’eau froide. L’eau s’échauffe lentement et il faudra
écumer avant l’ébullition. Pendant ce temps, notre Louise épluche un ou deux
poireaux (autant de feuilles vertes que de blanc, il ne faut rien perdre)
quatre ou cinq carottes, deux navets (en hiver, on les remplace facilement par
du chou-navet, de l’espèce appelée aujourd’hui : rutabaga). Ici, on
ajoutait encore un panais (pour son parfum, surtout car ce légume a une saveur
très particulière que beaucoup de personnes n’apprécient pas). Et lorsque l’eau
bout, débarrassée de son écume, on y plonge cette première fournée de légumes,
et on laisse cuire tranquillement… une heure et demi ou deux heures pour le
moins !
Revenue de ses travaux de la basse-cour, la fermière peut
alors penser à la deuxième série : chou et pommes de terre. Un beau chou
bien pommé dont on épluche et ôte les premières feuilles vertes :
celles-ci seront utilisées néanmoins ; mais la pomme du chou ne sera pas
détaillée : seulement coupée en deux pour être plus facilement débarrassée
de son trognon, elle ira dans le pot, accompagnée des grosses feuilles du tour
un peu broyées dans les mains ; de nouveau , au moins une bonne heure de cuisson ;
là, notre cuisinière va vérifier la cuisson de son salé : il est probablement
à point ; elle l’enlève donc sur une assiette, et le remplace par quelques
pommes de terre… : non pas des pommes de terre à fricot, qui, dans ce plat
se montreraient trop fermes et mêmes dures ; mais plutôt des espèces
champenoises : Beauvais ou équivalentes ; il s’agira de surveiller
leur cuisson car, celle-ci atteinte, le tubercule se déliterait facilement.
Cuites à point, elles seront veloutées et s’écarteront en croulant sous la fourchette.
Cette fois, tout est fini, on peut servir.
D’abord, dans la soupière, la ménagère a coupé de larges
tranches de ce gros pain de ménage fariné, bien en mie. (Où sont nos baguettes
et flûtes modernes ?) Sur ces tranches, avec la poche, elle verse le
bouillon de cuisson aux larges yeux.
Puis dans un plat, elle dispose les légumes et couronne le tout du
morceau de salé remis à doucir quelques instants pendant qu’on dégustait la
soupe aux choux. Le lard rose tremblote.
Le fumet emplit toute la cuisine. Mais où sont les potées
d’antan ?
La
daube de Clérey
La daube était de consommation courante. Elle constituait le
plat de résistance des repas d’enterrements. Quand un malade sentait ses
dernières forces l’abandonner, il disait volontiers aux membres de sa famille
et à ses amis : « Ah ! je vous ferai bientôt manger de la
daube ».
Préparation :
Le boucher livrait des petits morceaux de bœuf qu’il coupait
selon ses disponibilités, dans la viande de première ou de deuxième catégorie
qui n’avait pas été utilisée pour des rôtis ou des braisés.
On faisait revenir ces morceaux dans une cuillerée de
saindoux et quelques lardons ; on retirait ces derniers quand ils avaient
rejeté toute leur graisse ; on versait une petite quantité d’eau et un bon
verre de vin blanc du cru, (à cette époque, la vigne était cultivée à Clérey).
On ajoutait tous les assaisonnements : sel, poivre, oignon entier (qu’on
retirait avant de servir), ail, échalote, clou de girofle (important), thym,
laurier, persil. Si la saison s’y prêtait, on n’oubliait pas les champignons.
La daubière, placée sur un brasier tiré du foyer et amenée
sur le devant de l’âtre, était alors soigneusement fermée à l’aide d’un
couvercle garnie de braises ardentes. Feu dessous, feu dessus, la viande
cuisait doucement, « à l’étouffée », laissant échapper son jus.
Elle mijotait longtemps (3 à 4 heures) pendant lesquelles on
découvrait la daubière le moins possible, seulement pour surveiller le niveau
de la sauce et goûter si elle était à point. Quand la cuisson était à peu près
terminée, (une fourchette enfoncée dans un morceau renseignait la cuisinière),
on réduisait l’ardeur du brasier jusqu’à l’heure du repas.
La cuisson lente et le minimum d’évaporation donnaient à la
daube une saveur particulière.
A Rumilly, Madame Caillet fait encore la daube ainsi que
ci-dessus. A peu de détails près, sa recette est la même que celle de Mademoiselle
Breton
« Je mets la coquèle sur la table, [une coquèle en
fonte à trois pieds, avec un manche] je dispose au fond un lit de lard, puis un
lit de viande coupée en morceaux ; j’ajoute un tout petit lit de beurre,
puis du sel, du poivre, de l’oignon, de l’ail et un bouquet de laurier et de
thym.
Je bouche et transporte mon récipient devant le feu. Sur le
couvercle de la coquèle, je verse de l’eau. Je laisse cuire à feu doux pendant
trois heures au moins ».
Une
friandise bien champenoise : La galette en fromage
C’était la friandise traditionnelle offerte aux amis ou
savourée en famille, lors de la fête patronale, ou fête votive du
village ; elle a lieu ici le premier dimanche d’aout, l’église étant
dédiée à Saint Pierre-es-liens.
Il faut dire qu’il y a 60 ans seulement, rares étaient chez
nos paysans, les desserts et autres gâteries ; quand on cuisait le pain
[car au début de ce siècle, on cuisait encore le pain dans de nombreuses
familles] la ménagère ajoutait à la fournée, une ou deux galettes de pâte à
peine différente de celle du pain, garnies de fruits ou de sucre. Mais la fête
du village était l’occasion de chauffer le four pour bien autre chose que la
cuisson du pain. Chaque maitresse de maison préparait une tournée entière de
galettes : sucrettes, « tartes en cerises » ou « en
prunes », mais surtout les célèbres « galettes en fromage ».
La semaine précédente, la ménagère avait mis suffisamment de
lait « en » présure ; le fromage obtenu est mis à égoutter dans
des éclisses pour que s’échappe le lait clé,
car le matton doit être bien sec. Elle avait mis d’autre part dans de
grandes jattes ou des pots de grès posés au frais dans l’entrée de la cave ou
dans la fromagerie, du lait de ses godines, trois ou quatre jours après, la
fermière a levé sur chaque récipient une couche épaisse de belle crème jaune,
onctueuse, grasse à souhait.
La veille de la fête, sur la table, elle verse la farine, y
fait une fontaine où elle fait couler du saindoux ramolli, de l’eau tiède et
salée. Du bout des doigts, elle délaye (elle dit détrempe) la pâte, mélangeant
légèrement ses ingrédients jusqu’à obtenir une grosse boule de pate mollette,
pas liquide, mais surtout pas trop resséchée.
Un linge dessus et repose toi une heure, petite merveille !
Pendant ce temps, la ménagère prépare sa farce : dans
un seau elle met les 3 ou 4 fromages bien égouttés, les broie avec la main, les
écrase, les réduit en gros grains ; puis elle casse là-dessus un œuf
entier, le mélange et deux, et trois, et dix et douze œufs disparaissent dans
le seau ! Je me rappelle ma surprise, lorsque j’arrivai à Torcy en 1919,
devant de tels préparatifs. Je croyais voir confectionner le repas de quelques
Gargamelle ou Grand-Gousier !
Le mélange œufs-fromage est maintenant homogène, mêlons-y du
sucre en poudre et de la crème ; remuons et brassons bien. Pas de vanille
ou autre parfum : nos produits de la ferme, purs et jaloux de leur saveur
personnelle. Les proportions de ces différents matériaux ? Je ne saurais
plus les dire avec précision : compter les œufs, cela se pouvait ;
mais pour le reste, ma belle-mère disait toujours : « je vois, je ne
pèse pas, je mets à lure-lure et
toujours plus que moins » (deux tournures de paroles de ce bon vieux temps
de sa jeunesse !). En tout cas, le résultat était délicieux !
Ceci terminé, il fallait revenir à la pâte : on l’étale
sur la table enfarinée, avec un rouleau de bois (ou encore une bouteille à
bière vide et farinée). De ses doigts habiles, la ménagère manie à petite
pincées, qu’elle dispose sur la pâte aplatie, une bonne quantité de beurre, sur
quoi elle replie sa pâte, les quatre angles venant se superposer au centre.
Elle renouvelle ce travail trois fois, avec un repos plus ou moins long entre
les opérations.
Entre temps, on a allumé le four ; plusieurs fois on y
a entonné les fagots de bois sec.
Les plaquettes ou tourtière ou platine ont été
graissées ; la pâte y est présentée. D’une main légère, la bonne fermière
la régularise, passe le rouleau sur les bords, dispose de-ci de-là sur la
surface de petits paquets de beurre manié de sucre, cristallisé, enfin, au
moment d’enfourner, avec une grande poche (ici, on n’a jamais appelé autrement
les louches) elle verse dessus la farce qu’elle a encore bien remuée auparavant
pour lui assurer une parfait homogénéité. Notez que plusieurs personnes étaient
occupées à cette fabrication : l’une enfournait sur la longue pelle de
bois les tartes que l’autre y avait déposées et qu’une troisième emplissait de
farce, juste au moment de l’engouffrement.
En une demi-heure environ, le four avait donné à chaque
petit chef-d’œuvre une cuisson, un doré, que nos fours de cuisinière ne sauront
jamais obtenir avec cette régularité, ce « juste à point » si
difficilement réalisé.
Mangée toute chaude ou froide, ou tiède, c’était un
délice !
Je dois ajouter qu’ici au village, plusieurs personnes
chauffaient le four à l’occasion de la fête, il y a quelque trente ou quarante
ans. Maintenant, c’est fini ; seule, Madame Merlin qui est âgée
aujourd’hui de 76 années l’a encore fait il y a dix ans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire