dimanche 14 juillet 2024

Églises à pans de bois en Champagne


CARACTÈRES GÉNÉRAUX

La Champagne compte dans ses régions Est et Sud quatorze églises ou chapelles construites entièrement en pans de bois et environ autant d’autres associant ce matériau à la pierre. Ces chiffres en font, bien avant la Normandie, le principal ensemble français d’églises en bois et l’un des tout premiers d’Europe occidentale. Mais l’essentiel tient à l’intérêt de ces édifices, remarquables non seulement pour des qualités d’authenticité et de fraîcheur attendues de construction rurales, mais aussi pour leur diversité, leur originalité, leur valeur monumentale et leur environnement souvent séduisant. Ces mérites s’observent surtout dans une douzaine d’édifices principaux, d’allure variée, mais sensibles à l’évolution générale de l’architecture et qui témoignent d’une utilisation savante et méditée des techniques d’édification en colombage.

Église de l' Exaltation de la Sainte Croix  de Bailly-le-Franc (10)


Marne et la Meuse, ont gêné l’exploitation touristique, mais elles bénéficient aujourd’hui de la proximité des lacs artificiels de Champagne humide et du Parc Naturel Régional de la Forêt d’Orient. L’intérêt des historiens et des amateurs ne s’est porté qu’assez tardivement sur ces curieux édifices. Le pan de bois ne présentait pas au XIXe siècle le caractère pittoresque qu’on lui a reconnu depuis, d’autant que sur la grande majorité des églises – à la notable exception de celle de Lentilles

église St Jacques et St Philippe de Lentilles (10)

il était soigneusement dissimulé sous un enduit à la chaux (remplacé au XXe siècle par un enduit au ciment encore plus ingrat) qui en dissimulait plus ou moins l’originalité de la structure. Ce n’est qu’en 1911, à l’occasion du Congrès archéologique de Reims, que parut, sous la plume de l’architecte Tillet, la première vue d’ensemble sur le sujet. La première protection au titre des monuments historique fut prononcée en 1921 et concerna la chapelle de Soulaines-Dhuys.

Chapelle St Jean de Soulaines-Dhuys (10)

De nos jours, sur les quatorze églises et chapelles en pan de bois, quatre sont classées, et cinq inscrites, sans compter les protections d’édifices mixtes. Une autre marque de l’intérêt croissant pour ces édifices souvent modestes fut la campagne de presse qui aboutit au remontage en 1970 de l’église de Nuisement sur les bords de la retenue du Der, sous les eaux de laquelle ce village devait disparaître. Dans les années 1960 débutèrent les restaurations visant à remettre le pan de bois en valeur. La traduction première de cette politique fut l’enlèvement des enduits extérieurs - que ne conservent plus guère à présent que deux ou trois églises - sans que l’on ait cependant d’indications précises sur la visibilité du pan de bois au moment de la construction. Un autre aspect spectaculaire de ces restaurations fut le dégagement de la structure intérieure, dans certains cas -tels Longsols ou Lentilles - totalement dissimulée jusque là sous de fausses colonnes ou de fausses voûtes. 

Église st Julien l'Hospitalier et st Blaise de  Longsols (10)


Dans un cas extrême – l’église de Mathaux -, la restauration alla jusqu’à la reconstruction totale, de 1983 à 1986, de la nef et du clocher qui la précède, emportés par une tempête peu auparavant.


Église st Quentin de Mathaux (10)


Les églises en bois de Champagne : géographie et datation d'ensemble

Les églises champenoises à pan de bois subsistant de nos jours s’étendent sur un arc de cercle de plus de 200 km menant des crêtes pré-ardennaises au sud-ouest de l’Aube, en passant par Vitry-le-François, Brienne-le-Château et Troyes.



Carte de 
localisation des églises et chapelles à pans de bois par rapport à la géologie champenoise.

Du nord au sud, plusieurs ensembles sont repérables. Tout d’abord, si l’on met à part la modeste église de Montmeillant, au nord de Rethel, un groupe argonnais aujourd’hui représenté, après plusieurs destructions, par les églises de Givry-en-Argonne, du Claon et du Chemin. L’essentiel commence, après le passage de la Saulx et de l’Ornain, dans le Perthois avec une série d’édifices assez modestes situés le long de la Marne (Bignicourt, Neuville, Moncetz) et de son affluent la Blaise (Arrigny, Sainte-Marie-du-Lac et Nuisement-aux-Bois). 


Église st Nicaise de Montmeillant (08)


Une insensible transition conduit dans la cuvette argileuse du Der, où s’élèvent les plus belles constructions : Drosnay 

Église Notre Dame de Drosnay (51)

Outines, Châtillon-sur-Broué, Lentilles et Bailly-le-Franc. C’est là, aujourd’hui, autour du lac du Der, le cœur de l’architecture religieuse en pans de bois. Au sud du Der, en position symétrique vis-à-vis du Perthois, une autre plaine alluviale, le Briennois, comporte plusieurs sanctuaires à colombage, dont Mathaux et Perthes-lès-Brienne. Puis s’observe une raréfaction. Toutefois quelques églises et chapelles en bois s’élèvent encore vers le Sud-Ouest, à proximité de la forêt d’Orient (Chauffour-lès-Bailly -  et jusqu’au pays de Chaource (Fays-la-Chapelle , Ervy-le-Châtel.

Église saint Marcel de Chauffour-lès-Bailly (10)

Église de la Nativité de la Vierge de Fays-la-Chapelle (10)

Chapelle saint Aubin - Ervy-le-Châtel (10)

Toutes les églises que l’on vient de citer appartiennent à la Champagne humide, longue et étroite (20 à 25 km de large) auréole d’affleurements de roches argileuses du Crétacé. Très particularisé, ce pays d’eau et de forêts est la terre d’élection de l’architecture religieuse en bois régionale, qui en est l’ornement le plus caractéristique et la plus belle expression. Les autres édifices n’en sont jamais éloignés, qu’il s’agisse des chapelles du Barrois calcaire de l’Aube (Soulaines-Dhuys, Colombé-le-Sec) ou surtout des églises de la plaine crayeuse, situées à l’ouest de la Côte de Champagne, dans des bas-fonds humides. Parmi celles-ci, il faut citer Longsols, construction de grand intérêt, et les sanctuaires s’échelonnant dans la vallée du Meldançon (Saint-Léger-sous-Margerie, Dommartin-le-Coq, Morembert.

Église st Léger de Saint-Léger-sous-Margerie (10)

Église st Martin de Dommartin-le-Coq (10)

Église st Jean-Baptiste de Morembert (10)

Cette localisation explique, comme on l’a toujours noté, la présence de lieux de culte en bois. Dans cette région de vastes forêts riches en bois d’œuvre – le vocable Der, racine du mot druide, signifie en langue celtique forêt de chênes -, le colombage a été jusqu’à la fin du XIXe siècle la technique usuelle dans l’architecture civile et s’est trouvé naturellement utilisé pour des édifices religieux. Cependant la majeure partie des églises de cette zone ont été construites en pierre, généralement aux XIIe –XIIIe siècles dans un style roman et de transition, ou au XVIe siècle en gothique flamboyant, ou encore au XIXe siècle. La question est donc de comprendre dans quelles circonstances les responsables ont choisi pour leur sanctuaire le procédé des pans de bois.Commençons par quelques données d’ordre historique. Ces églises furent élevées entre le XVe et le XIXe siècle : les plus anciennes Nuisement, Soulaines ne remontent pas au-delà de 1480 et les dernières construites furent celles de Fays-la-Chapelle en 1828 et de Givry-en-Argonne (1829-1835). Durant cette plage quadri-séculaire, la grande période de construction s’étendit, comme l’ont montré les résultats de la dendrochronologie pratiquée sur une douzaine d’édifices, des années 1480 au milieu du XVIe.

Un premier commentaire s’impose : ces édifices, qui ne sont pas de haute époque, s’interprètent en majorité, au moins pour la catégorie principale des églises paroissiales, comme des reconstructions de bâtiments antérieurs, datant vraisemblablement de la structuration du réseau paroissial aux XIIe et XIIIe siècles. Ces bâtiments d’après l’an mil avaient dû souvent être édifiés en bois, puisque aucune église actuelle à colombage ne semble – en l’état des connaissances– avoir succédé à un édifice de pierre. Le fait, démontré à Nuisement, est probable à Outines, où les récents travaux de restauration, ont surtout mis au jour, parmi les pierres d’assise, des fragments de dalles funéraires. 

Pourquoi ces reconstructions ?

L’explication majeure semble être d’ordre démographique, plus des trois-quarts des églises en pan de bois subsistantes ayant été édifiés sous les règnes de Charles VIII, Louis XII et François Ier : or c’est une époque de paix intérieure dans le royaume, qui prend fin avec les dévastations causées en 1544 dans la vallée de la Marne et ses abords par la guerre entre François Ier et Charles Quint. Mais précisément les constructions s’arrêtent après 1540, du moins pour s’en tenir aux églises aux bois bien datés, et l’on ne constate plus ensuite, durant la 2e moitié du XVIe et tout le XVIIe, que des reconstructions partielles, conséquences des guerres (Arrigny) ou du mauvais entretien des bâtiments. Par contraste avec la longue période de troubles et de calamités qui l’a précédée – Grande Peste, Guerre de Cent Ans, comme avec celle qui l’a suivie – guerres civiles de religion puis de la Fronde, guerres étrangères avec la maison d’Autriche – la fin du XVe siècle et le début du suivant furent vraiment en Champagne un temps de Renaissance à tous les sens du terme – humaine, économique et artistique. On le savait déjà, s’agissant de la floraison d’églises en pierre, de vitraux et de statuaire, on en a désormais aussi la preuve pour les édifices, plus modestes, en pan de bois.

Ceci précisé, comment expliquer la présence de sanctuaires en bois dans certains villages ?

Les églises en bois : les raisons de leur édification

Le choix de ce matériau s’imposa pour certaines catégories de lieux de culte. Négligeons les édifices provisoires, attestés pourtant à Vitry-le-François, où la première église construite lors de la fondation de la ville et consacrée en 1557 était en bois ; elle fut démolie fin XVIIe, vu l’avancement de la grande église de pierre commencée en 1629. Le pan de bois a été largement employé pour les chapelles, dont bien des types apparaissent dans notre relevé : chapelles de faubourg urbain (Saint-Gilles à Troyes), de prieuré bénédictin (Villemaur, Passeloup à Saint-Dizier), de grange cistercienne (le Cellier de Colombé-le-Sec, Saint-Fiacre de Ponthon à Nuisement-aux-Bois), de maladrerie (Soulaines - Ervy-le-Châtel), d’ermitage (Montier-en-Der), de pèlerinage (Boulancourt, Auxon, Bar-sur-Seine), de dévotion ajoutée à une église en pierre (Thonnance lès-Joinville). À l’évidence, la rapidité et le faible coût de construction du colombage l’ont favorisé pour cette catégorie d’édifices.

Le Cellier aux moines à Colombé-le-sec (10)

Les caves du Cellier aux moines

La situation de certains de ces petits sanctuaires à la périphérie de la région, là où le pan de bois est resté exceptionnel (Vallage, Barrois, Othe), suggère que les nombreuses chapelles existantes aux XVIe et XVIIIe siècles en Champagne du sud étaient très généralement en torchis, et aussi qu’il s’en trouvait bien d’autres de ce type en France septentrionale.

Le colombage se justifie plus difficilement dans le cas des églises paroissiales, en raison de la tendance ancienne du clergé, s’appuyant sur la tradition biblique, à considérer la pierre comme le seul matériau digne d’un grand lieu de culte. L’explication classique, celle de la pauvreté des communautés villageoises ayant fait ce choix, s’impose parfois : pour de petites paroisses, surtout pour des hameaux tard érigés en unités autonomes, le bois a été le seul moyen de posséder un sanctuaire. L’on songe à une équation récemment réexprimée à propos de la province allemande de Hesse : la carte des églises en bois révèle une géographie de la misère. Mais cette interprétation n’emporte pas l’adhésion. La Champagne humide, notamment dans sa partie relevant de l’ancien diocèse de Troyes, ne peut passer pour une zone économiquement déprimée : pour garder un même critère, on y découvre des édifices romans et flamboyants d’une particulière ampleur. Surtout, nombre des églises en bois sont des constructions importantes et soignées, dont le coût n’a pu être négligeable, et certaines se dressent au sein de villages aussi peuplés que d’autres pourvus de grandes églises en pierre. La pauvreté ne saurait tout expliquer.

Église st Didier de Villiers-le-Brûlé (10) (Choeur en pierre, nef en pans de bois)

Il faut plutôt chercher dans le domaine de l’organisation et de l’administration paroissiales. La grande majorité des églises en bois relevaient de deux situations institutionnelles spécifiques. Plusieurs d’entre elles – ainsi Lentilles, Outines, Bailly-le-Franc et presque toutes les églises du diocèse ancien de Châlons en Champagne – étaient des succursales rattachées à une paroisse mère. On pressent que lorsque l’église de plein droit avait été reconstruite, les établissements religieux responsables en tant que décimateurs d’une partie au moins des édifices aient hésité à engager des grosses dépenses pour les annexes. Un exemple : l’abbaye de Montier-en-Der disposait de la cure de Montmorency-Beaufort et de ses annexes de Villeret et de Lentilles. Ces trois églises furent reconstruites à la même époque (début du XVIe siècle), Lentilles ne l’étant qu’en bois, probablement pour ne pas peser sur le budget du monastère au profit d’un district déjà bien pourvu.

Seconde situation, que l’on constate à Drosnay, Châtillon-sur-Broué, Saint-Léger-sous-Margerie, Perthes et Longsols, celle des églises dont le décimateur était le curé du village lui-même. Or la reconstruction des églises paroissiales en Champagne méridionale fut généralement assurée par les établissements religieux : l’abbaye de Montier-en-Der fit réédifier en pierre vers 1500-1550 les choeurs et les transepts de plus des deux tiersde ses églises du diocèse de Troyes. Il est possible que les curés responsables aient été incapables d’assumer à eux seuls les frais d’un édifice en pierre. Là encore un cas peut en témoigner : l’église de Hancourt, dont le desservant était seul décimateur, fut commencée au début du XVIe siècle avec choeur et transepts ; même réduite peu après à un schéma rectangulaire, elle ne put être ni voûtée ni terminée en pierre, un grand mur en bois fermant hâtivement au Nord le bâtiment. De telles mésaventures ont dû faire réfléchir : en cas d’incertitudes financières, mieux valait choisir d’emblée une église en bois qu’un édifice de maçonnerie menacé d’inachèvement.

Ces observations, qu’il faudrait établir définitivement par une étude sur les modalités d’édification des églises dans les diocèses anciens de Troyes et de Châlons-en-Champagne, font mieux comprendre comment le pan de bois a pu être retenu pour la construction de sanctuaires paroissiaux jusque dans des villages relativement importants. Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle environ, comme on le verra, que l’enrichissement et l’ouverture des campagnes, le dégagement d’une élite rurale et les exigences d’un clergé confronté à des problèmes nouveaux feront apparaître comme peu acceptable le colombage. Avant cette date, le pan de bois fut sans doute considéré comme une solution normale, dès lors qu’une raison empêchait de bâtir en pierre. Enfin, dans ces conditions qui ne furent pas de véritable pauvreté, ont pu être construits des édifices vastes et élégants, capables de rivaliser quelquefois avec les sanctuaires en pierre ou de s’inspirer de leur architecture. En particulier il est clair que, loin d’avoir été dressés par les paroissiens eux-mêmes, ces églises furent l’oeuvre d’entreprises spécialisées, comme l’attestent, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les plus anciens documents disponibles. Ces mêmes équipes construisirent les maisons bourgeoises et les halles marchandes de Troyes et des villes environnantes : ce sont ces bâtiments de qualité, et non pas les constructions rurales environnantes, qui constituent les véritables correspondants des églises champenoises à pans de bois.

Solutions architecturales et procédés de construction

Les églises en bois de Champagne varient quant aux dimensions, au plan et à l’allure d’ensemble. Commençons par quelques traits généraux. Ces édifices souvent de grande taille pour des édifices ruraux – généralement plus de 20 m de long, et plus de 30 m à Outines et à Drosnay – se caractérisent par leur volume allongé, leur importante surface au sol, à la différence par exemple des temples allemands de Hesse, plus ramassés. Le principe du vaisseau unique, habituellement terminé par un chevet plat, fut retenu pour les chapelles ou quelques paroissiales : Montmeillant, Nuisement, Morembert, Le Chemin, etc. – mais ces deux dernières n’ont-elles pas d’abord été des chapelles ?

Cependant la formule reine est celle de la nef à bas-côtés terminée par un choeur et une abside à pans coupés. Un transept s’intercale parfois entre nef et choeur (Longsols, Outines, Mathaux, et Dommartin-le-Coq. La construction se complète d’éléments secondaires : porches établis le long des façades et quelquefois habilement intégrés au bâtiment, clochers dressés au milieu de l’édifice et constitués de flèches octogonales aiguës souvent sur base carrée. Mais la définition du volume vient surtout du type de couverture : il peut s’agir d’un ensemble articulé de trois toitures, la principale sur le vaisseau central et deux petites en appentis sur les bas-côtés, ce dernier système permettant l’éclairage direct de la grande nef par des fenêtres hautes. D’autres fois on rencontre une grande couverture unique à double rampant, mais on verra plus loin que ce dispositif est souvent une transformation du précédent.


Longsols : Charpente de la croisée du Transept et du Choeur

Il ne peut être question d’entrer dans le détail des techniques de construction. Rappelons seulement quelques points essentiels. Toutes ces églises sont bâties selon la technique du pan de bois, dite aussi du colombage ou localement du torchis. À la différence des églises de Scandinavie ou d’Europe orientale, le bois n’intervient que pour l’ossature, les éléments de remplissage ou de couverture étant constitués d’autres matériaux. De l’ossature en bois, les pièces principales, dans le cas d’une église à nef unique, sont :

    • la poutre principale inférieure, ou sablière basse, reposant sur un muret de pierre qui empêche la remontée de l’humidité
    • les poteaux verticaux qui montent depuis la sablière basse, délimitent les travées et portent la charpente
    • les autres pièces horizontales, entretoises - en nombre variable selon la hauteur du bâtiment – et sablière haute articulée sur le poteau d’ossature et l’entrait de la charpente.

Le cadre ainsi formé est renforcé par des pièces secondaires verticales (tournisses) ou inclinées (décharges), celles-ci pouvant être assemblées en croix de Saint-André pour former un motif décoratif d’un bel effet. Ces pièces de bois sont en chêne et de dimensions restreintes : 30 à 40 cm de côté pour les sablières, 25 à 35 pour les poteaux et entretoises, 15cm pour les écharpes et décharges. Dans les intervalles entre les pans de bois – où trouvent également place les fenêtres – est disposé le torchis, mélange de terre et de paille, maintenu par de courtes planchettes (palsans) coincées à force entre les faces latérales des bois. Les restaurations des années 1970-1980 ont parfois remplacé ce torchis par des briques creuses. Un mortier de chaux grasse est enfin appliqué des deux côtés du torchis. Dans les églises à bas-côtés, l’assise de pierre est rejetée en bas des murs extérieurs et la nef centrale est portée par deux files de poteaux portés par un dé de maçonnerie. Ces poteaux reçoivent les entraits des collatéraux, la sablière haute et les diverses entretoises, dont la plus basse détermine l’arcade de la nef.

Sur les murs ainsi constitués s’articulent les charpentes, presque toujours de type à chevrons porteurs, dite tramée, car les fermes avec entrait et poinçon alternent (à raison de une sur cinq en moyenne) avec les chevrons fixés sur des blochets. Une double sablière est portée par les entraits, mais les poteaux sont habituellement à l’aplomb des sablières intérieures, la sablière extérieure déterminant une avancée du toit qui protège les murs des intempéries.

Bras sud du transept - Église de Mathaux - détail du pan de bois

Sur un certain nombre de charpentes, aisseliers et jambes de forces, fixés d’une part sur les chevrons, de l’autre sur les faux-entraits ou sur les blochets permettent de poser une fausse voûte, soit en garnissant de torchis l’espace entre les chevrons – mise en oeuvre que l’on ne voit plus guère que dans la chapelle de Soulaines ou la nef de Chaufour-lès-Bailly – soit plus simplement en posant un lambris sur la face inférieure de ces pièces de bois. Ce dernier mode, que l’on observe encore dans quelques édifices (Le Chemin, Nuisement, par exemple) semble surtout se répandre au XVIIIe siècle (mais on le trouve à Dommartin-le-Coq, - dès le XVIe) et se trouve encore employé à Givry-en-Argonne en 1830. Dans l’un et l’autre système, restent surtout visibles poinçons et entraits, parfois moulurés. Parfois la pose de cette fausse voûte semble prévue – à voir l’extrémité moulurée des poinçons courts ou la face inférieure des sous-faîtières, destinés à rester apparents – mais ne fut pas réalisée pur une raison inconnue.

Chapelle st Jean - La fausse voûte du choeur - Soulaines-Dhuys

La pose d’un plancher se généralisa en effet progressivement, le cas le plus ancien se rencontrant sans doute à Châtillon-sur-Broué (poutres datées 1538). Il était destiné à cacher entièrement la charpente, laissant apparaître, selon les cas, soit l’ensemble des solives (mais ce ne semble être le cas que dans les restaurations modernes), soit seulement les entraits, ou bien encore masquant le tout sous un plafond en plâtre Saint-Léger-sous-Margerie. À Lentilles, le plafond porte en relief un motif en damier, mais ce souci décoratif reste une exception. L’autre type de charpente rencontré, minoritaire et surtout tardif sur les églises en pan de bois, est celui à pannes et à fermes, qui ne se prête guère à la pose d’une fausse voûte. On le rencontre pour la première fois à Morembert dès 1535 – mais ce n’est là qu’un édifice modeste – puis au XVIIIe siècle à l’occasion de réfection des charpentes, telle celle de Sainte-Marie-du-Lac, où l’on remploya les bois de la charpente précédente qui semble avoir été à chevrons porteurs, ou encore à Mathaux, sur la nouvelle église édifiée en 1760. À cette date, le système à chevrons porteurs est définitivement passé de mode.

Les éléments de couverture et de revêtement jouent un rôle essentiel dans l’allure extérieure des bâtiments. Les toitures débordantes, formant auvent, sont couvertes de tuiles plates, la tuile courbe « romaine », plus lourde mais autorisant des pentes de toit plus faibles, intervenant parfois sur les porches et bas-côtés, surtout dans l’Argonne et le Perthois, où il arrive qu’elle recouvre la nef elle-même (Givry-en-Argonne). L’ardoise est quant à elle réservée aux clochers. Sur les parois verticales, le pan de bois – souvent recouvert au XIXe siècle d’un crépi de sable jaunâtre, et au XXe de ciment, aujourd’hui systématique ment enlevé – peut rester apparent, mais une protection est nécessaire sur les parties exposées aux intempéries comme les façades Ouest et Sud. Furent souvent utilisés des esseintes ou bardeaux,écailles de bois de 6 à 20 cm de large clouées sur un support de planches, parfois taillées et rassemblées en d’heureux motifs décoratifs (Lentilles -, Mathaux -) ; moins coûteuses, les ardoises les ont souvent remplacées, notamment sur les clochers. Plus rustique est le voligeage, appelé localement tavillon, revêtement de planches généralement horizontales, clouées sur les poteaux et se recouvrant partiellement ; une baguette verticale, cachant les joints, en anime parfois la surface. Enfin le bardage de planches verticales se rencontre aussi parfois (Le Chemin).

Église de Bailly le Franc : les matériaux de revêtement de la façade occidentales montrent une grande diversité


Les constructions disparues

La trentaine d’églises en bois ne constitue qu’une partie – peut-être moins réduite qu’on ne l’a cru – de celles qui s’élevaient dans cette région il y a deux ou trois siècles : des recherches non exhaustives ont fait repérer vingt-huit églises disparues. Dans de nombreux cas la disparition s’explique par la destruction pure et simple de l’édifice, facilitée par la nature du matériau, sensible au feu et à l’absence d’entretien. Les guerres ont joué leur rôle funeste : l’église du Buisson brûla en 1914, Saint-Gilles de Troyes fut anéanti par un bombardement en juin 1940, et Saint-Nicolas du Bas-Village (à Vitry-le-François), si endommagé durant la Seconde Guerre mondiale qu’on la reconstruisit presque entièrement en pierre. Mais ces destructions touchèrent surtout la catégorie des chapelles, dont quatre à peine subsistent sur plus d’une douzaine connues. Le processus qui y mena se reconstitue aisément : la suppression des établissements religieux pendant la Révolution et l’effacement des cultes locaux ont entraîné l’abandon de ces lieux de dévotion et, à terme, leur inévitable démolition. Parmi les édifices conservés, deux sont encore menacés. La chapelle Sainte-Asceline de Boulancourt, centre dès le XVIe siècle d’un petit pèlerinage réanimé avec peine au début du XIXe siècle, n’existe plus, après démontage et transfert vers 1880 que sous la forme attristante d’une remise attenante à une ferme. La chapelle Saint-Aubin de la Maladrerie à Ervy-le-Châtel fut vendue en 1979 avec le terrain environnant à la municipalité, à charge pour celle-ci de procéder à une démolition qui ne fût heureusement pas mise à exécution. Souhaitons qu’elle échappe à celui de la chapelle Saint-Berchaire de Montier-en-Der, anéantie dans l’indifférence presque générale vers 1960, bien que protégée monument historique en 1947.

Seconde cause classique de disparition, la reconstruction en pierre : une dizaine d’exemples sont connus, concernant surtout les églises paroissiales et essentiellement datés du Second Empire, époque à la fois de prospérité et de changement dans les mentalités. C’est aussi à partir de cette période que se constate, dans l’architecture rurale, le premier retrait des techniques traditionnelles et le recours, notamment en façade, à des matériaux jugés plus dignes, la brique et la pierre. Toutefois ces réédifications paraissent avoir principalement touché des constructions modestes, comme ces sanctuaires d’entre Der et Perthois (Allichamps, Les Petites Côtes, Chantecoq, Champaubert) signalés comme petits et sans collatéraux dans les visites pastorales d’Ancien Régime. Les églises en bois spacieuses et de belle allure furent, semble-t-il, généralement épargnées.

Églises mixtes

Parmi ces églises en bois, une partie entre dans la catégorie des édifices mixtes, associant maçonnerie et colombage. Les limites de ce groupe ne peuvent être fixées précisément, tant on rencontre de cas de figures divers. Très nombreuses en effet sont en Champagne les églises en pierre comportant des parties secondaires - sacristies, tourelles d’escalier, pignons, et plus encore porches et clochers - à pans de bois. Une étude scientifique se devrait de les prendre en compte. Une mention spéciale est due à trois types de constructions où le bois intervient plus nettement dans la structure :

    • les églises de maçonnerie fermées par une façade en colombage, souvent pourvue d’un porche et sans doute considérée à l’origine comme provisoire : sont dans ce cas Moncetz-l’Abbaye, La Ville-aux-Bois et Barberey-Saint-Sulpice.
Église st Sulpice de Barberey (10)


    • les édifices dont les murs de maçonnerie anciens ont été complétés dans leur partie supérieure par des pans de bois. Ce procédé fut très utilisé dans le Perthois – où il se remarque également dans l’architecture civile – aussi bien sur les nefs (Écriennes) que sur des absides (Cloyes, Norrois, Saint-Eulien). A Favresse, les potelets assemblés en croix de Saint-André ajoutent une note pittoresque au-dessus d’une belle nef à bas-côtés du XIIe siècle.
    • les églises à murs de maçonnerie doublés intérieurement par des files de poteaux supportant la charpente. Trois églises de ce type sont connues dans la Montagne de Reims. Elles semblent plus rares en Champagne humide, sauf peut-être vers l’Argonne, où la nef centrale de Vanault-le-Châtel est bordée de poteaux de bois habillés de demi-cylindres de céramique donnant l’illusion de grosses colonnes, et où la nef de Verrières semble avoir fait l’objet d’un aménagement comparable.

Si ces trois types de constructions s’apparentent aux églises étudiées, elles s’en écartent par l’allure générale, et ne figurent donc pas dans notre inventaire.

À l’autre extrémité, si l’on peut parler ainsi, prennent place les églises où le bois domine largement, mais où la brique ou la pierre peuvent être présents pour deux raisons différentes : à Givry-en-Argonne, la façade en pierre, présente dès l’origine, cherche à cache le pan de bois du reste de l’édifice, ce qui est bien dans l’esprit de l’époque tardive où elle fut édifiée. À Faÿs-la-Chapelle, le cas semble identique, mais la façade en brique et pierre ne fut en fait ajoutée qu’une génération après la construction. On rejoint là le second cas de figure, encore plus fréquent : celui où la pierre et la brique ne furent introduites qu’à l’occasion de travaux de restauration de pans de bois abimés. C’est ce que l’on constate avec le pignon de l’église du Chemin ou bien avec le transept de celle de Perthes-lès-Brienne.

Reste une dizaine d’édifices véritablement mixtes, pourvus de parties en bois bien individualisées. Le fait marquant à leur propos est la prédominance de l’association d’une nef en bois à un chœur en pierre généralement plus ancien. Un bon exemple est l’église de Pars-lès-Chavanges.

Église st Hubert de Pars-lès-Chavanges (10)

L’explication de ce partage se situe sans doute dans la coutume de Champagne, qui plaçait les nefs sous la responsabilité des paroissiens, et les chœurs et transepts sous celle des établissements patrons et décimateurs. Le bois a donc été pour les communautés villageoises un moyen de compléter sans frais excessifs un sanctuaire déjà existant. La greffe des deux parties n’est pas choquante et semble avoir été conçue pour durer si les volumes de la nef et du chœur sont assez comparables. Elle est moins naturelle lorsque, comme à Épagne ou à Villiers-le-Brûlé, la nef basse et sombre se greffe sur un chœur aux hautes baies munies d’un remplage soigné : on a particulièrement dans ce cas l’impression que le voisinage n’était pas fait pour se pérénniser et que la nef aurait été depuis longtemps reconstruite si les moyens de la paroisse l’avaient permis. Il faut enfin noter qu’il y a des contre-exemples à la partition nef en bois / chœur en pierre, tels Juzanvigny et Dommartin-le-Coq, où c’est la nef qui est en pierre et le chœur en pan de bois, ce qui laisse la porte ouverte à la recherche d’explications. Ces églises mixtes sont rarement des édifices importants. En-dehors de celles citées, trois surtout retiennent l’attention : Chauffour-lès-Bailly, avec sa nef unique élancée et sa voûte brisée en bois bien accordée aux parties orientales flamboyantes ; les édifices voisins d’Arrigny et de Sainte-Marie du Lac, avec leur vaisseau à trois nefs large et d’un type élaboré complétant un chevet des XIIe – XIIIe siècles. Les autres ne sont que des bâtisses simples, sans bas-côtés.

Église st Georges d'Epagne (10)

Église st Martin de Juzanvigny (10)

Il faut insister en effet, ne serait-ce que pour épargner au visiteur quelque déception, sur la qualité variable des églises champenoises en bois. À côté de constructions savantes et harmonieuses figurent des réalisations rudimentaires, des bâtiments quadrangulaires peu différents de l’habitat rural moyen. Les petites églises, d’ailleurs mixtes, de Bignicourt-sur-Marne, de Neuville-sous-Arzillières, de Villiers-le-Brûlé sont de ce type, comme celle de Morembert, plus intéressante cependant grâce à sa toiture à quatre pans, son joli clocheton et son site agréable. L’église de Nuisement-aux-Bois, justement sauvée des eaux du lac du Der, et à ce titre chère au cœur des amateurs, pourrait s’y rattacher : malgré ses dimensions supérieures, sa chapelle latérale, son porche et sa flèche sur base carrée, cet édifice peu élevé et aux pans de bois irréguliers reste d’un art sans recherche.

L’évolution des formes

On a déjà signalé que la grande campagne d’édification des églises en pan de bois de Champagne se situe entre 1480 et 1540. Toutes les constructions de ce groupe présentent, à quelques exceptions près, des caractères communs. Leur élévation présente trois degrés de plus en plus élancés et soulignés chacun par une couverture autonome : un étage inférieur surmonté et défini par les toitures jointives des bas-côtés et du porche, qui forment comme un soubassement continu au reste de l’édifice ; un étage médian, constitué par la haute nef étroite, le pignon de façade aigu orné d’une arcade en avancée et la grande toiture à pente rapide ; enfin une flèche pointue dressée au centre du bâtiment. Avec le pignon supplémentaire de son porche et les quatre étages de coyaux formant abat-son à la base de sa flèche, Lentilles représente l’accomplissement d’un type tout d’élancement et de finesse, et qui tranche à merveille sur les calmes horizons de Champagne. Ajoutons que, si le schéma d’ensemble – une haute nef dominant les collatéraux – est celui de bien des églises en pierre, l’emploi du bois donne à ces constructions un indéniable caractère sui generis.

Le pignon aigu protégé par une arcade en bois en plein cintre ou légèrement brisée se retrouve dans nombre d’églises flamboyantes du diocèse de Troyes, notamment sur les caractéristiques transepts à deux travées, et aussi sur les façades des maisons urbaines du XVIe siècle. En définitive, ces églises se rattachent, par leur élancement, à la tradition gothique. La forme de la charpente, à chevrons porteurs et double sablière formant avancée pour protéger les murs sont une autre caractéristique de cette génération.

Alors que certaines églises – Longsols, Bailly-le-Franc ou encore Lentilles – ont conservé jusqu’à notre époque leur silhouette originelle, d’autres ont connu des modifications plus ou moins importantes, que révèlent aussi bien les archives que la datation des bois. Ces modifications semblent pouvoir s’expliquer par trois raisons différentes. Celle à laquelle on pense en premier lieu est le besoin d’agrandissement du sanctuaire lié à un accroissement de la population. Ce fut vraisemblablement le motif de l’allongement, dans les années 1660, de trois travées de l’église de Nuisement qui n’en comprenait primitivement que deux, de l’ajout d’une travée à la nef de Lentilles (à une époque indéterminée) tandis qu’à Morembert, on se contenta, lorsque la chapelle devint au XIXe siècle église paroissiale, d’intégrer le porche à la nef. Les agrandissements d’édifices restèrent donc des cas isolés, sans doute parce que, lorsque le niveau démographique atteint dans la 1ère moitié du XVIe siècle fut de nouveau dépassé – soit au cours du XVIIIe siècle – on préféra généralement une reconstruction en pierre à l’agrandissement d’un sanctuaire en bois. Cela demanderait à être confirmé par de nouvelles recherches.

Un autre motif de modification de la silhouette des églises serait le souci de mieux éclairer la nef, soit en supprimant les bas-côtés Saint-Léger-sous-Margerie, soit en relevant le mur de ceux-ci (ce fut sans doute le cas à Sainte-Marie du Lac lors des importants travaux des années 1750). Une dernière transformation importante est la réunion des toitures de la nef et des bas-côtés, originellement étagées : on a de nombreux indices d’une telle modification à Outines comme à Drosnay (IA51000519), qui peut s’expliquer par des problèmes d’infiltration liés à la trop faible pente des toitures des bas-côtés. Ce genre de modification s’observe fréquemment sur les églises en pierre, et pour les mêmes raisons. En-dehors des modifications que l’on vient d’indiquer sur les constructions de la Renaissance, on rencontre, entre 1750 et 1850, de rares constructions neuves.

Les bâtisseurs s’éloignent alors des solutions traditionnelles pour s’inspirer de la grande architecture en pierre. La grande et basse église de Givry-en-Argonne (1829-1835) développe en des volumes géométriques trois nefs terminées par un chevet rectangulaire. Quant à Fays-la-Chapelle, son aspect cubique, son fronton et ses fenêtres rectangulaires (au chevet) la font davantage ressembler à une mairie qu’à un lieu de culte. Ces deux églises sont du reste précédées de façades en pierre ou en brique.

Il faut cependant signaler comme une intéressante adaptation aux canons nouveaux l’église de Mathaux, élevée en 1761 et heureusement reconstruite après le catastrophique effondrement de sa nef en 1983. En forme de croix latine, sans bas-côtés et peu élevée, elle étonne par ses hautes et larges fenêtres, par son transept très débordant – 22 m de profondeur contre 26 dans l’axe, et par sa haute tour sur plan barlong coiffée d’un lanternon, implantée sur la première travée de la nef. Plus rien ne rappelle les églises du XVIe siècle, caractérisées par les baies étroites, l’absence de transept ou leurs dimensions réduites et les flèches élancées placées vers le milieu des bâtiments. L’influence des édifies en maçonnerie se lit aisément, mais par la vigueur de ses formes, Mathaux est bien la dernière grande église champenoise à colombage.

Les aménagements intérieurs et leur évolution

L’étude des aménagements intérieurs et de leurs modifications successives est une des plus révélatrices, car elle renseigne sur l’appréciation portée au cours des siècles par les autorités paroissiales sur leur église en bois. On s’intéressera moins ici au mobilier, peu différent de celui des églises en pierre et qui sera évoqué dans les notices individuelles, qu’au décor et au revêtement des surfaces murales et éléments de structure.

Malgré la récente découverte à Lentilles d’un magnifique plafond de bois décoré de lattes disposées en losanges, il est probable que les arrangements originels étaient sommaires : parois enduites de mortier blanc, poutres – quelquefois moulurées – et piliers équarris laissés bruts. Nombre de nefs sont encore proches de cet état primitif. Deux éléments de décor, contemporains ou de peu postérieurs à la construction, méritent toutefois d’être mentionnés : tout d’abord les peintures décoratives – rinceaux, fleurs de lys - révélées par la restauration des années 1990 sur la voûte de la chapelle de Soulaines-Dhuys, ensuite les verrières Renaissance, à l’état plus ou moins fragmentaires, conservées, quant à elles, dans au moins six églises : Bailly-le-Franc, Drosnay, Lentilles, Longsols, Perthes-les-Brienne et Saint-Léger-sous-Margerie. Ces verrières s’inscrivent dans la très riche production des ateliers troyens au XVIe siècle, aux formes bien caractéristiques, en particulier dans la représentation de l’Arbre de Jessé de Drosnay, que l’on retrouve dans plusieurs églises de l’Aube. 

Tôt se généralisa la pose de boiseries murales, d’abord de style rustique, puis plus géométriques au XIXe siècle. Généralement les chœurs seuls firent l’objet de ces aménagements, qui occasionnèrent souvent la condamnation des baies basses, comme on l’observe à l’extérieur depuis le dégagement des pans de bois. Toutefois, un ensemble remarquablement complet existe à Drosnay où tout l’espace interne, du vaste revers de façade à l’abside, est recouvert de panneaux rectangulaires superposés, les poteaux de la nef se trouvant eux-mêmes habillés jusqu’au départ des jambes de force. La restauration récente du maître-autel a révélé la date de 1667. On notera aussi le bel ensemble d’autels-retables du XVIIe siècle de Longsols, dont la polychromie a été restituée il y a peu.

Cette manière élégante d’atténuer la rusticité des intérieurs parut insuffisante après 1850. Dans deux localités, de coûteux travaux furent engagés pour masquer les éléments structuraux. En 1861 à Outines, où les modifications accompagnant une restauration ne touchèrent que les nefs : au-dessus du vaisseau central, sous le plafond d’origine, fut jetée une voûte continue en planches, portée par d’imposantes colonnes en bois entourant les piliers. Entre celles-ci s’élevèrent des arcades brisées portées par des colonnes à chapiteaux. Les collatéraux firent l’objet d’un arrangement comparable. Restée nue et inachevée, cette décoration donnait à l’intérieur une curieuse atmosphère nordique. Plus énergique encore fut, en 1873, le nouvel aménagement de l’église de Lentilles, où l’on flanqua de colonnettes les poteaux, lança entre ceux-ci des arcades surbaissées et surmonta chaque travée d’une fausse voûte d’arêtes en plâtre, l’ensemble étant recouvert de peintures claires de style sulpicien. Après ces travaux, rien à l’intérieur ne distinguait plus l’édifice de l’église en pierre qu’auraient aimé posséder prêtre et paroissiens. La date de ces interventions est significative : c’est à cette époque qu’on couvrit d’un crépi la plupart des églises en bois et qu’eurent lieu de nombreuses reconstructions en pierre. La deuxième moitié du XIXe siècle apparaît comme l’âge critique des sanctuaires à colombage, celui des complexes et du dédain.


Choeur de Drosnay


Si le premier XXe siècle respecta les dispositions en place, la période actuelle fait au contraire preuve d’une grande activité. Dans bien des églises, les pans de bois ont été remis au jour, et les « cache-misère » du XIXe siècle enlevés. Ces initiatives inspirent des réserves, dans la mesure où les aménagements d’époque ne laissaient jamais ou presque le colombage apparent à l’intérieur. Mais reconnaissons que rien n’illustre mieux l’actuelle faveur pour les sanctuaires en bois que ce désir sincère de leur faire retrouver leur beauté d’antan.

LA DENDROCHRONOLOGIE

La datation par dendrochronologie (en grec, l'étude du temps à travers la croissance des arbres) de structures en bois, se déroule en plusieurs étapes.

1 - L'analyse de la structure

L'anatomie du bois est différente selon les espèces. Dans nos régions, le chêne est l'essence la plus utilisée en architecture (charpente, plafond, plancher, pan-de-bois, linteau...). Il fabrique de gros vaisseaux au printemps, puis une zone fibreuse en été. La croissance radiale cesse à la fin de l'été pour ne reprendre qu'au printemps suivant. L'ensemble du bois fabriqué au cours de la période de végétation est appelé cerne de croissance. Il en existe un par an.

Pour dater un édifice par dendrochronologie, on doit réaliser un échantillonnage représentatif des structures étudiées, afin que les dates obtenues soient extrapolables à l'ensemble des bois. Pour respecter les contraintes méthodologiques, chaque ensemble homogène – repéré en particulier au moyen des marques d’assemblages utilisées par les charpentiers - est représenté par un lot de 5 à 10 prélèvements livrant 50 à 80 cernes, de façon à assurer la sécurité du résultat de datation. Une partie des échantillons doit présenter de l’aubier pour assurer la précision du résultat. Ces 2 notions (sécurité et précision) sont indépendantes.

2 - Les prélèvements

Des carottes de bois sont extraites à l'aide d'une mèche montée sur une perceuse, en partant de l'extérieur de la bille (dans un angle de l'élément) et en visant le cœur de l'arbre. Le dommage occasionné reste limité à un orifice équivalent à un trou de cheville (diamètre de 25 mm).

3 - Acquisition des données en laboratoire

Cette étape consiste à mesurer la largeur des cernes annuels, pour obtenir une série de croissance radiale par échantillon. Celui-ci est placé sur un chariot qui défile sous une loupe binoculaire. Un logiciel spécifique permet alors la mesure des largeurs de cernes, au 1/100e de mm près.

4 - Datation

Construction des références

Le principe de datation par dendrochronologie repose sur le postulat que les arbres d'une même espèce et d'une même région ont un profil de croissance radiale similaire, influencé par des facteurs climatiques régionaux identiques. Quelques paramètres plus locaux peuvent cependant nuancer ce profil : les attaques d'insectes, le type de gestion sylvicole, la topographie, un microclimat...

Toute référence débute par l'étude d'arbres vivants. Il faut ensuite trouver des bois d'architecture qui ont en commun avec les arbres vivants une partie de leur croissance, dont les variations interannuelles sont semblables. Puis on remonte le temps en étudiant la croissance de bois provenant de structures de plus en plus anciennes.

Pour dater une structure, le même principe est utilisé. Les séries de largeurs de cernes obtenues sont comparées par paire. Une chronologie moyenne est ensuite calculée à partir des séries synchrones, puis comparée à un ensemble de références disponibles en base de données. Des tests statistiques permettent de juger objectivement de la qualité de la ressemblance entre la chronologie à dater et les références.

5 - Précision

Après synchronisation de la chronologie moyenne sur les références, une année de formation peut être attribuée à chaque cerne. La précision de la datation ne dépend alors que de l’anatomie du dernier cerne conservé sur les échantillons. Optimiser la précision nécessite donc que l’aubier n’ait pas été totalement détruit par le charpentier sur la pièce de bois travaillée et que les galeries d'insectes ne l'aient pas trop fragilisé pour qu'il soit préservé lors du prélèvement. Trois cas de figures existent (figure) :

    • Si la surface située juste sous l’écorce est conservée, l'année de formation du dernier cerne d'aubier correspond à celle de l'abattage de l'arbre.
    • Si l'aubier est incomplet, le nombre de cernes faisant défaut peut être estimé, à partir des résultats d'une étude, qui a montré chez les chênes que l'aubier comprend 21 cernes en moyenne et de 2 à 40 cernes dans 95 % des cas.
    • Si l'aubier est totalement éliminé, l'abattage de l'arbre est nécessairement postérieur à l'année de formation du cerne le plus récent, mais aucune estimation calculée du nombre de cernes perdus n'est possible.

6- Mise en œuvre des bois

Le développement des analyses par dendrochronologie en parallèle des études d’histoire de l’art, d’architecture et d’archéologie du bâti, permet de montrer que les arbres sont exploités dans l’objectif d’être mis en œuvre, dans une période d’une à quelques saisons, sans longue période de séchage. La séquence la plus couramment observée est l’exploitation des arbres au cours de l’automne/hiver, les bois étant disponibles dès le printemps suivant. Cette hypothèse est parfois étayée par des documents d'archives ou une date portée sur un bois. À partir du XVIIIe siècle, le charpentier a la possibilité d'acheter ses bois chez un marchand, qui constitue un stock sur plusieurs années. Dans cette configuration, les bois sèchent une à quelques années, avant d'être mis en œuvre.



Bailly-le-Franc







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