mardi 23 juillet 2024

Paysannerie au XVIIIe siècle

                  

La France du XVIIIe

Une cour de ferme - Nicolas Bernard Lépicié (1735-1784) Musée du Louvre - Paris

C’est encore une France essentiellement paysanne. L’ensemble des villes ne réunit que quelques 2 millions et demi d’habitants alors que la population rurale, éparpillée dans 44 000 communes, oscille, selon les auteurs entre 18 et 24 millions d’individus. Ces derniers chiffes laissent apparaitre un écart d’estimation considérable (6 millions de paysans « possibles ») par le fait que cette population comprend une frange mouvante de brassiers, journaliers, mendiants sans cesse en mouvement et difficilement quantifiable. D’autre part il apparait que si la démographie est en évolution constante depuis le XVIIe, sa courbe fluctue selon les lieux et les années. S’il y a 108 feux de recensés en 1709 à la Motte Tilly, soit environ 432 habitants, en 1723 il n’y en a plus que 68 (272 habitants estimés). En 1725 on trouve 93 feux dont 296 habitants assujettis à la gabelle mais, un an plus tard, en 1726, on retombe à 87 feux et 261 gabellants. Enfin, en 1790, on dénombre 489 habitants.

Cette population villageoise est fortement diversifiée. Les plus favorisés sont les fermiers nantis et les laboureurs qui possèdent quelques hectares de terre et des chevaux ; viennent ensuite les paysans avec quelques arpents de sol et quelques bêtes puis les paysans pauvres ayant au mieux une vache et des terres en louage ; enfin on trouve les journaliers, les brassiers et les mendiants qui n’ont, pour tout bien que leurs bras.

Chaque communauté s’organise autour d’une assemblée villageoise où chaque homme adulte a droit de vote, les femmes en étant exclues, sauf de rares exceptions. Cette assemblée élit un conseil, lequel désigne un chef de village. En fait, cette structure apparemment très démocratique, trouve vite ses limites car, en Champagne notamment le conseil décide presque toujours sans réunir l’assemblée villageoise. Quant au chef de village, choisi parmi les fermiers nantis - le choix est vite résolu -  il devient presque immanquablement le représentant du gouvernement car il est physiquement responsable de la communauté vis-à-vis du seigneur et ne tient nullement à rembourser les dettes de ses voisins ! Au contraire, son autorité peut lui permettre d’acquérir une certaine notoriété et, par là même, quelques avantages en nature ou en argent…

Il apparait présomptueux de prétendre expliquer cette vie paysanne pourtant peu éloignée de nous car, durant les deux siècles qui nous en séparent, l’évolution des mentalités et des modes de vie a été considérable.

 


Un Village de chaumières


Dans nos régions la paroisse et le finage se confondent. Le village est groupé près de son église mais il existe quelques écarts, fermes ou hameaux isolés. L’église a encore conservé dans l’esprit et dans la forme son sens latin d’assemblée, ecclesia. On s’y réunit parfois pour discuter des affaires à régler entre villageois mais, c’est plus fréquemment le cimetière, le clamard, qui sert de lieu de réunions et de discussions. Ce choix est dicté par une croyance qui veut que les démons affectionnent les lieux clos et y font dégénérer les entretiens. Le cimetière et l’église sont donc, par essence, des endroits privilégiés puisque consacrés et hors d’atteinte des maléfices.


Malgré les différences de classes que l’on peut observer au sein du village, la vie communautaire y est constante. On se prête, on s’échange des services ; en cas de besoin le village s’unira pour apporter son aide à l’un de ses paroissiens, que ce soit pour construire ou reconstruire une habitation ou pour effectuer des travaux de saisons qu’un villageois ne peut manifestement pas réaliser seul. Il va de soi que la dette ainsi contractée sera un nouveau lien qui retiendra le bénéficiaire et sa famille au sein de la communauté. Dette qui sera  « remboursée »  en nature par ledit bénéficiaire ou par ses enfants si celui-ci vient à disparaitre.

Celui qui refuse de participer à cette vie collective s’attire fatalement la vindicte publique. On le « met au piquet » et il ne lui reste qu’à s’expatrier. S’il s’y refuse, il risque d’encourir des voies de faits et le « sort » fera crever son bétail, ses champs deviendront stériles… seuls les plus riches pourront résister à cette haine mais une rivalité s’instaurera et, passant d’une génération à l’autre, elle risquera de poursuivre leurs noms… jusqu’à notre époque !

On conçoit que dans ce mode de vie, l’étranger, le horsein, soit particulièrement mal accepté s’il souhaite rester au village. On craint qu’il n’accepte pas la loi commune, qu’il soit inapte à rendre service et que de plus, en cas de disette, il apporte avec lui, des bouches inutiles à nourrir…

Le village est constitué de maisons qui s’échelonnent au long de la voie principale, l’habitation offre généralement sa façade au sud-est afin de profiter au maximum de  la lumière tandis que sa croupe reçoit les assauts du vent dominant et des pluies. Pour la construction on utilise la pierre dure du Nogentais en seuil. La terre sert pour élever les murs en pisé soit sous forme de  « briques » de terre crue  soit comme liant avec de la « caillasse », soit en torchis entre pans de bois. Les toits de ces chaumières sont en paille de seigle, le « glu ». Contrairement à ce qui se passe pour les riches demeures, on ne construit pas « pour durer » car on sait que les lendemains restent hasardeux. D’autre part le logement, tant pour les hommes que pour les bêtes, est évolutif. Si la famille ou le cheptel augmente, on rajoute « un morceau » à la masure. Inversement si la maisonnée vient à se restreindre, on laisse aller à l’abandon ce qui ne parait plus devoir servir.

Pour ces diverses raisons, les villages du XVIIIe, même lorsque les artistes les ont reproduits avec un certain « romantisme », ressemblent souvent à des « bidons-villes » !

L’intérieur de l’habitat est à l’image de sa devanture. La seule et unique pièce commune sert à la fois de cuisine, séjour et chambre. La cheminée en est le meuble principal. Pour le reste on se contente de coffres, de bancs et de châlits recouverts de paillasses. Seuls quelques fermiers nantis disposent d’une ou deux pièces supplémentaires mais ils font exception dans la majorité des villages.

Dans ces « foyers » de terre battue la vermine est omniprésente d’où la nécessité de pendre la nourriture aux poutres du plafond et de placer le pain sur une planche suspendue à des chaines.



Au XVIIIe il n’y a pas encore de four à pain individuel. On cuit au four banal et, bien entendu, on paie une redevance.

Le logement du bétail est fréquemment attenant au même corps de logis et il est courant qu’une porte permette de communiquer directement.

La récolte – ou ce qu’il en reste après les ponctions du seigneur, du curé et surtout des prêteurs – est mise dans le grenier, le sinot. Cette façon de faire économise la construction d’un bâtiment et procure en hiver une isolation non négligeable. Evidemment en cas d’incendie, c’est la catastrophe. Mais comme il n’y a généralement qu’un ou deux puits pour tout le pays, quelle que soit la disposition des lieux, le résultat reste le même… quand encore le « coq rouge » ne se propage pas à toutes les maisons placées sous le vent !


UNE VIE AU QUOTIDIEN



Approcher la vie paysanne au XVIIIe, c’est donner l’impression que l’on se trompe de siècle tant elle parait semblable à ce que nous pouvons connaitre du Moyen-Âge. Cette civilisation lente, empreinte d’habitudes « séculaires », de croyance dont le fond païen (du latin paganus, paysan) nous échappe, semble être restée hors du temps. Et pourtant ! Que de progrès elle a accomplis, sans tapager, sans esclandre et dans l’indifférence complète de l’Église et de la Noblesse : le cheval, a été doté d’un collier au Xe siècle, ce qui lui permet de tracter avec une puissance accrue, la charrue à soc est apparue du XIVe et a remplacé l’araire aux labours de surface, la vigne s’est étendue encore plus fortement en Champagne au cours du XIVe, l’élevage bovin s’est accru en Champagne humide dès le XVe, empiriquement les céréales ont été sélectionnées afin de ne plus trop perdre leurs grains à maturité…  C’est vrai qu’il faudra attendre la fin du XVIIIe pour que des Sociétés d’agricultures germent dans la « Haute-société », encore que nos illustres agronomes d’alors n’auront jamais fait que subir l’anglomanie du moment… Ils auront beau jeu ensuite de se plaindre que « la force des traditions communautaires empêche les progrès de l’agriculture », eux qui font ce « retour à la terre » parce qu’ils viennent de découvrir qu’elle pouvait être une remarque source de profits ! Entendons-nous bien : de profits pour eux, pas pour les paysans… !

Dans le calendrier paysan, la vie reprenait à la St Martin d’hiver (11 nov.). A cette date, les valets, les brassiers, les servantes se louaient pour une année sur les foires et les marchés. La coutume, qui s’est poursuivie jusqu’à la presque fin XIXe, voulait que chaque individu « bon à louer » orne son habit ou son chapeau d’une branchette de buis ou de houx et tienne en main un  outil attributif de sa fonction principale ; lorsqu’il avait trouvé acquéreur, il retirait son emblème végétal. Ceux et celles qui restaient en dernier n’avaient plus le choix de discuter peu ou prou leurs conditions d’embauche. Ils acceptaient l’offre – si mauvaise soit-elle – ou se retrouvaient à grossir la troupe des errants et des mendiants.

Dans toutes nos régions on pratiquait la jachère ou sombre. Tous les ans, environ un tiers des terres cultivables étaient mises en repos ; on y faisait un léger labour et on laissait la fiche reprendre ses droits. Un autre tiers était normalement cultivé et le dernier tiers, qui correspondait à la jachère précédente, était défriché et remis en culture. Cette façon culturale exigeait une rigoureuse discipline de tous les membres de la communauté car il fallait procéder chaque année à une redistribution des emblaves et des cultures de sorte qu’aucune des parties ne puisse être lésée. Ce système de rotation triennale réduisait considérablement la surface cultivable, mais il était indispensable à une époque où les engrais étaient inconnus et où la fumure était restreinte par suite du manque de bétail. Les difficultés même du transport de la fumure, à dos d’homme ou à la brouette, faute d’animaux de trait, la faisait réserver aux champs les plus proches du village, aux chènevières et aux accins (ce que l’on baptiserait aujourd’hui jardin potager). Au fur et à mesure qu’on approchait des limites du finage, les terres étaient donc de moins en moins productives. Ainsi, chaque commune était cernée par des savarts et des vaines pâtures où l’on menait paître les bovins et les moutons. Encore que, dans les années de sécheresse, les vaches devaient se contenter de brouter les bords des chemins car là où les troupes de « bêtes à laine » passaient, l’herbe était arrachée.


On peut voir sur de nombreuses gravures anciennes la représentation simultanée d’un laboureur, d’une herse, d’un semeur et d’un « roule-à-corde ». Il ne s’agit nullement d’un raccourci aimablement offert par l’artiste mais d’une triste réalité. La chasse étant interdite au manants, les oiseaux proliféraient et, ne craignant pas l’homme, se jetaient littéralement sur les grains à peine semés ; il fallait donc ameublir la terre, en brisant les mottes, semé et enfouir le grain avec le rouleau dans les meilleurs délais ; cette précipitation peut surprendre mais, il suffit de voir aujourd’hui dans nos région les nuées de mouettes  et de corneilles venir picorer jusque sous les roues des tracteurs en marche et entre les socs pour comprendre les dégâts causés par la voracité et l’audace des  charmants passereaux !

D’autres fléaux vivaient au ras du sol. Il y avait certes les lièvres et les garennes qui eux aussi se reproduisaient en toute quiétude, mais il y avait surtout les mulots, les souris et les rats des champs qui pouvaient, certaines années, dévaster et détruite toute une récolte. La seule arme dont on disposait était entre les mains du curé : on les excommuniait ( ?) à grand renfort de processions, de prières et d’incantations.

Alors que la fenaison s’effectuait à la faux, les blés étaient sciés, poignée par poignée, à l’aide d’une soye ou sèye, sorte de longue et fine faucille au tranchant dentelé à la façon d’une scie. Chaque manvée ainsi cueillie était soigneusement déposée sur un lien de paille. Les femmes et les enfants suivaient les moissonneurs. Lorsque les brassées étaient suffisantes, ils les liaient en gerbes qui étaient ensuite mises en tas. Ces tas, les truïots, contenaient de 10 à 13 gerbes dans le Nogentais. Une gerbe de chaque tas correspondait à l’imposition du clergé, une autre servait à pays le bail.

Alors qu’un faucheur pouvait abattre quelques 9 ares de champs en 8 heures, le moissonneur ne sciait guère que 3 ares dans le même temps. Cette façon de faire est née à la préhistoire où les première « faucille à blé » connues sont déjà constituées d’une lame de bois armée de dents de silex taillé. Elle tient essentiellement au fait que le blé est une céréale qui « perd » aisément son grain. Il faut donc manier précautionneusement les épis pour ne pas gaucher la récolte.


Pour pallier à ce défaut, de nouvelles variétés furent élaborées au XIXe. Cela permit d’utiliser une faux mais, là encore, une faux spéciale, équipée d’un harnais qui recueillait les épis coupés et les « posait » contre les épis debout, toujours pour limiter la perte des grains.

Les moissonneurs armés de la soye devaient travailler constamment courbés. Ainsi ils sciaient les pailles environ au 2/3 de leur longueur et laissaient de hauts chaumes. Le bétail était ensuite conduit dans ces éteules pour y paître.


On a fréquemment reproché au paysan du XVIIIe de laisser perdre cette paille de blé sans vouloir comprendre que, d’une part, il ne pouvait pas la couper plus rase de par sa position de travail et que, d’autre part, faute de prairies artificielles, il se devait d’y laisser paître les animaux. Comment pouvait-il, dans ces conditions, en faire de la litière qui, décomposée, aurait enrichi la terre ?

On conçoit que le faible rendement de chaque ouvrier obligerait à une main-d’œuvre importante. L’ensemble des paysans s’unissait pour moissonner à tout de rôle tous les champs du finage mais les plus gros fermiers devaient, de plus, embaucher des journaliers. Ceux-ci se louaient en familles. Hommes, femmes et enfants travaillaient aux champs mais seuls les hommes recevaient un maigre salaire.


Un chien mystérieux assurait, croyait-on la fertilité des blés. Cet animal fabuleux était censé vivre au milieu des épis. On moissonnait donc les champs de façon régulière afin que la câgne se réfugie dans le dernier bouquet d’emblave. Celui-ci était alors coupé solennellement, mis en gerbe, orné de fleurs et fixé à une branche d’arbre cueillie généralement à un noyer. Lorsque la dernière voiture gerbière quittait les champs on fixait cette gerbe à la corne de guimbarde et tous les paysans et journaliers suivaient en bandes joyeuses. Leur dur labeur était enfin terminé. Cette gerbe était ensuite réservée pour être mêlée à la future semence mais on en extrayait d’abord 7 épis que les jeunes filles tressaient en « bouquet de moisson ». Ce bouquet était offert à la Maitresse (femme du fermier) qui le conservait ou l’offrait, à son tour, à un paysan qu’elle voulait distinguer. La cérémonie se terminait par un repas pris en commun. Repas dont l’ampleur variait selon l’année et la générosité du fermier. Puis on dansait au son du violon, de la vielle eu de la cornemuse.

A cette époque – et jusqu’au XIXe siècle – le temps de travail était conditionné par la durée de l’ensoleillement. On se levait à la pointe du jour soit vers 4 heures du matin et on rentrait des champs avant la nuit soit vers 8h du soir en été. Bien entendu il s’agit d’heures « au soleil ». Aujourd’hui cela correspondrait à une journée d’été comprise de 6h00 à 22h00. Mais, comme on ne peut moissonner que lorsque la rosée est « levée », le travail ne pouvait donc guère commencer avant 7h00 du matin au soleil ; de même, le soir il fallait cesser l’ouvrage avant que « la fraicheur tombe » soit vers 7h00 du soir. Les paysans emportaient avec eux le « crapiaud » d’eau fraiche et la « bsace » contenant leurs repas. Ces repas étaient brefs mais fréquents. Il semble même que l’on commençait « à casser la croûte » dès l’arrivée sur le lieu de travail. Un premier arrêt avait ensuite lieu vers les 10h du matin. Pain et oignons crus constituaient l’essentiel du menu. A midi, la cloche de l’église annonçait la fin de la matinée. Chacun faisait sa prière puis on attaquait la soupe aux choux parfois mêlée de pois (haricots rouges) où trempaient quelques morceaux de lard (dans les bonnes années et chez les bons maîtres !). Le déjeuner pouvait se trouver amélioré par la cueillette de baies sauvages et par quelques escargots grillés sur un petit feu. Le travail reprenait avec une pause « casse-croute » vers les 4h de l’après-midi et se terminait aux environs de l’angélus du soir. 

L'Angélus - Jean-François Millet - Musée  d'Orsay - Paris

La prière faite on rentrait aussi vite que possible car on craignait d’être pris par la nuit « hors les murs ». Cette crainte de la nuit reposait en partie sur des terreurs légendaires mais aussi parce qu’une rencontre avec un groupe de malandrins restait toujours possible. Une autre soupe aux choux ou une « trempée au pain » terminait la journée et chacun allait dormir : dans son lit pour le paysan, pêle-mêle dans la paille pour les journaliers…

Le dimanche, jour du Seigneur, était obligatoirement chômé. Si les femmes se rendaient couramment à l’église, les hommes n’y allaient généralement que par obligation. L’Église interdisait d’ailleurs aux cabaretiers d’ouvrir leurs estaminets durant la messe pour ne pas inciter les paysans à s’égarer vers un autre « office ».

Au cabaret on buvait encore fréquemment à « l’escot », chacun payant sa part à une tablée commune et tous buvant au même pot, les gobelets d’étain ne se trouvant guère que dans les auberges. Il était de rigueur de remettre son couteau au tenancier en pénétrant dans les salles car on y buvait ferme et les rixes étaient fréquentes ; la violence était commune en ce temps et les discussions se réglaient couramment aux poings quand encore on ne se battait pas au bâton. En cas de mort d’homme la communauté se refermait sur elle-même et la Justice officielle ne trouvait nul témoin du drame. Cela ne signifie pas que les villageois « couvraient » les coupables mais au contraire qu’ils tenaient à faire justice eux-mêmes, selon la coutume, et sans avoir recours à une administration judiciaire étrangère et, par principe, contraignante.

Hors les beuveries, le dimanche se passait sur la place du village, soit en discussions, soit à jouer aux quilles ou aux boules champenoises, soit encore à danser. Encore que la danse était très mal acceptée par l’Église, qui voyait là une possibilité de débauches pour les deux sexes.

A cet égard, bien que certains auteurs supposent des mœurs plus « policées », il semble que la liberté entre garçons et filles célibataires soit encore très grande au XVIIIe siècle. Ce n’est peut-être plus la « débauche sexuelle » du XVIe, mais on ne se marie que très tardivement, souvent vers 25-30 ans et l’Église s’est vue contrainte de célébrer fiançailles et mariages à quelques jours d’intervalles – si ce n’est parfois la veille – pour éviter de reconnaitre trop de naissances « prématurées »… On peut donc penser que la liberté sexuelle est assez large dans le monde paysan et que les « remèdes de bonne fame » sont encore suffisamment bien connus et appliquée pour limiter les naissances hors mariage car les « filles-mères » semblent relativement rares à l’époque.

Les couples ont une progéniture importante, la femme ayant en moyenne un enfant tous les deux ans. Mais, près de la moitié de ces enfants meurent dans leur première année et une bonne part de ceux qui restent n’atteignent pas leur dixième année. Tout compte fait, on estime qu’un « feu » équivaut, en moyenne à quatre personnes (le couple et 2 enfants). Cette mortalité infantile importante est en grande partie due aux accouchements défectueux, aux maladies et accidents, à la malnutrition et au manque d’hygiène consécutif à la promiscuité et à l’exiguïté du logement.

LE PAYSAN

Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que les costumes provinciaux commenceront à se diversifier. Jusque-là le même type de vêtement se retrouve dans l’ensemble des régions situées au nord de la Loire.


Le simple paysan porte une chemise de gros chanvre au col lié d’un cordon, une culotte à pont ample, de grosse toile ou de gros drap et un chapeau à large bord. Il va souvent nu-pieds ou parfois chaussé de sabots, les jambes prises dans des canons ou des guêtres de toile. S’il est un peu plus riche il porte des bas et des chaussures de cuir à boucle. L’habit est complété par un gilet et une veste sur lesquels on met quelques fois une blaude ou roche de toile.

La paysanne porter également une chemise de chanvre dont le décolleté ample, retenu par une coulisse, offre la facilité d’allaiter l’enfant. Par-dessus elle met un ou deux cotillons de droguet ainsi qu’une cotte de drap retenue par un corselet lacé ; les plus riches remettent sur ce corselet un cochot de drap à larges manches. Un tablier de boura et un fichu de cou complètent l’habillement. La coiffe n’est encore qu’un petit bonnet de toile destiné à enserrer la chevelure. Peut-être encore plus souvent que l’homme, la femme va pieds nus. Ce n’est quère que pour « sortir » qu’elle enfile des bas de gros fil ou de laine et porte des sabots ou des chaussures de cuir. Bien entendu les « sous-vêtements » sont, à cette époque totalement inconnus tant pour les hommes que pour les femmes.

coiffe : le Toquat de Troyes

Le choix des teintures restent réduit pendant toute la première moitié du XVIIIe. Les toiles seront grèges ou bleues et les draps généralement brunâtres.

Ce n’est que vers la fin du règne de Louis XV que commencera à se distinguer une évolution du costume paysan. Elle conduira progressivement à la différentiation des costumes locaux dits « traditionnels ». Cette mode régionale ne vivra tout juste qu’un siècle et s’éteindra lentement à partir de 1850 pour céder la place à la « confection » industrielle.

En attendant, nos paysans d’aïeux dansèrent plus souvent en loques qu’en dentelles…

Pour la Champagne, nous n’avons trouvé que fort peu de documents concernant les danses paysannes au XVIIIe. Il y avait certes les contredanses mais elles furent surtout en vogue dans les gros bourgs. Il semble par contre que les branles dont nous avons déjà mention au XVIe siècle se soient continués dans nos villages. Nous n’en voulons pour preuve que le simple fait que certains de ceux-ci furent encore exécutés au début du XXe. Nous pensons pouvoir ajouter également à ce répertoire, les voltes dites ici rondanses et peut-être quelques danses du genre des chibrelis, devenues au XIXe, soyotes, ainsi que des avant-deux.

Cela peut paraître maigre eu égard au répertoire dit « folklorique » mais, il est important de savoir que la presque totalité des danses ainsi qualifiées ne datent seulement que de la seconde moitié du XIXe. Et un siècle, ça compte dans la vie d’un homme… 

UNE LENTE ÉVOLUTION


Dans le dernier quart du XVIIIe, un certain nombre de gros fermiers ainsi que quelques nobles commencent à se pencher sur le problème des rendements agricoles. Ils s’appuient sur les expériences réalisées en Angleterre. Comme le constatera Arthur Yong dans son voyage en France en 1787, il y a fort à faire. Les récoltes notamment ne rendent guère que le double de la semence !

Mais les efforts de ces nouveaux agronomes pour transformer les méthodes culturales se heurteront de façon systématique à l’inertie – consciente – du monde agricole.

Il faut, dit-on, augmenter le parc de chevaux. Oui ! Mais le laboureur est assujetti à une taxe par cheval. Il doit aussi rendre des corvées en proportion de ses animaux de trait et voit souvent ses meilleures bêtes réquisitionnées par l’armée. Conclusion : on préfère garder le vieux cheval.

Il faut créer des prairies artificielles de sainfoin et de luzerne. Oui, mais ces prairies paieront une dime égale à celle des terres à blé et ne rendront rien durant 3 ou 4 ans. Conséquence : on reste à la vaine pâture et à la jachère.

Il faut agrandir le cheptel bovin. Oui, mais la surveillance vétérinaire est inexistante et le paysan sait, empiriquement que s’il place trop de bêtes dans un même local, les épizooties vont le décimer rapidement. Conséquence : on garde la vieille vache.

Il faut augmenter les troupes de moutons. Oui, mais les brebis consomment de grosses quantités de sel et le paysan devra payer une lourde gabelle. Conséquence…

Les lumières du XVIIIe pourront toujours tonner contre la prétendue ignorance des  paysans, contre leur attachement incompréhensible aux méthodes ancestrales. Ils se heurteront toujours à cette inertie tant que le système fiscal ne sera pas modifié.

Par contre, lorsqu’une innovation n’entraine pas un risque d’imposition contraignant, le paysan en fait d’abord un essai timide puis l’adopte si les résultats sont bien ceux qu’il escompte. Il en sera ainsi pour les méthodes expérimentales du baron de Montyon en Brie où les cultures de la rave et de la betterave fourragère se développèrent. De même  les paysans commenceront à enrichi le col en azote en pratiquant « l’engrais vert » à partir de la culture des légumineuses.

A la même époque, on commencera à « chauler les grains » pour combattre les maladies telles que la nielle et la rouille. Ce traitement à la chaux garde cependant pour le paysan un relent de sorcellerie et, afin de se prémunir contre d’éventuelles « retombées diaboliques », il trace avec sa pelle de bois, une croix sur la semence traitée. Un geste que la tradition conservera jusqu’en plein XXe siècle.

 

Les glaneuses - Jean-François Millet - 1857 - Musée d'Orsay Paris

 

 

 

 

 

 

 

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