lundi 5 août 2024

Sainte Geneviève de Nogent

 

Sainte Geneviève de Nogent, la Vénus des Capucins




En 1632, Claude Bouthillier de Chavigny*, seigneur de Pont (sur Seine), Intendant des finances, fonda le couvent des Capucins à Nogent-sur-Seine (10).

Un jour, rendant visite à Mme de Bouthillier, les religieux remarquèrent, dans le parc du château, une splendide statue de marbre blanc représentants, d’après la tradition, Vénus. Loin de détourner les yeux, les religieux, dont le monastère construit depuis peu était dépourvu de statues de saints, trouvèrent à Vénus un certain air de piété et suggérèrent à Mme de Bouthilier, qu’après quelques minimes transformations, celle-ci pourrait devenir une Sainte Vierge très présentable, surtout si on lui faisait porter un enfant jésus dans les bras car ceci aurait l’avantage de cacher sa poitrine.

La femme de l’intendant se laissa convaincre et fit présent de sa Vénus aux Capucins.

L’Enfant Jésus fut fabriqué en plâtre qui, avec le temps, finit par devenir complètement gris, contrastant avec la blancheur du marbre.  Qu’importe, la piété et la ferveur étaient là. Vénus, devenu Vierge, passa tranquillement 150 ans au milieu des Nogentais ravis d’une si belle Sainte Vierge…Jusqu’à la tourmente révolutionnaire qui allait lui occasionner quelques ennuis…

En effet, en 1792, l’église du couvent ayant été réquisitionnée pour être un « Temple de Justice », on enleva l’Enfant Jésus devenu inutile pour le rôle que l’on voulait faire tenir à sa Mère et on mit, dans la main de celle-ci, une balance. Ainsi devenue symbole de Justice, elle fut placée à l’extérieur de l’ex-église saint Laurent.

L’ancien curé (1) reprenant ses fonctions passa à l’action. Voulant, sans nul doute préserver la statue de nouveaux avatars de la part des Républicains – Elle était très belle et faisait la convoitise de plus d’un – il décida de la transformer en Sainte Geneviève ! Pourquoi Sainte Geneviève ? Peut-être parce que cette sainte ayant sauvé Paris, obtiendrait sans doute plus de considération de la part des révolutionnaires…

En prenant son service chez les Capucins, Vénus avait gardé ses charmes, les moines s’étant contentés de dissimuler sa poitrine en lui faisant porter l’Enfant Jésus qui disparaitra ensuite dans la tourmente. Si une poitrine bien formée pouvait passer chez la vierge allaitant, cela était moins concevable pour une sainte Geneviève, du moins aux yeux du curé… En fait, il est probable que celui-ci désira transformer complètement la statue afin de la rendre méconnaissable car un personnage l’avait remarquée. Il est certain que ce fut lui qui inspira des craintes pour la statue : il s’agissait du conservateur du Musée des Monuments Français, Alexandre Lenoir, et celui-ci était bien décidé à se l’octroyer !

Pour faire oublier la Vénus-Vierge, et avoir par la même occasion une sainte Geneviève, le curé ne trouva pas d’autre solution que de lui faire disparaitre le plus possible certains aspects de sa féminité par trop reconnaissables. Il fit scier la poitrine et la chevelure puis il entoura la statue de chiffons et de rubans et la fit placer dans la chapelle de la Vierge. Cette transformation permit à la statue de rester dans l’église saint Laurent sans être inquiétée.

Par la suite, les chiffons furent remplacés par une coiffure et des raccords en plâtre ; puis, l’ensemble fut recouvert d’une couche de peinture grisâtre. Elle traversa ainsi sans encombre le saccage de l’église par les troupes ennemies en 1814 pour venir jusqu’à notre époque…

Aujourd’hui, sainte Geneviève est toujours à l’église Saint Laurent de Nogent-sur-Seine. Il lui manque un bras – en plâtre – perdu lors d’une chute malencontreuse. Elle est posée sur un plateau de bois, car on ne semble pas trop savoir où la mettre. Elle se trouve actuellement à droite en entrant par la porte Sud, et les fidèles et rares visiteurs passent devant sans connaitre son histoire peu banale ! Puisse-t-elle être bientôt réhabilitée et remise à l’honneur…

Cette anecdote est tirée des rapports d’Alexandre Lenoir, le conservateur du Musée des Monuments Français qui vint maintes fois à Nogent, au moment de la Révolution, en particulier pour faire effectuer le transfert des cendres d’Héloïse et Abélard, du Paraclet à Paris ainsi que pour la récupération du portique du cimetière de Nogent qui avait été accaparé par l’ex-intendant des finances, M. de Boullongne, pour son parc de la Chapelle-Godefroy.

Elle appelle plusieurs réflexions :

D’abord son caractère d’authenticité est indéniable. En effet, c’est au cours de ses déplacements dans la région que Lenoir a remarqué cette statue devant l’église du couvent des Capucins à Nogent.

Elle devait être très belle lorsqu’elle possédait sa chevelure et… ses avantages, et son intention était bien de la récupérer pour son musée.

Si Alexandre Lenoir fut parfois contesté pour ses erreurs d’attributions de certaines œuvres d’art, dans le cas présent, il ne date, ni n’attribue. Il se contente de décrire ce qu’il voit et de rapporter la provenance de cette statue. Il n’y a aucune raison pour que cette provenance du Château de Pont ait été inventée par des habitants ou d’ex-capucins.

En ce qui concerne les mutilations qu’il annonce, on constate après examen de la statue, l’exactitude de ses descriptions : des raccords de plâtre existent bien au niveau de la chevelure et, partiellement au niveau de la poitrine.

On sait par A. Lenoir que celle-ci était au château de Pont vers 1632. Aurait-elle été taillée en France, quelques années auparavant, dans un bloc de marbre qu’on aurait fait venir d’Italie, par un sculpteur épris d’Antiquité ? Ou l’a-t-elle été à une époque plus ancienne, celle de la Renaissance ?

Il se peut également que cette statue provienne d’Italie car, dès les premières expéditions de Charles VIII, les seigneurs français commencèrent à acheter et rapporter des Antiques de ce pays. Dans ce cas, son exécution pourrait être très antérieure. (2)

Le château de Pont (sur Seine) au XVIIe


Est-elle réellement vénus ?

Cette appellation ne repose apparemment que sur l’observation des Capucins de Nogent qui ont pu contempler cette œuvre, au XVIIe, dans le parc du château de Pont ainsi que sur les indications de Mme de Bouthilier.

Vénus est, à l’origine et dans la mythologie italique, déesse des jardins et des labours. Ce n’est que plus tard qu’elle sera identifiée à l’Aphrodite grecque dont elle prendra les légendes.

Cependant, cette statue pourrait aussi bien représenter Déméter, sœur de Zeus et de Poséïdon, ou sa fille Koé ou bien d’autres divinités. Il n’est que d’observer, à Rome, les sculptures antiques, pour s’en convaincre.

 

(1 (1) C’est A. Lenoir qui désigna ainsi le responsable de cette action mais il est probable que ce ne fut pas l’ancien curé, Antoine Hurant, qui à ce moment devait être interné. Il s’agissait plutôt de l’abbé Simonet qui s’était déjà opposé à Mesnard. Peut-être, est-ce aussi avec la complicité de l’ancien capucin Matras que la Vierge échappa aux recherches de Lenoir qui traita les « ravisseurs » de la statue de « Parti des Fanatiques ».

(2 (2) Il serait intéressant de rechercher dans d’éventuelles archives de la famille des Bouthilier, une indication sur l’origine de cette « Vénus ».

 

SOURCES


Inventaire Général des richesses d’Art de la France, Archives du Musée des Monuments Français, 2ème partie, année 1798.

Extrait de « Faits divers en l’église St Laurent de Nogent/Seine » par D. Prevot.

 

 

* Claude Bouthillier, né à Paris le 4 février 1581 et mort le 6 mars 1652, seigneur de Foulletourte et de Pont, comte de Chavigny, est un homme d'État français.

Le 4 décembre 1613, il est reçu conseiller au Parlement de Paris puis le 18 septembre 1619, il obtient un brevet de conseiller d'État et secrétaire de la reine-mère Marie de Médicis.

Les relations de son père, Denis Bouthillier sieur du Petit-Thouars et de Foulletourte, avec le cardinal de Richelieu, lui permettent de faire carrière. Du 29 septembre 1628 à mai 1629, il est secrétaire d’État à la Marine, puis, du 2 mai 1629 au 18 mars 1632, il est secrétaire d'État des Affaires étrangères. Il garde alors le même premier commis que ses prédécesseurs, Paul II Ardier. En 1630, il prend part aux négociations lors du traité de Ratisbonne. En juillet 1632 il est nommé intendant de la Maison du roi, et, cette même-année, conseiller au Conseil de la Marine. Il fut capable de rester en bons termes aussi bien avec la reine qu'avec le cardinal en dépit de leur rivalité. C'est lui qui présente Mazarin à Richelieu.

Du 3 avril 1632 à juin 1643, il est surintendant des finances en compagnie de Claude de Bullion et joue aussi un grand rôle diplomatique (département des Affaires d'Allemagne en compagnie du Père Joseph). Il est ensuite le seul titulaire de ces deux postes. Le 13 août 1632 il devient surintendant de la maison, affaire et finance de Navarre, le 13 août 1632, conseiller d’honneur au Parlement. De 1633 à 1640, il est chargé par Richelieu de missions secrètes en Allemagne qui mèneront à l'entrée de la France dans la guerre de Trente Ans. Il négocie en particulier l'alliance avec Gustave-Adolphe.

Son tact et son habileté lui confèrent une position d'influence unique à la cour pétrie de jalousie et d'intrigues. Il a la confiance du roi, est le confident de Richelieu, l'ami de Marie de Médicis, et au travers de son fils, Léon Bouthillier, devenu en 1635 chancelier de Gaston d'Orléans, il a aussi un pouvoir d'influence sur le prince. Il devient un médiateur inégalable et son influence personnelle, liée à sa double casquette aux finances et à la politique étrangère de la France, fait de lui l'homme le plus puissant du royaume après Richelieu.

En 1643, Richelieu fait de lui l'exécuteur de ses dernières volontés et Louis XIII le nomme membre du conseil de régence qui aurait dû gouverner après sa mort. Mais Anne d'Autriche en appelle au Parlement de Paris pour casser les dernières volontés du roi défunt. Devant l'hostilité de la régente à son égard, Bouthillier sera obligé de se retirer de la vie publique et d'abandonner son poste de surintendant des finances en juin 1643 au profit de Nicolas de Bailleul.

Il a fait construire par Pierre Le Muet dans les années 1640 le château de Pont-sur-Seine au lieu-dit Les Caves. Il est considéré immédiatement comme un des plus beaux bâtiments de France. Il a été incendié pendant la campagne de France, en 1814.

Il meurt à Paris le 6 mars 1652 et est inhumé à Pont-sur-Seine le 22 avril 1652 dans sa chapelle de l'église Saint-Martin dont il avait confié la décoration à Philippe de Champaigne.

En août 1606 Claude Bouthillier épouse Marie de Bragelongne, fille de Léon de Bragelongne, conseiller au Parlement de Paris, et de Guyonne/Eléonore de La Grange. Il est le père de Léon Bouthillier (1608-1652), comte de Chavigny. Marie de Bragelonne a assuré à Pont-sur-Seine l'éducation de sa petite-nièce, orpheline de mère en bas âge, Anne de La Grange-Trianon ; contre son gré (Marie envisageait la vie monastique pour sa jeune protégée), Anne épousera secrètement en octobre 1648 Louis de Buade de Frontenac (en fait, Anne était la petite-cousine de Marie de Bragelongne : car la mère de Marie, Eléonore/Guyonne de La Grange-Trianon était la fille de Louis de La Grange et la sœur d'Innocent de La Grange-Trianon, lui-même père de Charles de La Grange et grand-père d'Anne de La Grange-Trianon ; Trianon : à Luzarches et Epinay-Champlâtreux.

Ils fondèrent le couvent des capucins de Nogent (sur Seine) (Aube 10)

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