Pays
d’Othe – Saint Benoit sur Vanne
Au retour, Gengoult reprit tranquillement sa vie
dans son domaine, aux côtés de sa femme. Mais des bruits couraient dans la
région ; ils vinrent aux oreilles du seigneur, troublèrent peu à peu sa
quiétude, et, il en vient à perdre sa belle assurance et à se demander s’il
n’aurait pas été trompé. Pour s’en assurer, il s’en remit au jugement de Dieu.
Il emmena sa femme dans les champs, au pied du coteau et frappa le sol de son
bâton. Aussitôt une source jaillit. Il demanda à Ganéa d’y plonger le bras.
Celle-ci, sans méfiance, obéit à son mari. Horreur ! elle retira son bras
tout dépiauté, prouvant ainsi sa faute.
Gengoult, frappé de ce coup du sort, fut cependant
généreux. Il pardonna à sa femme, lui abandonna son château et une partie de
ses biens, et se retira dans un autre château près d’Avallon, à Annéot.
Ganéa aurait dû être touchée de cette bonté. Il n’en
fut rien. Elle vécut avec son amant et, sans doute pour pouvoir l’épouser, elle
médita la perte de son mari ; et, après avoir élaboré un plan minutieux,
elle envoya son amant au château avallonnais pour assassiner Gengoult. Ce qu’il
fit, et la légende se termine ainsi par un crime impuni.
A l’endroit où jaillit la fontaine miraculeuse, on a
construit une chapelle et la statue du Saint y figure à l’intérieur, au-dessus
de l’autel. Le saint est figuré à cheval et ce n’est pas sans importance, comme
on le verra plus loin.
La fête de St Gengoult a lieu le 2ème
dimanche de mai. Elle se faisait lors d’un pèlerinage où les pèlerins faisaient
provision d’eau de la fontaine, qui guérissait les fièvres et les maux d’yeux
des enfants. Lors du pèlerinage, les mères trempaient leurs enfants dans la
fontaine pour les préserver des fièvres.
Le culte et le pèlerinage ont disparu ;
toutefois, une fois l’an, en mai, le curé va dire la messe dans la chapelle. De
plus, vers 1942, M. Favin, originaire de St Benoist, entendit une vieille de 85
ans qui voulait mener ses petites-filles à la fontaine pour savoir si elles
seraient fidèles à leur mari.
La légende de St Gengoult, patron des maris trompés,
se raconte aussi dans les mêmes termes à quelque distance de là, à
Rouilly-Sacey près de Piney. On la rencontre aussi exactement semblable à la
fontaine de Choiseul-en-Bassigny (Haute-Marne). On la trouve à Wierres, dans le
Boulonnais où St Gengoult devient St Gandouf, ainsi que dans la Moselle, entre
Briey et Avril.
Le Saint est honoré aussi en Allemagne, en Belgique,
à Toul, à St Gengoux-le-National (Saône-et-Loire), sur les bords du lac Léman à
St Gengolph, àAbbeville où l’on voit une statue du Saint et de son épouse à qui
Gengoult fait subir l’épreuve du bras plongé dans la fontaine.
En Franche-Comté à Montgeroye, St Gengoult est aussi
le patron des cocus. Il avait été trompé, puis assassiné par son rival avec la
complicité de sa femme. Son corps faisait maint miracle ; aussi sa femme,
agacée s’écria : « Jour de Dieu, il fait des miracles comme je
pète ! ». A ce blasphème, une punition céleste s’abattit sur
elle : aussitôt qu’elle prononçait un mot, elle ne pouvait s’empêcher de
péter et, elle dut se réfugier dans un couvent où existait la règle du silence
absolu et elle y termina ses jours.
A Chassericourt, dans l’Aube, la légende est
différente. St Georges et St Gengoult cheminaient ensemble. Or, sur le finage
de Chassericourt, le cheval de St Gengoult mit le pied dans un trou, enfonça si
brusquement qu’il se cassa la jambe et l’eau jaillit. St Georges, qui ne s’était
pas arrêté continua jusqu’à Chavanges où il attendit son compagnon. C’est
pourquoi les deux églises sont dédiées, l’une à St Georges (Chavanges), l’autre
à St Gengoult (Chassericourt). Dans cette dernière existait une statue de St
Gengoult et de son cheval, celui-ci avec la jambe brisée. La fontaine ouverte
par le pas du cheval est une source pétrifiante, et elle guérissait, disait-on
les maladies de la peau (eczéma, écrouelles) ce qui marque le lien avec la
légende de Saint-Benoist.
A Bar-sur-Aube, le 10 mai, veille de St Gengoult,
patron des cocus, les gens allaient dans les prés chercher des fleurs jaunes
nommées « bassinets » et en faisaient des bouquets qu’ils allaient
attacher la nuit à la porte des maris trompés. (Revue des Traditions Populaires
-1899)
Si l’on s’en rapport à l’impression général donné
par ces légendes et ces traditions, il ne fait aucun doute que St Gengoult est
avant tout le patron des cocus, ce qui, dans l’hagiographie, lui donne une
place curieuse et probablement peu orthodoxe. Mai, si l’on y regarde de plus
près, cette interprétation facétieuse s’efface devant un fait plus
important : partout, dans ces légendes, l’eau jaillit miraculeusement et
une fontaine se crée sous les efforts du Saint et de son cheval.
Or, par deux fois, il nous fut bien spécifié qu’à
Courmononcle (St Benoit sur Vanne) on prononçait « Gengon ». A
Chassericourt également. Cela nous amène à rapprocher le nom et la légende d’un
autre nom et d’une autre légende : St Gorgon, qui lui aussi, dans toute la
France, fait jaillir des sources miraculeuses. Par exemple près de notre
département, dans l’Yonne, à Véron où le cheval de St Gorgon, s’impatientant et
grattant la terre, creusa une fontaine.
Or, d’après Henri Dontenville, dont le livre
« La Mythologie Française » est fondamental, St Gorgon est le
substitut chrétien d’un être surnaturel adoré par les paysans et dont le culte
était si vivace quand le christianisme s’affermit en France que, faute de
pouvoir l’extirper, il fallut le baptiser et le christianiser. Cet être
surnaturel était « le Géant », le vieux Gargantua des
« Chroniques » qui a laissé des traces innombrables sur tout le
territoire de notre pays. Saint-Benoist-sur-Vanne est précisément l’un des
lieux de l’itinéraire de Gargantua dans l’Aube.
Le rapprochement devint plus troublant quand on se
transporte à l‘autre extrémité du département, à Chassericourt, et qu’on y
retrouve St Gengoult, son cheval et sa fontaine. Un habitant de Chassericourt a
fourni une étymologie qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui par hasard se
rapproche de notre interprétation. Gengoult serait Jean Goult, qui viendrait de
Jean Gueule. Nous ne nous arrêterons qu’un instant à ce détail, mais il fallait
le noter en tout cas, pour st Gengoult à Chassericourt, deux remarques
s’imposent : d’une part, la proximité au S-O et à une douzaine de
kilomètres de la commune de St Christophe au Xe siècle, en l’honneur de ce
Saint qui, lui aussi, était un géant dont la statue de bois haute de huit
mètres se dressait autrefois dans la cathédrale d’Auxerre et aussi, entre
autres, dans l’église de St Christophe sur le Nais, en Touraine où les jeunes
filles à marier plantent encore aujourd’hui des épingles dans son corps pour
trouver un époux. D’autre part, la chevauchée de St Georges accompagnant St Gengoult ;
St Georges le vainqueur du dragon.
Il convient de signaler aussi, non seulement la position de St Christophe, mais aussi celle de Rouilly-Sacey, où la légende de St Gengoult est la même exactement qu’à St-Benoist.
Légende de Saint Gengoult
Une légende que, naguère
On ne lisait, sans pitié,
Apprend que, rentrant de la guerre,
Le saint aborda sa moitié
Et sur un ton inconnu d’elle,
Lui dit, tout en la caressant :
Ton cœur m’est-il resté fidèle,
Cependant que j’étais absent ?
Elle fut plus qu’affirmative
Mais lui fut moins que convaincu
Et pour preuve définitive
Que son honneur n’avait vécu,
Plonge ton bras dans la fontaine
Et si tu peux l’en retirer,
Ajouta-t-il sois certaine,
Mon doute ne saurait durer !...
Mais au contact de la chair nue,
L’eau chauffa, comme l’or qui fond,
Et l’infidèle est revenue,
En laissant son bras dans le fond.
L’histoire également, rapporte
Qu’à la Saint Gengoult sans fracas,
La nuit, on décorait les portes
Des maris qui sont dans ce cas
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