lundi 5 août 2024

Légende de Saint-Gengoult

 

Pays d’Othe – Saint Benoit sur Vanne

Chapelle Saint Gengoult de Courmononcle à Saint-Benoit-sur-Vanne (Aube-10)

 Gengoult était un seigneur franc né à Langres et qui vivait au VIIe siècle. Il était  mal marié : lui qui était vertueux, calme et tranquille, eut le tort d’épouser une nommée Ganéa, jolie jeune femme certes, mais légère et volage. Dans de telles conditions, on reste à la maison pour surveiller son bien ; l’imprudent Gengoult ne comprit pas cette vérité et, trop confiant, il partit à la guerre avec Pépin le Bref dans les pays Bataves. (le plus souvent et pour que la légende soit plus chrétienne et plus pieuse, on dit simplement : Gengoult était un seigneur qui partit à la Croisade et on vieillit ainsi l’histoire de plusieurs siècles).

Au retour, Gengoult reprit tranquillement sa vie dans son domaine, aux côtés de sa femme. Mais des bruits couraient dans la région ; ils vinrent aux oreilles du seigneur, troublèrent peu à peu sa quiétude, et, il ne vient à perdre sa belle assurance et à se demander s’il n’aurait pas été trompé. Pour s’en assurer, il s’en remit au jugement de Dieu. Il emmena sa femme dans les champs, au pied du coteau et frappa le sol de son bâton. Aussitôt une source jaillit. Il demanda à Ganéa d’y plonger le bras. Celle-ci, sans méfiance, obéit à son mari. Horreur ! elle retira son bras tout dépiauté, prouvant ainsi sa faute.

Gengoult, frappé de ce coup du sort, fut cependant généreux. Il pardonna à sa femme, lui abandonna son château et une partie de ses biens, et se retira dans un autre château près d’Avallon, à Annéot.

Ganéa aurait dû être touchée de cette bonté. Il n’en fut rien. Elle vécut avec son amant et, sans doute pour pouvoir l’épouser, elle médita la perte de son marie ; et, après avoir élaboré un plan minutieux, elle envoya son amant au château avallonnais pour assassiner Gengoult. Ce qu’il fit, et la légende se termine ainsi par un crime impuni.

A l’endroit où jaillit la fontaine miraculeuse, on a construit une chapelle et la statue du Saint y figure à l’intérieur, au-dessus de l’autel. Le saint est figuré à cheval et ce n’est pas sans importance, comme on le verra plus loin.

La fête de St Gengoult a lieu de 2ème dimanche de mai. Elle se faisait lors d’un pèlerinage où les pèlerins faisaient provision d’eau de la fontaine, qui guérissait les fièvres et les maux d’yeux des enfants. Lors du pèlerinage, les mères trempaient leurs enfants dans la fontaine pour les préserver des fièvres.

Le culte et le pèlerinage ont disparu ; toutefois, une fois l’an, en mai, le curé va dire la messe dans la chapelle. De plus, vers 1942, M. Favin, originaire de St Benoist, entendit une vieille de 85 ans qui voulait mener ses petites-filles à la fontaine pour savoir si elles seraient fidèles à leur mari.

La légende de St Gengoult, patron des maris trompés, se raconte aussi dans les mêmes termes à quelque distance de là, à Rouilly-Sacey près de Piney. On la rencontre aussi exactement semblable à la fontaine de Choiseul-en-Bassigny (Haute-Marne). On la trouve à Wierres, dans le Boulonnais où St Gengoult devient St Gandouf, ainsi que dans la Moselle, entre Briey et Avril.

Le Saint est honoré aussi en Allemagne, en Belgique, à Toul, à St Gengoux-le-National (Saône-et-Loire), sur les bords du lac Léman à St Gengolph, àAbbeville où l’on voit une statue du Saint et de son épouse à qui Gengoult fait subir l’épreuve du bras plongé dans la fontaine.

En Franche-Comté à Montgeroye, St Gengoult est aussi le patron des cocus. Il avait été trompé, puis assassiné par son rival avec la complicité de sa femme. Son corps faisait maint miracle ; aussi sa femme, agacée s’écria : « Jour de Dieu, il fait des miracles comme je pète ! ». A ce blasphème, une punition céleste s’abattit sur elle : aussitôt qu’elle prononçait un mot, elle ne pouvait s’empêcher de péter et, elle dut se réfugier dans un couvent où existait la règle du silence absolu et elle y termina ses jours.

A Chassericourt, dans l’Aube, la légende est différente. St Georges et St Gengoult cheminaient ensemble. Or, sur le finage de Chassericourt, le cheval de St Gengoult mit le pied dans un trou, enfonça si brusquement qu’il se cassa la jambe et l’eau jaillit. St Georges, qui ne s’était pas arrêté continua jusqu’à Chavanges où il attendit son compagnon. C’est pourquoi les deux églises sont dédiées, l’une à St Georges (Chavanges), l’autre à St Gengoult (Chassericourt). Dans cette dernière existait une statue de St Gengoult et de son cheval, celui-ci avec la jambe brisée. La fontaine ouverte par le pas du cheval est une source pétrifiante, et elle guérissait, disait-on les maladies de la peau (eczéma, écrouelles) ce qui marque le lien avec la légende de Saint-Benoist.

A Bar-sur-Aube, le 10 mai, veille de St Gengoult, patron des cocus, les gens allaient dans les prés chercher des fleurs jaunes nommées « bassinets » et en faisaient des bouquets qu’ils allaient attacher la nuit à la porte des maris trompés. (Revue des Traditions Populaires -1899)

Si l’on s’en rapport à l’impression général donné par ces légendes et ces traditions, il ne fait aucun doute que St Gengoult est avant tout le patron des cocus, ce qui, dans l’hagiographie, lui donne une place curieuse et probablement peu orthodoxe. Mai, si l’on y regarde de plus près, cette interprétation facétieuse s’efface devant un fait plus important : partout, dans ces légendes, l’eau jaillit miraculeusement et une fontaine se crée sous les efforts du Saint et de son cheval.

Or, par deux fois, il nous fut bien spécifié qu’à Courmononcle (St Benoit sur Vanne) on prononçait « Gengon ». A Chassericourt également. Cela nous amène à rapprocher le nom et la légende d’un autre nom et d’une autre légende : St Gorgon, qui lui aussi, dans toute la France, fait jaillir des sources miraculeuses. Par exemple près de notre département, dans l’Yonne, à Véron où le cheval de St Gorgon, s’impatientant et grattant la terre, creusa une fontaine.

Or, d’après Henri Dontenville, dont le livre « La Mythologie Française » est fondamental, St Gorgon est le substitut chrétien d’un être surnaturel adoré par les paysans et dont le culte était si vivace quand le christianisme s’affermit en France que, faute de pouvoir l’extirper, il fallut le baptiser et le christianiser. Cet être surnaturel était « le Géant », le vieux Gargantua des « Chroniques » qui a laissé des traces innombrables sur tout le territoire de notre pays. Saint-Benoist-sur-Vanne est précisément l’un des lieux de l’itinéraire de Gargantua dans l’Aube.

Le rapprochement devint plus troublant quand on se transporte à l‘autre extrémité du département, à Chassericourt, et qu’on y retrouve St Gengoult, son cheval et sa fontaine. Un habitant de Chassericourt a fourni une étymologie qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui par hasard se rapproche de notre interprétation. Gengoult serait Jean Goult, qui viendrait de Jean Gueule. Nous ne nous arrêterons qu’un instant à ce détail, mais il fallait le noter en tout cas, pour st Gengoult à Chassericourt, deux remarques s’imposent : d’une part, la proximité au S-O et à une douzaine de kilomètres de la commune de St Christophe au Xe siècle, en l’honneur de ce Saint qui, lui aussi, était un géant dont la statue de bois haute de huit mètres se dressait autrefois dans la cathédrale d’Auxerre et aussi, entre autres, dans l’église de St Christophe sur le Nais, en Touraine où les jeunes filles à marier plantent encore aujourd’hui des épingles dans son corps pour trouver un époux. D’autre part, la chevauchée de St Georges accompagnant St Gengoult ; St Georges le vainqueur du dragon.

Il convient de signaler aussi, non seulement la position de St Christophe, mais aussi celle de Rouilly-Sacey, où la légende de St Gengoult est la même exactement qu’à St-Benoist.

 

Légende de Saint Gengoult

 

Une légende que, naguère

On ne lisait, sans pitié,

Apprend que, rentrant de la guerre,

Le saint aborda sa moitié

 

Et sur un ton inconnu d’elle,

Lui dit, tout en la caressant :

Ton cœur m’est-il resté fidèle,

Cependant que j’étais absent ?

 

Elle fut plus qu’affirmative

Mais lui fut moins que convaincu

Et pour preuve définitive

Que son honneur n’avait vécu,

 

Plonge ton bras dans la fontaine

Et si tu peux l’en retirer,

Ajouta-t-il sois certaine,

Mon doute ne saurait durer !...

 

Mais au contact de la chair nue,

L’eau chauffa, comme l’or qui fond,

Et l’infidèle est revenue,

En laissant son bras dans le fond.

 

L’histoire également, rapporte

Qu’à la Saint Gengoult sans fracas,

La nuit, on décorait les portes

Des maris qui sont dans ce cas

 


 

 

 


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Inventaire d'un château après décès...

  Etre châtelain en Bresse au XVIIe siècle Comment vivait-on dans les châteaux de Bresse au XVIIe  siècle ? Un inventaire après décès perm...