Il était de règle en droit féodal qu’aucun château
ne pouvait être construit dans un fief sans le consentement du suzerain de qui
ce fief était tenu. C’est ainsi qu’en 1230, Erard de Brienne, seigneur de Ramerupt,
est autorisé par le comte de Champagne à établir à Bagneux-la-Fosse une
forteresse ceinte de murs et de fossés, mais si le comte de Champagne rentre en
guerre avec le comte de Nevers et que celui-ci veuille s’en servir contre
celui-là, Erard devra la détruire. Le permis de construire, en ce qui concerne
Allibaudières, est accordé au mois de mars 1234. Il est convenu que la
forteresse sera tenue en fief du Comte de Champagne et lui sera jurable et
rendable à grande et petite force, excepté contre le seigneur de Dampierre de
qui la terre est tenue. Il est précisé en 1239, que le château dépendra de la
châtellerie de Sézanne. Aucune condition de construction n’est imposée.
Le château était construit sur une plateforme carrée
de 98 ares, entourée de fossés couvrant 79 ares, ce qui représente un carré de
99 mètres de côté et des fossés de la même importance que ceux de la maison
d’Eudes de Broyes (environ 17 mètres).
Le mariage de Jean II, châtelain de Noyon et de
Thourotte avec Odette, fille de Guillaume 1er, seigneur de Dampierre et de
Saint-Dizier, est à l’origine de la seigneurie d’Allibaudières :
Odette apporte à son mari des biens situés aux
confins des possessions du seigneur de Dampierre à Allibaudières et à
Isle-sous-Ramerupt.
C’est à Jean III de Thourotte, fils des précédents,
que doit être attribuée la construction du château. Il fait un don, en 1236, à
la maison religieuse du Meix, situé entre Allibaudières et Herbisse, et échange
en 1247, avec Jean d’Arcis, le fief qu’il possède à Rhèges.
Son fils Gaucher lui succède dans la Seigneurie
d’Allibaudières. En 1264, il obtient le consentement du chapitre de
Saint-Pierre de Troyes, au mariage d’un de ses hommes d’Ormes avec une serve
que le chapitre avait à Villette.
Son frère Robert, chanoine écolâtre de Saint-Etienne
de Troyes, se reconnait homme-lige du comte de Champagne pour Loisy et Maisons,
sauf ce qu’il tient du comte de Rethel, devenu évêque de Laon.
Jean IV, châtelain de Thourotte, seigneur
d’Honnecourt et d’Allibaudières, d’après le Père Anselme, a pour frère Aubert
1er, seigneur du Chatelier, époux de Jeanne de Melo, seigneur d’Allibaudières
en 1298 et 1314.
Après Jean V, seigneur d’Allibaudières, et, en
partie, de Champigny-sur-Aube, en 1320, marié à Agnès de Loisy, Jean VI de
Thourotte et Aubert II, son frère, se disent seigneurs du Chatelier et
d’Allibaudières. Ils scellent, en 1328, avec le chapitre Saint-Pierre de Troyes
un accord aux termes duquel celui-ci leur abandonne, moyennant une rente d’un
muid de grain par moitié seigle et avoine à la mesure de Troyes, payable à la
Saint-Remi, ses prétentions sur les dimes de Beauchamp à Allibaudières.
En 1374, Jean VIII, était en procès depuis plusieurs
années avec Jeanne de Saint-Chéron, seconde femme de son père, au sujet du
partage des terres du Chatelier et d’Allibaudères, dans lequel il se prétendait
lésé. Jeanne était douairière d’Allibaudières.
Alors apparait une autre lignée de Seigneurs.
D’abord Bernard de
Dormand. Le 25 avril 1383, son frère Regnaud avoue tenir du roi outre le
châtel motte et fossés d’Allibaudières la seigneurie justice et ressort et
aussi un fief séant à Loisy et à Maisons-en-Champagne. Mais si le château
relevait du roi, la terre d’Allibaudières relevait de Dampierre.
A la fin du mois de mars 1420, Jean de Luxembourg,
comte de Ligny, est envoyé par le duc de Bourgogne pour s’emparer du château
tenu par les partisans du dauphin. Le boulevard est pris d’assaut et incendié,
mais la garnison refait aussitôt « plus forte que devant ». Aussi, le duc de
Bourgogne envoie-t-il ses hommes. « Ils y allèrent bien en tout 1.200
combattants de bonne étoffe et menèrent plusieurs engins et instruments de
guerre pour abattre les murailles ». Après plusieurs assauts, la garnison se
rend et la forteresse est brûlée et abattue. La dévastation s’étend jusqu’au
Meix.
L’hôpital
de Bar-sur-Aube signale en 1429 la ruine
de ses moulins et foulons à Allibaudières, par suite des guerres.
Un
acte de notoriété du 7 septembre 1488 établit que le village est resté en
ruine, désolation et inhabité pendant bien longtemps, que ce n’est que depuis
25 à 30 ans que quelques laboureurs « y
vinrent à demourance et y commencèrent à édifier et à labourer ».
La rente du chapitre de Saint-Pierre n’étant plus payée, mais le village reprenant vie, le chapitre rappelle son droit en 1460, à Guillaume Jouvenel des Ursins qui vient d’acquérir la seigneurie.
Son
fils Jean, baron de Traînel et de Marigny, vicomte de Troyes et seigneur
d’Allibaudières, règle cette affaire en 1488. Deux ans plus tard, il abandonne
le droit de corvée et accorde aux habitants une réduction du droit de terrage.
Le 1er janvier 1525, Philibert de Beaujeau, chevalier, baron de Lignères, Traînel, Marigny, vicomte de Troyes, présente son aveu au roi pour le château d’Allibaudières rasé pendant les guerres, et ses dépendances à lui échus du chef de sa mère Jacqueline Juvénal des Ursins, laquelle en avait hérité de son frère Jean. Il s’en désaisit quelques années plus tard au profit de Christophe de Menisson, seigneur de Saint-Pouange.
En 1648, Picot, chevalier, baron de Dampierre et de Sonpuis, avoue tenir en fief du roi le château et maison forte d’Allibaudières, assis au bailliage de Troyes avec les fossés, basse-cour et aisances aux environs, sans aucun profit parce que ledit châtel fut par ci-devant ruiné par les bourguignons en 1420 « et le reédiffige-t-on à présent ».
A l’avènement d’Henri IV, « Allibaudières appartenant au baron de Dampierre Picot », figure dans un état des châteaux et maisons fortes tenant contre le roi au bailliage de Troyes. Louis Picot est donc ligueur.
En
août 1592 Henri IV chevauche en Champagne pour défendre sa couronne et
conquérir son royaume.
Le
18 août, il est à Broussy-le-Grand : Allibaudières est en danger. Le capitaine
et ses soldats furent pendus à un arbre et la place rasée.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles la seigneurie reste en possession de la famille Picot.
Le 20 avril 1605, à la suite du décès de Louis, Jean Picot fait aveu au roi pour les châteaux, fossés et basse-cour d’Allibaudières, assis au baillage de Troyes.
Eustache Picot, son fils lui succède de 1628 à 1649. François Picot décède en septembre 1686, laissant 5 fils. Ils font foi et hommage pour un quart d’Allibaudières, mouvant du roi, à cause de sa grosse tour de Troyes, à eux échu par le décès de leur frère Henri.
Pierre Picot, en 1754, se dit héritier de son père Jean Auguste, à qui Allabaudières appartenait tant de son chef que comme héritier de François et Eustache ses frères. Il décède en janvier 1783.
La liste des seigneurs d’Allibaudières est close par Auguste Marie Henri Picot, comte de Dampierre, major en second aux Chasseurs de Normandie en 1789.
La
ruine de la forteresse ne change rien pour les vassaux qui continuent de
remplir leur devoir féodal à cause du fief d’Allibaudières. La justice du lieu
conserve ses officiers particuliers nommés par les seigneurs de Dampierre, en
tant que seigneurs d’Allibaudières.
Le château pris d'assauts fut brûlé et rasé juste
avant le traité de Troyes*. Il
subsistait encore les fossés et quelques maisons qui servirent de réduit à un
capitaine et quelques soldats qui y furent réduits et pendus en 1592 par le duc
de Guise.
En 1848, il était encore connu comme le château par
Camut-Chardon qui en donnait un plan (ci-dessus)
*Le
traité de Troyes
Extrait :
« Charles par la grâce de Dieu, roi de France […]
Premièrement que, pour que ce que par l'alliance de mariage faite pour le bien
de la dite paix en notre dit fils le roi Henri et notre très chère et très
aimée fille Catherine, il est devenu notre fils […] — 6. Item, est accordé que
tantôt après notre trépas et dès lors en avant, la couronne et le royaume de
France, avec tous leurs droits et appartenances demeureront et seront
perpétuellement à notre dit fils le roi Henri et ses hoirs. — 7. Item, que pour
ce que nous sommes tenus et empêchés le plus du temps, par telle manière que
nous ne pouvons en notre personne entendre ou vacquer à la disposition des
besognes de notre royaume, la faculté et exercice de gouverner et ordonner la
chose publique dudit royaume seront et demeureront, notre vie durant, à notre
fils dit le roi Henri, avec le conseil des nobles et sages du royaume… — 12.
Item, que notre fils labourera de son pouvoir, et le plutôt que faire se pourra
profitablement, à mettre en notre obéissance toutes et chacunes villes cités et
châteaux, lieux, pays et personnes dedans notre royaume, désobéissants à nous
et rebelles, tenant le parti ou étant du parti vulgairement appelé du Dauphin
ou d'Armagnac… — 29. Item, considéré les horribles et énormes crimes et délits
perpétrés audit royaume de France, par Charles, soi-disant dauphin de Viennois,
il est accordé que nous, ni notre dit fils le roi Henri, ni aussi notre très
cher Philippe, duc de Bourgogne, ne traiterons aucunement de paix ou de
concorde avec ledit Charles, ne ferons ou ferons traiter, sinon du conseil et
assentiment de tous et chacun de nous trois et des trois États des deux
royaumes dessus dits…»
Ironie historique, Henri VI, bénéficiaire (involontaire) du traité de Troyes, se retrouvera 40 années plus tard dans la position de Charles VI, contraint par l'Acte d'Accord de déshériter son propre fils de la couronne d'Angleterre en 1460 durant la guerre des Deux-Roses.
Voir : Le Honteux Traité de Troyes
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