L’étude du cadastre (celui de 1870 révisé en
1958 et celui de 1828), l’observation des voies de communications et des
différents lieux-dits de la commune nous donnent une étude assez précise du
village tel qu’il existait au XVIIIe et du début du XIXe siècle.
La partie basse de Saint-André (qui occupe une
surface importante) était couverte par un marais qui gênait considérablement le
développement de la vie rurale de l’agglomération et ses relations avec la
ville voisine.
Un plan ancien nous permet d’avoir une plus
juste idée de l’importance de ce marais. Nombre de lieux-dits en attestent
l’existence :
Rue du gué : (rue Médéric)
endroit dans le marais où l’on peut passer à pied sec
Rue de la
Grande Planche :
(rue Jeanne d’Arc) , accès à Troyes
Lieudit La
Grande Planche :
difficile à cause des marécages, les Grandes planches permettaient de sortir du
marais.
Les Ouises : voir LOUISE
Les
Suivots :
(chemin et lieudit) chemin qui contourne le marais
L’Ile
Germaine :
Elle émerge au-dessus du marais. Appellation en souvenir de Saint-Germain
d’Auxerre qui aurait rencontré Saint Loup à cet endroit.
Rue du
Pont aux prêtres :
passage entre l’habitation des prêtres et l’église
Chemin des
Marivots :
chemin dans le marais
D’autres
lieux-dits sont le reflet des activités rurales des habitants de Saint-André
La
Linchère
(le chemin des Roises) les trous d’eau où l’on faisait rouir le lin
Les
Vignots. Moque bouteille : lieux plantés de vignes. Ces vignes produisaient,
disaient les moines, un vin de mauvaise qualité. [La vigne a disparu à St
André]
Les Vieux
Cortins :
Les cortins désignent l’endroit où l’on trouvait des jardins maraîchers
Cliquat : Moulin à aubes,
sur les ruisseaux, à la limite avec La Rivière de Corps. Le cliquetis des
engrenages a donné son nom au lieudit.
Quelques-unes de ces appellations font état d’activités liées à la proximité de l’Abbaye :
Les
tuileries. Rue du four : (aujourd’hui rue de la République) Les vastes
bâtiments monastiques, avec leurs églises et chapelles, auxquelles s’ajoutaient
des celliers, des écuries, des forges et autres habitations diverses,
exigeaient briques, tuiles et faitières. Il était donc habituel de voir des
tuileries s’installer à proximité des grandes abbayes du Moyen-Age.
La Fourche
aux Moines :
terrains cultivés
Les
Vergers :
entre le Bas Clos et l’Abbaye de Montier-la-Celle, terrain fertile planté de
fruitiers
Les Bas
Clos :
Pâtures entourées de haies en clôtures, situées entre la route d’Auxerre et la
rue Thiers. Dans ces prés, on allait conduire les moutons et les vaches
Les Hauts
Clos :
c’est l’endroit le plus élevé du village, près de Troyes. L’Hôpital de Troyes
ouvert en 1961 se nommait Hôpital des Hauts Clos. Il a été rebaptisé le 28 septembre
2018 : Hôpital Simone Veil.
LIEUX-DITS
DRYATS
Les lieux-dits portent des désignations qui remontent
souvent fort loin dans le temps car les hommes ont eu très tôt le besoin de
définir les terrains qu’ils parcouraient. Quel meilleur signifiant
pouvaient-ils trouver que celui qui caractérisait géologiquement ou
géographiquement ce qu’ils voyaient
forêt, marais, colline, source, etc. Plus tardivement ce sont des faits
remarquables qui définiront certaines parcelles : maisons brulées, moulin
brulé, homme mort, etc. ou des activités spécifiques : moulin, four,
tuilerie, forge, église, lavoir, etc.
Les
vieux cortins : ce sont d’anciens jardins au sens large
de domaines ruraux, du vieux français cort
(1080), cortil, cartin. Le latin populaire cortis,
du latin cohors, cohortis, avait le
sens plus restrictif de cours de ferme. La même racine Gher , signifiant enfermer, a formé le francique gardo, d’où l’anglais garden, l’allemand Garten et le champenois gart
et jart.
Les
clos. Hauts-clos, Bas-clos sont également d’anciens lieux de culture
bordés de haies, des enclos de type gaulois. Clos au XIIe désignait les jardins
et enclos. La racine européenne Klew, donnant
l’idée de fermer se retrouve dans le latin claudere
et l’anglais close, fermer. Il
est amusant de noter à ce sujet que le vieux français cloet (1309), petit
endroit, est passé à l’anglais pour désigner les cabinets… et nous est revenu
sous forme de W.C. !
Les
planches. Grande-planche. Planche-verbale : désignent
des terrains plats, de petites plaines, du gaulois plania, plaine. Le mot dialectal planche est d’ailleurs toujours bien connu des jardiniers amateurs
ou professionnels qui ne manquent jamais de vanter la qualité de leurs planches de fraises ou de leurs planches de poireaux. La racine
européenne Pela, plat, étendu, est
également à l’origine de l’homonyme latin planca
et de l’allemand Planke, planche de
bois.
La
linchère : c’est le champ semé de lin, du latin lineum, lin. Il y eut ensuite confusion
phonique entre linière (XIIe) et linge (1125) pour former lingère puis linchère.
Les Roises (XIVe) sont les
rouissoirs, de l’ancien roer (XIIIe),
rouir, de roir (1265), croupir, issu
du francique rotjan, haut-allemand Rotten,
pourrir.
Le Voué est un gué, d’où la rue-du-gué et le chemin-du-voué qui y conduisent. Le vieux français guaer, guéer, mouiller, vient du latin vadum, gué, par gutturalisation de la
vélaire. On retrouve des lieux-dits similaires à Troyes, le Véon, le Grand-Véon, le Véon-à-l’Ane
où des fouilles archéologiques ont permis de découvrir des armes de la période
gauloise.
La Noue,
Noue-cliquat,
du gaulois nauda, désigne un
pâturage, une prairie humide. C’est sans doute pour cette raison que le chemin
qui longe la noue se nomme la Voie-aux-vaches.
Une autre évolution du mot nauda a
donné le lieu-dit les Noës (Les Noës-près-Troyes). Lequel, par la
fantaisie des « releveurs » de cadastre est devenu « Noël », dixit le Chemin-des-Noëls à Troyes !
L’Ile
Germaine :
comme son nom l’indique (presque), c’est
une ile naturelle située au milieu des marais car le mot germaine vient du
latin germane, évolution de genuine, genuinus qui signifie inné,
naturel.
La
Fontaine Nagot :
ce nom a sans doute été déformé par aphérèse. C’est la
« source-qui-goutte », du
latin fontana et gutta, en français du XIIe s. fontaine
à gote. Cela pourrait toutefois être également la « source-d’eau-sale »,
la fontaine agot, car agot (1280)
signifiait canal, égout… ?
Il y aurait beaucoup à dire encore sur les nombreux lieux-dits de Saint-andré-les-Vergers… Je termine en mentionnant le chemin des Pituites, nom caractéristique des lieux humides et marécageux puisque la pituite, du latin pituitara est un des anciens noms de la scrofulaire, plante connue dans la médecine traditionnelle sous ces deux espèces : la scrofularia aquatica, dire herbe-aux-poux, herbe carré ou nief et la scrofularia nodosa, dite herbe-aux-hémorroïdes ou herbe-aux-écrouelles.
Jasées…
en passant
Des précisions sur la faux
Faux et usage de faux
« Lame d’acier légèrement recourbée, fixée
à un long manche dont on se sert pour faucher : la faux est l’attribut de
la mort.
Le faux en matière civile et commerciale est un
crime. Tout ce qui est faux sent la torture.
C’est avec ces connaissances, ce langage
intellectuel, puisé dans le petit Larousse scolaire que, de chez moi au
quincailler, et de là à mon pré, je suis enfin arrivé en tremblant, pensant à
la mort et au crime.
On m’avait assuré que la faux s’emmanchait avec
une bague, une cale et un marteau. J’ai essayé de bien des façons ; cela
ne marchait pas. Aucun danger de couper les pattes aux fourmis.
Heureusement, j’ai vu le vieux père Emile
Cocagne, tout bossu, mais expérimenté par les temps du siècle passé où l’on
fauchait des hectares à la main. Il s’écria :
« - Idiot de jeune ! Ne vois-tu pas
que ta faux est trop « ouverte » ? Débride-là !
Au marteau, je desserre le talon de la lame en
frappant la pointe du coin. Et je fixe à nouveau la lame après lui avoir donné
un angle plus aigu par rapport au manche. Et j’essaie.
- ça va encore plus mal !
- Bien sûr et je t’attendais là ; ta faux
est trop « fermée » maintenant.
J’ai enfin su régler mon instrument de torture.
On fait pivoter sur le genou l’extrémité du manche. La pointe doit passer à
quelques doigts en arrière du talon. Après, essayez de bloquer fermement le
coin avec le marteau, sans rien dérégler ; Vous m’en direz des nouvelles.
Il faut jurer pour y arriver, et encore !
- Faucher n’est pas piocher, dit le père Emile
- La faux n’est pas un avion, riposte le père
Henri, son voisin et conscrit.
Si la faux est tenue trop haut, on a l’air de
piocher et on fauche au petit bonheur. L’herbe se couche mais ne se coupe
point. Si l’on se lance trop fort, on risque d’empiquer la lame dans le sol. La
retirer n’est pas aisé et l’on risque de casser le talon. L’acier est sec et
fragile aux chocs.
Le secret est de tirer doucement la faux en la
faisant pivoter autour de la main gauche. C’est un travail d’art.
Mais en aiguisant la faux avec la coue sortie
d’une antique corne de vache, je me suis profondément entaillé l’index et le
sang gicle ; je sens mon cœur battre et cela me fait mal à chaque
pulsation.
Oui, la faux est bien l’attribut de la
mort »
Extrait des Miettes
paysannes, poignées d’humus
Une
bonne coue :
« Selon certains, une bonne coue devait répondre
favorablement à l’épreuve de la salive, épreuve supérieure à celle du toucher
et à celle du regard.
L’acheteur crachait sur la pierre et posait sur le liquide
un tout petit fétu de paille. Celui-ci devait tourner rapidement sur lui-même,
témoignant ainsi que la pierre était bonne ».
L’embauche
des moissonneurs
C’étaient les manouvriers du village qui aidaient à la
fenaison puis à la moisson. La louée se faisait à la Pentecôte chez les
patrons. Il y avait bonne table et jeu de quilles sur la place… Cette embauche
correspondait avec la dégustation des « roulées », le lendemain de
Pâques. (voir ce chapitre)
Une
précision d’importance
M. J. Gallant précise :
« Vous indiquez qu’à Charbuy on moissonnait avec le quian (ou cueillon). En fait, il s’agissait du second passage, de la seconde
coupe des seigles pour récupérer le jaume
servant de litière. La partie noble, la belle paille était sciée à la faucille.
Le seigle était, vous le voyez, l’objet d’un travail
particulier puisque la technique du battage était également spéciale ».
C’est une ancienne coutume que de couper les céréales en
deux fois : l’épi d’abord la paille ensuite. Marc Bloch dans son
livre « les caractères originaux de l’histoire rurale
française », explique que cette façon de pratiquer tenait au fait que
l’ensemble des habitants partageaient souvent autrefois, avec le propriétaire,
le produit de la récolte. La vaine pâture en est un exemple plus proche de
nous.
« Rien de plus significatif que le droit d’éteule. Une
fois libre des moissons, la terre n’est pas immédiatement abandonnée aux
bêtes ; les hommes d’abord, s’y répandent à la recherche des chaumes –
c’est le sens déteules – qu’ils emploient à couvrir leurs maisons, dont ils
font des litières pour leurs étables, parfois qu’ils brûlent à leurs
foyers : ils la prélèvent sur les labours, sans se préoccuper les limites
de parcelles. Et cette faculté parait si respectable que l’exploitant n’a pas
la permission d’en réduire le profit en faisant couper les blés trop près du
sol. La faux est réservée aux prairies : sur les emblavures… seule est
autorisée la faucille qui tranche haut… L’épi est « au maître de la
terre », la paille à tout le monde ».
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