dimanche 28 avril 2024

Eglise Saint-Martin-es-Vignes

Clef pendante dans le Choeur

Au XIIe siècle, en dehors de la ville de Troyes se groupaient les 4 bourgs de Croncels, Sainte-Savine, Saint-Jacques et Saint-Martin-ès-Vignes. Dans ce dernier, en 1100, le comte Hugues veut que quiconque le souhaite, puisse y bâtir, y habiter, y jouir de la liberté.

En 1497, en raison de la servitude qu'entraînent les fortifications, le bailliage défend d'y construire aucun édifice pouvant servir d'habitation.

L’église de Saint-Martin démolie le 23 avril 1590, était située dans la rue Sainte-Jule. Otton, abbé de Montiéramey, qui avait obtenu du comte Eudes des droits de justice sur cette partie de la banlieue troyenne, devint en même temps possesseur de l’église, nommant les curés sous la réserve de l’approbation épiscopale. Mais cette église ayant été entièrement abattue, je ne saurais en donner la moindre description.

Quant à la nouvelle, on l’éleva sur un champ appartenant à Luc Lorey. Les paroissiens se chargèrent de toute la dépense. La première pierre est posée le 15 octobre 1592, par François Perricard, évêque d’Avranches, assisté de l’abbé de Citeaux, Edme de la Croix et du duc de Chevreuse.


L’édifice achevé en 1597, est classé parmi les monuments historiques. Il mesure 52,50 m. sur 22,30 m. Sa forme est un rectangle avec chevet de 3 pans de forme campanulée. Sur la croisée s’élève un petit dôme surmonté d’un second plus petit terminé par une croix surmontée d’un coq. Ce n’est qu’en 1681 que la façade actuelle est achevée sur les plans du chanoine Louis Maillet, chanoine de la Cathédrale de Troyes, alors très en vogue, le même qui reconstruisit l'abbaye Saint-Loup.

Elle se compose d’un portique à linteau droit où l’on peut lire les armoiries de Pierre-Henri Thibaud de Montmorency-Luxembourg, abbé commanditaire de Montiéramey (1679-1693), seigneur de Saint-Martin, qui est à cette époque, et reste jusqu'en 1855, une commune de la banlieue de Troyes.

Armoiries Montmorency-Luxembourg

Le rez-de-chaussée est surmonté d’un péristyle de 6 colonnes de l’ordre corinthien (imitation du Temple de Jupiter Stator), qui supporte un large entablement et un fronton triangulaire. A gauche, un cadran solaire construit par Bazin, professeur de mathématiques en 1778, indique les méridiens de Paris et de l’Ile des Canaries avec la latitude des principales villes de l’Europe ainsi que le parallèle décrit par le soleil le jour de Saint-Martin, 11 novembre.

Le fronton renferme une horloge avec 3 petites cloches repeintes en 1826 par Hourseau, et dont le mécanisme a été renouvelé en 1879. Les fenêtres des bas-côtés sont à plein cintre et à 2 meneaux avec lobes variés. 

La porte méridionale comprend une arcade à plein cintre, flanquée de 2 colonnes corinthiennes, un entablement avec frise, ornée au centre d’une gloire placée sur un cartouche. La porte en bois à 1 vantail est ornée de têtes de clous, ainsi que le tympan qui la surmonte. Sur ce dernier, une console en bois porte une statuette en bois de sainte Jule. Aux grandes portes refaites en 1754, on ajoute le tambour. La première travée à droite est occupée par la tour (bâtie en 1747) à 3 baies, couverte en ardoise, qui renferme la cloche rapportée de l’église ancienne.

Portail méridional (sud)

A la Révolution, le petit clocher renfermait 4 cloches, qui furent toutes descendues. On attendit jusqu’en 1826 pour les remplacer. Elles furent fondues dans la cour du petit séminaire. Le clocher où sont suspendues les cloches, date de 1624, il a été réparé et consolidé en 1886 et 1934.




Saint-Martin comprend une nef, 2 collatéraux et 2 rangs de chapelles, un transept formant travée et un chevet à 3 pans formant galerie.

L’église possède de magnifiques vitraux émaillés* des XVIe et XVIIe siècles, dont toute une série créée par les Gontier père et fils. La verrière du credo (1606) illustre la foi chrétienne. La peinture de la Jérusalem céleste (rangée du haut à droite) a été réalisée par Linard Gontier père. La verrière de la Légende de la Croix date 1562. Elle vient de l'ancienne église Saint-Martin détruite. La mise au tombeau que l'on voit, date de 1500.

Sainte Jule

Dans la verrière d'Abraham, Dieu commande à Abraham de sacrifier son fils. La grande verrière de l'Apocalypse occupe le bras sud du transept. Elle se décompose en deux étages : l'Apocalypse en bas avec ses trois registres ; en haut saint Louis entouré d'armoiries et trois grisailles de saints. L'étage supérieur contient une illustration de saint Louis portant le collier de l'ordre de saint Michel et la couronne d'épines. Ce vitrail daté de 1505, provient de l'ancienne église Saint-Martin. De part et d'autre, on trouve les armoiries peintes à l'émail des donateurs : Louis d'Autruy et Anne de Villeprouvée. Au-dessus, trois belles grisailles dues à Jean Barbarat datées de 1654 : les saints Pierre, Louis empereur et Jean-Baptiste. L'étage inférieur contient la verrière de l'Apocalypse. Les scènes qu'on y trouve rappellent les vitraux de l'église.

Verrière d'Abraham

La verrière de la prise de Jérusalem par Vespasien et Titus est très documentée : en l'an 70, Titus et Vespasien arrivent sur un char. Le roi David avec sa lyre implore Dieu. Arrivée des soldats romains qui sonnent de la trompe. Les Romains donnent l'assaut. On remarque que les Juifs sont regardés comme des gens qui mangent leurs enfants, puisqu'une mère affamée fait rôtir le sien ! Registre du bas : les Juifs vaincus sont vendus à un marchand d'esclaves. Un soldat romain ouvre le ventre d'un Juif pour y récupérer la pièce d'or que celui-ci a avalé dans le panneau précédent. 

La prise de Jérusalem

La très belle verrière du Calvaire dans la fenêtre d'axe est due à Linard Gontier le Jeune, datée des années 1630-1640. Dans le registre du bas, entourant la Vierge et saint Jean, des cavaliers montent la garde sur la droite tandis que des soldats jouent aux dés sur la gauche (pour savoir qui emportera la tunique de Jésus). Les parties hautes du chœur offrent un magnifique spectacle de grandes surfaces colorées où les scènes historiées s'étalent sur trois ou cinq lancettes : les verrières de la vie de saint Pierre, de la vie de saint Jean-Baptiste et de l'Annonciation. Tous ces vitraux ont été réalisés par la famille Gontier entre 1625 et 1640.

La Création et le Calvaire

En 1851, trouvant la sacristie trop étroite, le conseil de fabrique fait démolir le mur qui la sépare du trésor de façon que les deux pièces n’en forment plus qu’une. Elle est éclairée par deux petites fenêtres ornées de petites peintures sur verre : saint Martin à cheval, saint François d’Assise, saint Antoine, un christ en croix et quelques reliquaires.

St Martin dans le déambulatoire XVIe s.

La fête patronale tombe le 11 novembre, mais on la célèbre le dimanche qui suit le 4 juillet, jour de la translation des reliques, en vertu d’une ordonnance du 24 mai 1812.

En 1800, les habitants de Saint-Martin profitent des avantages de notre ville, sans en supporter les charges : leurs enfants fréquentent les écoles de Troyes, les indigents sont admis à l'Hôtel-Dieu, les pompiers éteignent les incendies... le tout gratuitement !

L'octroi à l'entrée de Saint-Martin entraîne le paiement de droits sur toutes les marchandises consommables qui y entrent. Pauvres marchands troyens, heureux concitoyens de Saint-Martin qui échappent à ces taxes. Les gens sont heureux, mais les édiles Troyens veulent les annexer. " La guerre de Troyes " ne fait que commencer !

50 ans que cela dura ! Du maire au préfet, ils tentent tout pour son rattachement. Mais le Conseil d'Etat n'est pas d'accord sur le motif " qu'il n'est pas sage d'augmenter les villes aux dépens des communes rurales ".

Les Troyens étouffent, ils démolissent leurs remparts, permettant de voir le charmant village où la vie continue d'être plus facile. Si bien, que les Troyens aisés viennent s'y loger, y construire. Bientôt, la population de cette commune plus que double !

Les entrepôts, non sujets à l’octroi s’y installent. La fraude augmente. Les denrées destinées aux troyens s’entassent ainsi dans un " lieu franc ". La coupe est pleine, le Conseil Municipal de Troyes demande l’annexion de Saint-Martin. C’est chose faite le 10 juillet 1856.

L’école de la paroisse de Saint-Martin relevait de l’abbé de Montiéramey. Le maître fait la classe dans la maison qu’il habite. En 1755, les marguilliers construisent une grande salle de classe, attenante à la maison. Le maître doit commencer et finir les classes par la prière, faire réciter le catéchisme 2 fois par semaine et, en plus l’évangile aux grands élèves, ne laisser vaquer l’école qu’une fois par semaine, ordinairement le jeudi, conduire les enfants à la messe…  De plus, il s’oblige à sonner l’Angélus et à régler l’horloge. Il peut faire au temps des vendanges une quête où on lui donne du vin ou de l’argent, 10 sous par ménage. Rétribution scolaire : « 8 sous pour les enfants à l’alphabet, 10 sous pour ceux qui commencent à lire, 12 sous pour ceux qui écrivent et 14 sous pour ceux qui font les règles de l’arithmétique ». En retour, le maître s’oblige à assister à tous les offices, dresser les enfants pour le chant, faire le catéchisme…

Une école est construite en 1844, et abandonnée en 1910 quand le groupe scolaire Jules Ferry est construit à l’entrée de la rue des Marots. En 1876, une école libre est fondée rue de la Reine Blanche, l’ancienne école de Sainte-Madeleine est transférée à l’entrée de la rue de la Paix en 1880. L’instruction des jeunes filles est confiée en 1842 aux Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. En 1906, à la suite de la laïcisation, une école libre est créée et est très fréquentée, rue de la Reine-Blanche. C’est sur la paroisse de Saint-Martin qu’a été construit le Lycée de garçons succédant au collège Pithou en 1861. De 1865 à 1885, les Ursulines tiennent un pensionnat rue des Marots. A la garde des enfants, elles joignent la visite des malades. Un lycée de filles est élevé sur l’emplacement du Petit Séminaire, pouvant contenir 300 élèves, en 1924.

Déjà cité en 1428, existait un cimetière devant l’église Saint-Martin. Il est abandonné en 1871, lorsqu’est créé le cimetière actuel.  Une croix de fer est érigée en 1779.    

Anecdote : « En 1598, Monsieur Petitjean, chanoine de Saint-Pierre de Troyes, est prié de se transporter dimanche prochain en l’église de Saint-Martin-ès-Vignes pour faire les exorcismes accoutumés à l’église catholique sur une fille demeurant en la paroisse dudit lieu, laquelle été baptisée au prêche des hérétiques (Protestants) ».

L'Orgue de Saint Martin* (voir ci-dessous)

Un buffet de 6 pieds fut d'abord construit pour 400 livres de 1534 à 1539 par Damien Doublet, menuisier. Au XVIIe siècle fut ajouté la petite tourelle centrale. Vers 1704, l'ancien banc seigneurial du XVIe siècle fut converti en tribune d'orgue et implanté au fond de la nef. L'orgue y fut alors installé en 1713. L'escalier en colimaçon date de 1841. En 1878-1880, un nouveau buffet de 12'fut implanté au fond de la tribune, derrière le meuble de 1539. 

Lors des derniers travaux de reconstruction (1963-1970), seules les tours extrêmes de cet ajout du XIXe siècle furent réutilisées. Aux faux positifs de 1854 et 1878 succéda un authentique buffet en chêne massif, abritant les jeux répondant au premier clavier du nouvel orgue. Construit selon les procédés traditionnels, il fut l'un des derniers ouvrages de l'ébéniste troyen Henri Kuhnowski

 



La tribune de l'orgue date de 1539-1539 ; c'est le plus vieux de Champagne

 Procession à Saint-Martin-ès-Vignes

Puits Ste Jule

C'est le lieu où la coutume veut que la sainte fut décapitée, c'était un puits qui avait la renommée de guérir les fièvres. Le dernier bâtiment datait du XVIIe siècle en forme d'arcature avec une niche qui abritait la statue de la sainte. Il fut rasé en 1833.

C'est à côté de ce puits que fut trouvé au XVIIIe siècle un tombeau qui fut dit gaulois de par la présence d'une Ascia, ce lieu était connu comme cimetière des juifs.

Au XVe siècle, l’église Saint-Martin était bâtie rue Sainte-Jule, sur une petite place délimitée par les rues actuelles Ambroise Cottet, Sainte-Jule et de la Paix, en face l’entrée du Petit Lycée.

Le 10 novembre, veille de la fête du patron de la paroisse, les Chanoines de Saint-Pierre se rendaient à Saint-Martin en procession, ils y chantaient les vêpres, et se réunissaient ensuite chez le curé pour y faire une collation.

Les origines de cette coutume sont inconnues, parce que trop anciennes. La première mention de son existence est un procès-verbal du 13 juillet 1409, dont voici le passage essentiel :

 «… les doyens de l’église de Troyes sont accoutumés pour chaque an, la veille de la Saint-Martin d’hiver, faire procession et aller en l’église paroissiale Saint-Martin-ès-Vignes-lez-Troyes et chanter vêpres. Après lesquelles le curé de ladite église Saint-Martin doit et est tenu administrer aux chanoines feu en sa maison et à boire en 3 fois : bon vin vermeil, bon vin blanc et bon vin vermeil, donner 6 chandelles de cire ou bougies bonnes et suffisantes, et aux enfants de chœur, s’il est jour de manger chair, administrer chair rôtie avec oignons, sur une table au milieu de la chambre du curé, ensemble pain et vin.  S’il n’est jour de manger chair, administrer auxdits enfants harengs avec moutarde, pain et vin… ».

La cérémonie, entièrement aux frais du curé était lourde pour son budget. En 1468, il voulut empêcher la distribution des chandelles. Le chapitre lui intenta un procès, et depuis, la coutume fut scrupuleusement observée pendant plus d’un siècle.

La procession fut supprimée deux fois : en 1582, les huguenots « étaient les plus forts en cette ville de Troyes », en 1583, une terrible épidémie de peste sévissant à Troyes, et le curé de Saint-Martin en étant mort « le goûter fut remplacé à prix d’argent ».

L’année 1590 marque un grand changement dans l’histoire de la paroisse. Le comte de Saint Pol, commandant à Troyes pour la Ligue "craignant que la ville ne fût assiégée à cause des guerres civiles qui désolaient le royaume, fit raser l’église Saint-Martin, ainsi que celles des Mathurins ou Trinitaires et des Antonins, qui étaient trop près des remparts". Les matériaux servirent à édifier le fort Chevreuse.

« Dans la même année, on choisit un lieu pour bâtir une nouvelle église, et par sentence de l’official, on s’arrêta à l’héritage de Luc Lorey », où elle est encore aujourd’hui. La construction commença aussitôt, et n’empêcha pas la procession de se dérouler. A cette époque, la voirie devait être en mauvais état, car avant, les marguilliers « sont tenus pour d’autant plus honorer et faciliter ladite procession, de affermir le chemin de paille et de roseaux dans les endroits bourbeux et fangeux ».

Une partie de la cérémonie avait lieu sur la voie publique, le curé et les prêtres recevant les chanoines à la croix de Pouilly, qui se trouvait sur la place où débouchent, aujourd’hui, les rues des Marots, Ambroise Cottet et l’avenue Pasteur. Le curé les conduisait dans l’église pour les vêpres et au presbytère pour le goûter (viande et vins) et la distribution des chandelles.

En 1591, la procession devenait une lourde charge : la reconstruction de l’église coûtait très cher, les revenus de l’église diminuaient, et les frais augmentaient, la nouvelle paroisse étant très étendue, comptant 4.000 fidèles, il avait fallu embaucher « Deux prêtres, un magister et une chambrière pour les secourir et administrer et préparer leurs vivres ». Le curé demanda à l’évêque la suppression de toutes ces charges.

A l’issue de la procession de 1591, il refusa de servir le goûter et de distribuer les chandelles. Le chapitre l’attaqua. L’affaire fut conduite devant le bailliage de Sens, le chapitre demandant le maintien de ses privilèges, le curé en réclamant l’abolition. On batailla ferme pendant 4 ans, et le curé Bessard fut condamné aux dépens et à continuer cet usage. Ce dernier ne se considéra pas vaincu et l’affaire fut appelée devant le Parlement. En 1604, l’affaire se termina dans un sens favorable au Curé, et la procession se déroula sans incident jusqu’en 1686, époque à laquelle un arrêt du Parlement la supprima.

Et depuis, ce souvenir de la vie paroissiale dort dans les parchemins, aucune cérémonie, en l’église Saint-Martin-ès-Vignes, n’est une survivance de cet « usage d’antan ».     


Vitraux émaillés *

La technique de l'émaillerie sur le verre date du second tiers du XVIe siècle. Durant tout le Moyen Âge et le début de la Renaissance, un vitrail est un assemblage de verres colorés maintenus par des plombs qui séparent les différentes couleurs. L'art du vitrail au Moyen Âge a été scandé par la mise au point des pigments pris dans le verre, élargissant ainsi la palette des couleurs. Au XIVe siècle arrivent le jaune d'argent, puis la sanguine et, avec eux, le modelé en grisaille. La pâte est étalée sur le verre, et non plus prise dans la masse, permettant des effets de relief.

À partir du second tiers du XVIe siècle, le travail du peintre verrier change. La technique de l'émaillerie fait son apparition. Désormais l'artiste peut poser la couleur au pinceau sur le verre, ouvrant la voie à une richesse de coloris nouvelle et à une variété accrue dans les effets du dessin. L'émail, que l'on peut aussi appeler «couleur vitrifiable», est un composé d'oxyde de colorant et de fondant. Il se peint sur le verre blanc, puis est cuit au four. La chaleur le fait s'intégrer à la verrière. Mais la technique n'est pas sans difficultés car le fondant à étaler est une pâte chaude et visqueuse. Si elle n'est pas assez visqueuse (mauvaise mise au point), elle peut couler sur le verre. Si elle l'est trop, les couleurs seront modifiées à la cuisson. Sans compter l'effet de l'usure du temps sur l'assemblage de matériaux fort différents (verre et pâte) : dilatation, craquelures et finalement séparation des deux composés, achevant la dégradation de l'œuvre.

Rappelons ici qu'il faudra attendre la première moitié du XIXe siècle pour voir le directeur de la manufacture de porcelaine de Sèvres, Alexandre Brongniart, prendre le taureau par les cornes et lancer ses équipes de recherche sur la mise au point, une fois pour toutes, des peintures qui permettront de vaincre les difficultés nées de la technique de l'émaillerie. L'art du vitrail en sera bouleversé et aboutira au concept du «vitrail-tableau», rapprochant ainsi la peinture sur verre de la peinture sur faïence et sur porcelaine.

Revenons au XVIe siècle. La difficulté de la technique à l'émail explique la rareté des vitraux de ce genre. Françoise Bibolet écrit que, «de 1595 à 1630, l'art du vitrail est en décadence partout». On peut aisément le concevoir. La nouvelle technique avait certainement laissé envisager la création de chefs-d'œuvre, mais c'étaient les vitraux ratés qui se multipliaient. Chez les peintres verriers, le découragement avait dû succéder à la déception... Toutefois, à Troyes, un siècle après le début de l'émaillerie, Linard Gontier releva le défi et, grâce à un talent hors pair, réussit à créer les chefs-d'œuvre attendus.

Linard (ou Léonard) Gontier est né à Troyes vers 1566 et mort vers 1641. Il travaillait avec ses fils, qu'il a sans aucun doute formés. Le plus connu est Linard le Jeune (1601 - vers 1642). Lisons Françoise Bibolet : «Tout en continuant d'utiliser les verres colorés, les Gontier seuls ont su appliquer l'émail avec un art discret et sûr. Ils ont continué la technique ancienne du verre teint dans la masse, mais rehaussé de touches d'émail dans les fonds de paysages, arbres, perspectives ou animaux, dans les visages d'une foule, dans les broderies des vêtements.»

Les Gontier utilisèrent leur art avec maestria dans les petits vitraux. On peut en voir dans les bas-côtés de Saint-Martin dans cette page. Voir aussi le vitrail de l'Immaculée Conception à la chapelle du Saint-Sacrement de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul. C'est par leurs grandes verrières qu'ils ont surtout marqué l'histoire de l'art champenois, mêlant là aussi verres de couleur et émail. À Saint-Martin, les baies hautes du chœur sont illuminées de grandes scènes historiées des Gontier étalées sur plusieurs lancettes : vie de saint Pierre, vie de saint Jean-Baptiste et Annonciation. À la cathédrale, les Gontier ont réalisé le célèbre Pressoir mystique. D'autres peintres verriers les ont suivis sur la même voie : les Macadré à Saint-Nizier ; Jean Barberat dans le chœur de Saint-Pantaléon.

Source : «Les vitraux de Saint-Martin-es-Vignes» de Françoise Bibolet, La Renaissance, Troyes, 1959.

Saint Louis - vitrail de l'Apocalypse - 1505


l'Orgue de Saint Martin*



C'est dans l’église saint Martin que se trouve le plus ancien mobilier d'orgue de Champagne, constituant l'un des rares cas de contemporanéité d'une architecture et d'un orgue. Outre que, même ici, la rigueur des dates ne donne pas entière satisfaction (le buffet est antérieur à l'église), Il faut ajouter que l'ensemble mobilier n'est pas aussi homogène qu'il y paraît. Attardons-nous sur ses composantes pour mieux en juger.

Un buffet de 6 pieds fut d'abord construit pour 400 livres, de 1534 à 1539, par Damien Doublet, menuisier, dont on peut suivre les activités troyennes en consultant les archives locales (SM 107 ; BM ms 2545 copie Finot 11, 270 et ms 2830 p. 6, 13 ; AD fichier Rondot -1 SI 5, 1 68, 1 70). Sur les frises supérieures et inférieures furent peints en noir, sur le chêne naturel, les distiques élégiaques (en partie conservés) que voici

« Haec licet natas flectet co(n)cordia mentes

Et chelys ac plectru(m) barbitos et cythara

Dulcius ast aures mulcent (praestantia illa)

(Organa) multimodis effigiata sonis. »

A une époque plus mystique, le lecteur aurait pu se remémorer le commentaire de sailli Jean-Chrysostome à propos du psaume 91 :

« Ici pas n'est besoin d'une cithare, ni d'un plectron, ni d'aucun instrument.

Mais si tu le veux, tu peux faire de toi-même un instrument en crucifiant

ta chair et en tâchant de réaliser avec ton corps une harmonie parfaite ».

Mais quand vint effectivement le moment de remplacer les vers d'un émule d'Ovide, on leur superposa les célèbres versets du psaume 150 (sacrifiés lors de la restauration de 1967).

Doublet utilisa le pied de 30 cm 48, en usage en Champagne depuis le XIIIème siècle au moins. Il voulut que les tours extrêmes s'élevassent à plus de 16 pieds du sol et que la largeur à ce niveau fût de 10 pieds. Les trois plates-faces centrales forment un carré de 6' 1" 8"' de côté ainsi que le soubassement. De sorte que le rapport doré 1,618 est omniprésent ainsi que le symbolisme qui l'accompagne. La profondeur du meuble est de 3 pieds (cf plan ci-contre).

 Au XVIIème siècle fut ajoutée la petite tourelle centrale, s'intégrant parfaitement à l'ensemble, mais gênant la lecture de certaines sentences. Les volets d'origine furent peut-être encore conservés pour un temps.

Vers 1704 l'ancien banc seigneurial du XVIème siècle fut converti en tribune d'orgue et implanté au fond de la nef, contre le mur Ouest (SI 176). Ses piliers cannelés et carrés, à chapiteaux cruciformes, furent réemployés en sous-œuvre et remplacés pour situer la balustrade et le plancher à hauteur convenable. Le tout fut peint en couleurs vives et, comme pour le buffet, des sentences moins profanes que celles que recherchait la Renaissance furent inscrites en lettres d'or sur fond vert d'eau (toujours recouvertes de la peinture de 1841). Il est surprenant de constater que les entrelacs des panneaux pleins (XVIe siècle) se répercutent au bas des fenêtres de la nef (XVIIe siècle).

Envisagée en 1746, la construction du tambour ne fut réalisée qu'en 1754, pour la somme de 245 livres 7 sols (A.D. Nouv. Acq. 1457, 1458). Un escalier droit descendait vers le bas-côté Nord jusqu'en 1841, date à laquelle un autre, en colimaçon, fut dissimulé dans une sorte de trompe hexagonale (le pendant date de 1844).

Au moment des agrandissements de 1878-1880 (A. Bodié, arch.), un nouveau buffet de 12' fut implanté au fond de la tribune, derrière l'ancien meuble de 1539, essayant de conférer au tout une monumentalité qui ne sera jamais plus égalée ensuite.

Lors des derniers travaux de reconstruction (1963-1970), seules les tours extrêmes de cet ajout du XIXème siècle furent réutilisées. Aux faux positifs de 1854 et 1878 succéda un authentique buffet en chêne massif, abritant les jeux répondant au premier clavier du nouvel orgue ; construit selon les procédés traditionnels, il fut l'un des derniers ouvrages de l'ébéniste troyen Henri Kuhnowski.

Comme on le voit, chaque époque a laissé sa marque à cet ensemble. L'unité qui en résulte toutefois tient plus au respect de l'esprit qu'à la concordance de la lettre.

Les particularités organales des instruments logés dans ces boiseries jusqu'en 1794 nous sont toujours inconnues. Nous savons seulement que le buffet fut prévu pour être installé au sol et qu'il ne pouvait contenir qu'une partie instrumentale sans prétention, commandée par un seul clavier (Fl-A4 ?). Avec une dizaine de jeux à peine, il était sans doute plus important que celui de Méry-sur-Seine, mais plus modeste que ceux de Troyes, Saint-Etienne (1550), et Nogent-sur-Seine (1587).

Au XVIIe siècle, il fut enrichi d'un dessus de récit (SM 106, SI 205) et en 1720 il bénéficia d'une reconstruction (1.700 livres). Depuis la Pentecôte 1713 il fut mis en tribune définitivement, comme l'atteste cette inscription gravée dans le mur Ouest :

Claude Jolly / première organiste / de céans. En 1713 a commencé / A la feste de la pantecoste / 1713 / CIaude Jolly organiste / et Mme Boulanger.

 François Mangin, auteur de l'orgue de N.D. et Saint-Jacques-aux-Nonnains (aujourd'hui à Bar-sur-Seine), assura l'entretien jusqu'à sa mort. Les Jolly, autres facteurs troyens, lui succédèrent.

Le 18 germinal an Il (7.4.1794), la tuyauterie de l'orgue de Saint-Martin-ès-Vignes, ainsi que d'autres, furent confisquées conformément à la loi. L'orgue détruit resta muet pendant près d'un demi-siècle. Quant à son mobilier épargné, personne n'en fit jamais beaucoup de cas. La tribune fut très rarement remarquée (SI 45 p. 51 et 176 pp. 379-404) et le buffet de Doublet fut longtemps considéré comme un pastiche assez réussi...

Nicolas Thibesart (1779 + 1843), maire de Saint-Martin-ès-Vignes de 1840 à 1843, mit un terme à cette situation anormale et offrit à sa paroisse la reconstruction de l'orgue. Pour cela il consulta Nicolas-Antoine Lété, facteur d'orgues à Mirecourt (Vosges), qui lui fournit le projet (SM 108) d'un petit orgue romantique de 15 jeux sur 2 claviers, projet dont la réalisation s'éloignera quelque peu (SM 109 ; SI 101, 104, 124 ; cf les " Compositions comparées "). Lété entretint son orgue jusqu'à la fin de sa carrière (SM 1 1 0) tandis que, pendant les vingt années suivantes, diverses bonnes volontés se chargèrent de la maintenance. Les Rolin prirent le relais jusqu'au jour où la paroisse s'avisa de vouloir créer un grand orgue.

En 1870, les marguilliers envisagèrent de consulter A. Cavaillé-Coll, comme le faisaient ceux de Chaumont. Mais, depuis que Jaquot-Jeanpierre avait installé l'orgue de chœur de Saint-Martin (1869) et réalisé d'autres travaux dans l'Aube, le facteur de Rambervillers (Vosges) savait s'imposer en cultivant l'art de la négociation. Un premier devis (1 1.3.1877) de 18300 F fut proposé, puis un second (13.12.1878) de 18000 F pour un orgue de 29 jeux sur 3 claviers et pédale (SM 1 1 2) qui servira de base au Marché du 22.2.1879 (SM 1 1 3) conclu pour 17700 F (SI 26, 102, 175, 209 ; cf tableau des " Compositions comparées "). Comme de coutume, le constructeur se réserva l'entretien (SM 114), jusqu'au moment où Bossier obtint la confiance de Désiré Béreau (1890 + 1962), le talentueux titulaire nommé en 1918 (SI 127). Cet organier, alors mieux apprécié que la postérité ne le reconnaît aujourd'hui, se vit confier une restauration qu'inaugura André Marchal le 18.10.1931 (c'est ainsi que disparut le cromorne de Lété, remplacé par un ramassis de tuyaux destinés à constituer un Nazard), SI 103, 182.

Dès la nomination de l'actuel titulaire, un projet de reconstruction fut envisagé, l'orgue de Jaquot-Jean-pierre et Cie n'offrant plus qu'une mécanique infidèle au service d'une palette sonore assez pauvre, quoique non dépourvue d'une certaine poésie. Le choix de l'esthétique et des procédés de construction dépendirent de celui du facteur, qui résulta lui-même de divers rebondissements imprévisibles.

Robert Boisseau, de Poitiers, fut le premier facteur recommandé (devis du 21.1.1963 pour un orgue de 37 jeux sur 3 claviers et pédale). Ses plans, livrés le 28.2.1963, sacrifiaient le buffet de 1539 en ne conservant du meuble que sa façade afin d’agrémenter- en l'améliorant - celle de Jaquot. Le dessin que fit de ce projet H.Kuhnowski, si réussi fût-il, ne pouvait toutefois faire admettre la quasi destruction d'un meuble du XVIème siècle, quoique non encore classé.

 Philippe Hartmann, facteur d'orgues à Rainans (Jura), opposa diverses propositions (6 plans de 1963 à 1966 ; SM 11 5 à 11 8), fort séduisantes à certains égards, sans cependant respecter le fond du vieux buffet ni les côtés de la tribune. Une disposition compatible avec les impératifs de la conservation rigoureuse d'un mobilier très estimable fut enfin trouvée (SI 121), après que les travaux de facture d'orgue aient été commencés. Mais une faillite (1 967) arrêta le facteur, pourtant passionné par son projet.

Athanase Dunand, de Villeurbanne, avait travaillé à Saint-Joseph de Troyes (1963-1968) D'abord appelé à expertiser les travaux interrompus de Philippe Hartmann, il fut invité ensuite à les conduire à leur terme. Le 4ème projet du facteur franc-comtois (24.11.1967), prévoyant 49 jeux sur 4 claviers et pédale, fut réduit à 40 jeux (devis définitif d'A.Dunand du 10.4.1969 ; SM 11 9-120). Le Marché fut signé le 5.6.1969 (SM 121) et les travaux furent achevés le 13.12.1970 (SM 59, 60, 122 à 124, 162 à 164). Ce fut le dernier ouvrage d'un facteur arrivé en fin de carrière : chant du cygne auquel il voulut donner le meilleur de lui-même en y associant son fils et successeur.

Cette Voix de l'architecture ne correspond à aucun pastiche français ou étranger, mais suit naturellement l'histoire du mobilier et de la tuyauterie conservée pour atteindre une aptitude à l'exécution de la musique du XXème siècle, d'où certaines dispositions techniques nouvelles, sans exclure d'autres approches possibles.

Ces voix multiples d'hier, assemblées à celles d'aujourd'hui, permirent une redécouverte de l'acoustique des édifices troyens du XVIème siècle et de celui-ci en particulier, exceptionnellement favorable à la musique, d'où les concerts fréquents qui y sont donnés depuis 1971 (SI 217).

La beauté toute simple de l'architecture champenoise, baignée des harmonies matinales de l'orgue comme des ors du soleil couchant, est unique, et concourt à servir la prière et l'art autant qu'on y soit attentif.


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