samedi 6 avril 2024

Hermès Trismégiste, entre légendes et vérités...

 

Rosicruciens - Francs-Maçons - entre alchimie et hermétisme

Hermès Trismégiste

            Spiritualiser la matière et matérialiser l’esprit


Hermes mercurius trismegistus-cathédrale de Sienne (au sol)


La Table d’Émeraude*…Texte écrit en arabe puis traduit en latin, et dont la plus ancienne version daterait du tout début du Moyen Âge. Sa rédaction est attribuée à Hermès Trismégiste, la légende voulant que le texte fût trouvé dans le tombeau de ce dernier, gravé sur une tablette d’émeraude. Ce court traité ésotérique fait partie de ce que l’on appelle les Hermetica, soit un ensemble de textes fondateurs du courant que constitue l’hermétisme.

Le personnage mythique d’Hermès Trismégiste (Trismegistos en grec, c’est-à-dire « Trois fois grand ») est une synthèse du dieu grec Hermès (Mercure chez les Latins, messager des dieux, dieu des carre-fours, des voyageurs, des voleurs, des commerçants, des arts et du savoir, et conducteur des âmes aux Enfers) et du dieu égyptien Thot (inventeur de l’écriture, dieu des astres et du temps, du savoir et des magiciens).

Il incarne donc, comme ses deux divinités inspiratrices, la connaissance des arts et des sciences, mais surtout les médiations, tout ce qui a trait aux transferts et aux passages, à la transmission, à l’initiation et aux transmutations qui peuvent en découler.

C’est d’ailleurs à ce titre, en tant que figure de transmission et de médiation présidant à des transmutations, c’est-à-dire à des changements d’états profonds, qu’Hermès Trismégiste fut considéré comme le père de l’alchimie et que sa fameuse Tabula smaragdina fut constamment évoquée par les adeptes du Grand Œuvre ; on pense notamment au célèbre commentaire de La Table d’Émeraude qui a été fait par l’alchimiste Hortulain au XIVe siècle…

La présence des traditions hermétique et alchimique en franc-maçonnerie…

Nous avons fait le choix de nous intéresser principalement à l’interprétation alchimique que l’on peut donner dudit texte, tout en ayant conscience du fait qu’il a suscité d’autres filiations et fait l’objet de diverses gloses. Ce choix, qui pourrait paraître arbitraire, s’est imposé naturellement dans la mesure où, d’une part, le format restreint d’un article de revue frappe de nullité toute prétention à l’exhaustivité, et où, d’autre part, il nous a paru important de souligner pourquoi et comment la franc-maçonnerie a pu trouver dans l’alchimie et son corpus, dont La Table d’Émeraude est un élément central, une véritable source d’inspiration (surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle), aux côtés d’autres sources d’inspiration, comme la philosophie grecque, la religion judéo-chrétienne, la Kabbale, la chevalerie médiévale et la maçonnerie opérative des bâtisseurs de cathédrales…

L’ouvrage du baron de Tschoudy paru en 1766 sous le titre L’Étoile flamboyante est particulièrement représentatif de cette inspiration puisque le catéchisme hermétique rédigé par ce franc-maçon conjugue tradition alchimique et rituel maçonnique. Certains tableaux de loge de la même époque témoignent également de cette dimension alchimique, ainsi que l’a mis en évidence Dominique Jardin.

 

*Table d’Emeraude  en fin de ce texte


Aujourd’hui encore, cette source d’inspiration alchimique demeure prégnante en franc-maçonnerie. Par exemple, dans le Cabinet de réflexion, on note la présence du ternaire Sel-Soufre-Mercure (ce dernier, qui tend à disparaître de nos jours, peut être toutefois évoqué par la cruche d’eau, en tant qu’il est un principe aqueux autant que volatil, mais plus encore par le Coq, attribut d’Hermès et qui désignait le « vif-argent » pour les alchimistes). L’acrostiche latin VITRIOL est lui aussi emprunté aux alchimistes. Anagramme de « l’Or y vit », l’acrostiche VITRIOL signifie « Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem », soit « Visite l’Intérieur de la Terre et en Rectifiant tu Trouveras la Pierre Cachée ». Mentionnons également l’épreuve des quatre éléments lors de la cérémonie d’initiation, ou encore la représentation, dans les temples, du Soleil et de la Lune, ainsi que de l’Étoile flamboyante, symbole pouvant s’apparenter notamment au régule étoilé qui apparaissait lors de la fabrication de la pierre philosophale. Certains hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté et Ordres de sagesse du Rite Français sont également empreints de références, explicites ou implicites, à Hermès Trismégiste, à La Table d’Émeraude et à l’alchimie. Nous y reviendrons ultérieurement.

Du principe des correspondances au dépassement d’une vision dualiste du monde

De La Table d’Émeraude, nous nous efforcerons d’expliquer deux de ses phrases, la première étant :

« Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour que s’accomplisse le miracle d’une seule chose ».

Deux idées importantes s’expriment dans cette phrase. S’y trouve affirmé, d’une part, le principe des correspondances, et d’autre part, une volonté de dépasser une vision dualiste du monde.

La théorie des correspondances, en effet, est implicite : le haut et le bas apparaissent dans un rapport de similarité, à l’instar de deux miroirs qui se reflèteraient l’un l’autre. Le comparatif « comme » semble indiquer ici une ressemblance voire un accord entre le haut et le bas, un rapprochement soit par homologie, soit par analogie. Encore fautil s’entendre sur ce qu’est ce « haut » et sur ce qu’est ce « bas » : le haut peut symboliser le monde céleste et le bas peut symboliser le monde terrestre. Mais ces notions spatiales renvoient probablement aussi à des notions non spatiales, à des idées abstraites, des concepts, des facultés ou des valeurs morales. En termes platoniciens, le haut pourrait représenter le monde intelligible (celui des Idées, de la Vérité, des Essences…) et le bas le monde sensible (celui de la matière, du devenir, de la mort…).

L’approche analogique : microcosme et macrocosme, Temple et Contemplation

En effet, dans la mesure où la pensée hermétiste et hermésienne est symbolique, imagée et analogique, le Haut est susceptible d’évoquer le Ciel, et le Ciel à son tour peut symboliser tout ce qui a trait à l’invisible, à l’éthéré, au spirituel, et inversement pour le bas. Par extension, le haut peut désigner le macrocosme, ainsi que le créateur, et le bas peut désigner le microcosme, les créatures, l’homme, les animaux, les plantes, etc.

Toutefois, on peut également considérer qu’il y a un haut et un bas au sein même du monde terrestre. Ainsi l’homme, créature de ce bas-monde terrestre, s’est-il élevé dans le règne animal, parce qu’à la différence des autres animaux il possède le logos, c’est-à-dire la raison et le langage. Enfin, l’homme lui-même possède, dans une vision philosophique occidentale, un haut et un bas, un esprit et un corps, une raison et des sens. Les rapports entre le haut et le bas se trouvent donc emboîtés à la façon de poupées gigognes ou de figures fractales, si l’on change d’échelle de grandeur ou de cadre de référence. Si nous prenons un exemple maçonnique, le tableau de loge représente une vision microcosmique de la loge, laquelle loge est elle-même un microcosme par rapport au macrocosme qu’est la société, société qui à son tour est un microcosme par rapport au macrocosme que sont la voûte étoilée et l’univers…

Le franc-maçon Henry Corbin a d’ailleurs bien montré, dans son ouvrage Temple et Contemplation, que le temple physique et la contemplation de l’initié sont une même chose ou plutôt se font écho, dès lors qu’il y a une intériorisation des images extérieures, c’est-à-dire une contemplation du temple et, au-delà, du ciel et du cosmos. La préface de Gilbert Durand au livre d’Henry Corbin le souligne fort bien :« l’image archétype du Temple — en Orient comme en Occident — n’est pas séparable de la méthode “contemplative” […] finalement “le contemplateur, la contemplation et le Temple ne font qu’un”. […] Rappelant l’étymologie et l’usage du vieux templum, Corbin nous dit qu’il est une sorte d’instrument pour “viser le Ciel” : “le Temple est le lieu, l’organe de la contemplation” ».

Le fil à plomb parfois attaché au plafond des temples maçonniques semble jouer le rôle symbolique d’axis mundi, reliant le zénith et le nadir, le sol et la voûte étoilée. De la même manière, l’acronyme VITRIOL, qui peut s’interpréter comme une descente au fond de soi-même par un travail d’introspection, est peut-être plus tourné vers l’extérieur qu’il n’y paraît au premier abord, si on le considère à la lumière du principe des correspondances. La pierre cachée que l’on cherche est à la fois en soi et hors de soi, selon un jeu d’analogies et de miroirs, en accord avec le précepte grec « connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux »… On retrouve là le « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut » de La Table d’Émeraude. Cela nous amènera plus tard à développer l’idée que la construction du temple intérieur doit s’accompagner de la construction du temple extérieur, et vice-versa.

Il convient de préciser que La Table d’Émeraude ne semble pas affirmer de préséance ou de supériorité du haut sur le bas, en termes de valeur notamment, à l’inverse de tout un courant philosophique dominant en Occident depuis Platon (se référer notamment à l’analogie de la ligne ou encore à l’allégorie de la caverne, dans les livres VI et VII de La République). Il y a en tout cas réciprocité dans la comparaison bas/haut, haut/bas, et le texte semble inviter à dépasser finalement une vision dualiste et binaire du monde, puisqu’il est dit « pour que s’accomplisse le miracle d’une seule chose ». Nous n’irons pourtant pas jusqu’à en conclure que ce texte des Hermetica adopte une vision moniste du monde. Ou si monisme il y a, il ne s’agit pas d’un monisme radical, mais plutôt d’une pensée non dualiste, qui ne nie pas pour autant les différences formelles entre les éléments, point que nous allons développer par ailleurs.

 

Accomplir le miracle d’une seule chose…

Eu égard à ces remarques préliminaires, on peut déjà comprendre pourquoi les alchimistes étaient si attachés au texte de La Table d’Émeraude, eux qui affirmaient les correspondances entre les éléments du monde terrestre et du monde céleste : par exemple, à chaque métal correspondait un astre (l’argent correspondait à la lune, l’or correspondait au soleil, le plomb à Saturne, le fer à Mars, le Cuivre à Vénus, etc.) D’ailleurs, les énergies astrales étaient censées avoir une influence sur les métaux et autres éléments terrestres, lesquels à leur tour étaient supposés catalyser les énergies célestes et pouvoir se transformer par ce biais.

Or si tout un réseau de correspondances pouvait relier le bas et le haut, selon les alchimistes, c’est bien parce que ces derniers affirmaient le principe de l’unité essentielle de la matière. Ils considéraient les différences entre les éléments plutôt comme des différences de forme ou d’évolution dans un long processus de maturation, que comme des différences de nature ou d’essence : ainsi pensaient-ils que le plomb était un métal qui n’avait pas atteint un degré de maturation suffisant pour devenir de l’or. L’alchimiste Zosime de Panopolis symbolisait cette unité de la matière par un Ouroboros, un serpent qui se mord la queue, évoquant la formule grecque « En to pan », c’est-à-dire « Un le Tout ». Rappelons au passage que le sceau du Grand Orient de France est un cercle, entouré à sa périphérie d’un Ouroboros… Il en va de même pour la Grande Loge Féminine de France :

« Accomplir le miracle d’une seule chose », selon les mots de La Table d’Émeraude, réunir le bas et le haut ou, pour utiliser une expression des adeptes du Grand Œuvre, réaliser les « noces chymiques du ciel et de la terre », tel était bien l’objectif des alchimistes, objectif atteint à travers l’obtention de la Pierre Philosophale.

L’unité finale consacrant la communion du bas et du haut est donc en fait une unité retrouvée après avoir été perdue (un peu comme notre Parole perdue qui doit être retrouvée), puisqu’elle est rendue possible par le principe originel de l’unité de la matière, et de l’unité du cosmos.

Unité mais pas uniformité : une coincidentia oppositorum

Cependant, cette unité finale n’est pas un tout qui effacerait complètement les singularités des éléments qui le constituent pour les fondre dans une sorte d’uniformité ou de fusion magmatique (de la même manière que la cohésion du groupe maçonnique, l’égrégore d’une loge ou la fraternité des franc-maçonneries n’impliquent pas l’effacement des particularismes individuels ou même institutionnels, mais plutôt leur mise au diapason : les rencontres Lafayette, organisées entre le Grand Orient de France et la Grande Loge Nationale Française sont d’ailleurs un bel exemple de cette harmonisation dialogique, de cette union respectueuse des identités de chaque obédience). Telle est la raison pour laquelle nous doutons, encore une fois, que la pensée traversant le texte de La Table d’Émeraude puisse être qualifiée de pensée moniste… Il s’agirait davantage d’opérer une coincidentia oppositorum, de rendre complémentaires, de faire coïncider, dialoguer et interagir des éléments différents en vue de former un système harmonieux et cohérent.

 Ajoutons enfin que si l’unité entre le bas et le haut peut être retrouvée, c’est probablement parce qu’il n’y a pas seulement correspondance par analogie ou homologie entre ce bas et ce haut, mais mise en relation, médiation par un tiers (d’où l’importance du ternaire, dans la tradition alchimique comme en franc-maçonnerie), voire interaction entre les deux. C’est en tout cas ce que semble signifier cette autre phrase de La Table d’Émeraude :

« Il s’élève de la terre vers le ciel puis redescend en terre, et reçoit la force des choses supérieures et des choses inférieures »

L’opératif et le spéculatif

Dans une perspective alchimique, on peut dégager de cette phrase un niveau de lecture opératif et un niveau de lecture spéculatif :

Le niveau de lecture opératif consistait à comprendre ce qu’il fallait faire concrètement pour produire la Pierre philosophale. Il convenait notamment de décomposer puis de sublimer la materia prima dans une cornue ou un alambic. La matière changeait plusieurs fois d’état, elle était calcinée et putréfiée, puis prenait un état gazeux et s’élevait dans la cornue. On voyait donc bien un mouvement allant du bas vers le haut, d’un état matériel, visible, vers un état immatériel, invisible. Ensuite s’amorçait un mouvement inverse, du haut vers le bas. C’était la phase de reconduction en terre, étant entendu que le volatil devait être fixé, matérialisé derechef.

Le niveau de lecture spéculatif, lui, impliquait d’une part une vision du monde, une réflexion sur les lois de l’univers, une métaphysique et une physique (théorie des correspondances, principe d’unité de la matière, etc.) ; et d’autre part une sorte de vade-mecum pour l’adepte, pointant le long travail de perfectionnement intellectuel, moral et spirituel que l’alchimiste devait accomplir sur lui-même par une longue ascèse, accompagnée de l’observation et de la compréhension des lois de la nature. L’alchimiste s’efforçait d’abord de se purifier, de débarrasser son corps des passions mauvaises qui le rendaient impur. Mais après cette phase d’élévation, de spiritualisation du sensible et du matériel, devait s’ensuivre, inversement, une matérialisation de l’esprit. Le mouvement consistait donc à aller du bas vers le haut, de la matière vers l’esprit, puis du haut vers le bas, de l’esprit vers la matière. Pas question donc de fuir le monde terrestre vers un au-delà constitué de purs esprits. Il s’agissait plutôt de sublimer et de parfaire ce monde ci.

Le niveau opératif et le niveau spéculatif étaient indissociables, car imbriqués, pour les adeptes de l’Art Royal : c’est en œuvrant — au sens opératif du terme — sur la matière, que l’alchimiste était censé se transformer intérieurement ; inversement, sa transformation intérieure devait se concrétiser par une transmutation effective de la matière qui se trouvait dans l’athanor, dont la Pierre philosophale et la production de l’or apparaissaient comme étant la consécration.

 

De quelques parallélismes entre travail maçonnique et Œuvre alchimique

Il en va de même en franc-maçonnerie. D’abord, parce que le franc-maçon est à la fois sujet et objet de son travail : il réfléchit et il s’objective, il se travaille lui-même comme s’il était sa propre œuvre d’art, sa propre sculpture. Ensuite parce que le franc-maçon, en se changeant et en se construisant lui-même, contribue à construire le monde dont il est un élément constitutif ; inversement, lorsqu’il s’efforce de changer et de construire le monde, il s’en trouve transformé et reconstruit d’un point de vue identitaire. On retrouve là la théorie des correspondances et l’on pourrait dire que « ce qui est à l’intérieur est comme ce qui est à l’extérieur, et ce qui est à l’extérieur est comme ce qui est à l’intérieur, pour que s’accomplisse le miracle d’une seule chose »…

De nombreux autres parallèles peuvent être établis entre la voie alchimique et la voie maçonnique. Par exemple, le cabinet de réflexion, qui ressemble à un sépulcre autant qu’à une caverne, avec ses demiténèbres, son crâne et son testament philosophique, évoque volontiers la phase de Nigredo ou Œuvre au Noir durant laquelle les alchimistes décomposaient par calcination et putréfaction leur materia prima. Comme en franc-maçonnerie, cette mort « chymique » précédait une renaissance. À la Nigredo succédait l’Albedo, l’Œuvre au Blanc, puis la Rubedo, l’Œuvre au Rouge : purification, élévation, sublimation ou spiritualisation de la matière, reconduction en terre, matérialisation de l’esprit, noces chymiques du ciel et de la terre, sublimation et perfection aurique…

Cette phase de Nigredo ou Œuvre au Noir revient lors de la cérémonie d’exaltation au grade de maître, avec la mort d’Hiram et des références telles que « la chair quitte les os », rappelant la putréfaction de la matière. On la retrouve également au Rite Écossais Rectifié, à travers la figure du Phénix — qui meurt en se consumant afin de mieux renaître de ses cendres — et la devise « perit ut vivat » au grade d’Écuyer novice.

De façon plus générale, on voit bien les parallèles que la franc-maçonnerie a pu faire avec la voie alchimique, à partir d’un même postulat, celui de la perfectibilité des choses et des êtres, et de l’action méliorative de la volonté, de l’action créatrice voire démiurgique que peut avoir l’homme initié, à la fois sur lui-même et sur le monde qui l’entoure. Le franc-maçon néophyte est une pierre brute amenée à être dégrossie et polie, dans la loge-athanor, grâce au processus initiatique qui opère une « métanoïa », une conversion ou transmutation de l’être, de la même manière que la materia prima des alchimistes doit devenir Pierre philosophale, et que le plomb doit être transmuté en or, par son labeur et la logique progressive des étapes qu’il suit.

Mais le parallèle ne s’arrête pas là : les francs-maçons, comme les alchimistes, adoptent une démarche symbolique. Ils mobilisent une pensée imagée, fondée sur des rapports analogiques et résolument polysémique, devant donc être soumise à une herméneutique, un travail d’interprétation permanent. Cela mérite d’être souligné, car la philosophie occidentale a tout de même été largement iconoclaste, privilégiant l’approche rationaliste, avec des modes de pensée conceptuels et des démarches de type logique, ainsi que l’a fort bien montré l’universitaire et franc-maçon Gilbert Durand. L’alchimie et la franc-maçonnerie font donc figure de traditions quelque peu marginales en Occident, par l’approche symbolique qui est la leur.

 Enfin, le franc-maçon, comme l’alchimiste, sollicite à la fois la raison, les sens et l’imagination, le haut (son esprit) et le bas (son corps), en vue d’une réconciliation finale. Il opère sur un niveau spéculatif (les planches, fruit d’un travail de réflexion, permettant notamment d’intellectualiser le vécu ou les émotions éprouvées durant le rituel, en sont un exemple), et sur un niveau opératif, puisqu’au-delà du fait que l’initié sollicite son corps et ses sens à travers le rituel, il est amené à « poursuivre au-dehors l’œuvre commencée dans le temple », à s’engager dans la société pour essayer de la changer concrètement, en tout cas dans une obédience comme le Grand Orient de France. C’est la raison pour laquelle, sous la IIIe République, bon nombre de francs-maçons du Grand Orient de France ne distinguaient guère leur engagement maçonnique de leur engagement politique !

Les renvois hermétiques et alchimiques sont nombreux dans les hauts grades du REAA

Les renvois hermétiques et alchimiques sont d’ailleurs nombreux dans les hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté. On en trouve trace aux grades de Chevalier d’Orient et d’Occident (17e degré), Chevalier Rose-Croix (18e degré) et Chevalier du Soleil (28e degré). Mais c’est surtout au grade de Chevalier Kadosh qu’on insiste sur cette dialectique entre le sensible et l’intelligible, le corps et l’esprit, le temple intérieur et le temple extérieur, que La Table d’Émeraude met en exergue. Le 30e degré, en effet, présente une Échelle mystérieuse à sept barreaux. Le rituel déclare : « L’Échelle mystérieuse que vous voyez devant vous, fait partie d’une catégorie de symboles qu’on retrouve dans la plupart des traditions, sous des formes variées, mais dont les interprétations convergent. Le prototype en est l’arbre, en qui les primitifs voyaient un trait d’union entre la Terre où s’enfoncent ses racines et le Ciel vers lequel monte sa cime ».

Ladite échelle se parcourt d’ailleurs dans les deux sens, l’initié montant puis redescendant symboliquement l’échelle, allant d’une perception quasi animale vers la Vérité, puis de la Vérité vers la Sagesse, en passant par différentes vertus, ainsi qu’il est précisé dans le texte. Comme dans La Table d’Émeraude, on peut dire qu’« il s’élève de la terre vers le ciel puis redescend en terre, et reçoit la force des choses supérieures et des choses inférieures ». Le rituel maçonnique déclare en outre, lors du passage de grade au 30e degré, qu’« il faut toujours associer raison et sentiment », après que le récipiendaire a monté puis descendu par la pensée l’échelle mystérieuse (précisons que l’imagination symbolique joue souvent, en franc-maçonnerie, ce rôle crucial de médiatrice entre raison et sentiment, monde intelligible et monde sensible, dans la mesure où le symbole est une idée abstraite matériellement représentée et appréhendée par les sens, une image signifiante… la voie symbolique produit donc de l’imaginal, c’est-à-dire, selon les définitions d’Henry Corbin et de Gilbert Durand, un intermonde, à mi-chemin entre le sensible et l’intelligible).

La figure du Chevalier Kadosh incarne en soi la réconciliation du haut et du bas

Plus largement, la figure du Chevalier Kadosh incarne en soi la réconciliation du haut et du bas, la conjugaison du travail de réflexion et de l’engagement dans l’action. Comme la Pierre philosophale, le Chevalier Kadosh opère les noces chymiques du ciel et de la terre. Comme les moines soldats au Moyen Âge également, ce personnage chevaleresque associe transcendance et immanence ; il se bat pour un idéal, s’efforce de donner corps aux valeurs auxquelles il croit. Comme l’initié des Ordres de sagesse du Rite Français, qui travaille lui aussi « l’épée d’une main et la truelle de l’autre », le Kadosh s’efforce de construire la cité céleste ici-bas et de la défendre contre ceux qui voudraient faire régner l’oppression et l’injustice sur cette terre. On pourrait, enfin, rapprocher le Chevalier Kadosh du philosophe conçu par Platon dans La République, lequel philosophe doit d’abord quitter la ténébreuse ignorance, s’élever vers la lumière de la connaissance, contempler le monde des Idées et le soleil de la vérité, pour redescendre ensuite derechef dans la caverne, dans les profondeurs chtoniennes de la matière et les affaires humaines de la polis, avec le projet d’y faire régner un idéal de justice. Ainsi en est-il du franc-maçon, en effet, d’abord enfermé dans un cabinet de réflexion qui ressemble à une caverne, puis initié tentant de spiritualiser son expérience, enfin Kadosh renouant avec le monde terrestre et profane, s’engageant dans l’action afin de défendre les valeurs humanistes de la franc-maçonnerie et de changer le monde. À cette différence près que pour lui, le monde terrestre n’apparaît sans doute pas comme un simple reflet, un simulacre ou une copie dégradée du monde intelligible.

À cet égard, le Chevalier Kadosh est une véritable coincidentia oppositorum, et peut-être l’une des plus belles illustrations maçonniques de ce double mouvement allant du bas vers le haut puis du haut vers le bas, de ce processus de spiritualisation de la matière suivi d’une matérialisation de l’esprit. C’est la raison pour laquelle « le blason du grade montre un aigle bicéphale, mi-parti blanc et noir, tenant une épée dans ses serres » (on retrouve cette symbolique au Rite Français, au grade de Chevalier de l’Aigle Blanc et Noir). Le rituel de réception du Kadosh explique d’ailleurs que « cette opposition, en même temps que ce rapprochement des couleurs, symbolise la confrontation des contraires que l’initié a la charge de concilier ».

Le rituel du Ve Ordre du Rite français n’est pas sans rapport avec La Table d’Émeraude

Mêmes résonances au Ve Ordre du Rite Français, constitué de grades alchimiques et hermétiques. Dans le dernier Rituel de référence du Rite Français du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France, Le régulateur du IIIe Millénaire, la 3e Arche du Ve Ordre est appelé « Chrysopéion » des sublimes philosophes inconnus. Or la Chrysopée n’est autre que la fabrication de l’or ; quant au philosophe inconnu, ce n’est pas seulement le surnom donné à Louis-Claude de Saint-Martin, c’est également le titre d’un traité d’alchimie écrit au XVIIe par Dom Belin, Les aventures du philosophe inconnu. Quelques phrases extraites du rituel du Ve Ordre du Rite Français ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles de La Table d’Émeraude

“Nous sommes ceux qui défendent la Chrysopée,

nous sommes ceux qui connaissons le Secret qui unit la Voûte étoilée à la Caverne et la matière de l’esprit à l’esprit de la matière de sorte à ne plus former qu’une seule et même Étoile”

 

 Le Maître de l’Arche :

“Que le haut s’unisse au bas ! Que le bas s’unisse au haut !”

Le Grand Orateur :

“La Matière et l’Esprit sont une même et unique chose ; ils forment les outils parfaits du Sage, qui seul, a le pouvoir de transformer toute chose en un objet précieux“ ».

45Spiritualiser la matière et matérialiser l’esprit, cela signifie non seulement réconcilier la part animale et la part divine de l’homme, son corps et son esprit, mais aussi vouloir réaliser la cité céleste ici-bas plutôt que dans un improbable au-delà (à l’inverse de ce que proposent la plupart des religions), autrement dit construire la cité terrestre en s’inspirant d’un idéal, prendre pour horizon d’action une utopie, choisir un cadre de référence outrepassant l’existant et visant un modèle de perfection ou plutôt un processus infini de perfectionnement. Tel est le sens de cette métaphore obsédante que représente, pour les francs-maçons, le Temple de Salomon : le Temple de Salomon, en effet, est une construction humaine ; pourtant, il est inspiré par une transcendance puisqu’il est censé contenir en son sein l’Arche d’Alliance. Comme le Grand Œuvre des alchimistes, il est fait de main d’homme, mais porteur d’un Absolu, afin de réaliser les noces chymiques du ciel et de la terre.

Là encore, la voie maçonnique se distingue donc de tout un courant philosophique occidental exhortant à consommer la séparation entre l’esprit et le corps, la raison et les sentiments, la réflexion et l’action, et invitant aussi le sage, parfois, à se satisfaire d’un état purement contemplatif, non engagé dans l’action. Le franc-maçon, à l’instar de l’arbre, a les pieds sur terre et la tête tournée vers le ciel. Il s’efforce d’« améliorer à la fois l’homme et la société » et de « rassembler ce qui est épars » pour que s’accomplisse le miracle d’une seule chose : le Centre de l’Union et la Concorde universelle…

 

Plutôt Appolonius de Tyane que Hermès Trismégiste

Commençons par un peu d’histoire. Cet étrange poème a connu plusieurs versions. La toute première connue se trouve à la fin d’un traité attribué non pas à Hermès Trismégiste mais à Apollonius de Tyane – 1er siècle de l’ère chrétienne –, mage, pythagoricien, thaumaturge, dont il existe des biographies romancées. C’est le Livre des secrets de la création, qui traite de la constitution de l’univers en la rapportant à l’ordre de la création. L’original grec est perdu, on n’en a qu’une traduction arabe qui date du VIe siècle (certains philologues disent du IXe). La Table d’Émeraude figure à la fin de ce traité d’Apollonius. Elle en a été extraite, en traduction latine, dans l’Occident du moyen-âge, pendant lequel il a circulé de façon autonome et relativement restreinte Sur les premières versions, la référence obligée est toujours…. À cette époque sont apparus les tout premiers commentaires. Ainsi, celui de Roger Bacon vers le milieu du XIIIe siècle, celui d’un certain Hortulanus (l’Hortulain) au milieu ou au début du XIVe. Sa version latine courante (cf. la traduction française, en appendice) a été imprimée pour la première fois en 1541, dans une anthologie intitulée De Alchemia. Date importante, car cette édition a suscité une grande diffusion, et du même coup maints commentaires – depuis la Renaissance jusqu’à aujourd’hui.

Quand on cite La Table d’Émeraude, c’est généralement le deuxième verset (« Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose »), de même qu’il nous arrive d’entonner les premiers mots d’une chanson dont nous avons oublié les suivants. Je l’aborde ici en l’interrogeant sur deux questions fondamentales qu’il semble appeler quant à notre vision du monde : d’une part, la question de la transcendance et de l’immanence ; d’autre part, celle de l’interrelation entre deux ordres de réalité différents l’un de l’autre. Ensuite, quelques points seront évoqués portant sur les rapports possibles ou réels entre ce verset et la Franc-Maçonnerie.

La question transcendance/immanence : deux cas de figure

« Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut » …

Le « bas », c’est nous, le monde visible qui nous entoure directement, mais quid de ce « haut » ? On peut l’entendre de deux manières.

Premier cas de figure : C’est le ciel peuplé d’étoiles – le cosmos au-dessus et autour de nous. À savoir, une des deux composantes d’un tout dont l’autre composante serait le « bas » (notre terre, notre monde). Il peut s’agir d’un macrocosme (un grand monde), et d’un microcosme (un ‘petit monde’), sans qu’il y ait une troisième composante ; à savoir, sans une transcendance qui viendrait les surplomber. Cela relève de l’immanence.


Pensons à l’astrologie. Et à d’autres mancies (systèmes de divination) qui reposent elles aussi sur l’idée que certains supports symboliques, manipulés de façon appropriée, nous permettraient de nous brancher sur des éléments du macrocosme normalement invisibles aux yeux du microcosme que nous sommes. On pourrait dire ici que le « haut » et le « bas » sont comme la chaîne et la trame d’un tapis. Or, en principe un tapis n’est pas surplombé, ‘transcendé’, par un autre tapis…

Mais nous pouvons aussi, second cas de figure, imaginer que grand monde et petit monde pris ensemble relèvent tous les deux du « bas », et qu’un « haut », appelé transcendance, les surplombe. La question est alors de savoir de quoi cette transcendance peut bien être faite. Libre à chacun de l’imaginer selon ses préférences! Si vous imaginez son contenu comme radicalement étranger, voire opposé, à tout ce qui se trouve au-dessous, alors il n’y a vraiment pas lieu de dire qu’il est « comme » (sicut) ce qui est en bas. Mais si, au contraire, vous imaginez que ces deux plans (immanence et transcendance) présentent des ressemblances considérables, alors vous pouvez dire que l’un est « comme » (sicut) l’autre. Par exemple, Swedenborg, le célèbre visionnaire suédois du XVIIIe siècle, grand visiteur des paysages de l’audelà, voit les cieux (au sens transcendantal du terme) comme une sorte de doublon de notre monde. Ils sont peuplés d’anges, lesquels ne sont d’ailleurs que des humains ayant vécu sur terre. Ils y demeurent dans des villes, dans des campagnes, ils y vaquent à leurs affaires, ils se marient – tout « comme » (sicut) nous, à cette différence près que l’harmonie y règne mieux qu’ici-bas, y compris entre hommes et femmes…]Dans son sonnet « Correspondances » (1857) Baudelaire fait, par…

La question de l’interaction : deux cas de figure

Ce verset II, pris en son entier, nous dit obscurément que s’il y a un « comme » (sicut), c’est « pour faire les miracles d’une seule chose » (ad perpetranda miracula rei unius). Or, si ce « comme » (sicut) renvoie explicitement à la notion de ressemblance entre les deux plans, il ne dit pas pour autant si l’un agit sur l’autre.

Nous avons donc affaire, ici encore, à deux cas de figure. Dans le premier, la ressemblance n’implique aucune action d’un plan sur l’autre, a fortiori aucune interaction. Par exemple, au XVIe siècle, certains textes de Paracelse traitant d’astrologie expliquent que les images des constellations célestes (le « haut ») résident aussi à l’intérieur de nous-mêmes (le « bas »). Ce sont les mêmes images que dans le ciel. « Il n’y a rien dans le ciel », écrit Paracelse, « qui ne soit aussi dans l’homme » (Es gibt nichts im Himmel noch auf Erden, was nicht auch im Menschen sei). Dans l’homme se trouvent toutes les planètes et les étoiles, la Lune, le Soleil. Ils sont intrinsèques aux créatures terrestres vivantes ou inanimées, et aux quatre éléments. Le cours des astres est sans action sur la durée de la vie humaine. Ils annoncent l’avenir, mais simplement pour autant qu’ils indiquent la destinée des objets individuels ; eux-mêmes n’influent ni sur les objets, ni sur les événements... Autrement dit, il n’est nul besoin que le ciel exerce une influence sur nous, puisque ces images en nous suffisent à rendre compte d’une partie de nos actions, de notre destinée. Il n’y a pas interaction.

Illustrons ce premier cas de figure par un autre exemple, en revenant à Swedenborg. Dans son livre The Divine Love of Wisdom, le « haut » s’appelle le « spirituel », et le « bas » s’appelle le « naturel ». Il écrit : « Il y a deux mondes, le spirituel et le naturel, qui sont absolument distincts. L’un ne tire rien de l’autre, mais ils communiquent seulement par correspondances » (entendons, « par reflets »). Autrement dit, le jeu des fameuses ‘correspondances’ swedenborgiennes repose seulement sur l’idée que le paysage céleste reflète notre monde, et vice-versa. Mais ils ne sont pas liés l’un à l’autre de façon organique, il n’y a pas complémentarité active entre eux. Nous avons donc affaire ici à un dualisme (une sorte de dualisme statique).

Voilà pour le premier cas de figure. Dans le second il y a, au contraire, action d’un des deux plans sur l’autre, voire action réciproque. Convoquons de nouveau Paracelse. En effet, quand il parle non pas des astres proprement dits, mais de l’âme du monde qui habite et dirige l’univers, alors il évoque la possibilité de voyages vers elle entrepris pas notre âme humaine. Ainsi, quand celle-ci se libère un tant soit peu des liens du corps, elle s’en va « fabuler » avec l’âme du monde, et en rapporte de merveilleux songes.

L’interaction est encore plus marquée chez Jacob Böhme, le premier grand représentant du courant qu’on appelle la théosophie chrétienne et dont l’essor a commencé au début du XVIIe siècle. Certes, chez lui aussi et chez ceux qui se situent dans sa mouvance, le « haut », c’est le Monde divin (lui-même très feuilleté, très peuplé), et le « bas », ce sont l’Homme et la Nature. Pourtant, nous sommes bien loin de la vision swedenborgienne, car un scénario complexe se joue entre les trois dramatis personae (Monde divin, Homme, et Nature) en perpétuelle et dramatique interaction, scénario qui passe par divers épisodes successifs de chutes et de remontées (d’aucuns diront plus tard: de réintégrations). Or, c’est dans ce second cas de figure que d’autres versets de La Table d’Émeraude viennent s’inscrire – sans pour autant dérouler des péripéties aussi complexes que dans la théosophie chrétienne. Les versets III à VI, notamment, nous apprennent que « toutes les choses » (omnes res) proviennent d’une « chose unique » (fuerunt ab uno), d’une sorte de cause originelle qui leur aurait donné existence par sa « méditation » (meditatione ; Böhme dira: par son imagination créatrice). Et cette idée est accentuée aux versets V et VI, dans l’étonnante proposition : « Sa force [= la force de la chose unique] est entière, si elle est convertie en terre » (Vis ejus integra est, si versa fuerit in terram). Autrement dit, cette cause originelle, qui est ce qu’il y a de plus « haut », ne réalise vraiment son accomplissement qu’en venant s’incarner dans le « bas » – dans l’homme et dans la Nature. On peut être tenté d’interpréter cela dans un sens chrétien, ce qui n’était certainement pas l’intention du rédacteur originel. C’est pourtant dans ce sens là que – pour ne citer qu’un seul exemple – l’un des principaux représentants de la Naturphilosophie dans l’Allemagne du XIXe siècle, Franz von Baader, a cité ce verset un nombre considérable de fois. Comme il est dit plus haut, il en a fait un des principes sur lesquels repose sa philosophie.

Remarquons aussi que le verset VIII vient encore renforcer cette idée d’une interpénétration du « haut » et du « bas » en posant un mouvement à la fois ascendant et descendant: « Il [= le Un originel] monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit [ainsi] la force des choses supérieures et inférieures » (Ascendit a terra in coelum, iterumque descendit in terram, et recipit vim superiorum et inferiorum). Autrement dit, le « haut » a besoin du « bas » pour s’accomplir… Il ressort de ces versets III à VIII que le deuxième est moins chargé d’ambigüité si on le situe dans le contexte du poème entier. Certes, on ignore ce que le rédacteur avait entendu par le ‘haut’, mais on sait au moins que selon lui les deux plans sont en interaction.

Rapport avec la Franc-Maçonnerie

En quoi les considérations qui précèdent concernent-elles la Franc-Maçonnerie ? Céline Bryon-Portet semble avoir bien balisé le terrain, tant dans son allocution prononcée à la Deuxième Rencontre Maçonnique, que dans son livre L’Utopie maçonnique, y compris sur des points auxquels je n’aurais pas pensé. La question est d’autant plus appropriée que la citation qui fait l’objet du présent article est souvent présente dans les discours maçonniques. Rien qu’en France, La Table d’Émeraude est le nom conféré à plusieurs loges (par exemple, à la Grande Loge Féminine de France, au Grand Orient, etc., et il y en a en bien d’autres pays). Si nous consultons l’internet en écrivant : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut franc-maçonnerie », nous découvrons une multitude de blogs et de sites, surtout si la demande est formulée en anglais et en d’autres langues. Dans l’abondante littérature imprimée produite par des maçons on trouve maints commentaires soit du début de la Table, soit de celle-ci en son entier. On y constate une grande variété d’interprétations. Notons cette formulation, présente dans un forum maçonnique de discussion: « La Table d’Émeraude n’est rien de plus que l’exposé d’une procédure initiatique universelle qui se retrouve en tous temps et en tous lieux, exprimée avec les mots et les idées du moment et de l’endroit ». On ne saurait mieux dire pour satisfaire à peu près tout le monde – à condition de ne pas y regarder de trop près, notamment de ne pas trop douter de l’existence de cette « procédure initiatique universelle »…

 


En outre, les quatre cas de figure présentés plus haut sembleraient compatibles avec l’esprit maçonnique.

D’une part, en effet, symbolisme et initiation maçonniques peuvent être compris dans une lumière soit d’immanence, soit de transcendance. Ainsi, le Grand Architecte de l’Univers peut être identifié au Dieu de Spinoza (un Dieu immanent à la Nature elle-même, Deus sive natura ; ce Dieu n’existe pas en dehors de la Nature). Mais il peut aussi être conçu comme une entité personnelle située dans un ordre de réalité absolument transcendantale, surplombant toute création.


D’autre part, en matière d’interaction le franc-maçon peut considérer que le fait de pratiquer des rituels et de vivre une expérience initiatique n’implique pas qu’il exerce du même coup une action quelconque sur un ordre de réalité d’ordre supérieur (sur un un « haut »), ni que cet ordre-là serait disposé à en exercer une sur sa personne. Inversement, il a aussi le droit de croire que par cette pratique et par cette expérience il met en branle des énergies venues d’en haut, lesquelles viennent concourir à l’avancement de son travail. Dans la Maison maçonnique ces quatre positions peuvent cohabiter. Elles ne sauraient que l’enrichir en raison de leur diversité même. Car cette Maison est faite de plusieurs demeures, non pas d’une seule qui reposerait sur un système doctrinal hors duquel il n’y aurait point de salut.

Un imaginaire de la verticalité

Tout cela dit, notons aussi que La Table d’Émeraude relève entièrement d’un imaginaire de la verticalité. Un Frère me disait tout récemment en manière de plaisanterie: « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, ce qui est à gauche est comme ce qui est à droite, ce qui est à droite et comme ce qui est à gauche ». Et dans le même temps je retrouvais une phrase bien connue d’André Breton, qui écrit dans un de ses Manifestes du Surréalisme (années 1920): « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement ». Ce qui, dans la phrase d’André Breton et dans la plaisanterie de ce Frère, retient mon attention, c’est que toutes deux évoquent une idée de complémentarité du vertical et de l’horizontal

Or, justement, la Franc-Maçonnerie repose sur cette complémentarité. Elle peut donc se trouver tentée d’hypostasier l’une des deux dimensions au détriment de l’autre. À trop perdre de vue la verticale elle s’expose à une déperdition de sens. Mais à trop négliger l’horizontale elle tombe dans la confusion du mythique et de l’historique, tend à ignorer sa propre histoire et, du même coup, à projeter sur sa dimension verticale des contenus détachés de tout ancrage proprement maçonnique.

La fameuse formule constitue un pôle fédérateur de réflexions – conciliables ou non –, de rencontres, un fertile accoucheur d’idées, de méditations. Certes, mais à condition de ne pas la brandir comme une sorte d’article de foi auquel on serait tenu de souscrire tout bonnement. Elle appelle, principalement en raison de son caractère ambigu et unidimensionnel, une approche critique, laquelle relève du travail du franc-maçon – travail qui consiste, notamment, à manier images et symboles avec discernement.

 

Regard maçonnique sur l'alchimie


Franc-Maçon à sa table de recherches


La question qui me préoccupe n'est pas de savoir si les alchimistes ont effectivement réussi à faire de l'or. C'est un problème qui ne présente que peu d'intérêt pour qui a l'habitude de laisser ses métaux à la porte du temple. Que l'alchimie fut une pratique opérative, fructueuse ou vaine, est une évidence historique. En revanche, il est une question qui ne peut laisser indifférents des chercheurs de lumière : L'alchimie est-elle une opération spéculative, une quête spirituelle ? Existe-t-il un message hermétique ? Si oui, quid des rapports entre l'alchimie et la franc-maçonnerie ?

Tout d'abord, nous pouvons constater que les termes communs aux traditions maçonnique et hermétique sont nombreux. Ainsi, le Grand Œuvre ou l'Art Royal (la couronne est un élément récurrent de l'iconographie hermétique) sont des mots employés tant par le maçon que par l'alchimiste pour désigner leur quête respective. On connaît l'importance du symbole en franc-maçonnerie, ce langage universel est également fort prisé des alchimistes. Nombre d'œuvres hermétiques parmi les plus célèbres, sont purement iconographiques. C’est le cas, par exemple, du Mutus Liber ; ou des 17 figures attribuées à Jean Conrad Barchusen.

Le soleil, la lune et les étoiles qui ornent nos temples maçonniques sont également des symboles alchimiques. Le soleil représente le principe mâle ; le soufre, tandis que la lune est le principe féminin ; le mercure. On verra ultérieurement que les « noces chimiques » du soufre et du mercure ne sont autres que le Grand Œuvre, et comment il est possible d'y reconnaître un des buts de la franc-maçonnerie. Sept  étoiles symbolisent les 7 distillations nécessaires à l'alchimiste pour réussir le Grand Œuvre. On retrouve ici la symbolique des nombres chère à toute tradition initiatique. Le nombre 7 est le nombre de la perfection, de l'éternité.

Parmi les figures de Barchusen, remarquables tant par leur symbolisme que par leur esthétique, on peut voir le tétragramme au sein de nuées accompagnant une apparition divine. Notons enfin, que les 4 éléments et la pierre jouent un rôle fondamental en alchimie et en franc-maçonnerie, rôle que je détaillerai dans une autre partie de cette planche. Il est possible, me semble-t-il, d'aller plus loin encore que le simple constat d'un langage commun entre l'alchimie et la franc-maçonnerie. Leur but et leur méthode sont les mêmes. Telle est mon hypothèse, et je vais m'efforcer, sinon de la prouver, tout au moins de l'étayer.

Le but du Grand Œuvre est le mariage du soufre (pôle masculin) et du mercure (pôle féminin) par l'action du sel ; principe neutre et élément ternaire qui scelle les deux autres. La légende veut que l'alchimiste, au terme de sa quête, devienne hermaphrodite. L'importance du nombre 3 ; le ternaire qui permet de dépasser les oppositions en une nouvelle synthèse, se retrouve en maçonnerie afin de rassembler ce qui est épars. Un alchimiste a dit : « Le secret consiste à savoir convertir la pierre en aimant, qui attire, embrasse et unit cette quintessence astrale ». L'un est aussi le tout ; selon la formule alchimique,  tout est un et tout se ramène à l'un. C'est là un enseignement initiatique important présent dans nombre de traditions. On distingue deux sortes d'unités : l'unité initiale et l'unité finale, l'alpha et l'oméga, symbolisé par l'image célèbre du serpent qui se mord la queue, souvent présente dans les traites alchimiques. Du magma initial surgit l'ordre final, entre les deux, les alchimistes devinent tout le circuit de la matière transmuée. Chacun sait que le but de tout alchimiste est de trouver la fameuse pierre philosophale. On s'est souvent perdu en conjectures pour deviner la nature réelle de cette pierre. Peut-être est-il possible d'y voir plus clair en raisonnant en maçon.

La pierre philosophale ne serait-elle pas notre pierre taillée ? Ne symboliserait-elle pas l'adepte accompli ? Quelle différence entre passer du vil plomb à l'or alchimique et passer de la pierre brute à la pierre taillée ? Deux terminologies différentes peuvent fort bien traduire une même réalité. En franc-maçonnerie, on comprend vite que la pierre n'est autre que le franc-maçon lui-même, et le travail initiatique un travail sur soi. De leur côté, bien des alchimistes ont reconnu que la coction finale avait lieu simultanément dans l'athanor de briques et dans celui du  cœur. Jung, qui s'est intéressé à l'alchimie, pensait que l'œuvre opérative n'était que la projection de l'Œuvre intérieure. L'artiste et l'Œuvre, à l'instar du temple intérieur et du temple extérieur, ne font qu'un. Il apparaît donc que le but de l'alchimie semble bien être le même que celui de la franc-maçonnerie, à savoir le perfectionnement constant de l'initie.

Voyons maintenant ce qu'il en est de la méthode. Oswald Wirth estimait que l'initiation maçonnique, en particulier l'épreuve de la terre, résumait l'essentiel du processus alchimique. Lors de l'initiation maçonnique, le récipiendaire est tout d'abord dépouillé de ses métaux. La première opération alchimique consiste à débarrasser la matière première, nous parlerions nous de la pierre brute, de toutes ses impuretés. Ensuite, le futur franc-maçon est placé dans le cabinet de réflexion où il mourra en tant que profane. En alchimie, la putréfaction ou Œuvre au noir, se déroule dans l'Œuf philosophique hermétique, scellé. L'hermétiste Jacob précise que « la fin du Grand Œuvre est de se débarrasser, quand il le voudra, de la chair corruptible sans passer par la mort ».

Au sein du cabinet de réflexion se trouvent de nombreux symboles alchimiques. A commencer par le sel, le soufre et le mercure ; éléments essentiels du Grand Œuvre dont le rôle a été évoqué précédemment. N'oublions pas le coq qui annonce le lever du soleil et qui, selon Fulcanelli, symbolise un autre élément alchimique, le vif argent. Enfin, bien sûr, la célèbre formule alchimique + V\ I\ T\ R\ I\ O\ L\ : visita interiora terrae, rectificando invenies occultum lapidem. Pour les non latinistes, dont je suis, visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée.

On a vu que le franc-maçon et l'alchimiste étaient à la fois maître d'Œuvre et matériau ; la formule  V\ I\ T\ R\ I\ O\ L\, qui invite à l'introspection indispensable à toute initiation va dans ce sens. J'ai évoqué Jung, ici le parallèle avec la psychanalyse s'impose. N'est-ce pas en visitant les profondeurs de l'Homme, dans les ténèbres intérieures, que le psychanalyste va chercher la lumière, la vérité de l'être ?

Chaque épreuve de l'initiation maçonnique correspond à une étape du processus alchimique. L'épreuve de l'air : le subtil se dégage de l'épais. L'épreuve de l'eau : la purification par l'eau, la distillation ou Œuvre au blanc. L'épreuve du feu correspond à la calcination, l'Œuvre au rouge qui annonce l'aboutissement du Grand Œuvre. L'initiation maçonnique et l'Œuvre alchimique peuvent se résumer en une suite de purifications successives tendant à la pureté absolue.

On peut également noter que le travail de l'alchimiste, tout comme celui du maçon, doit s'effectuer à couvert ; condition sine qua non de la réussite du Grand Œuvre. Ainsi de nombreux auteurs hermétistes soulignèrent le fait qu'il doive toujours y avoir à la porte du laboratoire, une sentinelle armée d'un glaive flamboyant pour examiner tous les visiteurs et renvoyer ceux qui ne sont pas dignes d'être admis. Le rapprochement avec le frère couvreur et le tuilage est évident.

En conclusion, il semble légitime de penser que l'alchimie est bien une philosophie initiatique et qu'il existe effectivement un message hermétique, un but et une méthode assez proches de ce que nous connaissons en maçonnerie. L'alchimie étant historiquement antérieure à la franc-maçonnerie spéculative, on peut en déduire que l'hermétisme a inspiré les premiers maçons.

Je terminerai cette planche en tentant de répondre à une question qui revient souvent : Pourquoi les écrits alchimiques sont-ils rédigés dans une langue si hermétique ? Je vois, quant à moi, trois hypothèses qui d'ailleurs ne sont pas exclusives. Le secret est si important qu'il ne convient pas de le divulguer au tout venant. Il ne faut pas jeter des perles aux pourceaux ! Seconde hypothèse : ce qui est important c'est le chemin parcouru, la recherche et le travail. Le message, s'il était révélé sans difficulté (mais peut-il l'être ?), perdrait alors toute valeur initiatique.

Enfin, une hypothèse que je qualifierai de politico-religieuse. L'alchimie, à bien des égards, est une hérésie selon les critères de l'Eglise catholique. Or, l'alchimie s'est développée en Occident au Moyen Age, période où l'inquisition sévissait et les bûchers fleurissaient. L'alchimiste n'avait donc pas intérêt à être trop explicite quant à sa philosophie. Plus tard l'Eglise catholique apostolique et romaine se trouvera un autre ennemi en la personne du franc maçon, mais cela est une autre histoire.


La spiritualité de la Rose-Croix

Avant d’entrer dans le sujet proprement dit, il est bon de s’arrêter sur la définition de cinq mots qui apparaîtront sans cesse, dans mon propos :

L’Alchimie : discipline qui recouvre un ensemble de pratiques et de spéculations, en rapport avec la transmutation des métaux. L’un des objectifs de l’alchimie est le grand œuvre, c’est-à-dire la réalisation de la pierre philosophale permettant la transmutation des métaux, notamment des métaux « vils », comme le plomb, en métaux nobles : l’argent, l’or.

Un autre objectif classique de l’alchimie est la recherche de la panacée (médecine universelle) et la prolongation de la vie, via un élixir de longue vie.

La pratique de l’alchimie et les théories de la matière sur lesquelles elle se fonde, sont parfois accompagnées, notamment à partir de la Renaissance, de spéculations philosophiques, mystiques ou spirituelles. Son déclin arrivera avec les travaux de la chimie moderne de Lavoisier.

L’Hermétisme : il peut prendre trois sens différents. Le mot désigne :

- une doctrine ésotérique fondée sur des écrits de l’époque

- gréco-romaine.

- une doctrine occulte des alchimistes, au Moyen Age et à la Renaissance.

- dans le sens commun, le caractère de ce qui est difficile à comprendre.

L’Hermétisme est une philosophie, une religion, un ésotérisme, ou une spiritualité en quête de salut par l’esprit, mais supposant la connaissance analogique du cosmos qui se définit comme étant l’univers considéré dans son ensemble. Le salut passe par la connaissance : se connaître, se reconnaître comme « étant fait de vie et de lumière », à l’image de Dieu.

L’Occultisme : désigne, en histoire, un ensemble de courants préoccupés par les forces mystérieuses du cosmos et de l’homme. L’astrologie qui parle des influences astrales, le néo-occultisme qui traite des « facultés occultes de l’Homme » et des « forces invisibles de la Nature », en font partie.

 

En ce qui concerne l’époque où se situe la « naissance » de la confrérie Rose-Croix, il faut tenir compte de l’influence de Nostradamus (1503-1566), médecin et astrologue français, auteur d’un recueil de prédictions, dit « Centuries ».

Le Gnosticisme = système de philosophie religieuse dont les partisans prétendaient avoir une connaissance complète et transcendante de la nature et des attributs de Dieu.

La Kabbale est une science traditionnelle juive extraordinairement complexe et mystique qui propose une méthode d’interprétation et d’étude ésotérique de l’Ancien Testament. Son but essentiel est de trouver les faces cachées de Dieu et de comprendre les origines et le fonctionnement de l’univers.

 

La ROSE-CROIX

Entre 1614 et 1620, l’Europe se passionne pour un personnage mythique, fondateur de l’énigmatique fraternité de la Rose-Croix laquelle émerveille et suscite les commentaires les plus contradictoires. On parle d’un certain Christian Rose-Croix ou Christian Rosencreutz, né en 1378, mort en 1484 – donc à l’âge de cent six ans – et dont la sépulture n’a été découverte qu’en 1604, soit cent vingt ans après sa mort, comme il l’avait lui-même annoncé. Durant cette même période, trois écrits anonymes circulent. Ce sont eux qui sont à la base de cet énorme engouement. Ils sont regroupés sous le nom : « Les Manifestes ». Ils se nomment : La Fama Fraternitatis, éditée à Cassel en 1614, La Confessio, éditée à Cassel en1615, Les Noces Chymiques de Christian Rose-Croix, éditées en Allemagne et à Strasbourg.

On ne connaît pas avec certitude le ou les rédacteurs des « Manifestes », pas plus qu’on ne sait s’il existait un ordre Rose-Croix à leur origine. On pense surtout qu’ils sont l’œuvre d’un groupe engagé dans des difficultés de la vie et qui veut faire entendre sa voix, tout en restant discret pour éviter la persécution. Ces hommes ne sont pas visibles. Pour les comprendre, il faut pénétrer leur royaume. Nous sommes dans l’Hermétisme philosophique.

« Les Manifestes » sont l’expression d’un courant de pensée, le message d’une société qui veut se construire avec pour base : la charité, la foi et l’espérance qui ont pour synonyme l’amour. Ces « Manifestes » répondaient à une aspiration du moment, dans cette ambiance de guerres de religion, dans le bouillonnement spirituel où l’on craint le bûcher (Jérome Savonarole en Italie, Jan Huss en Bohème). Il faut dénoncer l’hérésie.

Pour mémoire à cette époque, le catholicisme est en plein émoi avec des schismes importants : - celui de Jean Wiclef au XIV ème siècle en Angleterre. Celui d’Henri VIII d’Angleterre qui a rompu avec Rome et fondé l’Eglise Anglicane. Dans la seconde moitié du XVI ème siècle sont nés le Luthéranisme en Allemagne et le Calvinisme en Suisse.

En France, l’Edit de Nantes promulgué par Henri IV, le 13 avril 1598, a fait cesser les guerres de religion, marquées par la terrible nuit de la Saint Barthélemy le 24 août 1572. Mais bientôt, l’Europe va s’embraser pour ce même sujet, avec la Guerre de Trente ans (1618-1648).

Pourquoi ce nom de Rose-Croix ? Comment associer un instrument de supplice qui résume tout le drame de la passion du Christ à la grâce et à la fraîcheur de la rose ? Ainsi sont unies la croix, signe sacré de mort et la rose signe de vie, de parfum qui s’évanouit. Ainsi est créé un symbole de l’immortalité : la croix et en son centre la rose, goutte de sang qui renaît, la croix corps physique de l’homme et la rose l’esprit en voie d’évolution pour atteindre la révélation d’une connaissance d’un ordre supérieur.

 

Les trois « MANIFESTES ALLEMANDS »

1 - La FAMA FRATERNITATIS, qui est un volume de 147 pages, sans nom d’auteur, avec deux parties : La première est une satire des réformes sociales et morales. Il y est dit que la rédemption ne peut pas se faire par l’Eglise, mais par une religion du cœur, par un élan mystique.

La seconde contient le récit de la vie du frère R\ C\, dont le nom Christian Rosencreutz ou Christian Rose-Croix ne sera donné que plus tard. C’est un récit mythique, utopique, allégorique, des aventures et des expériences d’un être surdoué : R\ C\, voyageant dans les pays du bassin méditerranéen.

A Fès, au Maroc, des habitants lui livrent la connaissance suprême. Il a reçu mission de communiquer à la chrétienté la sagesse qu’il vient d’acquérir et de fonder une société secrète « qui aura à satiété or et pierres précieuses et qui enseignera les monarques ».

Après s’être rendu en Espagne, il accomplit, dans un lieu sauvage, une retraite de cinq ans. Il recrute à la fin de cette épreuve, trois fidèles compagnons, dont on ne nous livre que les initiales : frater G\ V\, frater I\ A\ et frater I\ O\.

Tous trois jurent à R\ C\ fidélité et rédigent, sous sa direction, des écrits fondamentaux. Ils bâtissent le nouveau « Temple du Saint Esprit ». Ils guérissent les malades et consolent les désespérés. Sept ans plus tard d’autres étudiants sont cooptés en la Sainte Science et constituent ainsi la « Fraternité ». Pour y être admis, il faut être célibataire et chaste.

Ces frères, « nobles voyageurs », partent en mission à travers le monde. Ils se réunissent annuellement en un lieu mystérieux : le « Temple du Saint Esprit », et dit la Fama : « Ces hommes dirigés par Dieu et par toute la machine céleste, choisis parmi les plus sages de plusieurs siècle, ont vécu dans l’union la plus parfaite, le plus grand mutisme et la plus grande bonté ».

 Ces frères célèbrent les deux sacrements institués par la première Eglise réformée. Ils réprouvent l’athéisme et les abus de l’Eglise de Rome. Il prédisent la chute du pape, des prélats, des jésuites et le grand retour triomphant de Jésus.

Suscitant la controverse, la Fama, texte obscur paraissant de nos jours anodin, connaît à l’époque un véritable succès. En fait, ce texte est en harmonie avec cette période qui connaît un bouillonnement spirituel soumis à l’emprise de Luther et de Calvin. A Rome, le pape Alexandre VI « Borgia » a introduit l’autoritarisme, la débauche, la luxure. En politique, le florentin Machiavel a écrit « Le Prince » qui flatte l’hypocrisie.

La révolte gronde dans les cœurs, mais on craint la puissance des jésuites et la farouche détermination de l’inquisition. Aussi comprenons-nous les précautions pour s’exprimer en termes voilés, sans nom d’auteur.

L’ouvrage original présente un sens général selon lequel la vraie réforme ne peut se faire de l’extérieur comme le promouvaient penseurs et législateurs, mais qu’elle doit être intérieure, spirituelle et mystique. Le Rose-Croix est la perfection spirituelle et morale.

 2 -  La CONFESSIO est une plaquette de 12 pages, sans nom d’auteur. Elle souligne la nécessité de se dégager de l’emprise du pape traité comme « le trompeur, la vipère, l’Antéchrist ». Il faut étudier les saintes écritures. L’homme doit suivre la voie chrétienne prêchée par la fraternité.

A cette époque des groupes d’hommes – des illuminés – annoncent la fin du monde. Ils prêchent dans les campagnes pour préparer l’humanité à l’avènement du Saint Esprit. Cependant la Fraternité de la Rose-Croix reconnaît que pour être sauvé, il faut être « l’élu ». Ainsi tous les hommes ne peuvent pas accéder au salut éternel.

Nous apprenons que la Confrérie prend partie en astronomie pour Galilée contre Rome qui soutient la théorie de Ptolémée. La Confessio est un texte hermétique, ambigu. Il y apparaît pour la première fois le nom de Christian Rosencreutz qui jusqu’ici ne figurait que par ses initiales R\ C\.

 3 -  Les NOCES CHYMIQUES de Christian Rosencreutz est un livre, sans nom d’auteur, de 146 pages. Ce livre décrit 7 jours de la vie de C\ R\, alors âgé de quatre vingts ans, où le symbolisme apparaît à chaque phrase.

Durant sept jours, ce vieillard qui vit en ermite accepte de participer à de terribles épreuves physiques, à répondre à des questions et à fournir des preuves de sa pensée spirituelle afin de prouver l’authenticité de son accomplissement énigmatique à base initiatique.

 A la fin de son parcours, R\ C\ est devenu « l’élu ». Il a pu contempler ce que les autres humains ne peuvent pas regarder. Il a goûté à l’éternité, il a pénétré l’intercommunabilité. Il va pouvoir retourner dans le monde où il apportera le message des Frères de la Rose-Croix.

Par le fond et la forme, les « Manifestes » sont caractéristiques de la pensée de l’époque, au tournant de la Renaissance, de l’âge baroque. On y trouve des références et allusions au néoplatonisme, au pythagoriciens, à la philosophie arabe, à la kabbale, à la gnose et même aux sages de l’Inde.

 

Les Rose-Croix en France au Moyen-Age

Ces manuscrits « Manifestes », plus ou moins valablement traduits, franchissent facilement les frontières. Clandestinement, des affichettes sont collées sur les murs des villes de France, notamment à Paris. Elles comportent le texte suivant :

« Nous députés du collège principal des frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible dans cette ville par la grâce du Très Haut, vers lequel se tournent les cœurs des justes. Nous montrons et enseignons sans livres, ni marques, à parler de toutes sortes de langues du pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables d’erreurs de mort ».

Le clergé s’inquiète. Ces placards sentent le huguenot. Il n’y a aucune référence au Christ, à la Vierge, aux Saints.

Cependant, pour ce monde moyenâgeux, superstitieux, mystique, en but aux guerres de religion, le frère Rose-Croix va représenter le degré suprême de la piété, de la sagesse. Il est l’ultime secours pour son prochain tant pour son âme, en dehors de l’Eglise souvent honnie, que pour son corps, puisque le frère Rose-Croix exerce la médecine avec charité.

On s’interroge sur ces hommes qui peuvent se rendre invisibles, qui peuvent parler n’importe quelle langue, qui savent sonder l’âme de chacun et qui ne se dévoilent qu’à ceux qui cherchent l’illumination interne. Cependant en France, « Les Manifestes » auront moins d’influence qu’en Allemagne et en Angleterre.

 

Les premières Générations des Adeptes de la Rose-Croix

 

L’influence de l’ALCHIMIE.

Aux XVème, XVIème, XVIIème siècles des fraternités rosicrusiennes furent fort utiles aux alchimistes pour s’entraider, se communiquer leurs travaux à l’abri des regards des pouvoirs publics et religieux. Leur bijou symbolique était une rose sur laquelle se détachait une croix ornée en son centre d’une rose. Le pélican est aussi un symbole.

 L’essor du mouvement des frères de la Rose-Croix n’est pas seulement lié à l’apogée alchimique où à la transmutation des métaux. On sait aussi qu’ils dispensent gratuitement des soins médicaux et on leur prête l’intention de rechercher le breuvage de l’immortalité.

Que de mystères autour de ces alchimistes, de ces philosophes adeptes de l’occultisme, de l’hermétisme, personnages énigmatiques qui ne parlent clairement que pour mieux dérouter les gens.

Arrêtons-nous sur quelques-uns de ces personnages marquants, essentiellement théologiens, qui parcourent l’Europe et en particulier l’Allemagne :

Johann Valentin ANDREAE (1586-1654), astronome, mathématicien, théologien. Beaucoup le considèrent comme étant le père des « Manifestes », en particulier des Noces Chymiques de Christian Rosencreutz. L’insigne des Rose-Croix s’inspire du blason de sa famille. Il a écrit de nombreux livres ésotériques et a fondé sa « République Christianapolitaine », basée sur le travail, la fraternité et une pure vie chrétienne.

PARACELSE (1493-1541), suisse, de son vrai nom Théophraste Bombast von Holenheim. Alchimiste, médecin, barbier-chirurgien, sa renommée traversa l’Europe. Il domine son époque en étant admiré mais aussi haÏ. Il est en désaccord avec les œuvres médicales d’Avicenne, d’Hippocrate, de Galien. Il découvre le Zinc le chlorure et le sulfate de mercure, la fleur de soufre, le bismuth etc.

Il critique le pape et Luther. Mais il insiste sur le sens cosmique de la Cène mystique, en déclarant que la pain et le vin sont les concentrations des forces de la nature, que le Christ fait naître la semence de résurrection. Il se crée une union directe avec la Divinité et édifie un système de l’harmonie, de l’unité universelle. C’est un illuminé. Il reste l’apôtre des Rose-Croix.

Francis BACON (1561-1626) définit une société idéale qui se propose de faire le bonheur des hommes en leur révélant les secrets de la nature. On l’appelle le Temple de Salomon qui est une utopie conforme à la fois au message rosicrucien et à l’idéal de la franc-maçonnerie.

COMENIUS (1592-1670), théologien hanté par une doctrine universelle dans laquelle le processus éducatif n’est pas limité à l’action de l’école et à celle de la famille, mais il est solidaire de la vie sociale toute entière. Son influence est considérable à travers les siècles et en 1958 l’UNESCO lui a rendu hommage.

Robert FLUDD (1574-1836). On retrouve dans ses écrits un esprit qui préfigure celui de 1723 dans la Convention d’Anderson.

René DESCARTES (1596-1650). Proche de Coménius, on trouve dans « Les Principes de la Philosophie » des pensées des Rose-Croix en ce qui concerne la morale, les sciences et la méthaphysique.

 SPINOZA (1632-1677), esprit universel. Il pense que Dieu est à la fois essence et substance que Dieu est la nature même.

L’appartenance de Descartes et Spinosa à la Rose-Croix est contestable.

Les Mouvements Rosicruciens du XVIII ème siècle.

 

Rose-Croix et Rosicruciens.




La fraternité de la Rose-Croix n’est connue qu’à travers les trois Manifestes et les innombrables discussions autour de ce mythe. Il faut établir une distinction nette entre Rose-Croix et Rosicruciens. Rose-Croix est celui qui atteint l’état d’ultime perfection spirituelle et moral, le rosicruciens est celui qui cherche à atteindre cette illumination.

La Rose-Croix originelle, celle de la Fama et de Confessio avait été un invisible collège, une église, une fraternité. Sans organisation, elle rassemblait dans un commun idéal des hommes prédestinés, ou qui s’estimaient tels, à qui le Très Haut avait confié une mission : savants, érudits, clerc, initiés. Aucun degré hiérarchique ne les séparait. Ils se retrouvaient rarement, mais étaient unis par une mutuelle estime, la prière et la communauté des aspirations.

Ces invisibles, Rose-Croix d’origine, se retirèrent de l’Occident au début du XVIIème siècle, dit-on. Alors apparurent des organisations revendiquant la qualité de Rose-Croix. On les classe sous le nom de Rosicruciens, mais ce ne sont pas de véritables Rose-Croix, déjà par le fait qu’elles sont structurées et non une fraternité libre. Nous retiendrons parmi celles-ci :

A - La Rose-Croix d’Or qui apparaît en 1714 à Breslau, avec la publication d’un traité « Véritable et Parfaite Préparation de la Pierre Philosophale ». Elle a l’esprit des « Manifestes », avec un rituel semblable à celui de la Franc-Maçonnerie. Son bijou d’ordre est une croix de Saint André. Elle était très influente dans la haute société.

B - La Rose-Croix d’Or d’Ancien Système. Elle se crée au sein de la loge maçonnique des Trois Globes à Berlin en 1777. Elle accueille les hauts grades de la franc-maçonnerie. Elle affirme détenir les secrets sur la transmutation des métaux et avoir le pouvoir de guérir les malades.

C - Les Illuminés de Bavière. Société qui se crée en 1776, sur structure maçonnique. Elle est contre le clergé et les jésuites, et désire abolir le droit de propriété. Karl Marx s’en inspire.

D - Les Réau-Croix. On regroupe sous ce titre un ensemble de loges fondées par des francs-maçons. C’est l’esprit de la Rose-Croix d’or avec pour base l’hermétisme, l’occultisme, l’alchimie et une structure maçonnique.

Des personnages  sont assimilés à la Rose-Croix : Cagliostro, le comte de Saint Germain.

 

Les Mouvements Rosicruciens aux XIX, XX, XXI ème siècles.

 L’un des principaux enseignements de l’ordre était que les moines rassemblés par Rosencreutz devaient parcourir le monde soignant gratuitement les malades. L’une des marques distinctes de la Rose-Croix moderne a été l’assemblage presque comique, comme à la fin du XVIIIème, d’imposteurs, de guérisseurs spiritualistes, formant de nouveaux groupes, promettant l’immortalité, des élixirs magiques alchimiques et des prédications astrologiques.

Cependant, quand on décante tout ce mouvement rosicrucien des trois derniers siècles, il faut retenir des sociétés actives qui peuvent se prévaloir de l’héritage rosicrucien. Nous retiendrons :

 A - L’Ordre Kabbalistique de Rose-Croix, crée en 1888 par le marquis Stanislas de Guaita et l’extravagant Joséphin Péladan. Il a pour base l’ésotérisme avec un anticatholicisme. Erik Satie et Claude Debussy en sont membres.

B - L’Ecole de la Rose-Croix d’or, crée en 1924 aux Etats-Unis compte 700 membres en France.

C - La Sociétas Roscrucianas in Anglia (1867) fondée à Londres par deux grands maîtres maçons de la Grande Loge unie d’Angleterre. Très stricte, elle se définit comme une aide mutuelle et l’encouragement dans la recherche sur les grands problèmes de la vie.

D - L’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (AMORC). C’est en France la plus connue des associations rosicruciennes. Elle fut fondée en 1909 par un américain le docteur H. Spencer Lewis à San José, Californie.

 Pour cet ordre, Rosencreutz n’est pas le fondateur de Rose-Croix, mais seulement un des grands maîtres. L’AMORC fait remonter son origine aux alentours de 1500 ans av. J.C, sous le règne de Thutmose III et son organisation proprement dite est fixée en 1350 av. J.C sous le règne du célèbre pharaon Akhenaton qui abolit les religions polythéistes pour les remplacer par le monothéisme.

Le siège mondial de l’AMORC est à San José. Cet ordre est très riche avec bibliothèque, musée, université, laboratoires etc.

 L’AMORC est avant tout un mouvement humanitaire qui tend à apporter à l’humanité pendant la vie terrestre plus de santé, de bonheur et de paix. Il est mixte et veut enseigner à ses membres la manière de vivre en harmonie avec les forces créatrices et constructives du cosmos.

Actuellement l’AMORC a des temples dans pratiquement toutes les grandes villes de France. L’adhérent reçoit des cours par correspondance. Ces cahiers d’instruction lui permettent de créer chez lui un « sanctum » où chaque jour, vêtu d’une certaine manière, il se livre à des exercices spirituels.

Il y a d’autres sociétés Rose-Croix à travers le monde, aux Etats-Unis en particulier, aux Pays-Bas, en Allemagne. Elles sont souvent très discrètes, hermétiques, gnostiques, ésotériques, kabbalistiques, avec assez peu de membres en général.

 

Rose-Croix et Alchimie.

 L’alchimie des Rose-Croix est essentiellement une alchimie spirituelle. La Materna prima est l’âme humaine et l’athanor est constitué par le corps physique et les corps subtils qui maintiennent ce dernier en vie et assument le lien avec l’âme, étincelle divine.

Dans l’existence humaine, l’âme a la possibilité d’accomplir son apprentissage pour se parfaire, opérant la transmutation du vil métal de ses vices et de ses défauts en or spirituel, autrement dit en vertus et en qualités correspondantes. L’alchimie met en relation Dieu, l’homme et la nature. La rencontre de l’homme, microcosme et l’Univers macrocosme est symbolisée par la croix ayant la rose en son centre, lieu de l’alchimie, l’athanor.

 

La Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie.

 Une relation entre ces deux sociétés est très controversée. Dans de nombreuses publications l’ordre de la Rose-Croix est souvent lié à la Franc-Maçonnerie parce que sous l’emprise de l’immense popularité du spiritualisme et de l’occultisme au milieu du XVIIIème siècle, un petit groupe de maçons britanniques s’est intéressé à la Rose-Croix. Ce siècle des lumières a été attiré par l’illuminisme qui a influencé la Franc-Maçonnerie. Quelques Franc-Maçons formèrent des groupes de rosicruciens en dehors de la maçonnerie.

Certains auteurs exprimeraient même le fait que les deux sociétés n’auraient été qu’une seule et même société à l’origine et qu’elles se seraient disjointes pour propager d’une part chez les Maçons des idées philosophiques, philanthropiques et d’autre part chez les Rose-Croix des recherches kabbalistiques, c’est-à-dire de communication des esprits et de recherches alchimiques.

 C’est dans cette acceptation relationnelle entre les deux sociétés qu’apparaît en Maçonnerie, vers 1760 le grade dénommé « Chevalier Rose-Croix ». Il devient un temps le grade terminal du rite du Royal Secret avant de devenir en 1801, le 18ème grade du rite écossais anciens et accepté, avec comme bijou traditionnel un compas orné d’une rose-croix et d’un pélican qui nourrit ses petits avec son propre sang. On notera que la Franc-Maçonnerie spéculative et la Rose-Croix se sont structurées à peu près à la même époque, les maçons en 1717 à Londres et la Société Rosae et Crucis en 1757 à Francfort sur le Main, laquelle adopta une forme maçonnique.

Il n’existe pas de liens officiels entre les deux sociétés, mais on peut faire partie des deux.


Franc-maçonnerie et rosicrucisme ?

À première vue, une affaire classée depuis les travaux de Paul Arnold – à manier précautionneusement toutefois – (1955 puis 1990), et, surtout, de Bernard Gorceix (1970) et de Roland Edighoffer (1982-1987), résumés dans unQue sais-je ?en 1982 (édition revue et corrigée en 1986) – si je m’en tiens aux livres écrits en français. Pour autant, l’affaire n’est pas enterrée, et, de manière récurrente, des ouvrages paraissent qui reviennent sur le dossier. Ils n’apportent rien de neuf, mais entretiennent la curiosité du public ; souvent, ils ignorent ce qui s’est écrit de sérieux sur le sujet, et se contentent de nous raconter une histoire. Tel n’est pas le cas avec Didier Kahn et sa trilogie surAlchimie et paracelsisme en France.

C’est le tout venant de la littérature rosicrucienne qui, par des canaux divers, s’est maintenue jusqu’à nous. Sans parler de l’AMORC (Antiquus Mysticusque Ordo Rosae Crucis) dont l’origine est récente, l’œuvre d’un Paul Sédir – Yvon Le Loup de son vrai nom – donne une bonne idée des filiations imaginaires que se reconnaissent les rosicruciens puisque, selon lui, elles se perdent dans la nuit des temps : « Quant à la Rose-Croix essentielle, elle existe depuis qu’il y a des hommes ici-bas, car elle est une fonction immatérielle de la Terre. » Sans doute, précise-t-il, elle « n’a porté ce nom qu’en Europe et au XVIIIe siècle », mais ce n’était que prudence de sa part car son secret ne pouvait être entendu de tous. Après avoir cité les « alchimistes » les plus réputés, « pour rester dans le vraisemblable », Sédir considère que les « vrais » représentants de la Rose-Croix sont les gardiens de la tradition ésotérique, les interprètes de la lumière de l’Évangile, et les éclaireurs, les annonciateurs de la venue du Saint-Esprit.

Pourquoi pas ! Mais ce n’est pas le souci de l’historien ; aussi l’angle adopté par Didier Kahn est tout autre dans le premier volume d’une trilogie annoncée sur Alchimie et paracelsisme en France (1567-1625) qui vient de sortir. Des 808 pages que compte cette introduction au corpus paracelsien, je ne retiendrai que le chapitre consacré aux Rose-Croix (pp. 413-499). Il s’intitule brutalement : La mystification rosicrucienne, et à le lire on comprend qu’il s’agit bel et bien d’une mystification.

Déjà connu par ses travaux sur l’alchimie médiévale, éditeur de Thomas Vaughan – j’en avais rendu compte ici-même en son temps –, collaborateur actif de Chrysopeia, savante revue éditée par Sylvain Matton, spécialiste aussi de Diderot (il coordonne l’édition de ses Œuvres complètes publiées chez Hermann), Didier Kahn, chercheur au CNRS, ne se préoccupe pas de démêler le « vrai » du « faux » dans ce qu’écrivent les alchimistes, mais de rendre leurs théories intelligibles et de nous permettre de comprendre à la fois la place qu’on leur assignait dans leur temps et le rôle qu’elles jouent dans l’histoire culturelle d’une époque. Son propos n’est pas d’écrire une histoire hermétique de l’hermétisme, mais de rendre l’hermétisme intelligible à tous (sauf peut-être à ses adeptes) sans fatiguer le lecteur par des professions de foi et des « révélations » propres seulement à intéresser quelques capucins en cavale ou des maçons en déshérence.

Le lecteur non prévenu – celui que ne taraude pas la question du « sens » ou de la « vérité » –, apprendra beaucoup en fréquentant Didier Kahn qui a tout lu de et sur la littérature alchimique du temps, sans nourrir pour autant d’inutiles préventions qu’on s’empresserait de qualifier de positivistes. Son souci est scientifique. Il nous propose un modèle d’intelligibilité susceptible de rendre compte d’une époque assez éloignée de la nôtre pour que les effets de miroir soient dissipés, mais parlant une langue que nous comprenons encore et qui, par conséquent, nous parle. Ce double écueil levé, restait à en surmonter un troisième, de poids celui-là : c’est que la question de l’alchimie demeure une question chaude, « qui fait perdre la tête aux meilleurs esprits ». J’ai évoqué Sédir [Désir !], qui finira par se brouiller avec tous ses amis, Guaïta, Péladan, Papus, qu’il accusera d’imposture quand, sur le tard, il se sera converti au catholicisme – ou à ce qui y ressemble. Mais, on pourrait évoquer Serge Hutin, pourtant élève d’Alexandre Koyré, savant lorsqu’il étudie les platoniciens de Cambridge ou Boehme, et délirant lorsqu’il parle d’alchimie ; on pourrait en citer d’autres encore, mais leur nombre est si élevé que cela deviendrait fastidieux.

Sans m’attarder davantage sur les saines précautions méthodologiques que prend Didier Kahn, ce qui frappe dans son travail est le souci marqué qu’il a de replacer l’alchimie (qu’il se garde de définir car ce serait fixer une orthodoxie) dans le contexte culturel de son temps : sont alchimistes ceux qui se considèrent tels, ou que les contemporains désignent comme tels. Ce faisant, il évite le piège de la téléologie qui partant de la chimie de Lavoisier décrit les alchimistes comme des esprits attardés essentiellement crédules, ignorants, ou, ce qui revient au même, comme des imposteurs effrontés. Car si le bon sens conduit à penser que les imbéciles et les « fous » sont de tous les temps (et de tous les pays), ce même bon sens doit nous convaincre que ni Vanini, ni Giordano Bruno (sur lequel Bertrand Levergeois, par ses traductions et sa biographie, nous a éclairés pour bien longtemps), ni tant d’autres moins connus qui donnèrent tête baissé dans la chrysopée, n’étaient ni « fous », ni imposteurs – pas plus que Newton commentant l’Apocalypse de saint Jean tout en écrivant ses Principia ! La bonne méthode, en histoire, consiste donc à partir de ce qu’ils écrivent, de la façon dont ils l’écrivent, de la diffusion de leurs œuvres, de la position qu’ils occupent dans la société de leur temps, des contraintes matérielles qu’ils doivent surmonter, pour comprendre l’univers mental qui était le leur, sans y projeter nos fantasmes, nos « certitudes » et, pour tout dire, nos préjugés.

 

Mystification

La mystification rosicrucienne apparaît en France autour des années 1623-1624 ; elle s’inscrit explicitement dans la mouvance paracelsienne (dont elle réduit l’universalisme puisqu’elle n’en retient que les aspects alchimiques). L’affaire devient publique pendant l’été 1623, quand sont affichés à Paris des placards annonçant la présence de « députés du Collège principal des Frères de la Rose-Croix » doués de pouvoirs merveilleux et soucieux d’extirper les erreurs mortifères que partageaient leurs contemporains. Il aurait pu ne s’agir que d’un fait divers si certains ne s’étaient servi de cette annonce pour la transformer en un événement exceptionnel attestant dans l’Occident chrétien la permanence d’une tradition alchimique dont le fin mot serait enfin révélé. Du coup, les meilleurs esprits s’en mêlèrent et ce qui allait se trouver n’être qu’une plaisanterie, devenait un fait social total, comme dirait Marcel Mauss.

« Qui rédigea, qui afficha les placards de 1623 – se demande Didier Kahn –, et dans quels buts ? Y eut-il plusieurs textes distincts les uns des autres ? Quelles réactions suscitèrent-ils au juste ? » De telles questions replacent l’affaire sur son véritable terrain qui est, bien sûr, socio-politique ; elle paraît intimement liée aux combats vifs qui opposent alors l’orthodoxie aux courants libertins. Le paracelsisme revendiqué dans les Placards fera les frais de la polémique et, pour beaucoup, se résumera à l’alchimisme réel ou supposé de la Rose-Croix. Un peu comme dans l’histoire de la dent d’or rapportée par Fontenelle, on fera l’économie d’une enquête préalable, pour ne s’intéresser qu’aux redoutables pouvoirs détenus par ces sages dispensateurs d’un nouvel évangile.

L’affaire aurait pu s’éteindre d’elle-même et, n’avaient été les interventions de Baillet et de Mersenne mêlant Descartes aux Invisibles, on en serait resté aux querelles ordinaires qui opposent les doctes entre eux et parfois le public qui s’y intéresse. Mais, pour des raisons qui restent à analyser, ce ne fut pas le cas et, très tôt, les Rose-Croix devinrent une pomme de discorde. Didier Kahn se pose les bonnes questions, analyse les textes, identifie leur(s) auteur(s), discute les témoignages, et conclut avec les meilleurs spécialistes à l’imposture d’Étienne Chaume.

Ce constat, finalement banal, lui donne l’occasion de revenir un instant sur l’historiographie du sujet. S’en détache l’importante figure de Frances Yates que des travaux importants (mais largement complétés depuis) sur Giordano Bruno avaient imposée à la communauté scientifique. Ses recherches ultérieures l’avaient conduite à étudier la Rose-Croix qui, selon elle, tirait ses origines d’une tradition britannique où se fondaient le symbolisme de l’Ordre de la Jarretière et l’hermétisme de John Dee ; associée au mariage de Friedrich V avec la propre fille de Jacques Ier d’Angleterre – très attendu (?) des calvinistes –, Yates voyait dans ce syncrétisme l’arrière-plan mystique de la guerre de Trente ans. Je passe sur les détails. L’hypothèse n’était pas nouvelle, mais controuvée, et sans attendre, de manière très argumentée, les spécialistes réfutèrent point par point la thèse avancée. Quant à Bertrand Levergeois, prenant le contrepied de Frances Yates, il sut réinscrire Bruno le martyr de l’Inquisition (Giordano Bruno, Fayard, 2000) dans le fief d’où la postérité n’aurait jamais dû le déloger : la philosophie.

Le malheur veut qu’on ne lise pas les spécialistes et que le public « cultivé », dans l’ignorance totale des arguments de Roland Edighoffer et de Carlos Gilly, n’a retenu que ceux, bien plus séduisants, du Rosicrucian Enlightenment de Yates, publié en 1972, et précipitamment traduit, et mal traduit, en 1978, sous le titre La Lumière des Rose-Croix – ce qui était une façon de solliciter l’auteur qui, je pense, n’en demandait pas tant. Quoique scientifiquement discréditée, la thèse n’en demeure pas moins la référence absolue pour beaucoup, tant il est vrai que les bonnes nouvelles sont longues à parvenir, puis à s’imposer…

Pour revenir au sujet, je crois que tout le monde aurait oublié cette ténébreuse affaire de placards apposés nuitamment aux porches des églises, si Adrien Baillet, le biographe de Descartes, n’avait inventé de toutes pièces cet épisode où il est dit que le philosophe s’était rendu à Paris pour rencontrer le ou les auteurs desdits manifestes. N’était-il pas piquant d’associer le fondateur du rationalisme aux billevesées rosicruciennes et d’insister sur ses origines occultes ? Du coup, les « rêves » de Descartes prenaient une toute autre signification, comme sa dévotion à la vierge de la Salette, et l’on était reconduit vers des abîmes dont le rationalisme paraissait nous avoir délivrés.

 En réalité, le phénomène rosicrucien est au XVIIe siècle l’un des premiers symptômes de la crise de la conscience européenne que Paul Hazard repèrera entre 1680 et 1715, crise qui, dans cet épisode, voit la confusion du paracelsisme et du libertinage (Vanini vient d’être brûlé à Toulouse, Théophile de Viau incarcéré) ; elle témoigne des difficultés qu’on a alors à poser la question religieuse dans une Romania lézardée par les différents protestantismes. En amalgamant nature et surnature, l’alchimie se présente comme l’un des principaux obstacles que rencontre l’orthodoxie ; elle devient le compagnon de route des libertins, des pyrrhoniens, en un mot des « esprits forts » auxquels Pascal fut loin d’être insensible. Toujours est-il que passée la « révolution galiléenne » – à laquelle Descartes fut mêlé –, rien n’était plus comme avant. Si Newton fut le « dernier des magiciens », comme on l’a dit, il fut aussi le medium qui permit le passage de l’« alchimie » opérative à l’« alchimie » spéculative. Une ère nouvelle commençait – sauf pour quelques attardés, mais c’est là une autre affaire.

L’ouvrage de Didier Kahn rassemble les pièces d’un dossier qui, on s’en doute, ne sera pas du goût des esprits paresseux qui opposent à la docte ignorance, le mol oreiller de l’orthodoxie, voire de la crédulité. C’est vers cette époque que Saint-Évremond, exilé, écrivait au père Canaye une fameuse lettre que je ne rapporte pas faute de place, mais qui aurait quelque titre pour être lue dans les écoles…

 

L’A.M.O.R.C au XXème siècle


L’Ancien et Mystique ordre de la Rose-Croix, (Antiquus Mysticusque Ordo Rosae Crucis)   plus connu dans le monde sous le sigle A.M.O.R.C., est un mouvement philosophie, initiatique et traditionnel. Non religieux et apolitique, il est ouvert aux hommes comme aux femmes, sans distinction de race, de nationalité, de classe sociale ou de religion. Reconnu d’utilité publique dans plusieurs pays en raison de sa contribution à la culture, à l’éducation et à la paix, il a pour devise : « La plus large tolérance dans la plus stricte indépendance. »

 La Tradition de l’Ordre remonte son origine aux Ecoles de Mystères de l’ancienne Egypte. Comme leur nom l’indique, ces écoles antiques regroupaient des mystiques éclairés qui se réunissaient régulièrement pour étudier les mystères de l’existence. Avides de savoir et de connaissance, ces mystiques aspiraient à une meilleure compréhension des lois naturelles, universelles et spirituelles. En ce sens, le mot « mystère » dans l’Antiquité, c’est à  dire au temps des anciennes civilisations égyptienne, grecque et romaine, n’avait pas la signification qu’on lui donne aujourd’hui. Autrement dit, il n’était pas synonyme d’ « insolite » ou d’ « étrange ». Il désignait plutôt une gnose, une sagesse secrète, connue uniquement des Initiés.

Les écoles de Mystères

En Egypte antique, l’une des premières Ecole de Mystères fut l’école osirienne. Ses enseignements portaient sur la vie, la mort et la résurrection du dieu Osiris. Ils étaient présentés sous la forme de pièces théâtrales ou, plus exactement de drames rituels. Seules les personnes ayant donné la preuve de leur désir sincère de connaissance pouvaient y assister. Au cours des siècles, les Ecoles de Mystères ajoutèrent une dimension encore plus initiatique au savoir qu’elles transmettaient. Leurs travaux mystique prirent alors un caractère plus fermé et se tinrent exclusivement dans les temples qui avaient été construits dans ce but. D’après les enseignements rosicruciens, les plus sacrés aux yeux des Initiés étaient les grandes pyramides de Gizeh. Ainsi, contrairement à ce qu’affirment la plupart des historiens, ces pyramides n’ont pas été construites pour servir de tombeau à quelque pharaon. Elle étaient à l’origine des lieux d’études et d’initiations mystiques.

Les initiations aux Mystères égyptiens comprenaient une phase ultime durant laquelle le candidat faisait l’expérience d’une mort symbolique. Allongé dans un sarcophage et maintenu par des précédés mystiques dans un état intermédiaire, il lui était donné de se dédoubler, c’est à dire de connaitre une séparation momentanée entre son corps et son âme. Cette séparation avait pour but de lui montrer qu’il était bien un être double. L’ayant expérimentée, il ne pouvait plus douter que l’homme possède une nature spirituelle et qu’il est destiné à réintégrer le Royaume Divin. Après avoir fait la promesse de ne rien dévoiler de cette initiation et s’être engagé à  suivre le sentier du mysticisme, il était graduellement instruit des enseignements les plus ésotériques qu’un mortel puisse recevoir.

Les initiés de l’ancienne Egypte résumèrent une partie de leur sagesse sur les murs de leurs temples et sur de nombreux papyri. Une autre partie, non moins importante, fut secrètement transmise de bouche à oreille. Le célèbre égyptologue E. A. Wallis Budge, dans l’un de ses ouvrages, cite avec respect ces Ecoles de Mystères. Il écrit à leur propos : « Un développement progressif a dû avoir lieu dans les Ecoles de Mystères, et il semble que certaines d’entre elles étaient entièrement inconnues sous l’ancien règne. Il est impossible de douter que ces « Mystères » faisaient partie des rites égyptiens. On peut donc affirmer que l’ordre élevé des Khéri-Hebs possédait une connaissance ésotérique et secrète que ses maîtres gardaient jalousement. Chacun d’eux, si j’interprète bien l’évidence, possédait une gnose, une connaissance supérieure qui ne fut jamais confiée à l’écriture, et ils étaient ainsi à même d’accroitre ou de réduire son champ d’action selon les circonstances. Il est par conséquent absurde de s’attendre à trouver sur les papyri égyptiens la description des secrets qui formaient la connaissance ésotérique des Khéri-Herbs ».

Les pharaons mystiques

La tradition rosicrucienne rapporte que le pharaon Thoutmôsis III (1504-1447 av J.-C.), considéré par les historiens comme l’un des plus grands de la 18e dynastie, faisait partie des Initiés qui fréquentaient les Ecoles de Mystères d’Egypte. A son époque, elles fonctionnaient d’une manière totalement indépendante et possédaient leurs propres règlements. Après avoir été désigné par les Khéri-Hebs pour succéder à son père sur le trône, Thoutmôsis III décida de regrouper toutes ces Ecoles en un seul Ordre régi par les mêmes règles, afin d’en faire une Fraternité Unique. En raison de son intelligence et de sa sagesse, il fut choisi pour en être le Grand Maitre et s’acquitta de cette fonction jusqu’à sa mort. Précisions qu’il fut le premier souverain à porter le titre de « Pharaon », ce qui est très significatif sur le plan mystique.

Près de soixante-dix ans plus tard, le pharaon Amenhotep IV naquit au palais royal de Thèbes. Admis très tôt dans l’Ordre fondé par Thoutmôsis III, il en devient le Grand Maitre et s’employa à en structurer les enseignements et les rituels. Parallèlement, il instaura officiellement le monothéisme, et ce, à une époque où le polythéisme était répandu sur toute la surface de la Terre. Il changea alors de nom et se fit appeler « Akhénaton », qui signifie « Pieux envers Aton ». Par ailleurs, il fut le promoteur d’une révolution dans les domaines de l’art et de la culture. Profondément humaniste, il consacra toute son existence à lutter contre les ténèbres de l’ignorance et à promouvoir les idéaux les plus élevés. Peu de temps après sa mort, qui eut lieu en 1350 avant notre ère, le puissant clergé de Thèbes réinstaura le culte d’Amon, mais son œuvre faisait déjà partie de l’Histoire….

L’Extension de l’Ordre en Occident

D’Egypte, l’Ordre se répandit en Grèce, notamment par l’intermédiaire de Pythagore (572-492 av. J.-C.), puis dans la Rome antique, sous l’impulsion de Plotin (203-270). C’est à l’époque de Charlemagne (742-814), grâce au philosophe Arnaud, qu’il fut introduit en France puis en Allemagne, en Angleterre et aux Pays-Bas. Pendant les siècles suivants, les Alchimistes et le Templiers contribuèrent à son extension, tant en Occident qu’en Orient. La liberté de conscience faisant souvent défaut, l’Ordre dut se dissimuler sous des noms divers et mener ses activités sous le sceau du secret. Cependant, il ne cessa jamais ses activités, perpétuant ses idéaux et ses enseignements, participant directement ou indirectement à l’avancement des arts, des sciences et de la civilisation en général, prônant toujours l’égalité des sexes et une fraternité véritable entre les hommes.

 Une résurgence cyclique

Dans certaines thèses portant sur l’histoire rosicrucienne, on se réfère à un personnage du nom de « Christian Rosenkreutz » (1378-1484) comme étant le fondateur de la Fraternité des Rose-Croix. C’est là une erreur. En réalité, l’Ordre existait déjà depuis des siècles, mais il fonctionnait par cycles d’activité de 108 ans, suivis chaque fois d’une période équivalente de sommeil.

Lorsque le moment était venu de procéder à sa résurgence, des dispositions étaient prises pour annoncer l’ouverture d’un « tombeau » dans lequel le « corps » d’un « Grand-Maitre C.R.C » se trouvait, avec des joyaux rares et des manuscrits qui habilitaient les auteurs de la découverte à procéder à son réveil par un nouveau cycle d’activité. Cette annonce était allégorique, et les initiales « C.R.C. » ne désignaient pas une personne ayant existé. C’est à la lumière de ces explications qu’il faut considérer le légendaire Christian Rosenkreutz et son histoire.

C’est au 17e siècle que l’Ordre sortit de son anonymat, à la suite de la publication de trois Manifestes imprimés en Allemagne et en France. Il s’agit de la Fama Fraternatatis, de la Confessio Fraternitatis et des Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, datant respectivement de 1614, 1615 et 1616. Ces trois manifestes, mêlant des récits à la fois historiques et allégoriques, furent rédigés par un Collège de Rosicruciens éminents : « le Cercle de Tübingen », parmi lesquels se trouvait Valentin Andreae (1586-1654). Quelques années plus tard, en 1623, une affiche émanant du « Collège principal de la Rose-Croix » fut placardée dans les rue de Paris. Cette affiche marqua le début d’un nouveau cycle d’activité pour l’Ordre, qui se fit connaitre alors publiquement sous le nom d’ « Ordre de la Rose-Croix ».

En 1693, sous la conduite du Grand Maître Johannes Kelpius (1673-1708), des Rosicruciens venus de différents pays d’Europe embarquèrent pour le Nouveau Monde à bord de la « Sarah Maria ». Début 1694, ils débarquèrent à Philadelphie et s’y établirent. Quelques années plus tard, certains d’entre eux se rendirent dans l’ouest de la Pennsylvanie et frondèrent une nouvelle colonie. Après avoir créé leur propre imprimerie, ils éditèrent eux-mêmes un grand nombre de chefs-d’œuvres de la littérature ésotérique et introduisirent en Amérique les enseignements Rose-Croix. C’est également sous l’impulsion de ces rosicruciens européens que de nombreuses institutions américaines prirent naissance et que le monde des arts et des sciences connut un essor sans précédent aux Etats-Unis. Des personnages éminents comme Benjamin Franklin (1706-1790) et Thomas Jefferson (1743-1826) furent en contact étroit avec l’œuvre rosicrucienne de ce pays.

Précisions qu’il existait au XVIIIe siècle un lien étroit entre la Franc-Maçonnerie et la Rose-Croix, notamment en Europe. C’est ainsi que des personnages comme Cagliostro (1743-1795), Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) et Martinès de Pasqually (1727-1774), qui eut pour disciple Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), se rattachaient à ces deux Fraternités ésotériques. Par ailleurs, leurs membres menaient régulièrement des travaux en commun lors de certains convents. De nos jours, certaines obédiences maçonniques ont conservé le grade de « Chevalier Rose-Croix ». Cela dit, l’A.M.O.R.C. est totalement indépendant de la Franc-Maçonnerie et perpétue son héritage selon une méthode qui lui est propre, ce qui n’exclut naturellement pas qu’il y ait des Francs-Maçons rosicruciens.

 

 Le cycle actuel de l’A.M.O.R.C.

En 1801, l’Ordre entra aux Etats-Unis dans une période de sommeil. Toutefois, il demeurait très actif en France, en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Espagne, en Russie et en Orient. En 1909, Harvey Spencer Lewis (1883-1939), qui étudiait l’ésotérisme depuis de nombreuses années et qui s’intéressait particulièrement à la philosophie rosicrucienne, se rendit en France afin d’y rencontrer les responsables de l’Ordre. Après avoir subi de nombreux examens et diverses épreuves, il fut initié à Toulouse et chargé officiellement de préparer la résurgence de l’Ordre de la Rose-Croix en Amérique, alors que la Première Guerre mondiale se profilait en Europe.

Lorsque tout fut prêt pour cette résurgence, un Manifeste fut publié au Etats-Unis pour annonce le nouveau cycle d’activité de l’Ordre, qui fut alors désigné sous l’appellation « Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix » (A.M.O.R.C.). Régulièrement nommé Imperator, Harvey Spencer Lewis développa les activités de l’Ordre en Amérique et commença à mettre les enseignements rosicruciens par écrit, utilisant pour cela les archives que lui avaient confiées les Rose-Croix de France ; après la Seconde Guerre mondiale, cette méthode d’enseignement fut appliquée au monde entier. C’est ainsi que l’A.M.O.R.C. devint le dépositaire de l’authentique Tradition Rose-Croix dans tous les pays où il pouvait exercer librement ses activités.

Elu par les membres du conseil Suprême à la fonction d’Imperator, c’est actuellement un italien qui assume la plus haute responsabilité de l’AMORC. A ce titre, il est le garant des activités rosicruciennes pour tous les pays du monde, assisté en cela par les Grands Maitres des diverses juridictions. Précisons que le mot « Imperator » ne signifie pas « Empereur », comme on pourrait le croire. Ce mot, qui fut employé dès le XVIIe siècle pour désigner le responsable des Rose-Croix, provient du latin Imperare sibi, qui signifie « Maitre de soi ».


 La Grande Loge de l’Ordre de la Rose-Croix



La juridiction française de l’AMORC a repris officiellement ses activités après la Deuxième Guerre mondiale, le 1er janvier 1949. Elle est actuellement l’une des plus importantes du monde et s’étend à tous les pays francophones. Son siège, appelé traditionnellement « Grande Loge », se trouve au Château d’Omonville ; construit au XVIIIe siècle, ce château se situe dans la commune du Tremblay, dans l’Eure, en Normandie. C’est de là que l’enseignement rosicrucien est adressé à tous les membres de France, Belgique, Suisse, Québec, Afrique francophone, Territoires et Départements d’Outre-Mer.

Outre le château lui-même, dont la plupart des pièces ont été transformées en bureaux, la Grande Loge comporte d’autres édifices plus récents, parmi lesquels une structure d’accueil, un bâtiment administratif, une imprimerie, un local pour l’expédition des monographies et deux bibliothèques d’archives et de recherches, dont le fond est constitué essentiellement de livres traitants de philosophie, de mysticisme, d’ésotérisme et de spiritualité.

 

Aujourd’hui (2024)

 Claudio Mazzucco impérator et grand maitre de la juridiction italienne !

 

Claudio Mazzucco, FRC


Imperator de l’Ordre Rosicrucien, AMORC

2019 - aujourd’hui

Frater Claudio Mazzucco est né le 11 mai 1960 à Vicence, en Italie. À l’âge de six ans, sa famille a déménagé au Brésil où il a vécu pendant plus de vingt ans. C’est là, en 1977, qu’il a été introduit dans l’Ordre Rosicrucien. Il retourna ensuite en Italie.

Frater Mazzucco est diplômé et a obtenu un diplôme en génie chimique. Il est marié et père de deux filles.

Il a occupé divers postes rituels et administratifs, notamment celui de maître d’un chapitre, de moniteur régional, de grand conseiller et de conférencier.

Le 18 août 2019, Frater Claudio Mazzucco a été installé en tant qu’Imperator de l’Ordre Rosicrucien, AMORC lors de la Convention Mondiale de l’AMORC à Rome, en Italie. Il est également Grand Maître de la Grande Loge italienne, Président de la Grande Loge Suprême de l’AMORC et Souverain Grand Maître de l’Ordre Martiniste Traditionnel.

Frater Mazzucco pratique le Tai Chi et aime lire sur l’histoire et la philosophie des sciences.

 

 

La Table d’Emeraude




 Le texte traduit :

Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable : Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d’un, par la médiation d’un : ainsi toutes les choses ont été nées de cette chose unique, par adaptation. Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le telesme de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi. C’est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici. C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé.

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Selon la légende, la Table d’Emeraude contient l’explication des secrets qu’Hermès Trismégiste détenait, et qu’il aurait cachés aux hommes. C’est un texte cosmogonique, qui a donc vocation à expliquer l’origine, la nature et la structure du cosmos.

 « Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut… »

Le texte parle des miracles d’une seule chose, qui fait naître toutes les choses, c’est-à-dire tous les éléments. Les éléments s’adaptent et se combinent par l’intermédiaire de cette chose, qui exprime une unité fondamentale, une sorte de liant, de cohérence supérieure. C’est, pour Hermès Trismégiste, la clé de compréhension de tout.

Cette « chose unique » rappelle deux concepts importants en alchimie :

Un-le-Tout : c’est l’expression du principe unitaire du monde, qui est à la fois la Source, le cosmos, la Nature vivante et changeante. Un-le-Tout est à la fois l’être et la cause de l’être : il est lui-même mais aussi le dépassement de lui-même,

la Quintessence : c’est la substance des substances, celle qui pénètre toute chose et assure la sympathie des éléments de l’ensemble.

La « chose unique » est à la fois créatrice et création, active et passive : elle dépasse tous les opposés, elle réconcilie tous les contraires. De là découle la perception alchimique de la dualité, ce qui nous amène à évoquer le « haut » et le « bas ».

Dans ce passage, la Table d’Emeraude évoque une correspondance entre le bas et le haut, qui est devenue fondamentale en alchimie. Elle peut se comprendre comme :

la complémentarité entre le Soleil et la Lune : il s’agit là de deux énergies contraires mais qui fondent la cohérence de l’univers. Le Soleil est mâle, ordonnateur et actif, alors que la Lune est femelle, chaotique et passive,

la complémentarité entre le Feu et l’Eau (issus du Soleil et de la Lune), dont les symboles triangulaires se rencontrent et se superposent dans le Sceau de Salomon,

l’opposition et en même temps l’équivalence entre l’élément le plus épais (la Terre) et l’élément le plus subtil (le Feu),

ou encore entre l’équivalence entre le macrocosme (le cosmos tout entier) et le microcosme (l’homme à l’image du Tout) : c’est l’interprétation la plus courante et la plus célèbre.

La correspondance entre le macrocosme et le microcosme peut être schématiquement décrite comme suit :

 



« Le soleil en est le père, la lune est sa mère… »

Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le telesme de tout le monde est ici.

On retrouve dans ce passage les deux énergies fondamentales déjà évoquées plus haut (le Soleil et la Lune dans leur sens alchimique) ainsi que les 4 éléments inclus dans le Tout.

La paternité solaire évoque l’aspect divin de la création, qui a vocation à dominer, à organiser la matière. Le côté lunaire représente quant à lui la nature déployée, épanouie mais désorganisée, inconsciente et chaotique : c’est la matrice au sens cosmique du terme, le dragon à dompter.

Le vent évoque l’élément Air, qui porte et diffuse le principe solaire : il invite à s’élever vers la compréhension de toute chose.

Enfin, la Terre est la matière, certes brute et opaque, mais qui agglomère en elle tous les éléments précédents : la Terre est leur nourrice. Il conviendra d’explorer la Terre-matière pour opérer en son coeur une séparation (c’est l’Oeuvre au noir) afin d’extraire le principe vital lui-même porteur du principe supérieur (c’est l’Oeuvre au blanc), avant de réintroduire dans la Terre les principes subtils ainsi révélés (c’est l’Oeuvre au rouge).

Ainsi, la matière (la terre, le Corps) renaît, mais elle est désormais comprise et spiritualisée.

D’autre part, le mot « telesme » renvoie dans la langue arabe à la divination, au secret. Ici, le mot arabe tilasm (talisman) a été retranscrit en telesmus (latin) ou telesme en français. Il faut souligner qu’à l’origine, la Table d’Emeraude était un texte de magie talismanique.

« Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre… »

Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures.

Ce passage de la Table d’Emeraude est un parfait résumé du processus alchimique ou « Grand Oeuvre ».

« Séparer la Terre du Feu » constitue le coeur de l’opération : il s’agit de reconnaître ce qui, dans la matière, relève du principe supérieur (le Soleil). C’est ce qui permettra d’accéder au plus grand des secrets de l’univers.

Il y a ici l’idée d’un principe immanent, c’est-à-dire inclus dans la matière elle-même. Séparé, ce principe dévoile son caractère transcendant : il ouvre le chemin vers Dieu.

Le processus alchimique comporte plusieurs étapes, que vous avons déjà évoquées plus haut. Il s’agit donc de « séparer le subtil de l’épais » :

  • la Terre (qui peut aussi être vue comme le corps, l’individu obscur) est considérée comme épaisse, vulgaire, opaque, puisque tout y est aggloméré sans distinction. La terre n’est pas mauvaise en elle-même, elle est simplement confuse.
  • l’Eau, l’Air et le Feu sont des états de plus en plus subtils de la matière, qu’il convient peu à peu de déceler. L’Eau dissout la Terre, révélant la vie, l’âme changeante. Cette âme peut ensuite s’élever vers le haut, vers le principe supérieur (le Feu), avec lequel elle est destinée à s’unir.

Cette oeuvre de séparation doit s’effectuer « doucement, avec grande industrie ». Le risque est en effet de passer à côté de l’essentiel et d’emporter, lors du processus d’affinage, des scories, c’est-à-dire des défauts de la matière agglomérée. L’individu perdrait alors son âme en sombrant dans l’orgueil.

Au final, l’ensemble des éléments subtils révélés devront être réintégrés à la matière : la force de l’homme éveillé ne pourra se révéler qu’à travers un retour au Corps, plein et entier. C’est la « conversion en terre ».

Ce passage de la Table d’Emeraude traduit donc un double mouvement d’ascension et redescente.

On l’a vu, la Terre comporte en elle-même tous les principes : elle est une base totalisante, incontournable. Mais, révélé, son principe découle d’en-haut. On a donc une correspondance parfaite entre le bas et le haut.

« Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde… »

Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi. C’est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici.

Le processus alchimique révèle la structure cachée de la matière : c’est une prise de conscience de la nature profonde du cosmos et de son fonctionnement. De fait, l’alchimie est avant tout une aventure humaine : c’est un chemin d’élévation intime, une quête qui mène à la gnose, ou « connaissance parfaite ».

L’homme éveillé est celui duquel « toute obscurité » s’est enfuie. Ayant renoncé à la matière vulgaire et agglomérée (les illusions, l’orgueil, l’ego déraisonnable…), il s’ouvre au côté universel et éternel de son être, ainsi qu’à la transcendance. Il atteindra ainsi la vraie « gloire ».

L’objectif de l’alchimie est donc de tirer la force (la conscience suprême) de la force (la matière totalisante) : voilà une définition de la Quintessence.

Ainsi, à travers une parfaite connaissance de lui-même, l’être universel pourra vaincre toute chose subtile (accéder au principe supérieur) et pénétrer toute chose solide (comprendre ce que recèle son Corps).

« C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste… »

C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé.

Cette conclusion de la Table d’Emeraude est la promesse d’un accomplissement total : l’objectif d’élévation est atteint par le déroulement et la finalisation du processus alchimique.

Les « trois parties de la philosophie » qui sont évoquées renvoient directement au nom « Trismégiste », qui signifie « trois fois grand », ou « trois fois puissant ». Ces trois parties peuvent renvoyer :

  • aux trois principes fondamentaux de l’alchimie : le Soufre (le Feu divin), le Mercure (l’Eau, la vie) et le Sel (la matière figée),
  • à l’oeuvre de la nature à travers ses trois règnes : le minéral (le Corps, la Terre), le végétal (l’inconscient, l’Eau) et l’animal (l’âme consciente).

La Tabula Smaragdina et VITRIOL.

A partir du XVIème siècle, le texte de la Table d’Emeraude est souvent accompagné de la représentation symbolique suivante, autour de laquelle on lit l’inscription Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem, c’est-à-dire « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée », donnant l’acronyme VITRIOL, lequel est très commenté en franc-maçonnerie :













 

 

 

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