La marquise de Maillé demanda au nouveau propriétaire que
tout soit fait pour que le visiteur ait le « sentiment d’une
présence ». Voulait-elle par-là rappeler sa propre présence ?
Souhait-elle lancer les prémices d’une animation pour que cette demeure en
s’installe pas, à tout jamais, dans l’attitude figé d’un musée sans vie ?
Ou bien désirait-elle saluer, par quelques délicates attentions, le visiteur et
lui laisser, au hasard de sa promenade, le soin de découvrir « l’âme des
lieux », façonnée par deux cents ans d’histoire ?
1787 : Dans deux ans éclatera la Révolution qui, pour
certains sera l’couverture vers une ère nouvelles tandis que, pour d’autres, ce
ne sera qu’un énorme pétard mouillé de sang.
Comment vivait-on sous cet « Ancien Régime » ?
Il y avait, nous dit-on, trois classes : la Noblesse, le Clergé, le
Tiers-Etat. Cette classification n’est qu’arbitraire. La réalité est à la fois
plus simplet et plus complexe. Il n’existait que deux sociétés qui s’ignoraient
et qui n’avaient entre elles que des rapports obligés : la Noblesse et le
Haut-Clergé d’une part, le peuple et le bas-clergé d’autre part.
Cependant, comme les mauvais romans d’amour, un troisième larron allait se glisser entre ces deux protagonistes. Né de l’un comme de l’autre il a nom : Bourgeoisie. C’est son souffle qui déchainera la tempête…
LA MOTTE TILLY
Le nom même de la Motte Tilly indique qu’il y eut ici une
motte féodale, c’est-à-dire un château-fort bâti sur une hauteur.
Tilly signifierait que ce lieu devait être entouré de
tilleuls (lat. Tilia)
Cet emplacement s’élevait au bord de la Seine, à l’extrémité
du parc actuel du château. Le tracé des douves qui l’encerclaient se lit encore
sur le terrain.
La motte Tilly appartint successivement aux seigneurs de
Tilly, aux Maison de Traînel et de Chateauvillain, aux Raguier, aux d’Elbeyne
et aux Noailles. Le 24 mai 1748, le Maréchal du de Noailles cède la terre à
l’abbé Joseph-Marie Terray et à son frère Pierre, Vicomte de Rosières,
Conseiller du Roy.
L’abbé Joseph-Marie Terray né en 1715, n’était alors que
conseiller au Parlement de Paris. Ce n’est qu’en 1769 que, protégé de la
Marquise de Pompadour, il entrera dans le « trimvirat Maupeou » et
deviendra Contrôleur Général des Finances, Ministre d’Etat et Ordonnateur des
Bâtiments du Roi. Les mesures financières qu’il prit pour rétablir le trésor
royal le rendirent parfaitement impopulaire et, en 1774, Louis XVI dut le faire
remplacer par Turgot.
Au XVIIIe siècle, les « abbés de cour » (de
l’araméen abba, père) n’ont que de très
lointains rapports avec les prêtres (du grec
presbuteros, vieillard). Il est logique à cette époque que dans une famille
–même de petite noblesse- l’un des fils fasse une carrière militaire, se marie
et aie des enfants qui prolongeront le nom tandis que l’autre fils devient abbé
et reste –officiellement - célibataire. Cette façon de faire, approuvée par
l’Église, est essentiellement dictée par le désir impérieux de conserver
l’héritage indivis.
Ces fils entrant ainsi « en religion » n’ont, bien évidemment, aucune vocation pour la vie monacale et restent clercs, sans être ordonnés. Faute de la fortune des armes, ils briguent les fonctions honorifiques et recherchent la fortune de l’argent et… des femmes. Jean-Marie Terray ne fera pas exception à la règle, et, puisque la considération vient de l’argent que l’on perd, avec indifférence, aux jeux, des maîtresses qui vous « protègent », de la magnificence du château qu’on possède et du faste des réceptions qu’on y donne, en 1754 devenu Seigneur de la Motte Tilly, il fera raser le vieux château du Moyen-Age et reconstruira une « demeure champêtre » sur une hauteur en retrait de l’ancienne motte.
Les travaux seront confiés en 1755 à François-Nicolas
Lancret, neveu et filleul du peintre, auquel on doit également d’Hôte de ville
de Chaumont et celui de Châteauvillain en Haute-Marne.
Une croyance locale veut que la route nationale 51, qui
passe devant la grille d’entrée du château, soit également due à l’abbé Terray
qui entendait ainsi relier directement la Motte Tilly à Fontainebleau…
Le château, au fronton timbré des armes Terray, est resté
inchangé depuis sa construction ; par contre, les dépendances ont eu à
souffrir de la Révolution. Au lieu des arcades qui flanquent le château il faut
se représenter des galeries doubles, couvertes, percées de portes et de
fenêtres, qui faisaient communiquer le château avec les pavillons annexes. Dans
les inventaires anciens, elles portent le nom de « romaines ».
Le pavillon côté Ouest abrite la chapelle consacrée en 1757.
Mais, le grand corps de logis qui se développait entre le pavillon de la
chapelle et celui qui touche aux sauts de loups a été abattu. Là s’étendaient
les services, cuisines, laiterie, fours. Au-delà c’était la cour des communs
qui a conservé ses proportions bien que remaniée par le comte de Rohan-Chabot
au début du XXe. La clôture en treillage surmontées de vases a également été
voulue par lui.
Les deux pavillons du côté Est, qui avaient été démolis vers
1830, furent rebâtis sur les fondations anciennes en 1911. Ironie du destin, le
bouquet que les ouvriers posent pour marquer la fin des travaux, fut
placé » au faîte de l’édifice par un vieux maçon qui avait d’abord
travaillé à la démolition du bâtiment !
Le théâtre, élément indispensable des beaux esprits, se trouvait
dans le pavillon proche le château.
Fait exceptionnel pour l’époque, l’abbé Terray avait fait
installer une salle de bains ! a-t-elle servie ? Peut-être. Mais
l’hygiène était encore très relative et poudres, fards et parfums suppléaient
bien souvent la toilette…
Le château se veut être une demeure moderne. On n’y prendra
plus ses repas au hasard des antichambres ou des couloirs, mais, dans une salle
à manger.
Si l’on garde de grandes pièces d’apparat, on aménage aussi
des appartements « de commodités », plus intimes, plus confortables
et surtout plus faciles à chauffer : cabinets, boudoirs, pour la vie
familiale et… galante.
Le parc à la française est dû à Lancret. Des parterres ornés
de vases, de statues et d’oranger – l’orangerie existe encore au-delà des
communs – descendaient en pente douce jusqu’au miroir qui se prolonge par deux
bras formant canal à l’intérieur du parc sur une longueur de 800 mètres. Ce
canal, établi par l’abbé Terray et qui porte encore son nom, est alimenté par
l’eau de la Seine prise à Nogent et restituée à Courceroy.
Joseph-Marie Terray mourut le 22 janvier 1778. Il fut
enseveli dans la chapelle Sainte Marguerite de l’église de la Motte Tilly,
chapelle fondée en 1365 par Marguerite de Traînel. Félix Lecomte, auteur du
buste de Fénelon, sculpta son tombeau. La Révolution l’a épargné, seul le
médaillon reproduisant le portrait de l’abbé sur lequel la France éplorée se
pendait, a été détruit.
En 1780, son frère, le vicomte de Rosières disparut à son
tour. Le domaine passa entre les mains de son fils unique, Antoine-Jean,
Intendant de Montauban, puis de Lyon, époux de Nicole Perreney de Grosbois. En
1787, cédant à l’anglomanie du moment,
ce dernier transforma le parc en jardin à l’anglaise.
Nommé député de la Noblesse en 1789, Antoine-Jean se refusa
à émigrer. Il estimait ne rien avoir à craindre en restant à la Motte Tilly où
il était aimé de la population. De fait, ayant été arrêté une première fois en
octobre 1793 et incarcéré à Provins, il fut relâché à la demande des habitants.
Mais, le 24 décembre de la même année, il fut saisi avec sa femme sur ordre de
Paris et transféré à la prison de Port-Royal devenue pour l’occasion la prison
de Port-Libre.
Fin avril 1793, Antoine-Jean Terray et sa femme étaient
conduits à l’échafaud…
Le 20 janvier 1795, le château, devenu « Maison
nationale » fut entièrement vidé de son mobilier. La vente comprenait 1605
objets divers et fut consignée en 42 cahiers.
Abbé
Terray
Seigneur
de la Motte
La vie
dans la noblesse
Au moment de la Révolution, 17 000 familles nobles en
France. Mais la majeur partie de ces nobles vivaient dans un état proche d la
bourgeoisie, certains même n’apparaissant que comme de simples fermiers nantis.
A l’opposé il y avait quelques milliers de nobles vivant confortablement sur
leur oisiveté et quelques centaines dont la fortune et l’influence politique
étaient considérables.
L’abbé Terray, issu d’une famille de petite noblesse
auvergnate de Boën, réussit à pénétrer la « Haute-Noblesse » et à
devenir un personnage influent et fortuné et par conséquence craint et haï ses
« pairs ». Mais sa fortune restait suspendue au bon vouloir royal ce
qui explique peut-être en partie son acharnement à conduire les finances de
l’Etat et peut-être également les « malvertions » dont il semble
avoir largement profité.
Pour des motifs bien différents, paysans et nobles avaient
un point commun : l’argent leur manquait constamment. Le paysan n’avait
pas un liard car l’Etat, l’Église et les Nobles s’associaient pour le ruiner.
L’État et les Nobles, quant à eux, se ruinaient en fastes dont la munificence
devait assurer leur gloire présente. Seules l’Église et la Bourgeoisie
thésaurisaient. Ceci explique d’ailleurs les violences de la bourgeoisie
« révolutionnaire » contre le clergé et son impérieux désir de
« nationaliser » ses biens afin de les accaparer.
L’abbé Terray se devait d’être entouré d’un nombre important
de serviteurs. Si certains de ceux-ci recevaient d’honorables gratifications,
il est à peu près certain que nombre d’autres n’avaient que le gîte et la
nourriture et n’étaient payés que « d’un coup de chapeau ». D’où les
nombreux larcins et la renommée de voleur qui restera attachée à la condition
de domestique jusqu’au XXe siècle.
La chasse était une des distractions favorites de ces
nobles. Nous ignorons si l’abbé Terray était lui-même chasseur mais il est
certain que des chasses à courre étaient données car, dans tout le Nogentais,
les paysans étaient tenus d’offrir la « caillotte » (lait caillé) aux
meutes de chiens, pour les rafraichir.
L’abbé offrait également des fêtes champêtres et des
comédies. Le château de la Motte disposait d’un théâtre et, fréquemment les
acteurs et actrices étaient choisis au sein même des invités, les rôles
principaux étant toutefois réservés à des professionnels.
Les salons servaient de cadre à des festivités plus intimes.
On y offrait des concerts et surtout on y jouait. Les dames se passionnaient
pour le trictrac (jeu de dés) et les hommes perdaient des sommes considérables
au whist (ancêtre du bridge) en affectant une indifférence de « bon
ton ».
Mais, le règne de Louis XV fut aussi celui des « soirées galantes ». La littérature, l’imagerie licencieuse eurent à l’époque un succès considérable et des artistes de renom, tel François Boucher, ont laissé des œuvres plus que libertines dont la « cote » reste, encore aujourd’hui très élevée.
L’abbé Terray, bien qu’on lui prête un caractère
austère, ne resta pas étranger à ce courant. La lettre de Mlle Arnoux de
l’Opéra est, à cet égard, très claire. Les salons et les boudoirs du château de
la Motte ont donc très certainement servi de cadre fastueux à des soirées où
les nobles dames, abandonnant leurs riches et lourdes parures, se livrèrent à
des jeux dont l’innocence n’échappera à personne…
« La justice assistant les arts »
A la mort de l’abbé, son neveu, Antoine-Jean Terray
fit appel à Félix Lecomte pour réaliser le cénotaphe qui fut édifié en 1780
dans la chapelle seigneuriale de l’église Saint Pierre et Saint Paul de la
Motte Tilly. En application des lois révolutionnaires sur la suppression des «
signes de la féodalité et de la royauté » et sur ordre de la municipalité, le
tombeau a été fortement dégradé par les habitants de la commune. En 1910, le
château est racheté par le comte de Rohan Chabot. Sa famille restera
propriétaire du château jusqu’en 1972. Durant cette période, le tombeau de
l’abbé Terray a été partiellement restauré. Une restauration d’envergure a été
entreprise et le monument a enfin retrouvé sa superbe d’origine fin 2023.
La vie
anecdotique de l’Abbé Terray
Joseph-Marie Terray n’était encore que Conseiller à la
Grande Chambre du Parlement. Durant ses temps de loisirs, il se rendait à la
Motte Tilly et y recevait forte compagnie. Lors d’un séjour de la Cour à
Fontainebleau, Monsieur de Trudaine, Intendant des Finances, Monsieur de
Boullongue, Contrôleur général et quelques autres distingués personnages de la
Cour lui firent savoir qu’ils iraient diner chez lui. L’abbé Terray ayant fait
part de la nouvelle à son confrère l’abbé Le Noir, celui-ci s’informa de savoir
si, pour cette occasion, il prévoyait l’extraordinaire.
« Pas le moindre, répondit l’abbé, je ne veux pas leur
donner lieu de croire que je me trouve honoré de leur visite ».
Le 6 juin 1766 a lieu le baptême de la grosse cloche de
l’église : Joseph-Marie-Charlotte.
« Parrain : Messire Joseph-Marie Terray Conseiller
du Parlement de Paris, Abbé commendataire de l’Abbaye Royale de Molesmes, Chef
de Conseil du Prince de Condé, Seigneur de la Motte Tilly, Fontenay, Gumery.
Marraine : Noble Dame Dupuy épouse de Messire Chevalier
de Clorigrand, Prévôt du Lyonnais ».
Le 1er juillet 1767, Jean Mauzon crée à Clèves le
« Courrier du Bas-Rhin ». il emploie un certain Jean-Baptiste
Sainte-Marie Plumex, fils d’un chirurgien de Nogent-sur-Seine qui semble être
son meilleur informateur.
En décembre 1768, un argousin se présenta au portier de
l’abbé Terray pour l’interroger sur « la connaissance intime » que
son maitre aurait eu de ce bulletin. Le serviteur prétendit « ne point connaitre
ce jeune homme ». Il est difficle de savoir précisément d’où Plumex tenait
ses informations mais il parait probable que J.-M. Terray n’y était pas
étranger.
En 1769, l’abbé reçoit en son château le cardinal de Luynes,
archevêque de Sens et Mathias Joseph de Barral, évêque de Troyes.
En 1771, l’établissement dans les environs de
Nogent-sur-Seine d’un magasin ou « dépôt pour y mettre les grains
nécessaires à l’approvisionnement de Paris » s’avère indispensable. Jean
Nicolas de Boullongue, Conseiller d’Etat ordinaire au Conseil Royal des
Finances et Marie-François de Paule Lefèvre d’Ormesson, tous deux
« Procureurs spéciaux commis, ordonnés et députés par le Roi »
proposent « Une grande maison située dans la paroisse de la Motte Tilly appartement
à Joseph-Marie Terray ».
« Sa majesté après en avoir fait faire visite et
estimation en aurait fixé le prix à la somme de cent dix mille livres ».
Septembre 1772 « On parle beaucoup de fêtes données à
la Motte pour le mariage du neveu de l’abbé Terray avec Mademoiselle Le
Normant. L’abbé de Voisenon fait bassement la cour à ce ministre. Il a composé
une comédie à cette occasion et c’est lui-même qui a exercé les acteurs pris
dans la société du ministre. Madame Damerval étoit une des principales. Elle a
déployé des talents et, conséquemment pris beaucoup de goût pour ce genre
d’amusement, en sorte que l’abbé de Boisenon continue de la former… »
Marguerite Victoire le Normant était la fille d’un ancien
modèle du peintre Boucher, Marie-Louise O’Murphy, première maitresse de Louis
XV après Madame de Pompadour. Elle épousait à la Motte Tilly Jean Didier René
Mesmard, Comte de Chousy, Commissaire Général de la Maison du Roi, Capitaine du
Régiment de Royal-Navarre.
A l’occasion du carnaval de 1773, un ami lyonnais de
Monsieur de la Condamine lui envoya deux bartavelles. Elles furent
interceptées… et mangées à la table du Contrôleur général ! « Le
vieillard très gourmand ne trouva pas la plaisanterie bonne. Il ranima sa verve
octogénaire » et exhala sa fureur dans une suite de huit épigrammes dont
celui-ci :
« Question de Droit »
« Monsieur le Contrôleur écorne
Ma pension, ma rente. Il fait bien son métier
Mais, pour me prendre mon gibier
A-t-il des droits sur ma cuisine ? »
Joseph-Marie Terray envoya une dinde aux truffes en guise
d’excuses. Monsieur de Condamine répondit par deux madrigaux comme
celui-ci :
« J’ai gémi peut-être un peu fort
De mes deux perdrix égarées
Mes pertes sont bien réparées
Par un dindon du Périgord
Vous avez fait une lacune
A mon petit garde-manger
Mon mal était léger
Mais si d’une plainte importune
Vous daignez ainsi vous venger
Ayez toujours de la rancune ».
Dans le texte qui suit, le jeu de mot sur
« croupe » est difficile à percevoir complètement aujourd’hui car le
sens « d’associer » (au jeu ou à l’argent) ne persiste plus que dans
l’expression « croupier de casino ».
20 janvier 1774 « On n’a point encore la liste des
Croupiers de Pensionnaires de la ferme générale, suivant le nouveau Bail… Mlle
Arnoux, à qui l’on avait annoncé qu’elle avoit une Croupe, a écrit à cette
occasion une lettre plaisant à M. l’abbé Terrai. L’on assure que ce Ministre
qui entend raillerie, y a répondu très agréablement… ».
Lettre de Mlle Arnoux de l’Opéra :
« J’avois toujours oui-dire que vous faisiez peu de cas
des arts et des talens agréables. On attribuoit cette indifférence à la dureté
de votre caractère, je vous ai souvent deffendu du premier reproche, quand on
second il m’auroit été difficile de m’élever contre le cri général de la France
entière. Cependant je ne pouvais me persuader qu’un homme aussi sensible que
vous aux charmes de notre sexe, pût avoir un cœur de bronze. Vous venez bien de
prouver le contraire, vous vous êtes occupé de nous au milieu de l’affaire la
plus importante de votre ministère. Forcé de grever la nation d’un impot de 162
millions, vous avez cru devoir en réserver une légère partie pour le théatre
lyrique et pour les autres spectacles ; vous savez qu’une dose d’Allard de
Caillaud, de Raucoux est un narcotique sûr pour calmer les opérations
douloureuses que vous lui faites à regret. Monseigneur, c’est à la profondeur
de votre politique que je dois attribuer le prix flatteur dont vous honorez mon
faible talent ; vous m’accordez, dit-on une Croupe. Ce mot m’effrayeroit
de toute part : mais c’est une croupe d’or. Vous me faites chevaucher
derrière Plutus. Je ne doute pas que dressé par vous, il n’ait les allures
douces et engageantes (je m’y connais). Sous vos auspices je cours avec lui les
plus grandes aventures. Puissiez vous en revanche, Monseigneur, ne jamais
trouver de croupe rebelle !!... »
Réponse de l’abbé Terray
« Versailles, le 8 janvier 1774
On vous a mal informé, Mademoiselle, vous n’avez point de
Croupe dans le nouveau Bail : aussi vous ne chevauchez derrière aucun
Fermier général… »
1774 sera l’année de la disgrâce définitive de l’abbé
Terray. Louis XVI renvoie ce ministre par trop impopulaire et offre sa charge à
Turgot. C’en est fini des flatteries. Désormais les bons mots vont se retourner
contre celui que l’on courtisait la veille…
Extraits du « Journal Historique du Rétablissement de
la magistrature » publié à Londres :
10 avril 1774 : « On dit que M. le Contrôleur
général a fortement à cœur de consommer la construction du Louvre, qu’il
visitera par lui-même les travaux, qu’il piquera de tems en tems les ouvriers
et qu’au moment où l’on s’y attendra le moins, on espère le voir sur
l’échafaud ».
13 septembre 1774 « M. l’abbé Terrai sans être exilé
positivement en aucun lieu, a ordre de ne point paraitre à la Cour… »
14 septembre 1774 « Il paroit que M. l’abbé Terrai
n’est point aimé de ses vassaux à sa terre de la Motte. On raconte qu’ils ont
voulu la semaine dernière lui faire une niche très funeste pour un gourmand.
Ils ont arrêté son maitre d’hotel revenant de la provision, ont pillé les
vivres qu’il rapportoit et ont réduit l’Ex-Contrôleur général et sa Compagnie à
faire très mauvaise chère. Cette petite gentillesse a mis M. l’abbé de fort
mauvaise humeur ».
22 septembre 1774 « La nouvelle des niches faits à M.
l’abbé Terrai par les paysans de son canton se confirme. Il est constant qu’il
a déguerpi et qu’il est à son Abbaye près de Troyes. On le chansonne ici comme
M. de Maupeou, et pour mieux les associer, on a mis le vaudeville sur le même
air que le couple rapporté sur M. de Maupeou :
« Chacun le pense, le pense,
L’Abbé Terrai est en transe,
L’abbé Terrai est aux abois,
Chacun le pense, le pense… »
25 septembre 1774 « Depuis longtemps on parlait des
scellés mis sur les différentes personnes qui faisoient le commerce des bleds
pour le Gouvernement et sous ce prétexte abusoient de leurs pouvoirs. Ces
bruits viennent de se vérifier… »
30 septembre 1774 « Les scellés mis chez les
particuliers dont on a parlé et sur divers Magasins sur la rivière, entr’autres
à la Motte, chez M. l’abbé Terrai, ont donné lieu a beaucoup de coqs-à-l’âne…
C’est le vieux château, dont M. l’abbé Terrai ne savoit que faire et qu’il a
été très heureux de louer à des particuliers qui y ont établi des magasins de
bled… »
21 octobre 1774 « M. l’abbé Terrai sous prétexte des
Magasins qu’il avoit loués à sa terre de la Motte, aux Compagnies chargées
d’achats et d’emmagasinements de bleds pour le compte du Roi, avait fait faire
un chemin magnifique, depuis le grand chemin jusques chez lui, avec des ponts
et des quais, etc... On assure que cette dépense est de quatre à cinq cens
mille francs. On veut aujourd’hui la lui faire payer, comme tournant à son
profit uniquement, et l’on assure que Sa Majesté l’a décidé ainsi… »
3 mars 1775 : extrait d’une lettre de La
Motte :
« M. l’abbé Terrai, tandis qu’on le vilipende à Paris,
est ici dans la joie et dans les plaisirs ; il a beaucoup de monde ;
il y fait grande chère et sa seule occupation est de lire tous les mémoires qui
paraissent au Palais… »
En 1776, tout Paris se répète le mot attribué à l’abbé
Joseph-Marie Terray :
« Pendant mon ministère j’ai fait le mal bien, et
Monsieur Turgot fait le bien on ne peut plus mal ».
C’est vrai que Turgot fut, à son tour, renvoyé en mai 1776.
Février 1778 Cette année, Paris reçoit deux hôtes de
marque : la troupe des Bouffons italiens et Mozart. L’abbé Joseph-Marie
Terray se meurt ainsi que ses deux plus farouches adversaires : Voltaire
et Rousseau…
Provenant des collections de l'abbé Terray
Christie's Londres, 5 juillet 2018.
115. UN ENSEMBLE DE QUATRE FIGURINES ALLÉGORIQUES EN
MARBRE REPRÉSENTANT LES QUATRE SAISONS
PIERRE MAZELINE (1632-1708), PARIS, VERS 1690
Le Printemps représenté comme une figure féminine à
moitié vêtue avec des guirlandes de fleurs dans les cheveux et la main gauche,
debout devant un tronc d'arbre avec un putto à ses côtés ; Été représenté comme
une figure féminine à moitié vêtue tenant une faucille, une gerbe de maïs et
une couronne en maïs ; L'automne est représenté comme un jeune Bacchus tenant
un gobelet et des raisins, avec une peau de lion sur l'épaule, des vignes dans
les cheveux et debout contre un tronc d'arbre à côté d'un pichet à vin :
L'hiver est représenté comme un vieil homme, enveloppé dans un manteau, debout
à côté d'un brasero flamboyant;
Printemps 34 1/8 po. (86,5 cm) de hauteur ; Été 31
po (78,8 cm) de hauteur ; Automne 35. po (89 cm) de hauteur ; Hiver 30 ¼ po (77
cm de hauteur) (4)
Provenance
Très certainement la succession de Pierre Mazeline
(1632-1708), rue de Bourbon, Paris, figurant à un inventaire du 29 février 1708
et vendue le 2 juillet 1708 (11 870 livres).
Joseph-Marie Terray, abbé de Molesme et contrôleur
général des finances sous Louis XV (1715-1778), rue Notre-Dame-des-Champs,
Paris et château de la Motte Tilly.
Antoine Jean Terray, vicomte de Rozières
(1750-1794), hôtel d'Aumont, 7 rue de Jouy, Paris et vendu le 20 janvier 1779,
lot 16.
Dubois [commerce parisien].
Frédéric, comte Pillet-Will (1837-1911), Hôtel
Pillet-Will, 31 rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris.
Avec Wildenstein, New York.
Collection privée européenne.
(Est. 700 000 GBP - 1 000 000 GBP)
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