Procès
en condamnation et exécution de Jeanne d’Arc
Au nom du Seigneur, ainsi soit-il.
Ici commence le procès en matière de foi contre
défunte femme Jeanne, appelée vulgairement la Pucelle.
A tous ceux qui les présentes lettres verront,
Pierre Cauchon, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et frère Jean
Lemaître, de l’Ordre des frères prêcheurs, commis, dans le diocèse de Rouen, et
chargé spécialement, eu qualité de vice-inquisiteur, de suppléer dans ce procès
religieuse et prudente personne maître Jean Graverent, dudit Ordre, docteur
distingué en théologie, inquisiteur de la foi et de la plaie hérétique, député,
par délégation apostolique, au royaume de France; salut en Notre-Seigneur
Jésus-Christ auteur et consommateur de la foi.
Il a plu à la céleste Providence qu’une femme nommée
Jeanne et vulgairement la Pucelle ait été prise et appréhendée par les gens de
guerre dans les bornes et limites de nos diocèse et juridiction.
Or, c’était un bruit public que cette femme, au
mépris. de la pudeur et de toute vergogne et respect de son sexe, portait, avec
une impudence inouïe et monstrueuse, des habits difformes convenant au sexe
masculin.
On disait encore que sa témérité l'avait conduite à
faire, dire et semer beaucoup de choses contraires à la foi catholique et aux
articles de la croyance orthodoxe. Ce faisant, elle s'était rendue gravement
coupable tant dans notre diocèse que dans plusieurs autres lieux du royaume.
L'Université de Paris ayant eu connaissance de ces
faits, ainsi que frère Martin Belorme, vicaire général de mon dit seigneur
l'inquisiteur ès perversité hérétique, s'adressèrent aussitôt à l'illustre
prince monseigneur le duc de Bourgogne et au noble seigneur Jean de Luxembourg,
chevalier, qui tenaient ladite Pucelle sous leur puissance et autorité. Ils
requirent lesdits seigneurs, par sommation, au nom du vicaire, sous les peines
juridiques, de nous rendre et envoyer ladite femme ainsi diffamée et suspecte
d'hérésie, comme au juge ordinaire.
Nous, évêque susdit, remplissant notre office pastoral,
travaillant de toutes nos forces à l'exaltation et promotion de la foi
chrétienne, avons voulu nous livrer à une en- quête légitime sur les faits
ainsi divulgués et procéder , avec mûre délibération, conformément au droit et
à la raison, à la conduite ultérieure qui nous paraîtrait légitime.
C'est pourquoi nous avons à notre tour, et sous les
peines de droit, requis lesdits prince et seigneur de remettre à notre
juridiction spirituelle ladite femme pour être jugée.
A son tour, le sérénissime et très chrétien prince
notre maître, le roi de France et d’Angleterre1, a requis lesdits seigneurs,
pour parvenir au même résultat. Enfin le très illustre duc de Bourgogne et le
seigneur susnommé Jean de Luxembourg, accordant favorable accueil auxdites
monitions et désirant, dans leurs âmes catholiques, accorder leur aide à des
actes ayant pour but l'accroissesement de la foi, ont livré et envoyé ladite
Pucelle à notre dit seigneur et à ses commissaires.
Ledit seigneur, dans son zèle et sa royale
sollicitude en faveur de la foi, nous a ensuite délivré ladite femme, pour que
nous soumettions les faits et dits de la prévenue à une enquête préalable et
approfondie, avant de procéder ultérieurement. En suite de ces actes, nous
avons prié l'illustre et célèbre chapitre de Rouen, détenteur de toute la
juridiction spirituelle et administration, le siège épiscopal vacant, de nous
accorder territoire dans cette ville de Rouen, pour y déduire ce procès: ce qui
nous a été gracieusement et libéralement concédé.
Avant de procéder contre ladite Pucelle à la
procédure ultérieure, nous avons jugé raisonnable de nous concerter, par une
grave et mûre délibération, avec des personnes lettrées et habiles en droit
divin et humain, dont le nombre, grâce à Dieu, en cette ville de Rouen, est
considérable.
1. Henri VI d’Angleterre
1.1. PREMIÈRE JOURNÉE DU PROCÈS
9 JANVIER 1431
Le jour de mardi, 9e du mois de janvier de l'an du
Seigneur mil quatre cent et trente (1), selon le rite et comput de I’Eglise de
France, indiction 9e, la quatorzième année du pontificat de notre très saint
père et seigneur Martin V, pape par la divine Providence, dans la maison du
conseil royal proche du Château de Rouen, nous, évêque susdit, avons fait
convoquer les maîtres et docteurs qui suivent, savoir:
Messeigneurs:
Gilles
[de Duremort], abbé de Fécamp, docteur en théologie;
Nicolas
[Le Roux], abbé de Jumièges, docteur en droit canon;
Pierre
[Miget], prieur de Longueville, docteur en théologie;
Raoul
[Roussel], trésorier de l’Eglise de Rouen, docteur en l’un et l’autre droit;
Nicolas
[de Venderès], archidiacre d’Eu, licencié en droit canon;
Robert
[Barbier], licencié en l’un et l’autre droit;
Nicolas
[Coppequêne], bachelier en théologie, et
Nicolas
[Loiseleur], maître ès arts.
1. L'année commençait alors à Pâques; ainsi jusqu'à la date de cette fête tombant cette année-là le 1er avril, les actes portent le millésime 1430, que nous corrigeons partout en 1431.
Nous avons encore ordonné que toutes ces
informations ensemble et à jour fixe déterminé par nous fussent présentées au
conseil, afin de le bien éclairer sur la conduite à tenir dans le traitement de
toute l’affaire. Pour mieux et plus convenablement opérer ces informations et
le reste, il a été délibéré qu’il était besoin de certains officiers spéciaux
chargés personnellement de s’y entremettre.
En conséquence, sur l’avis et délibération du
conseil, il a été élu par nous, évêque, conclu et délibéré que:
Vénérable et discrète personne maître Jean
d’Estivet, chanoine des Églises de Beauvais et de Bayeux, remplirait l’office
de promoteur ou procureur général en la cause.
Scientifique personne maître Jean de la Fontaine,
maître ès arts et licencié en droit canon, a été nommé conseiller commissaire
et instructeur.
Prudentes et honorables personnes Guillaume Colles,
autrement dit Bois-Guillaume 1, et Guillaume Manchon, prêtres, greffiers de
l’officialité de Rouen, d’autorité impériale et apostolique, rempliraient
l’office de greffiers ou scribes.
Maître Jean Massieu, prêtre, doyen de la cathédrale de
Rouen, a été constitué exécuteur des exploits et convocations à émaner de notre
autorité. Le tout en vertu de ce qui est contenu tout au long dans les lettres
de création données pour chacun de ces offices 1.
1.
Ou Bosc Guillaume.
1.2.
DEUXIÈME JOURNÉE DU PROCÈS
13 JANVIER 1431.
Lecture des informations prises sur la Pucelle.
Le lundi suivant treizième de janvier, nous, évêque
susdit, avons rassemblé en notre domicile à Rouen messieurs et maîtres:
Gilles,
abbé de la Sainte-Trinité de Fécamp, docteur en théologie;
Nicolas
de Venderés, licencié en droit canon;
Guillaume
Haiton, bachelier en théologie;
Nicolas Couppequene, bachelier en théologie;
Jean
de la Fontaine, licencié en droit canon,
Et
Nicolas Loyseleur, chanoine de l’Eglise de Rouen. En présence desquels nous
avons exposé ce qui s’était
1. Suivent les diverses lettres closes et patentes
mentionnées dans les actes qui précèdent, ce sont :
1° lettre de l’Université de Paris au duc de
Bourgogne (14 juillet 1430) ;
2° lettre de l’Université à Jean de Luxembourg (14
juillet 1430);
3° lettre du vicaire général de l’Inquisition au duc
de Bourgogne (26 mai 1430); 40 sommation faite par nous, évêque susdit, au duc
de Bourgogne et à Jean de Luxembourg (14 juillet 1430) ; exploit de
signification de la sommation qui précède (14 juillet); lettre de l’Université
à l’évêque de Beauvais (21 novembre) ; lettre de l’Université au roi
d’Angleterre (21 novembre) ; ordre du roi d’Angleterre de nous livrer ladite
Jeanne (3 janvier 1431) ; lettres de territoire à nous accordées par le
vénérable chapitre de l’Eglise de Rouen, pendant la vacance du siège (28
décembre 1430); lettres d’institution des notaires (9 janvier 1431); lettres
d’institution d’un conseiller, commissaire et ordonnateur des témoins
(9janvier); lettres d’institution de l’appariteur (9 janvier).
Tous ces documents se trouvent dans J. Quicherat et
les trois traductions françaises.
Fait dans la précédente séance, en leur demandant
avis sur la marche ultérieure à suivre.
Nous leur avons, en outre, fait donner
lecture des informations recueillies au pays natal de cette femme et ès autres
lieux, ainsi que de diverses notes sur divers points, les unes stipulées dans
ces informations, les autres alléguées par la rumeur publique.
Tout cela vu et entendu, lesdits maîtres
ont délibéré qu’il serait dressé là-dessus des articles ou propositions en due
forme, afin que la matière pût être distinguée d’une manière plus précise et
que l’on pût mieux examiner ultérieurement s’il y a motif suffisant
d’introduire citation et instance en cause de foi,
Conformément à cet avis, nous avons
résolu de faire dresser de tels articles, et avons commis à ce soin certains
docteurs notables dans l’un et l’autre droit, pour y pourvoir avec les notaires
1. Ceux-ci, nous obtempérant avec diligence, ont procédé les dimanche, lundi et
mardi qui suivirent.
1.
Bois-Guillaume et Manchon.
1.3. TROISIÈME JOURNÉE DU PROCÈS
23 JANVIER 1431.
Conclusion de faire enquête préparatoire.
Le mardi 23, au même lieu, comparurent les
assesseurs dénommés en la précédente séance
Nous leur avons fait donner lecture des articles
rédigés, en leur demandant avis sur la suite. Ces assesseurs déclarèrent alors
que ces articles étaient rédigés en bonne forme et qu’il convenait de procéder
aux interrogatoires correspondant à ces articles. Ensuite ils dirent que nous
pouvions et devions procéder à l’enquête préparatoire sur les faits et dits de
la prisonnière.
Acquiesçant à leur avis et attendu que nous sommes
occupés ailleurs, nous avons délégué à cette enquête le commissaire ci-dessus
Jean de la Fontaine.
1.4. QUATRIÈME JOURNÉE DU PROCÈS
13 FÉVRIER 1431.
Prestation de serment par les officiers de la cause.
Le mardi 13, au même lieu, présents:
Gilles, abbé, etc., Jean Beaupère, Jacques de
Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Gérard Feuillet, Nicolas de Venderès,
Jean de la Fontaine, William Heton, Nicolas Couppequêne, Thomas de Courcelles,
Nicolas Loyseleur;
Avons mandé les officiers de la cause, savoir: Jean
d’Estivet, promoteur: Jean de la Fontaine, commissaire; Guillaume
Boisguillaume, Guillaume Manchon, notaires; et J. Massieu, appariteur;
lesquels, sur notre requête, ont prêté serment de bien et fidèlement remplir
leurs offices.
1.5. CINQUIÈME, SIXIÈME ET SEPTIÈME JOURNÉES
14, 15, 16 FÉVRIER 1431.
Enquête préparatoire.
Les mercredi, jeudi, vendredi et samedi suivants,
par le ministère de maître Jean de la Fontaine, commissaire, assisté de deux
notaires, il a été procédé à ladite enquête.
19 FÉVRIER 1431.
Le ministère de l’Inquisition sera invoqué.
Le lundi après les Brandons comparurent, à environ 8
heures du matin, dans notre dite maison d’habitation:
Gilles, abbé de Fécamp; J. Beau père, Jacques de
Touraine, N. Midi, Pierre Maurice, Gérard Feuillet, docteurs en théologie; N.
de Venderès, Jean de la Fontaine, licenciés en droit canon; G. Haiton, N.
Coupequesne, Th. de Courcelles, bacheliers en théologie; Nic. Loyseleur,
chanoine de Rouen.
Nous, évêque susdit, avons exposé en leur présence
qu’une instruction préalable avait été faite par nos soins contre cette femme
pour voir s’il y avait lieu à suivre l’action. Nous avons ensuite fait lire,
séance tenante, devant lesdits présents, la teneur des articles et dépositions
des témoins contenus dans cette information préalable.
Lesquels conseillers, cette pièce ouïe, en
délibérèrent longuement, et, sur leur avis, nous avons prononcé qu’il y avait
matière suffisante pour faire livrer la prévenue en cause de foi.
En outre, par égard pour le Saint-Siège apostolique,
qui a spécialement institué MM. les inquisiteurs pour connaître des affaires de
ce genre, nous avons décidé, de l’avis des mêmes assesseurs, que M.
l’inquisiteur du royaume serait appelé et requis, pour s’adjoindre, s’il lui
plaisait, à nous, dans le procès. Et comme le dit inquisiteur pour lors était
absent de cette ville de Rouen, nous avons ordonné que son vicaire, présent à
Rouen, serait mandé en son lieu et place.
1.7. SIXIÈME SÉANCE DU PROCÈS
19 FÉVRIER 1431.
Réquisition du vicaire de l’inquisiteur.
Le même jour, vers quatre heures après midi,
comparut audit lieu devant nous, vénérable et discrète personne frère Jean
Lemaître, vicaire de M. l’inquisiteur du royaume de France, par lui député pour
la métropole et diocèse de Rouen.
Lequel avons sommé et requis de s’adjoindre à nous
pour ledit procès, offrant de lui communiquer tout ce qui avait été déjà fait
ou se ferait à l’avenir dans la cause. A cela, le vicaire répondit qu’il était
prêt à nous montrer sa commission, ou lettres de vicariat, et que, vu la teneur
de cette commission, il ferait volontiers, dans la cause, ce qu’il devrait
faire pour l’office de la sainte Inquisition.
Il représenta cependant que sa commission
s’appliquait uniquement au ressort ou diocèse de Rouen. Or, attendu que, encore
bien que le chapitre de Rouen nous eût prêté juridiction et territoire en ce
diocèse, cependant le présent procès avait été intenté à raison de notre
juridiction comme évêque de Beauvais, par ce motif, ledit vicaire a émis ce
doute: si sa commission pouvait s’étendre à ta poursuite du présent procès. Sur
ce, nous lui avons fait réponse qu’il se rendît de nouveau, le jour suivant,
par-devant nous et que d’ici là nous aviserions sur ce point.
1.8. SEPTIÈME SÉANCE DU PROCÈS
20 FÉVRIER 1431.
Le vicaire de l’inquisiteur se récuse dans la cause.
Le lendemain comparurent au même lieu: Lemaître,
Beaupère, Touraine, Midi, Venderès, Maurice, Feuillet, Courcelles, Loyseleur et
frère Martin Ladvenu de l’Ordre des frères prêcheurs.
Nous avons exposé en leur présence que, vu la
commission du vicaire et ouï l’avis des conseillers auxquels. cette commission
a été présentée, nous avions conclu que le vicaire était autorisé par ladite
commission à procéder conjointement avec nous.
Néanmoins, pour plus de sûreté en faveur de ce
procès, nous avons décidé d’adresser personnellement sommation et requête à
l’inquisiteur général de se rendre en ce diocèse afin de nous assister ou de se
faire suppléer par un vicaire muni dans ce but de pouvoirs spéciaux.
A quoi frère Lemaître a répondu que, tant pour
tranquilliser sa conscience que pour donner une marche plus sûre au procès, il
ne consentirait d’aucune façon à s’entremettre en cette affaire, sauf le cas où
il recevrait un pouvoir spécial et dans la limite de ce pouvoir. Toutefois il a
consenti, en tant qu’il le pouvait et qu’il lui était permis, à ce que nous,
évêque, procédassions plus outre, jusqu’à ce qu’il eût un avis plus éclairé sur
la question de savoir si les termes de sadite commission lui permettaient de
s’adjoindre au procès.
Après lequel acquiescement, nous avons derechef
offert au vicaire communication des actes de notre procédure. Et les opinions
des assistants étant recueillies, avons arrêté que ladite femme serait citée à
comparaître devant nous le lendemain mercredi 21 février 1.
21 FÉVRIER 1431.
Première séance publique.
Interrogatoire.
Le mercredi, vers huit heures du matin, nous évêque,
nous sommes rendu à la chapelle royale du Château de Rouen, où nous avions cité
la prévenue. Là, nous avons pris séance, assisté des révérends pères seigneurs
et maîtres [au nombre de 43] 2.
En premier lieu, il a été, devant ces assesseurs,
donné lecture des lettres du roi qui nous renvoient la prévenue et des lettres
de territoire.
Lecture faite, maître Jean d’Estivet, promoteur,
a rapporté qu’il avait fait citer la
prévenue à comparaître 1.
1.
Suivent la teneur des lettres de vicariat de frère Lemaître et la lettre de P.
Cauchon à l’Inquisiteur général, frère Jean Graverend (22 février 1431).
Celui-ci répondit de Constance qu’étant légitimement empêché il déléguait frère
Jean Lemaître, qui siégea officiellement à partir du 13 mars.
2.
Nous omettons, pour abréger, la liste des assistants de Pierre Cauchon, elle
varie presque à chaque séance, mais les noms que nous avons déjà transcrits
plusieurs fois s’y retrouvent.
A l’exhibition de ce rapport, le promoteur a requis
qu’il fût procédé à la comparution. Et entre temps ladite femme ayant demandé à
ouïr la messe, nous avons exposé aux assesseurs que, de l’avis de notables
maîtres avec qui nous en avons conféré, attendu les crimes dont ladite prévenue
est diffamée, notamment la difformité de son habillement dans laquelle elle
persévère, nous avons cru devoir surseoir à lui accorder la licence par elle
demandée d’entendre la messe et d’assister aux divins offices.
L’exécution de l’exploit atteste que ladite Jeanne a
en effet répondu que volontiers elle comparaîtrait... et répondrait la vérité
aux interrogatoires qui seraient à lui faire; qu’elle demandait que, dans cette
cause, vous voulussiez bien vous adjoindre des ecclésiastiques de ces parties
de France d’où venait la prévenue, c’est-à-dire docteurs de l’obédience du roi
Charles VII]
Jeanne est introduite par l’huissier Jean Massieu,
prêtre.
Pendant que nous disions ce qui précède, la prévenue
a été amenée par l’exécuteur des exploits. Nous avons rappelé qu’elle avait été
appréhendée sur le territoire de notre diocèse de Beauvais,... à nous envoyer
par le roi,... et citée pour répondre en justice des faits criminels qui lui
sont imputés...
C’est pourquoi, désirant, dans cette cause, remplir
le devoir de notre office à la conservation et exaltation de la foi catholique,
avec le secours favorable de Jésus-Christ, dont la cause est en jeu, nous avons
préalablement admonesté et requis ladite Jeanne, alors assise devant nous, que,
pour accélérer le procès et pour la décharge de sa propre conscience, elle nous
dît pleinement sur ce la vérité sans faux-fuyants ni subterfuges.
1. Suit la lecture des lettres de citation et de
l’exécution de l’exploit.
Prestation de serment.
Là-dessus, nous avons requis l’accusée de prêter
serment sur l’Évangile qu’elle dira la vérité.
RÉPONSE DE JEANNE : J’ignore la matière de
l’interrogatoire. Peut-être me demanderez-vous telles choses que je ne dois pas
vous dire.
CAUCHON: Jeanne, je vous requiers encore de prêter
serment de dire la vérité.
JEANNE: De mon père, de ma mère et des choses que
j’ai faites depuis que je pris le chemin de France, volontiers je jurerai. Mais
quant aux révélations qui me viennent de Dieu, je n’en ai onques rien dit ni
révélé à personne, sinon à Charles mon roi; je n’en dirai pas plus, dût-on me
couper la tête, parce que mon conseil secret — mes visions, j’entends — m’a
défendu d’en dire rien à personne. Au reste, avant huit jours, je saurai bien
si je dois rien vous dire.
CAUCHON : Derechef, nous vous avertissons et
requérons de prêter serment, de dire la vérité dans les choses touchant notre
foi.
JEANNE (à genoux et les deux mains posées sur. le
missel): Je jure de dire la vérité sur les choses qui me seront demandées et
que je saurai concernant la foi.
La prévenue garde le silence sur la condition
susdite, c’est-à-dire qu’elle ne dira ou révélera à personne les révélations à
elle faites.
1. L’original emploie ici le style indirect:
laquelle Jeanne à cela répondit en ces termes : Je ne sais, etc. Et comme nous
lui dîmes :Vous jugerez, etc. Elle répondit de nouveau; Quant à mon père, etc.
A cette forma nous substituons le style direct. Seuls les incidents seront
présentés sous la forme de récit.
Premier interrogatoire après le serment.
CAUCHON: Votre nom?
JEANNE: Dans mon pays on m’appelait Jeannette. En
France, on m’appelle Jeanne depuis que j’y suis venue.
CAUCHON: Votre surnom?
JEANNE: Du surnom je ne sais mie.
CAUCHON: Votre lieu de naissance?
JEANNE: Je suis née au village de Domrémy, qui est
tout un avec Grus; c’est à Grus qu’est la principale église.
CAUCHON: Les noms de vos père et mère?
JEANNE: Mon père s’appelle Jacques d’Arc, et ma mère
Isabelle.
CAUCHON: Où avez-vous été baptisée?
JEANNE: A Domrémy.
CAUCHON: Quels ont été vos parrains et marraines?
JEANNE: Le nom de l’un de mes parrains est Jean
Lingué; un autre : Jean Barrey. L’une de mes marraines s’appelle Agnès ; une
autre Sibylle. J’en ai encore eu d’autres, ainsi que j’ai entendu dire à ma
mère.
CAUCHON: Quel prêtre vous a baptisée?
JEANNE: Messire Jean Minet, à. ce que je crois.
JEANNE: Oui, j’imagine.
CAUCHON: Votre âge?
JEANNE: Dix-neuf ans, je pense, environ.
CAUCHON: Que vous a-t-on appris?
JEANNE: Ma mère m’a appris Pater noster, Ave Maria,
Credo. Je n’ai appris ma créance d’aucun autre que de ma mère.
CAUCHON: Dites votre Pater noster 1.
JEANNE: Entendez-moi en confession, je vous le dirai
volontiers.
CAUCHON: Derechef, je vous requiers de dire votre Pater
noster.
JEANNE: Je ne vous dirai point Pater noster, à.
moins que vous ne m’écoutiez en confession.
CAUCHON: Une troisième fois, je vous requiers de
dire Pater noster.
JEANNE: Je ne vous dirai Pater noster qu’en confession.
CAUCHON: Volontiers, nous vous donnerons un ou deux
notables hommes de la langue de France, devant lesquels vous direz Notre Père.
JEANNE : Je ne leur dirai que s’ils m’entendent en
confession.
CAUCHON: Jeanne, défense vous est faite de sortir de
la prison à vous assignée sans notre congé, sous peine d’être assimilée à un
coupable convaincu d’hérésie.
JEANNE: Je n’accepte pas cette défense. Si je
m’échappais, nul ne serait en droit de me reprocher d’avoir rompu ou violé ma
foi, car je n’ai onques engagé ma foi à personne.
CAUCHON: Avez-vous à vous plaindre de quelque chose?
JEANNE: J’ai à me plaindre d’être enchaînée avec
chaînes et entraves de fer.
CAUCHON: Ailleurs vous avez tenté plusieurs fois de
vous échapper. C’est pour ce motif qu’il a été donné ordre de vous mettre aux
fers.
JEANNE: Il est vrai, je l’ai voulu et le voudrais
encore, comme il est permis à tout prisonnier de s’échapper.
CAUCHON: Cela étant, nous évêque, pour plus grande
sûreté, commettons à la garde de Jeanne noble homme John Gris 1, écuyer du
corps de notre seigneurie roi, et, avec lui, Jean Berwoit et Guillaume Talbot,
en leur enjoignant de la bien et fidèlement garder, sans permettre à quiconque
de conférer avec elle sans notre congé.
Vous, les trois susdits gardes, les mains sur les
saints Évangiles, jurez qu’ainsi vous ferez.
Ce que lesdits gardes ont juré.
Finalement, nous avons assigné Jeanne pour
comparaître le lendemain jeudi, 8 heures du matin, dans la chambre de parement,
au bout de la grande cour du château.
1. Cette demande que nous répétons trois
fois est ainsi mentionnée: Cumque iterum pluries super lice requiremus eam
1.10. NEUVIÈME SÉANCE DU PROCÈS
22 FÉVRIER 1431.
Deuxième interrogatoire public.
Le jeudi 22 février, dans la chambre de parement, au
bout de la grande salle du château; 47 assesseurs siègent à côté de l’évêque.
CAUCHON: Révérends Pères, Docteurs et Maîtres, frère
Jean Lemaître, vicaire de l’Inquisition, présent à l’audience, a été par nous
sommé et requis de s’adjoindre au procès ; à l’offre de lui communiquer tous
les actes, ledit vicaire a répondu ne se reconnaître de pouvoirs suffisants que
pour le diocèse de Rouen, tandis que la cause se jugeait à raison de notre
juridiction de Beauvais et sur son territoire prêté. C’est pourquoi, afin de ne
pas invalider le procès et de tranquilliser sa conscience, il avait différé de
s’adjoindre à nous jusqu’à plus ample information ou réception de pouvoirs plus
étendus de Monsieur l’inquisiteur. Ledit vicaire, toutefois, a déclaré se
prêter volontiers à ce que nous continuassions la procédure sans désemparer.
FR. J. LEMAÎTRE: Ce que vous exposez est la vérité.
J’ai approuvé et j’approuve, autant que je puis et qu’il dépend de moi, que
vous poursuiviez.
Jeanne est introduite devant l’évêque.
CAUCHON : Jeanne, nous vous requérons, sous les
peines de droit, de répéter le serment prêté hier et de jurer simplement et
absolument de répondre avec vérité.
JEANNE: J’ai juré hier. Cela doit suffire.
CAUCHON : Nous vous requérons [derechef] de jurer,
attendu que toute personne, fût-ce un prince, requise en matière de foi, ne
peut refuser le serment.
JEANNE: Je vous ai fait serment hier. Cela doit bien
vous suffire. Vous me chargez trop.
CAUCHON: Une fois encore, jurez.
Ensuite, l’illustre professeur en sacrée théologie,
maître Jean Beaupère, sur l’ordre et commandement de nous [évêque], interroge
comme il suit la prévenue:
L’INTERROGATEUR 1 : Je commence, Jeanne], par vous
exhorter à dire, comme vous l’avez juré, la vérité.
JEANNE: Vous pourriez me demander telle chose sur
laquelle je vous répondrai la vérité et, de telle autre, je ne la répondrai
pas. Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez vouloir que je fusse hors
de vos mains. Je n’ai rien fait que par révélation.
L’INTERROGATEUR: Quel âge aviez-vous en quittant la
maison paternelle?
JEANNE: Je ne sais.
L’INTERROGATEUR : Dans votre jeune âge, aviez-vous
appris quelque art ou métier?
JEANNE: Oui, à coudre et à filer. Pour coudre et
filer je ne crains femme de Rouen.
L’INTERROGATEUR: N’êtes-vous pas sortie une fois de
la maison de votre père?
JEANNE: Oui-da, par peur des Bourguignons, je partis
de la maison de mon père et m’en fus en la ville de Neuf-château, en Lorraine,
chez une femme qu’on appelait la Rousse. J’y demeurai quinze jours..
1.
« Selon l’usage et comme l’indiquent divers témoignages du procès de revision,
outre l’évêque et l’interrogateur spécial nommé par lui, les assesseurs,
particulièrement les six docteurs de l’Université de Paris, interrogeaient
Jeanne. En général, les procès-verbaux du procès de condamnation ne précisent point
par qui sont faites les questions adressées à Jeanne. Dès lors il est entendu
que, dans tout le cours des interrogatoires, cette rubrique : l’interrogateur,
pourra désigner, en même temps que l’interrogateur attitré, des interrogateurs
quelconques. » (Note de M. J. Fabre.)
L'INTERROGATEUR : Que faisiez-vous chez votre père ?
JEANNE: Chez mon père, je faisais le ménage. Je
n'allais [guère] aux champs avec les brebis et autres bêtes 1.
L'INTERROGATEUR: Vous confessiez-vous tous les ans ?
JEANNE : Oui, à mon propre curé, et quand le curé
était empêché, à un autre prêtre. Quelquefois aussi, deux ou trois fois, je
pense, je me suis confessée à des religieux mendiants. C'était à Neufchâteau.
Je communiais à la fête de Pâques.
L'INTERROGATEUR : [Communiez-vous] aux autres fêtes
?
JEANNE: Passez outre.
JEANNE: J'avais treize ans quand j'eus une voix de
Dieu pour m'aider à me bien conduire. La première fois j'eus grand'peur. Cette
voix vint sur l'heure de midi. pendant l'été, dans le jardin de mon père.
L'INTERROGATEUR: Étiez-vous à jeun ?
JEANNE: J'étais à jeun.
L'INTERROGATEUR : Aviez-vous jeûné la veille ?
JEANNE: Je n'avais pas jeûné la veille 2 ?
[L'INTERROGATEUR : De quel côté entendîtes-vous la
voix ?
JEANNE: J'ai entendu cette voix à droite, du côté de
1.
On reviendra plus loin sur cette question, que le texte donne ici d'une façon
un peu obscure.
2.
Je suis ici l'interrogatoire d'après M. J. Fabre. Le procès-verbal omet les
mots: et tunc erat jejuna qu'on trouve dans l'extrait du procès-verbal du 22
février à la suite de l'article 10 du réquisitoire. Le texte de J. Quicherat
est fautif, il omet non dans cette phrase: et ipsa Johanna non jejunaverat die
praecedenti, Vallet de Viriville, p. 36, a traduit: j'avais jeûné la veille.
Sainte-Beuve avait également adopté cette traduction.
l'église, et rarement elle est venue à moi sans être
accompagnée d'une grande clarté. Cette clarté vient du même côté que la voix,
et il y a ordinairement une grande clarté. Quand je vins en France, j'entendais
souvent la voix 1.
L'INTERROGATEUR: Comment voyiez-vous cette clarté,
puisqu'elle se produisait de côté ?
JEANNE ne répond rien et passe à autre chose. Puis
elle dit: Si j'étais dans un bois, j'entendrais bien ces voix venir.
L'INTERROGATEUR : Comment était la voix ?
JEANNE: Il me semble que c'était une bien noble
voix, et je crois qu'elle m'était envoyée de la part de Dieu. A la troisième
fois que je l'entendis, je reconnus que c'était la voix d'un ange. Elle m'a
toujours bien gardée.
L'INTERROGATEUR: Pouviez-vous la comprendre ?
JEANNE: Je l'ai toujours bien comprise.
L'INTERROGATEUR : Quel enseignement vous donnait la
voix pour le salut de votre âme ?
L'INTERROGATEUR : De quelle sorte était cette voix ?
JEANNE: Vous n'en aurez pas davantage aujourd'hui
sur cela.
L'INTERROGATEUR: La voix parlait-elle souvent ?
JEANNE: Deux ou trois fois par semaine elle
m'exhortait à partir pour la France.
L'INTERROGATEUR: Votre père savait-il votre départ?
JEANNE : Mon père ne sut rien de mon départ. La voix
me pressait toujours et je ne pouvais plus durer où j’étais.
L’INTERROGATEUR: Que vous disait la voix?
JEANNE: Elle me disait que je ferais lever le siège
d’Orléans.
L’INTERROGATEUR: Que disait-elle encore?
JEANNE.: Elle me disait d’aller trouver Robert de
Baudricourt, capitaine, et qu’il me donnerait des gens pour cheminer avec moi;
car j’étais pauvre fille, ne sachant ni chevaucher, ni mener guerre.
L’INTERROGATEUR : Continuez.
JEANNE: J’allai chez mon oncle et lui dis que je
voulais demeurer chez lui pendant quelque peu de temps, et j’y demeurai à peu
près huit jours. Pour lors je dis à mon oncle qu’il me fallait aller à
Vaucouleurs, et mon oncle m’y conduisit. Quand je fus à Vaucouleurs, je
reconnus le capitaine 1, quoique je ne l’eusse onques vu auparavant; ce fut par
le moyen de ma voix qui me dit que c’était lui. Je dis alors au capitaine qu’il
fallait que je vinsse en France. Deux fois il me repoussa et rejeta; mais la
troisième fois il me reçut et me donna des hommes, Aussi bien la voix m’avait
dit que cela serait ainsi,
L’INTERROGATEUR: Parlez-nous touchant le duc de
Lorraine.
JEANNE: Le duc de Lorraine manda qu’on me conduisît
vers lui. J’y fus et je lui dis que je voulais aller en France. Le duc
m’interrogea sur la recouvrance de sa santé. Mais moi je lui dis que de cela je
ne savais mie.
L’INTERROGATEUR: Que dites-vous au duc sur le fait
de votre voyage?
1.
L'extrait du procès-verbal porte magnam vocem audiebat au lieu de illam vocem
audiebat.
1.
Robert, sire de Baudricourt.
JEANNE: Je ne lui fis pas de grandes communications
sur le fait du voyage. Je lui demandai de me donner son fils 1 avec des gens
pour m’accompagner en France, et que je prierais Dieu pour sa santé. J’étais
allée vers le duc sans sauf-conduit. De chez lui je revins à Vaucouleurs.
L’INTERROGATEUR : En quel équipage avez-vous quitté
Vaucouleurs?
JEANNE: De Vaucouleurs je m’en fus avec un
habillement d’homme, portant une épée que m’avait donnée le capitaine, sans
autres armes. J’avais pour mon escorte un chevalier, un écuyer et quatre
serviteurs. Je gagnai Saint-Urbain où je pris gîte à l’abbaye. Sur ma route, je
rencontrai Auxerre et y entendis la messe à la cathédrale.
L’INTERROGATEUR: Entendiez-vous vos voix pendant
votre voyage?
JEANNE: J’avais alors souvent mes voix avec celle
que j’ai déjà dite.
L’INTERROGATEUR: Dites-nous par quel conseil vous
prîtes l’habit d’homme?
JEANNE : Passez outre
L’INTERROGATEUR Mais répondez donc?
JEANNE : Passez outre
L’INTERROGATEUR: Est-ce un homme qui vous le
conseilla?
JEANNE : De cela je ne charge homme quelconque 2.
1.
C’est-à-dire son beau-fils, René d’Anjou.
2.
Le texte relate ainsi cette partie de l’interrogatoire : « Item requise de
déclarer par quel conseil elle avait pris l’habit d’homme, à cela elle refusa à
plusieurs reprises de répondre. Finalement elle dit que là-dessus elle ne
donnait de charge à personne; et elle varia plusieurs fois. »
L’INTERROGATEUR : Que dit Baudricourt, le jour de
votre départ?
JEANNE : Robert de Baudricourt fit jurer à ceux qui
m’accompagnaient de bien et sûrement me conduire. A moi, il me dit : « Va », et
au moment du départ: « Va, et advienne que pourra »!
L’INTERROGATEUR: Que savez-vous du duc d’Orléans qui
est prisonnier en Angleterre?
JEANNE: Je sais que Dieu aime le duc d’Orléans. J’ai
eu plus de révélations sur son fait que touchant homme qui vive, excepté mon
seigneur le roi.
L’INTERROGATEUR: Dites maintenant pourquoi vous avez
pris un habillement d’homme?
JEANNE: Il a fallu changer mon habillement de femme
et m’habiller en homme.
L’INTERROGATEUR : Votre conseil vous l’a-t-il dit?
JEANNE: Je crois que mon conseil, en cela, m’a bien
avisée.
L’INTERROGATEUR : Que fîtes-vous à l’arrivée à
Orléans?
JEANNE: J’ai envoyé une lettre aux Anglais qui
étaient devant Orléans. Elle leur disait qu’ils partissent, comme il est porté
en la copie de ladite lettre qui m’a été lue en cette ville de Rouen. Sauf deux
ou trois mots qui sont dans la copie et pas dans la lettre. Ainsi est dit dans
la copie: « Rendez à la Pucelle »; il faut y mettre «Rendez au roi ». Il y a
aussi ces mots: « corps pour corps » et « chef de guerre », qui n’étaient pas dans
ma lettre à moi 1.
1.
Cf. J. Quicherat, Procès, t. I, p. 55, note 2. Jeanne avait dicté sa lettre, et
sans doute son secrétaire aura ajouté ces mots à son insu. La concordance des
copies citées par les hommes du parti français et par les hommes du parti anglais
témoigne que la copie lue à Jeanne n’avait pas été falsifiée.
L’INTERROGATEUR : Racontez ce qui est du fait de la
rencontre avec votre prétendu roi.
JEANNE: J’arrivai sans empêchement auprès de mon
roi. Étant au village de Sainte-Catherine de Fierbois, je commençai par envoyer
au château de Chinon, où était le roi. J’y fus’ à midi et me logeai dans une
hôtellerie. Après le dîner, j’allai vers le roi, qui était dans le château.
L’INTERROGATEUR : Qui vous montra le roi?
JEANNE : Quand j’entrai dans la Chambre du Roi, je
le reconnus entre les autres, par le conseil et révélation de ma voix, et lui
dis que je voulais aller faire la guerre aux Anglais.
L’INTERROGATEUR: Lorsque la voix vous désigna votre
roi, y avait-il quelque lumière?
JEANNE: Passez outre.
L’INTERROGATEUR : Y avait-il là quelque ange
au-dessus de votre roi?
JEANNE: Épargnez-moi; passez outre.
L’INTERROGATEUR: Répondez donc.
JEANNE: Plus d’une fois, avant que mon roi me mît en
œuvre, il eut des révélations et de belles apparitions.
L’INTERROGATEUR : Quelles révélations et apparitions
a eues votre roi?
JEANNE : Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Ce
n’est pas encore à répondre. Envoyez vers le roi, et il vous le dira.
1.
Au procès de réhabilitation, les dépositions des témoins, notamment celle de
Dunois, nous apprennent que Jeanne dut attendre deux jours avant d’être admise
devant le roi.
L’INTERROGATEUR : Comptiez-vous être reçue par le
roi?
JEANNE: La voix m’avait promis que le roi me
recevrait aussitôt après ma venue. Ceux de mon parti reconnurent bien que cette
voix m’avait été envoyée de par Dieu; ils ont vu et reconnu (la voix), je le
sais bien.
L’INTERROGATEUR: De qui parlez-vous?
JEANNE: Mon roi et plusieurs autres ont vu et
entendu les voix venant à moi; là était Charles de Bourbon avec deux ou trois
autres.
L’INTERROGATEUR : Entendez-vous souvent la voix?
JEANNE : Il n’est pas de jour que je ne l’entende,
et aussi en ai bien besoin.
L’INTERROGATEUR : Que lui demandiez-vous?
JEANNE : Je ne lui ai jamais demandé autre prix
final que le salut de mon âme.
L’INTERROGATEUR : La voix vous encourageait-elle à
suivre l’armée?
JEANNE : Ma voix m’a dit que je persistasse devant
Saint-Denys en France. J’y voulais rester. Mais, contre ma volonté, les
seigneurs m’emmenèrent. Si pourtant je n’eusse été blessée, je ne me fusse
retirée.
L’INTERROGATEUR : Où fûtes-vous blessée?
JEANNE : C’est dans les fossés de Paris, quand j’y
vins de Saint-Denys, que je fus blessée. En cinq jours je me trouvai guérie.
L’INTERROGATEUR : Qu’avez-vous entrepris contre Paris?
JEANNE : Je fis faire une démonstration* devant la
ville de Paris.
L’INTERROGATEUR: Était-ce jour de fête?
JEANNE : Je crois bien qu’oui.
L’INTERROGATEUR : Était-ce bien fait d’attaquer un
jour de fête ?
JEANNE : Passez outre.
Ceci ayant eu lieu, estimant que c’en était assez
pour ce jour, nous, évêque, avons remis l’affaire au lendemain samedi, huit
heures du matin.
24 FÉVRIER 1431.
Troisième
interrogatoire public.
Le samedi 24
février, dans la chambre du parlement au bout de la grande salle du château de
Rouen ; 62 assesseurs siègent à côté de l’évêque.
CAUCHON : Jeanne, nous vous requérons de dire
absolument et simplement la vérité, sans réserve ni condition. Cet avis a été répété trois fois.
JEANNE: Donnez-moi congé de parler.
CAUCHON: Je vous le donne.
JEANNE: Par ma foi, vous pourriez me demander telles
choses que je ne vous dirais pas, comme par exemple de ce qui touche mes
révélations. Car vous pourriez m’amener ainsi à révéler telle chose que j’ai
juré de tenir secrète. Je vous le dis: prenez bien garde à ce que vous
prétendez que vous êtes mon juge, car vous prenez une grande charge en me
chargeant moi-même.
CAUCHON : Jurez de dire la vérité.
JEANNE: Il me semble que c’est assez d’avoir juré
deux fois en jugement.
CAUCHON: Voulez-vous ou non jurer simplement et
absolument?
JEANNE : Vous pouvez bien passer par là-dessus. J’ai
déjà juré deux fois.
CAUCHON: Vous serez pour sûr condamnée.
JEANNE: Toute la clergie de Rouen et de Paris ne
saurait me condamner sans droit,
L’INTERROGATEUR: Dites toute la vérité.
JEANNE : Sur ma venue, je dirai la vérité, mais non’
pas tout; huit jours ne suffiraient pas à tout dire.
CAUCHON : Prenez avis des assistants pour savoir si
vous devez jurer, ou non.
JEANNE: Pour le fait de ma venue en France, je dirai
volontiers la vérité, mais rien autrement. Ne m’en rebattez pas davantage.
CAUCHON: En refusant de jurer de dire la vérité,
vous vous rendez suspecte.
JEANNE : Je répète ce que j’ai déjà dit.
CAUCHON: Derechef je vous requiers de jurer
précisément et absolument.
JEANNE: Je dirai volontiers ce que je sais, et
encore pas tout. Je viens de la part de Dieu et n’ai rien à faire ici. Je vous
prie que vous me renvoyiez à Dieu de qui je viens…
JEANNE: Passez outre.
CAUCHON: Une dernière fois je vous requiers de jurer
et vous avertis qu’il vous faut dire la vérité sur tout ce qui touche au
procès, car votre refus vous exposerait à un grand péril.
JEANNE : Je suis prête à jurer de dire ce que je
sais touchant le procès.
CAUCHON: Jurez donc alors.
JEANNE: Je le jure.
CAUCHON : Jeanne, maître Jean Beaupère, docteur
insigne, va vous interroger.
L’INTERROGATEUR : Jeanne, quand est-ce la dernière
fois que vous avez mangé et bu?
JEANNE: Depuis hier midi je n’ai pas mangé 1.
L’INTERROGATEUR : Depuis quand n’avez-vous entendu
la voix qui vient à vous?
JEANNE: Je l’ai entendue hier et aujourd’hui.
L’INTERROGATEUR: A quelle heure, hier, l’avez-vous
entendue? ,
JEANNE: Hier, je l’ai entendue trois fois : une fois
le matin, une fois à l’heure de vêpres et une troisième fois au coup de l’Ave
Maria du soir. Il m’arrive de l’entendre plus souvent encore.
L’INTERROGATEUR: Que faisiez-vous hier matin quand
vint la voix?
JEANNE : Je dormais et j’ai été éveillée.
L’INTERROGATEUR : Vous a-t-elle éveillée en vous
touchant les bras?
JEANNE : Elle m’a éveillée sans me toucher.
L’INTERROGATEUR : La voix était-elle dans votre
chambre?
JEANNE : Non, que je sache, mais elle était dans le
château.
L’INTERROGATEUR : L’avez-vous remerciée ? Vous
êtes-vous agenouillée?
1.
On était dans le temps de carême.
JEANNE : Je l’ai remerciée en me soulevant et
m’asseyant sur mon lit, les mains jointes. J’avais demandé son assistance.
L’INTERROGATEUR: Que vous a-t-elle dit ?
JEANNE: Elle m’a dit de répondre hardiment.
L’INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix quand vous
fûtes éveillée?
JEANNE: Je demandai conseil à la voix sur ce que je
devais répondre, lui disant de demander conseil là-dessus à Notre-Seigneur. La
voix me dit: « Réponds hardiment, Dieu t’aidera ».
L’INTERROGATEUR : La voix vous a-t-elle dit quelques
paroles avant d’être invoquée?
JEANNE : La voix m’a dit quelques paroles, mais je
n’ai pas tout compris. Ce que je sais bien, c’est qu’après mon réveil elle me
dit de répondre hardiment. [Et s’adressant à Cauchon :] Vous, évêque, vous
dites que vous êtes mon juge; prenez garde à ce que vous faites, car en vérité
je suis envoyée de la part de Dieu et vous vous mettez en grand danger.
L’INTERROGATEUR : La voix a-t-elle eu des avis
différents ?
JEANNE: Onques ne lui ai trouvé deux langages
contraires. Cette nuit, je l’ai entendue me dire de répondre hardiment.
L’INTERROGATEUR La voix vous a-t-elle défendu de
tout dire
JEANNE: Je ne vous répondrai pas là-dessus. J’ai des
révélations touchant le roi que je ne vous dirai point
L’INTERROGATEUR La voix vous a-t-elle défendu de
dire des révélations?
JEANNE Je n’ai pas été conseillée sur cela
Donnez-moi un délai de quinze jours, et je vous répondrai.
L’INTERROGATEUR: Répondez tout de suite.] .
JEANNE Je vous demande délai Si ma voix me le
défend, que voulez-vous que je dise?
L’INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle fait aucune
défense?
JEANNE: Croyez bien que ce ne sont pas les hommes.
qui me l’ont défendu.
L’INTERROGATEUR: Vous ne voulez donc pas répondre?
JEANNE: Aujourd’hui je ne répondrai pas. Je dois
attendre, pour me décider, jusqu’à ce que cela m’aura été révélé.
L’INTERROGATEUR : La voix vient-elle de Dieu?
JEANNE : Oui, et par son ordonnance. Je le crois
fermement, comme je crois la foi chrétienne et que Dieu nous a rachetés des
peines de l’enfer.
L’INTERROGATEUR: La voix que vous dites-vous
apparaître est-elle un ange, ou Dieu immédiatement, ou bien un saint ou une
sainte?
JEANNE: Cette voix vient de la part de Dieu.
L’INTERROGATEUR: Expliquez-vous.
JEANNE: Je crois que je ne vous dis pas pleinement
ce que je sais. J’ai plus grande crainte de faillir en disant quelque chose qui
déplaise à ces voix que je n’ai souci de vous répondre à vous. Quant à votre
question sur ma voix, je vous demande délai.
L’INTERROGATEUR: Croyez-vous qu’il déplaise à Dieu
qu’on dise la vérité?
JEANNE: Les voix m’ont dit de révéler certaines
choses au roi et non pas à vous. Cette nuit même, la voix m’a dit beaucoup de
choses pour le bien de mon roi que je voudrais être dès maintenant sûre de lui,
dussè-je ne pas boire de vin jusqu’à Pâques. Lui en serait plus joyeux à son
dîner 1.
L’INTERROGATEUR: Ne pouvez-vous tant faire que la
voix, vous obéissant, aille porter au roi le message?
JEANNE : Je ne sais si la voix y voudrait consentir,
sinon que ce fût le vouloir de Dieu et que Dieu le permît. Et si c’est le
plaisir de Dieu, il pourra bien le faire révéler au roi, et j’en serais bien
contente.
L’INTERROGATEUR: Pourquoi la voix ne parle-t-elle
plus maintenant au roi, ainsi qu’elle faisait quand vous étiez en sa présence?
JEANNE: Je ne sais si c’est la volonté de Dieu.
N’était la grâce de Dieu, je ne saurais aucunement agir.
L’INTERROGATEUR : Votre conseil vous a-t-il révélé
que vous vous échapperiez de prison?
JEANNE : Je ne vous ai à dire.
L’INTERROGATEUR: Cette nuit, la voix vous a-t-elle
donné conseil et avis de ce que vous devez répondre?
JEANNE: Si elle m’a avisée là-dessus, je n’ai pas
bien compris.
L’INTERROGATEUR: Les deux derniers jours que vous
avez entendu les voix, est-il venu au même lieu quelque lumière ?
JEANNE: La clarté vient au nom de la voix.
L’INTERROGATEUR : Avec les voix voyez-vous autre chose?
JEANNE : Je ne vous dirai pas tout. Je n’en ai pas
congé. Mon serment ne touche point cela. La voix est bonne et digne. Je ne suis
pas tenue de vous répondre là-dessus.
1. Charles VII
Au surplus, donnez-moi par écrit les points sur
lesquels je ne réponds pas actuellement.
L’INTERROGATEUR: La voix à laquelle vous demandez
conseil a-t-elle un visage et des yeux?
JEANNE : Vous n’aurez pas encore cela de moi. C’est
un dicton des petits enfants que l’es gens sont pendus quelquefois pour avoir
dit la vérité.
L’INTERROGATEUR : Savez-vous être en la grâce de
Dieu?
JEANNE : Si je n’y suis, Dieu m’y mette; et, si j’y
suis, Dieu m’y tienne ! Je serais la plus dolente du monde si je savais ne pas
être en la grâce de Dieu. Mais si j’étais en état de péché, je crois que la
voix ne viendrait pas à moi. Je voudrais que chacun l’entendît aussi bien que
je l’entends.
L’INTERROGATEUR : Quand l’avez-vous d’abord
entendue?
JEANNE : Je tiens que j’avais treize ans ou à peu
près quand la voix vint à moi pour la première fois.
L’INTERROGATEUR : Dans votre jeunesse, alliez-vous
vous ébattre aux champs avec les autres filles?
JEANNE: J’y suis bien allée quelquefois, mais je ne
sais à quel âge.
L’INTERROGATEUR : Ceux de Domrémy tenaient-ils pour
le parti bourguignon ou pour le parti adverse?
JEANNE : Je n’y ai connu qu’un seul Bourguignon.
J’aurais voulu qu’il eût la tête coupée, toutefois si c’eût été le plaisir de
Dieu.
L’INTERROGATEUR : Au village de Maxey étaient-ils Bourguignons ou adversaires des
Bourguignons?
JEANNE : Ils étaient Bourguignons.
L’INTERROGATEUR: La voix vous avait-elle dit, quand
vous étiez jeune, de haïr les Bourguignons?
JEANNE: Depuis que j’eus compris que les voix
étaient pour le roi de France, je n’aimai pas les Bourguignons. Les
Bourguignons auront la guerre s’ils ne font ce qu’ils doivent, je le sais par
ma voix.
L’INTERROGATEUR: Dans votre jeunesse, avez-vous eu
révélation par votre voix que les Anglais viendraient en France?
JEANNE : Les Anglais étaient déjà en France quand
les voix commencèrent à me visiter.
L’INTERROGATEUR: Fûtes-vous jamais avec les petits
enfants qui se battaient pour le parti dont vous êtes?
JEANNE: Je n’en ai pas souvenance. Mais j’ai bien vu
plusieurs de Domrémy qui se battaient avec ceux de Maxey revenir tout blessés
et sanglants.
L’INTERROGATEUR: Avez-vous eu, dans votre jeunesse,
grande intention de combattre les Bourguignons ?
JEANNE : J’avais grande volonté et affection que mon
roi recouvrât son royaume.
L’INTERROGATEUR: Auriez-vous ‘bien voulu être homme,
quand vous deviez venir en France?
JEANNE : J’ai répondu déjà à cela.
INTERROGATEUR : Ne conduisiez-vous pas les animaux
aux champs?
JEANNE : J’ai répondu déjà à cela. Depuis que je fus
un peu grande et que j’eus l’âge de discrétion, je ne gardais pas les bêtes
communément, mais j’aidais bien à les mener au pré, ainsi qu’à un château nommé
l’Ile, par crainte des hommes d’armes. Dans mon tout jeune âge, je ne me
rappelle pas si je les gardais ou non.
L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas de souvenir au
sujet d’un certain arbre qui existait près de votre village?
JEANNE : Près de Domrémy il y avait un arbre appelé
l’arbre des Dames ; d’autres l’appelaient l’arbre des Fées. Auprès est une
fontaine. J’ai ouï dire que les fiévreux boivent de cette fontaine et y vont
quérir de l’eau pour se remettre en santé. Je l’ai vu moi-même, mais je ne sais
s’ils guérissent ou non.
L’INTERROGATEUR: Ne savez-vous rien autre ?
JEANNE : J’ai oui dire que les malades une fois
relevés, vont à cet arbre pour se divertir. Il y a un grand arbre appelé le Fou,
d’où vient le beau mai. Il appartenait, d’après le commun dire, à monseigneur
Pierre de Bourlemont, chevalier.
L’INTERROGATEUR: Alliez-vous souvent à cet arbre,?
JEANNE : J’allais parfois avec d’autres filles
m’ébattre au pied de l’arbre et j’y faisais des guirlandes pour l’image de la
Notre-Dame de Domrémy. Souventes fois j’ai ouï dire par des anciens, — non ceux
de mon lignage —que les dames fées le hantaient. J’ai même ouï dire à une de
mes marraines, nommée Jeanne, femme du maire Rubery, qu’elle-même avait vu là
des fées. J’ignore si c’était vrai ou non. Je n’ai, moi, jamais vu les fées
près de cet arbre, que je sache. Si j’en ai vu ailleurs, je ne sais s je les ai
vues ou non.
L’INTERROGATEUR: Ne mettiez-vous pas des guirlandes
à cet arbre?
JEANNE: J’ai vu des filles mettre des guirlandes aux
branches de cet arbre ; moi-même j’y en ai mis avec les autres. Tantôt nous les
emportions, tantôt nous les laissions.
L’INTERROGATEUR: Vous mêliez-vous aux divertissements
de vos compagnes?
JEANNE: A partir du moment où je sus que je devais
venir en France, je m’en retirai et donnai aux jeux et promenades le moins que
je pus. Je ne sais même si, depuis l’âge de raison, j’ai dansé au pied de
l’arbre. J’ai bien puy danser avec les autres enfants, mais j’y ai plus chanté
que dansé.
L’INTERROGATEUR: N’y a-t-il pas aussi un bois près
de Domrémy?
JEANNE: Il y a là un bois qu’on nomme le Bois-Chênu,
qu’on voit de la porte demonpère. Il en est à moins d’une demi-lieue.
L’INTERROGATEUR: Ce bois est-il hanté par les fées?
JEANNE : Je ne sais et n’ai pas oui dire qu’il fût
hanté par les fées. Mais j’ai ouï conter par mon frère qu’on disait dans le
pays: « Jeannette a pris son fait près de l’arbre des Fées » Il n’en est rien
et je le lui ai dit.
L’INTERROGATEUR: Ne vous a-t-on pas regardée comme
l’envoyée du Bois-Chênu?
JEANNE: Quand je vins vers mon roi, quelques-uns me
demandaient si, dans mon pays, il y avait quelque arbre qui s’appelait
Bois-Chênu, parce qu’il y avait des prophéties disant que des environs de ce
bois devait venir une pucelle qui ferait des merveilles Mais à cela je
n’ajoutai pas foi.
L’INTERROGATEUR: Jeanne, voulez-vous avoir un habit
de femme?
JEANNE: Donnez-m’en un, je le prendrai et partirai.
Autrement, non. Je suis contente de celui-ci, puisqu’il plaît à Dieu que je le
porte.
La
séance est levée et renvoyée au mardi de la semaine suivante.
1.12.
ONZIÈME SÉANCE DU PROCÈS
27 FÉVRIER 1431.
Quatrième
interrogatoire public.
Mardi 27 février, dans la chambre du parement
au bout de la grand’salle du château de Rouen.
53
assesseurs siègent autour de Cauchon.
JEANNE: Volontiers je jurerai de dire la vérité sur
le fait du procès, mais non sur ce que je sais.
CAUCHON: Nous vous requérons de jurer de dire la
vérité sur tout ce qui vous sera demandé.
JEANNE: Vous devez vous contenter. J’ai assez juré.
CAUCHON: Maître Jean Beaupère, interrogez-la.
L’INTERROGATEUR: Comment vous êtes-vous portée
depuis samedi dernier?
JEANNE: Vous voyez bien comment je me suis portée.
Je me suis portée le mieux que j’ai pu.
L’INTERROGATEUR : Jeûnez-vous chaque jour de ce
carême?
JEANNE: Est-ce de votre procès?
L’INTERROGATEUR: Oui.
JEANNE: Oui vraiment. Eh bien, j’ai jeûné tous les
jours de ce carême.
L’INTERROGATEUR: Depuis samedi avez-vous entendu la
voix?
JEANNE: Oui vraiment et plusieurs fois.
L’INTERROGATEUR: Samedi, à l’audience, avez-vous entendu
la voix?
JEANNE: Ceci n’est pas de votre procès.
L’INTERROGATEUR: C’est du procès. Répondez donc.
JEANNE: Je l’ai entendue.
L’INTERROGATEUR: Que vous a-t-elle dit, ce samedi ?
JEANNE: Je ne l’entendais pas bien, ni rien que je
pusse vous redire, jusqu’à mon retour dans ma chambre.
L’INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix à votre
retour?
JEANNE: Elle m’a dit de vous répondre hardiment.
L’INTERROGATEUR: A quel propos vous l’a-t-elle dit?
JEANNE: Je demande conseil à ma voix sur les
questions que vous me faites.
L’INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle dit de cacher
quelque chose?
JEANNE: Je répondrai volontiers sur ce que Dieu me
permettra de révéler. Quant à ce qui touche les révélations concernant le roi
de France, je ne les dirai pas sans congé de ma voix.
L’INTERROGATEUR: La voix vous a-t-elle défendu de
tout dire?
JEANNE: Je ne l’ai pas bien comprise.
L’INTERROGATEUR: Que vous a dit la voix en dernier
lieu?
JEANNE : Je lui ai demandé conseil relativement à
quelques points sur lesquels j’avais été interrogée.
L’INTERROGATEUR : La voix vous a-t-elle conseillé
sur ces points?
JEANNE : Sur quelques points j’ai eu conseil. Sur
d’autres vous aurez beau me demander réponse, je n’en ferai pas sans congé de
ma voix. Si je répondais sans congé, peut-être n’aurais-je plus mes voix en
garant. Mais quand j’aurai congé de Dieu, je ne craindrai pas de parler, vu que
j’aurai bon garant.
L’INTERROGATEUR Est-ce la voix d’un ange qui vous
parlait? ou bien celle d’un saint ou d’une sainte, ou la voix de Dieu
directement?
JEANNE: C’est la voix de sainte Catherine et de
sainte Marguerite. Là-dessus, j’ai congé de Notre-Seigneur. Que si vous en
doutez, envoyez à Poitiers où j’ai autrefois été interrogée.
L’INTERROGATEUR: Comment savez-vous que ce sont ces
deux saintes? Les distinguez-vous bien l’une de l’autre?
JEANNE: Je sais bien que ce sont elles. Je les
distingue bien l’une de l’autre.
L’INTERROGATEUR : Comment cela?
JEANNE : Par le salut qu’elles me font.
L’INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps qu’elles
communiquent avec vous?
JEANNE : Il y a bien sept ans passés qu’elles m’ont
prise sous leur garde.
L’INTERROGATEUR : A quoi les reconnaissez-vous?
JEANNE: Elles se nomment à moi.
L’INTERROGATEUR : Ces saintes sont-elles vêtues de
même étoffe?
JEANNE: Je ne vous en dirai pas davantage à cette
heure. Je n’ai pas congé de le révéler. Si vous ne me croyez, allez à Poitiers.
L’INTERROGATEUR : Ne nous cachez rien.
JEANNE: Ces choses sont au roi de France, non à vous.
L’INTERROGATEUR: Ces saintes sont-elles du même âge?
JEANNE: Je n’ai pas congé de vous le dire.
L’INTERROGATEUR: Ces saintes parlent-elles à la fois
ou l’une après l’autre?
JEANNE: Je n’ai point congé de vous le dire.
Cependant j’ai toujours eu conseil de toutes les deux.
L’INTERROGATEUR: Laquelle des deux vous est apparue
la première?
JEANNE: Je ne les ai point connues tout de suite. Je
l’ai bien su jadis, mais je l’ai oublié. Si j’en ai congé, je vous le dirai
volontiers. C’est d’ailleurs marqué au registre de Poitiers.
L’INTERROGATEUR: N’y a-t-il que les saintes qui vous
aient apparu?
JEANNE: J’ai reçu aussi confort de saint Michel.
L’INTERROGATEUR: Laquelle des apparitions vous est
venue la première?
JEANNE: C’est saint Michel.
L’INTERROGATEUR : Y a-t-il longtemps que vous avez
eu la voix de saint Miche!?
JEANNE: Je ne vous nomme pas la voix de saint
Michel; mais je vous parle du grand confort venu de lui.
L’INTERROGATEUR: Quelle fut la première voix qui
vint à vous quand vous aviez treize ans ou environ?
JEANNE: Ce fut saint Michel. Je le vis devant mes
yeux et il n’était pas seul, mais bien accompagné d’anges du ciel.
L’INTERROGATEUR: Est-ce de vous-même que vous vîntes
en France?
JEANNE: Je ne vins en France que par l’ordre de
Dieu.
L’INTERROGATEUR: Vîtes-vous saint Michel et les
anges en corps et en réalité?
JEANNE: Je les vis des yeux de mon corps aussi bien
que je vous vois. Quand ils s’en furent, je pleurai, et j’aurais bien voulu
qu’ils m’emportassent avec eux.
L’INTERROGATEUR: En quelle figure était saint
Miche!?
JEANNE: Il n’y a pas de réponse là-dessus ; je n’ai
pas encore congé de vous le dire.
L’INTERROGATEUR: Que vous dit saint Michel cette
première fois?
JEANNE: Vous n’en aurez pas réponse aujourd’hui.
L’INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles dit ce que
dit saint Michel ?
JEANNE : Elles m’ont dit de répondre hardiment.
L’INTERROGATEUR: Pourquoi dire à votre roi ce que
vous nous cachez?
JEANNE: J’ai bien dit à mon roi en une fois tout ce
qui m’avait été révélé, parce que j’allais à lui. Mais, maintenant, je n’ai pas
congé de vous révéler ce que saint Michel m’a dit. Je voudrais bien que vous
qui m’interrogez, vous eussiez copie du livre qui est à Poitiers, pourvu qu’il
plût à Dieu.
L’INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles défendu de
dire vos révélations sans congé d’elles?
JEANNE: Je ne vous réponds pas encore là-dessus. Sur
ce dont j’aurai congé je répondrai volontiers. Je n’ai pas bien compris si mes
voix me l’avaient défendu.
L’INTERROGATEUR: Quel signe donnez-vous que vous
teniez cette révélation de la part de Dieu et que ce soient bien sainte
Catherine et sainte Marguerite qui conversent avec vous?
JEANNE: Je vous ai assez dit que ce sont elles.
Croyez m’en si vous voulez.
L’INTERROGATEUR: Vous est-il défendu de le dire?
JEANNE: Je n’ai pas bien compris si cela m’est
permis ou non.
L’INTERROGATEUR: Comment savez-vous faire la
distinction que sur tels points vous devez répondre et sur d’autres non?
JEANNE: Sur quelques points j’ai demandé congé, sur
d’autres je l’ai.
L’INTERROGATEUR: Aviez-vous congé de Dieu pour venir
en France?
JEANNE: J’aurais mieux aimée être tirée à quatre
chevaux que de venir en France sans congé de Dieu.
L’INTERROGATEUR: Dieu vous a-t-il prescrit de
prendre l’habit d’homme?
JEANNE: Le fait de l’habit est peu de chose et des
moindres. Je n’ai pris cet habit par le conseil d’aucun homme qui soit au
monde. Je n’ai pris cet habit ni fait quoi que ce soit, que du commandement de
Dieu et des anges..
L’INTERROGATEUR : Ce commandement à vous fait de
prendre l’habit d’homme est-il licite?
JEANNE: Tout ce que j’ai fait, c’est par
commandement de Notre-Seigneur. S’il me commandait d’en prendre un autre, je le
prendrais, puisque ce serait par le commandement de Dieu.
L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas pris ce vêtement
par l’ordre de Robert de Baudricourt?
JEANNE: Non.
L’INTERROGATEUR : Pensez-vous avoir bien fait de
prendre l’habit d’homme?
JEANNE : Tout ce que j’ai fait par le commandement
de Notre-Seigneur, je cuide l’avoir bien fait et j’en attends bon garant et
bonne aide.
L’INTERROGATEUR: Dans ce cas particulier, en prenant
l’habit d’homme, pensez-vous avoir bien fait?
JEANNE: Je n’ai rien fait au monde que par le
commandement de Dieu,
L’INTERROGATEUR: Quand vous vîtes la voix qui venait
à vous, y avait-il de la lumière?
JEANNE: Il y avait beaucoup de lumière de toutes
parts, ainsi qu’il convient. Elle ne vient pas toute à vous,
L’INTERROGATEUR: Y avait-il un ange sur la tête de
votre roi, quand vous le vîtes pour la première fois?
JEANNE: Par Notre-Dame, s’il y était, je n’en sais
rien, je ne l’ai pas vu.
L’INTERROGATEUR: Y avait-il de la lumière?
JEANNE: Il y avait plus de trois cents hommes
d’armes et cinquante flambeaux ou torches, sans compter la lumière spirituelle.
Rarement j’ai révélations qu’il n’y ait de la lumière.
L’INTERROGATEUR: Comment votre roi a-t-il cru vos
dires?
JEANNE: Il avait bonnes enseignes et par son clergé.
L’INTERROGATEUR: Quelles révélations eut votre roi?
JEANNE: Vous ne les aurez pas de moi encore de cette
année. Pendant trois semaines j’ai été interrogée par les clercs à Chinon et à
Poitiers. Mon roi eut un signe touchant mes faits avant d’y avoir créance. Les
clercs de mon parti furent d’avis que dans mon fait il n’y avait rien que de
bon.
L’INTERROGATEUR: Avez-vous été à
Sainte-Catherine-de-Fierbois?
JEANNE: Oui, j’y ai ouï trois messes en un jour.
Ensuite j’allai à Chinon.
L’INTERROGATEUR : En quelle manière êtes-vous entrée
en communication avec le roi ?
JEANNE: (Etant encore à
Sainte-Catherine-de-Fierbois), j’envoyai lettres au roi pour savoir si
j’entrerais dans la ville où il était. Je lui dis que j’avais fait cent
cinquante lieues pour venir vers lui. Il me semble même qu’il y avait dans ces
lettres que je saurais le reconnaître entre tous les autres.
L’INTERROGATEUR: Aviez-vous une épée?
JEANNE: J’avais une épée que j’avais prise à
Vaucouleurs.
L’INTERROGATEUR: N’aviez-vous pas une autre épée ?
JEANNE: Etant à Tours ou à Chinon, j’envoyai quérir
une épée qui était dans l’église de Sainte-Catherine-de-Fierbois, derrière
l’autel. Cette épée fut trouvée sur-le-champ, toute rouillée.
L’INTERROGATEUR: Comment saviez-vous que cette épée
était là?
JEANNE: Je le sus par mes voix. Il y avait
par-dessus cinq croix. Onques n’avais vu l’homme qui l’alla quérir. J’écrivis
aux gens d’Eglise du lieu d’avoir pour agréable que j’eusse cette épée, et les
clercs me l’envoyèrent. Elle était sous terre, pas fort avant, et derrière
l’autel comme il me semble. Au fait, je ne sais pas au juste si elle était
devant l’autel ou derrière. Je cuide avoir écrit qu’elle était derrière.
Aussitôt qu’ils eurent trouvé cette arme, les clercs du lieu la frottèrent. La
rouille tomba aussitôt sans efforts. Ce fut un marchand d’armes de Tours qui
l’alla quérir. Les clercs du lieu me donnèrent un fourreau ; ceux de Tours
également. Les deux fourreaux qu’ils me firent étaient de velours vermeil et
l’autre de drap noir. J’en fis faire encore un autre de cuir bien fort.
L’INTERROGATEUR : Aviez-vous l’épée de Fierbojs
quand vous fûtes prise?
JEANNE: Quand je fus prise, je ne l’avais point. Je
la portai constamment depuis que je l’eus jusqu’à mon départ de Saint-Denis,
après l’assaut de Paris.
L’INTERROGATEUR : Quelle bénédiction fîtes-vous ou fîtes-vous
faire sur cette épée?
JEANNE: Je ne l’ai point bénite ni fait bénir. Je ne
l’eusse su faire.
L’INTERROGATEUR : Vous teniez beaucoup à cette épée?
JEANNE : Je l’aimais bien parce qu’elle avait été
trouvée dans l’église de Sainte-Catherine que j’aimais bien.
L’INTERROGATEUR : Avez-vous été à
Coulonge-la-Vineuse?
JEANNE: Je ne sais.
L’INTERROGATEUR: Avez-vous posé quelquefois votre
épée sur l’autel pour la rendre plus fortunée?
JEANNE : Non, que je sache.
L’INTERROGATEUR: N’avez-vous jamais fait des prières
pour que votre épée fût plus fortunée?
JEANNE: Il est bon à savoir que j’aurais voulu voir
tout mon harnais bien fortuné.
L’INTERROGATEUR: Aviez-vous votre épée quand vous
fûtes prise?
JEANNE : Non, j’en avais une qui avait été prise sur
un Bourguignon.
L’INTERROGATEUR : Où est restée l’épée de Fierbois?
dans quel village?
JEANNE : A Saint-Denis, j’ai offert une épée et des
armes, mais ce n’était pas celle-là.
L’INTERROGATEUR: Aviez-vous cette épée à Lagny?
JEANNE : Je l’avais à Lagny. De Lagny à Compiègne je
portai l’épée du Bourguignon que j’ai dit. C’était une bonne épée de guerre,
bonne à donner de bonnes buffes et de bons torchons.
L’INTERROGATEUR: Où avez-vous laissé l’épée de
Fier-bois ?
JEANNE : Dire où je la laissai ne touche point le
procès et ne répondrai pas là-dessus quant à maintenant.
L’INTERROGATEUR: En quelles mains est votre avoir ?
JEANNE : Mes frères ont mes biens, chevaux, épée et
le reste, ainsi le crois, montant à plus de douze mille écus.
L’INTERROGATEUR: Quand vous allâtes à Orléans,
aviez-vous un étendard ou bannière, et de quelle couleur?
JEANNE : J’avais une bannière dont le champ était
semé de lis. Il y avait la figure du monde et deux anges à ses côtés. Elle
était de toile blanche, de celle qu’on appelle boucassin. Il y avait écrit
dessus : Jhesus Maria, comme il me semble, et elle était frangée de soie.
L’INTERROGATEUR: Ces noms Jhesus Maria étaient-ils
écrits en haut, en bas ou sur le côté?
JEANNE : Sur le côté, comme il me semble.
L’INTERROGATEUR: Qu’aimiez-vous mieux, votre
bannière ou votre épée?
JEANNE : J’aimais quarante fois mieux ma bannière
que mon épée.
L’INTERROGATEUR: Qui vous fit faire cette peinture
sur la bannière?
JEANNE : Je vous ai assez dit que je n’ai rien fait
que du commandement de Dieu.
L’INTERROGATEUR: Qui portait votre bannière?
JEANNE: C’est moi-même qui portais ladite bannière
quand je chargeais les ennemis, pour éviter de tuer personne. Je n’ai jamais
tué un homme.
L’INTERROGATEUR : Quelle compagnie vous donna votre
roi quand il vous mit en oeuvre?
JEANNE: Il me donna dix ou douze mille
hommes.D’abord j’allai à Orléans, à la bastille de Saint-Loup, et puis à la
bastille du Pont.
L’INTERROGATEUR : A quelle bastille fut-ce que vous
fîtes retirer vos hommes?
JEANNE : Je ne m’en souviens pas.
L’INTERROGATEUR : Vous attendiez-vous à la levée du siège
d’Orléans?
JEANNE: J’étais bien sûre de [faire] lever le siège
d’Orléans, par une révélation que j’avais eue, et je l’avais dit à mon roi
avant d’y venir.
L’INTERROGATEUR Au moment de l’assaut, ne dîtes-vous
pas à vos gens que vous recevriez seule les flèches, viretons, pierres lancées
par les canons et machines?
JEANNE : Non ; en preuve il y eut plus de cent
blessés; mais je dis bien à mes gens : N’ayez doute, vous lèverez le siège.
L’INTERROGATEUR: Fûtes-vous blessée?
JEANNE: A l’assaut de la bastille du Pont, je fus
blessée d’une flèche ou vireton au cou. Mais j’eus grand confort de sainte
Catherine et fus guérie en quinze jours. D’ailleurs pour cela je ne laissai de
chevaucher et besogner.
L’INTERROGATEUR: Saviez-vous que vous seriez
blessée?
JEANNE: Je le savais bien et l’avais dit à mon roi ;
mais que, nonobstant ce, il me laissât agir. Cela m’avait été révélé par les
voix des deux saintes, savoir sainte Catherine et sainte Marguerite.
L’INTERROGATEUR Dans quel moment fûtes-vous blessée?
JEANNE: C’est moi qui la première hissai une échelle
à la bastille du Pont; c’est en levant l’échelle que je fus touchée au cou par
ce vireton.
L’INTERROGATEUR : Pourquoi n’admîtes-vous point à
traiter le capitaine de Gergeau?
JEANNE : Les seigneurs de mon parti répondirent aux
Anglais qu’ils n’auraient pas le délai de quinze jours demandé par eux, mais
qu’ils se retirassent sur l’heure, eux et leurs chevaux.
L’INTERROGATEUR: Et vous, que dîtes-vous?
JEANNE: Moi, je dis qu’ils se retireraient de
Gergeau avec leurs petites cottes, la vie sauve, s’ils voulaient, sinon ils
seraient pris d’assaut.
L’INTERROGATEUR: Communiquâtes-vous alors avec votre
voix sur ce délai?
JEANNE: Il ne m’en souvient pas.
La séance est levée et remise au jeudi suivant.
1.13. DOUZIÈME SÉANCE DU PROCÈS
JEUDI 1er MARS
Cinquième interrogatoire public.
Séance au même lieu; 58 assesseurs.
CAUCHON : Jeanne, nous vous sommons et requérons de prêter simplement et absolument le serment de dire la vérité sur ce qui vous sera demandé.
JEANNE : Je suis prête à jurer de dire la vérité sur
tout ce que je saurai touchant le procès, ainsi que je vous l’ai dit
antérieurement.
CAUCHON : Pourquoi cette réserve?
JEANNE: Je sais beaucoup de choses qui ne touchent
pas le procès, et il n’est pas besoin de vousles dire.
CAUCHON: Allez-y sans cette réserve.
JEANNE: De tout ce que je saurai véritablement et
qui touche le procès, je vous en parlerai volontiers.
CAUCHON: Nous vous sommons et requérons de jurer
sans cette réserve.
JEANNE: Ce que je saurai de vrai touchant le procès,
je le dirai.
CAUCHON : Jurez sur l’Évangile.
JEANNE : De ce que je sais touchant ce procès, je
vous dirai volontiers la vérité. Je vous en dirai autant que si j’étais devant
le pape de Rome.
L’INTERROGATEUR Que dites-vous touchant notre
seigneur le pape et qui croyez-vous vrai pape?
JEANNE: Il y en a donc deux?
L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas reçu une lettre du
comte d’Armagnac vous demandant auquel des trois papes il devait obéir?
JEANNE: Le comte m’a bien écrit à ce sujet. Je
répondis entre autres choses que quand je serais à Paris ou ailleurs, en repos,
je lui écrirais. Je me disposais à monter à cheval quand je répondis ainsi au
comte.
L’INTERROGATEUR : Voici une copie de la lettre du
comte et de votre réponse. On va vous lire l’une et l’autre.
L’INTERROGATEUR : La copie qui vient de vous être
lue renferme-t-elle bien votre réponse?
JEANNE : Je puis avoir fait cette réponse en partie,
non le tout.
L’INTERROGATEUR : Avez-vous déclaré savoir par le
conseil du Roi des rois ce que ledit comte devait faire en cette circonstance?
JEANNE : Je n’en sais rien.
L’INTERROGATEUR : Faisiez-vous doute à qui le comte
devait obéir ?
JEANNE : Je ne savais que mander au comte, parce
qu’il me requérait de lui faire savoir à qui Dieu voulait qu’il obéît. Quant à
moi, je tiens et crois que nous devons obéir à notre seigneur le pape qui est à
Rome.
L’INTERROGATEUR: Est-ce là tout?
JEANNE : Je dis au messager du comte autre chose pie
ce qui est contenu dans cette copie des lettres. Si cet envoyé ne se fût pas
retiré aussitôt, il eût été jeté à l’eau, non toutefois par ma volonté.
L’INTERROGATEUR : Sur le fond de la question, que
répondîtes-vous?
JEANNE: Sur la question d’obédience, je répondis que
je ne savais pas ; mais je lui mandai plusieurs choses qui ne furent point
couchées par écrit. Pour moi, je crois au seigneur pape qui est à Rome.
L’INTERROGATEUR: Pourquoi avez-vous écrit que vous donneriez
à un autre moment réponse sur la question, puisque vous croyez au pape qui est
à Rome?
JEANNE : Ma réponse avait trait à autre chose qu’au
fait des trois souverains pontifes.
L’INTERROGATEUR : N’avez-vous pas dit que sur le
fait des trois pontifes vous auriez conseil?
JEANNE: En nom Dieu, je n'ai jamais écrit Dirait
écrire sur le fait des trois pontifes.
L’INTERROGATEUR: Aviez-vous l’habitude de mettre en
tête de vos lettres Jhesus Maria avec une croix ?
JEANNE: Sur aucune oui, sur d'autres non. Quelque-
fois je mettais une croix afin que mon correspondant ne fît pas ce que je lui
mandais .
L'INTERROGATEUR: Voici maintenant en quels termes
vous avez écrit au roi notre sire, au duc de Bedfort et à d'autres. Nous avons
donné cette lettre dans la déposition de l'écuyer Gobert Thibault.
L'INTERROGATEUR : Reconnaissez-vous cette lettre ?
JEANNE: Oui, sauf trois mots. Au lieu de: rendez à
la Pucelle, il faut: rendez au roi. Les mots chef de guerre et corps pour corps
n'étaient pas dans la lettre que j'ai envoyée.
L'INTERROGATEUR: N'est-ce pas un seigneur qui vous a
dicté cette lettre?
JEANNE: Aucun seigneur ne m'a oncques dicté cette
lettre, c'est moi qui l'ai dictée. Avant de l'expédier, il est vrai que je l'ai
montrée à quelques-uns de mon parti.
L'INTERROGATEUR : Croyez-vous qu'il arrivera mal aux
Anglais ?
JEANNE: Avant qu'il soit sept ans les Anglais
perdront un plus grand gage qu'ils ne firent devant Orléans. Ils perdront toute
la France, et cela par la victoire que Dieu enverra aux Français.
L'INTERROGATEUR : Comment savez-vous cela ?
JEANNE: Je le sais bien par révélation; cela
arrivera avant sept ans, et je serais bien navrée que cela fût seulement
différé.
L'INTERROGATEUR : Vous ne pouvez savoir telle chose.
JEANNE: Je le sais par révélation, aussi sûrement
que je vous sais là devant moi.
L'INTERROGATEUR : Quand cela arrivera-t-il ?
JEANNE: Je ne sais le jour, ni l'heure.
L'INTERROGATEUR : En quelle année ?
JEANNE: Vous ne l'aurez pas encore; mais je voudrais
bien que ce fût avant la Saint-Jean.
L'INTERROGATEUR .: N'avez-vous pas dit que cela
arrivera avant la Saint-Martin d'hiver ?
JEANNE: J'ai dit qu'avant la Saint-Martin d'hiver,
on verrait bien des choses; et il pourra bien se faire qu'on voie les Anglais
jetés bas.
L'INTERROGATEUR: Qu'avez-vous dit à John Grey, votre
gardien, au sujet de la Saint-Martin ?
JEANNE: Je vous l'ai dit.
L'INTERROGATEUR : Par qui savez-vous que cela doit
arriver ?
JEANNE: Par sainte Catherine et sainte Marguerite.
L'INTERROGATEUR: Saint Gabriel était-il avec saint
Michel quand il vint à vous ?
JEANNE: Je ne m'en souviens pas.
L'INTERROGATEUR: Depuis mardi dernier avez-vous
conversé avec sainte Catherine et sainte Marguerite ?
JEANNE: Oui, mais je ne sais l'heure.
L'INTERROGATEUR: Quel jour?
JEANNE: Hier et aujourd'hui. Il n'y a pas de jours
que je ne les entende.
L'INTERROGATEUR : Les voyez-vous toujours dans le
même vêtement ? .
JEANNE: Je les vois toujours sous la même forme; et
leurs têtes sont couronnées très. richement.
L'INTERROGATEUR : Et le reste de leurs costumes ?
Leurs robes?
JEANNE: Je ne sais.
L'INTERROGATEUR: Comment savez-vous que ce qui vous
apparaît est homme ou femme ?
JEANNE: Je le sais bien. Je le reconnais à leurs
voix et parce qu'elles me l'ont révélé. Je ne sais rien que par révélation et
par ordre de Dieu .
L'INTERROGATEUR : Quelle figure voyez-vous ?
JEANNE: La face.
L’INTERROGATEUR : Ont-elles d'es cheveux ?
JEANNE: Il est bon à savoir qu'elles en ont.
L'INTERROGATEUR : y a-t-il quelque chose entre leurs
couronnes et leurs cheveux ?
JEANNE: Non.
L'INTERROGATEUR: Leurs cheveux sont-ils longs et
pendants?
JEANNE: Je ne sais.
L'INTERROGATEUR: Ont-elles des bras ?
JEANNE: Je ne sais si elles ont des bras ou d'autres
membres.
L'INTERROGATEUR: Vous parlent-elles ?
JEANNE: Leur langage est bon et beau, je les entends
très bien.
L'INTERROGATEUR: Comment parlent-elles, puisqu'elles
n'ont pas de membres ?
JEANNE: Je m'en réfère à Dieu.
L'INTERROGATEUR : Quelle espèce de voix est-ce ?
JEANNE: Cette voix est belle et douce et humble, et
elle parle français.
L'INTERROGATEUR : Sainte Marguerite ne parle donc
pas anglais ?
JEANNE: Comment parlerait-elle anglais, puisqu'elle
n'est pas du parti des Anglais ?
L'INTERROGATEUR: Sur leurs têtes couronnées, comme
vous l'avez dit, vos saintes ont-elles des anneaux aux oreilles ?
JEANNE: Je n'en sais rien.
L'INTERROGATEUR: Avez-vous vous-même des anneaux ?
JEANNE (s'adressant à Cauchon) : Vous, évêque, vous
en avez un à moi, rendez-le-moi.
L'INTERROGATEUR: N'aviez-vous pas d'autre anneau ?
JEANNE: Les Bourguignons m'en ont un autre. Mais
vous, évêque, montrez-moi le susdit anneau, si vous l'avez.
L’INTERROGATEUR: Qui vous a donné l'anneau qu'ont
les Bourguignons ?
JEANNE: Mon père ou ma mère.
L'INTERROGATEUR : y avait-il aucun nom dessus ?
JEANNE: Il me semble que les noms Jhesus Maria y
étaient écrits. Je ne sais qui les y fit écrire. Je crois qu'il n'y avait pas
de pierre à cet anneau qui me fut donné à Domrémy.
L'INTERROGATEUR: Qui vous a donné l'autre anneau ?
JEANNE: Mon frère me Pa donné. Vous l'avez
présentement. Je vous charge, évêque, de le donner à l'Eglise.
L'INTERROGATEUR: avez-vous gueri personne avec l'un
ou l'autre de vos anneaux ?
JEANNE: Oncques je n'ai fait de guérison avec aucun
de mes anneaux,
L'INTERROGATEUR : Sainte Catherine et sainte
Marguerite n'ont-elles pas conversé avec vous sous l'arbre dont il a déjà été
fait mention ?
JEANNE: Je n'en sais rien.
L’INTERROGATEUR : Les saintes vous ont-elles parlé à
la fontaine proche de l’arbre?
JEANNE: Oui, je les y ai entendues; mais je ne me
rappelle pas ce qu’elles m’y ont dit.
L’INTERROGATEUR : Que vous ont-elles promis là ou
ailleurs ?
JEANNE: Elles ne m’ont fait aucune promesse, sinon
par congé de Dieu.
L’INTERROGATEUR : Quelles promesses vous ont-elles
faites?
JEANNE: Cela n’est pas de votre procès. Sur certaines
choses elles m’ont dit que mon roi sera rétabli dans son royaume, le veuillent
ou non ses adversaires.
L’INTERROGATEUR: Ne vous ont-elles pas fait d’autre
promesse?
JEANNE: Elles m’ont promis de me conduire en paradis
et je les en ai bien requises.
L’INTERROGATEUR: N’avez-vous pas d’autre promesse?
JEANNE: Oui, une autre, mais je nela dirai pas. Elle
ne touche pas au procès.
L’INTERROGATEUR: Dites-la tout de même.
JEANNE: Avant trois moisie vous la dirai.
L’INTERROGATEUR : Vos voix vous ont-elles dit qu’avant
trois mois vous seriez délivrée de prison?
JEANNE: Cela n’est pas de votre procès. Cependant
j’ignore quand je serai délivrée. Ceux qui voudraient m’ôter de ce monde
pourraient bien s’en aller devant moi.
L’INTERROGATEUR : Votre conseil vous a-t-il dit que
vous seriez délivrée de la prison où vous êtes présentement?
JEANNE : Reparlez-m’en dans trois mois, je vous
répondrai.
L’INTERROGATEUR: Répondez donc tout de suite.
JEANNE: Demandez aux assistants, sous leur serment,
si cela touche au procès. Là-dessus délibération des assistants qui opinent
tous que cela est du procès.
L’INTERROGATEUR: Vous voyez bien. Répondez donc.
JEANNE: Je vous ai toujours bien dit que vous ne
sauriez pas tout. Il faudra qu’un jour je sois délivrée. Je veux avoir congé
pour le dire. Ainsi je demande un délai.
L’INTERROGATEUR: Les voix vous ont-elles défendu de
dire la vérité?
JEANNE: Voulez-vous que je vous dise ce qui regarde
le roi de France? Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas du procès.
L’INTERROGATEUR: Mais que savez-vous donc touchant
votre roi?
JEANNE: Je sais que mon roi gagnera le royaume de
France ; je le sais aussi bien que je sais que vous êtes là devant moi,
siégeant au tribunal. Je serais morte, n’était cette révélation qui me conforte
chaque jour.
L’INTERROGATEUR : Qu’avez-vous fait de votre
mandragore?
JEANNE: Je n’ai, ni oncques n’eus de mandragore.
J’ai bien oui dire qu’il y en a une près de mon village, mais je n’en ai
oncques vu.
L’INTERROGATEUR: Vous savez pourtant ce que c’est?
JEANNE: J’ai oui dire que c’est une chose dangereuse
et mauvaise à garder. Je ne sais d’ailleurs à quoi cela sert,
L’INTERROGATEUR: En quel lieu est cette mandragore
dont vous avez ouï parler?
JEANNE: J’ai oui dire qu’elle est en terre près de
l’arbre des fées. J’ignore le lieu; j’ai aussi oui dire qu’au-dessus de cette
mandragore il y a un coudrier.
L’INTERROGATEUR: A quoi avez-vous ouï dire que sert
cette mandragore?
JEANNE: A faire venir de l’argent, mais je n’en
crois mie.
L’INTERROGATEUR: Vos voix vous ont-elles parlé de cela
?.
JEANNE: Mes voix ne m’ont jamais rien dit là-dessus.
L’INTERROGATEUR: Quelle figure avait saint Michel
quand il vous apparut?
JEANNE : Je ne lui ai pas vu de couronne et de ses
vêtements je ne sais rien.
L’INTERROGATEUR: Etait-il nu?
JEANNE: Pensez-vous que Dieu n’ait pas de quoi le
vêtir?
L’INTERROGATEUR: Avait-il des cheveux?
JEANNE : Pourquoi les lui aurait-on coupés?
L’INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps que vous n’avez
vu saint Michel?
JEANNE: Je n’ai pas vu saint Michel depuis que j’ai
quitté le château à Crotoy 1. Je ne le vois pas bien souvent.
L’INTERROGATEUR : A-t-il des cheveux?
JEANNE: Je ne sais.
L’INTERROGATEUR: Avait-il une balance?
JEANNE: Je ne sais.
L’INTERROGATEUR: Quel effet produit sa vue?
JEANNE : J’ai grande joie en le voyant; et il me
semble que quand je le vois, je ne suis pas en péché mortel.
L’INTERROGATEUR : Vos voix vous ordonnent-elles de
vous confesser?
1. Vers le 21 novembre 1430
JEANNE: Sainte Catherine et sainte Marguerite me
font volontiers me confesser quelquefois, tantôt l’une, tantôt l’autre.
L’INTERROGATEUR : Vous croyez-vous exempte de péché
mortel?
JEANNE: Si je suis en péché mortel, c’est sans le
savoir.
L’INTERROGATEUR: Quand vous vous confessez, ne
croyez-vous pas être en péché mortel?
JEANNE: Je ne sais si j’ai été en péché mortel. Je
ne crois pas en avoir fait les oeuvres. A Dieu ne plaise que j’aie jamais été
en tel état ! A Dieu ne plaise que je fasse ou aie fait oeuvre qui charge mon
âme!
L’INTERROGATEUR: Quel signe avez-vous donné à votre
roi que vous veniez de la part de Dieu?
JEANNE: Je vous ai toujours répondu que vous ne me
l’arracherez pas de la bouche. Allez-le-lui demander.
L’INTERROGATEUR: Avez-vous juré de fie pas révéler
ce qui vous sera demandé touchant le procès?
JEANNE : Je vous ai déjà dit que je ne vous dirai
pas ce qui touchera le fait de notre roi. De tout ce qui le regarde je n’en
parlerai pas.
L’INTERROGATEUR: Ne savez-vous pas le signe que vous
avez donné à votre roi?
JEANNE: Vous ne le saurez pas de moi,
L’ENTERROGATEUR: Mais cela touche le procès.
JEANNE : De ce que j’ai promis de bien tenir secret
je ne dirai rien.
L’INTERROGATEUR: Pourquoi?
JEANNE: Je l’ai promis en tel lieu que je ne
pourrais vous le dire sans parjure.
L’INTERROGATEUR : A qui l’avez-vous promis?
JEANNE : A sainte Catherine, à sainte Marguerite, et
cela a été montré au roi.
L’INTERROGATEUR : Les saintes vous avaient-elles
requise de faire cette promesse ?
JEANNE: J’ai fait ma promesse aux deux saintes sans
qu’elles m’en requièrent, uniquement de moi-même. Trop de gens me l’auraient
demandé si je n’eusse fait cette promesse à mes saintes.
L’INTERROGATEUR : Quand vous montrâtes le signe au
roi, y avait-il quelqu’un avec lui?
JEANNE: Je ne pense pas qu’il y eut personne autre,
bien qu’il se trouvât beaucoup de monde assez près.
L’INTERROGATEUR : Avez-vous vu une couronne sur la
tête du roi quand vous lui avez montré ce signe?
JEANNE: Je ne puis le dire sans parjure.
L’INTERROGATEUR: Votre roi avait-il une couronne à
Reims?
JEANNE: Mon roi, je pense, a pris avec joie la
couronne qu’il a trouvée à Reims. Mais une bien riche couronne lui fut apportée
par la suite. Il ne l’a point attendue, pour hâter son fait, à la requête de
ceux de la ville de Reims, afin d’éviter la charge des hommes de guerre. S’il
eût attendu, il aurait eu une couronne mille fois plus riche.
L’INTERROGATEUR: Avez-vous vu cette couronne plus
riche?
JEANNE: Je ne puis vous le dire sans parjure, et si
je ne l’ai pas vue, je sais par ouï dire à quel point elle est riche et
somptueuse.
La séance est levée.
Sixième interrogatoire secret.
MERCREDI 14 MARS 1431, APRÈS MIDI.
Dans
la prison, l’évêque absent.
Interroguée se il est besoing de se confesser,
puisqu’elle croist à larelacion de ses voix qu’elle sera sauvée, R. Qu’elie ne
sçait point qu’elle ait péchié mortellement; mais s’elle estoit en péchié
mortel, elle pense que saincte Katherine et saincte Marguerite la délesseroient
tantost. Et croist, en respondant à l’article précédent: on ne sçait trop nectoyer
la conscience.
Interroguée se, depuis qu’elle est en ceste prison,
a point regnoye (renié) ou malgréé Dieu, R. Que non et que aucunes fois, quant
elle dit: « Bon gré Dieu » ou « saint Jehan » ou « Nostre-Dame », ceulx qui
peuvent avoir rapporté, ont mal actendu (entendu).
Interroguée se de prendre ung homme à rançon, et le
faire mourir prisonnier, ce n’est point péchié mortel, R. Qu’elle ne l’a point
fait.
Et pour ce que on lui parlait d’un nommé Franquet
d’Arras, qu’on fit mourir à Laigny, R. Qu’elle fut consentante de luy de le
faire mourir, se il l’avait deservi (mérité), pour ce qu’il confessa estre
murdrier, larron et traictre. Et dit que son procès dura quinze jours, et en
fut juge le baillif de Senlis, et ceulx de la justice de Laigny. Et dit qu’elle
requérait avoir Franquet pour ung homme de Paris, seigneur de l’Ours 1 ; et
quant elle sceut que le seigneur fut mort, et que le baillif luy dist qu’elle
voulait faire grant tort à la justice, de délivrer celui Franquet, lors
dit-elle au baillif : « Puisque mon homme est mort, que je vouloye avoir,
faictes de icelluy ce que debvroyés (devriez) faire par justice. »
Interroguée s’elle bailla l’argent ou fit bailler
pour celuy qui avait prins ledit Franquet, R. Qu’elle n’est pas monnayer ou
trésorier de France, pour bailler argent.
Et quant on lui a ramentue (rappellé) qu’elle avait
assailli Paris ajour de feste; qu’elle avait eu le cheval de monseigneur
(l’évêque) de Senlis, qu’elle s’estoit laissée cheoir de la tour de Beaurevair;
qu’elle parte habit d’homme; qu’elle estoit consentante de la mort de Franquet
d’Arras, s’elle cuide point avoir péchié mortel,
1.
Elle dit qu’elle demandait à échanger Franquet contre un Parisien, maître de
l’hôtel à l’enseigne de l’Ours (rue Saint-Antoine).
R. Au premier, de Paris : « Je n’en cuide point
estre en péchié mortel, et se je l’ay fait, c’est à Dieu d’en congnoistre, et
en confession à Dieu et au presbtre. »
Au second, du cheval de Senliz R. Qu’elle croist
fermement qu’elle n’en a point de péchié mortel envers nostre sire, pour ce
qu’il [le cheval] se estime à deux cents salus d’or, dont il en oult
assignacion; et toutes voies il fut renvoyé au seigneur de la Tremoulle pour le
rendre à monseigneur de Senliz; et ne valait rien le dit cheval à chevaucher
pour elle. Et si dit qu’elle ne le asta pas de l’évesque; et si dist aussi
qu’elle n’estait point contente, d’autre part, de le retenir, pour ce qu’elle
ayt que l’evesque en estoit mal content que on avait prins son cheval et aussi
pour ce qu’il en valait rien pour gens d’armes. Et en conclusian, s’il fut paié
de l’assignacion qui luy fust faicte, ne sçait, ne aussi s’il eust restitucion
de son cheval, et pense que non.
Au tiers [point], de la tour de Beaurevoir, R. « Je
le faisoye non pas en espérance de moy désespérer (suicider), mais en espérance
de sauver mon corps, et de aler secourir plusieurs bonnes gens qui estoient en
nécessité ». Et après le sault s’en est confessée, et en a requis mercy
Notre-Seigneur, en a pardon de Nostre-Seigneur. Et croist que ce n’estoit pas
bien fait de faire ce sault; mais fust mal fait, Item dit qu’elle sçait qu’elle
en a pardon par la relacion de saincte Katherine après qu’elle en fut
confessée; et que, du conseil de saincte Katherine, elle s’en confessa.
Interroguée s’elle en ault grant pénitence, R.
Qu’elle en porta une grant partie, du niai qu’elle se fist en chéant,
Interroguée se, ce mal fait qu’elle fist de saillir,
s’elle croist que ce fust péchié mortel, R. « Je n’en sçay rien, mais m’en
actend à Nostre-Seigneur. »
Au quart [point], elle porte abit d’homme, R. « Puis
que je fais par le commandement de nastre Sire, et en san service, je ne cuide
point mal faire ; et quant il lui plaira à commander, il sera tantoust mis jus
(je le déposerai).
Septième interrogatoire secret.
JEUDI 15 MARS 1431.
Dans la prison, en présence de l’évêque.
Après les monicions faictes à elle, et réquisicions
que, s’elle a fait quelque chose qui soit contre nostre foy, qu’elle s’en doit rapporter à la determinacion
de l’Église, R. Que ces responses soient veues et examinées par les clercs; et
puisque on luy die s’il a quelque chose qui sait contre la foy chrestienne,
elle sçara bien à dire par son conseil qu’il en sera, et puis en dira ce que en
aura trouvé par son conseil. Et toutes voies, s’il y a rien de mal contre la
foy chrestienne que nostre Sire [Dieu] a commandée, elle ne vouldroit [le]
soutenir, et serait bien courroucée d’aler encontre,
Item luy fut déclairé l’Église triomphant et
l’Église militant, que c’estoit de l’un [et] de l’autre. Item requist que de
présent elle se meist en la déterminacion de l’Église de ce qu’elle a fait ou
dit, soit bien ou mal, R. « Je ne vous en respondray autre chose pour le présent.
»
La dite Jehanne fut requise et Interroguée sous
serment,, et d’abord qu’elle dist la manière comme elle cuida eschaper du
chastel de Beaulieu, entre deux pièces de boys, R. Qu’elle ne fut oncques
prisonnière en lieu qu’elle ne se eschappast voulentiers; et elle estant en
icelluy chastel, eust canfermé (enfermé) ses gardes dedans la tour, n’eust été
le portier qui la advisa et la rencontra.
Item dit, ad ce que il luy semble, qu’il ne plaisait
pas à Dieu qu’elle eschappast, pour celle fois, et qu’il falloit qu’elle veist
le ray des Angloys, comme ses voix lui avaient dit, et comme dessus [est]
escript.
Interroguée s’elle a congié de Dieu ou de ses voix
de partir de prison toutes les fois qu’il plaira à elle, R. « Je l’ay demandé
plusieurs fois, mais je ne l’ay pas encore. »
Interroguée se de présent elle partirait, s’elle
véoit son point de partir, R. S’elle véoit l’uis ouvert, elle s’en irait, et se
luy seroit le congié de Nostre-Seigneur. Et croist fermement, s’elle véoitl’uys
ouvert, et ses gardes et les autres Angloys n’y sceussent résister, elle
entendrait que ce serait le congié, et que Nostre Seigneur lui envoyeroit
secours; mais sans congié ne s’en irait pas, se ce n’estoit s’elle faisoit une
entreprise pour s’en aler, pour sçavoir si nostre Sire (Dieu) en serait
content. Elle allègue : « Aide-toy, Dieu te aidera », et le dit pour ce que,
selle s’en aloit, que on ne deist pas qu’elle s’en fust allée sans congié.
Interroguée, puis qu’elle demande à oïr messe, que
il semble que ce serait le plus honneste qu’elle fust en abit de femme; et pour
ce fut interroguée lequel elle aymeroit [mieulx], prendre abit d’homme et non
oyr messe, R. Certiffiés-moy de oïr messe, si je suys en habit de femme; et sur
ce je vous respondray.
Et interroguée de prendre du tout l’abit de femme
pour aler ouyr messe, respond : « Je me conseilleray sur ce, e puis vous
respondray ». Et oultre requist, en l’honneur de Dieu et Notre-Dame, qu’elle
puisse ouyr messe en ceste bonne ville.
Et ad ce luy fut dit qu’elle prenge abit de femme
simplement et absolument. Et elle répond : « Baillez-moy abit comme une fille
de bourgoys, c’est assavoir houppelande longue, et je le prendray, et mesme le
chaperon de femme pour aler auyr messe ». Et aussi le plus instamment qu’elle
peust, requiert que on luy lesse cet habit qu’elle porte et que on la laisse
ouyr messe sans le changier.
Interroguée se de ce qu’elle a dit et faict, elle
veult [se] submeictre et supporter en la déterminacion de l’Eglise, respond : «
Toutes mes oeuvres et mes fais sont tous en la main de Dieu, et m’en actend à
luy, et vous certifie que je ne vouldroie rien faire ou dire contre la foy
chrétienne; et se je avaye rien fait ou dit qui fust sur le corps de moy, que
les clers sceussent dire que ce fust contre la foy chrestienne que nostre Sire
ait establie, je ne [le] vouldroie soutenir, mais le bouteroye hors (je le
désavouerais).
Interroguée s’elle s’en vouldroit point submectre ou
(à) l’ordonnance de l’Eglise, R. « Je ne vous en respandray maintenant autre
chose; mais samedi envoyésmay le clerc, se n’y voulés venir, et je luy
respandray de ce à l’aide de Dieu, et sera mis en escript ».
Interroguée se, quant ses voix viennent, s’elle leur
fait révérence absoluement comme à ung sainct ou saincte, R. Que ouil. Et
s’elle ne l’a fait aucunes fois, leur en a crié mercy et pardon depuis. Et ne
leur sçait faire si grande révérence comme à elles appartient; car elle croist
fermement que ce soient saincte Katherine et Marguerite. Et semblablement dit
de saint Michel.
Interroguée pour ce que ès saincts de paradis on
fait volontiers oblacion de chandelles, etc., se à ces saincts ou sainctes qui
viennent à elle, elle a point fait oblacion de chandelles ardans ou d’autres
choses, à l’église ou ailleurs, ou fait dire des messes, R. Que non, se ce
n’est en offrant à la messe en la main du presbtre, et en l’onneur de saincte
Katherine; et croist que c’est l’une de celles qui se apparust à elle; et n’en
a point tant alumé comme elle ferait volontiers à saincte Katherine et
Marguerite qui sont au paradis, qu’elle croist fermement que ce sont celles qui
viennent à elle.
Interroguée se quant elle meictre ces chandelles
devant l’ymaige de saincte Katherine, elle les meict, ces chandelles, en
l’honneur de celle qui se apparut à elle, R. « Je le fais en l’onneur de Dieu,
de Notre-Dame et de saincte Katherine, qui est au ciel; et ne fais point de
différence de saincte Katherine qui est au ciel et decelle qui se apport
(apparaît) à moy. »
Interroguée s’eIle le meict en l’onneur de celle qui
se apparut à elle, R. Que ouil, car elle ne meict point de différence entre
celle qui se apparut à elle et celle qui est au ciel.
Interroguée s’elle fait et accomplist toujours ce
que ses voix lui commandent, R. Que de tout son devoir elle accomplit le
commandement de Nostre-Seigneur à elle ‘fait par ses voix, de ce qu’elle en
sçait entendre; et ne luy commandent rien, sans le bon plaisir de
NostreSeigneur.
Interroguée se en fait de la guerre elle a rien
[fait], sans le congié de ses voix, R, « Vous en estes tous respondus [vous en
avez la réponse]. Et usés bien votre livre (le procès) et vous le trouverés ».
Et toutes voies dit que à la requeste des gens d’armes fut fait une vaillance
d’armes devant Paris, et aussi nia devant La Charité à la requeste de son roy;
et ne fut contre ne par le commandement de ses voix.
Interroguée se elle fist oncques aucunes choses
contre leur commandement et volonté, R. Que ce qu’elle a peu et sceu faire,
elle l’a fait et accomply à son pavoir; et quant est du sault du don[j]on de
Beaurevoir, qu’elle fist contre leur commandement, elle ne s’en peust tenir; et
quant elles veirent sa nécessité, et qu’elle ne s’en scavoit et pavait tenir,
elles luy secourirent sa vie et la gardèrent de se tuer. Et dit oultre que,
quelque chose qu’elle prist oneques en ses grans affaires, elles l’ont toujours
secourue; et ce est signe que ce soient bans esperis.
Interroguée s’elle a point d’autre signe que ce
soient bons esperis, R. « Saint Michel le me certifia avant que les voix me
venissent ».
Interroguée comme elle congneust que c’estoit saint
Michiel, R. « Par le parler et le langage des angles (anges) n; et le croist fermement
que l’estoient angles (anges).
Interroguée comme elle congneust que c’estoit
langaige d’angles (anges), R. Que elle le creust assés tôt, et en .ceste
volenté de le croire. Et dit en oultre que saint Michiel, quand il vint à elle,
luy dist que sainctes Kathenue et Marguerite vendroient (viendraient) à elle,
et qu’elle feist par leur conseil, et estoient ordonnées pour la conduire et
conseiller en ce qu’elle avoit à faire ; et qu’elle le creust de ce qu’elles
luy diraient, et que c’estoit par le commandement de Notre-Seigneur.
Interroguée de l’Annemy (le diable) se mectoit en
fourme ou signe d’angle (ange), camme[nt] elle cougnoistroit que ce fust bon
angle ou mauvais angle (ange), R. Qu’elle congnoistroit bien se ce seroit saint
Michel, ou une chose contrefaicte comme luy (d’après lui).
Item respant que à la première fais elle fist grant
doubte se c’estoit saint Michiel, et à la première fois oult grand paour; et si
le vist maintes fois, avant qu’elle sceut que ce fust saint Michiel.
Interroguée pourquoy elle congneust plus tost que
c’estoit saint Michiel à la fois que elle creust que c’estoitil, que à la fois
première, R. Que à la première fois elle estoit jeune enfant, et oult paour de
ce; depuis lui enseigna et monstra tant, qu’elle creust fermement que
c’estoit-il,
Interroguée quelle doctrine, il luy enseigna, R. «
Sur toutes choses il luy disait qu’elle fust bonne enfant, et que Dieu luy
aiderait; et entre les autres choses qu’elle venist au secours du roy de
France. Et une plus grande partie de ce que l’angle (ange) lui enseigna est en
ce livre (proces); et luy raconta l’ange la pitié qui estoit en royaume de
France. »
Interroguée de la grandeur et stature de celluy
angle (ange), dit que samedi elle en respondra avec l’autre chose dont elle doit
respondre, c’est assavoir ce qu’il en plaira à Dieu. Interroguée s’elle croist
point grant péchié de courroucer saincte Katherine et saincte Marguerite qui se
apparent (apparaissent) à elle, et de faire (agir) contre leur commandement:
dit que ouil, qui le sçait [avoir fait doit s’] amender et que le plus qu’elle
les courrouçast oncques, à son advis, ce fut du sault de Beaurevair et dont
elle leur a crié mercy, et [aussi] des autres offenses qu’elle peust avoir
faictes envers elle[s].
Interroguée se saincte Katherine et saincte
Marguerite prendraient vengence corporelle pour l’offence, R. Qu’elle ne sçait
et qu’elle ne leur a point demandé.
Interroguée, pour ce qu’elle a dit que, pour dire
vérité, aucunes fois l’an est pendu; et pour ce, s’elle [se] sçait en elle
quelque crime ou faulte, pour quoy elle peust au deust mourir, s’elle le
confesserait, R. Que non.
Huitième
interrogatoire secret.
SAMEDI 17 MARS.
Dans la
prison.
Interroguée sous serment de donner response en
quelle fourme et espèce, grandeur et habit, vient saint Michiel, R. « Il estoit
en la fourme d’un très vray preudomme »; et de l’abit et d’autres choses, elle
n’en dira plus autre chose. Quant aux angles (anges), elle les a veus de ses
yeux, et n’en aura-t-on plus autre chose d’elle.
Item dit qu’elle croist aussi fermement les ditz et
les fais de saint Michiel, qui s’est apparu à elle, comme ellecroist que
Nostre-Seigneur Jeshu-Crist souffrit mort et passion pour nous, et ce qui la
meust à le croire, c’est le bon conseil, confort et bonne doctrine qu’il luy a
fais et donnés.
Interroguée s’elle se veult [sou]maictre de tous ses
diz et fais, soit de bien ou mal, à la déterminacion de nostre mère saincte
Eglise, R. Que quant à l’Eglise, et l’aime et la vouidroit soustenir de tout
son povoir pour nostre foy chrestienne, et n’est pas elle que on doive
destourber ou empescher d’aler à l’église ne de ouyr messe. Quant aux bonnes
oeuvres qu’elle a faictes et de son advènement, il faut qu’elle s’en actende au
Roy du ciel, qui l’a envoyée à Charles, filz de Charles, roy de France, qui
sera roy de France; « et verrés que les Françays gaigneront bien tast une
grande besoigne que Dieu envoyeroit aux Français; et tant que il branlera
presque tout le royaume de France ». Et dit qu’elle le dit afin que, quant ce
sera advenu, que on ait mémoire qu’elle l’a dit.
Et requise de dire le terme, dit : « Je m’en actend
à Nostre-Seigneur ».
Interroguée de dire s’elle se rapportera à la
déterminacion de l’Eglise, R. « Je m’en rapporte à Nostre-Seigneur, qui m’a
envayée, à Notre-Dame et à tous les benoits saincts et sainctes du paradis n.
Et luy est advis que c’est tout ung de Nostre-Seigneur et de l’Eglise, et que
on n’en doit point faire de difficulté, en demandant pour quoy on fait
difficulté que ce ne sait tout ung.
Adonc luy fut dit que il y a l’Eglise triomphant, où
est Dieu, les saincts, les angles (anges) et les âmes saulvées. L’Eglise
militant, c’est nostre saint Père le Pape, vicaire de Dieu en terre, les
cardinaulx, les prélas de l’Eglise et clergiè, et tous bons chrestiens et
catholiques; laquelle Eglise bien assemblée ne peut errer, et est gouvernée du
saint Esprit. Et pour ce, Interroguée s’elle se veult raporter à l’Eglise
militant, c’est assavoir c’est celle qui est ainsi déclairée, R. Qu’elle est
venue au roy de France de par Dieu, de par la vierge Marie et tous les benoitz
sains et sainctes du paradis, et l’Eglise victorieuse de là hault, et de leur
commandement; et à celle Eglise là elle submeict tous ses bons fais, et tout ce
qu’elle a fait au à faire. Et de respondre s’elle se submeictra à l’Eglise
militant, dit qu’elle n’en respondra maintenant autre chose.
Interroguée qu’elle dit à cel habit de femme que on
luy offre, affin qu’elle puisse nier oyr messe, R. Quant à l’abit de femme,
elle ne le prendra pas encore, tant qu’il plaira à Nostre Seigneur. Et se ainsi
est qu’il la faille mener jusques en jugement, qu’il la faille desvestir
en jugement, elle requiert aux seigneurs de
l’Eglise, qu’ils luy donnent la grâce de avoir une chemise de femme et un
queuvrechief en sa teste ; qu’elle ayme mieulx mourir que de révoquer ce que
Nostre Seigneur luy a fait faire, et qu’elle croist ferméement que Nostre
Seigneur ne laira (laissera) à advenir de la meictre si bas, par chose, qu’elle
n’ait secours bien tost de Dieu et par miracle.
Interroguée, pour ce qu’elle dit qu’elle porte habit
d’omme par le commandement de Dieu, pourquoy elle demande chemise de femme en
article de mort, R. Il luy suffist qu’elle soit langue.
Interroguée se sa marraine qui a veu les fées,
s’elle est réputée saige femme 1, R. Qu’elle est tenue et ré putée bonne prude
femme, non pas devine ou sorcière. 1. Femme instruite.
Interroguée, pour ce qu’elle a dit qu’elle prendrait
abit de femme, mais que on la laissast aler, se ce plairait à Dieu, R. Se on
luy donnait congié en abit de femme, elle se meictrait tantoust en abit d’omme,
et ferait ce qui luy est commandé par Notre Seigneur; et l’a autresfois ainsi
respondu, et ne ferait pour rien le sèrement qu’elle ne se armast et meist en
abit d’omme, pour faire le plaisir de Nostre-Seigneur.
Interroguée de l’aage et des vestemens de sainctes
Katerine et Marguerite, R. « Vous estes respondus de ce que vous en aurez de
moi; et n’en airés [aurez) aultre chose; et vous en ay respondu tout au plus
certain que je sçay n.
Interroguée s’elle croit point au devant de
aujourd’huy que les fées feussent maulvais esperis, R. Qu’elle n’en sçavoit
rien.
Interroguée s’elle sçait point que sainctes
Katherine et Marguerite haient les Angloys: respond: « Elles ayment ce que Nostre-Seigneur
ayme, et haient ce que Dieu hait. »
Interroguée se Dieu hait les Angloys, R. Que de
l’amour ou haine que Dieu a aux Angloys. ou que Dieu leur feit à leurs ames, ne
sçait rien; mais sçait bien que ilz seront boutez hors de France, excepté ceulx
qui y mourront; et que Dieu envoyera victoire aux Français, et contre les
Angloys.
Interroguée se Dieu estait pour les Angloys, quand
ilz estoient en prospérité en France, R. Qu’elle ne sçait se Dieu hayèt
(haïssait) les Français ; mais croist qu’il voulait permectre de les laisser
batre pourleurs péchiez, s’ilz y estoient.
Interroguéc queiz armes elle offrit à saint Denis,
R. Que [elle offrit] ung blanc humas entier à ung homme d’armes, avec une
espée; et la guigna devant Paris.
Interroguée à quelle fin elle les offrit, R. Que ce
fut par devocion, ainsi que il est accoustumé par les gens d’armes quant ilz
sont bléciés: et pour ce qu’elle avait esté bléciée devant Paris, les offrit a
saint Denis, pour ce que c’est le cry de France.
Interroguée se c’estoit pour ce que on les armast
(qu’on s’en armât), R. Que non.
Interroguée de quoi servoient ces cinq croix qui
estoient en l’espée qu’elle trouva à Saincte-Katherine de Fier-boys, R. Qu’elle
n’en sçait rien.
Interroguée qui la meust de faire paindre angles
(anges), avecque bras, piés, jambes, vestemens, respond: « Vous y estes
respondus ».
Interroguée s’elle les a fait paindre tielz qu’ilz
viennent à elle, R. Que elle les a fait paindre tiels en la manière qu’ilz sont
pains ès églises.
Interroguée se oncques elle les vit en la manière
que ilz furent pains, R. « Je ne vous en diray autre chose ».
Interroguée pourquoy elle n’y fist paindre la clarté
qui venoit à elle avec les angles [anges] ou les voix, R. Que il en luy fust
point commandé.
Neuvième
interrogatoire secret.
SAMEDI 17 MARS 1431, APRÈS-MIDI.
Dans la
prison.
Interroguée se les deux angles (anges) qui estoient
pains en son estaindart représentaient sainct Michel et saint Gabriel, R,
Qu’ilz n’y estoient fors seullement pour l’amour de Nostre-Seigneur, qui estoit
painct en l’estandart; et dit qu’elle ne fist faire celle représentacion des
deux angles (anges), fors seullement pour l’onneur de Notre-Seigneur, qui y
estait figuré tenant le mande.
Interroguée se ces deux angles (anges) qui estoient
figurés en l’estaindart estoient les deux angles (anges) qui gardent le monde,
et pourquoy il n’y en avait plus [pas davantage], veu qu’il lui estoit commandé
par Nostre Seigneur, par la voix des sainctes Katherine et Marguerite, qui luy
dirent: « Pren estaindart de par le Roy du ciel », elle y fist faire celle
figure de Nostre Seigneur et de deux angles[anges], et de couleur, et tout le
fist par leur commandement »
Interroguée se alors elle leur demanda se en vertu
de celluy estaindart elle gaigneroit toutes les batailles où elle se bouterait,
et qu’elle aurait victoire, R. Qu’ilz luy dirent qu’elle le prinst hardiement,
et que Dieu luy aiderait.
Interroguée qui aidait plus, elle à l’estaindart, ou
l’estaindart à elle, R. Que de la victoire de l’estaindart ou d’elle, c’estoit
tout à Nostre Seigneur.
Interroguée de l’espérance d’avoir victoire estoit
foudée en son estaindart ou d’elle, R. « Il estoit fondé en Nostre-Seigneur et
non ailleurs ».
Interroguée se ung autre l’eust porté qu’elle se il
eust eu aussi bonne fortune comme elle de le porter, R. « Je n’en sçay rien, je
m’en actends à Nostre-Seigneur. »
Interroguée se ung des gens de san party luy eust
baillé son estaindart à porter; s’elle l’eust porté, s’elle y eust eu aussi
bonne espérance comme en celluy d’elle, qui iuy estoit disposé de par Dieu; et
mesmement ceiuy de son roy, R. « Je partage plus voulentiers celluy qui
m’estait ordonné de par Nostre-Seigneur; et toutes voies du tout je m’en
actendoye à Nostre Seigneur ».
Interroguée de quoy servait le signe qu’elle mectoit
en ses lectres, Jhesus, Maria, R. Que les clercs escripvans ses lectres luy
mectoient; et disaient les aucuns qui (qu’il) luy appartenait mectre ces deux
mots Ihesus; Maria.
Interroguée se il luy a point esté révélé, s’elle
perdoit sa virginité, qu’elle perdait son car (fortune), et que ses voix ne luy
v[i]endroient plus, R. « Cela ne m’a point esté révélé «.
Interroguée, s’elle estoit mariée, s’elle croist
point que ses voix luy venissent, R. « Je ne sçay; et m’en actend à Nastre
Seigneur n.
Interroguée s’elle pense et croist ferméement que
son roy feist bien de tuer ou faire tuer monseigneur de Boum-gangue, R. Que ce
fust grand dommaige pour le royaume de France; et quelque chose qu’il y eust
entr’eulx, Dieu l’a envoyée au secours du roy de France.
Interroguée, pour ce qu’elle a dit à monseigneur de
Beauvez qu’elle respondroit autant à monseigneur et à ses commis, comme elle
ferait devant nostre saint père le Pape, et toutesfois il y a plusieurs
interrogatoires à quoy elle ne veult respondre, se elle respondoit point plus
pleinement qu’elle ne fait devant monseigneur de Beauvez, R. Qu’elle a respondu
tout le plus vray qu’elle a sceu; et s’elle sçavait aucune chose qui luy venist
à mémoire qu’elle n’ait dit, elle [le] dirait voulentiers.
Interroguée de l’ange qui apporta le signe à son
roy, de quel aaige, grandeur et vestement...
Interroguée se il luy semble qu’elle soit tenue
respandre plainement vérité au Pape, vicaire de Dieu, de tout ce que on luy
demanderait touchant la foy et le fait de sa conscience, R. Qu’elle requiert
qu’elle soit menée devant luy; et puis respondra devant luy tout ce qu’elle
devra respondre.
Interroguée se l’un de ses agneaulx (anneaux) où il
estoit escript Jhesus Maria, de quelle matière il estoit, R. Elle ne sçait
proprement: et s’il est d’or, il n’est pas de fin or; et si ne sçait se
c’estoit or ou lectons (laiton)
et pense qu’il y avait trois croix et non autre
signe qu’elle saiche, excepté Jhesus Maria.
Interroguée pourquoy c’estoit qu’elle regardoit
voulentiers cet anel, quant elle aloit en fait de guerre, R. Que par plaisance
et par l’onneur de son père et de sa mère; et elle, ayant son anel en sa main
et en son doy, a touché à saincte Katherine qui luy appareist.
Interroguée en quelle partie de ladicte saincte
Katherifle, R. « Vous n’en aurés autre chose. »
Interroguée s’elle baisa ou accola oncques sainctes
Katherine et Marguerite, R. Elle les a accolez toutes deux.
Interroguée se ilz fleuraient bon, R. « Il est bon à
savoir (certainement) et sentaient bon. »
Interroguée se, en accolant, elle y sentoit point de
chaleur ou autre chose, R. Qu’elle ne les pavait point accoler sans les sentir
et toucher.
Interroguée par quelle partie elle les accoloit, au
par hault, au par bas, R. Il affiert (convient) mieulx à les accoler par le bas
que par le hault.
Interroguée s’elle leur a paint donné de chappeaulx
(couronnes de fleurs), R. Que en l’onneur d’elles, à leurs ymaiges au
remembrance, ès églises, n’en a point baillé dont elle ait mémoire.
Interroguée quant elle mectoit chappeaulx en l’arbre,
s’elle les meictait en l’onneur de celles qui iny appairaient, R. Que non.
Interroguée se quant ces sainctes venaient à elle,
«‘elle leur faisait point révérence, comme de se agenouillier et incliner, R.
Que ouil, et le plus qu’elle pavait leur faire de révérence, elle leur faisoit
; que elle sçait que ce sont qui sont celles, en royaume de paradis.
Interroguée s’elle sçait rien de ceulx qui vont à
l’eure avec les fées, R. Qu’elle n’en fist oncques, on sceust quelque chose,
mais a bien ouy parler, et que on y aloit le jeudi, mais n’y crois point, et
croist que ce soit sorcerie.
Interroguée se on fist point flatter au tournier san
estaindart au tour de la teste de son ray, R. Que non qu’elle saiche.
Interroguée pourquoy il fut plus porté en l’église de
Raims, au sacre, que ceuix des autres capitaines, R. « Il avoit esté à la
paine, c’estoit bien raison qu’il fût à l’onneur! »
1.14. TREIZIÈME SÉANCE DU PROCÈS
SAMEDI 3 MARS.
Sixième interrogatoire public.
Même lieu ; 42 assesseurs.
CAUCHON : Jeanne, nous vous requérons de jurer
simplement et absolument.de dire la vérité sur ce qui vous sera demandé.
JEANNE: Ainsi que j’ai déjà fait, je suis prête à
jurer.
(Jeanne jure en touchant des mains les Évangiles.)
L’INTERROGATEUR: Vous avez dit que saint Miche!
avait des ailes, et vous n’avez pas parlé du corps et des membres de sainte
Catherine et de sainte Marguerite. Qu’en voulez-vous dire?
JEANNE: Je vous ai dit ce que je sais et que je ne
vous répondrai pas autre chose.
L’INTERROGATEUR : Avez-vous bien vu saint Miche! et
les saintes?
JEANNE: J’ai vu saint Michel et les saintes, aussi
bien que je sais bien qu’ils sont saint et saintes dans le paradis.
L’INTERROGATEUR: En avez-vous vu autre chose que la
face?
JEANNE: Je vous ai dit tout ce que j’en sais.
L’INTERROGATEUR: Dites-le encore.
JEANNE: Pour ce qui est de vous dire tout ce que je
sais, j’aimerais mieux que vous me fissiez couper le cou.
L’INTERROGATEUR: Vous devez tout dire.
JEANNE: Je dirai volontiers tout ce que je saurai
touchant le procès.
L’INTERROGATEUR: Croyez-vous que saint Michel et
saint Gabriel aient des têtes naturelles?
JEANNE: Je les ai vus de mes yeux, et je crois que
ce sont eux aussi fermement que Dieu est.
L’INTERROGATEUR: Croyez-vous que Dieu les ait formés
sur la manière et en la forme que vous les voyez?
JEANNE: Oui.
L’INTERROGATEUR: Croyez-vous que Dieu les ait créés
dès le principe, en cette manière et en cette forme?
JEANNE: Vous n’aurez autre chose présentement, sauf
ce que j’ai répondu.
L’INTERROGATEUR: Avez-vous par révélation que vous
échapperez?
JEANNE: Cela ne touche pas votre procès. Voulez-vous
que je parle contre moi?
L’INTERROGATEUR: Vos voix ne vous ont-elles rien
dit?
JEANNE: Cela n’est pas de votre procès. Je m’en
réfère au procès. Si tout vous regardait, je vous dirais tout.
L’INTERROGATEUR: Quand comptez-vous pouvoir vous
échapper?
JEANNE: Pour moi, je ne sais ni le jour ni l’heure
où je m’échapperai.
L’INTERROGATEUR : Vos voix vous ont-elles dit
quelque chose en général?
JEANNE: Oui vraiment. Elles m’ont dit que je serais
délivrée ; mais je ne sais ni le jour ni l’heure, et que je fasse gai visage.
L’INTERROGATEUR: Quand vous arrivâtes pour la
première fois près de votre roi, ne s’enquit-il pas si c’était par révélation
que vous aviez changé d’habit?
JEANNE: Je vous en ai répondu, je ne me rappelle pas
si cela me fut demandé. C’est écrit à Poitiers.
L’INTERROGATEUR: Ne vous souvenez-vous pas si les
maîtres qui vous ont examinée en une autre obédience, quelques-uns pendant un
mois, d’autres pendant trois semaines, vous ont interrogée sur ce changement
d’habit?
JEANNE: Je ne m’en souviens pas. Au fait, ils m’ont
demandé où j’avais pris cet habit d’homme, et je leur ai dit que je l’avais
pris à Vaucouleurs.
L’INTERROGATEUR: Les maîtres susdits vous
demandèrent-ils si c’était par ordre de vos voix que vous aviez pris cet habit?
JEANNE: Je ne m’en souviens pas.
L’INTERROGATEUR: Votre roi, votre reine et d’autres
de votre parti vous ont-ils quelquefois requise de déposer l’habit d’homme?
JEANNE: Cela n’est pas de votre procès.
L’INTERROGATEUR : Au château de Beaurevoir, n’en
fûtes-vous pas requise?
JEANNE: Oui vraiment, et je répondis que je ne
déposerai cet habit sans le congé de Dieu. Je vous dirai aussi que la
demoiselle de Luxembourg requit le seigneur de Luxembourg que je ne fusse pas
livrée aux Anglais 1
(Ici commence le fragment de la minute française du
greffier Guillaume Manchon, conservée dans le manuscrit d’Urfé 2.)
Item dit que la demoiselle de Luxembourg et la dame
de Beaurevoir luy offrirent abit de femme ou drap à le faire, et lui requirent
qu’elle le portast, et elle répondit qu’elle n’en avoit pas le congié de
Nostre-Seigneur, et qu’il n’estoit pas encore temps.
Interroguée se messire Jehan de Pressy et antres, à
Arras, lui offrirent point d’abit de femme, respond:
1.
Détail omis dans le procès-verbal de la séance et consigné dans l’extrait du
procès-verbal.
2.
Nous faisons nôtre ce qu’a écrit Vallet de Viriville: « Quant à la minute
française, au gré de plus d’un lecteur, il semblera, nous le craignons, qu’il
eût été nécessaire de la traduire en langage moderne. Mais céder à cette
tentation eût été un acte de vandalisme et de profanation. Nous nous sommes
borné à expliquer, chemin faisant, les locutions ou les mots qui pouvaient
présenter, de nos jours, au lecteur un embarras sensible. »
« Luy et plusieurs autres le m’ont plusieurs fois
demandé ».
Interroguée s’elle croist qu’elle eust délinqué ou
fait péchié mortel de prendre habit de femme, respond qu’elle fait mieulx
d’obéir et servir son souverain Seigneur, c’est assavoir Dieu. Item dit que
s’elle le deust avoir fait, elle l’eust plustost fait à la requeste de ces deux
dames que d’autres dames qui soient en France, excepté sa royne.
Interroguée se, quant Dieu luy révéla qu’elle muast
son abit, se ce fust parla voix de saint Michel, de saincte Katherine ou
saincte Marguerite, R. « Vous n’en aurés maintenant autre chose ».
Interroguée, quant son roy la mit premier en oeuvre
et elle fist faire son estaindart, se les gens-d’armes et autres gens de guerre
firent faire pennonceaulx à la manière du sien, R. « Il est bon à savoir que
les seigneurs maintenoient leurs armes. Item, R. Les aucuns compaignons de
guerre en firent faire à leur plaisir, et les autres non ».
Interroguée de quelle matière ilz les firent faire,
se ce fut de toille ou de drap, R. « C’estoit de blans satins, et y en avoit en
aucuns les fleurs de liz », et n’avoit que deux ou trois lances de sa
compaignie; mais les compaignons de guerre aucunes fois en faisoient faire à la
semblance des siens, et ne faisoient cela fors pour cognoistre les siens des
autres.
Interroguée s’ilz estoient guères souvent
renouvellés, R. « Je ne sçay; quant les lances estoient rompues, l’on en
faisoit de nouveaulx ».
Interroguée s’elle dist point que les pennonceaulx
qui estoient en semblance des siens estoient eureux, R. Elle leur disoit bien à
la fois : « Entrez hardiment parmy les Anglois », et elle mesme y entroit.
Interroguée s’elle leur dist qu’ilz les portassent hardiment et qu’ilz airoient
bon eur (bonne fortune), R. Elle leur dist bien ce qui estoit venu et qui
adviendroit encore.
Interroguée s’elle gectoit ou faisoit point mectre
eaue benoitte sur les pennonceaulx, quant on les prenoit de nouvel, R. «Je n’en
sçay rien ».; et s’il a esté fait, ce n’a pas esté de son commandement.
Interroguée s’eIle y en a point veu gecter, R. «
Cela n’est point de votre procès » ; et s’elle y en a veu gecter, elle n’est
pas advisée maintenant de en respondre.
Interroguée se les compaignons de guerre faisoient
point mectre en leurs pennonceaulx: Jhesus Maria, R. « Par ma foy, je n’en sçay
rien ».
Interroguée s’elle a point tournié (tourner,
tournoyer) ou fait tournier toilles par manière de procession autour d’un
chastel ou d’église, pour faire pennonceaulx, R. Que non et n’en a rien veu
faire.
Interroguée, quant elle fut devant Jargeau, que
c’estoit qu’elle portoit derrière son heaulme, et s’il y avoit aucune chose
ront, « Par ma foy, il n’y avoit rien ».
Interroguée s’elle congnust oncques frère Ricard;
respond: « Je ne l’avoys oncques veu quant je vins devant Troyes ».
Interroguée qu’elle chière (figure) frère Ricard lui
feist, R. Que ceuix de la ville de Troyes, comme elle pense, l’envoièrent elle,
disans ilz doubtoient que ce ne feust pas chose de par Dieu ; et quand il vint
devers elle, en approuchant, il faisoit signe de la croix, et gectoit eaue
benoicte, et elle lui dist: «Approchez hardiement, je ne m’envouleray pas ».
Interroguée s’elle avoit point veu, ou fait faire
aucuns ymaiges ou painctures d’elle et à sa semblance, R. Qu’elle vit à Arras
une paincture en la main d’un Escot (Ecossais) et y avoit la semblance d’elle
tout armée, et présentoit unes lectres à son roy, et estoit agenoullée d’un
genoul. Et dit que oncques ne vit ou fist faire autre ymaige ou paiacture à la semblance
d’elle.
Interroguée d’un tablel chieux son hoste, où il
avoit trois femmes painctes, et escript : « Justice, Paix, Union ». R. Qu’elle
n’en sçait rien.
Interroguée s’elle sçait point que ceulx de son
party aient service, messe, et oraison pour elle; R. Qu’elle n’en sçait rien,
et s’ilz en font service, ne l’ont point fait par son commandement; et s’ilz
ont prié pour elle, il luy est advis qu’ilz ne font point de mal.
Interroguée se ceulx de son party croient fermement
qu’elle soit envoyée de Dieu, R. « Ne sçay s’ilz le croyent et m’en actend à
leur couraige : mais si ne le croient, si suis-je envoiée de par Dieu ».
Interroguée s’elle cuide pas que en créant qu’elle
soit envoyée de par Dieu, qu’ilz aient bonne créance, R. S’ils croient qu’elle
soit envoyée de par Dieu, ils n’en sont point abusez.
Interroguée s’elle sçavoit point bien le couraige de
ceulx de son party, quant ilz luy baisoient les piez et les mains, et les
vestemens d’elle, R. Beaucoup de gens la véoient (voyaient) volontiers ; et
(aussi) dit qu’ilz baisoient les mains (moins) ses vestemens qu’elle pouvoit.
Mais venoient les pouvres gens voulentiers à elle, pour ce qu’elle ne faisoit
point de deplaisir, mais les supportoit à son pouvoir.
Interroguée quelle révérence luy firent ceulx de Troies
à l’entrée, R. « IIz ne m’en firent point » ; et dit oultre que, à son advis,
frère Ricard entra quant (en même temps qu’) eulx à Troies, mais n’est point
souvenance s’ehle le vit à l’entrée.
Interroguée s’il fist point de sermon à l’entrée de
la venue d’elle, R. Qu’elle n’y arresta guères et n’y jeust oncques (n’y coucha
pas) ; et quant au sermon, elle n’en sçait rien.
Interroguée s’elle fut guères de jours à Bains
(Reims), R. « Je crois que nous y fusmes quatre ou cinq jours. »
Interroguée s’eIle y leva point d’enfant, R. Que, à
Troyes en leva ung, mais de Rains n’a point de mémoire, ne de Chasteau-Tierry,
et aussi deux en leva à SaintDenis Et volontiers mectoit nom aux filz Charles,
pour l’honneur de son roy et aux filles Jehanne : et aucunes fois, selon ce que
les mères vouloient.
Interroguée se les bonnes femmes de ville touchaient
point leurs agneauls (anneaux) à l’anel qu’elle portoit, R. Maintes femmes ont
touché à ses mains et à ses agneaulx; maisne sçait point leur couraige ou
intencion.
Interroguée qu’ilz furent ceuix de sa conipaignie
qui prindrent papillons devant Chasteau-Tierry en son estaindart, R. Qu’il ne
fust oncques fait ou dist de leur party, mais ce ont fait ceulx du party de
deça, qui l’ont controuvé (imaginé).
Interroguée qu’elle fist à Rains des gans où son roy
fut sacré, R. « Il y oult (eut) une livrée de gans pour bailler aux chevaliers
et nobles qui là estoient. Et en y oult ung qui perdit ses gans » ; mais ne
dist point qu’elle les ferait retrouver. Item dit que son estaindart fut en
l’église de Rains; et lay semble que son estaindart fut assés près de l’autel ;
et elle mesmes luy (le) tint ung poy (un peu) et ne sçait point que frère
Ricard le tenist.
Interroguée, quant elle aloit par le pais, s’elle
recepvoit souvens sacrement de confession et de l’autel (communion, quant elle
venoit ès bonnes villes, R. Que ouil, à la fois,
Interroguée s’elle recepvoit lesdiz sacreinens en
abit d’omme, R. Que ouil ; mais ne a point mémoire de le avoir reçu en armes.
Interroguée pourquoy elle prinst la haquenée de
l’eyesque de Senlis, R. Elle fut achetée deux cents salus; si les eust ou non,
elle ne sçait ; mais en oult assignation (il y eut un mandat de payement), où
il en fust payé ; et si (de plus) lui rescrit (récrivit) que il la reairoit (recouvrerait)
s’il vouloit, et qu’elle ne la vouloit point rien et qu’elle ne valoit rien
pour souffrir paine (comme une bête de fatigue).
Interroguée quelle aaige avoit l’enfant à Laigny
qu’elle ala visiter, R. L’enfant avoit trois jours ; et fut apporté à Laigny à
Nostre-Dame, et luz fut dit que les pucelles de la ville estoient devant
Nostre-Dame, et qu’elle y voulsint aler prier Dieu et Nostre Dame qu’il lui
voulsist donner la vie ; et elle y ala, et pria avec les autres. Et finalement
il y apparut vie, et bailla (respira) trois fois ; et puis fut baptizé, et
tantost mourut, et fut enterré en terre saincte. Et y avait trois jours, comme
l’on disoit, que en l’anfant n’y estoit apparu vie, et estoit noir comme sa
coste 1, mais quand il baisla, la couleur lui commença à
1.
Cotte, jupon noir.
revenir. Et estoit avec les pucelles à genoulz
devant Nostre-Dame à faire sa prière.
Interroguée s’il fut point dit par la ville que ce
avoit elle fait faire et que ce estoit à sa prière, R. « Je ne m’en enqueroye
point ».
Interroguée s’elle congneust point Katherine de la
Rochelle ou s’elle l’avoit veu, R. Que ouil, à Jargeau et à Montfaucon en
Berry.
Interroguée s’elle luy monstra point une Dame vestue
de blanc qu’elle disait qui luy apparoissoit aucunes fois, R. Que non.
Interroguée qu’elle lui dist, R. Que cette Katherine
lui dist qui venoit à elle une dame blanche vestue de drap d’or, qui luy disait
qu’elle alast par les bonnes villes et que le roy lui baihlast des héraulx et
trompectes, pour faire crier quiconques airait (aurait) or, argent ou trésor
niucié (caché), qu’il apportast tantoust (aussitôt), et que ceuiz qui ne le
feroient, et qui en aroient de muciez, qu’elle les congnostroit bien, et
sçaroit trouver lesdiz trésors; et que ce serait pour paier les gens d’armes
d’icelle Jehanne. A quoy laditeJehanne respondit que elle retournast à son
mary, faire son mesbaige et nourrir ses enfans. Et pour en savoir la certaibeté
elle parla à saincte Marguerite ou saincte Katherine, qui luy dirent que du
fait de icelle Katherine n’estoit que folie, et estoit tout nient (néant). Et
esscript (écrivit) à son roy qu’elle luy dirait ce qu’il en devoit faire ; et
quant elle vint à luy dist que c’estoit folie et tout nient du fait de ladite
Katherine ; toutes voies frèr.e Richart voulait que on la mist en oeuvre; et’
en ont esté très mal [contents] d’elle, lesdits frère Richart et ladicte
Katherine.
Interroguée s’elle parla point à Katherine de la
Rochelle du fait d’aler à la Charité, R. Que ladicte Katherine ne luy
conseilloit point qu’elle y alast, et que il faisoit trop froit, qu’elle
n’yroit point.
Item dit à ladicte Katherine, qui vouloit aler
devers le duc de Bourgogne pour faire paix, qui (qu’il) luy sembloit que on n’y
trouverait point de paix, si ce n’estoit par le bout de la lance.
Item dit qu’elle demanda à celle Katherine se celle
dame venait toutes les nuys ; et pour ce, coucheroit avec elle. Elle y coucha,
et veilla jusques à mynuit, et ne vit rien , et puis s’endormit Et quand vint
au matin, elle demanda s’elle estoit venue, et luy respondit qu elle estoit
venue, et lors dormait ladicte Jehanne et l’avait peu esveiller Et lors luy
demanda s elle vendroit point l’andemain, et ladicte Katherine luy respondit
que aull. Poui laquelle chose dormit, icelle Jehanne de Jour, afin qu’elle
peust veiller la nuit. Et coucha la nuit ensuivant avec ladicte Katherine, et
veilla toute la nuit; mais ne vit rien, combien que souvent lui demandast : «
Vendra elle point? » Et ladicte Katherine lui respondit: « Ouli, tantost ».
Interroguée [sur ce] qu’elle fist sur les fossés de
La Charité, R. Qu’elle y fist faire ung assault ; et dit qu’elle n’y gecta ou
fist gecter eaue par manière de aspersion.
Interroguée pour quoy elle n’y entra, puis qu’elle
avait commandement de Dieu, R. Qui vous a dit que je avais commandement de y
entrer?
Interroguée s’elle oult point de conseil de sa voix,
R. Qu’elle s’en voulait venir en France.; mais les gens d’armes luy disrent que
c’estoit le mieulx d’aler devant la Charité premièrement.
Interroguée s’elle fut longuement en celle tour de
Beaurevoir, R. Qu’elle y fut quatre mais ou environ, et dist, quant elle sceut
les Anglois venir, elle fut moult courroucée, toutes voies ses voix lui
défendirentplusieurs fais qu’elle ne saillist (sauta); et enfin pour la doubte
des Anglois, sailli et se commanda à Dieu et à Nostre-Dame, et fut blécèe. Et
quant elle eust sailli, la voix de saincte Katherine luy dist qu’elle fiste
bonne chière et qu’elle gariroit, et que ceuix de Compiègne airaient secours.
Item dit qu’elle prioit tousjours pour ceulx de
Cernpiègne, avec son conseil.
Interroguée qu’elle dist, quant elle eust sailly, R.
Que aucuns disaient que elle estait morte, et tantoust quui apparut aux
Bourguegnons qu’elle estoit en vie, ilz lui dirent qu’elle estoit saillir.
Interroguée s’elle dist point qu’elle aimast mieulx
àmourir que d’estre en la main des Angloys, R. Qu’elle aymeroit mieulx rendre
l’âme à Dieu que d’estre en la main des Anglois.
Interroguée s’elle se courouça point, et s’elle
blasphéma point le nom de Dieu, R. Qu’elle n’en maugréa oncques ne sainct ne
saincte, et qu’elle n’a point accoustumé à jurer.
Interroguèe du fait de Suessons (Soissons), pour ée
que le capitaine avait rendu la ville et que elle avait regnoié (et qu’elle
avait dit ou reniant) Dieu, que s’elle le tenait, elle le ferait tranchier en
quatre pièces, R. Qu’elle ne regnoia oncques sainct ne saincte et que ceulx qui
l’ont dit, ou raporté, ont malentendu. (
Nous interrompons ici la citation de la minute française)
Jeanne est conduite en prison.
Nous leur dîmes qu’ils eussent dès maintenant à
étudier et voir, chez eux, touchant le sujet et ce qu’ils avaient déjà ouï du
procès, ce qui leur semblerait à faire; en les priant d’en référer à nos
commissaires présents et futurs, ou de conserver devers eux ces notions, pour
en délibérer plus mûrement et utilement, en temps et lieux convenables et d’en
rendre leur sentiment. Nous avons enfin défendu à tous et chacun des assesseurs
de s’éloigner de Rouen sans notre permission avant la fin de ce procès.
La séance est levée.
FIN
DE LA PREMIÈRE SESSION PUBLIQUE
Interrogatoires secrets
SÉANCES XIVe - XIXe DU PROCÈS, LES 4,5,6,7,8,9 MARS
1431
Dans la maison de l’évêque de Beauvais.
Item le
dimanche 4 et les lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi suivants, nous
évêque susdit, convoquâmes, dans notre logis, à Rouen, plusieurs solennels
docteurs et maîtres, et autres habiles en droit divin et humain. Ceux-ci, ayant
recueilli par nos ordres les confessions et réponses de ladite Jeanne, firent
également un extrait des points sur lesquels ces réponses paraissaient
insuffisantes et sur lesquels on estimait qu’elle devait être interrogée de
nouveau. Sur ces recueils et extrait, du conseil et avis des susdits, nous
avons conclu qu’il serait procédé à cet interrogatoire ultérieur. Et comme,
attendu nos diverses occupations, nous ne pouvions pas toujours y vaquer en
personne, nous avons délégué vénérable et discrète personne maître Jean de la
Fontaine, maître et licencié, etc., ci-dessus nommé, pour interroger
judiciairement ladite Jeanne en notre nom. Nous l’avons commis à ce titre le
vendredi 9 susdit, présents les docteurs et maîtres : Jean Beaupère, Jean de
Touraine, Nicolas Midi, Pierre Maurice, Thomas de Courcelles, Nicolas Loyseleur
et Guillaume Manchon, ci-dessus nommés.
10 MARS 1431
Item le
samedi suivant, 10 mars, nous, évêque, nous sommes rendu à une chambre du
château de Rouen qui évait été assignée à ladite Jeanne pour prison. Là en
présence et assisté de notre commissaire député [J. dela Fontaine], Nicolas
Midi, G. Feuillet de Jean Fécard, et maître Jean Mathieu, prêtres, témoins
appelés, nous avons requis ladite Jeanne de faire et prêter serment qu’elle
dirait la vérité sur ce qu’on lui demanderait:
R 1. Je vous promet que je diray vérité de ce qui
touchera vostre procès ; et plus me contraindrés jurer, et plus tart vous le
diray.
Interroguée par Jean de la Fontaine, commissaire, en
ces termes : « Par le serement que vous avez fait, quant vous venistes
derrenièrement à Compiègne, de quel lieu estiés-vous partie? » R. Que (elle
venait) de Crespy en Valoys.
Interroguée, quand elle fut venue à Compiègne,
s’elle fut plusieurs journées avant qu’elle feist aucune saillie, R. Qu’elle
vint à heure secrète du matin, et entra en la ville, sans ce que ses annemis le
sceussent uières, comme elle pense; et ce jour mesmes, sur le soir, feist la
saillie dont elle fut prinse.
Interroguée se à la saillie l’en sonna les cloches,
R. Se on les sonna, ce ne fut point à san commandement ou par san seu; et n’y
pensait poinct; et si (aussi bien) ne se souvient s’elle avait dit que on les
sonnast.
1.
Reprise de la minute française.
Interroguée s’elle fist cette saillie du
commandement de sa voix, R. Que en la sepmaine de Pasque derrenièrement passé,
elle estant sur les fossés de Meleun, luy fut dist par ses vois, c’est
assavoir, saincte Katherine et saincte Marguerite, qu’elle serait prinse avant
qu’il fust la Sainct-Jehan, et que ainsi faillait qui fust fait, et qu’elle ne
s’esbahit et print tout en gré, et que Dieu lui aiderait.
Interroguée se depuis ce lieu de Meleun luy fut
point dit par ses dictes vois qu’elle seroit prinse, R. Que ouil, par plusieurs
fois, et comme tous les jours. Et à ses voix requérait, quant elle seroit
prinse, qu’elle fust morte tantoust, sans long travail de prison, et ilz luiy
disrent qu’elle prinst tout en gré, et que ainsi la falloit faire mais ne luy
disrent point l’eure; et si elle l’eust sceu, elle n’y fust pas alée; et avait
plusieurs fois demandé sçavoir l’eure et ilz ne lui dirent point.
Interroguée se ses voix lui eussent commandé qu’elle
fust saillie et signifié qu’elle eust esté prinse, s’elle y fust alée, R.
S’elle eust sceu l’eure, et qu’elle deust estre prinse, elle n’y fust point
alée voulentiers; toutes voies elle, eust fait leur commandemeut en la fin,
quelque chose qui luy dust estre venue.
Interroguée se, quand elle fit cette saillie, s’elle
avait eu voix de partir et faire celle saillie, R. Que ce jour ne sceut point
[par avance] sa prinse, et n’eust autre commandement de yssir (sortir); mais
toujours luy avait esté dit qu’il fallait qu’elle feust prisonnière.
Interroguée se, à faire celle saillie, s’elle passa
par le pont, respond qu’elle passa par le pont et par le boulevart, et ala avec
la compaignie des gens de son party sur les gens de monseigneur de Luxembourg,
et les rebuta par deux fois jusques au logeis des Bourguegnans, et à la tierce
fois jusques à my le chemin; et alors les Anglais, qui là estoient, coupèrent
les chemins à elle et ses gens, entre elle et le boulevart; et pour ce se
retraïrent ses gens ; et elle en se retraiant es champs en costé, devers
Picardie, près du boulevart, fut prinse; et estoit la rivière entre Compiègne
et le lieu où elle fut prinse; et n’y avait seullement, entre le lieu où elle
fut prinse et Compiègne, que la rivière, le boulevart et le fossé dudit
boulevart.
Interroguée se en icelluy estaindart, le monde est
painct, et deux angles (anges), etc., R. Que ouil et n’en eust oncques que ung.
Interroguée quelle signifiance c’estait que prendre
Dieu tenant le monde et ses deux angles, R. Que saincte Katherine et saincte
Marguerite luy disrent qu’elle prinst hardiement, et le portast hardiement, et
qu’elle fist mectre en paincture là le Roy du ciel. Et ce dist à son roy, mais
très envis (à contre-coeur), et de la signifiance ne sçait autrement.
Interroguée s’elle avok point escu et armes, R.
Qu’elle n’en eust oncques point; mais son roy donna à ses frères armes, c’est
assavoir, ung escu d’asur, deux fleurs de liz d’or et une espée parmy; et en
ceste ville a devisé à ung painctre celles armes, pour ce qui luy avoit demandé
quelles armes elle avoit. Item, dit que ce fut donné par son roy à ses frères,
à la plaisance d’eulz, sans la requeste d’elle, et sans révélacion.
Interroguée s’elle avait ung cheval, quand elle fut
prinse, coursier ou haquenée, R. Qu’elle estoit à cheval, et estoit ung demi
coursier celluy sur qui elle estoit, quand elle fut prinse,
Interroguée qui luy avait donné cellui cheval, R.
Que son ray, ou ses gens luy donnèrent de l’argent du roy; et en avait cinq
coursiers de l’argent du roy, sans les trotiers (trotteurs) où il en avait plus
de sept.
Interroguée s’elle eust oucques autres richesses de
son roy que ces chevaulx, R. Qu’elle ne demanderait rien à son rôy, fors bonnes
armes, bons chevaulx et de. l’argent à paier les gens de son hastel.
Interroguée s’elle n’avait point de trésor, R. Que
10 ou 12 mille [francs] qu’elle a vaillant, n’est pas grand trésor à mener la
guerre, et que c’est peu de chose, et lesquelles
choses ont ses frères, comme elle pense, et dit que
ce qu’elle a, c’est de l’argent propre de son roy.
Interroguée quel est le signe qui vint à son Roy, R.
Que il est bel et honnouré, et bien créable, et il est bon, et le plus riche
qui soit.
Interroguée pourquoy elle ne vault aussi bien dire
et monstrer le signe dessus dit, comme elle vouit (voulut) avoir le signe de
Katherine de la Rochelle, R. Que, — se le signe de Katherine eust esté aussi
bien manstré devant notables gens d’Eglise et autres, arcevesques et evesques,
c’est assavoir devant l’arcevesque de Rains et autres évesques dont elle ne
sçait le nom (et mesmes y estoit Charles de Bourbon, le sire de la Trimaulles,
le duc d’Alençon et plusieurs autres chevaliers qui le veirent et oïrent aussi
bien comme elle voit ceulx qui parloient à elle aujaurd’huy), comme celluy
dessus dit estre monstré, — elle n’eust point demandé sçavoir le signe de
ladicte Katherine. Et toutes voies elle sçavoit au devant (antérieurement) par
saincte Katherine et saincté Marguerite, que, du fait de la dicte Katherine de
la Rochelle, ce estoit tout néant.
Interroguée se le dit signe dure encore, R. « Il est
ban à sçavoir, et qu’il durera jusques à mil ans, et oultre ». Item que ledit
signe est en trésor du ray. Interroguée ce (si) c’est or, argent ou pierre
précieuse, ou couronne, R. « Je ne vous en diray autre chose; et ne sçaroit
homme deviser aussi riche chose comme est le signe; et toutes voies le signe
qui vous fault, c’est que Dieu me délivre de vos mains, et est le plus certain
qu’il vous sçache envoyer ».
Item dit que, quant elle deust partir pour aller à
son roy, luy fut dit par ses voix: « Va hardiment; quant tu seras devers le
roy, il aura bon signe de te recepvoir et croire ».
Interroguée quant le signe vint à son ray, quelle
reverence elle y fist, et s’il vint de par Dieu: respond qu’elle n’iercia
Nostre-Seigneur de ce qui (qu’il) la délivra de la paine des clercs de par delà
qui argüoient contre elle et se agenoulla plusieurs fais.
Item dit que ung angle (ange) de par Dieu, et non de
par autre, bailla le signe à son roy; et elle en mercia moult de fais Notre
Seigneur.
Item dit que les clercs de par delà cessèrent à la
argüer, quant ilz eurent sceu ledit signe.
Interroguée se les gens d’église de par delà veirent
le signe dessus dit, R. Que quant son roy et ceulx qui estoient avec luy eurent
veu ledit signe, et mesmes l’angle (ange) qui le bailla, elle demanda à son roy
s’il estoit content; et il respondit que ouil. Et alors elle party et s’en ala
en une petite chappelle assés près et ouyt lors dire que après son portement,,
plus de trois cens personnes veirent ledit signe.
Dit outre que par l’amour d’elle, et qu’ilz la
laissassent à interroguer, Dieu vouloit permeictre que ceulx de son. party qui
veirent ledit signe, le veissent.
Interroguée se son roy et elle firent point de
reverence à l’angle (ange) quant il apporta le signe, respond que ouil, d’elle,
et se agenoulla et oulta (ôta) son chaperon.
LUNDI 12 MARS 1431
Ce jour, au logis de l’évêque de Beauvais, frère
Jean Lemaître, de l’ordre des Frères prêcheurs, reçoit avis et communication de
la teneur des lettres de commission à lui adressées par fr. J. Graverent, du
même ordre, grand inquisiteur de France, aux termes desquelles lettres ledit
fr. Jean Lemaître est commis et député à déduire et terminer, jusqu’à sentence
définitive inclusivement, la cause de Jeanne.
Dans la prison de Jeanne, furent présents: Cauchon
et 6 assesseurs.
Requise par Monseigneur l’évêque de dire la vérité,
R. « De ce qui touchera vostre procès, comme autrefois vous ay dit, je diray
voulentiers vérité. » Elle jura ainsi présents maître Thomas Fievé et Nicolas
de Hubert, ainsi que J. Carbonnier.
Interroguée ensuite par Me J. de la Fontaine,
délégué, 1e se l’ange qui apporta le signe parla point, R. Que ouil, et que il
dist à son ray que on la mist en besoigne, et que le pais serait tantoust
allégié.
Interroguée se l’angle (ange) qui apporta ledit
signe fut l’angle (ange) qui premièrement apparu à elle, ou se ce fut ung
autre, R. C’est tousjours tout ung, et oncques ne luy faillit.
Interroguée se l’angle (ange) luy a point failli, de
ce qu’elle a esté prinse, aux biens de fortune, respond qu’elle croist,
puisqu’il plaist à Nostre Seigneur; c’est le mieulx qu’elle sait prinse.
Interroguée se, ès biens de grâce, l’angle (ange)
lui a point failli, R. « Et comme me faudrait-il, quand il me conforte tous les
jours?» Et enctend cest confort, que c’est de saincte Katherine et saincte
Marguerite.
Interroguée s’elle les appelle ou s’ilz viennent
sans [être] appelés, R. Ils viennent souvent sans [être] appellés, et autre
fois s’ilz ne venaient bien tast, elle requerrait Nostre Seigneur qu’il les envoyast.
Interroguée s’elle les a aucunes fois appellées, et
ilz n’estoient point venues, R. Qu’elle n’en ault oncques besoing pour qu’elle
ne les ait.
Interroguée se sainct Denis apparut oncques à elle,
R. Que non qu’elle saiche.
Interroguée se, quant elle promist à Nostre Seigneur
de garder sa virginité, s’elle parlait à luy, R. Il debvoit bien suffire de le
prameictre à ceuix qui étaient envoyés de par luy, c’est assavoir, saincte
Katherine et saincte Marguerite.
Interroguée qui la meut de faire citer ung homme à
Toul, en cause de mariage, R. « Je ne le fecs pas citer; mais ce fut il qui me
fist citer; » et là jura devant le juge dire la vérité; et enfin qu’elle ne luy
avait poinct fait de promesse. Item dit que la première fois qu’elle oy (ouit)
sa voix, elle vo[u]a sa virginité, tant qu’il plaisait à Dieu,
Et estoit en l’aage de XIII ans ou environ. Item dit
que ses voix la asseurèrent de gaigner son procès.
Interroguée se de ces visions elle a painct parlé à
son curé ou autre homme d’église, R. Que non: mais seulement à Robert de
Baudricourt et à son roy. Et dit oult,re qu’elle ne fust poinct contraincte de
ses voix à le céler; mais doubtoit (craignait) moult de la révéler, pour doulte
des Bourguegnons, qu’ilz ne la empeschassent de’ son voyage, et par spécial
doubtoit moult son père, qu’il ne la empeschast de son véage faire.
Interroguée s’elle cuidait bien faire de partir sans
le congié de père ou mère, comme il soit ainsi que on doit honnourer père et
mère, R. Que en toutes autres choses elle a bien obéy à eulx, excepté de ce
partement, mais depuis leur en a escript, et luy ont pardonné.
Interroguée se, quant elle partit de ses père et
mère, elle cuidait painct péchier, R. « Puisque Dieu le commandoit, il le
convenoit faire. » Et dit oultre, puisque Dieu le commandait s’elle eust cent
pères et cent mères, et s’il eust été fille de roy, si (alors même) fust-elle
partie.
Interroguée s’elle demanda à ses voix qu’elle deist
à son père et à sa mère son partement, R. Que, quant est de père et de mère,
ilz estoient assés contens qu’elle leur dist, se n’eust esté la paine qu’ilz
luy eussent fait, s’elle leur eust dit; et quant est d’elle, elle ne leur eust
dit pour chose quelconque.
item dit que ses voix se raportoient à elle de le
dire àpère et mère, ou de s’en taire.
Interroguée se, quant elle vit sainct Michiel et les
angles (anges), s’elle leur faisoit reverence, Q. Que ouil; et baisait la terre
après le partement où ilz avaient repposé, en leur faisant reverence.
Interroguée se ilz estoient longuement avec elle, R.
Ilz viegnent beaucoup de fais entre les chrestiens, que on ne les voit pas ; et
les a beaucoup de fois veuz (sçus?) entre les chrestiens.
Interroguée se de sainct Michel ou de ses voix, elle
a poinct eu de lectres, R. « Je n’en ai point de congié de Vous le dire; et
entrecy et huit jours, je en respondray voulentiers ce que je sçauray. »
Interroguée se ses voix l’ont point appellée fille
de Dieu, fille de l’Eglise, la fille au grand cuer (coeur), R. Que au devant du
siège d’Orléans levé, et depuis, tous les jours, quant ilz parlent à elle,
l’ont plusieurs, fois appelée Jehanne la Pucelle, fille de Dieu.
Interroguée, puisqu’elle se dit fille de Dieu,
pourquoy elle ne dist voulentiers Pater noster, R. Elle le dist voulentiers ;
et autrefois, quant elle refusa le dire, c’estoit en intencion que Monseigneur
de Beauvès la confessast.
Troisième
interrogatoire secret
LUNDI 12 MARS, APRÈS-MIDI.
Même local, mêmes assesseurs, l’évêque absent.
Interroguée des songes de son père, R. Que quant
elle estoit encore avec ses père et mère, luy fut dit par plusieurs fois par sa
mère, que son père disait qu’il avait songé que avec les gens d’armes s’en
irait la dicte Jeanne sa fille; et en avaient grant cure ses père et mère de la
bien garder, et la tenaient en grant subjection ; et elle obeissoit en tout, si
non au procès de Toul, au cas de mariage 1.
Item dit qu’elle a ouy dire à sa mère que son père
disait à ses frères « Si je cuidoye que la chose advenjst que j’ay songié
d’elle, je vouldroye que la noyessiés et se vous ne le faisiés, je la noieraye
moy mesmes. » Et à bien peu [s’en fallut] qu’ilz ne perdissent le sens, quand
elle fut partie à nier à Vaucouleur.
Interroguée se ces pensées en songes venaient à son
père [de] puis qu’elle eust ses visions, R. Que ouit, plus de deux ans puis
qu’elle oult les premières voix.
Interroguée se ce fust à la requeste de Robert au
d’elle, qu’elle prinst abit d’omme, R. Que ce fut’ par elle et non à la
requeste d’omme du monde.
Interroguée se la voix lui commanda qu’elle prist
abit d’homme, R. « Tout ce que j’ay fait de bien, je l’ay fait par le
commandement des voix. » Et dit oultre, quand à cest habit, en respandra
autrefois, que de présent n’en est point advisée; mais demain en répondra.
Interroguée se en prenant habit d’omme, elle pensoit
mal faire, R. Que non; et encore de présent, s’elle estait, en l’autre party,
et en cest habit d’omme, lui semble que ce seroit ung des grands biens de
France, de faire comme elle faisait au devant de sa prinse.
Interroguée comme[nt] elle eust délivré le duc
1.
Un jeune homme de Toul s’était épris de Jeannette avant son départ pour
Vaucouleurs. II commença de la rechercher, et argua d’une prétendue promesse de
la jeune fille. Les parents de celle-ci, n’y voyant qu’un moyen de la détourner
de sa mission, encouragèrent les poursuites judiciaires du jeune homme qui,
nous l’avons vu dans le précédent interrogatoire, convint enfin devant le juge
« qu’elle ne luy avoit point fait de promesse ».
d’Orléans, R. Qu’elle eust assés prins de sa prinse
des Anglays pour le ravoir et sy elle n’eust assés prinse deçà, elle eut passé
la mer pour le aler querir à puissance en Angleterre.
Interroguée se saincte Marguerite et saincte
Katherine luy avaient dit, sans condicion et absolument, qu’elle prendroit gens
suffisans pour avoir le duc d’Orléans qui estoit en Angleterre, ou autrement
qu’elle passeroit la mer pour le aler querir et admener dedans trois ans.
R. Que ouil, et qu’elle dit à son roy qu’il la
laissast faire des prisonniers. Dit oultre d’elle que s’elle eust duré trois
ans sans empeschement, elle l’eust délivré.
Item dit qu’il n’y avait plus bref terme que de
trais ans et plus long que d’un an, mais n’en a pas de présent mémoire.
Interroguée du signe baillé à son roy, R. Qu’elle en
aura conseil à sainte Katherine.
Quatrième interrogatoire secret
MARDI 13 MARS 1431.
Même lieu. L’évêque de Beauvais annonce aux
assesseurs et à l’accusée que vu les lettres à lui adressées par l’inquisiteur,
fr. Jean Lemaître se joint à la cause.
Reprise de l’interrogatoire:
Interroguée premièrement du signe baillé à son roy,
quel [il] fut, R. « Estes-vous content que je me parjurasse? »
Interroguée par monseigneur le vicaire de
l’Inquisiteur s’elle avait juré et promis à saincte Katherine non dire ce
signe, R. « J’ay juré et promis non dire ce signe, et de moy-mesme, pour ce que
on m’en chargeoit trop de le dire. Et adanc dist elle-mesmes : « Je promets que
je n’en parleray plus à homme. »
Item dit que le signe, ce fut que l’angle (ange)
certifiait à son roy en luy apportant la couronne, et luy disant que il avait
tout le royaume de France entièrement à l’aide de Dieu, et moyennant son labour
(travail); et qu’il la meist en besoingne, c’est assavoir que il luy baillast
des gens d’armes, autrement il ne serait mye si tost couronné et sacré.
Interroguée se depuis hier ladicte Jehanne a parlé à
saincte Katherine, R. Que depuis elle l’a ouye; et toutes voies luy a dit
plusieurs fais qu’elle responde hardiment aux juges de ce qu’ils demanderont à
elle, touchant son procès.
Interroguée en quelle manière l’angle (ange) apporta
la couronne, et s’il la mist sur la teste de son roy, R. Elle fut baillée à un
arcevesque, c’est assavoir celui de Rajas, comme il lui semble, en la présence
du roy; et estait elle-mesmes présente; et est mise au trésor du ray.
Interroguée du lieu où elle fut apportée, R. Ce fut
en la chambre du ray, en chastel de Chinon.
Interroguée du jour et de l’eure, R. « Du jour, je
ne sçay, et de l’eure, il estoit haulte heure; » autrement n’a mémoire de
l’eure; et du moys, en moys d’avril ou de mars, comme il luy semble, en mois
d’avril prouchain ou en cest présent moys, à deux ans, et estoit après Pasques
1.
1.
La date précise de la réception de Jeanne est le 10 mars 1429, avant Pâques.
Interroguée de quelle manière estoit ladicte
couronne, R. « C’est bon assavoir qu’elle estoit de fin or, et estoit si riche
que je ne sçaroye nombrer la richesse »; et que la couronne signifiait qu’il
[ob]t[i] endrois le royaume de France.
Interroguée s’il y avait pierrerie, R. « Je vous ay
dit ce que j’en sçay.
Interroguée s’elle la mania ou baisa, R. Que non.
Interroguée se l’angle (ange) qui l’apporta venait
de hault, ou sil venoit par terre, R. « Il vient de hault; »et entend, il
venoit par le commandement de Notre-Seigneur; et entra par l’uys de la chambre.
Interroguée se l’angle (ange) venait par terre et
errait (marchait) depuis l’uys de la chambre, R. Quant il vint devant le roy,
il fit révérence au ray, en se inclinant devant lui, et prononçant les parolles
qu’elle a dictes du signe; et avec celuy ramentevoit (souvenait) la belle
pacience qu’il avait eu, selon les grandes tribulacions qui luy estoient
venues; et depuis l’uys la (porte) il marchait et errait sur la terre, en
venant au roy.
Interroguée quelle espace [y] avait de l’uys jusques
au roy, R. « Comme elle pense, il y avait bien espace de la longueur d’une
lance; et par où il estoit venu, s’en retourna. »
item dit que quant l’angle (ange) vint, elle
l’accompagna, et ala avec luy par les degrés à la chambre du roy, et entra
l’ange le premier; et puis elle-mesmes dit au roy : « Sire, velà vostre signe,
prenez lay. »
Interroguée en quel lieu il apparut à elle, R. «J’estoie
presque toujours en prière, afin que Dieu envoyast lej signe au roy; et estoie
en mon lougeis (logis), qui est chieux (chez) une banne femme près du chastel
de Chinon, quand il vint; et puis nous en alasmes ensemble au roy; et estoit
bien accompagné d’autres angles (anges)’ avec luy, que chacun ne véoit pas. »
Et dist oultre, ce n’eust esté pour l’amour d’elle et de la aster de paine des
gens que la argüoient, elle croit bien plusieurs gens veirent l’ange dessus
dit, qui ne l’eussent pas veu.
Interroguée se tous ceulx qui là estaient avec le
ray, veirent l’angle (ange), R. Quelle pense que l’arcevesque de Rains, les
seigneurs d’Alençon et de la Trémouille et Charles de Bourbon le veirent. Et
quand est de la couronne, plusieurs gens d’église et autres la veirent, qui ne
virent pas l’angle (ange).
Interroguée de quelle figure, et quel grant
(grandeur) estait ledit angle (ange), R. Qu’elle n’en a point congié et demain
en respondra.
Interroguée de ceux qui estaient en la campaignie de
l’angle, tous d’une mesme figure, R. ils se entre ressembloient volontiers les
aucuns et les autres non, en la manière qu’elle les véoit; et les aucuns
avaient elles (ailes); et si en avait de couronnés, et les autres non; et y
estoient en la compaignie sainctes Katherine et Marguerite, et furent avec
l’angle (ange) dessus dit, et les autres angles (anges) aussi, jusque dedans la
chambre du roy.
Interroguée comme celluy angle (ange) se départit
d’elle, R. Il départit d’elle en celle petite chapelle; et fut bien courroucée
de son partement, et pleurait, et s’en fust voulontiers allée avec luy, c’est
assavoir son âme.
Interroguée se au parlement elle demeura joyeuse, ou
effréée et en grand paour, R. « Il ne me laissa point en paour ne effrée; mais
estoie courroucée de son partement. »
Interroguée se ce fut par le mérite d’elle que Dieu
envoya son angle (ange), R,~Il venait pour grande chose; ce fut en espérance
que le roy creust le signe, et qu’on laissast à la argfler, et pour donner
secours aux bonnes gens d’Orléans et aussi pour le mérite du roy et du bon duc
d’Orléans.
Interroguée pourquoy elle, plus tost que ung autre,
R. « Il pleust à Dieu ainsi faire par une simple pucelle, pour rebouter les
adversaires du roy. »
Interroguée se il a esté dit à elle où l’angle
(ange) avait prins celle couronne, R. Quelle a esté apportée de par Dieu; et
qu’il n’a orfaivre en monde qui la sceust faire si belle ou si riche ; et où il
la prinst, elle s’en raporte à Dieu, et en sçait point autrement où elle fut
prinse.
Interroguée se celle couronne fleurait point bon et
avait odeur, et s’elle estoit point reluisant, R. Elle n’a point mémoire de ce;
et s’en advisera. Et après dit: elle sent bon et sentira; mais qu’elle soit
bien gardée, ainsi qu’il apartient; et estoit en manière de couronne.
Interroguée se l’angle (ange) luy avait escript
lectres, R. Que non.
Interrogée quel signe eurent le ray, les gens qui
estoient avec luy, et elle, de croire que c’estoit ung angle (ange), R. Que le
roy le creust par l’anseignement des gens d’église qui là estoient, et par le
signe de la couronne.
Interroguée comme[nt] les gens d’église sceurent que
c’estoit ung angle (ange), R. « Par leur séance et par ce qu’ilz estoient
clercs. »
Interroguée d’un prêtre concubinaire, etc., et d’une
tasse perdue, répond : « De tout ceje n’en sçayrien, ne oncques n’en ouy
parler. »
Interroguée se, quand elle nia devant Paris, se elle
l’eust par révélacion de ses voix de y aler, R. Que non; mais à la requeste des
gentilzhommes, qui voulaient faire une escarmouche ou une vaillance d’armes, et
avait bien entencion d’aler oultre et passer les fossés.
Interroguée aussi d’aler devant La Charité s’elle
eust révélacion, R. Que non; mais par la requeste des gens d’armes, ainsi comme
autrefois elle a dit.
Interroguée du Pont-l’Evesque, s’elle eust point de
révélacion, R. Que [de]puis ce qu’elle oult révélacion à Melun qu’elle serait
prinse, elle se raporta le plus du fait de la guerre à la voulenté des
cappitaines; et toutes voies ne leur disait point qu’elle avait révélacion
d’estre prinse.
Interroguée se ce fut bien fait, au jour de la
Nativité de Notre-Dame qu’il estoit feste, de aller assaillir Paris, R. t’est
bien fait de garder les festes de Notre-Dame; et en sa conscience luy semble
que c’estoit et serait bien fait de garder les festes de Notre-Dame, depuis ung
bout jusques à l’autre.
Interroguée s’elle dist point devant la ville de
Paris « Rendez la ville de par Jhesus ». R. Que non; mais dist:
« Rendez-la au roi de France. »
14 MARS 1431.
Le mercredi quatorze mars, fr. Jean Lemaître nomme à
l’office de greffier Nicolas Taquel, prêtre du diocèse de Rouen, notaire
impérial.
Cinquième
interrogatoire secret.
A la prison,
l’évêque absent.
Interroguée premièrement quelle fut la cause pour
quoy elle saillit de la tour Beaurevoir, R. Qu’elle avait ouy dire que ceulx de
Compiègne, tous jusques à l’ange de sept ans, devaient estre mis à feu et à
sanc, et qu’elle aymait mieulx mourir que vivre après une telle destruction de
bonnes gens; et fut l’une des causes. L’autre qu’elle sceust qu’elle estoit
vendue aux Angloys, et eust eu plus cher mourir que d’estre en la main des
Angloys, ses adversaires.
Interroguée se ce sault, ce fut du conseil de ses
voix, R. Saincte Katherine luy disoit presque tous les jours qu’elle ne
saillist point, et que Dieu luy aideroit, et mesmes à ceulx de Compiègne; et
ladicte Jehanne dist à saincte Katherine, puisque Dieu aiderait à ceulx de
Compiègne, elle y voulait estre. Et saincte Katherine luy dist: « Sans faulte,
il fault que prenés en gré, et ne seriés point délivrée tant que aiés veu le
roy des Anglais. Et la dicte Jehanne répandait : « Vrayement ! je ne le
voulsisse point vair : j’aymasse mieulx mourir que d’estre mise en la main des
Angloys »
Interroguée s elle avait dit à saincte Katherine et
saincte Marguerite : Laira Dieu (Dieu laissera-t-il) mourir si mauvaisement ces
bonnes gens de Compiègne, etc. ? » R. Qu’elle n’a point dit si mauvaisement;
mais leur dist en celle manière: « Comme[nt] laira Dieu mourir ces bannes gens
de Compiègne, qui ont esté et sont si loyaulz à leur seigneur ! »
Item dit que, [de]puis qu’elle fut cheue, elle fut
deux ou trois jours qu’elle ne voulait mengier, et mesmes aussi pour ce sault
fut grevée tant, qu’elle ne pavait ne boire ne mangier; et toutes voies fut
reconfortée de saincte Katherine, qui luy dit qu’elle se confessast, et
requérist mercy à Dieu de ce qu’elle avait sailli; et que sans faulte ceux de
Compiègne araient secours dedans la Saint-Martin d’yver. Et adoncque se prinst
à revenir, et à commencer à mangier; et fut tantoust guérie.
Interroguée, quant elle saillit, s’elle se cuidait
tuer, R. Que non, mais en saillant se recommanda à Dieu, et cuidait par le
moyen de ce sault, eschaper et évader qu’elle ne fust livrée aux Angloys 1.
Interroguée se, quant la parolle luy fut revenue
elle regnoia et malgréa (renia et maugréa) Dieu et ses sains, pour ce que ce
est trouvé par l’information, comme disait l’interrogant. R. Qu’elle n’a point
de mémoire ou qu’elle soit souvenant, elle ne regnoia au malgréa oncques Dieu
ou ses sains, en ce lieu ou ailleurs ; et ne s’en est point confessée, quar
elle n’a point de mémoire qu’elle l’ait dit ou fait.
Interroguée s’elIe s’en veult raporter à
l’informacion faicte ou à faire, R. « Je m’en raporte à Dieu et non à aultre,
et à bonne confession. »
Interroguée se ses voix luy demandent dilacion de
respondre, R. Que saincte Katherine iuy respond à la fois, et aucunes fais
fault ladicte Jehanne à entendre, pour la turbacion des personnes et par les
noises (dis. putes) de ses gardes; et quant elle fait requeste à saincte
Katherine et tantoust elle et sainte Marguerite font requeste à Notre-Seigneur,
et puis du commandement de Notre.Seigneur donnent responce à la dicte Jehanne.
Interroguée, quant elles viennent, s’il y a lumière
avec elles, et s’elle vit point de lumière, quant elle oyt en chastel la voix,
et ne sçavoit s’elle estoit en la chambre,
R. Qu’il n’est jour qu’ilz (qu’elles) ne viennent en
ce chastel, et [ain]si ne viennent point deux lumières ; et de celle fois ayt
la voix, mais n’a point mémoire s’elle vit lumière, et aussi s’elle vit saincte
Katherine.
Item dit qu’elle a demandé à ses voix trois choses
l’une son expedicion ; l’autre que Dieu aide aux Français et garde bien les
villes de leur obéissance ; et l’autre le salut de son âme.
Item requist, se ainsi est, qu’elle soit menée à
Paris, qu’elle ait le double de ses interrogatoires et respances, afin qu’elle
le baille à ceulx de Paris, et leur puisse dire « Vécy comme j’ayesté
interroguée à Rouen, et mes responces» etqu’elle ne sait plus travaillée de
tant de demandes.
Interroguée pour ce qu’elle avait dit que
Monseigneur de Beauvez ce mectoit (se mettait) en danger de la meictre en
cause, et quel danger, et tant de Monseigneur de Beauvais que des autres, R.
Quar (que) c’estoit, et est, qu’elle dist à Monseigneur de Beauvez : « Vous
dictes que vous estes mon juge, je ne scay se vous l’estes ; mais advisez bien
que ne jugés (jugiez) mal, [attendu] que vous vous mectriés en grant danger ;
et vous en advertis, afin que se Notre-Seigneur vous en chastie, que je fais
mon debvoir de vous le dire. »
1.
Jeanne ne s’étoit pas lancée dans l’espace, mais elle se laissa choir, dit
l’interrogatoire suivant et, en effet, un texte apprend qu’elle avait fait des
draps un lien attaché à sa fenêtre et communiquant avec le sol.
Interroguée quel est ce péril au danger, R. Que
saincte Katherine Iuy a dit qu’elle aurait secours, et qu’elle ne sçait se ce
sera estre délivrée de la prison, ou quant elle serait en jugement, s’il y
vendrait aucun trouble, par quel moien elle pourrait estre délivrée ; et pense
que ce sait ou l’un ou l’autre. Et le plus luy dient ses voix: qu’elle sera
délivrée par grant victoire ; et après luy dient ses voix: Pran (prends) tout
en gré, ne te chaille (soucie) de ton martire, tu t’en vendras enfin en
royaulme de paradis » Et ce luy dient ses voix simplement et absoluement, c’est
assavoir sans faillir; et appelle ce, martire, pour la paine et adversité
qu’elle souffre, en prison, et ne sçait se plus grand souffrera, mais s’en
actent (rapporte) à Nostre-Seigneur.
Interroguée se depuis que ses voix luy ont dit
qu’elle ira en la fin au royaulme de paradis, s’elle se tient asseurée d’estre
sauvée, et qu’elle ne sera point dampnée en enfer, R. Qu’elle croist ce que ses
voix luy ont dit qu’elle sera saulvée aussi fermement que s’elle y fust jà. Et
quant on luy disait que ceste responce estoit de grant pois, aussi respond elle
qu’elle le tient pour ung grant trésor.
Interroguée se après ceste révélacion, elle craist
qu’elle ne puisse faire péchié mortel, R. « Je n’en sçay rien, mais m’actend du
tout à Notre-Seigneur.»
Et quant à cest article, par ainsi qu’elle tiègne le
sérement et promesse qu’elle a fait
1.17. TRENTE-UNIÈME SÉANCE DU PROCÈS
DIMANCHE DE LA. PASSION, 18 MARS.
Les écritures
du procès sont communiquées aux assesseurs à la fin de l’es étudier et
examiner.
TRENTE-DEUXIÈME
SÉANCE
JEUDI 22 MARS.
On décide qu’il sera rédigé un résumé par articles.
TRENTE-TROISIÈME SÉANCE
SAMEDI 24 MARS.
Dans la
prison de Jeanne, en présence de l’évêque, du vice-inquisiteur et six
assesseurs, le greffier Guillaume Manchon donne lecture en langue française à
Jeanne du registre des interrogatoires et réponses.
Pendant ladite lecture Jeanne dit que son surnom
était d’Arc ou Rommée et que dans son pays les filles portaient le nom de leur
mère. Elle ajouta qu’on lût tout de suite les demandes et les réponses, et que
ce qui serait lu sans contradiction de sa part elle le tenait pour vrai et
confessé.
Sur l’article de prendre l’habit de femme, elle dit:
« Donnez-moi une robe de femme pour aller chez ma
mère, et je m’en habillerai ». Elle dit cela pour être mise dehors, et qu’une
fois dehors elle aviserait à ce qu’elle aurait à faire.
Finalement, après lecture elle confessa qu’elle
croyait avoir dit tout ce qui venait d’être lu, sans y contredire,
TRENTE-QUATRIÈME
SÉANCE
DIMANCHE 25 MARS.
A la demande formulée plusieurs fois par Jeanne et
renouvelée la veille d’ouïr la messe en raison de la solennité des Rameaux,
l’évêque et ses assesseurs apposent l’obligation de revêtir l’habit de femme
tel que le partent les femmes du lieu de sa naissance. Jeanne réitère sa
demande d’entendre la messe avec ses vêtements d’homme et de recevoir
l’eucharistie le jour de Pâques. A trois objurgations nouvelles elle répond
qu’elle ne peut quitter encore l’habit d’homme. « Il lui fut dit enfin qu’elle
se consultât avec ses voix pour se remettre en femme, afin de pouvoir communier
à Pâques. R. Qu’elle ne communiera pas en cette condition. Elle prie qu’on la
laisse entendre la messe dans l’habit qu’elle porte, cet habit ne changeant pas
son âme et n’ayant rien de contraire à l’Eglise ».
PROCÈS ORDINAIRE
JUGEMENT ET MONITIONS
LUNDI 26 MARS.
Il est décidé que le lendemain commencera le procès
ordinaire suivant le procès préparatoire.
Le promoteur Jean
d’Estivet expose san réquisitoire et remet au tribunal l’acte d’accusation. La
requête est mise en délibération aussitôt en présence de Jeanne.
L’évêque offre ensuite à ladite Jeanne de lui
désigner et attribuer un conseil.
« A quoi ladite Jehanne respondit: Premièrement de
ce que [vous m’] admonnestez [pour] mon bien et de nostre foy, je vous mercye
et à toute la compagnie aussi. Quant au conseil que me offrés, aussi je vous
mercye, mais je n’ay point de intencion de me départir du conseil de Notre-Seigneur.
Quant au sèrement que voulés que je face, je suis preste de jurer dire vérité
de tout ce qui touchera vostre procès. Et elle jura en touchant les saints
évangiles. »
Maître Thamas de Courcelles commence l’exposé des
articles ou lecture de l’acte d’accusation, en français. Cette lecture occupe
les Séances du mardi 27 et du mercredi 28 mars. Il requiert que par l’évêque et
le vice-inquisiteur « ladite Jeanne soit prononcée et déclarée sorcière et
sortilège, devineresse, fausse prophétesse, invocatrice et conjuratrice des
malins esprits, superstitieuse, impliquée et adonnée aux arts magiques, mal
sentant dans et de notre foy catholique, schismatique en l’article [du droit
canon] Unam sanctam 1 et plusieurs autres; douteuse, déviée, sacrilège, idolâtre,
apostate de la foi; maldisante et malfaisante, blasphématrice envers Dieu et
ses saints; séditieuse, perturbatrice et impéditive de la paix, excitatrice aux
guerres, cruellement avide de sang humain et incitatrice à le répandre;
abandonnant sans vergogne toute décence et convenance de son sexe, usurpant
impudemment un habit difforme et l’état d’homme d’armes ; par ces motifs et
autres, abominable à Dieu et aux hommes; prévaricatrice des lois divine,
naturelle, et de la discipline de l’Eglise ; séductrice de princes et de
populaires, en permettant et consentant, au mépris et dédain de Dieu, qu’elle
fust vénérée et adorée; en donnant ses mains et ses vêtements à baiser;
usurpatrice du culte et des honneurs divins; hérétique ou du moins
véhémentement suspecte d’hérésie ; et que sur et pour ces faits, conformément
aux sanctions divines canoniques, elle soit punie et corrigée ».
Nous ne pouvons reproduire cet acte d’accusation qui
n’est qu’un perpétuel mensonge. Les réponses de Jeanne s’y trouvent travesties
avec une impudence qui confond.
Nous allons en citer un passage pris au début. Qu’on
se rappelle l’interrogatoire public du 24 février et les dépositions des
témoins dont nous l’avons fait suivre, on verra alors ce que devient la cause
présentée par le promoteur.
« Item ladite Jeanne avait coutume de fréquenter
lesdits arbre et fontaine [de Domremy] et souvent de nuit; quelquefois de jour,
principalement aux heures des offices, afin d’y être seule; elle a pris part à
des rondes qui s’opéraient en dansant à l’entour; ensuite elle appendait aux
branches de l’arbre des guirlandes formées de diverses herbes et fleurs, en
disant et chantant auparavant, ainsi qu’après, certains poèmes et chansons,
accompagnés d’invocations, sortilèges et de maléfices; desquelles guirlandes le
lendemain matin il ne se retrouvait plus rien ».
Devant cette explosion d’inepties, Jeanne répond
tranquillement « qu’elle s’en réfère à sa réponse précédente [qu’elle n’en a
jamais rien su ni rien fait] ; quant au reste de ce qui est contenu audit
article, nie ».
Nous ferons comme Jeanne, nous écarterons ce ramas
dans lequel la niaiserie le dispute à l’impudence, et nous ne relèverons que
quelques réponses qui ajoutent une lumière au procès et à la psychologie de la
jeune fille.
Requise de dire le Credo. R. Demandez à mon
confesseur à qui je l’ai dit.
L’honnêteté féminine, prohibées par la loi divine,
abominables à Dieu et aux hommes et interdites par les sanctions
ecclésiastiques sous peine d’excommunication; comme de revêtir des habits
d’homme courts, brefs et dissolus, tant en vêtement de dessous et chausses, que
autres. D’après le même précepte, elle a mis quelquefois des vêtements
somptueux et pompeux, d’étoffes précieuses et drap d’or, de fourrures, et non
seulement elle s’est habillée de robes courtes (huques), mais aussi de tabards
(paletots flottants) et de robes fendues de chaque côté. Il est notaire qu’elle
fut prise portant une huque de drap d’or ouverte de chaque côté, coiffée de
chapeaux ou bonnets d’hommes ; les cheveux tondus en rond à la manière des,
hommes; généralement et au mépris de la vergogne de son sexe, et non seulement
elle s’est habillée d’une manière qui blessait toute pudeur féminine, mais même
celle qui convient à des hommes bien morigénés; elle a usé de tous les affublements
et vêtements par lesquels se distinguent les hommes les plus dissolus ; et cela
en portant aussi des armes invasives... R. « Vous en estes assés respondus. »
1.
Il s’agit d’une décrétale de Boniface VIII. Elle fait partie des «
Extravagantes».
TRENTE-NEUVIÈME SÉANCE
SAMEDI SAINT, 31 MARS.
Interrogatoire
dans la prison sur divers points touchant lesquels Jeanne avait différé de
répondre.
1° Interroguée s’elle se veult rapporter au jugement
de l’Eglise qui est en terre, de tout ce qu’elle a dit on fait, soit bien ou
mal, spécialement des cas, crimes et délia que on luy impute, et de tout ce qui
touche son procès,
R. Que de ce que on luy demande elle s’en raportera
à l’Eglise militante, pourveu que elle ne iuy commande chose impossible à
faire. Elle appelle ce qu’elle répute impossible, c’est que les fais qu’elle a
diz et fais, déclairez au procès des visions et révélacions qu’elle les a
faictes de par Dieu, et ne les révoquera pour quelque chose ; et de ce que
Notre Sire luy a fait faire et commandé et commandera, et ne le lesra pour
homme qui vive, et luy seroit impossible de les révoquer. Et en cas que
l’Eglise lui vouldroit faire faire autre chose au contraire des commandements
qu’elle dit à luy fait, elle ne le ferait pour quelque chose.
Interroguée se l’Eglise militant luy dit que ses
revelacions sont illusions ou choses dyaboliques, au supersticions, ou
mauvaises choses, elle s’en raportera à l’Eglise, R. Qu’elle raportera à Nostre
Seigneur, duquel elle fera toujours le commandement, et qu’elle sçait bien que
ce qui est contenu en son procès, qu’il est venu par le commandement de Dieu ;
et ce qu’elle a affermé [au]dit procès avoir fait du commandement de Dieu, luy
serait impossible faire le contraire. Et en cas que l’Eglise militante luy
commanderait faire le contraire, elle ne s’en rapporterait à homme du monde,
fors à Nostre Seigneur, qu’elle ne feist tousjours son bon commandement.
Interroguée s’elle croist point qu’elle soit
subjecte à l’Eglise qui est en tout, c’est assavoir à nostre saint père le
pape, cardinaulx, arcevesques, évesques et autres prélas d’Eglise, R. Que ouil,
Nostre Sire premier servi.
Interroguée s’elle a commandement de ses voix
qu’elle se submecte point à l’Eglise militant, qui est en terre, ni au jugement
d’icelie, R. Qu’elle ne respond chose qu’elle prengne en sa teste, mais ce
qu’elle respand, c’est du commandement d’icelle ; et ne commande point qu’elle
ne obéisse à l’Eglise, Nostre Sire premier servi.
Interroguée se à Beaurevoir et Arras, on ailleurs,
elle a point eu de limes, respond « Se on en a trouvé sur moy, je ne vous ay
autre chose à respondre. »
Cela fait, nous nous sommes retirés.
SÉANCES 40e, 41e ET 42e
2, 3, 4 AVRIL 1431.
Il est fait
un résumé de l’accusation sous forme de douze articles qui comprennent sommairement
et compendieusement beaucoup des dits et assertions de l’accusée.
QUARANTE-TROISIÈME SÉANCE
5 AVRIL 1431.
Les douze
articles destinés à servir de base aux consultations et à la condamnation sont
transmis aux consulteurs, mais non à l’accusée. Certains commandements qu’on
avait jugé convenable d’y introduire furent omis, ainsi qu’il ressort d’une
pièce produite par le greffier Manchon au procès de réhabilitation, laquelle
pièce contient les corrections et additions proposées.
ARTICLE I. — Et d’abord une femme dit et affirme
que, lorsqu’elle avait treize ans ou environ, elle a vu de ses yeux corporels
saint Michel qui la consolait et quelque fois saint Gabriel, lesquels tous deux
lui apparurent en effigie corporelle, Quelquefois aussi elle vit une grande
multitude d’anges. Depuis, saintes Catherine et Marguerite se sont fait voir
corporellement à cette femme. Elle les voit chaque jour, entend leurs voix, les
a embrassées et baisées, les touchant sensiblement et corporellement. Elle a vu
les têtes desdits anges et saintes ; d’autres parties de leur personne, ou de
leurs vêtements, elle n’a rien voulu dire. Lesdites saintes lui ont plusieurs
fois parlé près d’une fontaine, située près d’un grand arbre, appelé
communément l’arbre des fées. La renommée court au sujet de ces arbres et
fontaine que les dames fées les hantent et que des fiévreux y vont, quoique ce
soit profane, pour recouvrer la santé. Là et ailleurs elle a révéré lesdites
saintes et leur a fait révérence.
De plus, elle dit que ces saintes apparaissent et se
montrent à elle couronnées de couronnes très belles et précieuses. Depuis ce
moment, et à plusieurs reprises, elles disent à cette femme, par ordre de Dieu,
qu’il lui fallait se rendre auprès d’un prince séculier, promettant que par la
main de cette femme et de son assistance ledit prince recouvrerait à force
d’armes un grand domaine temporel, ainsi que sa glaire mondaine, et aurait
victoire de ses adversaires; que ce prince la recevrait et lui donnerait à cet
effet un commandement militaire. Elles lui prescrivirent, de la part de Dieu,
de s’habiller en homme, ce qu’elle a fait et continue si persévéramment qu’elle
a déclaré aimer mieux mourir que de quitter cet habit. Elle a fait cette
déclaration tantôt pure et simple, tantôt en ajoutant: à moins d’un exprès
commandement de Dieu. Elle a également préféré être privée des sacrements et de
l’office divin en temps prescrit par l’Eglise, plutôt que de quitter l’habit
d’homme et prendre celui de femme. Ces saintes l’auraient également favorisée
pour s’éloigner, âgée de dix-sept ans, de la maison paternelle, à l’insu et
contre le gré de ses parents, pour se mêler aux gens d’armes, vivant avec eux
de jour et de nuit, sans avoir jamais, ou rarement, aucune femme auprès d’elle.
Les mêmes saintes lui ont dit et prescrit beaucoup
d’autres choses, pour lesquelles elle se dit envoyée par Dieu et par l’Eglise
triomphante, l’Église victorieuse des saints qui jouissent déjà de la
béatitude, auxquels elle, soumet toutes ses louables actions. Quant à l’Eglise,
elle a différé et refusé de s’y soumettre, elle, ses dits et faits quoiqu’elle
ait été impérativement avertie et requise; disant qu’il lui était impossible de
faire le contraire de ce qu’elle a affirmé dans son procès, par ordre de Dieu,
et qu’elle ne s’en rapportera à la détermination ou jugement d’aucun être
vivant. Elles lui ont, dit-elle, révélé qu’elle obtiendra la glaire des
bienheureux avec le salut de son Lime, si elle garde sa virginité, qu’elle leur
a vouée la première fois qu’elle les a vues et entendues.
ARTICLE II. — Item elle dit que son prince a été
instruit par un signe, de sa mission. Ce signe fut que saint Michel s’approcha
dudit prince, en compagnie d’une multitude d’anges, les uns couronnés, les
autres ailés, ainsi que saintes Catherine et Marguerite. L’ange et cette femme
marchaient ensemble sur terre par les chemins, les escaliers et la chambre, ‘tout
le long du parcours, suivis des autres anges ou saintes. Un ange remit audit
prince la couronne très précieuse d’or, et s’inclina devant lui en faisant
révérence. Une fois elle a dit que lors de cette réception merveilleuse son
prince était seul, ayant seulement de la compagnie à quelque distance; une
autre fois, à ce qu’elle croit, un archevêque reçut le signe ou couronne et le
transmit audit prince en présence et à la vue de divers seigneurs laïques.
ARTICLE IV. — Item elle a reconnu et constaté que
celui qui la visite est saint Michel, par le bon conseil, le réconfort, la
banne doctrine qu’il lui donne et fait; aussi parce qu’il se nomme et dit: « Je
suis saint Michel.» Semblablement, elle connaît distinctement l’une et l’autre
saintes Catherine et Marguerite, parce qu’elles se nomment et la saluent. C’est
pourquoi elle croit en saint Michel qui lui apparaît ainsi. Elle écrit que les
paroles dudit saint sont bonnes et vraies, comme elle croit que Notre-Seigneur
Jésus-Christ a souffert et est mort pour notre rédemption.
ARTICLE V. — Item elle dit et affirme qu’elle est
sûre, de certains événements futurs et pleinement contingents, qu’ils
arriveront, comme elle est certaine de ce qu’elle voit actuellement devant
elle. Elle se vante d’avoir et avoir eu connaissance de choses cachées, par les
révélations verbales de ses voix : par exemple, qu’elle sera délivrée des
prisons et que les Français feront en sa compagnie un fait plus beau qu’il n’a
jamais été fait par toute la chrétienté. Elle a connu par révélation, sans
autre instruction, des gens quelle n’avait jamais vus; elle a révélé et
manifesté une épée cachée.
ARTICLE V. — Item elle dit et affirme que du
commandement de Dieu et de son bon plaisir elle a pris, porté, continuellement
porte et revêt habit d’homme. Depuis elle a dit: que Dieu lui ayant ordonné de
porter l’habit d’homme, il lui fallait avoir robe courte, chaperon, gippon,
braies et chausses à aiguillettes, cheveux coupés en rond au-dessus des
oreilles, ne gardant rien de son sexe que ce que la nature lui a donné. Dans
cet habit elle a reçu plusieurs fois l’Eucharistie. Elle a refusé de le quitter
comme il est dit ci-dessus. Elle a ajouté que si elle retournait en habit
d’homme et armée comme avant sa prise, ce serait le plus grand des biens qui pût
advenir au -royaume de France; que pour rien au monde elle ne s’engagerait à ne
pas le faire, obéissant à Dieu et à ses ordres.
ARTICLE VI. — Item elle confesse et affirme qu’elle
a fait écrire beaucoup de lettres, dont quelques-unes portaient ces noms Jhesus
Maria, avec le signe de la croix, Quelquefois elle mettait une croix et alors
elle ne voulait pas que l’on fît ce que mandait la dépêche. En d’autres elle
dit qu’elle ferait tuer ceux qui n’obéiraient pas, et que « l’on verrait aux
coups de quel côté est le droit divin du ciel ». Souvent elle dit qu’elle n’a
rien fait que par révélation et ordre de Dieu,
ARTICLE VII. — Item elle dit et confesse que, à
l’âge de dix-sept ans environ, elle, spontanément et par révélation, alla
trouver un écuyer qu’elle n’avait jamais vu ; quittant ainsi la maison
paternelle contre la volonté de ses parents qui demeurèrent presque fous à la
première nouvelle de son départ. Elle le requit de la conduire ou faire
conduire, au prince susdit. L’écuyer, capitaine alors, lui donna sur sa demande
un costume masculin, ainsi qu’une épée, et la fit conduire par un chevalier,
son écuyer et quatre compagnons d’armes. Arrivés devant le prince, elle lui dit
qu’elle voulait guerroyer contre ses adversaires. Elle lui promit de le mettre
en grande domination, qu’elle vaincrait ses ennemis et qu’elle était envoyée du
ciel. La prévenue affirme qu’en agissant ainsi elle a bien fait et par
révélation divine.
ARTICLE VIII. — Item dit et confesse que elle-même,
personne ne la contraignant ni forçant, se précipita d’une tour très haute,
préférant mourir plutôt que de se voir livrée aux mains de ses adversaires et
que de survivre à la destruction de Compiègne. Dit aussi qu’elle ne put se
soustraire à cette action; et cependant saintes Catherine et Marguerite
susdites le lui avaient défendu, et elle dit que c’est grand péché de les
offenser. Mais elle sait bien, dit-elle, que ce péché lui a été remis depuis
qu’elle s’en est confessée. Elle dit en avoir eu révélation.
ARTICLE IX. — Item que lesdites saintes lui
promirent de la conduire au paradis, si elle conservait bien la virginité
qu’elle leur a vouée, tant de corps que d’âme. Elle en est aussi sûre que si
elle était déjà dans la gloire des bienheureux. Elle ne pense pas avoir fait
acte de péché mortel, car, à son avis, si elle y était, saintes Catherine et
Marguerite ne la visiteraient pas comme elles font chaque jour.
ARTICLE X. — Item que Dieu aime certains [princes]
déterminés et nommés encore errants, et les aime plus qu’il n’aime ladite
femme. Elle le sait par révélation desdites saintes, qui lui parlent français
et non anglais, n’étant pas du parti de ces derniers. Depuis qu’elle a su par
révélation que ses voix étaient pour le prince susdit, elle n’a pas aimé les
Bourguignons.
ARTICLE XI. — Item qu’elle a plusieurs fais fait
révérence aux voix et esprits susdits, qu’elle appelle Michel, Gabriel,
Catherine et Marguerite, se découvrant la tête, fléchissant les genoux, baisant
la terre sous leurs pas, leur vouant sa virginité, quelquefois embrassant, baisant
Catherine et Marguerite. Elle les a touchées sensiblement et corporellement,
leur a demandé conseil et secours, les a invoquées ; quoique non invoquées,
elles la visitent souvent. A acquiescé et obéi à leurs conseils et
commandements, et cela dès le principe, sans demander Conseil à quiconque, tel
que père, mère, curé, prélat au autre ecclésiastique. Néanmoins, croit
fermement que sesdites révélations viennent de Dieu et par son ordre. Elle le
croit aussi fermement que la foi et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a souffert
et est mort pour nous; ajoutant que si un malin esprit lui apparaissait, qui
feignît être saint Michel, elle saurait bien discerner s’il est saint Michel,
ou non. Dit que sans être contrainte ou requise aucunement, elle a juré à saintes
Catherine et Marguerite, qui lui apparaissent, qu’elle ne révélerait pas le
signe de la couronne à donner au prince vers qui elle était envoyée. A la fin
ajoute : à mains de permission de le faire.
ARTICLE XII. — Item que si l’Eglise lui commandait
d’agir contre le précepte qu’elle dit avoir reçu de Dieu, elle ne le ferait pas
pour chose quelconque, affirmant que ses actes incriminés sont l’oeuvre de Dieu
et qu’il lui serait impossible de faire le contraire. Elle ne veut s’en référer
là-dessus à la détermination de l’Eglise militante ni d’aucun homme du monde,
mais seulement à Notre-Seigneur Dieu, dont elle accomplira toujours les
préceptes, principalement en ce qui concerne ces révélations et les actes qui
lui ont été ainsi inspirés. Dit qu’elle n’a pas pris sur sa tête ces réponses,
mais par les préceptes de ses voix et par leurs révélations. Lui a été
cependant plusieurs fais déclaré par les juges et autres présents l’article
Unam sanctam Ecclesiam catholicam, en lui exprimant que tout fidèle accomplissant
le voyage d’ici-bas est tenu d’y obéir, de soumettre ses faits et dits à
l’Eglise militante, principalement en matière de foi et qui touche à la
doctrine sacrée, ainsi qu’aux sanctions de l’Eglise.
QUARANTE-QUATRIÈME
SÉANCE
JEUDI 12 AVRIL 1431.
Sur les douze
articles précités ont délibéré en la chapelle du logis épiscopal les seize
docteurs et six bacheliers en théologie dont les noms suivent: Erard Ermengard
président, Jean Beaupère, Guillaume Lebouchier, Jean de Touraine, Nicolas Midi,
P. de Miget, prieur de Longueville, M. du Quesnoy,J. deNibat, P. deHoudenc, J.
Lefèvre ou Fabri, P. Maurice, Guill. Théraade, G. Feuillet, Richard Dupré et
Jean Charpentiers, docteurs; — G. Haiton, N. Coppequesne, Is. de la Pierre, Th.
de Courcelles, bachéliers; — Raoul Sauvage, licencié ; —N. Loyseleur, maître ès
arts.
Les susdits ont délibéré ce qui suit:
« Nous disons que, ayant diligemment considéré,
conféré et pesé la qualité de la personne, ses dits, faits, apparitions, la
fin, la cause, leurs circonstances, et tout ce qui est contenu dans les
documents communiqués, il est à penser que ces apparitions et révélations
qu’elle se vante et affirme avoir eues de Dieu, par les anges et les saintes,
n’ont pas eu lieu comme il vient d’être dit, mais que ce sont bien plutôt des
fictions d’invention humaine en procédant du malin esprit ; qu’elle n’a pas eu
des signes suffisants pour y croire et savoir; qu’il y a dans lesdits articles
des mensonges fabriqués ; des invraisemblances légèrement admises par cette
femme; des divinations superstitieuses ; des actes scandaleux et irréligieux;
des dires téméraires, présomptueux, pleins de jactance ; blasphèmes envers Dieu
et les saints
impiété envers les parents ; quelques-uns non
conformes au précepte d’aimer son prochain ; idolâtrie ou au moins fiction
erronée ; propositions schismatiques de l’unité, de l’autorité et du pouvoir de
l’Eglise ; malsonnantes et véhémentement suspectes d’hérésie.
« En croyant que ses apparitions sont saints Michel,
Catherine et Marguerite, en croyant que leurs dits et faits sont bans comme
elle croit en la foi chrétienne, elle mérite d’être tenue pour suspecte d’errer
en la foi, car si elle entend que les articles de la foi ne sont pas plus sûrs
que ses visions, elle erre en la foi. Dire aussi, comme dans les articles V et
I, qu’en ne recevant pas les sacrements, etc., elle a bien fait, c’est
blasphémer Dieu et errer en la foi ».
La délibération des docteurs sert de base à celles
d’autres gens d’Eglise dont les adhésions se succèdent à partir du 13avril.
Denis Gastinel, chanoine, estime que « l’inculpée
est infectée, suspecte en la foi,, véhémentement erronée,. schismatique,
hérétique, entachée de doctrine perverse, contraire aux bannes moeurs, à la
décision de l’Eglise, aux conciles généraux, saints canons, lais civiles,
humaines ou politiques ; séditieuse, injurieuse à Dieu, à l’Eglise et à tous.
les fidèles ;... Si elle s’amende... la prévenue doit être abandonnée au bras
séculier pour expier son crime. Si elle abjure, qu’il lui soit accordé le
bénéfice de l’absolution ; et, selon la coutume, qu’elle soit renfermée en
prison, nourrie du pain de douleur et de l’eau d’angoisse pour pleurer ses
fautes et ne plus les commettre. »
Jean Basset, chanoine, official de Rouen, adresse
une consultation tout à fait normande : « Je n’ai que peu ou rien à dire sur
une matière si grande en la foi, si ardue, si difficile, surtout en ce qui
touche les révélations. Toutefois, sauf protestation, et sous votre correction,
voici ce que je crois devoir dire:
« Sur les révélations, ce que dit cette femme est
divinement passible; mais comme elle n’en justifie pas par miracles avérés ni
par le témoignage de la sainte Ecriture, elle ne doit pas être crue. »
Le reste est à l’avenant.
Gilles, abbé de Fécamp. « Vous désirez avoir ma délibération.
Mais après tant et de tels docteurs, que leurs pareils ne sont peut-être pas
trouvables dans l’univers, que peut concevoir mon ignorance ou mon élocution
inérudite enfanter? A peu près rien. Je m’arrête donc avec eux tous en tout ;
j’adhère à leurs délibérations, en y ajoutant mes protestations et soumissions
préalables et accoutumées. »
QUARANTE-CINQUIÈME SÉANCE
MERCREDI 13 AVRIL 1431.
J. Guesdon, dominicain.., s’associe aux théologiens
réunis au logis de l’évêque.
Jean Maugier, chanoine, qualifie l’opinion des mêmes
théologiens « bonne, juste, sainte, plausible, conforme aux sacrés canons, aux
sanctions canoniques, aux sentences de nos docteurs ».
Jean Brullot, chanoine et chantre, « attendu les
motifs qui le doivent rattacher à l’opinion de mes maîtres et supérieurs
unanimes et nombreux », attendu quelques autres raisons assurément de moindre
prix, acquiesce à l’opinion des théologiens.
Nicolas de Vendères, archidiacre d’Eu. « Dis et
tiens que messeigneurs et maîtres ont bien, pieusement et doucement procédé. »
Gilles Deschamps, chanoine ; Nicolas Caval,
chanoine; Robert Barbier, chanoine; Jean Alépée, chanoine ; Jean Hulot de
Châtillon, chanoine; Jean de Bonesque, aumônier de l’abbaye de Fécamp ; Jéan
Guarin, chanoine; le vénérable chapitre de l’Eglise de Rouen ; Aubert Morel et
Jean du Chemin, avocats de la cour de l’officialité de Rouen ; onze avocats de
la cour de Rouen ; Philibert de Montjeu, évêque de Cautances; Zanon de
Castiglione, évêque de Lisieux; Nicolas, abbé de Jumièges; Guillaume, abbé de
Cormeilles, et plusieurs autres font preuve de la même servilité et réclament
des peines ou moins sévères.
Toutes ces consultations se placent entre le 13
avril et le 13 mai. Deux d’entre elles méritent une particulière attention :
c’est d’abord celle de Philibert de Montjeu, évêque de Coutances, qui écrit ce
qui suit: « Après de si grands docteurs consultés, je réponds à la requête de
Votre Paternité en vous donnant, du moins mal que je puis, mon sentiment, en
m’abstenant de qualifier chaque point, afin qu’il ne semble pas que je veuille
en remontrer à Minerve.
« Assurément, je pense que cette femme a un esprit
subtil, enclin au mal, agité par un instinct diabolique et vide de la grâce de
l’Esprit saint. Témoin saint Grégoire, et si l’on considère les dires de cette
femme, il y a deux signes qui attestent la présence de la grâce, et dont manque
évidemment cette femme... Si elle révoque ce qu’elle doit révoquer, il faut la
conserver sous bonne garde jusqu’à ce que sa correction et amendement soient
bien manifestés. Si elle refuse, il faut la traiter en hérétique opiniâtre. »
L’évêque de Lisieux, un Milanais ayant nom Zanoni,
répond en ces termes : « Je ne vois pas dans l’inculpée les signes ou indices
d’une admirable sainteté, ni d’une vie exemplaire... Je dis que, attendu la
basse condition de la personne, attendu ses assertions ou propos pleins de
fatuité ou de folies présomptueuses, la forme et le made de ses visions, etc.,
il est à présumer que de deux choses l’une: ou ce sont illusions et fallaces
des démons, qui dans les bois se déguisent en anges et entre temps s’affublent
des apparences et ressemblances de diverses personnes: ou ce ne sont que
mensonges, inventés et fabriqués à dessein pour duper les rudes et les
ignorants. »
QUARANTE-SIXIÈME SÉANCE
18 AVRIL 1431,
Le 18, nous,
juges, accompagnés de M. Guillaume Boucher, Jacques de Touraine, Maurice du
Quénoy, Nicolas Midi, Guillaume Adelie et Guillaume Hecton, flous sommes
transportés dans la chambre où Jeanne était détenue.
En présence de ces personnes, nous, évêque susdit,
nous nous adressâmes à ladite Jeanne, qui alors se disait malade. Nous lui
dîmes que ces docteurs et maîtres venaient à elle familièrement et
charitablement, la visiter, dans sa maladie, pour la réconforter et la
consoler.
Nous lui rappelâmes ensuite que, par diverses et
plusieurs fois, elle avait été interrogée solennellement, sous la grave
prévention qui lui est imputée par-devant de notables clercs.
Item que plusieurs de ses dits et faits avaient
semblé défectueux.
Item : attendu qu’elle ne saurait, étant ignorante
et illettrée, connaître et discerner touchant certains articles à elle imputés
s’ils sont contraires à notre foi, sainte doctrine et approbation des docteurs
de l’Eglise, ces clercs offraient de lui donner bon et salutaire conseil, pour
s’en instruire ; qu’elle voulût donc aviser de recevoir et choisir quelqu’un ou
quelques-uns des assistants pour se conseiller dans sa conduite, et que si elle
ne le faisait, que messeigneurs les juges lui en délégueraient pour la
conseiller et réduire.
Item qu’ils offraient à cet effet de hi donner pour
conseils quelques docteurs en théologie, droit canon et civil.
Item il lui fut dit que si elle ne voulait recevoir
conseil, et se conduire par le conseil de l’Eglise, elle serait en très grand
péril.
R. Il me semble, veu la maladie que j’ay, que je
suis en grant péril de mort. Et se ainsi est que Dieu vueille faire son plaisir
de may, je vous requier avec confession, et mon saulveur aussi, et d’estre
ensevelie en la terre saincte. .
Ad ce luy fut dit Se vouloiés (si vous vouliez)
avoir les droictures et sacremens de l’Eglise, il faudrait que vous feissiez
comme les bons catholiques dayvent faire, et vous submessiés (soumissiez) à
saincte Eglise. R. Je ne vous en sçaroye maintenant autre chose dire.
Item. luy fut dit que, tant plus se crainct de sa
vie pour la maladie, tant plus se devroit amender sa vie ; et ne aurait pas les
droiz de l’Eglise. R. Se le corps meurt en prison, je me actend que le faciez
mectre en terre saincte; se ne l’y faictes mectre, je m’en actend à Nostre
Seigneur.
Item luy fut [dit] que autre fois elle avait dit en
son procès que s’elle avait fait ou dit quelque chose qui fust contre nostre
foy chrestienne, ordonnée de Notre Seigneur, qu’elle ne [le] vouldroit point
soustenir. R. « Je m’en actend à la responce que j’en ay faicte et à
Nostre-Seigneur. »
Item, luy fut faicte interrogacion, pour ce qu’elle
dit avoir eu plusieurs fois révélacions de par Dieu, par saint Michiel,
sainctes Katherine et Marguerite ; se il venait aucune bonne créature qui
affirmast avoir eu révélacian de par Dieu, to’uchant le fait d’elle, s’elle le
croirait. R. Qu’il n’y a crestien au monde qui venist devers elle, qui se deist
(dit) avoir eu révélacion, qu’elle ne sceust (sait) s’il disait vray ou non; et
le sçarait par sninctes Katherine et Marguerite.
Interroguée se elle ymagine point que Dieu puisse
révéler chose à une bonne créature, qui luy soit incongneue:
R. Il est bon à savoir que ouil; mais je n’en
croiroye homme ne femme se je n’avoye aucun signe.
Interroguée s’elle croit que la saincte Escripture
soit révélée de Dieu, R. s Vous le sçavés bien; et est bon à savoir que ouil »
Item fut sommée, exhortée et requise de prendre le
bon conseil des clercs et notables docteurs, et le croire pour le salut de son
âme.
interroguée
si elle se soumettait elle et ses actions à notre saincte mère l’Eglise), fut à
savoir : « Quelque chose qui m’en doive advenir, je n’en ferai ou dirai autre
chose; car j’en ai dit devant au procès. »
Et ce ainsi fait, les vénérables docteurs là
présents, c’est à savoir maîtres Guillaume le Bouchier, Maurice du Quesnay,
Jacques de Touraine, Guillaume Adeije et Gérard Feuillet, l’exhortèrent
instamment pour qu’elle voulût se soumettre à notre sainte mère l’Eglise et ce
en alléguant de nombreux exemples et autorités de la sainte Ecriture; et, entre
autres exhortations, maître Nicolas Midi allégua en français le chapitre 18 de
saint Mathieu, si ton frère, etc. Ce à quai Jeanne répondit qu’elle étoit bonne
chrétienne et vouloit mourir telle.
Interraguée, puisqu’elle requiert que l’Eglise luy
baille san Créateur s’elle se vouldroit submectre à l’Eglise et on lui
promectroit bailler,
R. Qui de celle submission, elle n’en respondra autre
chose qu’elle a fait ; et qu’elle ayme Dieu, le sert et est banne chrestienne,
et vouldroit aidier et soutenir saincte Eglise de tout son povoir.
Interroguée s’elle vouldroit point qui en ordonnast
une belle et notable procession pour la réduire en bon estat, s’elle n’y est,
R. Qu’elle veult très bien que l’Eglise et les catholiques prient pour elle.
QUARANTE-SEPTIÈME
SÉANCE
MERCREDI 2 MAI 1431.
En présence de l’évêque et de soixante-trois
témoins, il est procédé à l’admonition publique de Jeanne par l’archidiacre
d’Evreux, J. de Châtillon.
Jeanne introduite, nous l’avons avertie d’être
attentive et avons prié l’archidiacre de commencer. Ce qu’il a fait en
remontrant d’abord à ladite Jeanne que tout chrétien est tenu de se soumettre à
l’Eglise et à son autorité.
« Requise si elle veut se corriger et s’amender
conformément à la délibération des clercs, respand: « Luisez (lisez) vostre
livre », c’est assavoir la cédule que tenait, ledit monseigneur l’arcediacre, «
et puis je vous respandroy: « Je me actend à Dieu, mon Créateur, de tout; je
l’aime de tout mon coeur. »
« Et Interroguée s’elle veuit plus respondre à celle
monicion générale, R. « Je m’en actend à mon juge: c’est le Roy du ciel et de
la terre ».
Après cette admonition générale, ledit archidiacre
adressa divers avis spéciaux à la prévenue, conformément au mémorial ou
programme ci-après :
En premier lieu, il lui fut rappelé qu’autrefois
elle avait dit que si on trouvait quelque erreur dans ses faits et dits, elle
était prête à s’amender. Ce qui était une bonne et pieuse pensée. Or l’examen
des clercs a mis en lumière dans ses réponses bien des points défectueux. Ne
pas se soumettre à leur correction, ce serait de la part de Jeanne se mettre en
grand péril de Corps et d’âme.
R. Qu’autant elle a répondu autrefois sur ce sujet,
autant elle en répond maintenant.
Item luy fut déciairé [ce] que c’est que l’Eglise
militante, etc. Et admonestée de croire et tenir l’article Unam sanctam
Ecclesiam, etc., et à l’Eglise militante se submeictre (soumettre), R. « Je
croy bien l’Eglise d’icy bas; mais de mes fais et dis, ainsi que autrefois j’ay
dit, je me actend [et] rapporte à Dieu.
Item dit: « Je cray bien que l’Eglise militant ne
peut errer ou faiblir ; mais quant à mes dis et mes fais, je les meicts et
rapporte du tout à Dieu, qui me a fait faire ce que je ay fait «.
item dit qu’elle se submect à Dieu, son Créateur,
qui [le] luy a fait faire; et s’en reporte à huy, à sa propre personne.
Item interroguée s’elle veult dire qu’elle n’ait
point de juge en terre et se nostre saint père le Pape est point son juge, R. «
Je ne vous en diray autre chose. J’ai bon maistre, c’est assa Voir
Notre-Seigneur, à qui je me actend de tout, et non à autre ».
Item luy fut dit que, s’elle ne voulait croire
l’Eglïse et l’article Ecclesiam sanctam catholicam, qu’elle serait hérétique de
le soustenir, et serait pugnie d’estre arse par la sentence d’autres juges, R.
« Je ne vous en diray autre chose, et se je véoye le feu, si diroye je tout ce
que je vous dy, et n’en feroye autre chose ».
Interroguée si le conseil (concile) général, comme
nostre saint Père, les cardinaulx, etc., estoient cy, s’elle .s’i vouidroit
rapporter et submeictre, respond : « Vous n’en tirerés autre chose. »
Interroguée s’elle se veult subnieictre à nostre
saint père le Pape, R. « Menés m’y, et je lui respondray. » Et autrement n’en a
voulu respondre.
Item, de l’abit, etc. R. de icelluy habit, qu’elle
vouloit bien prendre longue robe et chaperon de femme, pour aler à l’église et
recepvoir son Saulveur, ainsi que autrefois elle a respondu, pourveu que,
tantoust après ce, elle le meist jus, et reprinst cestuy que elle porte.
Item, du seurplus qui luy fut exposé de avoir prins
abit d’ammé, et sans nécessité, et en espécial qu’elle est en prison, etc., R.
« Quand je auray fait ce pourquoy je suis envoyée de par Dieu, je prendray
habit de femme.»
Interroguée s’elle croist qu’elle face bien de
prendre habit d’omme, R. « Je m’en actend à Nostre-Seigneur »
Item, à l’exhortacion que on luy faisait, c’est
assavoir, que en ce qu’elle disoit qu’elle faisait bien, et qu’elle ne
.peichoit point en portant ledit habit, avec les circonstances touchant le fait
de prandre et porter le dit abit, et en ce qu’elle disait que Dieu et les
saincts [le] luy faisoient faire, elle les blasphémoit, comme plus à plain est
contenu en ladicte cédule, elle errait et faisait mal, R. Qu’elle ne blasphème
point Dieu ne ses saints.
Item amonnestée de se désister de porter l’abit, et
de croire qu’elle face bien de le porter, et de reprandre abit de femme, R.
Qu’elle n’en fera autre chose.
Interroguée se, toutes fois que saincte Katherine et
Marguerite viennent, s’elle se signe, R. Que aucunes fois elle fait signe de la
croix, à l’autre fois, non.
Item des révélations: R. Que de ce, elle s’en
raporte à son juge, c’est assavoir Dieu ; et dit que ses révélacions sont de
Dieu sans autre moyen.
Interroguée si du signe baillé à son ray, elle se
veult rapporter à l’arcevesque de Rains, au sire deBoussac, Charles de Bourbon,
La Tremoulle et La Hire, aus
quieulz ou aucun d’eulz elle autresfois a dit avoir
monstré ceste couronne, et qu’ilz estoient présens, quant l’angle (ange)
apporta ladite couronne.., et la bailla audit arcevesque; ou s’elle se veult
rapporter aux autres de son party, lesquieulz escriprent soubz leurs seaulz
qu’il en est, R. « Baillez ung messagier, et je leur escripray de tout ce
procès ». Et autrement ne s’i est voulu croire ne rapporter à eulx.
Item sur la témérité de sa croyance au sujet des
choses futures, etc., R. « Je m’en rapporte à mon juge, c’est assavoir Dieu, et
ad ce que autresfois j’ay respondu, qui est au1ivre » (au procès).
Item interroguée se on Iuy envoye deuix, ou trois,
au quatre des chevaliers de son party, qui viennent par sauf conduit cy, s’elle
s’en veut rapporter à eulx de ses apparitions et choses Contenues en cest
procès, R. Que on les face venir, et puis elle respondra. Et autrement ne s’i
est voulu raporterne submeictre de cest procès.
Interroguée se à l’Eglise de Poictiers, où elle a
esté examinée, elle se veult raporter et submeictre, R. « Me cuidez-vous
prandre parceste manière, et par cela attirer à vous? «
Item, en conclusion, d’abondant et de nouvel, fut
admaonnestée généralement de se submeictre à l’Eglise, et sur paine d’estre
laissée par l’Eglise; et se l’Eglise la laissoit, elle serait en grand péril du
corps et de l’âme et se pourrait bien meictre en péril de encourir paines du
feu éternel, quant à l’âme, et du feu temporel, quant au corps. et par la
sentence des autres juges, R. « Vous ne ferés jà ce que vous dictes contre moy,
que il ne vous en pregne mal au corps et à l’âme. »
Interroguée qu’el[le] di[s]e une cause pourquoy elle
ne se rapporte à l’Eglise à quoy elle ne voult faire autre reponce. »
Les clercs se retirent, Jeanne est reconduite en
prison.
1.18.
QUARANTE-HUITIÈME SÉANCE
MERCREDI 9 MAI 1431.
A Rouen, dans
la grosse tour du château.
Jeanne a été requise et admonestée de dire la vérité
sur plusieurs points qui lui furent rappelés et remontrés sur lesquels points
elle avait nié ou déguisé la vérité. Il lui a été dit que si elle n’avouait pas
la vérité, elle serait mise à la torture, dont les instruments sont prêts et
présents.
Voyant l’endurcissement de la prévenue et son mode
de répondre et craignant que l’application de la torture fût peu efficace, nous
y avons sursis pour le moment iusqu’à ce que nous en eussions délibéré.
« Après les requisitions et monitions à elle faites
par les juges et assesseurs, R. Vraiment, se vous me deviez faire détruire les
membres et faire partir l’âme du corps, si, ne vous dirai-je autre chose ; et
se aucune chose vous en disoy-je, après si diroye-je toujours que vous me le
auriés fait dire par force. »
Item dit que, à la Sainte-Croix [fête du 3 mai],
oult le confort de saint Gabriel; « Et croiez que ce fust sainct Gabriel » ; et
l’a sceu par ses voix que c’estoit saint Gabriel,
Item dit qu’elle [a] demandé conseil à ses voix
s’elle se submectroit à l’Eglise, pour ce que les gens d’église la pressaient
fort de se submectre à l’Eglise, et ils luy ont dit que, s’elle veult que
Nastre-Seigneur luy aide, qu’elle s’actende à luy de tous ses fais.
Item dit qu’elle sçait bien que Nostre-Seigneur a
esté toujours maistre de ses fais, et que l’ennemy [le dinble] n’avait oncques
eu puissancesurces fais. Item, dit qu’elle a demandé à ses voix qu’elle sera
arse (brûlée) et que lesdictes voix luy ont respondu que elle se actende à
nostre Sire, et il luy aidera.
Item du signe de la couronne qu’elle dit avoir
baillé à l’arcevesque de Rains, Interroguée s’elle veuit rapporter à luy ‘respond:
« faictes-le y[ci] venir, et que je l’oye parler, et puis je vous respon[d]ray;
ne il ne oserait dire le contraire de ce que je vous en ay dit. »
1.19. QUARANTE-NEUVIÈME SÉANCE
SAMEDI 12 MAI 1431.
Le samedi suivant, dans notre maison d’habitation
àRouen, furent présents par devant nous, juges, les assesseurs ci-dessous
dénommés.
Après avoir rappelé ce qui s’est passé mercredi
dernier, nous avons mis en délibération si Jeanne serait appliquée à la
torture.
Il en a été délibéré comme suit:
Me Raoul Roussel, trésorier de l’Église de Rouen, a
dit que non, de peur qu’un procès si bien fait pût être calomnié.
Me Nicolas de Venderès et A. Marguerie, chanoine de
Ronen, non pour le moment.
Me P. Erard, non; il y a assez ample matière contre
elle pour qu’on n’ait pas besoin de la torture.
R. Barbier, D. Gastinel: non.
Aubert Mord, Th. de Courcelles: oui.
N. Couppequesne, I. Ledoux, Is. de la Pierre; non,
mais qu’elle sait exhortée de se soumettre à l’Eglise.
N. Loyseleur: Il me semble que pour le remède de son
âme, il serait bon de mettre ladite Jeanne à la torture. Toutefois s’en
rapporte à l’avis des préopinants.
Me G. Hecton, qui survint: non.
Me Jean Lemaître dit qu’il faut demander de nouveau
à la prévenue si elle veut se soumettre à l’Eglise militante.
Attendu ces votes, nous avons conclu qu’il n’était
pas nécessaire ni expédient de l’appliquer à la torture, et qu’il serait passé
outre.
1.20. CINQUANTIÈME SÉANCE
SAMEDI 19 MAI 1431.
Dans la
chapelle du palais archiépiscopal de Rouen, l’évêque et le vice-inquisiteur,
juges, assistés de cinquante docteurs et maîtres.
Le 19 avril, Me Jean Beaupère, Jacques de Touraine
et Nicolas Midi quittaient Rouen afin d’aller soumettre les douze articles
qu’on a lus plus haut à leurs collègues de l’Université de Paris. Celle-ci fut
Convoquée le 29 avril, et il fut décidé que la décision à prendre serait
confiée à la Faculté de théologie et à la Faculté des décrets, lesquelles, leur
travail achevé, le soumettraient au corps entier de l’Université. Ce qui fut
fait le 14 mai, toutes Facultés réunles.
Articles
touchant les dits et faits de Jeanne dite la Pucelle 1.
I. Quant au 1er article,.., attendu la fin, le mode,
l’a matière desdites révélations, la qualité de la personne, le lieu et autres
circonstances, que ces révélations sont des mensonges feints, séducteurs et
pernicieux, ou que les apparitions et révélations susdites sont superstitieuses
et procèdent des esprits malins et diaboliques: Belial, Satan et Behemmoth.
II. Ce que contient le 2e ne lui paraît pas vrai,
mais mensonger, présomptueux, séductif, pernicieux, feint et dérogatif pour la
dignité des anges.
III. Les signes ne sont pas suffisants. Ladite femme
croit légèrement et affirme témérairement. De plus, dans la comparaison qu’elle
fait elle mécroit et erre en la foi.
IV. Superstition, assertion divinatoire et
présomptueuse, accompagnée d’une vaine jactance.
V. Blasphème envers Dieu; mépris de Dieu dans ses
sacrements; prévarication de la loi divine, de la doctrine sacrée, des
sanctions ecclésiastiques; mécréance, erreur en la foi, vaine jactance. La
prévenue est en outre suspecte d’idolâtrie et d’exécration d’elle et de ses
vêtements, pour parler la langue des anciens gentils.
VI. La prévenue est traîtresse, dolosive, cruelle,
ayant soif de l’effusion du sang humain, séditieuse, provoquant à la tyrannie,
blasphématrice de Dieu en ses mandements et révélations.
VII. Elle est impie envers ses parents, méconnaît le
précepte d’honorer ses père et mère; scandaleuse, blasphémeuse envers Dieu,
erre en la foi, s’engage en promesse téméraire et présomptueuse.
VIII. Pusillanimité tournant au désespoir et au
suicide, assertion présomptueuse et téméraire; quant à la rémission de sa
faute, faux sentiment du libre arbitre.
IX. Assertion présomptueuse et téméraire, mensonge
pernicieux, contradictoire au précédent article; mal senti en la foi.
X. Assertion présomptueuse et téméraire, divination
superstitieuse, blasphèmes envers saintes Catherine et Marguerite. Transgresse
le commandement d’aimer son prochain.
XI. Idolâtre, invocatrice des démons; erre en la
foi; affirmation téméraire; serment illicite.
XII. Schismatique, mal pensante de l’unité et
autorité de l’Eglise, apastate et opiniâtrée jusqu’ici dans l’erreur.
Avis de la Faculté des décrets :
I. Elle est schismatique, le schisme étant la
séparation illicite, par inobédience, de l’unité de l’Eglise, etc.
II. Elle erre en la foi contre Unam sanctam. Et, dit
saint Jérôme, quiconque y contredit n’est pas seulement mal avisé, malveillant
et non catholique, mais hérétique.
III. Apostate; car sa chevelure, que Dieu lui a
donnée pour voile, elle l’a fait couper mal à propos, et de même, laissant
habit de femme, elle s’est vêtue en homme.
IV. Menteuse et devineresse se disant envoyée de
Dieu, se vantant de parler avec les anges et les saints.
V. Par présomption de droit, cette femme erre en la
foi : 1° étant anathème par les canons de l’autorité et demeurant longuement en
cet état ; 2° parce qu’elle dit aimer mieux ne pas recevoircorpus Christi,
etc., plutôt que de reprendre habit de femme. Elle est aussi véhémentement
suspecte d’hérésie, et doit être diligemment examinée sur les articles de foi.
VI. Elle erre en ce qu’elle dit être sûre d’aller en
paradis, etc.., Si donc ladite femme, charitablement admonestée, n’abjure
publiquement au gré du juge et ne donne pas satisfaction convenable, elle doit
être abandonnée au bras séculier, pour la juste punition de son crime.
Lecture de ces pièces étant donnée, les docteurs et
maîtres présents à l’assemblée délibèrent sur la cause.
1.
« Soumis par ladite Faculté au jugement de notre saint-père le pape et au saint
concile général », dit le texte. Il ne fut donné aucune suite à cette réserve.
1.21. CINQUANTE-UNIÈME SÉANCE
MERCREDI 23 MAI 1431.
Dans une chambre du château de Rouen, voisine de la
prison de Jeanne. L’évêque Cauchon et le vice-inquisiteur de la foi siégeant en
leur tribunal; les évêques de Thérouenne et de Nayon, maîtres J. de Châtillon,
J. Beaupère, N. Midi, G. Erard, F. Maurice, A. Marguerie, N. de Venderès, et J.
d’Estivet, promoteur.
Maître Pierre Maurice lisant une cédule, fait à
l’accusée un exposé de ses manquements. Il reproduit en douze griefs la
substance des douze articles déjà connus avec un résumé de la délibération de
l’Université de Paris.
Jeanne a ensuite été admonestée en français, ainsi
qu’il suit :
« Jeanne, ma chère amie, il est temps maintenant,
pour la fin de votre procès, de bien peser ce qui a été dit. Déjà quatre fois,
tant par monseigneur de Beauvais que par les docteurs commis à cet effet, vous
avez été avertie et admonestée soit publiquement, soit à part, et vous l’êtes
de nouveau pour l’honneur et révérence de Dieu, pour la foi et la loi de
Jésus-Christ, pour le rassérénement des consciences, pour l’apaisement du
scandale causé, pour votre salut de l’âme et du corps. On vous a également
démontré le dommage que vous avez encouru pour votre âme et votre corps, à
moins que vous ne corrigiez et amendiez vos faits et vos dits en les soumettant
à l’Eglise et en acceptant son jugement; ce à quoi jusqu’ici vous n’avez pas
voulu entendre.
Déjà plus d’un, parmi vos juges, aurait pu se
contenter des éléments acquis à la cause. Cependant par zèle pour le salut de
votre âme et de votre corps, ils ont transmis l’examen de cette matière à
l’Université de Paris, qui est la lumière des sciences et l’extirpatrice des
hérésies. Après avoir reçu les délibérations de cette compagnie, vos juges ont
commandé que vous seriez avertie de nouveau de vos erreurs, scandales et
défauts, vous priant,exhortant et avertissant, par les entrailles de
Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, pour la rédemption du genre humain, a voulu
souffrir une mort si cruelle, de corriger vos faits et de les soumettre à
l’Eglise, comme tout ban chrétien doit le faire. Ne permettez pas que vous
soyez séparée de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vous a créée pour participer à
sa gloire. N’élisez pas volontairement la voie de damnation éternelle avec les
ennemis de Dieu, qui chaque jour s’efforcent d’inquiéter les hommes, en prenant
le masque du Christ, des anges et saints, soi-disant tels, comme il est à plein
contenu dans les vies des Pères et les Ecritures.
Conséquemment, si de telles visions vous sont
apparues, n’y attachez pas votre créance. Repoussez au contraire de telles
imaginations, acquiescez à l’avis des docteurs de l’Université de Paris, et
autres, qui connaissent la loi de Dieu et la sainte Ecriture. Ils vous
représentent que l’on ne doit pas croire à de telles apparitions, ni à aucune
nouveauté insolite et prohibée, à moins de prophétie et de miracle.
Or ni l’un ni l’autre n’appuie votre présomption.
Vous y avez cru légèrement, au lieu de recourir à la prière et à la dévotion,
pour vous en assurer. Vous n’avez pas invoqué non plus de prélat ou autre
docteur ecclésiastique qui pût vous instruire : ce que néanmoins vous auriez dû
faire, attendu votre état intellectuel et votre simplicité.
Prenons un exemple : si votre roi, de son autorité,
vous avait donné à garder quelque forteresse, en vous défendant d’y recevoir
aucun survenant; quelqu’un, je suppose, se présente en disant qu’il vient de
par le roi: eh bien! S’il ne vous offrait en même temps des lettres ou autres
signes certains, vous ne devriez pas le croire et le recevoir. De même, lorsque
Notre-Seigneur Jésus-Christ montant au ciel, commit à l’apôtre saint Pierre et
à ses successeurs le gouvernement de son Eglise, il leur défendit pour l’avenir
d’accepter qui que ce fût se présentant en son nom, à moins qu’ils n’en
justifiassent autrement que par leurs propres assertions. Donc, tenez pour
certain que vous ne deviez pas croire à ceux que vous dites s’être ainsi
présentés à vous ; et nous, nous ne devons pas vous croire, puisque le Seigneur
nous commande le contraire.
1° Jeanne, vous devez considérer ceci: lorsque vous
étiez sur les domaines de votre roi, si un chevalier ou autre natif ou sujet,
de son obéissance, s’était insurgé en disant : Je n’obéirai pas au roi, ni ne
me soumettrai à ses officiers; ne l’auriez-vous pas jugé condamnable? Quel
jugement porterez-vous donc de vous-même, enfantée par le sacrement de baptême
en la foi du Christ, devenue fille de l’Eglise et l’épouse de Jésus-Christ, si
vous n’obéissez aux officiers du Christ, c’est-à-dire aux prélats de l’Eglise ?
Quel jugement donnerez-vous de vous-même? Désistez-vous, je vous prie, de vos
assertions, si vous aimez Dieu, votre créateur, votre précieux époux et votre
salut. Obéissez à l’Eglise en acceptant son jugement. Sachez que si vous ne le
faites, si vous persévérez dans cette erreur, votre âme sera damnée au supplice
et aux tourments éternels; et, pour votre corps, je doute beaucoup qu’il vienne
à perdition.
Ne vous laissez pas retenir par le faux respect
humain, par in vergogne inutile, qui peut-être vous dominent, à raison des
grands honneurs que vous avez eus et ~que vous aurez perdus en agissaût comme
je vous dis.
Préférez à cela l’honneur de Dieu et votre salut,
tant de l’âme que du corps. Vous perdrez l’un et l’autre si vous ne faites pas
ce que je vous dis, car vous vous réparez àinsi de l’Eglise et de la foi que
vous avez promise au saint baptême. Vous enlevez à l’Eglise l’autorité de Dieu,
qui cependant la guide, la conduit et gouverne de son autorité et de son
esprit. Il a dit aux prélats de l’Eglise « Qui vous écoute, m’écoute; qui vous
méprise, me méprise ». Donc, en ne voulant pas vous soumettre à l’Eglise. de
fait vous vous retirez, vous refusez de vous. soumettre à Dieu, vous errez
contre l’article Unam sanctam; et, quant à ce qu’est l’Eglise ou son autorité,
on vous l’a précédemment déclaré dans les précédentes. admonitions.
Donc, au nom de mes seigneurs de Beauvais et le
vicaire de l’Inquisistion, vas juges, je vous avertis, priep exhorte, afin que,
par la piété que vous portez à la Passion de votre Créateur, par l’amour que
vous portez à votre salut spirituel et corporel, vous corrigiez et amendiez les
susdites erreurs; que vous retourniez à la voie de vérité en obéissant à
l’Eglise, en vous soumettant aux jugements et déterminations sus-énoncés. En
agissant ainsi, vous sauverez votre âme ; vous rachèterez, je pense, votre
corps de la mort. Mais si vous ne le faites pas, si vous persévérez, sachez que
votre âme sera vouée à la damnation, et votre corps, je le crains,. à la
destruction. Que Jésus-Christ daigne vous préserver. »
Sur le premier et sur les autres articles ; sur les
qualifications exposées solennellement à ladite Jeanne par maître P. Maurice,
sur les admonitions et requêtes charitables faites à ladite Jeanne, celle-ci
répond : « Quant à mes fais et mes diz que j’ay diz au procès, je m’y raporte
et les veulx soustenir. »
Item interroguée s’elle cuide et croist qu’elle ne
soit point tenue submeictre ses diz et fais à l’Eglise militant ou à autres que
Dieu, R. « La manière que j’ay tous-jours dicte et tenue en procès, je la vueil
maintenant quand ad ce ». Item dit que, s’elle estait en jugèment, et véoit le
feu alumé, et les bourreaux alumer, et le bourreau prest de bouter le feu, et
elle estoit dedans le feu, si n’en dyroit-elle autre chose, et soustendroit ce
qu’elle a dit en procès jusqu’à la mort.
Nous avons ensuite demandé au promoteur et à
l’accusée s’ils voulaient ajouter quelque chose. Sur leur réponse négative,
nous avons procédé à la conclusion de la cause, selon la teneur d’une cédule
que nous, évêque, tenions en nos mains, dont la teneur suit
Nous, juges compétents, nous déclarant et agissant
comme tels sur votre renonciation et vous ayant pour renoncé nous concluons en
la cause. La cause conclue,. nous vous assignons au jour de demain pour
entendre par nous faire droit et prononcer la sentence comme aussi pour faire et
procéder ultérieurement ainsi qu’il sera de droit et de raison.
La séance est levée.
1.23. CINQUANTE-DEUXIÈME SÉANCE
JEUDI 24 MAI 1431.
Dans la préface de ce livre nous avons montré
l’iniquité de la séance du cimetière de Saint-Ouen. Les preuves de l’imposture
sont aujourd’hui évidentes; et l’abjuration, au sens où on l’entendait, n’a
jamais été faite. Jeanne a témoigné de sa soumission, de sa déférence; elle n’a
rien désavoué de son passé. La formule qu’elle a consenti à signer ne contredit
en rien ses affirmations au procès. Elle n’a eu ni faiblesse, ni chute: ce
point est indiscutable. Afin de permettre l’étude de cet épisode, nous donnons
ici, non pas le récit véritable, mais le document falsifié du faux acte
d’abjuration.
Ledit jour jeudi après la Pentecôte, au matin, nous
juges, nous sommes transportés en lieu public dans le cimetière de l’abbaye de
Saint-Ouen de Rouen, Jeanne étant présente devant nous sur un échafaud ou
ambon. Là, nous avons d’abord fait prononcer une solennelle prédication par
illustre maître Erard, docteur en sainte théologie, pour l’admonition salutaire
de ladite Jeanne , et de tout le peuple assistant en grande multitude. Nous
assistaient:
Révérendissime père en Jésus-Christ (de Beaufort)
par la permission divine cardinal prêtre du titre de Saint-Eusèbe, de la
sacro-sainte Eglise romaine, vulgairement appelé le cardinal d’Angleterre ;
RR. PP. en Dieu les évêques de Thérouanne, Noyau,
Norwich ;
Messeigneurs les abbés de la Sainte-Trinité de
Fécamp, de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges, de Bec-Hélouin, de Cormeilles, de
Saint-Michel-au-péril-de-la-Mer, de Mortemer, de Préaux;
Les prieurs de Longueville-Giffard et de Saint-Lô de
Rouen;
Maîtres J. de Châtillon, J. Beaupère, N. Midi, P.
Houdenc, P. Maurice, J. Faucher, G. Haiton, N. Coppequesne, Th. de Courcelles,
R, Sauvage, R. du Grouchet, P. Minier, J. Pigache, J. Duchemin, M. du Quesnoy,
G. Boucher, J. Lefèvre, R. Roussel, J. Garin, N. de Venderès, J. Pinchon, J.
Ledoux, R. Barbier, A. Marguerie, J. Alépée, Aubert-Morel, J. Colombel, D.
Gatinel.
Le docteur susnommé a pris son thème au chap. XV de
saint Jean: « Le palmier ne peut fructifier par lui-même s’il ne reste en la
vigne ». Il dit ensuite que tout catholique devait rester en la vraie vigne de
notre sainte mère l’Eglise que la droite du Christ a plantée. Il a montré que
ladite Jeanne s’était séparée de l’unité de cette même sainte mère l’Eglise,
par beaucoup d’erreurs et de crimes graves : qu’elle avait ainsi maintes fois
scandalisé le peuple chrétien admonestant Jeanne et tout le peuple.
Après la prédication, M. le prédicateur dit à Jeanne
: « Veecy Messeigneurs les juges, qui plusieurs fois vous ont soumis et requise
que voulsissiez submectre tous vous fais et dis à nostre mère saincte Eglise :
et que, en ses diz et fais, estoient plusieurs choses, lesquels, comme il
semblait aux clercs, n’estoient bonnes à dire ou soustenir. »
A quoy elle respond: « Je vous respondray ». Et à la
submission de l’Eglise, dist : « Je leur ay dit en ce point de toutes les
oeuvres que j’ay faictes, et les diz soient envoyés à Romme devers nostre saint
père le pape, duquel et à Dieu premier je me rapporte. Et quant aux dis et fais
que j’ay fais, je les ay fais de par Dieu. »
Item dit que, de ses fais et dis, elle ne charge
quelque personne, ni son roy, ni autre; et s’il y a quelque faulte, c’est à
elle et non à autre.
Interroguée se les fais et dis qu’elle a fais, qui
sont réprouvez, s’elle les veult révoquer, R. « Je m’en raporte à Dieu et à
nostre saint père le pape. »
Et pour ce, il luy dit que il ne suffisait pas, et
que on ne pavait pas pour [cela] aler querir nostre saint père si bing; aussi
que les ordinaires estaient juges chacun en leur diocèse; et pour ce estoit
besoing qu’elle se rapportast à nostre mère saincte Eglise, et qu’elle tenist ce
que les clercs et gens en ce se congnoissans en disaient et avaient déterminé
de ses dix et fais, et de ce fut amonnestée jusques à la tierce monicion.
Et après ce, comme la sentence fut encommencée à
lire, elle dit qu’elle vouloit tenir tout ce que les juges et l’Eglise
vouldroient dire et sentencier, et obéir du tout à l’ordonnance et voulenté
d’eulx. Et alors, en la présence des dessusdits et grant multitude de gens qui
là estoient, elle révoqua et fist son abjuracion en la manière qui en suit...
Et dist plusieurs fois que, puisque les gens
d’Eglise disoient que ses apparicions et révélacions n’estoient point à
soustenir ni à croire, elle ne voulait soutenir; mais du tout s’en rapportait
aux juges et à nostre mère saincte Eglise.
Et ensuite la sentence fut prononcée par MM. les
juges comme il sera exprimé ci-après.
1.24. CINQUANTE-TROISIÈME SÉANCE
JEUDI 24 MAI, APRÈS-MIDI.
A ladite heure (après-midi), nous frère Jean
Lemaître, vicaire susdit, assisté de N. Midi, N. Loyseleur, Th. de Courcelles, Is.
de la Pierre et plusieurs autres, nous sommes transportés dans la prison de
Jeanne où elle était. Il lui a été exposé par nous et d’autres, que Dieu, en ce
jour, lui avait fait une grande grâce, et aussi les ecclésiastiques, en la
recevant en grâce et miséricorde de notre sainte mère l’Eglise; que, par ces
motifs, elle devait obéir humblement à la sentence et au commandement des juges
et ecclésiastiques; quelle devait abandonner tout à fait ses anciennes erreurs
et inventions, sans y plus revenir. Nous lui avons signifié que si elle y
retombait, l’Eglise ne la recevrait plus, mais l’abandonnerait totalement.
Ensuite il lui a été dit qu’elle quittât ses habits d’homme et prît ceux de
femme, comme il lui avait été commandé par l’Eglise.
Ladicte Jeanne a répondu qu’elle prendrait
volontiers l’habit de femme et qu’elle obéissait ponctuellement aux
ecclésiastiques. Ayant donc reçu l’habillement féminin qui lui était présenté,
elle le revêtit en dépouillant sur le champ son costume d’homme. Elle se baissa
en outre enlever et raser les cheveux qu’elle portait auparavant taillés au
rond.
1.25. DEUXIÈME JUGEMENT
1.26.
CINQUANTE-QUATRIÈME SÉANCE
LUNDI 28 MAI 1431.
Le lundi suivant 28 mai, en présence de R. P. en
J.-C. et seigneur Monseigneur l’évêque de Beauvais, et de religieuse personne
frère Jean Lemaître, vicaire..., s’assemblèrent mes seigneurs maîtres : N. de
Venderès, G. Haiton, Th. de Courcelles, frère Is. de la Pierre, Furent aussi
présents : Jacques Camus, Nicolas Bertin, Julien Fbosquet et J. Gris.
Par-devant lesquels comparut ladite Jeanne. Or, comme celle-ci était vêtue et
habillée en homme, à savoir de robe courte, chaperon, gippon, et autres
vêtements masculins, vêtements que, par ordre de mes seigneurs, elle avait
naguère quittés pour reprendre. habit de femme, nous l’avons interrogée pour
savoir quand et pourquoi elle avait repris habit d’homme.
R. Qu’elle a nagaires reprins ledit abit d’omme, et
lessié l’abit de femme.
Interroguée pourquoy elle l’avait prins, et qui luy
avoit fait prandre, R. Qu’elle l’a prias de sa vollenté, sans nulle
contraincte, et qu’elle ayme mieulx l’abit d’omme que de femme.
Item luy fut dit qu’elle avoit promis et juré non repprandre
ledit abit d’homme, R. Que oncques n’entendi qu’elle eust fait le serement de
non le prendre.
Interroguée pour quelle cause elle l’avait reprins.
R. Que, pour ce qu’il luy estait plus licite de le reprendre et avoir habit
d’omme, estant entre les hommes, que de avoir habit de femme. Item dit qu’elle
l’avait reprins, pour ce que on ne luy avait point tenu ce qu’on luy avait
promis, cest assavoir qu’elle irait à la messe et recevrait son Sauveur, et que
on la mectroit hors des fers.
Interroguée s’elle avait abjuré et mesmement de
celui habit non reprandre, R. Qu’elle ayme mieulx à mourir que de estre ès
fers, mais se on la veult laisser aler à la messe et oster hors des fers et
meictre en prison gracieuse, et qu’elle eust une femme, elle sera bonne et fera
ce que l’Eglise vauldra.
Interroguée se, depuis jeudi, elle a point ouy ses
voix, R. Que ouil.
Interroguée qu’elles luy ont dit, R. Qu’elles luy
ont dit que Dieu luy a mandé par sainctes Katherine et Marguerite la grande
pitié et trayson que elle consenty en faisant l’abjuracion et révocacion pour
sauver sa vie; et que elle se dampnoit pour sauver sa vie.
Item dit que, au devant de jeudi, que ses voix luy
avoient dit ce que elle ferait, qu’elle fist ce jour.
Dit oultre que ses voix luy disrent en l’escharfault
que elle respondit à ce preseheur hardiement, et lequel prescheur elle appelait
faulx prescheur, et qu’il avait dit plusieurs choses qu’elle n’avoit pas
foictes.
Item dist que, se elle disoit que Dieu ne l’avait
envoyée, elle se dampneroit; que vray est que Dieu l’a envoyée.
Item dist que ses voix luy ont dit depuis, que avait
fait grande mauvestié de ce qu’elle avait fait, de confesser qu’elle n’eust
bien fait.
Item, dit que de paour du feu, elle a dit ce qu’elle
a dit.
Interroguée s’elle croist que ses voix soient
saincte Marguerite et saincte Katherine, R. Que ouil et de Dieu.
Interroguée de la couronne, R. « De tout je vous en
ay dit la vérité au procès, le mieulx que j’ay sceu. »
Et quant ad ce qui luy fut dit que en l’escharfault
avoir dit, mansongeusement elle s’estoit vantée que s’estoient sainctes
Katherine et Marguerite, R. Qu’elle ne l’entendoit point ainsi faire ou dire.
Item dit qu’elle n’a point dit ou entendu révoquer
ses apparicions, c’est assavoir que ce fussent sainctes Marguerite et Katherine
; et tout ce qu’elle a fait, c’est de paour de feu, et n’a rien révoqué que ce
ne soit contre la vérité.
Item dit qu’elle ayme mieulx faire sa pénitance à
une fois, c’est assavoir à mourir, que endurer plus longuement paine en
chartre.
Item dit qu’elle ne fit oncques chose contre Dieu ou
la foy, quelque chose que on luy ait fait révoquer ; et que ce qui estoit en la
cédule de l’abjuracion, elle ne l’entendait point.
Item dit qu’elle dist en l’eure [qu’elle était sur
l’échafaud] qu’elle n’en entendoit point revoquer quelque chose, se ce n’estoit
pourvu qu’il plust à nostre Sire (Dieu).
Item dit que se les juges veullent, elle reprandra
l’habit de femme ; du résidu, elle n’en fera autre chose.
1.27.
CINQUANTE-CINQUIÈME SÉANCE
MARDI 29 MAI 1431.
[Dans la chapelle de l’archevêché, à Rouen.]
Dernière délibération.
N. de
Venderès : Jeanne doit être et est considérée hérétique. La sentence ayant été
portée par les juges, Jeanne doit être abandonnée au bras séculier, avec prière
de la vouloir traiter bien doucement.
Gilles, abbé de Fécamp : Jeanne est relapse.
Cependant il est bon de lui relire la cédule comminatoire qui lui a été lue
dernièrement et de la lui expliquer en lui prêchant la parole divine. Cela
fait, les juges ont à la déclarer hérétique, puis à l’abandonner au bras
séculier avec prière de la traiter bien doucement.
J. Pinchon: Elle est relapse. Pour le reste s’en
rapporte aux théologiens. G. Erard : Relapse, et partant doit être abandonnée
(comme M. de Fécamp).
R. Gilbert, comme G. Erard.
L’abbé de Saint-Ouen, J. de Châtillon, E. Emengard,
G. Boucher, le prieur de Longueville, G. Haiton, A. Marguerie, J. Alépée, J.
Garin, comme M. de Fécamp.
D. Gastinel : Cette femme est hérétique et relapse ;
elle doit être abandonnée au bras séculier sans recommandation de la traiter
doucement.
P. de Vaux: idem.
P. de Houdenc, J. Nibat, Guillaume abbé de Mortemer,
J. Guesdon, N. Coppequesne, G. du Desert, P. Maurice, Baudribosc, Cavai,
Loyseleur, Desjardins, Tiphaine, du Livet, du Crotoy, P. Correl, Ledoux,
Colombel, Morel, Ladvenu, Dugrouchet, Pigache, Delachambre médecin, comme M. de
Fécamp.
Th. de Courcelles, Is. de la Pierre, comme M. de
Fécamp. Ils ajoutent que cette femme doit être encore avertie charitablement
pour le salut de son âme, en lui représentant qu’elle n’a plus rien à espérer
de sa vie temporelle.
J. Mauget, comme M. de Fécamp.
1.28. L’EXÉCUTION SUR LA PLACE DU VIEUX MARCHÉ
30
Mai 1431.
1.29.
CINQUANTE-SIXIÈME SÉANCE
MERCREDI
30 MAI, VERS 9 HEURES DU MATIN,
A
ROUEN, SUR LE VIEUX MARCHÉ.
Par exploit de Jean Massieu, prêtre, Jeanne, ayant
été citée, comparaît:
Présents et assistants : Pierre Cauchon, évêque de
Beauvais, et fr. Jean Lemaître, de l’ordre de Saint-Dominique, juges.
Henri de Beaufort, cardinal d’Angleterre 1.
Les évêques de Thérouanne et de Noyon.
J. de Châtillon, A. Marguerie, N. de Venderès, R.
Rousse!, D. Gastinel, G. le Bouchier, Th. de Courcelles, J. Alépée, P. de
Houdenc, P. Maurice, G. Haiton, le prieur de Longueville, R. Gilebert, [J.
Lefebvre,
1.
Le cardinal d’Angleterre témoin au cimetière de Saint-Ouen ne figure pas parmi
les membres présents au Vieux-Marché.
et beaucoup d’autres seigneurs et maîtres,
ecclésiastiques, fut amenée ladite Jeanne par-devant nous, par Jean Massieu, à
la vue du peuple réuni en foule, et placée sur un échafaud ou ambon. Pour
l’admonester salutairement et édifier les peuples, une prédication solennelle a
été faite par illustre docteur eu théologie M. Nicolas Midi. Celui-ci a pris
pour thème la parole de l’apôtre écrite au chapitre XIe de la Ire aux
Corinthiens « Si un membre souffre, tous les autres membres souffrent. »
La prédication finie, nous avons de nouveau averti
ladite Jeanne qu’elle pourvût au salut de son âme; qu’elle songeât à ses
méfaits pour en faire pénitence avec vraie contrition. Nous l’avons exhortée de
croire aux conseils des clercs et notables hommes qui l’instruisaient et
enseignaient touchant son salut; spécialement des deux vénérables frères qui
l’assistaient et que nous y avions commis pour cet effet 2. Cela fait, nous évêque
et vicaire, eu égard à ce qui précède. D’où il résulte que ladite femme,
obstinée dans ses erreurs, ne s’est jamais sincèrement désistée de ses
témérités et crimes infâmes; que, bien plus et loin de là, elle s’est montrée
évidemment plus condamnable, par la malice diabolique de son obstination en
feignant une contrition fallacieuse et une pénitence et amendement hypocrite,
avec parjure du saint nom de Dieu et blasphème de son ineffable majesté;
attendu qu’elle s’est montrée ainsi, — comme obstinée, incorrigible, hérétique
et relapse — indigne de toute grâce et communion que nous lui avions
miséricordieusement offertes dans notre première sentence; tout considéré, sur
la délibération et conseil de nombreux consultants, nous avons procédé à notre
sentence définitive, en ces termes.
Au nom de Dieu, amen. Toutes les fois que le venin
pestilentiel de l’hérésie s’attache à l’un des membres de l’Eglise, et le
transfigure en un membre de Satan, il faut s’étudier avec un soin diligent à ce
que l’infâme contagion de cette lèpre ne puisse gagner les autres parties du
corps mystique de Jésus-Christ. Les préceptes des saints Pères ont en
conséquence prescrit qu’il valait mieux séparer du milieu des justes les
hérétiques endurcis que de réchauffer un serpent aussi pernicieux pour le reste
des fidèles dans le sein de notre pieuse mère l’Eglise.
C’est pourquoi nous, Pierre, par la miséricorde
divine évêque de Beauvais, et frère Jean Le Maistre, vicaire de l’insigne
docteur Jean Graverent, inquisiteur de la perversité hérétique, et spécialement
député par lui en cette cause, juges compétents en cette partie, nous avons
déclaré par juste jugement que toi, Jeanne, vulgairement dite la Pucelle, tu es
tombée en des erreurs variées et crimes divers de schisme, d’idolâtrie, d’invocation
de démons, et plusieurs autres nombreux méfaits. Néanmoins comme l’Eglise ne
ferme pas son sein au pécheur qui y retourne, nous, pensant que tu avais de
bonne foi abandonné ces erreurs et ces crimes, attendu que certain jour tu les
as désavoués, que tu as publiquement juré, voué et promis de n’y plus retourner
sous aucune influence ou d’une manière quelconque, mais que tu préférais
demeurer fidèlement et constamment dans la communion, ainsi que dans l’unité de
l’Eglise catholique et du pontife romain, comme il est plus explicitement
contenu dans ta cédule souscrite de ta propre main; attendu néanmoins que,
après cette abjuration, séduite dans ton coeur par l’auteur de schisme et
d’hérésie, tu es retombée dans ces délits, ainsi qu’il résulte de tes déclarations,
ô honte! Itératives, comme le chien retourne à son vomissement; attendu que
nous tenons pour constant et judiciairement manifeste que ton abjuration était
plutôt feinte que sincère.
Pour ces motifs, nous te déclarons retombée dans les
sentences d’excommunication que tu as primitivement encourues, relapse et
hérétique, et par cette sentence émanée de nous siégeant au tribunal, nous te
dénonçons et prononçons, par ces présentes, comme un membre pourri, qui doit
être rejeté et retranché de l’unité ainsi que du corps de l’Eglise, pour que tu
n’infectes pas les autres. Comme elle, nous te rejetons, retranchons et
t’abandonnons à la puissance séculière, en priant cette puissance de modérer
son jugement envers toi en deçà de la mort et de la mutilation des membres,
priant aussi que le sacrement de pénitence te soit administré, si en toi
apparaissent les vrais signes de repentir.
1.
Ces noms figurent dans un acte spécial dressé pour commémorer les
condainsiations et produit en justice lors du procès de réhabilitation. Cf.
Quicherat, Procès, t. III, p. 386.
2.
Fr. Isambard de la Pierre et fr. Martin Ladvenu, dominicains.
EXÉCUTION
DE LA SENTENCE
Texte de Marius Sepet, dans son très bel ouvrage intitulé simplement « Jeanne d’Arc », édition Jean de Bonnot Paris 2002
… Le bûcher était d’une effrayante hauteur. Les
fagots s’entassaient sur une assise en maçonnerie, à laquelle on arrivait par
des degrés, et qui supportait un poteau très élevé. Au sommet du poteau un
vaste tableau présentait aux regards de la foule ces mots, écrits en gros
caractères :
Jeanne, qui se fait nommer la Pucelle, menteresse,
pernicieuse, abuseresse du peuple, devineresse, superstitieuse, blasphémeresse
de Dieu, présomptueuse, mécréante en la foi, vanteresse, idolâtre, cruelle, dissolue,
invocatrice de diables, apostate, schismatique et hérétique
… Après une courte exhortation, Cauchon donna
lecture de la sentence. « Jeanne étant retournée, ô douleur! à ses erreurs et à
ses crimes, comme un chien qui retourne à son vomissement », il la retranchait
à l’Église, et il la livrait à la puissance séculière, priant toutefois
celle-ci, suivant la formule que lui imposait une antique tradition de la
procédure inquisitoriale, formellement rappelée dans le dernier vote des
assesseurs, d’éviter à la condamnée « la mort et la mutilation des membres ».
Il disait cela en face de son innocente victime et du bûcher!
Jeanne était jusqu’alors, sauf quelques soupirs,
quelques sanglots, demeurée dans le silence. Elle se jette à genoux, et commence
à faire à haute voix devant la foule ses lamentations et ses prières…
Cependant la soldatesque anglaise, ces farouches
mercenaires que rien n’émeut, commencent à s’impatienter : « Hé! prêtre,
crient-ils à Jean Massieu, nous ferez-vous dîner ici! »… Deux sergents… vont
chercher, la condamnée. On lui enlève
son chaperon, on la coiffe d’une mitre de papier, où sont écrits ces mots :
Hérétique, relapse, apostate, idolâtre. On l’entraîne vers le juge séculier
qui, voyant la fureur des Anglais, ne prononce aucune sentence; il fait
seulement signe de la main, en disant « Menez, menez. »
Jeanne est sur le bûcher; son confesseur l’y a
suivie, et il l’exhorte avec tendresse. Elle est liée au poteau, et promène ses
regards sur cette foule qui l’environne. « Ah! Rouen! Rouen! s’écrie-t-elle,
j’ai bien peur que tu n’aies à souffrir de ma mort. » Soudain elle pousse un
cri : « Maître Martin, prenez garde, descendez..., le feu. » Le bourreau venait
d’allumer les fagots par en bas. Ladvenu rejoint Ysambard au pied du bûcher, et
ils ne cessent tous deux de parler à Jeanne à travers les flammes, de tenir le
crucifix devant ses yeux. Cependant la fumée s’élève, le bois pétille, la
flamme terrestre enveloppe le chaste corps de la Pucelle, et au même moment le
feu divin embrase son cœur : elle voit les anges, elle voit les saintes; elle
comprend la délivrance. « Saint Michel! saint Michel! Non, mes voix ne m’ont
pas trompée, ma mission était de Dieu, Jésus! Jésus! » La douleur lui arracha
un dernier cri d’angoisse : « De l’eau! de l’eau bénite! » Mais bientôt elle
redit avec une énergie nouvelle : « Jésus! Jésus! Jésus! » Et elle meurt en
criant : « Jésus! »
Le bourreau écarta les flammes, pour montrer à la
populace qu’il n’y avait pas eu de subterfuge, de substitution de personne, que
c’était bien la Pucelle qui avait été brûlée vive; puis, rapprochant les fagots
et attisant l’incendie avec de huile et du soufre, il acheva son œuvre. Les restes de la vierge de France,
c’est-à-dire un peu de poussière, quelques ossements, son cœur et ses
entrailles, furent jetés dans la Seine par l’ordre de Winchester.
Le bourreau inconsolable d’avoir servi d’instrument
à l’atroce vengeance de l’Angleterre vint, tremblant, éperdu, trouver Ladvenu
et Ysambard, disant qu’aucune exécution ne lui avait causé une telle douleur,
racontant comme quoi, malgré tous ses efforts, le cœur de Jeanne n’avait pu
être entamé par les flammes, criant que Dieu ne lui pardonnerait jamais.
Les deux religieux virent dans l’après-midi, arriver
au couvent un autre pénitent : c’était un soldat anglais qui avait parié qu’il
jetterait un fagot dans le bûcher de Jeanne. Il s’approchait pour accomplir ce
bel exploit, quand tout à coup on le vit pâlir, chanceler, s’affaisser sur le
sol. Ses compagnons l’emportèrent dans une taverne voisine, où ils eurent
toutes les peines du monde à le faire revenir. « Elle expirait, dit-il, et
comme elle disait : Jésus! j’ai vu alors une colombe sortir de la flamme et
monter au ciel ».
Jean Thiessart, secrétaire du roi d’Angleterre, en
revenant du supplice, s’en allait par les rues, le front penché, les yeux
hagards, répétant à tous ceux qui voulaient l’entendre : « Nous sommes perdus,
nous avons brûlé une sainte ».
*ARRÊT DE RÉHABILITATION DE JEANNE D'ARC
RENDU LE 7 JUILLET 1456
(Extrait de l’ouvrage « le procès de réhabilitation
de Jeanne D’Arc », publié par le Club du meilleur livre en 1954)
L’an mil quatre cent cinquante-six, septième jour du
mois de juillet, à huit heures du matin, en la grande salle du palais de
Révérendissime Père et Seigneur in Xto Mgr l’Archevêque de Rouen, siège
habituel du Tribunal pour les affaires de cette nature ; par-devant
Nosseigneurs Jean, par la miséricorde divine Archevêque et Duc de Reims,
Guillaume, Évêque de Paris, Richard, Évêque de Coutances ; Jean Bréhal,
professeur de théologie sacrée et l’un des Inquisiteurs de la perversité
hérétique pour le royaume de France, tous juges délégués et commissaires, etc.
Comparurent en jugement Jean d’Arc, l’un des
principaux demandeurs (sans révocation toutefois des procureurs par lui
constitués pour cette cause) ; Maître Guillaume Prévosteau, procureur
d’Honorables Personnes Ysabelle et Pierre d’Arc, demandeurs ; Maître Simon
Chapitault, promoteur député ; assistés du conseil de Vénérable, Circonspecte
et Scientifique Personne Maître Pierre Maugier, docteur en Décret, avocat
député. Chacun d’eux, en fait, réellement et par écrit, produisit et exhiba la
citation à lui décernée contre Révérend Père in Xto Mgr l’Évêque actuel de
Beauvais, le Sous-Inquisiteur de la perversité hérétique dans le diocèse de
Beauvais, le promoteur des causes criminelles de la Cour de Beauvais, et tous
autres croyant avoir part à l’affaire, ensemble ou séparément, pour ouïr porter
le droit et prononcer la sentence définitive en cette cause. Ils demandèrent et
chacun demanda que la contumace fût décrétée contre les parties citées,
absentes ni ne s’étant préoccupées de répondre au terme de ce jour, afin que
les juges, après y avoir procédé, pussent enfin prononcer le droit et leur
définitive sentence.
Accédant à cette requête au nom de la justice, les
juges et commissaires réputèrent contumaces les prévenus qui n’avaient pas
répondu à leur citation ni ne s’étaient fait représenter. Puis la sentence
définitive fut, par l’organe de Mgr l’Archevêque, lue dans la forme qui suit :
Au nom de la Sainte et Indivisible Trinité du Père,
du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
Par la grâce de l’Éternelle Majesté, le Christ
Sauveur, Seigneur, Dieu et homme ensemble, a préposé le Bienheureux Pierre et
ses successeurs apostoliques au gouvernement et contrôle de son Église
militante, afin qu’éclairés par la lumière de la Vérité, ils enseignent à
marcher dans les voies de la justice, aimant les bons, assistant les opprimés
et redressant ceux qui se sont dévoyés, par l’exercice d’une justice conforme à
la raison. Nous donc, Jean, par la grâce de Dieu Archevêque de Reims ;
Guillaume, Évêque de Paris; Richard, Évêque de Coutances ; Jean Bréhal, o.p.,
professeur de théologie sacrée, et l’un des Inquisiteurs de la perversité hérétique
dans le royaume de France, en vertu de l’autorité à nous spécialement déléguée
par Notre-Très-Saint-Père le Pape.
Vu le procès solennellement instruit devant Nous, en
vertu du mandat apostolique qui Nous a été présenté de la part d’Honorable
Veuve Isabelle d’Arc et de Pierre et Jean dits d’Arc, mère et frères germains,
naturels et légitimes de feu Jeanne d’Arc dite la Pucelle, de bonne mémoire, et
au nom de leur famille, demandeurs, contre le Sous-Inquisiteur de la perversité
hérétique dans le diocèse de Beauvais, contre le promoteur des affaires
criminelles de la Cour del’évêché de Beauvais ; contre pareillement Révérend
Père en le Christ, Monseigneur Guillaume de Hollande, Évêque de Beauvais, ainsi
que contre tous autres un et chacun intéressés pour leur part tant
conjointement que séparément, défendeurs ;
vu la citation péremptoire et l’exécution d’icelle
par Nous décernée contre lesdits prévenus, à l’instance des demandeurs et de
Notre promoteur institué, juré et créé pour cette cause, à voir mettre à
exécution le rescrit, comme à se constituer en partie adverse, répondre et
procéder selon le droit ;
vu la requête des susdits demandeurs, ainsi que les
faits, raisons, conclusions par eux mis par écrit en forme d’articles
concluants, tendant à la déclaration de nullité, iniquité et fausseté d’un
prétendu procès en matière de foi, naguère intenté contre ladite défunte en
cette même cité par feu Mgr Pierre Cauchon, alors Évêque de Beauvais, feu jean
Le Maistre, prétendu Sous-Inquisiteur dans ce même diocèse de Beauvais, et Jean
d’Estivet, promoteur ou se comportant en promoteur de l’affaire ; tendant de
même à la cassation et annulation des abjurations, sentences et séquelles de
toute nature et à la réhabilitation de ladite défunte et à toutes autres fins
expresses ;
vu, dûment lu et examiné les livres originaux, instruments,
preuves, actes, notules et protocoles du susdit procès, à nous baillés et
présentés en vertu de nos lettres compulsoires, par les notaires et autres ; vu
les seings et écritures d’iceux reconnus en notre présence; vu le long examen
de ces pièces, ainsi que la collation et confrontation des livres et des notes
agrégées, effectués avec les notaires et officiers dudit procès, comme avec les
conseillers appelés à cette instance dont il nous fut possible d’obtenir la
comparution ;
vu de même les informations préliminaires, prises
tant par Révérendissime Père et Seigneur in Xto Mgr Guillaume, Cardinal-prêtre
du Titre de Saint-Martin-des-Monts et légat du Saint-Siège apostolique pour le
royaume de France, avec le concours de l’Inquisiteur et après étude des livres
et instruments à eux présentés, que par Nous-mêmes et Nos commissaires ;
vu et considéré les différents traités de très
distingués prélats, docteurs et praticiens qui, après avoir examiné tout au
long les livres et instruments dudit procès, permirent d’élucider les points
douteux ; tels qu’ils furent produits et composés selon les ordonnances dudit
Révérendissime Père et les Nôtres ;
vu les susdits articles et interrogatoires à Nous
présentés de par les demandeurs et le promoteur et admis à la preuve après dues
citations ; attendu les dépositions des témoins tant sur les mœurs et l’extrace
de ladite défunte, (enquête effectuée sur elle, à Poitiers et ailleurs, en
présence de nombreux prélats, docteurs et experts, en particulier de
Révérendissime Père Renaud, de son vivant Archevêque de Reims et métropolitain
de L’Évêque de Beauvais ; que sur la merveilleuse libération de la cité
d’Orléans, la marche sur Reims et le couronnement royal ; sur les circonstances
du procès lui-même, ses caractères et sa procédure;
vu d’autres lettres, instruments et preuves, outre
lesdites lettres, dépositions et attestations produites dans les délais fixés
par le droit avec forclusion prononcée contre les contradicteurs ; ouï Notre
promoteur, qui, au vu de ces documents, s’est joint pleinement aux demandeurs
et les reprit tous pour sa part, en vertu et au nom de Notre office, aux fins
expressément stipulées par les demandeurs... ; vu d’autres requêtes et réserves
faites pour sa part et au nom des demandeurs et par nous admises ensemble avec
les motifs de droit résumés à Notre usage et par Nous reçus; après quoi, ayant
au nom du Christ conclu en la cause, et assigné à aujourd’hui le prononcé de la
sentence ; vu et mûrement examiné en tous sens tous et chacun des faits et documents
sus-mentionnés, ensemble avec certaines propositions commençant par « Quaedam
femina », que les juges, au terme du premier procès, prétendirent avoir été
extraites des déclarations de ladite défunte, et qu’ils transmirent pour avis à
un grand nombre de personnages solennels ; propositions que lesdits promoteurs
et demandeurs ont attaquées comme iniques, fausses, étrangères aux-dites
déclarations et mensongèrement fabriquées.
Afin que Notre présent jugement procède de la face
de Dieu, qui est le pondérateur des esprits, seul parfait connaisseur et juge
très exact de Ses révélations; Lui qui souffle où Il veut et exhausse parfois
des faibles pour confondre les forts ; qui n’abandonne pas ceux qui se confient
en Lui, mais les assiste dans la prospérité comme dans les tribulations ; après
mûre délibération, tant sur les préliminaires que sur la conclusion de
l’affaire, avec des experts éprouvés et prudents ; vu leurs opinions
solennelles, traités fondés sur d’impressionnantes consultations et compilations
d’ouvrages, jugements exprimés oralement et par écrit, tant sur la forme que
sur la matière dudit procès, et d’après quoi les faits de ladite défunte sont
estimés plus dignes d’admiration que de châtiment ; constatant avec stupeur le
jugement réprobatoire et déterminé porté contre elle, à raison de la forme et
de la matière ; et remarquant qu’en telle matière, il est extrêmement difficile
de prononcer un jugement déterminé (n’est-ce pas le Bienheureux Paul lui-même
qui déclarait, au sujet de ses révélations, ne pas savoir s’il les avait eues
en corps ou en esprit, et s’en rapporter là-dessus à Notre-Seigneur?) ;
… En premier déclarons et, selon l’exigence de la
justice, décrétons que les propositions commençant par « Quaedam femina » dans
le prétendu procès et l’instrument des prétendues sentences prononcées contre
ladite défunte, seraient, furent et sont un extrait corrompu, frauduleux,
calomnieux, perfide et déloyal du prétendu procès et des déclarations de ladite
défunte ; que la vérité a été tue et des faussetés introduites en plusieurs
points essentiels, grâce à quoi la conscience des juges et consultants était
susceptible de se voir égarée ; qu’ont été dûment ajoutées plusieurs
circonstances aggravantes, non contenues dans le procès et les déclarations
susdites, retranchées certaines circonstances atténuantes et justifications,
altérée enfin la forme des mots, qui en modifie l’essence. A ces causes, nous
cassons, supprimons et annulons ces propositions, comme fausses, mensongères,
frauduleusement extraites, et dissemblables des déclarations de l’accusée
elle-même; nous en ordonnons la lacération immédiate. (On procède à cette
lacération.)
Vu d’autre part avec attention les autres parties du
même procès, et spécialement deux prétendues sentences qui y sont contenues, et
que les juges qualifient de lapse et de relapse; dûment considéré la qualité
des juges susdits et de ceux à la garde de qui ladite Jeanne était commise ;
vu les récusations, soumissions, appels et multiples
requêtes par lesquels ladite Jeanne réclama que tous ses dits et ses faits
fussent transmis au Saint-Siège apostolique et à Notre-Très-Saint-Seigneur le
Souverain Pontife, auquel elle se soumettait et soumettait tous ses actes ;
attendu, quant à la matière dudit procès,
l’abjuration prétendue, fausse, artificieuse, extorquée par la force et la
terreur, en présence du bourreau et sous la menace du bûcher imminent, et que
ladite défunte ne put ni préméditer ni comprendre ; attendu d’autre part les
traités et opinions de prélats et docteurs solennels experts en droit divin et
humain, selon lesquels, aux termes de très élégantes dissertations sur la
nullité et l’injustice de cette cause en de nombreux aspects, les forfaits
imputés à ladite Jeanne dans lesdites prétendues sentences ne peuvent aucunement
se déduire du cours du procès ou en être extraits ; attendu tous et chacun
autres éléments d’information qui étaient à considérer en l’occurrence ;
… Nous, siégeant en tribunal et ayant Dieu seul
devant les yeux, par Notre sentence définitive que siégeant en tribunal Nous
portons par cet acte,
… Disons, prononçons, décrétons et déclarons que
lesdits procès et sentences, entachés de dol, chalonge [calomnie judiciaire],
iniquité, mensonge, erreur manifeste de droit et de fait, de même que ladite
abjuration et toutes leurs exécutions et séquelles ont été, sont et seront
nuls, invalides, inexistants et vains ; et ce néanmoins, autant que de besoin
et de raison, les cassons, supprimons, annulons et déclarons dénués de toute
validité ; déclarons en outre que ladite Jeanne, ses parents et les demandeurs
eux-mêmes, n’ont été entachés d’aucune souillure d’infamie à l’occasion des
prémisses, et qu’ils en doivent être réputés exempts et saufs ; les en disculpant
autant que de besoin est ; ordonnons que sera notre sentence solennellement
exécutée soit intimée au plus tôt dans cette ville, en deux endroits : l’un, ce
jour d’hui même, sur la place de Saint-Ouen, après procession générale
préalable ; l’autre, demain, au Vieux-Marché, au lieu où ladite Jeanne fut affreusement
et cruellement étouffée par le supplice du feu ; prédication solennelle y sera
faite, et une croix érigée pour entretenir à jamais sa mémoire et implorer le
salut de son âme et de celles des autres défunts ; nous réservant de faire
exécuter, intimer, signifier notoirement pour l’avenir Notre sentence dans les
cités et lieux insignes de ce royaume, selon qu’il pourrait Nous apparaître
opportun, et parachever ce qui resterait à accomplir.
Portée, lue et promulguée fut cette présente
sentence par les Seigneurs juges, en présence de Révérend Père in Xto Mgr
l’Evêque de Démétriade ; Hector de Coquerel, Nicolas du Boys, Alain Olivier,
Jean du Bec, Jean de Gouys, Guillaume Roussel, Laurent Sureau, chanoines ;
Martin Ladvenu, Jean Roussel, Thomas de Fanoullières. Desquelles écritures en
leur totalité Maître Simon Chapitault, promoteur, Jean d’Arc et Prévosteau, au
nom des autres, demandèrent un exemplaire, etc.
Jeanne d'Arc est fêtée par la République Française le deuxième dimanche de mai, fête nationale de Jeanne d'Arc et du patriotisme (loi du 10 juillet 1920) ;
la date de Sainte Jeanne d'Arc fixée par le martyrologe de l'Église catholique est le 30 mai date anniversaire de sa naissance au ciel (c'est à dire de sa mort).
- Benoît XVI: sainte Jeanne est une des figures caractéristiques de ces 'femmes fortes' qui 'à la fin du Moyen Age, portèrent sans peur la grande lumière de l'Évangile dans les évènements complexes de l'Histoire' ... Sainte Jeanne d'Arc nous apprend que lorsque le pays est marqué par la division et par le découragement et la résignation, la foi qui puise à la Sagesse divine offre au chrétien la capacité de trouver les moyens extraordinaires d'intelligence et de force, pour offrir des raisons d'une nouvelle espérance pour la société...
- Centre spirituel de Domrémy - Un peu d'histoire : 27 janvier 1894 Jeanne est déclarée "vénérable" par Rome, 18 avril 1909 béatification de Jeanne d'Arc à Saint-Pierre de Rome, 30 mai 1920 canonisation de Jeanne d'Arc.
- "Sainte Jeanne d'Arc fut canonisée en 1920, quatre siècles après sa mort et à la fin d'une longue polémique entre ceux qui, comme l'historien Michelet, célébraient en elle la fille du peuple de France et ceux qui, avec les Évêques d'Orléans, en commençant par Mgr Dupanloup, voyaient surtout en elle une vraie fille de l'Église. Les temps du procès, de béatification et de canonisation furent des temps de luttes anticléricales: expulsion des religieux et loi de Séparation de l'Église et de l'Etat, en 1905."
La sainteté comme suprême forme de sagesse (Homélie de Mgr Lluis Martinez-Sistach)
- Jeanne d'Arc, brûlée en 1431, ne sera béatifiée qu'en 1909 puis canonisée, c'est-à-dire inscrite sur la liste des saints de l'Église, en 1920. Les églises du diocèse de Poitiers possédant une représentation de Jeanne d'Arc sont très nombreuses. (diocèse de Poitiers- quelques saints du Poitou et d'ailleurs)
- en 1922, Pie XI reconnaît officiellement la Vierge Marie en son Assomption comme patronne de la France et Jeanne d'Arc comme patronne secondaire; (en latin) Acta Apostolicae Sedis, Commentarium Officiale, pages 185 et 708, lettre apostolique Galliam, Ecclesiae filiam.
Martyrologe romain
"Messire Dieu, premier servi" "Dieu fait ma route" (Jeanne) Lors de son jugement: "Ne te chaille pas de ton martyre. Prends tout en gré, Dieu t'aidera; tu t'en iras par grande victoire au Paradis" (Ses voix)
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