jeudi 4 avril 2024

Confessio Evangelica - Cathares

 

LA «CONFESSIO EVANGELICA» DU CATHARISME OCCITAN

 

NOUVEAUX ASPECTS DU CATHARISME,  LE CATHARISME VU PAR LUI-MÊME


Montségur


 II serait absurde de vouloir fonder une histoire du peuple juif sur le livre «Mein Kampf» d’Adolf Hitler ou sur les registres de Torquemada. C’est pourtant exactement ce que nous faisons dans notre appréciation des Cathares. Elle est fondée sans la moindre critique, sur les registres des Inquisiteurs et sur leur manière de les voir. Cette méthode est fausse. Elle a été fausse depuis huit siècles. Audietur atque altera pars.  Il faut donner la parole aux documents écrits par les Cathares eux-mêmes.

Depuis le XIIe siècle l’Inquisition et ceux qui ont utilisé ses documents, ont caractérisé le Catharisme comme une hérésie radicalement opposée au Christianisme traditionnel. On l’a décrite comme une hérésie manichéenne 1,  comme un mouvement gnostique 2 et une église étrange dans laquelle la cérémonie la plus fréquente était l’adoration des Anciens comme porteurs du. Saint Esprit 3.

Notre livre de base sur le Catharisme est encore, à l’heure actuelle, le livre de Charles Schmidt, écrit en 1848. Réédité en 1983, il a été décrit par Jean Duvernoy dans son Introduction comme «un travail essentiel... qui a ouvert presque toutes les portes » 4. Or, les sources de Schmidt sont exclusivement celles de l’Inquisition. Le Rituel Occitan ne fut découvert à Lyon qu’en 1887 et le Père Dondaine ne publia le Rituel de Florence qu’en 1939. Nos livres modernes n’ont rien changé à cette perspective. Ils emboîtent le pas à Schmidt. Ils citent les Registres de l’Inquisition et ils ne différencient en rien le Catharisme Occitan de celui de la Lombardie. Un parfait exemple de cette perspective est le récent article du duc de Lévis-Mirepoix de l’Académie Française dans la revue Historia de Septembre 1985.

 

1. René Neli i : «Système du Catharisme», dans Heresis, 1983/1 p. 7.

2. Déodat Roché : Le Catharisme, vol. 1. (Cahiers d’Etudes Cathares.) Narbonne 1957, p.17 ss.

3. Jean Duvernoy : La religion des Cathares, Privât 1976, p. 208.

4. Charles Schmidt : Histoire et doctrine des Cathares, (réimpression) Bayonne 1983. Introd. par Jean Duvernoy et commentaires divers sur le dos de l’ouvrage.

 

 Or, même une étude rapide de l’herméneutique de l’Inquisition nous montre que celle-ci ne s’est jamais donné comme tâche de fournir une image impartiale ou même équilibrée des hérésies qu’elle cherchait à exterminer. Elle ne cherchait nulle part et aucunement la Vérité. Elle était là pour stigmatiser l’Erreur et pour l’extirper. Ses registres mettaient en évidence exclusivement ce qui n’était pas congruent avec la foi de l’Eglise de Rome.

La méthode de l’Inquisition était le lit de Procruste des chasseurs d’hérésies, employé depuis Eusèbe de Césarée et même bien avant lui : ce procédé consistait à comparer le mouvement en question avec le modèle le plus stricte de l’orthodoxie la plus étroite. Ce qui dépasse ce «canon » est l’hérésie. La recette veut que l’on prenne ensuite ces déchets, qu’on les coupe en rondel¬ les fines et que l’on en fasse, alors, le «portrait» de l’hérésie. Le Catharisme devenait ainsi un conglomérat d’erreurs et de contre-vérités. Il devint une chimère, un épouvantail, un Frankenstein. Quant à la véritable foi des Cathares, les Inquisiteurs ne s’y intéressaient absolument pas.

Or, une telle méthode est strictement aux antipodes de l’historiographie actuelle, qui cherche précisément une image équilibrée et complète selon les témoignages aussi impartiaux que possible et, surtout, d’après les témoignages des Cathares eux-mêmes. Nous, possédons, en effet, pour pouvoir juger les opinions et la foi des Cathares Occitans, leur Rituel qui leur servit de liturgie et de livre de prières. Toute affirmation des registres de l’Inquisi tion devrait de ce fait être utilisée avec une extrême circonspection, alors que bien plus de poids devrait être attaché au document de Lyon. Car, selon ce manuscrit, le Catharisme était ni gnostique, ni manichéen. Il n’était en fait jamais question d’une adoration des Anciens.

Cela ne veut pas encore dire que nous devons mettre à la poubelle tous les livres écrits sur les Cathares entre 1848 et 1986. Cela serait vider l’enfant avec le bain. Car si l’Inquisition et ses documents ont décrit les Cathares avec des préjugés monumentaux, ils n’ont pas tout inventé de toute pièce. Il y a des éléments qui sont vrais. Ils sont seulement vus par le mauvais bout de la lunette.

Notre travail d’historien moderne doit en fait consister à délimiter d’abord quelles sont les sources directes qui nous permettent de savoir quel était le message vrai des Cathares, selon leurs propres documents. Notre tâche sera en effet de soumettre les textes cathares à un examen minutieux, pour y chercher le centre vrai et les racines profondes du Catharisme occitan. Cela nous permettra de rectifier le tir, de pouvoir analyser les critères selon lesquels les Cathares essayaient de se faire juger eux-mêmes.

Une telle étude sera pleine de surprises. Elle nous montrera les Cathares sous un angle nouveau. Non pas comme des Manichéens à tout crin, des crypto-gnostiques ou des farfelus en tout genre. Nous découvrirons en eux en fait des Evangéliques fondamentalistes, des Montanistes épris de l’Esprit Saint, des Puritains hantés par l’idée de la pureté morale, des hommes et des femmes imbus d’un idéal de la vie chrétienne.


II y a eu, sans aucun doute, certains Cathares qui ont affirmé un dualisme parfois outrancier : il y en a eu qui ont souscrit aux légendes manichéennes 5. Leur souci de séparer le Christ de tout ce qui est bas et humain les a amenés à des affirmations docétistes 6. Mais toutes ces idées étaient principalement celles du Catharisme oriental et italien. En Occitanie, où les différences théologiques étaient d’une importance strictement mineure 7, ces problèmes constituaient la périphérie et non pas le centre de l’affirmation cathare.

Cette perspective est basée sur le document du Catharisme occitan qui nous est parvenu non seulement complet mais aussi intacte, et dans lequel on chercherait en vain la moindre affirmation gnostique, la moindre trace manichéenne ou le moindre élément docétiste.

 Le document cathare qui nous montre le Catharisme occitan sous l’angle d’un mouvement Montaniste et évangélique est le Rituel Cathare du manuscrit de Lyon, qui exprime par les formes des services cathares et par leurs affirmations centrales, que le but du Catharisme était une pureté évangélique et la quête du Pardon de Dieu et du don de l’Esprit Saint.

 5. A. Dondaine, éd. : Liber de duobus principiis. Santa Sabina .1939.

6. J. DuvERNor : o.c. p. 86 s.

7. Salvo Burcê : «Supra Stella », dans Ignaz v. Dôllinger, Beitrage zur Sektengeschichte des Mittelalters, p. 53 : «Cathari, qui Calojani et etiam Francigenae nuncupantur, qui ex toto non sunt ex fide Albanensium, nec ex fide Concorriciorum... dicendo, quod eorum ecclesia patitur scanda-lum per divisionem eorum».

 

colombe cathare

Quatre services sont contenus dans notre document cathare : le Melhorier ou Confession des péchés avec le Pardon. Le Servisi qui est une forme plus longue de demandes de pardon à laquelle devait s’ajouter le Pardon du Melhorier. La «Transmission du Notre Père», un service d’enseigne¬ ment et d’affirmation de la foi destiné aux Croyants, et le Consolament ou Baptême Spirituel destiné seulement aux Parfaits. Une variante de ce der¬ nier service pour les mourants était également incluse dans le Rituel.

Or, nous trouvons au début du service de la «Transmission du Notre Père», immédiatement après le Melhorier qui est obligatoire dans toutes les cérémonies, un court paragraphe composé uniquement de passages bibliques énumérés les uns après les autres. Jean Duvernoy appelle ce passage une «catéchèse»8 mais l’absence de tout commentaire des passages bibliques nous fait penser plus loin : ces passages bibliques qui couvrent les éléments de base de la foi occitane constituent comme une affirmation biblique du message central de cette Eglise : cette agglomération de textes bibliques ne serait en réalité rien d’autre que sa «règle de foi » (régula fidei ) la «Confession de foi » de l’Eglise Cathare que nous trouvons ici sous sa forme la plus succinte et la plus simple : elle affirme la légalité de l’Eglise, elle établit la nécessité d’une morale absolue séparée du monde et de sa vie matérielle ; et elle proclame le rôle essentiel et primordial de l’Esprit.

Le fait que nous avons ici et dans ce document une «règle» dans le sens d’une confession de foi, nous est confirmée par le fait que deux réformateurs parmi les plus importants du Moyen Age ont, eux aussi, écrit des «règles de foi » qui étaient elles aussi entièrement composées de passages bibliques comme celle de notre document occitan : ces deux hommes sont en fait Waldo de Lyon et, à sa suite, Saint François d’ Assise.

Les regulae fidei de Waldo et de St. Francois

Le premier de ces documents, qui est de la main de Waldo, est un docu¬ ment curial qui peut être daté des environs de l’année 1 184 9, quand les Vaudois furent nommés pour la première fois dans une liste de mouvements hérétiques lors du Concile de Vérone. Ce document 10, que nous pensons avoir été le premier à identifier comme la Confessio fidei de Waldo en 1974, en le distinguant du reste du texte prescrit selon un formulaire général, comprend seulement une dizaine de lignes à la fin de ce document.

 8. J. Duvernoy, op.cit., p. 148.

9. Giovanni Gonnet éd. : Enchiridion fontium valdensium, Claudiana 1958 p. 31.

10. Enchiridion, o.c. p. 32.

 

 Le formulaire général affirme en fait l’unicité de Dieu, (anti-manichéen) la naissance matérielle et l’existence corporelle du Christ (anti-docétiste) et la réalité du sang et du corps du Christ dans le sacrifice de la Messe (anti¬ spiritualiste) et la valeur objective de ce sacrifice (anti-arnaldiste) parmi d’autres affirmations.

Puis, tout à fait à la fin du document u, vient un passage de quelques lignes seulement qui est entièrement composé de passages de l’Ecriture et qui affirme, par quatre textes du NT, la nécessité de la pauvreté que le signa¬ taire a choisi comme le principe essentiel de son existence. Le texte commence avec la citation de l’Epître de Jacques selon lequel «toute foi sans les œuvres est morte» (Jacques 2/20). Il continue avec Matthieu 16/24 sur la «nécessité de renoncer au monde ». Suit le passage de Mt 13/22 sur la nécessité de la pauvreté recommandée par le Christ. Il cite immédiatement après l’envoi des disciples du Christ «sans or ni argent » ni vêtements de rechange et sans réserves de nourriture (Mt 10/9,10), et déclare ne pas s’exposer ainsi à la tentation des richesses. Le paragraphe se termine par la promesse de vivre ainsi non seulement selon les lois, mais aussi selon les suggestions de l’Evangile, et par la confirmation que même ceux qui ne sont pas pauvres, peuvent arriver au salut par le don d’aumônes 12.

Ce paragraphe composé de ces quatre passages bibliques ne fait pas partie du formulaire curial, que signèrent par la suite Durand d’Huesca et Bernard Prim 13 . Il semble donc être particulier au document signé par Waldo, ce qui rend infiniment vraisemblable que ces lignes soient de la plume du fondateur des Pauperi de Lugdunum lui-même. Ces quatre passages donnent, en effet, la base théologique et la raison d’être de la pauvreté des Vau-dois et la justifient par des citations évangéliques. Il s’agit donc ici d’une Confessio, d’une affirmation des bases même de la foi sur laquelle sont fondés les Pauvres de Lyon. Nous avons devant nous ce que nous pourrions appeler, la «Confession de Waldo » qui daterait des environs de l’année 1184.

 Une Confessio, probablement très proche de celle de Waldo, également composée de citations bibliques, fut exigée de Giovanni Bernardone, mieux connu sous le nom de St François d’ Assise. Nous ne la possédons plus, malheureusement ; mais nous savons qu’elle constituait la première règle de Saint François et la seule véritablement de sa main. Thomas de Celano, le biographe de Saint François, note en effet que François composa «simplement et en très peu de mots une forme de vie et de règle, utilisant pour la plupart les mots même des Evangiles»14. Une reconstruction de cette Régula d’après les passages cités, à divers endroits, par Frère Thomas, pourrait comprendre Matthieu 19/23 15, Mt 13/22 16, Mt 10/9 17 et Mt 10/10 18 ce qui couvre presque exactement les citations bibliques de Waldo de Lyon, à l’exception du passage de l’Epître de Jacques que Waldo a placé en exergue.

 11. Enchiridion, o.c. p. 35.

12. Enchiridion , o.c. p. 35.

13. Enchiridion , o.c. p. 32.

14. Thomas de Cei ano : Vita prima 1/32.

 

 Toutefois, ce qui nous intéresse ici n’est pas la parenté entre le Saint et l’hérétique, qui devrait être le sujet d’une autre étude, mais le fait qu’à l’époque dont date, très probablement, la liturgie Cathare du Rituel, soit latin, soit occitan, les «Confessions » d’un groupe chrétien prenaient la forme d’un agglomérat de passages de l’Ecriture Sainte. Waldo, et aussi Saint François, cherchaient à baser leur foi et leur communauté sur le fondement ferme et indiscutable des Evangiles. Leur zèle évangélique, ainsi exprimé par les paroles même du Christ, pouvait devenir le passeport légitime de leur groupe non seulement envers les croyants, mais aussi envers les autorités ecclésiastiques qui pouvaient douter de l’orthodoxie de leur mouvement chrétien.

C’est la raison aussi pour laquelle nous trouvons, au début du Rituel Cathare occitan un assemblage de passages bibliques qui n’a pas encore été étudié quant à sa signification particulière, mais dans lequel nous croyons reconnaître la Confessio Catharica, la confession de foi évangélique de l’Eglise Cathare.

 

La cérémonie

Les textes bibliques auxquels nous avons fait allusion et que nous pensons être la Confessio Catharica se trouvent au début, mais pas tout à fait au commencement de la cérémonie de la transmission du Notre Père.

Cette cérémonie commence d’ailleurs avec le Melhorier qui est une confession des péchés — Bénédicité parcite nobis — et l’absolution accordée, par l’Ancien, dans la prière par excellence du Catharisme : «Pater et filius et spiritus sanctus parcat vobis omnia peccata vestra : adoremus patrem filium et spiritum sanctums.

 Après cette absolution vient le passage mentionné ci-dessus, qui contient une très brève introduction et douze citations directes de l’Ecriture, qui se suivent sans explication supplémentaire.

Ces passages du NT ne sont ni un sermon, ni une prière, mais sans doute une affirmation fondamentale concernant les bases de la foi Cathare. Ce paragraphe ne s’adresse d’ailleurs pas aux «Parfaits » seuls, comme certaines affirmations concernant le pouvoir des clefs de Jn 20/23 qui se trouvent dans la cérémonie du Consolament.

15. ibid. 1/8.

16. ibid. I/ll.

17. ibid. 11/13 aussi 1/22.

18. ibid. 1/12.

 Il est, pour eux, une sorte d’explication des idées principales du Catharisme, exprimées par un assemblage de textes bibliques. Le texte de ce document est essentiellement celui de la traduction de Déodat Roché 19, que reprend d’ailleurs Nelli 20 :

Une église vraie et légitime

Pierre, vous devez comprendre, quand vous êtes devant l’Eglise de Dieu, que vous êtes devant le Père et le Fils et le Saint Esprit. Car Eglise signifie «assemblée» et là où sont les vrais chrétiens est le Père, le Fils et le Saint Esprit, comme les divines Ecritures le démontrent. Car Christ dit, dans l’Evangile de Matthieu (XVIII/20) : «En quelque lieu que soient deux ou trois hommes réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » Et dans l’Evangile de Saint Jean (XIV/23) il dit : «Si quelqu’un m’aime et garde ma Parole, (sermonem ) mon Père l’aimera. Nous viendrons à lui et nous demeurerons avec lui (mansionem apud ejum faciemus )»

 

1. Matthieu 18/20

Le bref passage d’introduction cherche à établir la légalité du mouvement Cathare en tant qu’Eglise chrétienne. Celle-ci est exprimée dans la promesse du Christ que « là où deux ou trois seront rassemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux ». Pour notre Cathare, l’Eglise n’est pas limitée à l’endroit où est dite la Messe par un prêtre. L’Eglise est l’assemblée qui invoque le nom du Christ. Ce passage est essentiellement l’affirmation Monta-niste qui cherche l’Eglise du Christ vivant plutôt qu’une Eglise-Institution ; qui cherche le rassemblement spirituel, plutôt que la communauté organisée selon le droit humain. L’Eglise des Cathares, définie ici, n’est pas une hiérarchie; elle n’est pas soumise à l’homme. Elle est libre selon la volonté de Dieu — ubi et quando visum est Deo — et elle a comme seul Seigneur Jésus-Christ. Là où est le Christ, là aussi est l’Eglise : ubi Christus, ubi ecclesia.

 

 2. Jean 14/23

La deuxième citation biblique est tirée de l’Evangile selon Jean, d’un passage sur le Saint Esprit, dont nous aurons encore à rendre compte plus tard. Mais ici l’accent n’est pas sur le Paraclet, mais sur la Parole. Jean affirme que la présence du Christ est intimement liée à la parole {sermo, dit la Vulgate, alors que le texte grec dit logos). Là où les hommes gardent cette parole (le jeu de mot dans le texte grec entre Parole parlée et Parole envoyée par Dieu (cf Jn 1/1) est intraduisible en latin) là aussi demeurent le Père, le Fils et le Saint Esprit. Le lecteur occidental entend ici «sermon », «enseignement » et non pas présence mystique du Christ comme le comprenaient les orientaux. Le texte fait comprendre au lecteur que le Christ est là où l’Evangile est enseigné, où la bonne nouvelle du Christ est propagée. C’est là en fait que demeure Dieu sous sa forme trinitaire.

 19. Déodat Roché : L’église Romaine et les Cathares Albigeois. (Cahiers d’Etudes Cathares.) Narbonne 1957 p. 163 ss.

20. René Nelli : Ecritures Cathares. Denoël 1959.


Sentier Cathare


 

 3. La définition de l’Église

Dans l’introduction de ce paragraphe, dont les deux passages bibliques sont la confirmation, notre texte définit l’Eglise comme une «assemblée», qui représente «le Père, le Fils et le Saint Esprit ». Cela veut dire clairement que l’Eglise est la somme des croyants. C’est dans cette somme des croyants que réside l’autorité de Dieu par la présence du Christ.

Cette affirmation est diamétralement opposée à la conception catholique qui prend comme base le passage de Mt 16/18 : « Et moi je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ». Selon ce passage l’autorité appartient seule à Pierre et à ses successeurs. L’Eglise, selon ce point de vue, n’est pas l’assemblée, mais la hiérarchie, l’autorité. Ce sont les clercs, les évêques et le Pape.

Cette définition de l’Eglise chez les Cathares est donc proprement révolutionnaire. Elle établit d’emblée une structure ecclésiastique pour laquelle l’autorité ne réside pas dans les clercs, mais dans les laïcs qui sont, comme le dit notre texte «les vrais chrétiens », c’est-à-dire ceux qui ont reçu le don et de ce fait l’autorité de l’Esprit Saint.

En fait, cette ecclésiologie est celle des Evangiles, qui parle bien de Pierre comme le fondement de l’Eglise, mais qui ne mentionne nulle part une suc cession : Jésus ne promet pas, dans Jn 14, un vicaire humain mais « L’Esprit de vérité, le Consolateur, qui demeure éternellement avec vous » (Jn 14/16) un passage que notre régula fidei cathare cite d’ailleurs plus loin dans notre confession évangélique21.

Cette centralité de l’Esprit Saint rejoint celle des Montanistes du deuxième siècle qui plaçaient les Prophètes au-dessus des Evêques dans leur recherche du Christianisme des Evangiles. La base ecclésiologique des Cathares fondée sur Mt 18 se retrouve aussi chez Calvin qui déclare dans son Institution Chrétienne : « L’Eglise visible [est] par tout où nous voyons la parolle de Dieu estre purement preschée et escoutée, ... là il ne faut douter nullement qu’il n’y ait Eglise : d’autant que la promesse qu’il nous a baillée ne nous peut faillir : par tout où deux ou trois seront assemblez en mon nom, je seray au milieu d’eux. (Mt 18/20) »22. Dans ce passage de Calvin sa conception de la « parolle de Dieu purement preschée » rejoint la définition de la Parole enseignement de notre texte cathare.

21. Roché : o.c. p. 180.

 

Il faudrait souligner ici aussi la forte affirmation trinitaire dès le début de notre régula fidei. Mentionnée deux fois dans deux phrases consécutives, elle met en évidence un des fondements essentiels de la foi chrétienne, que le Catharisme partage avec l’Eglise de Rome. Il ne faut surtout pas prendre à la lettre l’exclamation «unitarienne » (?) de Jacques Authié23 (Duver-noy, p. 43). Dans ce mot Authié cherche à discréditer le signe de la croix qui «sépare» les trois personnes de la trinité, mais non pas la Trinité elle-même. L’invocation de la Trinité se trouve trois fois sur la première page de notre Rituel et deux fois dans notre texte de la régula fidei.

La Trinité joue en fait un rôle d’une importance capitale dans le Catharisme. L’Eglise représente en effet, pour lui, le Père, le Fils et le Saint Esprit dans son rassemblement. Le Christ est avec elle chaque fois que «deux ou trois sont assemblés en son nom » (Mt 18/16) et le Saint Esprit «en nous » demeure «éternellement» avec nous selon la promesse de Jn 14/16. Sans cet Esprit de Dieu il n’y aurait en effet ni Eglise ni Consolament. Ce dernier constitue en effet le baptisme esperital 24 : le Baptême de l’Esprit qui confère son authenticité à l’Eglise.

La seule différence entre Rome et les Cathares, concernant la Trinité, est dans le fait que l’Eglise de l’Ouest a de plus en plus négligé la troisième personne de la Trinité, le Saint Esprit. Alors que le Saint Esprit joue un rôle important dans la liturgie orientale par l’Epiclèse, l’invocation de l’Esprit Saint au moment de la transformation des espèces, (cette Epiclèse se trouve encore dans le missale gothicum et chez Isidore de Séville), est éliminée dans le Canon de la Messe de Rome, où demeurent comme éléments principaux le Père et le Fils : le Saint Esprit, lui, n’y est jamais mentionné seul.

Les Cathares, fortement trinitaires, ont rétabli l’équilibre des trois personnes de la Trinité, en mettant, comme nous le verrons, l’accent tout particulièrement sur l’Esprit Saint si peu mis en évidence dans la Messe. On pourrait peut-être même dire que les Cathares ont pris l’exact contre-pied de l’Eglise de Rome en accentuant le rôle de l’Esprit Saint, comme l’ont fait les Montanistes et comme le fera, par la suite, la Réforme.

Il est très évident, pour les raisons mentionnées dans notre introduction, que les registres de l’Inquisition restent muets au sujet des croyances trinitaires des Cathares et n’évaluent pas comme positivement chrétien le rôle que joue le Saint Esprit dans la confession de leur foi.

 

22. Jean Calvin : Institution de la religion chrétienne, IV 19.

23. Jean Duvlrnoy : o.c. p. 43.

24. R. Nelli, o.c. p. 218.

 

 La morale absolue

La deuxième partie de notre régula fidei basée sur les textes bibliques s’occupe des rapports de l’homme avec le monde. Ces rapports, proclame notre Règle, sont essentiellement négatifs. Elle s’appuie, dans cette constatation, sur le Dualisme paulinien qui semble conseiller aux hommes de ne pas se souiller des choses de ce monde, de ne rien avoir en commun avec le peuple impur qui les entoure. Cette séparation radicale d’avec le monde implique que l’homme doit vivre pour Dieu et avec lui, que Dieu habitera en lui et fera de lui un être nouveau : que la vie de l’homme, sortie de l’impureté, doit être totalement pure et selon la volonté de Dieu.

Notre texte exprime cette double idée de la dépravation du monde et de la nécessité d’une pureté nouvelle par un seul passage de la seconde épître de Paul aux Corinthiens, sans commentaire supplémentaire :

«Saint Paul dit dans la seconde épître aux Corinthiens (6/16-18) : vous êtes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit par Esaïe : car j’habite¬ rai en eux, et j’irai, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Car c’est pourquoi, sortez du milieu d’eux, et séparez-vous d’eux, dit le Seigneur. Et vous ne toucherez pas les choses impures, et je vous accueillerai. Je serai pour vous un Père, et vous serez pour moi des fils*et des filles, dit le Seigneur Dieu tout-puissant. »

Ce passage, absolument primordial pour la pensée cathare, est centré sans doute sur la citation par Paul du Prophète Isaïe : il contient l’impératif de la séparation d’avec le monde, la pureté absolue et la paternité de Dieu accordée exclusivement à ceux qui ont su se garder purs.

L’idée de pureté est en effet une idée très ancienne dans le Judaïsme. Dans une religion axée sur la Loi, parfois très détaillée, la pureté devient en effet le signe de l’observation parfaite des préceptes de Dieu. Dans le Judaïsme du VIIIe siècle avant Jésus-Christ nous trouvons déjà la séparation, entre ce qui est pur et ce qui ne l’est pas, exprimée dans la vocation d’Esaïe où le Prophète est dit vivre «au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures», mais est délivré de son impureté, et mis au service de Dieu, par un ange qui touche ses lèvres avec un charbon ardent pris de l’autel. Sa mise à part correspond donc à une pureté nouvelle, au fait que «son iniquité est enlevée, que son péché est expié». (Es 6/7)

Dans le Judaïsme postérieur, la pureté devant la loi devenait une hantise pour un grand nombre de personnes, et donna naissance à un mouvement important parmi les classes moyennes de la société. Les «purs» (parushim) qui nous sont connus sous le nom de «Phariséens » étaient dédiés à l’observation de la loi dans sa totalité, tout en essayant de rendre cette observation plus facile en interprétant avec exactitude les moindres commandements, et leur incidence sur la vie quotidienne. Jésus ne condamnait pas les Pharisiens en tant que mouvement. Il critiqua seulement les «hypocrites » parmi eux, comme le fait d’ailleurs le Talmud qui connaît sept catégories de Pharisiens, dont une seule est considérée comme bonne25. Saul de Tarse, qui devint l’Apôtre Paul par la suite, était dans sa jeunesse un Pharisien fort strict. Son attitude envers les choses «impures » est celle du Pharisien qui cite le passage d’Esaïe au sujet de la séparation nécessaire, dans II Co 6/17. Seulement, pour Paul, la pureté, désormais, n’est plus cultuelle, comme pour les prêtres, mais morale. La nouvelle Eglise fait, sans difficulté majeure, cette transformation du monde juif vers l’univers grec dominé par les Romains, où la loi est l’expression d’une attitude éthique.

C’est cette pureté morale et la séparation d’avec un monde immoral qui devient donc dans le Christianisme primitif le signe des «purs ». A cela se greffe d’ailleurs la notion, grecque et dualiste, si souvent mentionnée chez Paul, de l’opposition entre l’âme et le corps, la psyche et la sarx où le corps empêche l’âme d’accomplir sa volonté de pureté : Rm 7/14 commence une telle discussion qui se termine par l’affirmation de la nécessité de la vivification de l’homme pécheur par la vie «en Christ» par l’Esprit.

Cette notion de la pureté liée à l’Esprit sera reprise par les Montanistes de la fin du deuxième siècle, dans une intransigeance nouvelle, réaction contre le laxisme grec qui fait son entrée dans l’Eglise par le grand nombre de «conversions ». Pour eux, confesser César comme le kurios devient le péché contre le Saint Esprit, impardonnable et irréparable.

Cette tradition Montaniste de la pureté absolue est reprise au XIe siècle par les Cathares, dont le nom — catharoi — signifie la même chose, en grec, que «Pharisiens » iparushim) en hébreu. Leur message central est évidemment celui de l’intransigeance et de la séparation totale que cite l’Apôtre Paul dans la Seconde Epître aux Corinthiens, et qui constitue le véritable centre de la «Confession» cathare de notre texte liturgique.

 

Le prophétisme montaniste

La troisième partie de notre Confession reprend avec force l’idée, déjà exprimée au début de la deuxième partie, que notre corps appartient totalement à Dieu et que, de ce fait, l’homme est capable de devenir le porte-parole du Christ.

«En un autre endroit il dit (II Cor 8/3) : «Cherchez la preuve que Christ parle en moi » et dans I Tim 3/14 et 15 il dit : «je t’écris ces choses, espérant aller vers toi bientôt ; mais si je tarde, sache de quelle manière il convient que tu te conduises en la maison de Dieu, dans l’Eglise du Dieu vivant, colonne et appui de la vérité. » Le même dit aux Hébreux, 3/6 : «Mais Christ est comme un fils en sa maison, et sa maison c’est nous. »

25. Mishnah, Traktat Sotah, 22 b.

 L’idée centrale de ces trois passages est l’assertion que le Christ parle à travers les hommes qui lui appartiennent et qui doivent guider l’Eglise. Exprimé d’une manière plus claire encore, la Confession Cathare réclame pour l’individu le don de prophétie par la présence en nous du Christ qui s’exprime par notre bouche.

La notion de prophétie est une des plus anciennes affirmations bibliques. Les premiers prophètes mentionnés sont les charismatiques parmi lesquels le roi Saul fait un stage qui lui récolte d’ailleurs la remarque à peine flatteuse : «Saul, est-il aussi parmi les prophètes ? » (I Sm 10/11) Ils profèrent leurs oracles en une sorte de transe et vivent en des communautés charismatiques. Ils deviennent cependant respectables et représentent une force politique par la suite. Samuel, le prophète, devient la Voix du peuple dans le choix des rois comme Saul et David. Chez ce dernier, le prophète Nathan exerce le droit de censure de la moralité du roi quand il lui reproche le meurtre d’Urie, le mari de la femme que David a prise en son absence.

D’autres prophètes, comme Osée et Amos deviennent, deux siècles plus tard, la conscience du peuple dans ses rapports avec Dieu et dans l’exercice de la justice.

Un siècle plus tard encore le prophète Jérémie intervient dans le domaine politique : il s’insurge contre l’alliance avec l’Egypte et propose une accommodation avec les puissances du Nord. Son action l’oppose aux prêtres, qui ont pris le parti du roi. Il est persécuté par les prêtres qui se croient, eux, les vrais intermédiaires entre Dieu et le peuple. Le roi va jusqu’à brûler un rouleau de prophéties que lui a envoyé Jérémie, et les prêtres applaudissent. Jeté en prison, Jérémie est finalement libéré par les Assyriens lors du sac de Jérusalem (Jr 52).

Avec Jésus cette opposition entre prêtres et prophètes reprend avec violence. Il reproche à Jérusalem, la ville des prêtres, de tuer les Prophètes. C’est enfin le sort du Fils de l’Homme. Arrêté par la police du Temple, il est remis entre les mains des Romains en tant que «rebelle» (Es 53/12) et mis à mort.

La première Eglise chrétienne, qui voit le Temple et le sacrifice juif disparaître en l’an 70, est prophétique par excellence. Le jour de la Pentecôte, les Apôtres parlent en langues. Dans les Eglises fondées par Paul, le Saint-Esprit se manifeste par des phénomènes semblables. La prédication du dimanche est «prophétique », en langues parfois, parfois avec explication en clair, parfois en clair tout simplement. (I Co 14/1-40)

Vers la fin du deuxième siècle, le service du dimanche est bien plus calme ; réglé par des formules liturgiques, il est devenu même trop régimenté au goût d’un certain nombre qui cherche à maintenir la liberté prophétique devant une hiérarchie qui ressemble de plus en plus à celle du Temple de Jérusalem.

Vers 172 surgit le prophétisme phrygien, le Montanisme, qui proclame la primauté de l’Esprit dans ses prophéties. Deux prophétesses, Prisca et Maximilla, se joignent à Montanus, le fondateur du mouvement. Elles proclament que le Christ parle par leur bouche26. Le Prophète, disent-ils, et non pas l’évêque à le pouvoir dans l’Eglise. Leurs exigences forales sont sans le moindre compromis. C’est un retour vers le Christianisme des Evangiles. Car ils accusent l’Eglise d’avoir abandonné à des hommes le gouvernement par l’Esprit27. Leur eschatologie est celle de l’Apocalypse dont ils prennent la prédication, comme de toute la Bible d’ailleurs, à la lettre. Le Montanisme atteint son apogée avec Tertullien, qui en devient l’apologiste. Mais le développement de l’Eglise en une organisation d’état, avec tout ce que cela comporte d’officiel et de légal, est inexorable. Assimilée d’abord à l’Empire, pour ensuite en assumer le rôle pendant le déclin de Rome, l’Eglise devient un pouvoir féodal qui refuse de rentrer dans le rang après la montée des Germains qui s’arrogent le pouvoir politique en Europe.

C’est à cette époque d’une première Renaissance que se place la dissémination d’un nouveau Montanisme, qui souligne de nouveau les impératifs de l’Evangile et la primauté de l’Esprit prophétique : c’est le Catharisme. Selon sa Confession, en effet, le prophétisme, la liberté de l’Esprit qui doit se manifester par les membres de l’Eglise, plutôt que par une hiérarchie de plus en plus éloignée du peuple, devient un des points essentiels de sa prédication.

Le fait que «le Christ parle en moi », et que ce même Christ habite en sa maison, et que cette «maison est nous » est primordial pour les Cathares. Le Cathare ne dépend plus d’une Eglise visible. Il est «en direct » avec Dieu ; il est par le Saint-Esprit, le prophète par lequel Dieu parle aux croyants.

 

Le don de l’esprit

Finalement, la quatrième partie de la Confession met l’accent sur le Saint-Esprit, qui est indispensable au vrai prophète : le Saint-Esprit est en effet la pierre de l’angle du Catharisme selon la cérémonie du Consomment, qui n’est en fait rien d’autre que la Baptême du Saint-Esprit. Par ce Baptême, le Postulant reçoit le pouvoir des Clefs ou la possibilité de pardonner les péchés, que l’Eglise de Rome concède seulement à ses prêtres et à ses évêques. De loin le plus grand nombre de passages bibliques est dédié à l’assertion du rôle de cet Esprit, qui devient ainsi le facteur le plus important de la foi cathare.

 

26. Epii’hanius : Panarion 48/12.

27. Adolf Hii c.i nr id : Die Ketzeriieschiclue des Urchristenlums. Darmstadt 1884 (1966), p. 598.

 

 Que l’Esprit de Dieu est avec les fidèles de Jésus-Christ, le Christ le démontre ainsi dans l’Evangile de Jean 14/15-18 :

«Si vous m’aimez, gardez mes commandements. Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur qui sera avec vous éternellement, l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit ni ne le connaît ; mais vous, vous le connaîtrez, car il demeurera avec vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. »

 

Et Matthieu 18/20 :

«Voici, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. »

Et I Corinthiens 1/16 :

«Ne savez-vous pas que vous êtes le temple du Dieu vivant, et que l’Esprit de Dieu est en vous ? Mais si quelqu’un corrompt le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint et ce temple, c’est vous. »

Dans Matthieu 10/20 le Christ le démontre :

«Car ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous. »

Première Epître de Jean 4/13 :

«Nous savons que nous demeurerons en lui et lui en nous, parce qu’il nous a donné son Esprit. »

St. Paul aux Galates 4/6 :

«Parce que vous êtes fils de Dieu, Dieu vous a envoyé l’Esprit de son Fils en votre cœur criant : Abba, père !»

 

Tous ces passages du NT sont centrés sur une seule affirmation : que Dieu donne l’Esprit Saint, par lequel le Christ sera avec ceux qui croient en lui, à tout jamais. Notre corps ici sur la terre est le temple de Dieu qui doit pouvoir recevoir cet Esprit par lequel Dieu parle et se fait connaître.

 Cet Esprit de Dieu, que l’AT connaît sous le nom hébreu de ruach , apparaît pour la première fois dans le récit de la Genèse quand Dieu l’instille dans les narines de l’homme pour lui octroyer la vie.

Ce même Esprit, ruach, qui signifie aussi le vent, inspire les prophètes, mais aussi des hommes que Dieu agrée, comme Moïse, David, Gédéon, et même Samson. C’est l’Esprit qui vivifie les ossements dans le passage d’Ezéchiel 37, et Dieu menace parfois de retirer son Esprit, quand le peuple de Dieu est particulièrement désobéissant.

Toutefois, c’est dans le NT que l’Esprit, qui se nomme alors pneuma ou paraclet, prend une importance encore plus grande. Alors qu’il semble être seulement une forme de la puissance de Dieu dans l’AT, il prend ici une forme indépendante en devenant une personne propre, qui remplace Jésus ici sur la terre et manifeste Dieu en même temps parmi nous.

Le Saint-Esprit fait son apparition dans la promesse de Jean-Baptiste qui annonce que celui qui vient après lui «baptisera du Saint-Esprit » (Mt 3/11), alors que Jésus ressuscité demande aux disciples de baptiser en son nom et en celui de Dieu «dans le Saint-Esprit» (Mt 18/19).

Le Saint-Esprit que Jésus promet comme le Consolateur (Jn 16) («para¬ clet ») se manifeste en effet pour la première fois dans l’Eglise le jour de la Pentecôte. Ses manifestations visibles sont, non seulement des langues de feu, mais aussi le fait de parler en langues. Le vent, qui remplit à ce moment le «lieu où ils étaient assemblés », nous rappelle la signification première du mot hébreu ruach qui est précisément «le vent».

A partir de cette Pentecôte l’Esprit Saint agit dans la communauté. Il inspire les sermons de Paul, de St Etienne, de Barnabas. Il se manifeste par le prophète Agabus et par les filles de Philippe, qui sont prophétesses. Il est présent lors des services du samedi soir, et par la suite le dimanche, quand les sermons sont encore des manifestations prophétiques et quand on parle encore souvent en langues, comme lors de la Pentecôte (I Co 12).

Mais l’Esprit dépasse, et de loin, les manifestations cultuelles. Cet Esprit de joie (Ac 13/52) est notre guide (Rm 8/4) ; il nous donne la vie (Rm 8/9) et unit les Chrétiens (I Co 12/1 1) ; c’est lui qui nous sauve par son renouvellement (Tite 3/5).

Selon le NT, le rôle de l’Esprit Saint est donc de donner aux hommes la possibilité de communiquer directement avec Dieu, et à Dieu de faire connaître sa volonté directement par le processus prophétique, dans lequel intervient le Saint-Esprit. Dans l’Eglise Primitive, les prophètes étaient de tels instruments, et ils étaient bien reçus dans l’Eglise.

Petit à petit, cependant, cette liberté fut pervertie par des imposteurs. Des faux prophètes discréditèrent les vrais inspirés. Nous en trouvons un écho dans la Didachè du début du deuxième siècle, qui tranche cette question épineuse. Pour savoir si un Prophète est vrai ou faux, il faut lui laisser le temps d’entrer en transe et de faire sa requête. S’il demande un repas pour lui-même, il est certainement un imposteur. S’il commande, par contre, un repas pour les pauvres, il est sans doute un Prophète authentique28.

Cinquante ans après, les prophètes ont quasiment disparus. Le service du dimanche est de plus en plus réglé d’une manière liturgique. De moins en moins de choses sont inspirées par l’Esprit. Les décisions sont prises de plus en plus par une autorité au-dessus du niveau local, par les «surintendants », les episcopoi. Ils sont élus, certes, mais ils tendent à faire les choses d’une manière uniforme et efficace devant les menaces constantes des persécutions. Ce sont de saints hommes, mais ce sont aussi des organisateurs. La glorieuse liberté de l’Esprit s’estompe. L’Esprit Saint est pris en charge par une autorité hiérarchique, qui le remplace et qui crée ce que Albrecht Ritschl a appelé la Alîkatholische Kirche : une Eglise qui se prépare au jour où les Chrétiens, victorieux, pourront prendre leur place comme Eglise d’Etat dans l’Empire romain.

Toutefois, la réaction ne se fait pas attendre. Il reste encore le souvenir des anciennes libertés et il reste, surtout, le Canon du NT qui est en train de se consolider. Il contient des écrits qui parlent encore clairement des premiers temps, glorieux, de l’Eglise de Jésus Christ, quand l’Esprit régnait partout dans l’Eglise à la place des nouveaux «cadres» qui prêchent une accommodation et un certain laxisme.

 28. Didachè 11/12.

 C’est en 172 que le prophétisme Montaniste fait ses débuts en Mysie, non loin de la Phrygie. Eusèbe, l’historien de l’Eglise, qui vécut plus d’un siècle après, nous fait savoir qu’un certain Montanus prit un jour la parole dans l’Eglise «d’une manière qui n’est pas usuelle»29. Tombant en transe, parlant souvent dans une langue inintelligible, Montanus répand son Christianisme charismatique un peu partout en Phrygie. Il s’adjoint deux pro-phétesses qui annoncent à ceux qui veulent les croire que Jésus-Christ et Dieu parlent par leur bouche 30. Hieronymus, qui a dû connaître encore certains Montanistes eux-mêmes, nous apprend31 que les Kataphrygiens pensaient que le passage de Jn 14/16, au sujet de la venue de l’Esprit «paraclet », s’appliquait directement aux prophètes montanistes. Leurs exigences morales étaient parmi les plus strictes du temps, mais ils considéraient que leurs propres prophètes étaient strictement au-dessus des évêques et des diacres. Presque toutes les fautes étaient punies par l’excommunication31. Ceci semble indiquer que les Montanistes charismatiques avaient non seulement une hiérarchie spirituelle, mais aussi un code moral qui approchait celui de la perfection requise par les chrétiens les plus purs et dépourvus de tout compromis.

Les Montanistes étaient donc essentiellement des Chrétiens, qui puisaient leur inspiration dans les Evangiles, et qui y trouvaient, non seulement la promesse de l’Esprit Saint, mais aussi du prophétisme et de la pureté morale quasi absolue. Ils lisaient les Evangiles et ils disaient : ce n’est pas ainsi que vit l’Eglise !

Il n’est donc aucunement étonnant de trouver, dans notre Confession cathare, les idées principales du Montanisme évangélique : le rôle du Saint-Esprit, qui inspire, la hiérarchie spirituelle qui est fondée sur le don de l’Esprit, et la pureté morale qui résulte d’une attitude dépourvue de compromis, dans le sens du Sermon sur la Montagne de Jésus lui-même, le retour vers l’Evangile pur de Jésus.

A la Confession de notre document cathare, s’ajoute encore un petit paragraphe d’explication sur la rédemption due à la désobéissance du peuple de Dieu : il se trouve «que le Père Saint veut avoir pitié de son peuple et le recevoir dans sa paix et dans sa concorde, par l’avènement de son Fils Jésus Christ» 32 n’est aucunement manichéenne. Elle est, de par les passages cités, parfaitement évangélique. Certes, elle est Montaniste par son insistance sur le Saint-Esprit, sur la hiérarchie nouvelle de l’Esprit et sur l’éthique absolue de la pureté. Mais ce sont là sans aucun doute, non pas des hérésies, mais des manifestations d’une lecture des Evangiles, par laquelle on cherche à réformer l’Eglise chrétienne qui s’est éloignée de ses sources et des préceptes évangéliques.

 

 29. Eusèbe : Histoire ecclésiastique, V.16,7.

30. Epiphanius : Panarion, 48/12.

31. Hilgenfeld : o.c. p. 577.

32. Roché, o.c. p. 169.

 

 Le catharisme évangélique

Or, le Catharisme qui a pu produire une telle Confession de foi n’est pas une chapelle manichéenne et un repaire d’hérésies gnostiques et farfelues. Le centre de cette religion n’est pas un tissu de mensonges, mais l’Evangile lui-même. Les Cathares qui peuvent confesser ces passages des Evangiles comme leur propre foi sont peut-être des «Montanistes », des Evangéliques charismatiques mais ils ne sont pas des loups ravisseurs dans une bergerie dont les «gardiens» seraient irréprochables. La véritable base du Catharisme, que l’on croyait jusqu’ici dans les affirmations manichéennes, s’avère un produit de l’imagination inquisitoriale qui ne pouvait ni ne voulait dire la vérité, puisque les Cathares étaient des Evangéliques.

Certes, les Cathares avaient, de par leurs origines orientales, un certain nombre d’explications manichéennes de la création, mais ils étaient loin d’être unanimes à ce sujet. Le corps comme «temple de Dieu » de notre texte est aux antipodes du Manichéisme. Ce que l’on leur reprochait, mais dont on ne pouvait les accuser publiquement, était le fait d’être trop proches du Christianisme primitif et des Evangiles ! Or, aucun Inquisiteur ne pouvait dire la vérité et encore moins l’écrire. Aucun membre de la hiérarchie romaine ne pouvait admettre que les Cathares étaient plus proches des Evangiles que ne l’était leur Eglise, que leur morale était de loin meilleure que celle des prêtres et des prélats de l’époque. Personne ne pouvait trouver faute avec leur accent sur la présence du Saint-Esprit, puisque l’Eglise de Rome confessait, tout comme les Cathares, le Saint-Esprit et la totale supériorité de Dieu au-dessus des hommes.

La Confession de foi du Catharisme, écrite comme mainte autre Confession de l’époque en des termes bibliques et composée, comme celle de Waldo et de François d’ Assise de passages des Ecritures, nous montre un tout autre Catharisme que celui au sujet duquel nous avons fait confiance à l’Inquisition.

Le Catharisme n’est pas non plus une religion arcane et ésotérique, mais un Evangélisme pur et simple. Il se veut vrai, véritablement chrétien, comme le disaient sans cesse les Bons Hommes et les Bonnes Femmes cathares et que personne ne voulait croire, même pas les chercheurs les mieux disposés envers les Cathares et leur message.

Vu sous cet angle et dans cette perspective, le Catharisme se présente sous un aspect totalement différent de celui que nous offre l’Inquisition et les savants historiens qui ont accepté sa méthode Eusébienne comme monnaie courante. Une analyse des documents écrits par les Cathares eux-mêmes, et en particulier de leur «règle de foi » de la cérémonie de la «Transmission du Notre Père », nous les montre comme une Eglise évangélique en quête de la pureté de l’Evangile, de la foi du Christianisme primitif et de sa Priorité de l’Esprit Saint. Leur Confessio, qui est semblable, quant à la forme, à celle de Waldo et de Saint François, reste et demeure chrétienne, évangélique et pure de toute hérésie apparente. Elle aurait pu servir, à très peu de choses près de Confessio — le mot est utilisé surtout au XVIe siècle, mais il reste applicable au Xe — d’une Eglise issue de la Réforme, comme les Piétistes de Herrenhut, le bibliciste Meno Simons et les Luthériens stricts comme les Schwenckfelder. Elle nous montre clairement le Catharisme comme un Montanisme chercheur de l’Esprit et de la liberté évangélique. Et en tant que Montanisme, le Catharisme est le précurseur direct de la Réforme.

 

Croix Cathare Monségur

En fait le Catharisme vrai, celui de la Confessio Evangelica du Rituel de Lyon, se prolonge parfaitement dans les autres Montanismes occidentaux que furent le Luthéranisme, le Calvinisme et le Piétisme d.e Halle. Le Catharisme vrai, celui de la recherche de l’Evangile authentique et de la foi qui lui correspond, n’est donc pas mort à Montségur, où des croyants Evangéliques ont été sacrifiés à la vindicte d’une Eglise que les Cathares cherchaient à réformer par l’Evangile. Le véritable centre de la foi Cathare, défini par les croyants eux-mêmes dans leur liturgie occitane, a continué à vivre et à influencer l’Eglise chrétienne : non pas en tant qu’épouvantail d’une hérésie arcane et farfelue, mais en tant que mouvement authentiquement chrétien et évangélique.

 

H. Stein-Schneider

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Saint Baussange de Ramerupt

  Saint Baussange ou Balsème Pendant longtemps, au prieuré de Ramerupt, on vénère les reliques de saint Baussange, nommé aussi saint Balsè...