LA
«CONFESSIO EVANGELICA» DU CATHARISME OCCITAN
NOUVEAUX ASPECTS DU
CATHARISME, LE CATHARISME VU PAR
LUI-MÊME
Depuis le XIIe siècle
l’Inquisition et ceux qui ont utilisé ses documents, ont caractérisé le
Catharisme comme une hérésie radicalement opposée au Christianisme
traditionnel. On l’a décrite comme une hérésie manichéenne 1, comme un mouvement gnostique 2 et une église
étrange dans laquelle la cérémonie la plus fréquente était l’adoration des
Anciens comme porteurs du. Saint Esprit 3.
Notre livre de base sur
le Catharisme est encore, à l’heure actuelle, le livre de Charles Schmidt,
écrit en 1848. Réédité en 1983, il a été décrit par Jean Duvernoy dans son
Introduction comme «un travail essentiel... qui a ouvert presque toutes les
portes » 4. Or, les sources de Schmidt sont exclusivement celles de
l’Inquisition. Le Rituel Occitan ne fut découvert à Lyon qu’en 1887 et le Père
Dondaine ne publia le Rituel de Florence qu’en 1939. Nos livres modernes n’ont
rien changé à cette perspective. Ils emboîtent le pas à Schmidt. Ils citent les
Registres de l’Inquisition et ils ne différencient en rien le Catharisme
Occitan de celui de la Lombardie. Un parfait exemple de cette perspective est
le récent article du duc de Lévis-Mirepoix de l’Académie Française dans la revue
Historia de Septembre 1985.
1. René Neli i : «Système du Catharisme», dans Heresis, 1983/1 p. 7.
2. Déodat Roché : Le Catharisme, vol. 1. (Cahiers d’Etudes Cathares.) Narbonne 1957, p.17 ss.
3.
Jean Duvernoy : La religion des Cathares, Privât 1976, p. 208.
4.
Charles Schmidt : Histoire et doctrine des Cathares, (réimpression) Bayonne
1983. Introd. par Jean Duvernoy et commentaires divers sur le dos de l’ouvrage.
La méthode de
l’Inquisition était le lit de Procruste des chasseurs d’hérésies, employé
depuis Eusèbe de Césarée et même bien avant lui : ce procédé consistait à
comparer le mouvement en question avec le modèle le plus stricte de
l’orthodoxie la plus étroite. Ce qui dépasse ce «canon » est l’hérésie. La
recette veut que l’on prenne ensuite ces déchets, qu’on les coupe en rondel¬
les fines et que l’on en fasse, alors, le «portrait» de l’hérésie. Le Catharisme
devenait ainsi un conglomérat d’erreurs et de contre-vérités. Il devint une
chimère, un épouvantail, un Frankenstein. Quant à la véritable foi des
Cathares, les Inquisiteurs ne s’y intéressaient absolument pas.
Or, une telle méthode
est strictement aux antipodes de l’historiographie actuelle, qui cherche
précisément une image équilibrée et complète selon les témoignages aussi
impartiaux que possible et, surtout, d’après les témoignages des Cathares
eux-mêmes. Nous, possédons, en effet, pour pouvoir juger les opinions et la foi
des Cathares Occitans, leur Rituel qui leur servit de liturgie et de livre de
prières. Toute affirmation des registres de l’Inquisi tion devrait de ce fait
être utilisée avec une extrême circonspection, alors que bien plus de poids
devrait être attaché au document de Lyon. Car, selon ce manuscrit, le
Catharisme était ni gnostique, ni manichéen. Il n’était en fait jamais question
d’une adoration des Anciens.
Cela ne veut pas encore
dire que nous devons mettre à la poubelle tous les livres écrits sur les
Cathares entre 1848 et 1986. Cela serait vider l’enfant avec le bain. Car si
l’Inquisition et ses documents ont décrit les Cathares avec des préjugés
monumentaux, ils n’ont pas tout inventé de toute pièce. Il y a des éléments qui
sont vrais. Ils sont seulement vus par le mauvais bout de la lunette.
Notre travail
d’historien moderne doit en fait consister à délimiter d’abord quelles sont les
sources directes qui nous permettent de savoir quel était le message vrai des
Cathares, selon leurs propres documents. Notre tâche sera en effet de soumettre
les textes cathares à un examen minutieux, pour y chercher le centre vrai et
les racines profondes du Catharisme occitan. Cela nous permettra de rectifier
le tir, de pouvoir analyser les critères selon lesquels les Cathares essayaient
de se faire juger eux-mêmes.
Une telle étude sera
pleine de surprises. Elle nous montrera les Cathares sous un angle nouveau. Non
pas comme des Manichéens à tout crin, des crypto-gnostiques ou des farfelus en
tout genre. Nous découvrirons en eux en fait des Evangéliques fondamentalistes,
des Montanistes épris de l’Esprit Saint, des Puritains hantés par l’idée de la
pureté morale, des hommes et des femmes imbus d’un idéal de la vie chrétienne.
II y a eu, sans aucun
doute, certains Cathares qui ont affirmé un dualisme parfois outrancier : il y
en a eu qui ont souscrit aux légendes manichéennes 5. Leur souci de séparer le
Christ de tout ce qui est bas et humain les a amenés à des affirmations
docétistes 6. Mais toutes ces idées étaient principalement celles du Catharisme
oriental et italien. En Occitanie, où les différences théologiques étaient
d’une importance strictement mineure 7, ces problèmes constituaient la
périphérie et non pas le centre de l’affirmation cathare.
Cette perspective est
basée sur le document du Catharisme occitan qui nous est parvenu non seulement
complet mais aussi intacte, et dans lequel on chercherait en vain la moindre
affirmation gnostique, la moindre trace manichéenne ou le moindre élément
docétiste.
6.
J. DuvERNor : o.c. p. 86 s.
7.
Salvo Burcê : «Supra Stella », dans Ignaz v. Dôllinger, Beitrage zur
Sektengeschichte des Mittelalters, p. 53 : «Cathari, qui Calojani et etiam
Francigenae nuncupantur, qui ex toto non sunt ex fide Albanensium, nec ex fide
Concorriciorum... dicendo, quod eorum ecclesia patitur scanda-lum per
divisionem eorum».
Quatre services sont
contenus dans notre document cathare : le Melhorier ou Confession des péchés
avec le Pardon. Le Servisi qui est une forme plus longue de demandes de pardon
à laquelle devait s’ajouter le Pardon du Melhorier. La «Transmission du Notre
Père», un service d’enseigne¬ ment et d’affirmation de la foi destiné aux
Croyants, et le Consolament ou Baptême Spirituel destiné seulement aux
Parfaits. Une variante de ce der¬ nier service pour les mourants était
également incluse dans le Rituel.
Or, nous trouvons au
début du service de la «Transmission du Notre Père», immédiatement après le
Melhorier qui est obligatoire dans toutes les cérémonies, un court paragraphe
composé uniquement de passages bibliques énumérés les uns après les autres.
Jean Duvernoy appelle ce passage une «catéchèse»8 mais l’absence de tout commentaire
des passages bibliques nous fait penser plus loin : ces passages bibliques qui
couvrent les éléments de base de la foi occitane constituent comme une
affirmation biblique du message central de cette Eglise : cette agglomération
de textes bibliques ne serait en réalité rien d’autre que sa «règle de foi »
(régula fidei ) la «Confession de foi » de l’Eglise Cathare que nous trouvons
ici sous sa forme la plus succinte et la plus simple : elle affirme la légalité
de l’Eglise, elle établit la nécessité d’une morale absolue séparée du monde et
de sa vie matérielle ; et elle proclame le rôle essentiel et primordial de
l’Esprit.
Le fait que nous avons
ici et dans ce document une «règle» dans le sens d’une confession de foi, nous
est confirmée par le fait que deux réformateurs parmi les plus importants du
Moyen Age ont, eux aussi, écrit des «règles de foi » qui étaient elles aussi
entièrement composées de passages bibliques comme celle de notre document
occitan : ces deux hommes sont en fait Waldo de Lyon et, à sa suite, Saint
François d’ Assise.
Les
regulae fidei de Waldo et de St. Francois
Le premier de ces
documents, qui est de la main de Waldo, est un docu¬ ment curial qui peut être
daté des environs de l’année 1 184 9, quand les Vaudois furent nommés pour la
première fois dans une liste de mouvements hérétiques lors du Concile de
Vérone. Ce document 10, que nous pensons avoir été le premier à identifier
comme la Confessio fidei de Waldo en 1974, en le distinguant du reste du texte
prescrit selon un formulaire général, comprend seulement une dizaine de lignes
à la fin de ce document.
9.
Giovanni Gonnet éd. : Enchiridion fontium valdensium, Claudiana 1958 p. 31.
10.
Enchiridion, o.c. p. 32.
Le formulaire général affirme en fait l’unicité de Dieu, (anti-manichéen) la naissance matérielle et l’existence corporelle du Christ (anti-docétiste) et la réalité du sang et du corps du Christ dans le sacrifice de la Messe (anti¬ spiritualiste) et la valeur objective de ce sacrifice (anti-arnaldiste) parmi d’autres affirmations.
Puis, tout à fait à la
fin du document u, vient un passage de quelques lignes seulement qui est
entièrement composé de passages de l’Ecriture et qui affirme, par quatre textes
du NT, la nécessité de la pauvreté que le signa¬ taire a choisi comme le
principe essentiel de son existence. Le texte commence avec la citation de
l’Epître de Jacques selon lequel «toute foi sans les œuvres est morte» (Jacques
2/20). Il continue avec Matthieu 16/24 sur la «nécessité de renoncer au monde
». Suit le passage de Mt 13/22 sur la nécessité de la pauvreté recommandée par
le Christ. Il cite immédiatement après l’envoi des disciples du Christ «sans or
ni argent » ni vêtements de rechange et sans réserves de nourriture (Mt
10/9,10), et déclare ne pas s’exposer ainsi à la tentation des richesses. Le
paragraphe se termine par la promesse de vivre ainsi non seulement selon les
lois, mais aussi selon les suggestions de l’Evangile, et par la confirmation
que même ceux qui ne sont pas pauvres, peuvent arriver au salut par le don
d’aumônes 12.
Ce paragraphe composé
de ces quatre passages bibliques ne fait pas partie du formulaire curial, que
signèrent par la suite Durand d’Huesca et Bernard Prim 13 . Il semble donc être
particulier au document signé par Waldo, ce qui rend infiniment vraisemblable
que ces lignes soient de la plume du fondateur des Pauperi de Lugdunum lui-même.
Ces quatre passages donnent, en effet, la base théologique et la raison d’être
de la pauvreté des Vau-dois et la justifient par des citations évangéliques. Il
s’agit donc ici d’une Confessio, d’une affirmation des bases même de la foi sur
laquelle sont fondés les Pauvres de Lyon. Nous avons devant nous ce que nous
pourrions appeler, la «Confession de Waldo » qui daterait des environs de
l’année 1184.
12.
Enchiridion , o.c. p. 35.
13.
Enchiridion , o.c. p. 32.
14.
Thomas de Cei ano : Vita prima 1/32.
C’est la raison aussi
pour laquelle nous trouvons, au début du Rituel Cathare occitan un assemblage
de passages bibliques qui n’a pas encore été étudié quant à sa signification
particulière, mais dans lequel nous croyons reconnaître la Confessio Catharica,
la confession de foi évangélique de l’Eglise Cathare.
La
cérémonie
Les textes bibliques
auxquels nous avons fait allusion et que nous pensons être la Confessio
Catharica se trouvent au début, mais pas tout à fait au commencement de la
cérémonie de la transmission du Notre Père.
Cette cérémonie
commence d’ailleurs avec le Melhorier qui est une confession des péchés —
Bénédicité parcite nobis — et l’absolution accordée, par l’Ancien, dans la
prière par excellence du Catharisme : «Pater et filius et spiritus sanctus
parcat vobis omnia peccata vestra : adoremus patrem filium et spiritum
sanctums.
Ces passages du NT ne
sont ni un sermon, ni une prière, mais sans doute une affirmation fondamentale
concernant les bases de la foi Cathare. Ce paragraphe ne s’adresse d’ailleurs
pas aux «Parfaits » seuls, comme certaines affirmations concernant le pouvoir
des clefs de Jn 20/23 qui se trouvent dans la cérémonie du Consolament.
15.
ibid. 1/8.
16.
ibid. I/ll.
17.
ibid. 11/13 aussi 1/22.
18.
ibid. 1/12.
Une
église vraie et légitime
Pierre, vous devez
comprendre, quand vous êtes devant l’Eglise de Dieu, que vous êtes devant le
Père et le Fils et le Saint Esprit. Car Eglise signifie «assemblée» et là où
sont les vrais chrétiens est le Père, le Fils et le Saint Esprit, comme les
divines Ecritures le démontrent. Car Christ dit, dans l’Evangile de Matthieu
(XVIII/20) : «En quelque lieu que soient deux ou trois hommes réunis en mon
nom, je suis là au milieu d’eux » Et dans l’Evangile de Saint Jean (XIV/23) il
dit : «Si quelqu’un m’aime et garde ma Parole, (sermonem ) mon Père l’aimera.
Nous viendrons à lui et nous demeurerons avec lui (mansionem apud ejum faciemus
)»
1.
Matthieu 18/20
Le bref passage d’introduction
cherche à établir la légalité du mouvement Cathare en tant qu’Eglise
chrétienne. Celle-ci est exprimée dans la promesse du Christ que « là où deux
ou trois seront rassemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux ». Pour notre
Cathare, l’Eglise n’est pas limitée à l’endroit où est dite la Messe par un
prêtre. L’Eglise est l’assemblée qui invoque le nom du Christ. Ce passage est
essentiellement l’affirmation Monta-niste qui cherche l’Eglise du Christ vivant
plutôt qu’une Eglise-Institution ; qui cherche le rassemblement spirituel, plutôt
que la communauté organisée selon le droit humain. L’Eglise des Cathares,
définie ici, n’est pas une hiérarchie; elle n’est pas soumise à l’homme. Elle
est libre selon la volonté de Dieu — ubi et quando visum est Deo — et elle a
comme seul Seigneur Jésus-Christ. Là où est le Christ, là aussi est l’Eglise :
ubi Christus, ubi ecclesia.
La deuxième citation
biblique est tirée de l’Evangile selon Jean, d’un passage sur le Saint Esprit,
dont nous aurons encore à rendre compte plus tard. Mais ici l’accent n’est pas
sur le Paraclet, mais sur la Parole. Jean affirme que la présence du Christ est
intimement liée à la parole {sermo, dit la Vulgate, alors que le texte grec dit
logos). Là où les hommes gardent cette parole (le jeu de mot dans le texte grec
entre Parole parlée et Parole envoyée par Dieu (cf Jn 1/1) est intraduisible en
latin) là aussi demeurent le Père, le Fils et le Saint Esprit. Le lecteur
occidental entend ici «sermon », «enseignement » et non pas présence mystique
du Christ comme le comprenaient les orientaux. Le texte fait comprendre au
lecteur que le Christ est là où l’Evangile est enseigné, où la bonne nouvelle
du Christ est propagée. C’est là en fait que demeure Dieu sous sa forme
trinitaire.
20.
René Nelli : Ecritures Cathares. Denoël 1959.
Dans l’introduction de
ce paragraphe, dont les deux passages bibliques sont la confirmation, notre
texte définit l’Eglise comme une «assemblée», qui représente «le Père, le Fils
et le Saint Esprit ». Cela veut dire clairement que l’Eglise est la somme des
croyants. C’est dans cette somme des croyants que réside l’autorité de Dieu par
la présence du Christ.
Cette affirmation est
diamétralement opposée à la conception catholique qui prend comme base le
passage de Mt 16/18 : « Et moi je te dis que tu es Pierre et que sur cette
pierre je bâtirai mon Eglise ». Selon ce passage l’autorité appartient seule à
Pierre et à ses successeurs. L’Eglise, selon ce point de vue, n’est pas
l’assemblée, mais la hiérarchie, l’autorité. Ce sont les clercs, les évêques et
le Pape.
Cette définition de
l’Eglise chez les Cathares est donc proprement révolutionnaire. Elle établit
d’emblée une structure ecclésiastique pour laquelle l’autorité ne réside pas
dans les clercs, mais dans les laïcs qui sont, comme le dit notre texte «les
vrais chrétiens », c’est-à-dire ceux qui ont reçu le don et de ce fait
l’autorité de l’Esprit Saint.
En fait, cette
ecclésiologie est celle des Evangiles, qui parle bien de Pierre comme le
fondement de l’Eglise, mais qui ne mentionne nulle part une suc cession : Jésus
ne promet pas, dans Jn 14, un vicaire humain mais « L’Esprit de vérité, le
Consolateur, qui demeure éternellement avec vous » (Jn 14/16) un passage que
notre régula fidei cathare cite d’ailleurs plus loin dans notre confession
évangélique21.
Cette centralité de
l’Esprit Saint rejoint celle des Montanistes du deuxième siècle qui plaçaient
les Prophètes au-dessus des Evêques dans leur recherche du Christianisme des
Evangiles. La base ecclésiologique des Cathares fondée sur Mt 18 se retrouve
aussi chez Calvin qui déclare dans son Institution Chrétienne : « L’Eglise
visible [est] par tout où nous voyons la parolle de Dieu estre purement
preschée et escoutée, ... là il ne faut douter nullement qu’il n’y ait Eglise :
d’autant que la promesse qu’il nous a baillée ne nous peut faillir : par tout
où deux ou trois seront assemblez en mon nom, je seray au milieu d’eux. (Mt
18/20) »22. Dans ce passage de Calvin sa conception de la « parolle de Dieu
purement preschée » rejoint la définition de la Parole enseignement de notre
texte cathare.
21. Roché : o.c. p.
180.
Il faudrait souligner
ici aussi la forte affirmation trinitaire dès le début de notre régula fidei.
Mentionnée deux fois dans deux phrases consécutives, elle met en évidence un
des fondements essentiels de la foi chrétienne, que le Catharisme partage avec
l’Eglise de Rome. Il ne faut surtout pas prendre à la lettre l’exclamation
«unitarienne » (?) de Jacques Authié23 (Duver-noy, p. 43). Dans ce mot Authié
cherche à discréditer le signe de la croix qui «sépare» les trois personnes de la
trinité, mais non pas la Trinité elle-même. L’invocation de la Trinité se
trouve trois fois sur la première page de notre Rituel et deux fois dans notre
texte de la régula fidei.
La Trinité joue en fait
un rôle d’une importance capitale dans le Catharisme. L’Eglise représente en
effet, pour lui, le Père, le Fils et le Saint Esprit dans son rassemblement. Le
Christ est avec elle chaque fois que «deux ou trois sont assemblés en son nom »
(Mt 18/16) et le Saint Esprit «en nous » demeure «éternellement» avec nous
selon la promesse de Jn 14/16. Sans cet Esprit de Dieu il n’y aurait en effet
ni Eglise ni Consolament. Ce dernier constitue en effet le baptisme esperital
24 : le Baptême de l’Esprit qui confère son authenticité à l’Eglise.
La seule différence
entre Rome et les Cathares, concernant la Trinité, est dans le fait que
l’Eglise de l’Ouest a de plus en plus négligé la troisième personne de la
Trinité, le Saint Esprit. Alors que le Saint Esprit joue un rôle important dans
la liturgie orientale par l’Epiclèse, l’invocation de l’Esprit Saint au moment
de la transformation des espèces, (cette Epiclèse se trouve encore dans le
missale gothicum et chez Isidore de Séville), est éliminée dans le Canon de la
Messe de Rome, où demeurent comme éléments principaux le Père et le Fils : le
Saint Esprit, lui, n’y est jamais mentionné seul.
Les Cathares, fortement
trinitaires, ont rétabli l’équilibre des trois personnes de la Trinité, en
mettant, comme nous le verrons, l’accent tout particulièrement sur l’Esprit
Saint si peu mis en évidence dans la Messe. On pourrait peut-être même dire que
les Cathares ont pris l’exact contre-pied de l’Eglise de Rome en accentuant le
rôle de l’Esprit Saint, comme l’ont fait les Montanistes et comme le fera, par
la suite, la Réforme.
Il est très évident,
pour les raisons mentionnées dans notre introduction, que les registres de
l’Inquisition restent muets au sujet des croyances trinitaires des Cathares et
n’évaluent pas comme positivement chrétien le rôle que joue le Saint Esprit
dans la confession de leur foi.
22.
Jean Calvin : Institution de la religion chrétienne, IV 19.
23.
Jean Duvlrnoy : o.c. p. 43.
24.
R. Nelli, o.c. p. 218.
La deuxième partie de
notre régula fidei basée sur les textes bibliques s’occupe des rapports de
l’homme avec le monde. Ces rapports, proclame notre Règle, sont essentiellement
négatifs. Elle s’appuie, dans cette constatation, sur le Dualisme paulinien qui
semble conseiller aux hommes de ne pas se souiller des choses de ce monde, de
ne rien avoir en commun avec le peuple impur qui les entoure. Cette séparation
radicale d’avec le monde implique que l’homme doit vivre pour Dieu et avec lui,
que Dieu habitera en lui et fera de lui un être nouveau : que la vie de
l’homme, sortie de l’impureté, doit être totalement pure et selon la volonté de
Dieu.
Notre texte exprime
cette double idée de la dépravation du monde et de la nécessité d’une pureté
nouvelle par un seul passage de la seconde épître de Paul aux Corinthiens, sans
commentaire supplémentaire :
«Saint Paul dit dans la
seconde épître aux Corinthiens (6/16-18) : vous êtes le temple du Dieu vivant,
comme Dieu l’a dit par Esaïe : car j’habite¬ rai en eux, et j’irai, et je serai
leur Dieu, et ils seront mon peuple. Car c’est pourquoi, sortez du milieu
d’eux, et séparez-vous d’eux, dit le Seigneur. Et vous ne toucherez pas les
choses impures, et je vous accueillerai. Je serai pour vous un Père, et vous
serez pour moi des fils*et des filles, dit le Seigneur Dieu tout-puissant. »
Ce passage, absolument
primordial pour la pensée cathare, est centré sans doute sur la citation par
Paul du Prophète Isaïe : il contient l’impératif de la séparation d’avec le
monde, la pureté absolue et la paternité de Dieu accordée exclusivement à ceux
qui ont su se garder purs.
L’idée de pureté est en
effet une idée très ancienne dans le Judaïsme. Dans une religion axée sur la
Loi, parfois très détaillée, la pureté devient en effet le signe de
l’observation parfaite des préceptes de Dieu. Dans le Judaïsme du VIIIe siècle
avant Jésus-Christ nous trouvons déjà la séparation, entre ce qui est pur et ce
qui ne l’est pas, exprimée dans la vocation d’Esaïe où le Prophète est dit
vivre «au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures», mais est délivré de
son impureté, et mis au service de Dieu, par un ange qui touche ses lèvres avec
un charbon ardent pris de l’autel. Sa mise à part correspond donc à une pureté
nouvelle, au fait que «son iniquité est enlevée, que son péché est expié». (Es
6/7)
Dans le Judaïsme
postérieur, la pureté devant la loi devenait une hantise pour un grand nombre
de personnes, et donna naissance à un mouvement important parmi les classes
moyennes de la société. Les «purs» (parushim) qui nous sont connus sous le nom
de «Phariséens » étaient dédiés à l’observation de la loi dans sa totalité,
tout en essayant de rendre cette observation plus facile en interprétant avec exactitude
les moindres commandements, et leur incidence sur la vie quotidienne. Jésus ne
condamnait pas les Pharisiens en tant que mouvement. Il critiqua seulement les
«hypocrites » parmi eux, comme le fait d’ailleurs le Talmud qui connaît sept
catégories de Pharisiens, dont une seule est considérée comme bonne25. Saul de
Tarse, qui devint l’Apôtre Paul par la suite, était dans sa jeunesse un Pharisien
fort strict. Son attitude envers les choses «impures » est celle du Pharisien
qui cite le passage d’Esaïe au sujet de la séparation nécessaire, dans II Co
6/17. Seulement, pour Paul, la pureté, désormais, n’est plus cultuelle, comme
pour les prêtres, mais morale. La nouvelle Eglise fait, sans difficulté
majeure, cette transformation du monde juif vers l’univers grec dominé par les
Romains, où la loi est l’expression d’une attitude éthique.
C’est cette pureté
morale et la séparation d’avec un monde immoral qui devient donc dans le
Christianisme primitif le signe des «purs ». A cela se greffe d’ailleurs la
notion, grecque et dualiste, si souvent mentionnée chez Paul, de l’opposition
entre l’âme et le corps, la psyche et la sarx où le corps empêche l’âme
d’accomplir sa volonté de pureté : Rm 7/14 commence une telle discussion qui se
termine par l’affirmation de la nécessité de la vivification de l’homme pécheur
par la vie «en Christ» par l’Esprit.
Cette notion de la
pureté liée à l’Esprit sera reprise par les Montanistes de la fin du deuxième
siècle, dans une intransigeance nouvelle, réaction contre le laxisme grec qui
fait son entrée dans l’Eglise par le grand nombre de «conversions ». Pour eux,
confesser César comme le kurios devient le péché contre le Saint Esprit,
impardonnable et irréparable.
Cette tradition
Montaniste de la pureté absolue est reprise au XIe siècle par les Cathares,
dont le nom — catharoi — signifie la même chose, en grec, que «Pharisiens »
iparushim) en hébreu. Leur message central est évidemment celui de
l’intransigeance et de la séparation totale que cite l’Apôtre Paul dans la
Seconde Epître aux Corinthiens, et qui constitue le véritable centre de la
«Confession» cathare de notre texte liturgique.
Le
prophétisme montaniste
La troisième partie de
notre Confession reprend avec force l’idée, déjà exprimée au début de la
deuxième partie, que notre corps appartient totalement à Dieu et que, de ce
fait, l’homme est capable de devenir le porte-parole du Christ.
«En un autre endroit il
dit (II Cor 8/3) : «Cherchez la preuve que Christ parle en moi » et dans I Tim
3/14 et 15 il dit : «je t’écris ces choses, espérant aller vers toi bientôt ;
mais si je tarde, sache de quelle manière il convient que tu te conduises en la
maison de Dieu, dans l’Eglise du Dieu vivant, colonne et appui de la vérité. »
Le même dit aux Hébreux, 3/6 : «Mais Christ est comme un fils en sa maison, et
sa maison c’est nous. »
25. Mishnah, Traktat
Sotah, 22 b.
La notion de prophétie
est une des plus anciennes affirmations bibliques. Les premiers prophètes
mentionnés sont les charismatiques parmi lesquels le roi Saul fait un stage qui
lui récolte d’ailleurs la remarque à peine flatteuse : «Saul, est-il aussi
parmi les prophètes ? » (I Sm 10/11) Ils profèrent leurs oracles en une sorte
de transe et vivent en des communautés charismatiques. Ils deviennent cependant
respectables et représentent une force politique par la suite. Samuel, le
prophète, devient la Voix du peuple dans le choix des rois comme Saul et David.
Chez ce dernier, le prophète Nathan exerce le droit de censure de la moralité
du roi quand il lui reproche le meurtre d’Urie, le mari de la femme que David a
prise en son absence.
D’autres prophètes,
comme Osée et Amos deviennent, deux siècles plus tard, la conscience du peuple
dans ses rapports avec Dieu et dans l’exercice de la justice.
Un siècle plus tard
encore le prophète Jérémie intervient dans le domaine politique : il s’insurge
contre l’alliance avec l’Egypte et propose une accommodation avec les
puissances du Nord. Son action l’oppose aux prêtres, qui ont pris le parti du
roi. Il est persécuté par les prêtres qui se croient, eux, les vrais intermédiaires
entre Dieu et le peuple. Le roi va jusqu’à brûler un rouleau de prophéties que
lui a envoyé Jérémie, et les prêtres applaudissent. Jeté en prison, Jérémie est
finalement libéré par les Assyriens lors du sac de Jérusalem (Jr 52).
Avec Jésus cette opposition
entre prêtres et prophètes reprend avec violence. Il reproche à Jérusalem, la
ville des prêtres, de tuer les Prophètes. C’est enfin le sort du Fils de
l’Homme. Arrêté par la police du Temple, il est remis entre les mains des
Romains en tant que «rebelle» (Es 53/12) et mis à mort.
La première Eglise
chrétienne, qui voit le Temple et le sacrifice juif disparaître en l’an 70, est
prophétique par excellence. Le jour de la Pentecôte, les Apôtres parlent en
langues. Dans les Eglises fondées par Paul, le Saint-Esprit se manifeste par
des phénomènes semblables. La prédication du dimanche est «prophétique », en
langues parfois, parfois avec explication en clair, parfois en clair tout
simplement. (I Co 14/1-40)
Vers la fin du deuxième
siècle, le service du dimanche est bien plus calme ; réglé par des formules
liturgiques, il est devenu même trop régimenté au goût d’un certain nombre qui
cherche à maintenir la liberté prophétique devant une hiérarchie qui ressemble
de plus en plus à celle du Temple de Jérusalem.
Vers 172 surgit le
prophétisme phrygien, le Montanisme, qui proclame la primauté de l’Esprit dans
ses prophéties. Deux prophétesses, Prisca et Maximilla, se joignent à Montanus,
le fondateur du mouvement. Elles proclament que le Christ parle par leur bouche26.
Le Prophète, disent-ils, et non pas l’évêque à le pouvoir dans l’Eglise. Leurs
exigences forales sont sans le moindre compromis. C’est un retour vers le
Christianisme des Evangiles. Car ils accusent l’Eglise d’avoir abandonné à des
hommes le gouvernement par l’Esprit27. Leur eschatologie est celle de
l’Apocalypse dont ils prennent la prédication, comme de toute la Bible
d’ailleurs, à la lettre. Le Montanisme atteint son apogée avec Tertullien, qui
en devient l’apologiste. Mais le développement de l’Eglise en une organisation
d’état, avec tout ce que cela comporte d’officiel et de légal, est inexorable.
Assimilée d’abord à l’Empire, pour ensuite en assumer le rôle pendant le déclin
de Rome, l’Eglise devient un pouvoir féodal qui refuse de rentrer dans le rang
après la montée des Germains qui s’arrogent le pouvoir politique en Europe.
C’est à cette époque
d’une première Renaissance que se place la dissémination d’un nouveau
Montanisme, qui souligne de nouveau les impératifs de l’Evangile et la primauté
de l’Esprit prophétique : c’est le Catharisme. Selon sa Confession, en effet,
le prophétisme, la liberté de l’Esprit qui doit se manifester par les membres
de l’Eglise, plutôt que par une hiérarchie de plus en plus éloignée du peuple,
devient un des points essentiels de sa prédication.
Le fait que «le Christ
parle en moi », et que ce même Christ habite en sa maison, et que cette «maison
est nous » est primordial pour les Cathares. Le Cathare ne dépend plus d’une
Eglise visible. Il est «en direct » avec Dieu ; il est par le Saint-Esprit, le
prophète par lequel Dieu parle aux croyants.
Le
don de l’esprit
Finalement, la
quatrième partie de la Confession met l’accent sur le Saint-Esprit, qui est
indispensable au vrai prophète : le Saint-Esprit est en effet la pierre de
l’angle du Catharisme selon la cérémonie du Consomment, qui n’est en fait rien
d’autre que la Baptême du Saint-Esprit. Par ce Baptême, le Postulant reçoit le
pouvoir des Clefs ou la possibilité de pardonner les péchés, que l’Eglise de
Rome concède seulement à ses prêtres et à ses évêques. De loin le plus grand
nombre de passages bibliques est dédié à l’assertion du rôle de cet Esprit, qui
devient ainsi le facteur le plus important de la foi cathare.
26.
Epii’hanius : Panarion 48/12.
27.
Adolf Hii c.i nr id : Die Ketzeriieschiclue des Urchristenlums. Darmstadt 1884
(1966), p. 598.
«Si vous m’aimez,
gardez mes commandements. Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un
autre consolateur qui sera avec vous éternellement, l’Esprit de vérité que le
monde ne peut recevoir, car il ne le voit ni ne le connaît ; mais vous, vous le
connaîtrez, car il demeurera avec vous, et il sera en vous. Je ne vous
laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. »
Et Matthieu 18/20 :
«Voici, je suis avec
vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. »
Et I Corinthiens 1/16 :
«Ne savez-vous pas que
vous êtes le temple du Dieu vivant, et que l’Esprit de Dieu est en vous ? Mais
si quelqu’un corrompt le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de
Dieu est saint et ce temple, c’est vous. »
Dans Matthieu 10/20 le
Christ le démontre :
«Car ce n’est pas vous
qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous. »
Première Epître de Jean
4/13 :
«Nous savons que nous
demeurerons en lui et lui en nous, parce qu’il nous a donné son Esprit. »
St. Paul aux Galates
4/6 :
«Parce que vous êtes
fils de Dieu, Dieu vous a envoyé l’Esprit de son Fils en votre cœur criant :
Abba, père !»
Tous ces passages du NT
sont centrés sur une seule affirmation : que Dieu donne l’Esprit Saint, par
lequel le Christ sera avec ceux qui croient en lui, à tout jamais. Notre corps
ici sur la terre est le temple de Dieu qui doit pouvoir recevoir cet Esprit par
lequel Dieu parle et se fait connaître.
Ce même Esprit, ruach,
qui signifie aussi le vent, inspire les prophètes, mais aussi des hommes que
Dieu agrée, comme Moïse, David, Gédéon, et même Samson. C’est l’Esprit qui
vivifie les ossements dans le passage d’Ezéchiel 37, et Dieu menace parfois de
retirer son Esprit, quand le peuple de Dieu est particulièrement désobéissant.
Toutefois, c’est dans
le NT que l’Esprit, qui se nomme alors pneuma ou paraclet, prend une importance
encore plus grande. Alors qu’il semble être seulement une forme de la puissance
de Dieu dans l’AT, il prend ici une forme indépendante en devenant une personne
propre, qui remplace Jésus ici sur la terre et manifeste Dieu en même temps
parmi nous.
Le Saint-Esprit fait
son apparition dans la promesse de Jean-Baptiste qui annonce que celui qui
vient après lui «baptisera du Saint-Esprit » (Mt 3/11), alors que Jésus
ressuscité demande aux disciples de baptiser en son nom et en celui de Dieu
«dans le Saint-Esprit» (Mt 18/19).
Le Saint-Esprit que
Jésus promet comme le Consolateur (Jn 16) («para¬ clet ») se manifeste en effet
pour la première fois dans l’Eglise le jour de la Pentecôte. Ses manifestations
visibles sont, non seulement des langues de feu, mais aussi le fait de parler
en langues. Le vent, qui remplit à ce moment le «lieu où ils étaient assemblés
», nous rappelle la signification première du mot hébreu ruach qui est
précisément «le vent».
A partir de cette
Pentecôte l’Esprit Saint agit dans la communauté. Il inspire les sermons de
Paul, de St Etienne, de Barnabas. Il se manifeste par le prophète Agabus et par
les filles de Philippe, qui sont prophétesses. Il est présent lors des services
du samedi soir, et par la suite le dimanche, quand les sermons sont encore des
manifestations prophétiques et quand on parle encore souvent en langues, comme
lors de la Pentecôte (I Co 12).
Mais l’Esprit dépasse,
et de loin, les manifestations cultuelles. Cet Esprit de joie (Ac 13/52) est
notre guide (Rm 8/4) ; il nous donne la vie (Rm 8/9) et unit les Chrétiens (I
Co 12/1 1) ; c’est lui qui nous sauve par son renouvellement (Tite 3/5).
Selon le NT, le rôle de
l’Esprit Saint est donc de donner aux hommes la possibilité de communiquer
directement avec Dieu, et à Dieu de faire connaître sa volonté directement par
le processus prophétique, dans lequel intervient le Saint-Esprit. Dans l’Eglise
Primitive, les prophètes étaient de tels instruments, et ils étaient bien reçus
dans l’Eglise.
Petit à petit,
cependant, cette liberté fut pervertie par des imposteurs. Des faux prophètes discréditèrent
les vrais inspirés. Nous en trouvons un écho dans la Didachè du début du
deuxième siècle, qui tranche cette question épineuse. Pour savoir si un
Prophète est vrai ou faux, il faut lui laisser le temps d’entrer en transe et
de faire sa requête. S’il demande un repas pour lui-même, il est certainement
un imposteur. S’il commande, par contre, un repas pour les pauvres, il est sans
doute un Prophète authentique28.
Cinquante ans après,
les prophètes ont quasiment disparus. Le service du dimanche est de plus en
plus réglé d’une manière liturgique. De moins en moins de choses sont inspirées
par l’Esprit. Les décisions sont prises de plus en plus par une autorité
au-dessus du niveau local, par les «surintendants », les episcopoi. Ils sont
élus, certes, mais ils tendent à faire les choses d’une manière uniforme et
efficace devant les menaces constantes des persécutions. Ce sont de saints
hommes, mais ce sont aussi des organisateurs. La glorieuse liberté de l’Esprit
s’estompe. L’Esprit Saint est pris en charge par une autorité hiérarchique, qui
le remplace et qui crée ce que Albrecht Ritschl a appelé la Alîkatholische
Kirche : une Eglise qui se prépare au jour où les Chrétiens, victorieux,
pourront prendre leur place comme Eglise d’Etat dans l’Empire romain.
Toutefois, la réaction
ne se fait pas attendre. Il reste encore le souvenir des anciennes libertés et
il reste, surtout, le Canon du NT qui est en train de se consolider. Il
contient des écrits qui parlent encore clairement des premiers temps, glorieux,
de l’Eglise de Jésus Christ, quand l’Esprit régnait partout dans l’Eglise à la
place des nouveaux «cadres» qui prêchent une accommodation et un certain
laxisme.
Les Montanistes étaient
donc essentiellement des Chrétiens, qui puisaient leur inspiration dans les
Evangiles, et qui y trouvaient, non seulement la promesse de l’Esprit Saint,
mais aussi du prophétisme et de la pureté morale quasi absolue. Ils lisaient
les Evangiles et ils disaient : ce n’est pas ainsi que vit l’Eglise !
Il n’est donc
aucunement étonnant de trouver, dans notre Confession cathare, les idées
principales du Montanisme évangélique : le rôle du Saint-Esprit, qui inspire,
la hiérarchie spirituelle qui est fondée sur le don de l’Esprit, et la pureté
morale qui résulte d’une attitude dépourvue de compromis, dans le sens du
Sermon sur la Montagne de Jésus lui-même, le retour vers l’Evangile pur de
Jésus.
A la Confession de
notre document cathare, s’ajoute encore un petit paragraphe d’explication sur
la rédemption due à la désobéissance du peuple de Dieu : il se trouve «que le
Père Saint veut avoir pitié de son peuple et le recevoir dans sa paix et dans
sa concorde, par l’avènement de son Fils Jésus Christ» 32 n’est aucunement
manichéenne. Elle est, de par les passages cités, parfaitement évangélique.
Certes, elle est Montaniste par son insistance sur le Saint-Esprit, sur la
hiérarchie nouvelle de l’Esprit et sur l’éthique absolue de la pureté. Mais ce
sont là sans aucun doute, non pas des hérésies, mais des manifestations d’une lecture
des Evangiles, par laquelle on cherche à réformer l’Eglise chrétienne qui s’est
éloignée de ses sources et des préceptes évangéliques.
30.
Epiphanius : Panarion, 48/12.
31.
Hilgenfeld : o.c. p. 577.
32.
Roché, o.c. p. 169.
Or, le Catharisme qui a
pu produire une telle Confession de foi n’est pas une chapelle manichéenne et
un repaire d’hérésies gnostiques et farfelues. Le centre de cette religion
n’est pas un tissu de mensonges, mais l’Evangile lui-même. Les Cathares qui
peuvent confesser ces passages des Evangiles comme leur propre foi sont
peut-être des «Montanistes », des Evangéliques charismatiques mais ils ne sont
pas des loups ravisseurs dans une bergerie dont les «gardiens» seraient
irréprochables. La véritable base du Catharisme, que l’on croyait jusqu’ici
dans les affirmations manichéennes, s’avère un produit de l’imagination
inquisitoriale qui ne pouvait ni ne voulait dire la vérité, puisque les
Cathares étaient des Evangéliques.
Certes, les Cathares
avaient, de par leurs origines orientales, un certain nombre d’explications
manichéennes de la création, mais ils étaient loin d’être unanimes à ce sujet.
Le corps comme «temple de Dieu » de notre texte est aux antipodes du
Manichéisme. Ce que l’on leur reprochait, mais dont on ne pouvait les accuser
publiquement, était le fait d’être trop proches du Christianisme primitif et
des Evangiles ! Or, aucun Inquisiteur ne pouvait dire la vérité et encore moins
l’écrire. Aucun membre de la hiérarchie romaine ne pouvait admettre que les
Cathares étaient plus proches des Evangiles que ne l’était leur Eglise, que
leur morale était de loin meilleure que celle des prêtres et des prélats de
l’époque. Personne ne pouvait trouver faute avec leur accent sur la présence du
Saint-Esprit, puisque l’Eglise de Rome confessait, tout comme les Cathares, le
Saint-Esprit et la totale supériorité de Dieu au-dessus des hommes.
La Confession de foi du
Catharisme, écrite comme mainte autre Confession de l’époque en des termes
bibliques et composée, comme celle de Waldo et de François d’ Assise de
passages des Ecritures, nous montre un tout autre Catharisme que celui au sujet
duquel nous avons fait confiance à l’Inquisition.
Le Catharisme n’est pas
non plus une religion arcane et ésotérique, mais un Evangélisme pur et simple.
Il se veut vrai, véritablement chrétien, comme le disaient sans cesse les Bons
Hommes et les Bonnes Femmes cathares et que personne ne voulait croire, même
pas les chercheurs les mieux disposés envers les Cathares et leur message.
Vu sous cet angle et
dans cette perspective, le Catharisme se présente sous un aspect totalement
différent de celui que nous offre l’Inquisition et les savants historiens qui
ont accepté sa méthode Eusébienne comme monnaie courante. Une analyse des
documents écrits par les Cathares eux-mêmes, et en particulier de leur «règle
de foi » de la cérémonie de la «Transmission du Notre Père », nous les montre
comme une Eglise évangélique en quête de la pureté de l’Evangile, de la foi du
Christianisme primitif et de sa Priorité de l’Esprit Saint. Leur Confessio, qui
est semblable, quant à la forme, à celle de Waldo et de Saint François, reste et
demeure chrétienne, évangélique et pure de toute hérésie apparente. Elle aurait
pu servir, à très peu de choses près de Confessio — le mot est utilisé surtout
au XVIe siècle, mais il reste applicable au Xe — d’une Eglise issue de la
Réforme, comme les Piétistes de Herrenhut, le bibliciste Meno Simons et les
Luthériens stricts comme les Schwenckfelder. Elle nous montre clairement le
Catharisme comme un Montanisme chercheur de l’Esprit et de la liberté
évangélique. Et en tant que Montanisme, le Catharisme est le précurseur direct
de la Réforme.
En fait le Catharisme
vrai, celui de la Confessio Evangelica du Rituel de Lyon, se prolonge
parfaitement dans les autres Montanismes occidentaux que furent le
Luthéranisme, le Calvinisme et le Piétisme d.e Halle. Le Catharisme vrai, celui
de la recherche de l’Evangile authentique et de la foi qui lui correspond,
n’est donc pas mort à Montségur, où des croyants Evangéliques ont été sacrifiés
à la vindicte d’une Eglise que les Cathares cherchaient à réformer par
l’Evangile. Le véritable centre de la foi Cathare, défini par les croyants
eux-mêmes dans leur liturgie occitane, a continué à vivre et à influencer
l’Eglise chrétienne : non pas en tant qu’épouvantail d’une hérésie arcane et
farfelue, mais en tant que mouvement authentiquement chrétien et évangélique.
H. Stein-Schneider
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire