jeudi 16 mai 2024

Manoir de Montchevreuil

 

Montchevreuil, ancienne grange de Mores

A côté de la route qui conduit de Troyes à Chaource, au centre de la forêt d’Aumont, s’élève un vieux manoir seigneurial.

En 1151, l’illustre abbé de Clairvaux saint Bernard, reçoit en don des chanoines de Saint-Denis de Reims, le droit qu’ils possédent de présenter un curé pour desservir la paroisse de Mores (jadis village près de Bar-sur-Seine, sur les bords de l’Ource), et, trouvant cet endroit convenable pour l’établissement d’une abbaye, il y installe des religieux de Clairvaux.

La dotation de la nouvelle communauté ne se fait pas attendre : tous les hauts personnages des environs, les seigneurs de Bar-sur-Seine, de Briel, de Chacenay, de Chappes, de Chervey, de Magnant et de beaucoup d’autres, répondant à l’appel du saint abbé, s’empressent de lui offrir des terres, des bois, des prés et des vignes.

Le comte de Champagne Henri Le Libéral, figure aussi au nombre des bienfaiteurs de cette abbaye. Dès l’année 1170, il donne une maison sise à Troyes, faubourg Croncels. En 1171, il complète ses largesses par l’abandon d’un canton de sa forêt d’Isle, portant le nom de Montchevreuil.

Voici quelques extraits de la donation : « Nous Henri, comte palatin, avons donné à Dieu et à la maison de Mores (jadis village près de Bar-sur-Seine, sur les bords de l’Ource), dans nos bois d’Isle, dans l’endroit qu’on nomme Montchevreuil, une terre pour bâtir une grange avec 300 arpents de terre, et, pour la cultiver, les frères de la dite maison ne pourront avoir que 2 charrues. Il leur sera permis d’avoir 500 brebis et 200 porcs, des bœufs, des vaches, de quelqu’âge que ce soit, sans qu’ils puissent y mêler des chèvres. Nous leur permettons aussi d’avoir des chevaux, pour charroyer et faire leurs ouvrages. J’ai abandonné aussi au même endroit, aux frères, 60 arpents de prés, des pâtures et le pacage. Je consens aussi qu’ils aient tout l’usage des bois tant pour la construction de leurs maisons que pour leur chauffage… Afin que cette donation demeure ferme et stable, j’y ai fait apposer le sceau de mes armes…».

Telle est l’origine du domaine de Montchevreuil. 


De nouveaux dons viennent successivement accroître l’importance de cette terre. La comtesse Blanche donne en 1206, l’étang de Montchevreuil, et l’abbé de Mores, en témoignage de reconnaissance, déclare que cette illustre Princesse ou son fils, pourront faire pêcher dans cet étang pour leurs besoins, quand bon leur semblera, mais à la condition de ne pas le mettre à sec.

En 1223, Thibaut IV donne à la grange de Montchevreuil le droit d’usage dans la forêt de Jeugny et le droit de passage et de pâturage dans l’étendue du finage de Chaource et de plusieurs finages voisins. Pour que les moines n’abusent pas de ce droit de couper du bois dans les usages de Jeugny, il décide « qu’ils ne pourront y vendre ni donner la tuile fabriquée dans leur tuilerie de Montchevreuil ».

Comme nous l’avons vu dans la donation, le comte Henri détache de son domaine 30 arpents de terre, pour les donner à l’abbaye. Le surplus de ce territoire qui consiste en bois, demeure la propriété des comtes de Champagne jusqu’à l’époque où il est en même temps que tous leurs biens, incorporé à la couronne de France. Il passe ensuite à la Maison de Bourgogne, en vertu de « la reconnaissance de 3333 livres de rente assise sur les châtellenies de Vilmaur, Chaource, Isle, Vauchassis et Payns, qui est souscrite au profit d’Eudes IV, duc de Bourgogne, par le roi de France Philippe VI de Valois, lors de son avènement au trône en 1293 ».

En 1527, l’abbaye de Mores doit contribuer à la délivrance des enfants de François 1er et, pour réunir les fonds nécessaires au paiement de cette nouvelle imposition, elle doit aliéner la grange de Montchevreuil. Deux amateurs se présentent : Guillaume Hennequin, bourgeois de Troyes, et Louis de Vienne, écuyer, sieur de Presle, bailli et gruyer du marquisat d’Isle. Ce dernier prend Montchevreuil en emphytéose perpétuelle, s’engageant à payer, outre un prix « une fois donné, une rente annuelle et perpétuelle de 5 sols par arpent et 1 denier de censive. Il doit, de plus, faire construire à ses frais une maison d’habitation, des granges et d’autres bâtiments de ferme ». Il semble que les religieux n’exploitaient plus ces terres depuis 25 ou 30 ans, car elles sont en friches au moment de la vente.

Le vieux manoir que nous voyons sur la reproduction, a dû être construit par un descendant de Vienne, vers 1631. Cette habitation donne une idée de ce qu’étaient, en ce temps là, les demeures des gentilshommes campagnards. Pour se mettre à l’abri d’une surprise, et pour pouvoir résister au moins temporairement aux bandes de brigands qui couraient la campagne, ils entouraient leurs maisons de fossés larges et profonds. Pour leur donner l’aspect des anciennes forteresses féodales, ils les flanquaient, dans les angles, de petites tourelles surmontées de toits aigus sur lesquels, usant de leur privilège, ils n’oubliaient jamais de placer des girouettes en bannières et en pennon, indices de leurs droits seigneuriaux. A l’intérieur des fossés, ils réservaient une petite pièce qu’ils surmontaient d’un clocher miniature : « c’était leur chapelle domestique, dans laquelle, un prêtre du voisinage venait officier de temps à autre ». Montchevreuil a gardé ses tourelles et sa chapelle avec son clocher, mais il n’a plus ses fossés qui ont été comblés depuis plus de deux siècles.

Aujourd'hui propriété privée.



Description architecture

Montchevreuil  (Les Loges-Margueron) D444 en direction de Chaource venant de Troyes,  a été l’une des deux granges les plus éloignées de Mores. Hors de la sphère barséquanaise, son milieu et ses aptitudes étaient différents. De fait, située en plein cœur de la forêt de Chaource, elle dut représenter une opportunité intéressante non seulement pour l’exploitation du bois (dont l’abbaye ne manquait pas par ailleurs) mais plus encore pour l’élevage, la forêt étant un espace de pâturage et de pacage de première importance.

C’est le comte de Champagne Henri Ier le Libéral qui serait à l’origine de cette grange, en cédant un canton entier de forêt en 1171, comme le relate la copie de l’acte perdu suivant : « Moi Henri, comte palatin, fais savoir à tous présent et à venir que j’ai donné à Dieu et à la maison de Mores dans mes bois d’Isle, au lieu nommé Montchevreuil (Mons caprarium), une terre pour bâtir une grange avec trois cents jugères de terre et, pour la cultiver, les frères de la dite maison ne pourront avoir que deux charrues. Il leur sera permis d’avoir cinq cents moutons et deux cents porcs, des bœufs, des vaches, de quelque âge que ce soit, sans qu’ils puissent y mêler les chèvres. (…) J’ai donné aussi au même endroit, aux dits frères, soixante arpents de prés ; je leur ai aussi accordé les pâtures et le pacage, et tout l’usage des bois tant pour la construction que pour le chauffage dans la limite d’une demi-lieue autour de leur grange (…) ». Pour conséquente qu’elle fût, cette donation fut augmentée en 1183 par Simon de Lantages de droits d’usages étendus dans ses bois d’Ervy [-le-Châtel] et de Lantages, sous le sceau de l’évêque de Langres Manassès de Bar [-sur-Seine], et avec l’assentiment de barons locaux et de moines de Molesme (d’après Louis Le Clert, "Montchevreuil", Annuaire administratif et statistique du département de l'Aube, 1893, p. 134-142 et "Deux chartes de l’abbaye de Mores", Mémoires de la Société d'agriculture, sciences et arts du département de l'Aube, t. LVII, 1893, p. 97-99). En 1206, le domaine reçut de la comtesse de Champagne l’étang éponyme. En 1223 encore, Thibaut IV vient augmenter l’aire de droits d’usages et pâturage de Montchevreuil en l’étendant à tout le bois de Jeugny, aux finages de Chaource et plusieurs autres contigus. On apprend par le même acte qu’une tuilerie existe alors dans la grange, mais le comte en interdit la commercialisation des tuiles (sans doute déjà développée) (Arbois de Jubainville, Hist. comtes Champ., 1863, cat. n°1608, p. 211).

Ces quelques actes sont significatifs. Les orientations économiques de la grange de Montchevreuil sont clairement énoncées dès avant sa création : l’activité pastorale sera dominante en milieu forestier et au-delà, la clairière formera l’espace cultural et, enfin, le milieu incitera à en exploiter les ressources (bois d’œuvre, étangs de pisciculture, argile tuilière) pour les besoins de l’abbaye tout d’abord, selon les opportunités commerciales ensuite.

Mores fut contrainte d’aliéner sa grange vers 1527-30 pour s’acquitter d’un impôt royal exceptionnel. Louis de Vienne, bailli et gruyer du marquisat d’Isle, s’en porta acquéreur en 1608 (A. Roserot, Dict. hist. Champ. mérid., p. 931) à charge d’y élever de nouveaux bâtiments tant d’habitation que d’exploitation. Car à cette date, le domaine était dit « en friches » et nécessitait d’être remis en état. L’ancienne grange était alors divisée en deux fermes : le Grand et le Petit Montchevreuil, s’étendant respectivement sur 212 et 57 arpents.

Rien ne subsiste aujourd’hui de la période monastique, seulement le manoir que l’acquéreur fit construire au Grand Montchevreuil et qu’il entoura de fossés. Cet édifice à pan de bois et remplissage de brique (aujourd'hui sous enduit) comporte un rez-de-chaussée faiblement surélevé sur son assise de brique, surmonté de deux étages —carré puis sous comble éclairé par une rangée de 3 lucarnes à l'est—. Le toit de tuiles plates à pans brisés intègre pour ses parties les plus pentues une couverture d'ardoise. Les pignons sont flanqués d'une tourelle d'escalier, de section carrée au sud (dans œuvre, à l'angle sud-est), et ronde au nord (hors-œuvre).







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