dimanche 4 août 2024

La Seigneurie de Pâlis (Aube-10)

 

LA SEIGNEURIE DE PALIS





La première fois qu’il est fait mention de façon précise d’un seigneur à Palis remonte au XIIe siècle. A cette époque le finage se trouvait partagé entre de nombreux petits seigneurs, parmi lesquels figure un certain Jean de PALIS possédant la maison seigneuriale en 1199 (1). Certains de ces seigneurs dépendaient déjà de la châtellenie de Villemaur ; d’autres, comme les Maisons de Trainel et de Mailly, n’en dépendaient pas.

Les seigneurs de Trainel possédaient une partie de la terre de Pâlis, on relève en effet dans une charte de 1189, qu’Hugues de PLANCY marié à Elisabeth de TRAINEL a fait don d’une terre de Pâlis à leur fille religieuse. Cette terre revint ensuite à Sébille, dame de Trainel, veuve d’ANSEAU IV seigneur de Trainel en 1222. Son fils Henri I de Villeneuve-aux-riches-Hommes la vendit ensuite en mai 1248 au comte Thibaut de Champagne.

L’autre grande maison qui détenait une partie de la terre de Pâlis était la maison de Mailly. En 1279, un certain Jehan, seigneur de Mailli et Paléiz (2) approuve un bornage entre les seigneuries de Pâlis et de Planty. Au début du XIVe siècle le plus grand seigneur de Palis, qui possédait presque la totalité des terres, était Hugues I de MAILLY. En 1328 Hugues II, [sans doute son fils] rattacha à son domaine le fief de Tricherey (3). Ayant trahi son suzerain qui était le duc de Bourgogne, Hugues II fut exécuté avant 1348 et la moitié de sa terre de Palis confisquée. La veuve de Hugues II de MAILLY, Jeanne de TRAINEL, obtint cette moitié en qualité de douairière jusqu’à sa mort en 1377. L’autre moitié fut donnée par indivis à Jean de JAUCOURT, seigneur de Dinteville.

Vers 1350, à la mort du duc de Bourgogne, la terre de Pâlis fut donné par Philippe de ROUVRE, héritier du duc, à Marguerite de France, comtesse de Flandre. C’est ainsi que l’on retrouve des documents de 1361 et 1362 où Jean de JAUCOURT et Jeanne de TRAINEL rendent hommage à leur suzeraine, Madame la comtesse de Flandre.

La maison de Mailly ne revendiquant plus la seigneurie de Palis après la trahison de son dernier représentant, la terre se trouva désormais partagée entre les seigneurs châtelains de Villemaur et la famille de BROUTIERES. En effet, Jaquot et Nicolas de Broutieres rachetèrent en 1371 plus de la moitié de ce que possédant Jean de JAUCOURT. Leur successeur fut Jean de BROUTIERES escuier, fils de noble home Jaquot de Broutieres, escuier et de Damoiselle Ysabel de ROUVROY, seigneur en partie de Palis (4). A la suite du remariage de sa mère avec un certain Humbelot de CHASTENOY, la seigneurie fut de nouveau partagée entre celui-ci et Jehan de Broutieres de 1384 à 1404. A la mort de Humbelot c’est la famille de Broutieres qui se retrouva sans doute co-seigneur unique de Palis. Ils restaient cependant vassaux des seigneurs de Villemaur, propriétaires de l’autre moitié de la seigneurie de Palis.

De la fin du XIVe au début du XVIe siècle, on ne retrouve pas de documents suffisants pour pouvoir retracer l’histoire de la seigneurie de Palis et cela sans doute à cause des nombreux troubles que le royaume de France eut à subir, la guerre de Cent ans notamment. Une seule exception : en 1411 il est signalé un certain Humbelot LEVRAIGE, seigneur de Pâlis. (5)

En 1503, c’est Louis BOUCHER seigneur de Vertron qui devient seigneur. Par son mariage avec Marguerite LE MUET, il porta la terre de Palis dans sa famille ce qui laisse à penser que le précédent seigneur était Nicolas LE MUET, père de Marguerite, mort en 1503. Les BOUCHER vont tenir la terre de Palis pendant plus de 150 ans ; mais ils ne seront pas seuls car les moines du prieuré de Clairlieu, situé à quelques kilomètres de Palis, sont appelés « Seigneurs en partie » dans un texte de 1523 ; leur titre n’était peut-être toutefois qu’honorifique. Le fils de Louis Boucher et de Marguerite Le Muet fut Guillaume Boucher, lieutenant général au bailliage de Sens. Il épousa Eugénie NUGANT. Par un arrêté du 6 juillet 1525 entérinant des Lettres de 1522, la Cour des aides ordonna que Guillaume Boucher jouirait « des exemptions et privilèges de noblesse, nonobstant son état d’avocat, attendu qu’il était noble issu de noble race du côté paternel et maternel ».

Lorsque Guillaume BOUCHER mourut, ce fut Michel, son fils, qui devint seigneur de Palis. Conseiller et magistrat au Président de Sens. Il épousa en 1558 Marie COIFFART, fille du seigneur de Saint-Benoist, dont il eut deux fils, Michel et Noël. Ce dernier devint à sa majorité en 1594 propriétaire de la moitié de la terre de Palis avec le titre d’écuyer. Il eut de sa femme Louise de HAULT un fils appelé Michel II BOUCHER. Malgré les titres de noblesse que possédaient les Boucher et la stabilité de leur descendance, ils restaient vassaux des seigneurs de Villemaur, les de VILLEMOR et les VIGUIER. Michel II BOUCHER quant à lui, agrandit son domaine en 1645 en achetant à Nicolas de MESGRIGNY le fiel de Cornillon et celui des Chaumes de Manche dans la paroisse de Marcilly-le-Hayer. A sa mort, en 1661, c’est Georges BOUCHER, son fils, qui devint seigneur de Palis. Sa mère obtint en tant que douairière le titre de Dame de Pâlis. Ils prêtèrent tous deux le serment de fidélité au duc de Villemaur, Pierre SEGUIER en 1662.

La seigneurie de Palis changea de propriétaire durant cette décennie. Elle fut saisie vers 1668 par Marguerite de SAINT-ETIENNE et achetée le 10 aout 1673 par François Le GOUJAT DESMARETS pour 32 000 livres (6). Cette famille était originaire de Troyes et descendait des LESGUISE anoblis par Lettres du roi Charles VII en 1430. Le père de François, Claude Me GOUJAT DESMARETS, avocat au Parlement, avait changé de nom parce qu’il lui semblait peu en rapport avec sa profession. François DESMARETS était agrégé de Lettre et siégeait comme Docteur Honoraire dans une assemblée de la Faculté de Droit de Paris. Il écrivit même différents ouvrages de droit, parmi lesquels « le Traité sur la religion du serment » qui tendait à confirmer la supériorité de la juridiction royale sur les tribunaux ecclésiastiques. François Desmarets épouse Françoise HUEZ et eut un fils nommé Nicolas. Ce dernier devint seigneur de Palis à la mort de son père en 1697 sous le nom de Nicolas I DESMARETS. Il était nettement moins brillant que son père et l’histoire le retient plutôt comme un « seigneur en retrait » entre François Desmarets dont on parle volontiers en termes élogieux (7), et Nicolas II son fils. Celui-ci prit possession de la seigneurie de Palis en 1731 et eut en permanence de litiges avec les habitants et même avec son suzerain. Il mourut en 1748 et c’est son fils Nicolas III DESMARETS, chevalier, maréchal de camp et maitre de camp du second régiment de chasseurs à cheval qui lui succéda et qui resta seigneur de Palis jusqu’à la Révolution. Il disparut alors abandonnant ses terres et émigra. Le 20 juillet 1792, par arrêté du Directoire du département de l’Aube, les biens de Nicolas III Desmarets furent déclarés « affectés à l’indemnité due à la Nation » et confisqués pour être vendus.

 



JUSTICE ET DROITS

 Pour pouvoir expliquer ou tout au moins comprendre ce qu’il advint à la Révolution eu château et des bien s’y trouvant, il nous faut savoir en quoi consistait la justice seigneuriale et les droits seigneuriaux, droits qui étaient fort injustes.


LA JUSTICE

Le droit le plus important, la plus haute prérogative du Seigneur était le Droit de Justice. On sait que fort peu de choses sur la justice qui était exercée par le seigneur de Palis au Moyen Age ; les juges pouvaient prononcer la peine du fouet, de la marque au fer rouge, du carcan, du bannissement et même la peine de mort ; ils pouvaient aussi donner de simples amendes.

On a par contre davantage d’éléments et de documents sur la Justice du XVIIIe siècle. Jusqu’en 1712, les audiences pour les jugements se tenaient sous le pignon d’une maison de la rue Haute (aujourd’hui rue de la Liberté) appartenant à Fiacre Juneau. Lorsque celui-ci mourut, laissant la maison à l’abandon, les juges de Palis transférèrent le tribunal sous le porche d’une grange située en face ; ils rechangèrent d’avis lorsqu’ils eurent trouvé un pignon aussi valable que le précédent dans le même quartier. Il y avait en outre toujours un vieux tas de bois qui permettait de se reposer. Lorsqu’il faisait froid ou qu’il pleuvait, les juges tenaient la séance dans la maison ; à part ce tribunal au local improvisé, il y avait un autre symbole de la justice qui était le pilori. Il trouvait à l’entrée de la rue Basse et était décoré aux armes du Chancelier SEGUIER, baron de Villemaur.

Dans le but d’améliorer le fonctionnement de la justice, mais aussi de se la réserver, Nicolas II Desmarets provoqua un litige entre lui et sa suzeraine, Madame la comtesse de BLANZAC. En effet, trouvant qu’il fallait une place fixe et à l’abri pour pouvoir exercer la justice et l’exécuter, le seigneur ordonna la construction d’un auditoire peu avant 1734. Cet auditoire était probablement situé face à l’église sur la rue (aujourd’hui rue du Tournefou)(8). Il avait son entrée sur la place, comportait une grille faite en barreaux de chêne et fermée à l’intérieur par un contrevent. Il y avait aussi une salle avec un fauteuil, une table et des bancs pour les curieux.

Nicolas II DESMARETS espérait bien avec cette construction s’attribuer tout le bénéfice de la justice, mais sa suzeraine, la comtesse de Blanzac demanda que ce nouvel auditoire fût supprimé et ordonna qu’un autre fût construit à l’endroit où la justice s’exerçait autrefois, à savoir la place du village (rue du Pilori et rue Basse), où se trouvait l’ancien pilori. Ce nouveau bâtiment comportait un auditoire, une chambre de geôle et une prison. Sur la place il y avait aussi un puits et un nouveau pilori orné sur deux côtés aux armes du Duc d’ESTISSAC et sur les deux autres à celles de Monsieur Desmarets (voir figure 1) On s’attendait donc à se retrouver avec deux auditoires pour les deux seigneurs. Mais Nicolas II Desmarets étant le vassal de la comtesse de Blanzac, c’est l’auditoire de la rue Basse qui demeura. Par la suite, il eut encore de nombreux litiges avec son suzerain, notamment au sujet de la nomination des officiers de justice. Cet état de choses dura jusqu’en 1748 où plusieurs commissaires chargés d’aplanir le différents, ordonnèrent qu’il y aurait quatre procureurs postulants reçus pour exercer la justice à Palis (deux sur les provisions du duc d’Estissac et deux sur celles du seigneur de Palis).

Figure 1

Plan de l’auditoire proposé par Mme de Blanzac pour être construit à l’entrée de la rue Basse

On distingue de G à D : le puits, le pilori, l’auditoire, la chambre de geôle et la prison. Archives de l’Aube E540

 

LES DROITS

Les habitants de Pâlis eurent rarement affaire au seigneur pour la haute justice, mais ils se rebellèrent souvent contre les droits utiles au XVIIIe siècle.

Les droits étaient, en effet, pour le seigneur une source de revenus convenables et de plus, ils étaient fort nombreux ; il y avait les terres frappées de cens, les censives, un impôt imprescriptible et non rachetable qui rapportait au seigneur en 1748, 277 livres 3 sols 10 deniers. Les censives communes étaient d’un revenu de 9 livres, 6 sols en argent, 2 boisseaux et demi d’avoine. Il existait aussi le droit de terrage qui était fonction de la quantité de terre cultivée. En 1734, on payait ce droit deux années sur trois et il valait un petit boisseau de seigle ou d’avoine par arpent emblavé ou non et un petit boisseau de froment pour les vignes. A part cela, les habitants avaient à payer le droit d’usage qui s’élevait en 1621 et même en 1734 pour chaque feu à un petit boisseau d’avoine et douze deniers d’argent. Pour les demi-feux (veufs ou veuve, garçon ou fille) le droit était de moitié.

En dehors de ces droits qui rapportaient argent et céréales, il y avait les droits liés à la position privilégiée du seigneur ; le droit de corvée qui obligeait les habitants, hommes et femmes, à effectuer deux journées de corvée par an en faveur du seigneur. Ils étaient notamment obligés d’aller curer le fossé situé dans le verger du château qui recevait toutes les eaux du village. Les contrevenants étaient frappés d’une amende de cinq livres pour un laboureur et de trois livres pour un manouvrier. En 1766, le curage du fossé fut supprimé moyennant deux sols par ménage et par an. Le seigneur avait aussi le droit de se réserver « comme premier habitant à cause de sa maison seigneuriale celui de prendre tous les ans pour la part usagère autant que dix habitants ». 

Mais le pire des droits dont le seigneur jouissait au XVIIIe s. et peut-être même avant, était celui du pressoir banal ou celui du moulin à vent banal. Il était le seul à avoir le droit de posséder des pressoirs et les habitants étaient obligés d’abandonner le huitième de la récolte de leurs vignes comme redevance. Cette quantité retirée à une récolte était énorme et représentait 1 800 livres par an. Les premières tentatives d’y échapper eurent lieu en 1670. Certains construisirent des pressoirs chez eux pour pouvoir se soustraire à la redevance, mais, le seigneur en eut vent et les déféra au juge du baillage de St Liébault. Ils furent condamnés à démolir leur pressoir et à venir écraser leur vendange au château de Pâlis. 

C’est en 1731 qu’ils tentèrent à nouveau d’échapper au droit de banalité. Nicolas II DESMARETS les poursuivit en justice et gagna son procès. Les habitants imaginèrent alors d’arracher leurs vignes sur Pâlis et de les replanter aux lieux-dits Verrois et les Petites Vallées sur le finage de Villadin, un territoire où il n’existait pas de pressoir banal. Nicolas II Desmarets essaya bien d’interdire cette manœuvre mais, malgré son influence, il ne put empêcher les habitants d’arrêter de produire du vin sur Pâlis. « Par ce moyen, remarquait un subdélégué de Troyes contacté par le seigneur, M. de Pâlis est comme s’il avait perdu son procès ». Tous ces droits usèrent la population qui devait sans doute les trouver de plus en plus injustes. Les démêlés qu’elle eut avec le denier seigneur peut expliquer qu’au moment de la Révolution, l’ensemble des objets de Desmarets ait été dispersé et que le château n’ait pas été conservé par les habitants.


Figure II
Le village de Pâlis avec son église, son château et ses vergers. Plan de 1746

 

LE CHATEAU

Après avoir évoqué le lignage du seigneur de Pâlis, sa justice et ses droits, nous allons nous intéresser à la maison seigneuriale qui reste quand même le symbole majeur de l’organisation de l’ancien régime.

Cette maison a dû exister depuis l’installation d’un seigneur à Pâlis. Le seul document datant du Moyen Age qui soit parvenu jusqu’à nous est une charte de 1199, où un certain Jean de PALIS possédait la maison seigneuriale. En ces périodes incertaines, cette maison devait plutôt ressembler à un château-fort bien que Pâlis n’ait jamais eu l’importance de Villemaur. Peut-être servait-il même de refuge lorsque quelques troupes ennemies venaient à passer. Malheureusement, on n’en sait rien et l’on est donc obligé pour cette longue période de rester dans les suppositions.


Figure III
Façade du château d’après l’architecte Milony en 1780

 Le château devait être situé à proximité de l’église si l’on admet qu’il n’a pas changé d’emplacement au cours des siècles, ce qui est probable, la partie la plus ancienne du pays se trouve précisément autour de l’église et du presbytère. Le château subit surement des modifications entre ce XIIe siècle et la Renaissance, ne serait-ce qu’à cause des nombreuses guerres ayant eu lieu durant cette longue période. Les profonds changements et bouleversements qui eurent lieu à partir de la fin du XVe siècle en matière d’art et d’architecture parvinrent sans doute jusqu’à Pâlis : une partie de l’église n’est-elle pas du XVe siècle ? Peut-on supposer que le château fut encore modifié ou agrandi à ce moment-là ?

C’est à peu près à cette même époque que l’on retrouve des documents relatifs à l’histoire générale du pays. En 1576, on se trouvait en pleine guerre de religion, les protestants étaient persécutés dans tout le pays. CONDÉ le chef du parti protestant, avait réuni en Allemagne une armée de 20 000 hommes, parmi lesquels des mercenaires allemands et suisses, avec laquelle il revint en France pour combattre l’armée catholique. Ils passèrent dans l’Aube, volant blé, bétail, chevaux et massacrant les populations. C’est ainsi qu’ils incendièrent et détruisirent Pâlis et son hameau de Tricherey. L’église brûlée, fut reconstruite au XVIe siècle et il est fort probable que le château n’échappa pas au sinistre. Le bâtiment dont il est fait mention lors du dénombrement de 1621 était donc postérieur à 1576. Pâlis se reconstruisit, en revanche Tricherey ne se releva pas de ses cendres.

Le château qui fut rebâti par les seigneurs BOUCHER devait désormais avoir plus une allure de maison que de forteresse, bien que le village ait eu pendant cent ans encore à supporter le passage de nombreuses bandes indisciplinées de soldats, déserteurs ou autres. Le dénombrement de 1662 et l’acte de vente de la seigneurie de 1672 nous apprennent d’ailleurs que la maison d’habitation composée d’un corps de logis qui menace ruine est placée entre une cour et un jardin entourés de murs, au-devant s’étendait un verger enclos de haies vives. Dans la cour s’élevait un colombier et les pressoirs banaux, des écuries et des étables. Il y avait aussi de très grandes dépendances attenantes au château (9).

On a plus de détails sur le château de Pâlis au XVIIIe siècle. En 1734, il est encore décrit dans un dénombrement : « la maison seigneuriale du dit Pâlis et ses dépendances contenant le tout environ 8 à 9 arpents, attenant des murailles de son terrain et en dehors de sa basse-cour… » et encore : « un verger vis-à-vis de la basse-cour contenant 6 arpents » et « 139 arpents 33 cordes ou environ, de terre appelé le grand clos du seigneur, étant au bout du jardin du château »(10). A cette époque, le château se trouvait dans ce qui est le nouveau cimetière aujourd’hui. Mais c’est surtout un plan de 1746 de la baronnie de Villemaur et de ses environs qui nous donne d’autres indications et vient confirmer graphiquement les détails du dénombrement de 1734 (figure2). On y voit attenant à l’église, les bâtiments du château ; au-devant s’étend le verger enclos de haies qui se trouverait aujourd’hui entre le chemin du bois Marot et la propriété de l’Office culturel de Cluny , au Sud-Est s’étend un jardin avec une allée centrale qui est aussi entourée de haies, puis le grand verger décrit dans le dénombrement de 1734. Celui-ci allait jusqu’à la limite du finage à Champignolle. La propriété du seigneur de Palis s’étendait en réalité jusqu’au bois Marot où il possédait des terres labourables, des bois et d’autres vergers, sans compter les 640 arpents qu’il avait en diverses contrées.

L’édifice resta ainsi jusqu’en 1780, date à laquelle Nicolas III DESMARETS le transforma. Il fit démolir les anciens bâtiments et construire à la place un immeuble comportant un pavillon et deux corps de logis (Figure 3). Pour cela, il fit appel à l’architecte Milony, professeur à l’École Royale et gratuite de dessin et des cartes de la ville de Troyes. L’architecte eut rapidement des ennuis avec M. Desmarets ; leur différent provenait du fait que les travaux n’avançaient pas assez vite. Par ailleurs, le seigneur se plaignait de la négligence des ouvriers : la charpente s’était écrasée par manque de mortier, des lézardes s’étaient produites et l’escalier se trouvait un pied et demi trop long. Lorsque l’architecte voulut se faire payer, M. Desmarets refusa de lui acquitter la somme convenue. Il y eut des procès de 1784 à 1789 que M. Desmarets perdit et il se vit obligé finalement de payer son dû.

Le bâtiment faisait 26 toises de long et un peu moins de 6 toises de large (51 mètres sur 11 mètres et demi) ; les deux plus grandes pièces étaient le salon et la bibliothèque (voir figure 4). Il y avait de nombreuses chambres à coucher où se trouvaient des lits garnis d’étoffe de camelot sur soie. Au rez-de-chaussée se trouvait une salle de bains. Le salon était vaste, il comprenait vingt fauteuils couverts de tricot de soie. La bibliothèque était meublée à l’ancienne, on y voyait un « secrétaire à l’antique » et une « vieille pendule ». Les murs étaient tendus de vieille soie rayée rouge et vert. Un tableau était accroché, il représentait « La Passion de Notre Seigneur ». Les livres, quant à eux, étaient placés dans deux armoires et rangés sur dix-huit tablettes (11). Cette bibliothèque était à ce point remarquable qu’il faut y consacrer quelques lignes.


Figure IV
Premier étage et rez-de-chaussée du château de Pâlis en 1780. Le salon et la bibliothèque
sont à droite et à gauche de l’entrée

 

LA BIBLIOTHEQUE

Si le château de Pâlis n’offrait de par son architecture aucune particularité marquante qui l’eut fait connaitre dans les environs, il n’en est pas de même de la bibliothèque du château ; presque tous les manuscrits s’y trouvant étaient précieux. Elle comportait aussi une grande collection de vieux livres imprimés, datant des XVIe et du début du XVIIe siècle. On y remarquait un ouvrage de Pascal, « Les Lettres provinciales » de 1656 ; mais aussi une édition de Ronsard de 1623 ; un exemplaire de « Illustrations de Gaule et singularités de Troye » de Lemaire de Belges, probablement daté de 1509 ; la traduction des « Métamorphoses d’Ovide » de 1543 ; les œuvres de Plutarque traduites par Amyot et beaucoup d’autres auteurs classiques ; des livres sur la jurisprudence et la théologie. Il y avait aussi dans une des armoires de la bibliothèque des vieux manuscrits couverts de parchemin, sur la ville de Troyes, plusieurs manuscrits s’y référant, des procès-verbaux de l’ordonnance criminelle, un manuscrit intitulé « Origines tricassines » et de nombreux autres manuscrits d’histoire locale. Il s’y trouvait encore « cinq ou six exemplaires de l’Ancien Coutumier de Champagne… plusieurs recueils de Mémoires, Titres, Arrêts et autres pièces très anciennes toutes relatives à la Champagne et d’autant plus importantes qu’elles se trouvaient peut être plus à la Chambre des Comptes… »(12).

Comment une aussi remarquable collection de livres pouvait-elle se trouver dans le château d’un modeste village ? Pour pouvoir expliquer cela, il faut ajouter que de nombreux manuscrits anciens qui se trouvaient dans la bibliothèque de Pâlis avaient été écrits par les Pithou de Troyes. Une grande partie de cette collection leur avait même appartenu.

En effet, François Pithou qui avait rassemblé bon nombre de documents précieux durant sa vie, les légua à sa mort au Collège de Troyes. Il avait choisi pour exécuteur testamentaire son ami Antoine Allen, conseiller au  baillage de Troyes. Or, Allen se trouva tenté de garder non seulement les médailles d’or et d’argent, mais aussi une partie des livres et des manuscrits qui étaient destinés au Collège. Les supérieurs du Collège les réclamèrent et c’est par une transaction datant de 1633 que l’affaire fut réglée ; Antoine Allen cédait les médailles mais gardait, moyennant une somme de 150 livres, les livres et les manuscrits. Ceux-ci passèrent à sa mort à son gendre Claude Le Goujat DESMARETS, avocat au baillage de Troyes, dont on a parlé précédemment. C’est son fils François, premier seigneur Desmarets de Pâlis qui avait acheté le château et c’est lui qui y transporta les documents et les livres. François Desmarets augmenta cette collection lorsqu’il hérita du dernier des Pithou, Pierre. Celui-ci était le petit neveu de Pierre et François Pithou et était seigneur de Luyères et du fief de Tirechappe. Parmi les biens de Pierre Pithou se trouvaient sans doute les collections entières de livres et de documents qu’il avait héritées de son oncle François. Une grande partie de sa fortune fut ainsi partagée entre l’Hôtel-Dieu de Paris et François Desmarets. Quant à la collection de livres elle fut divisée entre un certain Le Peltier et François Desmarets. Elle comportait plusieurs manuscrits assez intéressants ; il s’y trouvait des travaux inédits de jurisconsultes, des recueils d’ordonnances de la Cour des Monnaies, des notes critiques sur différents ouvrages de théologie, des lettres du cardinal de Lorraine, des lettres du pape Léon X écrites au Chancelier Duprat, des livres de droit annotés par les frères Pithou et une partie de preuves de libertés de l’église gallicane.

Cette collection de documents et autres manuscrits que François Desmarets avait rassemblée, était à ce point précieuse que le roi décida au début du XVIIIe siècle d’en acquérir certains. Tout visiteur parlait en effet de la bibliothèque de M. de Pâlis avec éloge et il est regrettable en fin de compte que le roi ne se soit pas porté acquéreur de toute la bibliothèque. Il lui aurait ainsi évité la fin déplorable qu’elle connut au moment de la Révolution.


LA REVOLUTION ET APRES




Lorsque la Révolution éclata en 1789 apportant avec elle son flot de changements et de mesures nouvelles, on assista à un bouleversement des administrations locales. Pâlis eut d’abord un conseil général qui devint ensuite un conseil municipal avec un maire. Le premier d’entre eux fut Louis Eustache Dié, curé de la paroisse qui resta à ce poste jusqu’en l’An II de la République Française. A partir de 1793, furent aussi constitués les registres d’état-civil qui étaient tenus auparavant par le curé (actes de catholicité).

Le dernier seigneur, Nicolas III Desmarets, choisit peu après 1789, probablement en 1790 ou 1791, d’abandonner ses terres et d’émigrer. Pour empêcher la saisie de ses propriétés, il prétexta qu’il était seulement en voyage pour prendre les eaux et qu’il avait toujours son domicile à Pâlis. Il ne peut cependant empêcher les commissaires du district de Troyes de déclarer ses biens « affectés à l’indemnité due à la Nation » et de les saisir le 20 juillet 1792. Ces derniers se rendirent au château de Pâlis pour désigner les objets méritant d’être transportés à Troyes pour y être conservés. Ils dressèrent un procès-verbal plutôt élogieux : « Nous n’y avons remarqué qu’un seul tableau représentant le jugement de J.-C. qu’on nous avait annoncé devoir fixer notre attention ; nous l’avons jugé trop mal peint pour figurer honorablement au musée projeté ; et un petit amour que nous nous réservons. Le cabinet de M. de Pâlis renferme une bibliothèque que nous avons examinée avec autant d’attention qu’il nous est possible. Il résulte de cet examen que tous les ouvrages qui composent cette bibliothèque sont presque tous très précieux, tant par le choix sévère des bonnes éditions que par la nature des auteurs et des sciences qu’ils ont traités, que le département ne peut abandonner un moment aussi précieux dans sa totalité, qu’il y a 57 manuscrits qui ont trait, pour la plus part, à l’histoire de la Champagne, nous avons réservé la conservation de cette bibliothèque pour être transférée lorsqu’il en sera temps » (13).

En réalité, et contrairement à ce qui avait été ordonné, le classement précis de la bibliothèque se fit de façon désordonnée par des commissaires peu scrupuleux, incapables de reconnaitre la valeur réelle de la collection ; elle fut transportée à Nogent-sur-Seine en 1793. On perd de vue la collection de livres et de manuscrits à ce moment-là. L’écriture de Pierre Pithou put être à peine déchiffrée par les administrateurs qui négligèrent sans doute l’importance de ces papiers. Il est possible que ces livres aient fait partie d’une vente aux enchères de 2 000volumes qui eut lieu en 1805. Une chose est sûre, la totalité de la collection se trouva rapidement dispersée.

En 1793, il y avait en outre encore 8 chevaux, 7 vaches, 130 moutons et 30 pigeons dans les étables du château ; ils furent sans doute vendus assez rapidement.

Quant au château, il fut vendu avec ses dépendances le 4 novembre 1793 et partagés en plusieurs lots. La maison seigneuriale fut démolie en partie, sans doute pour des raisons utilitaires, constructions de nouvelles maisons notamment. Les bâtiments d'exploitation furent partagés, le jardin divisé. Il ne fut conservé que 3 petits canons qui disparurent assez rapidement.

En 1831, il restait encore debout un pavillon et une remise qui appartenait à l’époque à Jean-Baptiste Vincent l’ainé, ancien maire de Pâlis. Le pavillon servait de « bâtiment rural » (voir figure 5). L’ensemble de l’ancienne propriété du château lui appartenait avec Louis Moreau, les parcelles du lieu-dit « le château » étant désignées en « terre d’accin » et en « jardin » (14). Ces bâtiments furent détruits lorsque le conseil municipal décida après 1880 un premier agrandissement du cimetière.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’ancien château de Pâlis ?

On peut remarquer un ancien puits situé dans le nouveau cimetière et le fossé bordant l’Office culture de Cluny. Les quelques affaissements de terrain qui se produisent de temps à autres dans le cimetière nous rappellent qu’en d’autres temps, il y eut un château à cet endroit avec des caves et sans doute des souterrains et que ceux-ci furent partiellement comblés. Les bâtiments d’exploitation du château ont été modifiés depuis 1831 et même encore récemment. Ils abritent l’Office culturel de Cluny. Lors de récents travaux on y a trouvé une petite excavation voûtée qui servait sans doute de puisard ou de citerne. Il a aussi été retrouvé des blocs de pierres de taille qui servaient de soubassement à un bâtiment aujourd’hui disparu. Quant aux lieux-dits, si le cadastre de 1831 signalait encore une contré appelée « le château », située sur l’ancien emplacement de celui-ci, le nouveau cadastre l’a supprimé et seul le lieu-dit « le verger » rappelle aux érudits qu’autrefois il existait le verger du seigneur de Pâlis. En revanche, on n’eut plus aucune nouvelle de la précieuse collection de la bibliothèque qui intéressa même le roi de France en son temps. Son souvenir s’effaça progressivement de la mémoire collective du village.

Que le temps préserve de l’oubli le château de Pâlis et sa remarquable bibliothèque et lui évite la confusion avec la demeure bourgeoise de la rue du bois !

 

Figure V

L’emplacement du château de Pâlis en 1831 G et aujourd’hui

1 une remise, 2 ancien pavillon, 3 bâtiments de ferme

 

notes 

1.        1.  C’est d’ailleurs le seul document qui subsiste de cette époque

2.           2 . Inventaire des archives ecclésiastiques ; arch. De l’Aube G3130

3.        3. Trichery était un hameau situé entre Pâlis et Mesnil ; arch. Aube E541

4.        4 Archives de l’Aube E198

5.           5.  /                 /       G359

6.           6 . /                  /       E541

7.             7 .  Courtalon : « M. Desmarets fut un excellent citoyen. On a dit de lui qu’il étoit un homme sans                 passion et sans intérêt, qu’il avoit une âme belle et généreuse et de très bons sentiments pour                     sa patrie ».

8.          8. Dénombrement de 1734 : « La maison seigneuriale du dit Pâlis et ses dépendances (…) attenant              des murailles de son terrain et en dehors de sa basse-cour. Sur la rue est son auditoire qu’il a fait               construire depuis environ 18 mois parce qu’il n’y en avait point ». Arch Aube E198

9.           9. 10 . Arch Aube

1.        11.   Bibliothèque Troyes

12       12. Grosley : Vie de Pierre Pithou

13      13.  Arch Aube

14      14. Cadastre 1831



 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Inventaire d'un château après décès...

  Etre châtelain en Bresse au XVIIe siècle Comment vivait-on dans les châteaux de Bresse au XVIIe  siècle ? Un inventaire après décès perm...