LA
SEIGNEURIE DE PALIS
Les seigneurs de
Trainel possédaient une partie de la terre de Pâlis, on relève en effet dans
une charte de 1189, qu’Hugues de PLANCY marié à Elisabeth de TRAINEL a fait don
d’une terre de Pâlis à leur fille religieuse. Cette terre revint ensuite à
Sébille, dame de Trainel, veuve d’ANSEAU IV seigneur de Trainel en 1222. Son
fils Henri I de Villeneuve-aux-riches-Hommes la vendit ensuite en mai 1248 au
comte Thibaut de Champagne.
L’autre grande maison
qui détenait une partie de la terre de Pâlis était la maison de Mailly. En
1279, un certain Jehan, seigneur de Mailli et Paléiz (2) approuve un bornage
entre les seigneuries de Pâlis et de Planty. Au début du XIVe siècle le plus
grand seigneur de Palis, qui possédait presque la totalité des terres, était
Hugues I de MAILLY. En 1328 Hugues II, [sans doute son fils] rattacha à son
domaine le fief de Tricherey (3). Ayant trahi son suzerain qui était le duc de
Bourgogne, Hugues II fut exécuté avant 1348 et la moitié de sa terre de Palis
confisquée. La veuve de Hugues II de MAILLY, Jeanne de TRAINEL, obtint cette
moitié en qualité de douairière jusqu’à sa mort en 1377. L’autre moitié fut
donnée par indivis à Jean de JAUCOURT, seigneur de Dinteville.
Vers 1350, à la mort du
duc de Bourgogne, la terre de Pâlis fut donné par Philippe de ROUVRE, héritier
du duc, à Marguerite de France, comtesse de Flandre. C’est ainsi que l’on
retrouve des documents de 1361 et 1362 où Jean de JAUCOURT et Jeanne de TRAINEL
rendent hommage à leur suzeraine, Madame la comtesse de Flandre.
La maison de Mailly ne
revendiquant plus la seigneurie de Palis après la trahison de son dernier
représentant, la terre se trouva désormais partagée entre les seigneurs
châtelains de Villemaur et la famille de BROUTIERES. En effet, Jaquot et
Nicolas de Broutieres rachetèrent en 1371 plus de la moitié de ce que possédant
Jean de JAUCOURT. Leur successeur fut Jean de BROUTIERES escuier, fils de noble
home Jaquot de Broutieres, escuier et de Damoiselle Ysabel de ROUVROY, seigneur
en partie de Palis (4). A la suite du remariage de sa mère avec un certain
Humbelot de CHASTENOY, la seigneurie fut de nouveau partagée entre celui-ci et
Jehan de Broutieres de 1384 à 1404. A la mort de Humbelot c’est la famille de
Broutieres qui se retrouva sans doute co-seigneur unique de Palis. Ils
restaient cependant vassaux des seigneurs de Villemaur, propriétaires de
l’autre moitié de la seigneurie de Palis.
De la fin du XIVe au
début du XVIe siècle, on ne retrouve pas de documents suffisants pour pouvoir
retracer l’histoire de la seigneurie de Palis et cela sans doute à cause des
nombreux troubles que le royaume de France eut à subir, la guerre de Cent ans
notamment. Une seule exception : en 1411 il est signalé un certain
Humbelot LEVRAIGE, seigneur de Pâlis. (5)
En 1503, c’est Louis
BOUCHER seigneur de Vertron qui devient seigneur. Par son mariage avec
Marguerite LE MUET, il porta la terre de Palis dans sa famille ce qui laisse à
penser que le précédent seigneur était Nicolas LE MUET, père de Marguerite,
mort en 1503. Les BOUCHER vont tenir la terre de Palis pendant plus de 150
ans ; mais ils ne seront pas seuls car les moines du prieuré de Clairlieu,
situé à quelques kilomètres de Palis, sont appelés « Seigneurs en
partie » dans un texte de 1523 ; leur titre n’était peut-être
toutefois qu’honorifique. Le fils de Louis Boucher et de Marguerite Le Muet fut
Guillaume Boucher, lieutenant général au bailliage de Sens. Il épousa Eugénie
NUGANT. Par un arrêté du 6 juillet 1525 entérinant des Lettres de 1522, la Cour
des aides ordonna que Guillaume Boucher jouirait « des exemptions et
privilèges de noblesse, nonobstant son état d’avocat, attendu qu’il était noble
issu de noble race du côté paternel et maternel ».
Lorsque Guillaume
BOUCHER mourut, ce fut Michel, son fils, qui devint seigneur de Palis.
Conseiller et magistrat au Président de Sens. Il épousa en 1558 Marie COIFFART,
fille du seigneur de Saint-Benoist, dont il eut deux fils, Michel et Noël. Ce
dernier devint à sa majorité en 1594 propriétaire de la moitié de la terre de
Palis avec le titre d’écuyer. Il eut de sa femme Louise de HAULT un fils appelé
Michel II BOUCHER. Malgré les titres de noblesse que possédaient les Boucher et
la stabilité de leur descendance, ils restaient vassaux des seigneurs de
Villemaur, les de VILLEMOR et les VIGUIER. Michel II BOUCHER quant à lui,
agrandit son domaine en 1645 en achetant à Nicolas de MESGRIGNY le fiel de
Cornillon et celui des Chaumes de Manche dans la paroisse de Marcilly-le-Hayer.
A sa mort, en 1661, c’est Georges BOUCHER, son fils, qui devint seigneur de
Palis. Sa mère obtint en tant que douairière le titre de Dame de Pâlis. Ils
prêtèrent tous deux le serment de fidélité au duc de Villemaur, Pierre SEGUIER
en 1662.
La seigneurie de Palis
changea de propriétaire durant cette décennie. Elle fut saisie vers 1668 par
Marguerite de SAINT-ETIENNE et achetée le 10 aout 1673 par François Le GOUJAT
DESMARETS pour 32 000 livres (6). Cette famille était originaire de Troyes
et descendait des LESGUISE anoblis par Lettres du roi Charles VII en 1430. Le
père de François, Claude Me GOUJAT DESMARETS, avocat au Parlement, avait changé
de nom parce qu’il lui semblait peu en rapport avec sa profession. François
DESMARETS était agrégé de Lettre et siégeait comme Docteur Honoraire dans une
assemblée de la Faculté de Droit de Paris. Il écrivit même différents ouvrages
de droit, parmi lesquels « le Traité sur la religion du serment » qui
tendait à confirmer la supériorité de la juridiction royale sur les tribunaux
ecclésiastiques. François Desmarets épouse Françoise HUEZ et eut un fils nommé
Nicolas. Ce dernier devint seigneur de Palis à la mort de son père en 1697 sous
le nom de Nicolas I DESMARETS. Il était nettement moins brillant que son père
et l’histoire le retient plutôt comme un « seigneur en retrait »
entre François Desmarets dont on parle volontiers en termes élogieux (7), et
Nicolas II son fils. Celui-ci prit possession de la seigneurie de Palis en 1731
et eut en permanence de litiges avec les habitants et même avec son suzerain.
Il mourut en 1748 et c’est son fils Nicolas III DESMARETS, chevalier, maréchal
de camp et maitre de camp du second régiment de chasseurs à cheval qui lui
succéda et qui resta seigneur de Palis jusqu’à la Révolution. Il disparut alors
abandonnant ses terres et émigra. Le 20 juillet 1792, par arrêté du Directoire
du département de l’Aube, les biens de Nicolas III Desmarets furent déclarés
« affectés à l’indemnité due à la Nation » et confisqués pour être
vendus.
JUSTICE
ET DROITS
LA JUSTICE
Le droit le plus
important, la plus haute prérogative du Seigneur était le Droit de Justice. On
sait que fort peu de choses sur la justice qui était exercée par le seigneur de
Palis au Moyen Age ; les juges pouvaient prononcer la peine du fouet, de
la marque au fer rouge, du carcan, du bannissement et même la peine de
mort ; ils pouvaient aussi donner de simples amendes.
On a par contre davantage
d’éléments et de documents sur la Justice du XVIIIe siècle. Jusqu’en 1712, les
audiences pour les jugements se tenaient sous le pignon d’une maison de la rue
Haute (aujourd’hui rue de la Liberté) appartenant à Fiacre Juneau. Lorsque
celui-ci mourut, laissant la maison à l’abandon, les juges de Palis
transférèrent le tribunal sous le porche d’une grange située en face ; ils
rechangèrent d’avis lorsqu’ils eurent trouvé un pignon aussi valable que le
précédent dans le même quartier. Il y avait en outre toujours un vieux tas de
bois qui permettait de se reposer. Lorsqu’il faisait froid ou qu’il pleuvait,
les juges tenaient la séance dans la maison ; à part ce tribunal au local
improvisé, il y avait un autre symbole de la justice qui était le pilori. Il trouvait
à l’entrée de la rue Basse et était décoré aux armes du Chancelier SEGUIER, baron
de Villemaur.
Dans le but d’améliorer
le fonctionnement de la justice, mais aussi de se la réserver, Nicolas II
Desmarets provoqua un litige entre lui et sa suzeraine, Madame la comtesse de
BLANZAC. En effet, trouvant qu’il fallait une place fixe et à l’abri pour
pouvoir exercer la justice et l’exécuter, le seigneur ordonna la construction
d’un auditoire peu avant 1734. Cet auditoire était probablement situé face à
l’église sur la rue (aujourd’hui rue du Tournefou)(8). Il avait son entrée sur
la place, comportait une grille faite en barreaux de chêne et fermée à
l’intérieur par un contrevent. Il y avait aussi une salle avec un fauteuil, une
table et des bancs pour les curieux.
Nicolas II DESMARETS
espérait bien avec cette construction s’attribuer tout le bénéfice de la
justice, mais sa suzeraine, la comtesse de Blanzac demanda que ce nouvel
auditoire fût supprimé et ordonna qu’un autre fût construit à l’endroit où la
justice s’exerçait autrefois, à savoir la place du village (rue du Pilori et
rue Basse), où se trouvait l’ancien pilori. Ce nouveau bâtiment comportait un
auditoire, une chambre de geôle et une prison. Sur la place il y avait aussi un
puits et un nouveau pilori orné sur deux côtés aux armes du Duc d’ESTISSAC et
sur les deux autres à celles de Monsieur Desmarets (voir figure 1) On
s’attendait donc à se retrouver avec deux auditoires pour les deux seigneurs.
Mais Nicolas II Desmarets étant le vassal de la comtesse de Blanzac, c’est
l’auditoire de la rue Basse qui demeura. Par la suite, il eut encore de
nombreux litiges avec son suzerain, notamment au sujet de la nomination des
officiers de justice. Cet état de choses dura jusqu’en 1748 où plusieurs
commissaires chargés d’aplanir le différents, ordonnèrent qu’il y aurait quatre
procureurs postulants reçus pour exercer la justice à Palis (deux sur les
provisions du duc d’Estissac et deux sur celles du seigneur de Palis).
Plan de l’auditoire proposé par Mme de Blanzac pour être construit à l’entrée de la rue Basse
On distingue de G à D : le puits, le pilori, l’auditoire, la chambre de geôle et la prison. Archives de l’Aube E540
LES
DROITS
Les habitants de Pâlis
eurent rarement affaire au seigneur pour la haute justice, mais ils se
rebellèrent souvent contre les droits utiles au XVIIIe siècle.
Les droits étaient, en
effet, pour le seigneur une source de revenus convenables et de plus, ils étaient
fort nombreux ; il y avait les terres frappées de cens, les censives, un impôt
imprescriptible et non rachetable qui rapportait au seigneur en 1748, 277
livres 3 sols 10 deniers. Les censives communes étaient d’un revenu de 9
livres, 6 sols en argent, 2 boisseaux et demi d’avoine. Il existait aussi le
droit de terrage qui était fonction de la quantité de terre cultivée. En 1734,
on payait ce droit deux années sur trois et il valait un petit boisseau de
seigle ou d’avoine par arpent emblavé ou non et un petit boisseau de froment
pour les vignes. A part cela, les habitants avaient à payer le droit d’usage
qui s’élevait en 1621 et même en 1734 pour chaque feu à un petit boisseau
d’avoine et douze deniers d’argent. Pour les demi-feux (veufs ou veuve, garçon
ou fille) le droit était de moitié.
En dehors de ces droits qui rapportaient argent et céréales, il y avait les droits liés à la position privilégiée du seigneur ; le droit de corvée qui obligeait les habitants, hommes et femmes, à effectuer deux journées de corvée par an en faveur du seigneur. Ils étaient notamment obligés d’aller curer le fossé situé dans le verger du château qui recevait toutes les eaux du village. Les contrevenants étaient frappés d’une amende de cinq livres pour un laboureur et de trois livres pour un manouvrier. En 1766, le curage du fossé fut supprimé moyennant deux sols par ménage et par an. Le seigneur avait aussi le droit de se réserver « comme premier habitant à cause de sa maison seigneuriale celui de prendre tous les ans pour la part usagère autant que dix habitants ».
Mais le pire des droits dont le seigneur jouissait au XVIIIe s. et peut-être même avant, était celui du pressoir banal ou celui du moulin à vent banal. Il était le seul à avoir le droit de posséder des pressoirs et les habitants étaient obligés d’abandonner le huitième de la récolte de leurs vignes comme redevance. Cette quantité retirée à une récolte était énorme et représentait 1 800 livres par an. Les premières tentatives d’y échapper eurent lieu en 1670. Certains construisirent des pressoirs chez eux pour pouvoir se soustraire à la redevance, mais, le seigneur en eut vent et les déféra au juge du baillage de St Liébault. Ils furent condamnés à démolir leur pressoir et à venir écraser leur vendange au château de Pâlis.
C’est en 1731 qu’ils tentèrent à nouveau
d’échapper au droit de banalité. Nicolas II DESMARETS les poursuivit en justice
et gagna son procès. Les habitants imaginèrent alors d’arracher leurs vignes
sur Pâlis et de les replanter aux lieux-dits Verrois et les Petites Vallées sur
le finage de Villadin, un territoire où il n’existait pas de pressoir banal.
Nicolas II Desmarets essaya bien d’interdire cette manœuvre mais, malgré son
influence, il ne put empêcher les habitants d’arrêter de produire du vin sur
Pâlis. « Par ce moyen, remarquait un subdélégué de Troyes contacté par le
seigneur, M. de Pâlis est comme s’il avait perdu son procès ». Tous ces
droits usèrent la population qui devait sans doute les trouver de plus en plus
injustes. Les démêlés qu’elle eut avec le denier seigneur peut expliquer qu’au
moment de la Révolution, l’ensemble des objets de Desmarets ait été dispersé et
que le château n’ait pas été conservé par les habitants.
LE
CHATEAU
Après avoir évoqué le
lignage du seigneur de Pâlis, sa justice et ses droits, nous allons nous
intéresser à la maison seigneuriale qui reste quand même le symbole majeur de
l’organisation de l’ancien régime.
Cette maison a dû
exister depuis l’installation d’un seigneur à Pâlis. Le seul document datant du
Moyen Age qui soit parvenu jusqu’à nous est une charte de 1199, où un certain
Jean de PALIS possédait la maison seigneuriale. En ces périodes incertaines,
cette maison devait plutôt ressembler à un château-fort bien que Pâlis n’ait
jamais eu l’importance de Villemaur. Peut-être servait-il même de refuge
lorsque quelques troupes ennemies venaient à passer. Malheureusement, on n’en
sait rien et l’on est donc obligé pour cette longue période de rester dans les suppositions.
C’est à peu près à
cette même époque que l’on retrouve des documents relatifs à l’histoire
générale du pays. En 1576, on se trouvait en pleine guerre de religion, les
protestants étaient persécutés dans tout le pays. CONDÉ le chef du parti
protestant, avait réuni en Allemagne une armée de 20 000 hommes, parmi
lesquels des mercenaires allemands et suisses, avec laquelle il revint en
France pour combattre l’armée catholique. Ils passèrent dans l’Aube, volant
blé, bétail, chevaux et massacrant les populations. C’est ainsi qu’ils
incendièrent et détruisirent Pâlis et son hameau de Tricherey. L’église brûlée,
fut reconstruite au XVIe siècle et il est fort probable que le château
n’échappa pas au sinistre. Le bâtiment dont il est fait mention lors du
dénombrement de 1621 était donc postérieur à 1576. Pâlis se reconstruisit, en
revanche Tricherey ne se releva pas de ses cendres.
Le château qui fut
rebâti par les seigneurs BOUCHER devait désormais avoir plus une allure de
maison que de forteresse, bien que le village ait eu pendant cent ans encore à
supporter le passage de nombreuses bandes indisciplinées de soldats, déserteurs
ou autres. Le dénombrement de 1662 et l’acte de vente de la seigneurie de 1672
nous apprennent d’ailleurs que la maison d’habitation composée d’un corps de
logis qui menace ruine est placée entre une cour et un jardin entourés de murs,
au-devant s’étendait un verger enclos de haies vives. Dans la cour s’élevait un
colombier et les pressoirs banaux, des écuries et des étables. Il y avait aussi
de très grandes dépendances attenantes au château (9).
On a plus de détails
sur le château de Pâlis au XVIIIe siècle. En 1734, il est encore décrit dans un
dénombrement : « la maison seigneuriale du dit Pâlis et ses
dépendances contenant le tout environ 8 à 9 arpents, attenant des murailles de
son terrain et en dehors de sa basse-cour… » et encore : « un
verger vis-à-vis de la basse-cour contenant 6 arpents » et « 139
arpents 33 cordes ou environ, de terre appelé le grand clos du seigneur, étant
au bout du jardin du château »(10). A cette époque, le château se trouvait
dans ce qui est le nouveau cimetière aujourd’hui. Mais c’est surtout un plan de
1746 de la baronnie de Villemaur et de ses environs qui nous donne d’autres
indications et vient confirmer graphiquement les détails du dénombrement de
1734 (figure2). On y voit attenant à l’église, les bâtiments du château ;
au-devant s’étend le verger enclos de haies qui se trouverait aujourd’hui entre
le chemin du bois Marot et la propriété de l’Office culturel de Cluny , au
Sud-Est s’étend un jardin avec une allée centrale qui est aussi entourée de
haies, puis le grand verger décrit dans le dénombrement de 1734. Celui-ci
allait jusqu’à la limite du finage à Champignolle. La propriété du seigneur de
Palis s’étendait en réalité jusqu’au bois Marot où il possédait des terres
labourables, des bois et d’autres vergers, sans compter les 640 arpents qu’il
avait en diverses contrées.
L’édifice resta ainsi
jusqu’en 1780, date à laquelle Nicolas III DESMARETS le transforma. Il fit
démolir les anciens bâtiments et construire à la place un immeuble comportant
un pavillon et deux corps de logis (Figure 3). Pour cela, il fit appel à
l’architecte Milony, professeur à l’École Royale et gratuite de dessin et des
cartes de la ville de Troyes. L’architecte eut rapidement des ennuis avec M.
Desmarets ; leur différent provenait du fait que les travaux n’avançaient
pas assez vite. Par ailleurs, le seigneur se plaignait de la négligence des
ouvriers : la charpente s’était écrasée par manque de mortier, des
lézardes s’étaient produites et l’escalier se trouvait un pied et demi trop
long. Lorsque l’architecte voulut se faire payer, M. Desmarets refusa de lui acquitter
la somme convenue. Il y eut des procès de 1784 à 1789 que M. Desmarets perdit
et il se vit obligé finalement de payer son dû.
Le bâtiment faisait 26 toises de long et un peu moins de 6 toises de large (51 mètres sur 11 mètres et demi) ; les deux plus grandes pièces étaient le salon et la bibliothèque (voir figure 4). Il y avait de nombreuses chambres à coucher où se trouvaient des lits garnis d’étoffe de camelot sur soie. Au rez-de-chaussée se trouvait une salle de bains. Le salon était vaste, il comprenait vingt fauteuils couverts de tricot de soie. La bibliothèque était meublée à l’ancienne, on y voyait un « secrétaire à l’antique » et une « vieille pendule ». Les murs étaient tendus de vieille soie rayée rouge et vert. Un tableau était accroché, il représentait « La Passion de Notre Seigneur ». Les livres, quant à eux, étaient placés dans deux armoires et rangés sur dix-huit tablettes (11). Cette bibliothèque était à ce point remarquable qu’il faut y consacrer quelques lignes.
LA
BIBLIOTHEQUE
Si le château de Pâlis
n’offrait de par son architecture aucune particularité marquante qui l’eut fait
connaitre dans les environs, il n’en est pas de même de la bibliothèque du
château ; presque tous les manuscrits s’y trouvant étaient précieux. Elle
comportait aussi une grande collection de vieux livres imprimés, datant des
XVIe et du début du XVIIe siècle. On y remarquait un ouvrage de Pascal,
« Les Lettres provinciales » de 1656 ; mais aussi une édition de
Ronsard de 1623 ; un exemplaire de « Illustrations de Gaule et
singularités de Troye » de Lemaire de Belges, probablement daté de
1509 ; la traduction des « Métamorphoses d’Ovide » de
1543 ; les œuvres de Plutarque traduites par Amyot et beaucoup d’autres
auteurs classiques ; des livres sur la jurisprudence et la théologie. Il y
avait aussi dans une des armoires de la bibliothèque des vieux manuscrits
couverts de parchemin, sur la ville de Troyes, plusieurs manuscrits s’y
référant, des procès-verbaux de l’ordonnance criminelle, un manuscrit intitulé
« Origines tricassines » et de nombreux autres manuscrits d’histoire
locale. Il s’y trouvait encore « cinq ou six exemplaires de
l’Ancien Coutumier de Champagne… plusieurs recueils de Mémoires, Titres,
Arrêts et autres pièces très anciennes toutes relatives à la Champagne et
d’autant plus importantes qu’elles se trouvaient peut être plus à la Chambre
des Comptes… »(12).
Comment une aussi
remarquable collection de livres pouvait-elle se trouver dans le château d’un
modeste village ? Pour pouvoir expliquer cela, il faut ajouter que de
nombreux manuscrits anciens qui se trouvaient dans la bibliothèque de Pâlis
avaient été écrits par les Pithou de Troyes. Une grande partie de cette
collection leur avait même appartenu.
En effet, François
Pithou qui avait rassemblé bon nombre de documents précieux durant sa vie, les
légua à sa mort au Collège de Troyes. Il avait choisi pour exécuteur
testamentaire son ami Antoine Allen, conseiller au baillage de Troyes. Or, Allen se trouva tenté
de garder non seulement les médailles d’or et d’argent, mais aussi une partie
des livres et des manuscrits qui étaient destinés au Collège. Les supérieurs du
Collège les réclamèrent et c’est par une transaction datant de 1633 que
l’affaire fut réglée ; Antoine Allen cédait les médailles mais gardait,
moyennant une somme de 150 livres, les livres et les manuscrits. Ceux-ci
passèrent à sa mort à son gendre Claude Le Goujat DESMARETS, avocat au baillage
de Troyes, dont on a parlé précédemment. C’est son fils François, premier seigneur
Desmarets de Pâlis qui avait acheté le château et c’est lui qui y transporta
les documents et les livres. François Desmarets augmenta cette collection
lorsqu’il hérita du dernier des Pithou, Pierre. Celui-ci était le petit neveu
de Pierre et François Pithou et était seigneur de Luyères et du fief de Tirechappe.
Parmi les biens de Pierre Pithou se trouvaient sans doute les collections
entières de livres et de documents qu’il avait héritées de son oncle François.
Une grande partie de sa fortune fut ainsi partagée entre l’Hôtel-Dieu de Paris
et François Desmarets. Quant à la collection de livres elle fut divisée entre
un certain Le Peltier et François Desmarets. Elle comportait plusieurs
manuscrits assez intéressants ; il s’y trouvait des travaux inédits de
jurisconsultes, des recueils d’ordonnances de la Cour des Monnaies, des notes
critiques sur différents ouvrages de théologie, des lettres du cardinal de
Lorraine, des lettres du pape Léon X écrites au Chancelier Duprat, des livres
de droit annotés par les frères Pithou et une partie de preuves de libertés de
l’église gallicane.
Cette collection de
documents et autres manuscrits que François Desmarets avait rassemblée, était à
ce point précieuse que le roi décida au début du XVIIIe siècle d’en acquérir certains.
Tout visiteur parlait en effet de la bibliothèque de M. de Pâlis avec éloge et
il est regrettable en fin de compte que le roi ne se soit pas porté acquéreur
de toute la bibliothèque. Il lui aurait ainsi évité la fin déplorable qu’elle
connut au moment de la Révolution.
LA REVOLUTION ET APRES
Le dernier seigneur,
Nicolas III Desmarets, choisit peu après 1789, probablement en 1790 ou 1791,
d’abandonner ses terres et d’émigrer. Pour empêcher la saisie de ses
propriétés, il prétexta qu’il était seulement en voyage pour prendre les eaux
et qu’il avait toujours son domicile à Pâlis. Il ne peut cependant empêcher les
commissaires du district de Troyes de déclarer ses biens « affectés à
l’indemnité due à la Nation » et de les saisir le 20 juillet 1792. Ces
derniers se rendirent au château de Pâlis pour désigner les objets méritant
d’être transportés à Troyes pour y être conservés. Ils dressèrent un
procès-verbal plutôt élogieux : « Nous n’y avons remarqué qu’un seul
tableau représentant le jugement de J.-C. qu’on nous avait annoncé devoir fixer
notre attention ; nous l’avons jugé trop mal peint pour figurer
honorablement au musée projeté ; et un petit amour que nous nous
réservons. Le cabinet de M. de Pâlis renferme une bibliothèque que nous avons
examinée avec autant d’attention qu’il nous est possible. Il résulte de cet
examen que tous les ouvrages qui composent cette bibliothèque sont presque tous
très précieux, tant par le choix sévère des bonnes éditions que par la nature
des auteurs et des sciences qu’ils ont traités, que le département ne peut
abandonner un moment aussi précieux dans sa totalité, qu’il y a 57 manuscrits
qui ont trait, pour la plus part, à l’histoire de la Champagne, nous avons réservé
la conservation de cette bibliothèque pour être transférée lorsqu’il en sera
temps » (13).
En réalité, et
contrairement à ce qui avait été ordonné, le classement précis de la
bibliothèque se fit de façon désordonnée par des commissaires peu scrupuleux,
incapables de reconnaitre la valeur réelle de la collection ; elle fut
transportée à Nogent-sur-Seine en 1793. On perd de vue la collection de livres
et de manuscrits à ce moment-là. L’écriture de Pierre Pithou put être à peine
déchiffrée par les administrateurs qui négligèrent sans doute l’importance de
ces papiers. Il est possible que ces livres aient fait partie d’une vente aux
enchères de 2 000volumes qui eut lieu en 1805. Une chose est sûre, la
totalité de la collection se trouva rapidement dispersée.
En 1793, il y avait en
outre encore 8 chevaux, 7 vaches, 130 moutons et 30 pigeons dans les étables du
château ; ils furent sans doute vendus assez rapidement.
Quant au château, il
fut vendu avec ses dépendances le 4 novembre 1793 et partagés en plusieurs
lots. La maison seigneuriale fut démolie en partie, sans doute pour des raisons
utilitaires, constructions de nouvelles maisons notamment. Les bâtiments
d'exploitation furent partagés, le jardin divisé. Il ne fut conservé que 3
petits canons qui disparurent assez rapidement.
En 1831, il restait
encore debout un pavillon et une remise qui appartenait à l’époque à
Jean-Baptiste Vincent l’ainé, ancien maire de Pâlis. Le pavillon servait de
« bâtiment rural » (voir figure 5). L’ensemble de l’ancienne
propriété du château lui appartenait avec Louis Moreau, les parcelles du
lieu-dit « le château » étant désignées en « terre
d’accin » et en « jardin » (14). Ces bâtiments furent détruits
lorsque le conseil municipal décida après 1880 un premier agrandissement du
cimetière.
Que reste-t-il
aujourd’hui de l’ancien château de Pâlis ?
On peut remarquer un ancien
puits situé dans le nouveau cimetière et le fossé bordant l’Office culture de
Cluny. Les quelques affaissements de terrain qui se produisent de temps à
autres dans le cimetière nous rappellent qu’en d’autres temps, il y eut un
château à cet endroit avec des caves et sans doute des souterrains et que
ceux-ci furent partiellement comblés. Les bâtiments d’exploitation du château
ont été modifiés depuis 1831 et même encore récemment. Ils abritent l’Office
culturel de Cluny. Lors de récents travaux on y a trouvé une petite excavation
voûtée qui servait sans doute de puisard ou de citerne. Il a aussi été retrouvé
des blocs de pierres de taille qui servaient de soubassement à un bâtiment aujourd’hui
disparu. Quant aux lieux-dits, si le cadastre de 1831 signalait encore une
contré appelée « le château », située sur l’ancien emplacement de
celui-ci, le nouveau cadastre l’a supprimé et seul le lieu-dit « le
verger » rappelle aux érudits qu’autrefois il existait le verger du
seigneur de Pâlis. En revanche, on n’eut plus aucune nouvelle de la précieuse
collection de la bibliothèque qui intéressa même le roi de France en son temps.
Son souvenir s’effaça progressivement de la mémoire collective du village.
Que le temps préserve de l’oubli le château de Pâlis
et sa remarquable bibliothèque et lui évite la confusion avec la demeure
bourgeoise de la rue du bois !
L’emplacement du château de Pâlis en 1831 G et aujourd’hui
1 une remise, 2 ancien pavillon, 3 bâtiments de ferme
1. 1. C’est
d’ailleurs le seul document qui subsiste de cette époque
2. 2 . Inventaire
des archives ecclésiastiques ; arch. De l’Aube G3130
3. 3. Trichery
était un hameau situé entre Pâlis et Mesnil ; arch. Aube E541
4. 4 . Archives
de l’Aube E198
5. 5. / / G359
6. 6 . / / E541
7. 7 . Courtalon : « M. Desmarets fut un excellent citoyen. On a dit de lui qu’il étoit un homme sans passion et sans intérêt, qu’il avoit une âme belle et généreuse et de très bons sentiments pour sa patrie ».
8. 8. Dénombrement
de 1734 : « La maison seigneuriale du dit Pâlis et ses dépendances (…)
attenant des murailles de son terrain et en dehors de sa basse-cour. Sur la rue
est son auditoire qu’il a fait construire depuis environ 18 mois parce qu’il
n’y en avait point ». Arch Aube E198
9. 9. 10 . Arch Aube
1. 11. Bibliothèque Troyes
12 12. Grosley :
Vie de Pierre Pithou
13 13. Arch
Aube
14 14. Cadastre 1831
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire