lundi 29 septembre 2025

Église st Pierre et st Paul de Géraudot (10)

 


Une mémoire cistercienne, templière et artistique au cœur du Pays d’Othe

Géraudot, jadis nommé Aillefol, est un village dont l’histoire s’enracine dans les grands mouvements spirituels et fonciers du XIIe siècle. Sa naissance, entre 1145 et 1152, coïncide avec l’essor des moines cisterciens de Larrivour, eux-mêmes installés en 1139 par Bernard de Clairvaux et Thibaud II, comte de Champagne. Ces moines, défricheurs et bâtisseurs, attirent bientôt une population laborieuse : bûcherons, cultivateurs, éleveurs. Le paysage se transforme, et avec lui naît une vie religieuse structurée.

C’est dans ce contexte que l’église paroissiale est édifiée, financée par le Chapitre de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes, riche propriétaire terrien dans la région. Le vocable de Saint-Pierre-et-Saint-Paul est attribué d’autorité à l’église d’Aillefol, qui reçoit son premier curé. Ce choix n’est pas anodin : il inscrit le lieu dans une filiation spirituelle et institutionnelle forte, entre la cathédrale-mère et les monastères voisins — bénédictin de Montiéramey, cistercien de Larrivour.

À cette trame religieuse s’ajoute, dès le XIIIe siècle, une dimension chevaleresque : une commanderie templière s’installe à Bonlieu vers 1200–1220, suivie d’une commanderie hospitalière à L’Hôpitau-l’Apostolle vers 1231, à moins d’un kilomètre. Ce maillage monastique et militaire confère à Géraudot une densité spirituelle rare pour une paroisse rurale.

Une architecture évolutive : du roman au gothique tardif

De l’église romane primitive, il subsiste la nef du XIIe s., en calcaire blanc, rythmée par des contreforts qui encadrent de petites baies en plein cintre. Les modillons sculptés témoignent d’un art sobre mais expressif. À l’intérieur, la voûte lambrissée en bois, basse et en carène inversée, repose sur des poinçons ornés de chapiteaux, conférant à l’espace une atmosphère intime et chaleureuse.

Au début du XVIe, l’église connaît une transformation majeure : abside et transept sont reconstruits dans un style gothique tardif, sous l’impulsion du clergé décimateur et de seigneurs mécènes. Si les restaurations ultérieures n’ont pas toujours respecté l’unité architecturale, elles ont permis de préserver l’essentiel : un patrimoine artistique intérieur d’une richesse inattendue.

Le transept, aujourd’hui privé de sa voûte, conserve néanmoins sa structure saillante. Le chœur se compose d’une travée droite et d’une abside à trois pans. Le clocher en charpente, campé au faîtage de la nef, complète l’ensemble. La voûte en bois actuelle date de 1934, reconstruite après les dommages du temps.

Le retable de la Passion : une œuvre majeure du Beau XVIe



ci-dessus le retable tel qu'il fut créé

ici le retable tel qu'il était en 2015

Au cœur de l’église, le regard du visiteur est attiré par le retable du maître-autel, daté de 1545. Ce retable de la Passion, en calcaire polychrome, est une synthèse rare d’art architectural, sculptural et pictural. Il témoigne d’une influence italo-champenoise, inattendue dans une paroisse rurale. Sa présence s’explique sans doute par des mécènes éclairés ou des échanges artistiques liés aux commanderies voisines. 


à gauche Vierge à l'oiseau et à l'Enfant, pierre calcaire polychrome XVIe
à droite saint Pierre et ses clefs, pierre caclaire polychorme XVIe

Ces deux statues se trouvaient autrefois de part et d'autre du retable, elles sont aujourd'hui à l'entrée du chœur 

Tour Eucharistique en pierre polychrome et dorure XVIe
se trouvait auparavant sur le Retable du Maître-Autel
H = 375 ; la = 66,5 ; pr = 56

à gauche du retable, scènes de la vie de St Paul , huile sur bois XVIe
à droite du retable, scènes de la vie de St Pierre, huile sur bois XVIe

Cinq panneaux peints pour ces deux représentations ; tous les panneaux sont faits de planches assemblées verticalement, sauf le panneau supérieur, fait de planches horizontales. H = 242 ; la = 147
Aujourd'hui ces deux polyptyques ne sont plus sur le retable, ils sont en état de péril et entreposés dans la sacristie.

 Les verrières du chœur, posées entre 1530 et 1540, sont l’œuvre de maîtres verriers locaux. Certaines baies de la nef réemploient des panneaux plus anciens, du premier quart du XVIe siècle. Restaurés en 1910, puis en 1934, les vitraux furent endommagés durant la Seconde Guerre mondiale. Longtemps déposés à l’annexe du trésor de la cathédrale de Troyes, ils furent restaurés par l’atelier Vinum en 1975–1976. L'ensemble est classé MH en 1908.

- La grande Crucifixion, autrefois dans la baie d’axe du chœur (aujourd’hui murée), remontée dans la baie nord. Elle fut offerte par un prêtre anonyme, représenté en bas à droite de la scène.

- Une verrière offerte par Pierre Martin et son épouse Dame Euchot dans les années 1540, illustrant la vie de saint Pierre et la Dormition de la Vierge

- Des panneaux lacunaires évoquant la Genèse (Création des animaux, Péché originel)

- Le Couronnement de la Vierge, l’un des plus anciens vitraux de l’édifice

Fenêtre offerte par Pierre Martin et son épouse Dame Edmée Euchot (en bas à droite)

Un vitrail situé dans la deuxième fenêtre à gauche avant l’abside attire l’œil, daté de 1540, il témoigne d’un acte de dévotion et de générosité inscrit dans la pierre et le verre. Il représente, au premier plan, un abbé en prière, suivi de deux figures agenouillées : Pierre Martin, marchand demeurant à Troyes, et Edmée Euchot, son épouse. Ces donateurs sont explicitement nommés dans une inscription gothique :

« En l’an mil cinq cens et quarante / sans nul diffame par Pierre Martin marchat demorant à Troys et Edmée Euchot sa feme ont donné ceste… » « Bons et charitables abitans… à la diligence de messir Mil… »

Ce texte, typique des épigraphes votives du XVIe siècle, souligne la réputation intacte des donateurs (“sans nul diffame”) et leur appartenance à la communauté locale (“bons et charitables abitans”). Bien que Pierre Martin soit dit “demorant à Troys”, tout indique un lien direct avec Géraudot, probablement par l’origine familiale d’Edmée Euchot ou par des attaches foncières.

Le vitrail est enrichi d’un blason personnel, placé à proximité des figures agenouillées. Il représente un chevron encadré de deux oiseaux affrontés, un motif non répertorié dans les armoriaux classiques, mais clairement utilisé ici comme marque d’identité familiale. Ce blason, surmonté d’un livre dans une autre baie, suggère une fonction lettrée ou une appartenance à une confrérie savante ou religieuse.

L’ensemble du vitrail — figures, blason, inscription — constitue un document visuel et épigraphique précieux, révélant :

La pratique des donations votives dans les paroisses rurales au XVIe siècle

L’usage de l’image et du blason comme vecteurs de mémoire sociale

La présence d’une bourgeoisie marchande troyenne liée aux communautés rurales par le mariage, la propriété ou la foi

Ce vitrail ne raconte pas une histoire : il documente une réalité, celle d’un couple qui, par leur don, ont inscrit leur nom dans la pierre et la lumière de Géraudot.

 

Vie de Saint Pierre - XVIe siècle


La Genèse


Dalle funéraire de Marguerite de Moustiers datée 1604
 H = 186 ; la = 103

La plaque est relevée et classée au titre des objets patrimoniaux depuis 1913. L’état de conservation est médiocre (usure, remontées capillaires, angle cassé), mais elle reste un témoin précieux de la noblesse locale et de son ancrage dans le territoire de Géraudot.

Dessin de la dalle funéraire de Marguerite de Moustiers dame d’Aillefol par Fichot

Marguerite de Moustiers, dame d’Aillefol (†1604 le 17 janvier)

Une dalle funéraire discrète mais précieuse conserve la mémoire d’une figure noble tombée dans l’oubli  : Marguerite de Moustiers, dame d’Aillefol, décédée le 17 janvier 1604. Longtemps désignée sous la forme ancienne Marguerite du Moutier dite Saragosse, elle incarne une noblesse locale enracinée, à la croisée des fiefs de l’Aube et des charges militaires du royaume.                                                                                                                                                

 Le titre de dame d’Aillefol renvoie à une seigneurie locale distincte, probablement située au sud-ouest du village, (où se trouve l’actuel château de Géraudot). Ce fief fut officiellement absorbé en 1669 par ordonnance royale, lorsque Louis XIV érigea la maison de Géraudot en fief et l’unit à celui d’Aillefol, effaçant ainsi son nom des registres, dans le cadre de la réorganisation du duché de Piney, érigé en 1576 par Henri III au profit de François de Luxembourg.                                                                                                                              

Marguerite apparaît comme la dernière figure attestée de cette terre, sans descendance connue, et la lignée semble éteinte. Sa dalle funéraire porte la date : 1604. Marguerite est  gravée aux côtés de sa fille.                  

L’inscription gravée sur la dalle, bien que partiellement effacée par le temps, livre une identité  complète :

« C’est la très noble Margueritte du Moutier dit Saragosse, dame d’Ailletot, femme de messire Edme de Sainct Etienne, seigneur de Turgy, maréchal général de la cavalerie légère en France, laquelle décéda le dixseptiesme janvier mil six cent quatre. Requiescant in pace. »

Ce texte, d’une rare précision, confirme que Marguerite était l’épouse d’un haut dignitaire militaire, Edme de Saint-Étienne, seigneur de Turgy et maréchal général. Pourtant, c’est elle seule qui repose à Géraudot, accompagnée sur la dalle de sa jeune fille (?) en prière.

La dalle, encastrée dans le mur nord de la nef. 

Texte en haut (français) : « Le dixseptiesme Janvier Mil cinq cent quatre Requiescant in pace » → Date du décès : 17 janvier 1604. La formule latine signifie « Qu’ils reposent en paix ».

 Texte en bas (latin) : « Spoliavit me gloria mea et abstulit coronam de capite meo – Job 19 » → 

Traduction : « Il m’a dépouillé de ma gloire et a enlevé la couronne de ma tête » — une citation poignante du Livre de Job, exprimant la perte et le deuil.

 Une autre plaque gravée nous indique : 



Texte de l’épitaphe :

 Toi qui vois ce tombeau ne dédaigne la grâce mais prie Dieu dévotement pour l'âme de laquelle le corps cy-dessous gist et repose. C'est la très noble Margueritte du Moutier dit Saragosse, dame d’Ailletot, femme de messire Edme de Sainct Etienne, seigneur de Turgy, maréchal général de la cavalerie légère en France, laquelle décéda le dixseptiesme janvier mil six cent quatre. Requiescant in pace.



Éducation de Marie par sa mère SteAnne, 
pierre calcalire polycrome XVIe
lignée des suiveurs du Maître de Chaource


St Nicolas et les Innocents XVIe, calcaire polychrome


Ste Barbe
 bois polychrome 2ème moitié du XVe
H = 90,5 ; la = 38 ; pr = 16,5 
La sainte a perdu son bras dextre, sa main senestre est rongée. 
Les remplages de la partie supérieure de la tour manquent sur la face arrière. 
Un oiseau a établi son nid dans le dernier étage de la tour.


Saint Mathieu et l'ange, calcaire polychrome XVIe, 
niche dans le mur de l'abside à droite du Maître-Autel
 

Saint Évêque en bois (chêne ?) fin XIIIe début XIVe


 
4 panneaux peint de bouquets de fleurs XVIIe


Tableau de messes – 1702
Tableau récapitulatif des messes pour chaque mois de l'année, en 2 colonnes. 
Dans la partie inférieure, transcription : 

DU TEMPS DE Mre JEAN BAPTISTE BARRARAT CURE DE CE LIEU 1700 ET NICOLAS COULON ET PIERRE GRENON MARGUILLIERS DE CETTE EGLISE.

Bois peint et écrit à la main H = 111 ; la = 77


Vierge en bois (chêne ?) XIIIe-XIVe
Restes d'apprêt, de polychromie et de dorure.
La statue a perdu son nez et ses 2 bras.
H = 137 ; la = 41,5 ; pr = 27,5



Céramique : Terre cuite : vernis  vers1650
Fleur de lys, représentation animalière, êtres chimériques.
H = 21 ; la = 21

Armoiries (non identifiées) ; inscription incomplète :

VIVE LE ROI 

laboureur. 

Vestiges épars d'une ancienne épitaphe.

 

La Pentecôte  XVIIe
Panneau peint et vernis composé de 3 planches verticales.
H = 113 ; la = 98

Cliché de la nef en 2015

Cliché de la nef en septembre 2025







FIN

L’église, relevant du Grand doyenné de Troyes et du chapitre cathédral, est inscrite au titre des monuments historiques depuis 2015.

Une restauration complète est prévue :

Reprise des contreforts, murs, charpente et couverture

Reconstitution des fermes d’avant-corps

Restauration des maçonneries extérieures et intérieures

Étaiement du clocher

Reprise du narthex et de sa charpente

Ce chantier, ambitieux et nécessaire, vise à préserver un témoin rare de la spiritualité champenoise, entre roman cistercien, gothique tardif et art du « Beau XVIe ».

 






Église st Pierre et st Paul de Géraudot (10)

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