L’ART ROMAN EN BOURGOGNE
Ce travail propose une étude approfondie de l’art roman
bourguignon entre le XIe et le XIIe siècle, en croisant les approches
architecturales, sculpturales, liturgiques et sociales. Il s’appuie sur
l’analyse de sources primaires variées — cartulaires, textes liturgiques,
archives de chantier, récits hagiographiques — et sur l’observation directe des
édifices majeurs et secondaires de la région. L’objectif est de restituer les
logiques internes d’un art qui ne relève pas uniquement de l’esthétique, mais
qui incarne une vision du monde, une organisation territoriale et une théologie
de l’espace.
Les chapitres successifs abordent la typologie des
chapiteaux et leur évolution stylistique, les programmes iconographiques des
tympans et leur portée théologique, les matériaux et techniques de taille
employés dans les chantiers romans, les relations entre architecture et
liturgie, les fonctions sociales et politiques des édifices, ainsi que les
usages funéraires et mémoriels intégrés dans la structure des sanctuaires. Une
attention particulière est portée à la circulation des ateliers, aux réseaux
monastiques et aux routes de pèlerinage, qui assurent la diffusion des formes
et la cohérence stylistique sur l’ensemble du territoire bourguignon.
Ce dossier s’inscrit dans une démarche scientifique fondée sur la rigueur documentaire, la précision terminologique et la cohérence argumentative. Il vise à contribuer à une meilleure compréhension de l’art roman comme phénomène culturel total, inscrit dans les pratiques, les croyances et les structures du monde médiéval.
PRÉAMBULE
L’art roman bourguignon, tel qu’il se développe entre le XIe
et le XIIe siècle, constitue l’un des ensembles les plus cohérents et les plus
influents de l’architecture religieuse médiévale en Occident. Porté par la
réforme monastique, la structuration des ordres religieux et l’essor des
pèlerinages, il s’inscrit dans un contexte de transformation profonde des
pratiques liturgiques, des formes de pouvoir et des modes de représentation.
L’étude de ses édifices, de ses programmes sculptés et de ses dispositifs
spatiaux permet d’appréhender une culture matérielle et spirituelle où la
pierre devient langage, mémoire et médiation.
Ce corpus architectural, marqué par la monumentalité clunisienne,
l’austérité cistercienne et la diversité des implantations locales, révèle une
maîtrise technique fondée sur l’usage du calcaire, du moyen appareil, de la
modénature et de la voûte d’arêtes. Les chapiteaux, les tympans et les frises
sculptées traduisent une évolution stylistique allant des motifs végétaux aux
compositions historiées, avec une expressivité croissante et une volonté
narrative affirmée. Les programmes iconographiques, souvent liés à la liturgie,
au calendrier et aux fonctions de l’édifice, participent à une pédagogie
visuelle destinée à instruire les fidèles et à affirmer les doctrines.
Les édifices romans bourguignons ne relèvent pas uniquement
du domaine religieux : ils remplissent des fonctions sociales, politiques et
territoriales. Ils structurent l’espace, organisent les circulations,
accueillent les assemblées, les pèlerins, les malades et les pauvres. Leur
architecture intègre la mémoire des morts, la vénération des reliques et la
célébration du passage, dans une articulation constante entre culte,
commémoration et espérance. Les ateliers de sculpture, les réseaux monastiques
et les routes de pèlerinage assurent la diffusion des formes, la transmission
des savoirs et l’homogénéité stylistique sur l’ensemble du territoire.
Ce projet vise à restituer la complexité de l’art roman
bourguignon en croisant les approches historiques, archéologiques, liturgiques
et iconographiques. Il s’appuie sur l’analyse des édifices majeurs, des
chantiers secondaires, des programmes sculptés et des fonctions rituelles, afin
de mettre en lumière les logiques internes d’un art qui ne se limite pas à une
esthétique, mais qui incarne une vision du monde, une organisation sociale et
une théologie de l’espace.
NOTE DE L’AUTEUR
Ce travail est le fruit d’une recherche personnelle menée
sur les formes, les fonctions et les significations de l’art roman en Bourgogne
entre le XIe et le XIIe siècle. Il s’appuie sur une documentation historique,
archéologique et liturgique, ainsi que sur l’observation directe des édifices
et des sculptures. L’approche adoptée privilégie la rigueur terminologique, la
cohérence méthodologique et la mise en relation des données formelles avec leur
contexte d’usage et de réception.
Une part importante de cette recherche s’est nourrie de
l’exploration des archives privées de mon parrain, l’abbé Jean Dieudonné
Bonnard d’Avallon, dont les notes, correspondances et relevés m’ont permis
d’accéder à des sources rarement publiées et à des observations de terrain
précieuses. Ce fonds personnel, constitué au fil de plusieurs décennies de
travail pastoral et patrimonial, offre un regard singulier sur les édifices
romans de l’Avallonnais et de la Bourgogne, sur les pratiques de conservation
et de transmission au sein du clergé local.
L’ensemble du texte a été conçu comme une synthèse
structurée, sans recours à la segmentation par titres, afin de restituer la
continuité des phénomènes étudiés. Les chapitres successifs ne sont pas des
unités indépendantes, mais les étapes d’un parcours raisonné à travers les
logiques internes de l’architecture romane bourguignonne. Les sources primaires
ont été mobilisées avec prudence, en tenant compte de leur nature, de leur
transmission et de leur portée documentaire.
Ce dossier ne prétend pas à l’exhaustivité, mais à la
clarté. Il vise à offrir une lecture cohérente et contextualisée d’un corpus
patrimonial majeur, en croisant les dimensions matérielles, symboliques et
sociales de l’édifice roman. Toute remarque critique ou complémentaire sera
accueillie comme une contribution au dialogue scientifique.
L’an 1000, longtemps redouté comme une date de fin du monde,
marque au contraire le début d’un renouveau monumental en Bourgogne. Passé ce
seuil symbolique, les abbayes, prieurés et églises se multiplient, portés par
une ferveur religieuse et une volonté politique de structurer le territoire.
L’art roman bourguignon, dans ses premières expressions, s’appuie sur des
influences venues du nord de l’Italie : les maîtres lombards introduisent des
techniques décoratives et architecturales qui vont profondément marquer les
constructions locales. Parmi ces apports, les bandes lombardes — petites
arcatures plaquées sur les murs — jouent un rôle essentiel. Elles allègent
visuellement les façades, rythment les volumes, et deviennent un motif
récurrent sur les absides, les clochers et les murs gouttereaux. Leur usage
perdure jusqu’au XIIe siècle, preuve de leur intégration durable dans le
vocabulaire roman.
La sculpture, encore balbutiante, se concentre sur les
chapiteaux. À Flavigny, on observe un répertoire végétal discret, parfois
enrichi de figures humaines ou orantes, sculptées en très faible relief. Ces
premières tentatives, influencées par des modèles antiques, témoignent d’une
recherche formelle encore hésitante mais déjà porteuse d’un langage symbolique.
Le XIe siècle devient un véritable laboratoire architectural. Les maîtres
d’œuvre cherchent à résoudre deux problèmes majeurs : comment voûter une nef en
pierre sans effondrement, et comment éclairer l’espace sacré sans compromettre
la stabilité. Les premières voûtes en berceau, bien que faciles à construire,
imposent des poussées latérales considérables sur les murs. Cela oblige à
épaissir les maçonneries ou à ajouter des contreforts, ce qui limite l’élan
vertical. C’est dans ce contexte que naissent des solutions alternatives :
voûtes d’arêtes, doubleaux, travées modulées. Les églises deviennent des
terrains d’expérimentation, où chaque chantier affine les techniques et les
proportions. On observe une diversité de plans : églises à nef unique, à
collatéraux, à transept saillant ou non, avec ou sans déambulatoire.
Si Cluny II marque une étape importante, c’est avec Cluny
III, construite entre 1088 et 1130, que l’art clunisien atteint son sommet.
L’abbatiale, aujourd’hui en grande partie disparue, était un chef-d’œuvre de
gigantisme et de raffinement : cinq nefs, double transept, chœur à
déambulatoire, chapelles rayonnantes, six clochers, un narthex monumental. Elle
incarne la puissance spirituelle et politique de l’ordre clunisien, dont le
rayonnement dépasse largement la Bourgogne. Autour de l’église, les bâtiments
abbatiaux forment une véritable cité monastique, avec cloître, réfectoire,
scriptorium, infirmerie. Cluny devient un centre intellectuel, artistique et
diplomatique, où l’architecture sert autant à prier qu’à impressionner.
Mais ce faste suscite des critiques. À partir de 1098, les
Cisterciens, fondés à Cîteaux, prônent une architecture dépouillée, tournée
vers l’essentiel. Saint Bernard de Clairvaux, figure majeure du mouvement,
condamne les ornements superflus, les sculptures distrayantes, les voûtes trop
ambitieuses. Pour lui, l’espace sacré doit être un lieu de silence, de
recueillement, de pureté. Les abbayes cisterciennes comme Fontenay illustrent
cette esthétique : lignes sobres, pierre nue, lumière naturelle, voûtes
simples. Loin de Cluny, Clairvaux propose une autre voie, plus intérieure, plus
rigoureuse. Cette tension entre les deux ordres enrichit l’art roman
bourguignon, qui devient le théâtre d’une dialectique spirituelle et formelle.
À la fin du XIe siècle et au cours du XIIe, un type d’église
typiquement bourguignon se développe : nef à deux étages sous voûtes d’arêtes,
chœur à trois absides, élévation rythmée par des arcatures sur colonnettes. La
voûte d’arêtes, longtemps cantonnée aux bas-côtés, est désormais utilisée sur
la nef centrale. Elle permet un éclairage direct par des fenêtres hautes, tout
en assurant une meilleure stabilité que le berceau. Les murs sont construits en
moyen appareil régulier, avec une attention particulière portée à la
modénature, aux frises, aux cordons. Les chapiteaux se diversifient : végétaux,
historiés, parfois grotesques. Les tympans commencent à raconter des scènes
bibliques, avec une expressivité croissante.
La basilique de Vézelay, construite entre 1120 et 1140,
incarne cette maturité. Sa nef, composée de dix travées couvertes d’arêtes, est
rythmée par des arcs doubleaux bicolores, des cordons sculptés, des chapiteaux
variés. Le narthex, construit entre 1140 et 1150, emploie déjà l’arc brisé,
annonçant le gothique. Et en 1146, c’est depuis Vézelay que saint Bernard
prêche la seconde croisade, faisant de l’édifice un centre spirituel majeur.
La sculpture romane bourguignonne s’affirme peu à peu comme
un art narratif. Les tympans d’Autun, Saulieu, Beaune ou Vézelay racontent le
Jugement dernier, les pèlerinages, les combats spirituels. Les figures sont
expressives, parfois disproportionnées, mais toujours porteuses de sens. Les
retables, bien que rares à cette époque, commencent à structurer l’espace
liturgique, annonçant les grands ensembles gothiques.
L’art roman bourguignon ne disparaît pas avec l’arrivée du
gothique. Il s’y fond, s’y prolonge, s’y oppose parfois. Il laisse une
empreinte durable dans les formes, les techniques, les symboliques. Il inspire
les bâtisseurs du Brionnais, du Mâconnais, de l’Autunois, et bien au-delà. Il
témoigne d’une époque où l’architecture était à la fois science, foi et
pouvoir.
L’art roman bourguignon se distingue non seulement par ses
volumes architecturaux et ses dispositifs liturgiques, mais aussi par la
richesse et la diversité de son décor sculpté. Les chapiteaux, les tympans, les
modénatures et les choix de matériaux témoignent d’une pensée constructive et
symbolique cohérente, inscrite dans les grands courants spirituels et
techniques du XIe et du XIIe siècle. L’étude des chapiteaux romans en Bourgogne
révèle une évolution stylistique marquée, depuis les motifs végétaux simples
jusqu’aux compositions historiées complexes. Les premiers chapiteaux, souvent
présents dans les édifices du Brionnais ou du Mâconnais, se limitent à des
palmettes, des feuilles d’acanthe ou des entrelacs stylisés. Ces motifs,
dérivés de l’antique, sont traités en faible relief et organisés selon une
logique de symétrie. Progressivement, les sculpteurs introduisent des figures
humaines, des animaux réels ou fantastiques, et des scènes narratives. Les
chapiteaux historiés deviennent alors des supports iconographiques à part
entière, illustrant des épisodes bibliques, des vies de saints ou des
allégories morales. À Vézelay, Autun ou Beaune, on observe également des
chapiteaux grotesques, où des figures hybrides, des atlantes ou des acrobates
expriment des tensions spirituelles ou des avertissements moraux. Ces formes,
parfois caricaturales, traduisent une expressivité nouvelle, fondée sur le contraste,
la distorsion et la dramatisation.
Les tympans romans bourguignons constituent un autre champ
d’étude majeur. À Autun, le tympan du Jugement dernier, attribué à Gislebertus,
présente une composition eschatologique d’une rare intensité. Le Christ en gloire,
entouré des élus et des damnés, domine une scène où le poids des âmes est
mesuré, les visages sont contractés, et les gestes amplifiés. Ce programme
iconographique, développé sur les voussures et les ébrasements, s’inscrit dans
une théologie du salut et de la peur, propre à l’époque clunisienne. À Vézelay,
le tympan du narthex représente la Pentecôte dans une mandorle rayonnante. Le
Christ, bras ouverts, transmet l’Esprit Saint aux apôtres, dans une composition
en éventail où les lignes obliques et les plis du vêtement traduisent le
mouvement ascensionnel. Ce tympan, réalisé en haut-relief, associe les thèmes
de la mission, de la fondation de l’Église et du rayonnement évangélique. À
Beaune, le tympan de l’Hôtel-Dieu, bien que postérieur, conserve des éléments
romans dans sa structure et son iconographie. Ces ensembles sculptés ne sont
pas isolés : ils s’intègrent dans des programmes cohérents, où les chapiteaux,
les voussures et les linteaux participent d’une narration globale, souvent liée
à la liturgie, au calendrier ou aux fonctions de l’édifice.
La qualité de ces sculptures est indissociable des matériaux
employés et des techniques de taille. En Bourgogne, le calcaire est le matériau
dominant, apprécié pour sa régularité, sa texture fine et sa facilité de
sculpture. Les bâtisseurs utilisent le moyen appareil, constitué de blocs
réguliers, soigneusement équarris et posés en assises horizontales. Ce type
d’appareil permet une lecture claire des volumes et une stabilité structurelle
optimale. Les pierres tendres sont réservées aux éléments sculptés, tandis que
les moellons plus durs servent au gros œuvre. Le mortier à base de chaux,
obtenu par calcination du calcaire, assure la cohésion des murs et la
répartition des charges. Les tailleurs de pierre disposent d’un outillage en
fer : ciseaux, gradines, marteaux, herminettes, qui permettent une taille
précise et un modelé varié. La modénature, c’est-à-dire l’ensemble des profils
moulurés, joue un rôle essentiel dans la transition entre les volumes et dans la
hiérarchisation des espaces. Elle encadre les baies, souligne les arcs, et
articule les travées. L’ensemble de ces techniques témoigne d’un savoir-faire
maîtrisé, transmis par les ateliers et adapté aux contraintes locales.
Enfin, la diffusion de l’art roman bourguignon est
étroitement liée aux routes de pèlerinage. La Bourgogne, située au carrefour
des axes menant à Rome, à Compostelle et à Jérusalem, voit affluer des
pèlerins, des moines, des artistes et des commanditaires. Vézelay,
Paray-le-Monial, Tournus ou Cluny deviennent des étapes majeures, où
l’architecture et la sculpture servent autant à accueillir qu’à instruire. Les
édifices construits sur ces routes présentent des caractéristiques communes :
plans développés, nefs à collatéraux, déambulatoires, chapelles rayonnantes,
tympans historiés, chapiteaux narratifs. Le besoin d’accueillir des foules
impose des dimensions généreuses, une lisibilité des espaces, et une
iconographie accessible. Les thèmes choisis — Jugement dernier, mission des
apôtres, guérisons miraculeuses — répondent aux attentes spirituelles des
pèlerins et renforcent le prestige des lieux. Ainsi, l’art roman bourguignon ne
se limite pas à une production locale : il devient un vecteur de rayonnement,
un langage partagé, et un outil de transmission entre les centres monastiques
et les fidèles en marche.
La production sculptée de l’art roman bourguignon ne peut
être dissociée des ateliers qui l’ont conçue, ni des réseaux de circulation qui
ont permis sa diffusion. Ces ateliers, souvent itinérants, regroupaient des
sculpteurs, tailleurs de pierre, maîtres d’œuvre et apprentis, organisés autour
de chantiers monastiques ou épiscopaux. Leur activité ne se limite pas à un
seul édifice : elle s’étend sur plusieurs sites, parfois distants, selon les
commandes, les ressources disponibles et les liens entre communautés
religieuses. Les grands centres comme Cluny, Vézelay, Tournus ou Autun ont joué
un rôle structurant dans cette dynamique. À Cluny, la monumentalité du chantier
de l’abbatiale a mobilisé des équipes spécialisées, capables de produire en
série des chapiteaux, des frises, des modénatures et des éléments figurés. Ces
sculpteurs, formés dans un cadre monastique, ont développé un langage commun,
fondé sur des motifs végétaux stylisés, des figures hiératiques et une
composition rigoureuse.
À Vézelay, la sculpture se distingue par une expressivité
plus marquée, un traitement du relief plus audacieux, et une volonté narrative
affirmée. Les chapiteaux du narthex, les voussures du tympan et les linteaux
présentent des figures en mouvement, des drapés animés, des visages expressifs.
Cette esthétique, parfois qualifiée de vézelienne, témoigne d’un atelier
autonome, influencé par les modèles clunisiens mais capable d’innover. Les
liens entre Vézelay et Autun sont également perceptibles : le tympan du
Jugement dernier d’Autun, attribué à Gislebertus, présente des analogies
formelles avec certaines figures de Vézelay, notamment dans le traitement des
corps, des gestes et des proportions. Il est probable que des sculpteurs aient
circulé entre ces deux sites, apportant avec eux des savoir-faire, des outils
et des modèles.
Les ateliers secondaires, actifs dans le Brionnais, le
Mâconnais ou l’Autunois, ont repris ces motifs tout en les adaptant aux contraintes
locales. Les chapiteaux végétaux, les masques humains, les animaux fantastiques
y sont traités avec plus de simplicité, parfois dans un style naïf mais
toujours cohérent. Ces ateliers, souvent liés à des prieurés dépendants de
Cluny ou à des commanditaires laïcs, ont contribué à la diffusion de l’art
roman dans les campagnes, en assurant une continuité stylistique et technique.
La circulation des sculpteurs s’accompagne de celle des modèles : dessins,
gabarits, fragments sculptés, qui servent de référence et garantissent une
certaine homogénéité.
La transmission des savoirs s’effectue également par
l’apprentissage. Les jeunes tailleurs de pierre sont formés sur les chantiers,
sous la direction de maîtres expérimentés. Ils apprennent à reconnaître les qualités
des matériaux, à manier les outils, à respecter les proportions et à intégrer
les motifs dans une logique architecturale. Cette formation, essentiellement
pratique, repose sur la répétition, l’observation et la correction. Elle permet
la constitution de véritables lignées d’artisans, dont les styles peuvent être
identifiés sur plusieurs sites.
Enfin, les réseaux monastiques jouent un rôle fondamental
dans la mise en relation des ateliers. L’ordre clunisien, par son organisation
centralisée, favorise la circulation des hommes, des techniques et des idées.
Les prieurés, dépendants de l’abbaye mère, commandent des sculptures selon des
modèles validés, assurant une cohérence visuelle et doctrinale. Les routes de
pèlerinage, en parallèle, facilitent la diffusion des formes : les édifices
situés sur les grands axes accueillent des sculpteurs venus d’autres régions,
qui enrichissent le vocabulaire local. Ainsi, l’art roman bourguignon ne se
développe pas en vase clos : il s’inscrit dans un réseau actif, structuré, où
les ateliers jouent un rôle central dans la création, la transmission et la
transformation des formes.
L’organisation spatiale des églises romanes en Bourgogne est
étroitement liée aux exigences de la liturgie, aux fonctions rituelles des
différents espaces, et à la hiérarchie ecclésiale qui s’y exprime. Dès le XIe
siècle, les maîtres d’œuvre conçoivent les édifices non seulement comme des
lieux de prière, mais comme des instruments liturgiques, où chaque volume,
chaque orientation et chaque circulation répond à une fonction précise. Le
chœur, réservé aux clercs, est souvent surélevé, séparé de la nef par une
clôture ou un jubé, et doté d’un autel majeur autour duquel s’organisent les
offices. Le déambulatoire, qui permet la circulation autour du chœur sans
perturber les célébrations, est associé à des chapelles rayonnantes destinées à
accueillir des reliques, des messes privées ou des cultes spécifiques. Cette
disposition favorise la vénération sans interrompre le déroulement liturgique
principal.
La nef, espace réservé aux fidèles, est conçue pour
accueillir les assemblées lors des grandes fêtes, des prêches ou des
processions. Son élévation, souvent à deux niveaux, permet une meilleure
diffusion de la lumière et une hiérarchisation visuelle entre les collatéraux
et la nef centrale. Les bas-côtés facilitent la circulation latérale, tandis
que les travées rythment le parcours liturgique. Le narthex, situé à l’entrée,
joue un rôle de sas entre le monde profane et l’espace sacré. Il accueille les
catéchumènes, les pénitents et les pèlerins, et peut être utilisé pour des
bénédictions ou des rites d’accueil. Dans certains cas, comme à Vézelay, le
narthex devient un espace liturgique à part entière, doté de sculptures et de
tympans illustrant les missions apostoliques ou les appels à la croisade.
Les cryptes, souvent situées sous le chœur, abritent les
reliques fondatrices de l’église. Leur accès est parfois indépendant,
permettant une dévotion continue en dehors des horaires liturgiques. La
superposition des niveaux — crypte, chœur, nef — traduit une théologie de la
verticalité, où l’espace sacré s’élève vers le ciel tout en s’enracinant dans
les fondations spirituelles. Les sanctuaires à double niveau, comme à
Saint-Bénigne de Dijon, illustrent cette articulation entre mémoire,
célébration et élévation.
Les programmes liturgiques influencent également la
disposition des autels secondaires, des ambons, des sièges liturgiques et des
circulations processionales. L’orientation est généralement est-ouest, avec l’abside
tournée vers le levant, symbole de résurrection. Les autels latéraux, souvent
dédiés à la Vierge, aux saints locaux ou aux confréries, permettent la
célébration simultanée de plusieurs messes. Les ambons, placés sur les côtés du
chœur, servent à la proclamation des lectures et à la prédication. Les sièges
des dignitaires, disposés autour de la cathèdre, traduisent la hiérarchie
ecclésiale et la répartition des fonctions liturgiques.
Enfin, les routes de pèlerinage modifient la conception des
espaces. Les églises situées sur les grands axes, comme Vézelay ou
Paray-le-Monial, doivent accueillir des flux importants de fidèles. Cela impose
des circulations fluides, des espaces de repos, des zones de prière
individuelle et des dispositifs de contrôle. Les programmes iconographiques,
intégrés dans les tympans, les chapiteaux et les fresques, répondent à cette
exigence pédagogique : ils instruisent, orientent et édifient. Les thèmes
choisis — Jugement dernier, mission des apôtres, guérisons miraculeuses — sont
en lien direct avec les attentes spirituelles des pèlerins et les fonctions
liturgiques de l’édifice.
Ainsi, l’architecture romane bourguignonne ne se limite pas
à une esthétique : elle est le reflet d’une liturgie structurée, d’une
théologie incarnée dans la pierre, et d’une organisation spatiale pensée pour
le culte, la dévotion et la transmission.
Les grands édifices romans construits en Bourgogne entre le
XIe et le XIIe siècle ne relèvent pas uniquement de la sphère religieuse : ils
remplissent également des fonctions sociales, politiques et territoriales
déterminantes. Ces églises, abbatiales et prieurés sont à la fois des lieux de
culte, des centres d’administration, des pôles de production et des instruments
de représentation. Leur implantation, leur monumentalité et leur organisation
spatiale traduisent des stratégies d’occupation du territoire, de contrôle des
populations et de légitimation des pouvoirs. L’abbaye de Cluny, par son
rayonnement spirituel et son réseau de dépendances, constitue un exemple
paradigmatique. Elle ne se contente pas d’organiser la liturgie : elle
administre des terres, produit des chartes, accueille des hôtes de marque et
diffuse des normes juridiques et culturelles. Les bâtiments monastiques, les
cloîtres, les salles capitulaires et les infirmeries participent à cette
fonction élargie, en structurant la vie communautaire et en assurant la gestion
des biens.
Les édifices romans jouent également un rôle dans la
construction de l’identité locale. Leur architecture, leur décor sculpté et
leur programme iconographique expriment les valeurs d’une communauté, la
mémoire d’un saint fondateur ou les ambitions d’un lignage. À Autun, le tympan
du Jugement dernier ne s’adresse pas seulement aux fidèles : il affirme la
puissance de l’évêché, la centralité de la cathédrale et la capacité de
l’Église à encadrer les âmes et les corps. À Vézelay, la basilique devient un
lieu de rassemblement politique, notamment lors de la prédication de la seconde
croisade en 1146. L’édifice, par sa taille, sa visibilité et sa capacité
d’accueil, permet la tenue d’assemblées, de prêches publics et de cérémonies
officielles. Il devient un espace de médiation entre les autorités religieuses,
les seigneurs locaux et les populations.
Les fonctions sociales des édifices romans se manifestent
aussi dans leur usage quotidien. Ils accueillent des pèlerins, des malades, des
pauvres, des voyageurs. Les hôpitaux attenants, les aumôneries et les annexes
agricoles témoignent de cette vocation d’assistance et de redistribution. Les
églises sont des lieux de refuge, de négociation, de transmission orale. Elles
abritent des chartes, des archives, des objets précieux, et servent parfois de
lieux de scellage ou de lecture publique. Leur rôle dans la production
documentaire est attesté par les nombreux actes conservés dans les fonds
monastiques et épiscopaux, qui montrent que l’écrit religieux est aussi un
outil de gestion sociale et territoriale.
Enfin, les édifices romans participent à la structuration du
paysage. Leur silhouette, souvent dominante, sert de repère visuel, de marqueur
symbolique et de point de convergence. Ils organisent l’espace autour d’eux :
bourgs, marchés, cimetières, routes. Leur présence stabilise les implantations
humaines, fixe les itinéraires et légitime les pouvoirs. En Bourgogne, cette
fonction territoriale est renforcée par la densité des établissements
religieux, la diversité des ordres présents et la richesse des réseaux de
dépendance. L’art roman, dans ce contexte, n’est pas seulement un langage esthétique
: il est un outil de gouvernement, de mémoire et de cohésion.
L’architecture romane en Bourgogne intègre dès ses origines
une dimension funéraire étroitement liée à la liturgie et à la théologie du
salut. Les églises ne sont pas seulement des lieux de culte vivant : elles sont
aussi des espaces de mémoire, de médiation entre les vivants et les morts, et
de célébration du passage. Cette fonction se manifeste d’abord par la présence
de cryptes, souvent situées sous le chœur, qui abritent les reliques des saints
fondateurs ou des martyrs locaux. Ces cryptes, accessibles par des escaliers
latéraux ou des couloirs périphériques, permettent aux fidèles de venir prier
au plus près des corps saints, dans un espace distinct mais intégré à
l’édifice. La superposition des niveaux — crypte, chœur, nef — traduit une
hiérarchie spirituelle, où le sanctuaire supérieur célèbre l’Eucharistie,
tandis que le sanctuaire inférieur conserve la mémoire et la présence
corporelle des intercesseurs.
La liturgie funéraire, qui se développe fortement à partir
du XIe siècle, impose des aménagements spécifiques. Les sépultures ad sanctos,
c’est-à-dire disposées à proximité des reliques, se multiplient. Les fidèles,
les clercs, les bienfaiteurs cherchent à être inhumés dans l’espace sacré,
parfois dans les collatéraux, les transepts ou les galeries du cloître. Cette
proximité est perçue comme une garantie de salut, fondée sur l’intercession du
saint et la participation à la prière communautaire. Les tombes sont souvent
anonymes, marquées par des dalles simples ou des sarcophages réemployés, mais
certaines sont ornées de sculptures, d’inscriptions ou de symboles christiques.
Les liturgies associées — messe des morts, vigiles, anniversaires — rythment le
calendrier et renforcent le lien entre les vivants et les défunts.
L’architecture s’adapte à ces usages. Les circulations sont
pensées pour permettre les processions funéraires, les visites aux tombes, les
offices commémoratifs. Les chapelles latérales, souvent dédiées à la Vierge ou
à des saints intercesseurs, accueillent des autels secondaires où sont
célébrées les messes pour les âmes. Les cloîtres, espaces de méditation et de
passage, sont parfois bordés de tombes, intégrant la mémoire dans le quotidien
monastique. Les portails, les tympans et les chapiteaux représentent
fréquemment des scènes liées à la mort, au Jugement dernier, à la résurrection
des corps. Ces images, visibles dès l’entrée, rappellent aux fidèles la
finalité eschatologique du culte et la nécessité de la conversion.
La présence des reliques joue un rôle central dans cette
articulation entre architecture et liturgie funéraire. Leur localisation sous
l’autel, dans des châsses ou des cryptes, structure l’espace et oriente les
pratiques. Les processions, les translations, les fêtes patronales mobilisent
l’ensemble de l’édifice, du narthex au chœur, et renforcent la cohésion
communautaire. Les reliques ne sont pas seulement des objets de vénération :
elles sont des points d’ancrage liturgique, des repères spatiaux et des médiateurs
théologiques. Leur mise en scène architecturale — colonnettes, arcatures,
baldaquins — participe à leur valorisation et à leur intégration dans le
discours visuel de l’église.
Ainsi, l’art roman bourguignon ne sépare pas le culte des
vivants et la mémoire des morts : il les articule dans une architecture pensée
pour la célébration, la commémoration et l’espérance. Les édifices deviennent
des lieux de passage, où la pierre accueille le corps, la prière accompagne
l’âme, et l’espace sacré inscrit la communauté dans une histoire partagée.
Index technique des
termes utilisés :
Appareil :
Disposition des pierres dans la maçonnerie. Le moyen appareil désigne des blocs
réguliers, équarris, posés en assises horizontales.
Arcature : Petite
série d’arcs décoratifs, souvent plaqués sur les murs, utilisés pour rythmer
les surfaces.
Baldaquin :
Structure architecturale surmontant un autel ou une châsse, souvent portée par
des colonnes.
Chapiteau historié
: Élément sculpté au sommet d’une colonne, représentant des scènes narratives
ou symboliques.
Chapiteau végétal
: Chapiteau orné de motifs floraux ou feuillus, souvent stylisés.
Crypte : Espace
souterrain, généralement sous le chœur, destiné à abriter des reliques ou des
sépultures.
Déambulatoire :
Galerie circulaire autour du chœur, permettant la circulation des fidèles.
Modénature :
Ensemble des profils moulurés qui structurent les éléments architecturaux
(bases, chapiteaux, arcs).
Mortier de chaux
: Mélange liant utilisé pour assembler les pierres, obtenu par calcination du
calcaire.
Narthex : Espace
d’entrée d’une église, souvent réservé aux catéchumènes ou aux pénitents.
Sépulture ad sanctos
: Inhumation à proximité immédiate des reliques d’un saint, dans l’espoir
d’intercession.
Tympan : Surface
sculptée au-dessus d’un portail, souvent consacrée à une scène religieuse
majeure.
Voûte d’arêtes :
Voûte formée par l’intersection de deux voûtes en berceau, utilisée pour
couvrir les travées carrées.
--------------
L’étude de l’art roman bourguignon révèle une cohérence
remarquable entre les formes architecturales, les dispositifs liturgiques, les
programmes iconographiques et les fonctions sociales des édifices. Chaque
élément — du chapiteau au tympan, du plan au matériau — participe d’un langage
visuel et spatial structuré, porteur de sens et d’intention. Loin d’être une
simple expression esthétique, l’architecture romane incarne une vision du
monde, une théologie incarnée dans la pierre, et une organisation territoriale
fondée sur la mémoire, le culte et la transmission. En croisant les approches
historiques, archéologiques et liturgiques, ce dossier met en lumière les
logiques internes d’un art qui, par sa rigueur et sa diversité, continue
d’informer notre compréhension du Moyen Âge occidental.
__________
NOTE MÉTHODOLOGIQUE
Ce travail repose sur une analyse croisée des sources
primaires (cartulaires, chroniques, textes liturgiques) et des données
archéologiques disponibles sur les édifices romans bourguignons. Il mobilise
une bibliographie critique spécialisée, incluant des travaux de référence en
histoire de l’art, en architecture médiévale et en liturgie. Les chapitres sont
organisés selon une progression thématique, allant des formes sculptées aux
fonctions sociales, en passant par les techniques de construction et les usages
rituels. Le style adopté privilégie la clarté, la précision terminologique et
la cohérence argumentative, dans le respect des exigences d’une publication
scientifique. Les choix de sites, de motifs et de typologies sont fondés sur
leur représentativité et leur capacité à illustrer les dynamiques propres à la
Bourgogne romane.
Les sources primaires relatives à l’art roman bourguignon
sont conservées dans plusieurs institutions spécialisées, et couvrent un large
spectre documentaire allant des textes liturgiques aux archives de chantier.
Elles permettent d’étudier les édifices dans leur contexte historique,
religieux et matériel.
Les cartulaires monastiques, tels que ceux de Cluny,
Tournus, Vézelay ou Cîteaux, constituent une base essentielle. Ils regroupent
les actes de fondation, les donations, les privilèges et les relations entre
les établissements religieux et les pouvoirs laïcs. Ces documents, souvent
rédigés en latin, permettent de dater les constructions, d’identifier les
commanditaires et de suivre l’évolution des domaines ecclésiastiques. Les
cartulaires de Cluny, en particulier, sont parmi les plus riches du Moyen Âge
occidental.
Les chroniques et récits hagiographiques, comme la Vita de
saint Hugues de Cluny ou les Miracula de sainte Marie de Vézelay, offrent des
informations sur les motivations spirituelles des constructions, les cultes
associés aux lieux, et les usages liturgiques. Ces textes, parfois rédigés par
des moines contemporains des chantiers, intègrent des descriptions
architecturales, des mentions de reliques et des récits de consécration.
Les archives de chantier, bien que rares, sont parfois
accessibles dans les fonds des Archives nationales ou départementales. Elles
comprennent des comptes, des contrats, des listes de matériaux, et des mentions
de maîtres d’œuvre. Ces documents permettent d’approcher les techniques de
construction, les coûts, les délais et les circulations d’artisans. Le Guide
des sources de l’histoire de l’art aux Archives nationales recense ces fonds et
en facilite l’accès.
Enfin, les moulages et relevés réalisés au XIXe et au début
du XXe siècle, notamment ceux du musée de Sculpture comparée (aujourd’hui musée
des Monuments français), constituent une source précieuse pour l’étude des
sculptures romanes bourguignonnes. Ces reproductions, conservées à la
Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, permettent d’analyser les
chapiteaux, tympans et frises dans leur état antérieur aux restaurations
modernes.
L’ensemble de ces sources primaires, croisé avec les données
archéologiques et les observations in situ, permet une approche rigoureuse et
contextualisée de l’art roman en Bourgogne. Leur exploitation exige une
maîtrise des langues médiévales, une connaissance des typologies documentaires,
et une attention constante aux conditions de production et de transmission des
textes.
L’étude de l’art roman bourguignon repose sur un ensemble de
sources primaires variées, conservées dans les fonds monastiques, épiscopaux et
publics. Les cartulaires des grandes abbayes, notamment ceux de Cluny, Vézelay,
Tournus ou Cîteaux, constituent une base documentaire essentielle. Ils
regroupent les actes de fondation, les donations, les privilèges et les
relations entre les établissements religieux et les pouvoirs laïcs. Ces documents,
rédigés en latin, permettent de dater les constructions, d’identifier les
commanditaires et de suivre l’évolution des domaines ecclésiastiques.
Les récits hagiographiques et les chroniques monastiques,
tels que la Vita de saint Hugues de Cluny ou les Miracula de sainte Marie de
Vézelay, offrent des informations précieuses sur les motivations spirituelles
des constructions, les cultes associés aux lieux et les usages liturgiques. Ces
textes, souvent produits par des moines contemporains des chantiers, intègrent
des descriptions architecturales, des mentions de reliques et des récits de
consécration.
Les manuscrits liturgiques conservés dans les bibliothèques
capitulaires et les archives diocésaines (missels, pontificaux, ordinaires)
permettent de reconstituer les pratiques rituelles et leur influence sur
l’organisation spatiale des édifices. Ils éclairent la fonction des cryptes,
des déambulatoires, des chapelles rayonnantes et des ambons. Certains
sacramentaires clunisiens, enluminés, comportent des représentations stylisées
d’éléments architecturaux.
Les archives de chantier, bien que fragmentaires, sont
parfois accessibles dans les fonds des Archives nationales ou départementales.
Elles comprennent des comptes, des contrats, des listes de matériaux et des
mentions de maîtres d’œuvre. Ces documents permettent d’approcher les
techniques de construction, les coûts, les délais et les circulations
d’artisans. Le Guide des sources de l’histoire de l’art aux Archives nationales
recense ces fonds et en facilite l’accès.
Les relevés et moulages réalisés au XIXe siècle, notamment
ceux du musée de Sculpture comparée (aujourd’hui musée des Monuments français),
constituent une source complémentaire pour l’étude des sculptures romanes
bourguignonnes. Ces reproductions, conservées à la Médiathèque de
l’Architecture et du Patrimoine, permettent d’analyser les chapiteaux, tympans
et frises dans leur état antérieur aux restaurations modernes.
L’ensemble de ces sources primaires, croisé avec les données
archéologiques et les observations in situ, permet une approche rigoureuse et
contextualisée de l’art roman en Bourgogne. Leur exploitation exige une
maîtrise des langues médiévales, une connaissance des typologies documentaires
et une attention constante aux conditions de production et de transmission des
textes.
Cet écrit a été réalisé en dehors de tout cadre institutionnel,
sans encadrement universitaire, et sans comité de relecture. Il s’inscrit dans
une démarche personnelle de recherche, fondée sur l’étude directe des sources,
l’analyse des édifices, et la volonté de restituer avec clarté les logiques
internes de l’art roman bourguignon. L’ensemble du texte a été rédigé en
autonomie, avec le souci constant de la rigueur documentaire, de la précision
terminologique et de la cohérence argumentative.
Ce texte ne prétend ni à l’exhaustivité ni à la nouveauté
absolue, mais à la lisibilité, à la cohérence et à la fidélité aux sources.
Toute lecture critique, tout complément ou toute contradiction sera accueilli comme
une contribution utile au dialogue scientifique. Ce travail est ouvert,
disponible, et offert à la discussion — dans l’esprit même de ce que l’art
roman incarne : une construction partagée, une mémoire inscrite, et une forme
qui appelle à l’interprétation.
Les ouvrages et articles mentionnés ci-dessous ont été
consultés au cours de l’élaboration du présent travail. Ils ont permis
d’appuyer l’analyse, de préciser les terminologies et de situer les édifices
étudiés dans leur contexte historique, liturgique et stylistique.
Pascal V. Lamy
Avril 2010
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages généraux sur
l’art roman en Bourgogne :
Conant, Kenneth John. Carolingian and Romanesque Architecture 800–1200. Yale University Press, 1993.
Leclercq, Jean. Cluny au Moyen Âge. Cerf, 1990.
Sapin, Christian. L’église romane. Éditions Zodiaque, 1995.
Bony, Jean. French Romanesque Sculpture. Thames & Hudson, 1984.
Schapiro, Meyer. Romanesque Art: Selected Papers. George Braziller,
1977.
Dufour, Jean. Les chapiteaux romans du Brionnais. Éditions du CNRS,
1989.
Sur les tympans et les programmes iconographiques :
Camille, Michael. Image and Pilgrimage in Romanesque France. Cornell
University Press, 1992.
Cahn, Walter. Romanesque Sculpture in Saint-Benoît-sur-Loire. Princeton
University Press, 1979.
Deneux, Jean. Techniques de construction au Moyen Âge. Éditions Picard,
1997.
Sapin, Christian. Archéologie du bâti religieux en Bourgogne. CNRS, 2008.
Sur la liturgie et l’organisation spatiale :
Palazzo, Eric. L’espace rituel dans l’architecture religieuse
médiévale. Brepols, 2008.
Boyer, Jean-François. Liturgie et architecture au Moyen Âge. Éditions
du Cerf, 1995.
Fassler, Margot. The Liturgical Framework of Time and Space in Medieval
Churches. Journal of Medieval History, vol. 27, 2001.
Matton, Sylvain (mon beau-frère). Docteur en philosophie, Directeur de recherche au CNRS (Alchimie/ésotérisme)
Sur les fonctions
sociales et politiques des édifices :
Le Goff, Jacques. Pour un autre Moyen Âge. Gallimard, 1977.
Duby, Georges. L’économie rurale et la vie des campagnes dans
l’Occident médiéval. Flammarion, 1962.
ANNEXE
Le tympan du portail central, ou grand tympan du narthex,
est un des plus grands chefs-d'œuvre de l'art sculptural roman en France.
L'ensemble du tympan, linteau et voussures compris, se compose de
cinquante-huit blocs de tailles très variables. Il mesure un peu plus de neuf
mètres de large sur cinq mètres vingt-cinq de haut.
Tympan central –
Narthex de Vézelay - 1120-1140
Il représente la création historique de l'Église, avec le Christ bénissant les apôtres et leur assignant la mission de convertir les nations. Cette thématique est tout à fait unique dans l'art roman. Toute la scène est organisée autour du Christ en gloire. Ce dernier domine les autres personnages par sa taille. Celle-ci est en effet proportionnelle à l'importance des personnages représentés.
Le visage impassible du Christ contraste avec sa position en
forme d'éclair et le mouvement tourbillonnant de ses vêtements. Des rayons
partent latéralement de ses mains, en direction des apôtres. Cela symbolise la
transmission de l'esprit du Christ ainsi que l'attribution d'une mission à ces
derniers : « Allez et enseignez toutes les Nations ».
Les Douze Apôtres tiennent à la main le livre sacré et sont
prêts à partir aux quatre coins du monde. Et ce monde est représenté dans toute
sa diversité : dans huit caissons, disposés en demi-cercle en bordure
supérieure du tympan, on peut reconnaître les peuples d'Asie (de gauche à
droite), d'abord deux apôtres en train d'écrire (sans doute les évangélistes
Luc et Marc, lesquels, n'étant pas des Douze, ne figurent pas dans la scène
centrale), puis les Juifs, les Cappadociens, les Arabes semble-t-il, qui partagent
leur case avec les cynocéphales censés habiter aux Indes ; à droite, les
Phrygiens, les Byzantins, un homme tenant une lance renversée, et les Arméniens
chaussés de cothurnes.
Dans la première voussure entourant ce tympan, les signes du
zodiaque alternent avec les travaux des mois.
Au linteau, on a représenté à gauche les peuples d'Europe
(hyperboréens pêcheurs de poisson, Barbares chasseurs à l'arc, et
Méditerranéens agriculteurs) et à droite les peuples d'Afrique (on reconnaît au
milieu un Pygmée montant à cheval à l'aide d'une échelle, et à droite un peuple
aux longues oreilles, Panotéens ou Antipodes ?) marchant vers le centre,
c'est-à-dire l'Église du Christ, symbole de leur conversion. Ces peuples connus
et inconnus se dirigent ainsi vers deux personnages de haute taille placés aux
pieds du Christ et qui doivent les amener à ce dernier ; il s'agit de saint
Pierre, reconnaissable grâce à sa clé, et saint Paul, les deux piliers
principaux de l'Église.
Ce tympan correspond aux cartes de géographie de l'époque,
où les trois continents sont disposés en T ; elle est bien orientée, car l'Asie
se trouve dirigée au levant de la basilique, l'Europe au nord et l'Afrique au
sud. Un double trait ondulé sous les pieds des Apôtres figure les deux fleuves
principaux, le Danube (séparant l'Europe et l'Asie) et le Nil (séparant
l'Afrique et l'Asie) ; à moins qu'on n'ait voulu représenter les mers Noire et
Rouge, qui ont les mêmes fonctions. Le cube sous les pieds du Christ symbolise
sans doute la ville de Jérusalem, au centre du monde.
Au trumeau de ce portail central se dresse la statue de
saint Jean le Baptiste, précurseur du Christ. Il tient de la main droite son
traditionnel plateau, portant l'agneau mystique surmonté de la croix.
L’étalon de la tuile mâconnaise intégré au mur de l’église
explique le nom au XVe siècle de Notre-Dame des Panneaux (ecclesia Nostrae
Dominae de panellis). L’église gothique Notre-Dame a servi au XVe s de dépôt
des poids et mesures. Présente au cœur des activités urbaines, elle jouissait
du privilège de conserver les « panneaux », ou étalons de mesure légale des
grains, des farines, des catégories de pains, ainsi que ceux des carreaux et
des tuiles.
La Porte d’Honneur était l’entrée principale de l’abbaye de
Cluny III. Construite vers 1100, elle était située à l’ouest de l’abbatiale
dans l’axe des portails du narthex et de la nef. C’est un portail double qui
avait autrefois un étage avec arcatures décorées. La composition s’est inspirée
des portes antiques comme il en existe encore à Autun. Au 16e siècle, un étage
de pavillon fut encore ajouté par l’abbé Claude de Guise. De la porte ne
restent aujourd’hui que les deux grandes arcades du rez-de-chaussée, avec des
colonnes décorées, des pilastres cannelés et des chapiteaux corinthiens
sculptés durant les années 1120-1130. A l’extérieur de la porte se trouvent la
Place du Puits des Pénitents Noir et la Rue de la République, avec de belles
Maisons Romanes.
La construction de Cluny aurait pour origine le songe d'un ancien
abbé de Baume-les-Messieurs redevenu simple moine, Gunzo, à qui saint Pierre
aurait demandé de dire à Hugues de Semur de bâtir une nouvelle église. L'apôtre
lui aurait inspiré le plan de la nouvelle abbaye, qui devait être apte à
abriter un millier de moines. En fait le songe merveilleux permet de justifier
un projet très orgueilleux pour un ordre religieux. L'Ordre de Cluny a
toutefois les moyens de ses ambitions. C'est l'ordre le plus influent du Moyen
Âge, qui intègre des établissements de toute l'Europe (Allemagne, Italie, Terre
Sainte, Angleterre). C'est même un appui indispensable pour les entreprises
réformatrices du pape. De plus, il bénéficie d'un apport de dons en numéraire
énorme, par les princes et rois, dont Ferdinand III et Alphonse X, qui assurent
chaque année des quantités importantes d'or. L’abbatiale Cluny III, La Maior
Ecclesia « La plus grande église », fut construite au nord de Cluny II pendant
la période 1088-1130 (achevée sous l'abbatiat de Pierre le Vénérable). Longue
de 187 mètres, c’était la plus grande église de la chrétienté jusqu’à la
construction de Saint-Pierre de Rome, plus grande que toutes les autres églises
romanes et même que toutes les cathédrales gothiques des siècles suivants (Elle
sera la plus grande église de la chrétienté pendant près de 400 ans).