La commune de Champignol-lez-Mondeville, située à moins de
10 km de l’abbaye de Clairvaux, entretient une histoire étroitement liée aux
cisterciens. Mentionnée dès 1121, elle entre dans la mémoire monastique en 1146
lorsque Bernard de Clairvaux y guérit miraculeusement un vieillard, entraînant
la transformation d’une simple grange en oratoire. L’année suivante, Mondeville
devient paroisse et se dote d’un lieu de culte.
Le village, à 15 km de Bar-sur-Aube et 53 km à l’est de
Troyes, connaît une activité humaine dès l’époque gallo-romaine. À la fin du
XIe ou au début du XIIe siècle, un domaine existe déjà, appartenant aux
seigneurs de Vignory, Jaucourt, Champignol et Mondeville. Ces terres sont
cédées aux moines de Clairvaux au milieu du XIIe siècle. Les religieux y
cultivent la vigne, dont le vin est vendu sur les foires de Bar-sur-Aube.
Forte de son implantation, l’abbaye établit une maison
seigneuriale comprenant quatre granges, des moulins à vent sur les hauteurs, un
moulin hydraulique dans la cité, une halle, des pressoirs et une tour-prison
destinée à encadrer et contrôler la production.
En 1331, la cité compte déjà 1850 habitants. Outre les
vignobles, une vaste forêt alentour fournit le bois nécessaire à la fabrication
de cercles et de tonneaux, essentiels aux viticulteurs de la vallée.
En 1810, Champignol-lez-Mondeville est officiellement élevé
au rang de bourg et obtient le droit d’organiser deux foires annuelles (1er
mars et 15 septembre), auxquelles s’ajoutent deux autres en 1875.
Depuis 2015, la commune figure dans la "zone
d'engagement" du vignoble de Champagne inscrit au Patrimoine mondial, pour
la qualité de ses coteaux, de ses maisons et de ses caves.
Tour-prison de
l'abbaye de Clairvaux
Au cœur du village de Champignol-lez-Mondeville subsiste une
tour austère, seul vestige d’une maison seigneuriale édifiée par l’abbaye de
Clairvaux entre 1220 et 1230, dans le sillage de son expansion territoriale.
Cette construction, aujourd’hui classée Monument historique (depuis 2010),
incarne à la fois l’autorité spirituelle et judiciaire des moines cisterciens,
héritiers de l’œuvre de saint Bernard de Clairvaux.
Bernard, figure fondatrice de l’abbaye, avait marqué les
lieux dès 1146 par une guérison miraculeuse qui transforma une simple grange en
oratoire. Ce geste, à la fois mystique et politique, scella l’ancrage de
Clairvaux dans la région. Quelques décennies plus tard, l’abbaye consolide son
emprise en bâtissant une maison seigneuriale à Champignol, comprenant un logis,
une grange, un four banal, un pressoir, une écurie… et surtout, une tour.
Cette tour, bâtie sur un plan carré de 7 mètres de côté et
haute de 10 mètres, présente une architecture typique du XIIIe siècle : pierre
de taille et moellons équarris, baies étroites, porte à arc surbaissé, latrines
à encorbellement sur la façade Est. Elle comporte trois niveaux :
Une cave voûtée ajoutée au XVIIIe siècle.
Un rez-de-chaussée accessible par une porte avec un arc
surbaissé et condamnable, éclairé d’une baie étroite.
Un étage indépendant, accessible probablement par un
escalier extérieur en bois, muni de baies obturées et de latrines à
encorbellement sur la façade Est encore visibles ont traversé les siècles.
Mais cette tour n’était pas un simple poste d’observation ni
un lieu d’habitation. Les archives attestent qu’elle servait de geôle
seigneuriale sous l’Ancien Régime. Lieu de justice, de détention, et parfois de
silence imposé, elle renforçait la puissance temporelle de l’abbaye, dans une
époque où le spirituel et le judiciaire se confondaient. Son aspect sévère,
presque menaçant, traduisait la rigueur cistercienne et la volonté de contrôle
sur les terres nouvellement acquises.
Aujourd’hui, cette tour est la seule construction médiévale
conservée parmi les anciennes dépendances seigneuriales de Clairvaux à
Champignol. Elle témoigne d’un passé où la foi, la loi et la pierre
s’unissaient pour façonner l’ordre monastique dans les campagnes champenoises.
Chapelle Notre-Dame
de l’Annonciation XIIe - XIIIe
siècles
La chapelle du XIIe siècle, dernier témoin du hameau de
Mondeville dont la dernière maison disparaît en 1825, incarne à elle seule la
mémoire spirituelle et territoriale d’un site profondément marqué par
l’influence cistercienne. Édifiée à l’origine comme simple oratoire, elle se
limite alors au chœur et à une unique travée, répondant aux besoins liturgiques
d’une communauté modeste mais fervente. Ce noyau primitif, d’une sobriété toute
bernardine, reflète les canons architecturaux promus par saint Bernard de
Clairvaux : dépouillement, rigueur, et orientation vers l’essentiel.
Au XIIIe siècle, l’édifice connaît une première extension
avec l’ajout de deux travées occidentales, revoûtées à la fin du même siècle.
Ce développement témoigne d’un accroissement de la population locale ou d’un
renforcement du rayonnement monastique dans la région. L’ensemble conserve une
cohérence stylistique remarquable, avec ses voûtes sur croisées d’ogives et son
chevet plat, typique de l’architecture cistercienne.
Reconnaissant sa valeur historique et spirituelle, l’État
inscrit la chapelle aux Monuments historiques en 1927, la qualifiant d’« unique
vestige claravalien de l’époque de saint Bernard ». Cette désignation souligne
son importance non seulement architecturale, mais aussi symbolique, en tant que
témoin direct de l’expansion cistercienne dans la vallée de l’Aube.
En 1983, sous l’impulsion de l’abbé Zeltz, la municipalité
et les paroissiens unissent leurs efforts pour mener une restauration complète.
Celle-ci respecte scrupuleusement les principes de l’architecture bernardine :
lignes épurées, volumes équilibrés, et une spiritualité inscrite dans la
pierre. La chapelle retrouve alors sa dignité originelle, devenant non
seulement un lieu de culte, mais aussi un repère patrimonial pour toute la
commune.
La grange de Sermoise, créée autour de 1222-1235,
appartient à un ensemble de trente granges possédées par l'abbaye de Clairvaux
à la fin du XIIIe siècle. Les bâtiments forment un premier ensemble construit
sur plan carré et un second composé d'une grange et de dépendances. L'approvisionnement
en eau est assuré par une source captée à 375m des bâtiments qui donne
naissance à une retenue d'eau, laquelle alimente une citerne grâce à une
canalisation souterraine. Le corps de logis occupe l'aile sud-ouest. Les ailes
sont sur deux niveaux, le premier servant d'habitation ou d'exploitation, le
second de grenier. Malgré quelques percements du XIXe siècle, il s'agit de la
seule des granges de l'abbaye de Clairvaux à avoir conservé autant d'éléments
du XIIIe siècle.
Église Saint-Laurent – XVIIIe s.
L’église Saint-Laurent : entre ferveur villageoise et
tutelle cistercienne
Avant l’édification de l’église actuelle,
Champignol-lez-Mondeville possédait un sanctuaire plus ancien, dont le chœur
relevait directement de l’abbaye de Clairvaux, décimateur officiel des lieux.
La nef, quant à elle, était entretenue par les villageois, illustrant une
répartition des responsabilités entre autorité monastique et communauté locale.
Ce partage reflète la structure ecclésiale typique de l’Ancien Régime, où les
moines cisterciens, héritiers de saint Bernard, exerçaient une influence
spirituelle et matérielle sur les territoires environnants.
En 1756, les Champignolais prennent une décision audacieuse
: reconstruire entièrement la nef. Pour financer les travaux, ils vendent un
quart de leurs réserves de bois, ressource précieuse issue des vastes forêts
alentour. Les plans sont confiés à François Maupérin, architecte de Chaumont,
sous la supervision des moines de Clairvaux, garants du bon goût et de la
rigueur architecturale. Les travaux débutent en 1764, menés par l’entreprise
Aubert, établie à Clairvaux, preuve supplémentaire de l’implication directe de
l’abbaye dans le chantier.
L’édifice, curieusement, n’est pas orienté selon l’axe
liturgique traditionnel. Ce choix, peut-être dicté par des contraintes
topographiques ou symboliques, confère à l’église une singularité notable. En
1765, le serrurier Leseur réalise un banc de communion et une poutre de gloire
en fer forgé, témoignant d’un artisanat local de qualité. En 1769, les autels
et la chaire sont livrés, œuvres du sculpteur Jayet, dont le style mêle
élégance rocaille et sobriété rurale.
La bénédiction solennelle de l’église a lieu le 14 avril
1771, présidée par Jean-Antoine de Nogent, vicaire général de l’évêque de
Langres, en présence du curé Pernet et de Jouët, doyen de Bar-sur-Aube. Ce
moment marque l’aboutissement d’un projet porté par la foi, la volonté
populaire et l’encadrement cistercien.
Un élément important du mobilier vint par la suite compléter
l’ameublement. Il s’agit du retable du maître-autel dont l’abbaye de Clairvaux
fit présent à la communauté en 1778 ; la même année, une grande croix de
mission est réalisée et installée à l’extérieur, sur le côté du portail. Elle
rappelle les campagnes de prédication menées dans les villages pour raviver la
ferveur chrétienne, dans un siècle où l’Église cherche à réaffirmer sa présence
face aux Lumières naissantes.
L’édifice se compose d’une nef de cinq travées à trois
vaisseaux d’égale hauteur voûtés d’arêtes et d’un chœur également voûté
d’arêtes à un vaisseau droit et abside à trois pans.
Outre les éléments mobiliers de grande qualité, l’église de
Champignol recèle près d’une soixantaine d’œuvres dignes d’intérêt.
Parmi celles-ci la plus intéressante est le tableau du
maître-autel représentant La Lactation de saint Bernard réalisé vers 1640 qui
est une copie interprétative d'un tableau de 1511 par Fra Bartoloméo et qui
provient de l’abbaye de Clairvaux. De cette même abbaye, et portant ses
armoiries, vient aussi le pied de l’aigle-lutrin du XVIIIe siècle.
Le clocher de l’église Saint-Laurent comporte six cloches.
La maison du peuple :
Mairie
Particularité assez rare en France, cette mairie avait trois fonctions : mairie, lavoir / abreuvoir, et halle de foire.
Et à cela se rajoute une extension à l'arrière ayant servi
de corps de garde et de salle de police.
La construction de cette mairie-lavoir a été décidée en
1832, dans le but de remplacer un ancien lavoir. Les devis et plans ont été
proposés par l'architecte Fauconnier, de Bar-sur-Aube. La mise en œuvre a permis
en partie le remploi des matériaux du lavoir précédent.
L'étage du bâtiment était réservé à la municipalité. Le
rez-de-chaussée abritait un grand bassin aménagé en lavoir. Ce bassin était
recouvert d'un platelage de bois pour permettre l'étalage de marchandises les
jours de foire.
Lavoir
Le lavoir central ne suffit plus, deux autres vont être
installés.
Ce lavoir, Place du Général Leclerc, est réalisé en 1834 par
le même architecte que celui de la mairie-lavoir. Il y a d'ailleurs des
similitudes dans son architecture, comme les larges baies en plein cintre
encadrées de pierres de taille, corniches moulurées.
Devant le bâtiment, une fontaine abreuvoir complète
l'installation.
C'est toujours le même architecte qui réalise deux ans plus
tard un second lavoir, de même facture, dans un autre quartier de
l'agglomération.
Il est le fils d'un charron et petit cultivateur de l'Aube,
Pierre Riel et de Jeanne Laurain. Le nom de Beurnonville n'apparaît que plus
tard, en 1789, lorsque la commune de Champignol, fière du renom acquis par un
de ses enfants, lui fait don du pâtis de Beurnonville.
Pierre Riel, marquis de Beurnonville, fut général de la
Révolution française et de l’Empire puis maréchal de France sous la
Restauration.
Il nait le 10 mai 1752 à Champignol dans une famille modeste
de charron et de paysan. Après des études au collège de Bar-sur-Aube, Pierre
Riel était destiné par ses parents à une carrière ecclésiastique. Dom Rocourt,
prieur de Clairvaux, avant d’en devenir l’abbé en 1780, lui mit le pied à
l’étrier en lui permettant d’accéder au séminaire de Saint-Nicolas du
Chardonnet. L’uniforme militaire le faisant rêver bien plus que la soutane, il
s’engage dans la gendarmerie en 1766.
Sa carrière se poursuit en mer en 1774 dans l’escadre du
bailli de Suffren puis dans un régiment colonial où il participe aux campagnes
de l’Inde. Pendant qu'il est à Saint-Denis de l'île Bourbon, le 27 octobre
1778, il épouse une riche veuve créole, Geneviève Gillot L'Étang.
Après être rentré en France où il reçoit la croix de
Saint-Louis, il gravit rapidement les échelons de la hiérarchie en devenant
colonel lieutenant de la compagnie des Suisses du comte d’Artois en 1788,
colonel d’infanterie en 1789 et commandant de la Garde Nationale du canton de
Longchamp en 1790. Afin de rendre hommage à cette réussite, sa commune natale
lui offre le pâtis de Beurnonville, nom qu’il attachera désormais au sien.
Il participe à l’armée du Rhin en tant qu’aide de camp puis
à celle du Nord en 1792 où il est nommé maréchal de camp. Chargé de la défense
du camp de Maulde, il s’illustre brillamment en résistant plusieurs mois à des
forces supérieures, ce qui le fait surnommer l’Ajax français par le général
Dumouriez. Son ascension est dès lors fulgurante puisqu’il est nommé lieutenant
général le 22 août 1792, puis général en chef le 9 novembre suivant et contribue
à repousser les Prussiens à Valmy et prend une part active dans la bataille de
Jemmapes. Nommé commandant en chef de l’armée du Luxembourg et de la Moselle à
la fin de 1792, il conquiert Arlon et le Luxembourg.
Il est nommé ministre de la guerre le 4 février 1793 par la
Convention qui le charge le 1er avril d’aller procéder à l’arrestation de
Dumouriez, mais c’est finalement ce dernier qui le fait arrêter et le livre aux
Autrichiens qui l’emprisonnent durant 30 mois. Il est ensuite échangé contre
Marie-Thérèse de France, la fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, le 3
novembre 1795. Il revient rapidement aux affaires en étant nommé adjoint au
ministre de la guerre, puis commandant de l’armée du Nord et de Batavie. En
1803, il fait l'acquisition du château de Balincourt à Arronville (95). En
1805, il épouse Félicité-Louise-Julie-Constance de Durfort (1782-1870).
Favorable au coup d’État de Napoléon du 18 fructidor, ce
dernier le nomme ministre plénipotentiaire à Berlin, puis grand officier de la
Légion d’honneur en 1804, Grand-croix de l’Ordre de la Réunion, sénateur en
1805 et comte de l’Empire en 1808.
Pierre Riel de Beurnonville s’éteint à Paris le 23 avril
1821 et est inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Son nom figure sur la face
nord de l'Arc de triomphe de l'Étoile de Paris.
Franc-maçon, il est initié à l’âge de 22 ans au sein d'une
loge maçonnique parisienne, « La Vrai lumière » peu avant son départ pour La
Réunion. Il installe la première loge de l'ile en 1777, « La Parfaite harmonie
». Il est plusieurs fois officier de loge au sein de cet atelier qui reçoit des
fonctionnaires, des négociants et des militaires. Sa vie maçonnique est durant
cette époque très active. Dès son retour à Paris en 1780, il intègre la loge
des « Amis réunis » et est nommé expert de la chambre des grades du Grand
Orient de France en 1790. Vénérable maître d'honneur des loges « Le Centre des
amis » à Paris et « Les Chevaliers de la Croix de Saint-Jean de la Palestine »
à Troyes. Il est nommé grand expert en septembre 1803 et grand administrateur
lors de la réorganisation de l'obédience en 1804. Il garde cet office jusqu'en
1815 et succède à Jean-Jacques-Régis de Cambacérès comme premier grand maître
adjoint. Il meurt dans l'exercice de ses fonctions maçonniques le 21 avril 1821.
Titres :
Comte Riel-Beurnonville et de l'Empire (lettres patentes de
mai 1808, Bayonne) ;
Pair de France : 4 juin 1814,
Titre de marquis-pair héréditaire attaché à ladite pairie en
faveur du même par l'ordonnance du 31 juillet 1817,
Confirmé, sur promesse d'institution d'un majorat de pairie,
par lettres patentes du 21 décembre 1817.
Distinctions
Légion d'honneur :
Légionnaire le 9 vendémiaire an
XII (2 octobre 1803), puis,
Grand officier de la Légion
d'honneur le 25 prairial an XII (14 juin 1804), puis,
Grand-croix de la Légion
d'honneur le 22 juillet 1814 ;
Grand-croix de l'Ordre de la Réunion en 1813 ;
Chevalier du Saint-Esprit le 30 septembre 1820 ;
Commandeur de Saint-Louis.
Céline et Nicolas
COTTIN
Cette demeure était la maison familiale de Céline Cottin dont le mari, Nicolas, était valet de chambre à Paris chez le père de Marcel Proust*. A la mort des parents de ce dernier, Nicolas et Céline entrèrent au service du célèbre écrivain entre 1907 et 1914, lui en tant que valet de chambre et elle comme gouvernante.
Céline raconta plusieurs fois à la presse la vie monacale
que leur maître à la santé fragile menait et leur faisait endurer dans
l’appartement du 102 boulevard Haussmann à Paris. Proust vivait en effet
continuellement dans son lit, ne prenant qu’un seul repas, toujours identique,
à 21h et ne sortant qu’une seule fois par mois à l’extérieur. L’atmosphère
surchauffée était constamment envahie de fumigations à l’opium que Proust
inhalait pour s’aider à dormir. Comme ce dernier écrivait essentiellement la
nuit, cela obligeait ses employés à se coucher vers 4h du matin.
Céline quitta le service de son maître suite à un retard de
trois heures que Proust ne supporta pas. Nicolas quant à lui resta jusqu’à sa
mobilisation au front d’où il ne revint pas ayant contracté une pleurésie, dont
Céline pensa qu’elle avait été consécutive à l’ambiance surchauffée de
l’appartement parisien.
Marcel Proust appréciait les Cottin et leur écrivait souvent
des petits mots pour les remercier.
Le 10 décembre 1919, au restaurant Drouant à Paris, Marcel Proust reçoit le Prix Goncourt pour son roman À l’ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième volume de À la recherche du temps perdu. Ce couronnement survient six ans après la parution de Du côté de chez Swann (1913), qui n’avait pas été retenu pour le prix à l’époque.
Lors des débats houleux précédant le vote, Léon Daudet,
membre influent de l’Académie Goncourt, défend ardemment Proust contre les
critiques :
"Vous ne connaissez rien au testament des Frères
Goncourt. Moi, je le connais. La clause ne précise pas qu’ils ont laissé le
prix à un jeune homme. Non, il s’agit d’un jeune talent. Ce qui est exactement
le cas de M. Proust ; car, je vous le dis, c’est un écrivain qui devance son
époque de plus de cent ans."
Pourtant, cette consécration d’une œuvre majeure, explorant
la mémoire, le désir et les méandres du temps, suscite une vive polémique. La
presse s’enflamme : on reproche à Proust d’être trop âgé, trop fortuné, trop
éloigné des réalités sociales, et surtout, trop éloigné des souffrances de la
Grande Guerre, qui s’est achevée un an plus tôt.
Certains journalistes dénoncent le choix du jury, préférant
"des jeunes filles normandes" à "l’enfer des tranchées". Le
roman de Proust, tout en finesse et en introspection, semble à leurs yeux
déconnecté d’une France meurtrie, en quête de récits héroïques ou tragiques.
Malgré les critiques, le Prix Goncourt 1919 marque un
tournant dans la reconnaissance de la modernité littéraire. L’œuvre de Proust,
longtemps jugée trop audacieuse, entre alors dans le panthéon des lettres
françaises.
Cimetière de Champignol