lundi 22 avril 2024

Notre Dame des Trévois


UNE NOUVELLE ÉGLISE PAROISSIALE DU DÉBUT DU 20e SIÈCLE




Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, le quartier ouvrier des Trévois est en plein essor en raison de l’industrie textile. En effet, le développement de la bonneterie permet à la ville de Troyes d’acquérir une renommée internationale à cette époque. Afin de répondre aux besoins des paroissiens, une chapelle de secours est construite en 1912. Il s’agit d’une succursale de la paroisse Saint-Jean-au-Marché, baptisée Notre-Dame-de-l’Écherelle, du nom d’une ancienne chapelle environnante détruite en 1795 et encore bien ancrée dans la mémoire populaire. 
Cette chapelle remplaçait elle-même une autre chapelle du même nom détruite au milieu du 17e  siècle qui se trouvait dans les environs et s’écroulait. La chapelle de 1912 est nommée dans les différents documents NotreDame de l’Écherelle ou Notre-Dame-des-Trévois. 
 
Monseigneur Maurice Feltin, évêque de Troyes, décide de construire une église définitive, centre d’une nouvelle paroisse, en grande partie financée par un comité de grands industriels du textile ainsi que par un système de souscription. Le paysage urbain et le parcellaire desserré du quartier des Trévois offrent la possibilité d’une vaste construction tout à fait novatrice, atypique, dans une tradition ancestrale et répondant aux nouvelles préoccupations sociales de l’Église. Dom Bellot, moine bénédictin, est chargé de cette réalisation dont la première pierre est posée le 6 décembre 1931 par Monseigneur Feltin. 

Une plaque située sur le chevet de l’église mentionne cette date. Le suivi des travaux qui connaissent trois campagnes successives est assuré par les architectes troyens Joseph Hugot et René Roger. L’édifice est consacré le 18 juin 1934 et mentionné dans la revue L’Architectureen 1936. Le 18 novembre 1938, l’église NotreDame-des-Trévois est érigée en paroisse sous le titre de Notre-Dame des Sept Douleurs.

 Elle est classée au titre des monuments historiques depuis le 6 juillet 2001 et labellisée « Patrimoine du XXe siècle » de facto. Il s’agit de la seule église troyenne dédiée à la Vierge Marie et du premier édifice troyen du 20e siècle à bénéficier d’une protection au titre des monuments historiques. Elle est la propriété de l’association diocésaine de Troyes. 
Après la construction de l’église, la chapelle des Trévois a été transformée en salle de spectacle puis aménagée en salle paroissiale. Par ailleurs, sa bibliothèque attenante est devenue une petite chapelle. On y dit encore la messe, perpétuant ainsi le souvenir de NotreDame de l’Écherelle.



DOM PAUL BELLOT, moine bénédictin et architecte (1876-1944)

Né à Paris le 7 juin 1876, il étudie à l’École d’architecture des Beaux-Arts. Élève brillant, il suit avec assiduité une formation académique et est très impressionné par l’architecture mauresque. Il obtient son diplôme d’architecte à 24 ans puis devient membre de la Société des architectes diplômés par le gouvernement en 1901. 

Cependant, l’année suivante, il entre chez les Bénédictins de Solesmes et renonce à l’architecture. Il se rend sur l’île de Wight, au sud de l’Angleterre, pour rejoindre les moines qui y ont trouvé refuge. Dès 1906, il élabore les plans de l’abbaye Saint-Paul d’Oosterhout aux PaysBas afin d’accueillir la communauté bénédictine de Saint-Paul de Wisques (dans le Pas-de-Calais), qui s’y est réfugiée. On lui confie un ambitieux programme architectural alors qu’il n’a encore aucune expérience de la construction. En 1907, il conçoit, pour la communauté de Solesmes, l’abbaye de Quarr sur l’île de Wight. Le talent du jeune religieux se révèle.

Dom Bellot contribue au mouvement de renouveau liturgique et religieux de l’entre-deux-guerres en employant un vocabulaire très personnel. Selon lui, l’architecture doit respecter la tradition et y apporter une touche de modernité en accord avec les usages de l’époque. Ses œuvres sont caractérisées par la mise en valeur des matériaux, des couleurs et de la lumière, la primauté de la structure sur l’ornementation et le recours à un rigoureux système de proportions. Il défend le « rationalisme structurel », faisant correspondre la structure architecturale à un besoin. Il introduit la brique (5 couleurs), matériau économique, en remplacement de la pierre et l’associe à des joints multicolores. Selon lui, l’ornement provient des éléments de la construction. La brique, employée d’une manière tout à fait novatrice, devient un élément artistique à part entière. L’église Notre-Dame-des-Trévois en est une belle illustration.

Autel de la Vierge

Dom Bellot acquiert rapidement une renommée internationale en raison de la publication d’articles sur ses œuvres dans des revues professionnelles, à tel point que l’on évoque le « bellotisme » pour qualifier son style qui influence d’autres architectes. Il a écrit Une œuvre d’architecture moderne par Dom Paul Bellot (1927) et plusieurs articles portant sur l’architecture religieuse. Il se rend au Québec en 1934 pour y donner un cycle de conférences sur son art. Celui qui fut surnommé « le poète de la brique » décède à Montréal le 5 juillet 1944. 

Il a construit des abbayes et des églises, essentiellement en France et aux Pays-Bas, mais aussi dans d’autres pays (Angleterre, Canada, Belgique, Argentine, Portugal...). Dom Bellot aura érigé 15 églises au cours de sa carrière dont 7 paroissiales en France. Notre-Dame-des-Trévois est la seule qu’il ait conçue en style mauresque l est intéressant de constater que le parti architectural de Notre-Dame-des-Trévois ressemble à celui de la première église paroissiale conçue par Dom Bellot : l’église Saint-Joseph de Noordhoek (Pays-Bas, 1921-1922). Construite sur un plan en forme de croix latine prolongé par une abside polygonale à cinq pans, elle comporte une nef très importante à large vaisseau central tandis que le chœur est peu profond. Il s’agit d’une caractéristique architecturale de l’œuvre de Dom Bellot. 

L’église présente une élévation extérieure continue et sans ressauts grâce aux contreforts intérieurs combinés aux arcs doubleaux des étroits collatéraux. Le transept aurait dû comporter des hauts pignons qui ont été réduits lors de la réalisation. De même, il était prévu une façade à deux tours mais Dom Bellot privilégia finalement une élévation consistant en une tour-clocher en saillie, plus imposante, abandonnée elle aussi pour des raisons économiques. Ainsi, la façade actuelle de l’église ressemble davantage à celle de l’église de Noordhoek avec son pignon dont la cloche est baptisée « Marie-Henriette ».

Dom Bellot fait ici usage de la brique rouge et du béton. La brique est omniprésente à NotreDame-des-Trévois et sa mise en œuvre est particulièrement soignée, révélant la maîtrise de la polychromie par l’architecte. Quant au béton, il est employé pour les fondations, les fenêtres et la corniche. Résolument avant-gardiste, Dom Bellot avait anticipé l’isolation extérieure de l’édifice grâce aux double-murs de même que le système de chauffage latéral. L’église NotreDame-des-Trévois est d’une remarquable qualité d’exécution. Le souci permanent du détail et la recherche des effets de polychromie en font sa singularité.

Voûte de l'autel de la Vierge

La toiture de l’église comporte des motifs géométriques faisant écho à celle de l’église Saint-Nizier et à la tradition troyenne des tuiles vernissées. Dom Bellot avait déjà expérimenté ce principe sur l’église de Noordhoek. Ici, la broderie d’ardoises polychrome, d’une grande élégance, comprend trois couleurs provenant des carrières de Fumay dans les Ardennes (rouge lie-de-vin, vert et gris), en harmonie avec les briques sur les murs, tandis que les ardoises ordinaires sont d’Angers. 

La façade principale est très sobre tout comme l’église de Noordhoek. Elle est ornée d’un oculus central entouré d’un motif d’étoile en brique. Entre les deux arcades, un pilier porte une statue de la Vierge à l’Enfant réalisée par Henri Charlier, peintre et sculpteur, oblat bénédictin, fidèle collaborateur et ami proche de Dom Bellot. Il est également l’auteur du bas-relief en pierre polychrome représentant Urbain IV devant le Christ au sein du chœur de la basilique Saint-Urbain de Troyes. L’imposant massif occidental comprend le porche, la tribune d’orgue et la chapelle des fonts baptismaux (actuellement dédiée à la Vierge Marie) située dans le prolongement du collatéral gauche, selon la tradition du 19e siècle. 

La voûte pyramidale sur trompes qui la surmonte lui donne toute sa particularité et témoigne de l’importance accordée au lieu du baptême dans les églises construites à cette époque. La sobriété du décor extérieur contraste avec l’élégance de l’espace intérieur sous le porche : quatre arcs diaphragmes diagonaux alternent dans un sens et dans l’autre en raison du projet initial de clocher qui devait se trouver juste au-dessus. Le porche assure la transition entre la sobriété du décor extérieur et le saisissant raffinement du décor intérieur.

ARCHITECTURE INTÉRIEURE

L’architecture intérieure de l’église NotreDame-des-Trévois rappelle le style mauresque. L’espace décloisonné est en adéquation avec les exigences de la fonction et du programme liturgique de l’époque. Ainsi, la nef est élargie au détriment des bas-côtés et le chœur est de moindre importance afin de réduire la distance entre l’autel et les fidèles.

 


Contrairement aux églises construites à une époque antérieure, la nef comporte un seul niveau d’élévation avec les grandes arcades bicolores. L’architecture est mise en valeur par un décor économique grâce à l’appareillage des briques et à l’harmonie colorée conçue par le frère bénédictin François Mes, peintre-coloriste néerlandais, l’un des collaborateurs de Dom Bellot.

 Le vaisseau central de la nef se compose d’une série d’arc diaphragmes en chaînette dont les multiples teintes de briques embellissent et donnent du relief à la composition. Une harmonie plus vive se développe dans les parties hautes de la nef. Dom Bellot maîtrise l’utilisation de l’arc « en chaînette » de forme parabolique, principale caractéristique de son art qui présente l’avantage d’exercer peu de poussée et donc de diminuer l’importance des contreforts. Il conçoit cette forme ovoïde pendant la première guerre mondiale et qualifie lui-même son style d’« oeufgival » car « l’arc est en œuf ». Le moine-architecte utilise toutes les ressources décoratives de la brique. En témoignent les motifs géométriques des chapiteaux à 45° : des briques blanches sont posées en diagonale, délimitées en haut et en bas par une rangée de briques noires. 

L’ensemble est souligné par les diverses teintes de joints dont la couleur est en harmonie ou en contraste avec l’ensemble. Sur les murs gouttereaux de la nef, au même niveau que les chapiteaux, on aperçoit une frise avec les mêmes briques blanches et brunes et ajout d’assises grises donnant une unité à l’édifice. Une seconde frise, plus foncée, suit les murs de la nef à la limite du plafond. Elle est composée de losanges en briques blanches dont les joints sont rouges. Une croix blanche de consécration orne chaque pilier de la nef. Par ailleurs, le motif de la croix constitué de briques est omniprésent dans l’église, comme en témoignent par exemple les croix rouges ornant les tentures en trompel’œil sous le balcon de la tribune de l’orgue.



 LE CHŒUR

Deux niveaux de marches permettent d’accéder au chœur. En accord avec les réformes liturgiques de l’époque, le maître-autel est fortement surélevé de trois marches pour être visible par l’ensemble des fidèles. Son décor, ceint de six colonnes de marbre, comprend trois saillies de différentes teintes de briques vernissées orientées à 45°, caractéristique que l’on retrouve sur d’autres éléments d’architecture et de mobilier. Deux ambons conçus par Dom Bellot, placés de part et d’autre du chœur, font référence à l’architecture paléochrétienne, devenue source d’inspiration pour l’architecture religieuse de l’entre-deuxguerres. 

À proximité, on peut remarquer un banc de communion constitué de piliers de briques à 45° et d’une assise en marbre. On observe que le décor récurrent de frise au niveau des chapiteaux s’achève à l’arrière des ambons, marquant une séparation entre la nef et le chœur, de même que le motif du pavage au sol qui diffère. En effet, la décoration du chœur est complètement différente de celle de la nef et comprend deux niveaux : le premier est composé de panneaux rectangulaires ornés de briques disposées en diagonale faisant écho au second niveau qui reprend ce système de briques à 45° dans le panneau central pour mettre en évidence le Christ en croix. Contrairement à la nef, la couleur blanche est pratiquement absente selon la volonté de l’architecte d’atténuer l’importance du chœur par rapport à la nef. On la retrouve seulement autour de la croix du Christ du panneau central. 

Dom Bellot joue avec les matériaux mais aussi avec la gradation de la lumière pour accentuer cet effet. Ainsi, elle pénètre abondamment dans la nef par des fenêtres dont les remplages réguliers en béton accueillent trois modèles de verres à relief (deux transparents et un jaune) tandis que la lumière est plus faible dans le chœur en raison de la couleur soutenue des vitraux qui ornent les deux oculus, développant une atmosphère de recueillement et de mystère. Bien que le décor de l’abside soit plus sobre que celui de la nef, elle demeure le lieu de la représentation à l’aide des quatre grands panneaux réalisés par Carl Mauméjean en 1940-1944. 

détail mosaïque du choeur "le couronnement de la Vierge"

Peintres verriers et mosaïstes, les frères Mauméjean sont actifs sur les chantiers religieux de la région parisienne dans l’entre-deux-guerres. Les thèmes traités sur ces panneaux font référence à la Vierge Marie. On peut y voir, de gauche à droite : l’Immaculée Conception, l’Annonciation, la Déploration et le Couronnement de la Vierge au sein duquel on aperçoit Dieu le Père trônant et couronné d’une tiare dans le vitrail de l’oculus. Ils forment un seul ensemble. 

Les frères Mauméjean avaient l’habitude d’utiliser plusieurs techniques de représentation au sein d’une même œuvre. Ce fut le cas pour l’église Notre-Dame-desTrévois à travers la combinaison harmonieuse de la mosaïque, de la fresque et du vitrail qui fait partie intégrante du panneau. Ainsi, la figure de Dieu le Père apparaît sur le vitrail du panneau de l’Immaculée Conception relatif au péché originel. On y aperçoit, en outre, le serpent tentateur tenant une pomme dans sa gueule et Adam et Ève chassés du Paradis.

le choeur de ND des Trévois


TABLEAUX EN MOSAÏQUES

Œuvres d’un artiste inconnu à ce jour, ils ont été conçus d’après des cartons de Charles Lameire. Le tableau situé à gauche du chœur est réalisé d’après le carton saint Austremoine auquel sont ajoutés l’Alpha et l’Oméga sur la croix (une allusion au Christ). Celui de droite représente saint Trophime, disciple de Paul qui serait le fondateur de l’église d’Arles. Ces personnages font partie de la mosaïque qui décore le chœur de l’église de la Madeleine à Paris. Tableaux énigmatiques dont on ignore s’il s’agit d’une commande ou d’un essai d’atelier. La date de leur installation n’est pas connue à ce jour.



TABLEAU NOTRE-DAME DES SEPT DOULEURS

Ce tableau, peint en 1988 par Monique Bigle, paroissienne des Trévois, décrit symboliquement les sept douleurs de la Vierge par petites touches de couleurs appropriées. Il s’agit des grandes épreuves de la vie de la mère du Christ. L’artiste accorde une grande part à la lumière qui surgit des ténèbres, laissant libre cours à son imagination pour faire entrer le visiteur dans un monde pictural inhabituel.

TABLEAUX DES MYSTÈRES DU ROSAIRE

Ces 15 tableaux en peinture acrylique sur toile de lin naturelle sont également l’œuvre de Monique Bigle et font écho au tableau précité. L’artiste a mis deux ans pour les réaliser et en a fait don à la paroisse le 25 mai 2003.

 

Fonts Baptismaux mobile

ORGUE

Les informations concernant cet orgue sont rares.. Il s'agit d'un ancien orgue de salon d'origine inconnu, placé dans cette église en 1941. La façade seule sur soubassement en chêne et contreplaqué par E. Beaugrand (Troyes).

Console séparée devant Claviers sapin, placage ivoire, dièses ébène. Pédalier en chêne à l’allemande. Accessoires appel et retrait Grand jeu récit par boutons tournants (2) - ll/l 8 - ll/l 16 - Tir I, Il - Expression II. Trémolo. Tous les sommiers sont de 1941




GROTTE

Lieu de recueillement situé derrière le chevet de l’église, la grotte constitue la curiosité la plus atypique. Réplique de la grotte de Lourdes, elle a été réalisée en 1958 pour le centenaire des apparitions. Son aménagement et sa décoration ont été repensés par une trentaine de paroissiens mobilisés dans le respect de la tradition de Dom Bellot avec sa mosaïque dont les lignes représentent les grands axes, les rues et les cours d’eau du quartier des Trévois. La mosaïque est composée de différents matériaux : brique, verre, carrelage, etc... apportés par les paroissiens. Le croisement des artères Jules-Guesde et Pompidou forme par exemple une croix. Les étoiles représentent un édifice religieux et il y a encore beaucoup d’autres symboles à découvrir. À l’issue du chantier de restauration d’un mois et demi, cette grotte, dont la paroi est enduite de chaux, a été inaugurée et consacrée en juin 2019 par Monseigneur Marc Stenger, évêque de Troyes. La Vierge Marie qui la surplombe veille sur elle.



Notre-Dame des Trévois a été classée à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 2001.

Quelques archives

Dom Paul Bellot













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