jeudi 8 août 2024

Contes et d'histoires d'antan - 2 -

 


La mère, le fils et le tonneau

Conte de Vendeuvre-sur-Barse

 Autrefois du côté de Vendeuvre, il y avait une bonne vieille qui vivait avec son fils. Tous deux, évidemment, étaient vignerons. Ils avaient quelques fettes de vigne qui leur permettaient bon an, mal an de joindre « les deux bouts ». Qui leur permettaient ou plus exactement qui leur auraient permis car la mère avait un gout très prononcé pour son vin. Elle était, comme l’on dit parfois « son meilleur client ». Quant au fils, en bon fils, il suivait l’exemple de sa mère.. Il n’y avait que les tonneaux qui ne pouvaient pas suivre…

Or donc, il advint qu’entre deux saisons, il fallut faire appel au négociant pour regarnir la cave.

- Mon gachenot, dit la mère, à ç’t’heure faut qu’on paie not’ vin faura donc voèr à point trop boèr, vu que ç’méchon-là i dio que crédit i ost mort.

- Mâ, la mère, j’ons quasiement point goûté not’vin !

- Saqueurdie, te diros donc qu’j’ons tertout cheurlé ?!!

- Nenie, la mère, j’ons point dit ça ! Mâ, la prochaine futaille on se la paratgera mitant-mitan. On voèra bein qui cheurle le plus !

 Ce qui fut dit fut fait, et lorsque le négociant apporta la futaille, mère et fils descendirent à la cave.

- Te vas voère, la mère, j’vas mett’ le tonneau su chais… Eh han ! voilà. Et maintenant j’te vas l’coper en deux…

 Le garçon partit au fond de la cave et revint avec un morceau de craie. Puis, consciencieusement à la lueur de la chandelle, il traça un beau trait horizontal qui partageait le fond du tonneau en deux demi-cercles égaux.

 -Te vois, la mère, ç’ost bien fait. Comm’ j’seu bon fils, j’voudros point qu’t’aie la lie. Alors j’te vas mett’ un cochet au mitan du trait, comme ça t’auras le haut du tonneau. Pour moè, j’le vas mett’ en bas. Tant pis pour la boue…

 Et le gars passe à l’action. La mère, toujours soupçonneuse, surveille attentivement l’ouvrage, s’assurant que les robins sont bien à leur place respective. Enfin satisfaits, ils remontent tous deux au logis. Les jours passent, chacun tirant son vin à son cochet… Mais voilà que par un bel après-midi, la mère descend remplir son pichet. Elle allume la chandelle, place son pichet sous le cochet et tourne la clé. Le vin coule… Soudain, le liquide s’enroule sur lui-même, le jet faiblit, faiblit, encore quelques gouttes et puis… plus rien.

 - Boudie, mâ, j’ons plus de vin !? Elle n’en croit pas ses yeux. Elle tourne et retourne la clé. Elle secoue le cochet, glisse un glu dans le trou  [« des fois qui s’ro bouché »].

 Mais non, rien ne vient, rien ! Elle sonne le tonneau et, surprise, il est encore à demi-plein ! N’y tenant plus, elle se baisse, place son pichet sous le robin du bas – celui du fils – et tourne la clef. Le vin jaillit !

Le soir venu, la mère et le fils se mettent à table.

- Dis-donc, la mère, qu’ost-ce qui o, t’o l’air tout chose ?

- Bein v’là. J’va te dire, mon gachenot. L’aut’jour j’t’ai dit des vilénies. Vu que ç’tantôt, j’seu allé à la cave et… j’ons plus d’vin… et toè t’en o encô !...

- Bein va, ç’ost rein, la mère, j’t’en donnerai du mien, va !

 Et depuis ce jour, la bonne vieille est convaincue que c’est elle qui boit le plus. On ne ‘coupe » plus les tonneaux en deux. Mais… on boit toujours autant.

 

 Histoire de Mme Drouilly de Vendeuvre-sur-Barse en 1952

 

Le pont et les quatre nigauds

 

Conte de Vendeuvre-sur-Barse

 

 Après avoir fait la fête à Vendeuvre et l’ayant copieusement arrosée, quatre gars retournaient dans leur village ;

Passant sur le pont de la Barse, le premier se penche au-dessus de la rivière et interpelle ses camarades :

 - Mâ, combien donc qu’i o dou pont ai l’iau ?

- Mâ, dit le second, j’sons point…

- Mâ, dit le troisième, j’sons pont…

- Mâ, dit le quatrième, i o qu’à m’seurer !

- Marvoèr, dit le premier, j’ons rein pour…

- Marvoèr, dit le second, moè itou…

- Marvoèr, dit le troisième, moè itou…

- Morvoèr, dit le quatrième, j’ons été militaire, j’ons été toisé. Si on s’pendint l’un à bout de l’autre. Le premier au pont, l’darnier qu’aura l’cul ai l’iau, on fr’a l’tout et on saura.

 Remplis d’admiration devant un tel raisonnement, les trois compères s’empressent d’applaudir et aussitôt tout le monde tombe la veste.

Celui qui a émis l’idée prend la direction des opérations et, donnant l’exemple, enjambe le parapet, s’agrippe à la rambarde et se laisse pendre dans le vide.

 - Hé ! gars, vas-y !

 Le second enjambe le parapet, se laisse glisser le long du premier, s’agrippe à ses pieds et se laisse pendre dans le vide.

  -Hé ! gars, vas-y !

 Le troisième enjambe le parapet, se laisse glisser le long du premier, se laisse glisser le long du second, s’agrippe à ses pieds et se laisse pendre dans le vide.

 - Hé, gars, vas-y !

 Le quatrième enjambe le parapet, se laisse glisser le long du premier, se laisse glisser le long du second, se laisse glisser le long du troisième, s’agrippe à ses pieds et se… met à crier :

 - Hé ! gars ç’ost frô, j’ons l’eul ai l’iau !...

 C’est alors que le premier, dont la force est mise à rude épreuve, sent que quelques chose ne va plus :

 - Hé ! gars, vz’avez cheurlé… vz’êtes pleins…, vz’êtes lourds…, mes mains… elles glissent… j’glisse !... Hé ! gars, t’nez-vous bein ! J’vas m’craicher dans les mains !!!

 Pouf ! Plouf ! Plouf ! Plouf !... Quatre ploufs… Mais l’on ne sait toujours pas « combien qu’i o dou pont ai l’iau ! »

 

 Recueilli en 1952, auprès de Marthe D. de Vendeuvre-sur-Barse

  

Les trois pets de l’âne

 C’était un brave homme que le père Pitansa, pas très futé, mais bien brave malgré tout.

Un jour qu’il était monté sur un arbre pour scier une branche, un vieux du pays voisin passa, qui remarqua que le père Pitansa était curieusement assis sur la branche qu’il était en train de scier et du coté qui devant tomber.

 - Père Pitansa, faites attention vous allez tomber

- Tomber ?

- Vous allez voir, avant longtemps vous serez par terre.

- Allons donc, vieux, qu’est-ce que tu me racontes,

- Vous allez bien voir.

- C’est-il que tu serais un peu sorcier, pour deviner ce qui va m’arriver ?

 Et le père Pitansa continue calmement le travail qu’il a commencé. Malgré les craquements annonciateurs de la catastrophe, il scie et, tout d’un coup, se retrouve au sol, les quatre fers en l’air. Tant bien que mal, il se relève. Rien de cassé. Il en est quitte pour la peur.

Mais le coup a été si rude qu’il est bien obligé de faire une petite pause. Cela lui permet de réfléchir.

 - Je n’avais peut-être pas tort de prendre  le vieux pour un sorcier, il a bien su prévoir que j’allais tomber. C’est-il drôle qu’il y ait des gens comme ça, qui puissent savoir ce qui nous arrivera plus tard !

 Et, suivant le fil de son idée :

 - Si j’allais lui demander de me renseigner sur l’heure de ma mort ?

Sitôt dit, sitôt fait, il s’en va trouver le vieux.

 - Tout à l’heure, tu avais bien raison ; je suis tombé comme tu l’as dit. Alors j’ai pensé… voilà, je voudrais bien savoir quand est-ce que je mourrai ?

 Surpris par une telle question, le vieux se gratter la tête ; il est embarrassé. Comment répondre à cette bête de père Pitansa ?

 - Eh bien ! Père Pitansa, ce sera quand votre âne aura pété trois fois. Vous mourrez au troisième pet de votre âne.

- Au troisième ?

- Oui, oui, oui !

- Ah !

 Et le père Pitansa s’en va.

 - Au troisième et de mon âne. S’agir pas que mon âne ait envie.

 Ce qui ne l’empêche pas de continuer, avec la bête, en direction de la vigne. Et voilà l’âne qui pète, comme tout honnête âne sait faire quand il lui en prend envie.

 - Oh ! là là ! Mon Dieu ! Déjà ! Plus que deux fois. Comment l’empêcher ? C’est pas facile.

 Mais les réflexions du maître ne tourmentaient point le bourricot qui, continuant son chemin, s’oublia une seconde fois.

Le père Pitansa, très inquiet, avise alors un paissiau dans une vigne et l’idée lui vient de l’enfoncer là où vous pensez, afin que la bête ne puisse sortir ce redoutable troisième pet qu’il commence à craindre très vivement.

Il bourre donc le piquet dans le derrière de l’âne et, rassuré, repart avec plus de sérénité, poussant devant lui une bête un peu étonnée du traitement qu’on vient de lui faire subir.

Néanmoins, cela va encore un peu.

Mais, ne pouvoir rien dire et en avoir le désir, commence à tourmenter l’animal qui essaie d’exprimer son malaise en son langage d’âne, qui se dandine, ondule de la croupe, s’arrête, repart et cherche par tous moyens à se libérer.

Le paissiau tient bon et le père Pitansa, qui se méfie des ruades, marche à trois pas derrière.

L’âne est de plus en plus mal à son aise : il souffle, il contracte ses muscles pour se débarrasser de ce piquet qui l’agace. Tant et si bien il cherche à l’expulser qu’à la fin il y parvient et l’envoie avec une telle force dans l’estomac du maître qui le suit que celui-ci en tombe à la renverse, les deux bras en croix.

Alors, fermant les yeux, le père Pitansa conclu :

 - Me voilà mort. Il avait dit vrai le vieux. J’aurais pourtant jamais cru que c’était un vrai sorcier.

 

 Histoire contée par l’arrière-grand-mère Mocquery

 


La fontaine au cosaque


Mon grand-père, il m’a toujours dit :

- Les cosaques ?

Ils étaient huit, une patrouille,

Quand ils sont arrivés par le faubourg des Grenouilles,

comme on appelle.

 

Il y avait des gens n’est pas,

qui étaient un peu surpris

en les voyant arriver,

Un appelé Moineau a pris son fusil

et en a tué un ;

ça a fait que les autres

ont rebroussé chemin.

 

Voilà le Cosaque de tué.

Qu’en faire ?

Comment cela va-t-il aller ?

Il en est un qui a eu l’idée

d’aller le mettre là-bas dans la fontaine,

celle qui n’a pas de fond.

 

Pendant qu’ils le portaient,

l’avant-garde cosaque arrive au pays.

Il a fallu savoir

et ça a chambardé pas mal.

C’est de ça

qu’ils ont fait quelque saccage :

brulé des maisons,

tué des personnes.

 

Le soir, les Cosaques,

pour mener leurs chevaux à l’abreuvoir

allumaient une maison

à chaque coup.

C’est pourquoi le village

a diminué comme ça.

 

Maintenant, la fontaine,

on l’appelle : la fontaine au cosaque.

Et le petit gamin qui était de la maison des Moineau,

il a dit : Papa a tué le Cosaque.

Il est mort l’homme à quatre-vingt-quatre ou cinq ans

et il était connu sous le nom de Cosaque.

C’était le nom qui lui était resté

comme ça.

 

 

Histoire de M. Poisson, recueilli en 1955.



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