La mère, le fils et le
tonneau
Conte de
Vendeuvre-sur-Barse
Autrefois
du côté de Vendeuvre, il y avait une bonne vieille qui vivait avec son fils. Tous
deux, évidemment, étaient vignerons. Ils avaient quelques fettes de vigne qui
leur permettaient bon an, mal an de joindre « les deux bouts ». Qui
leur permettaient ou plus exactement qui leur auraient permis car la mère avait
un gout très prononcé pour son vin. Elle était, comme l’on dit parfois
« son meilleur client ». Quant au fils, en bon fils, il suivait
l’exemple de sa mère.. Il n’y avait que les tonneaux qui ne pouvaient pas
suivre…
Or
donc, il advint qu’entre deux saisons, il fallut faire appel au négociant pour
regarnir la cave.
-
Mon gachenot, dit la mère, à ç’t’heure faut qu’on paie not’ vin faura donc voèr
à point trop boèr, vu que ç’méchon-là i dio que crédit i ost mort.
-
Mâ, la mère, j’ons quasiement point goûté not’vin !
-
Saqueurdie, te diros donc qu’j’ons tertout cheurlé ?!!
-
Nenie, la mère, j’ons point dit ça ! Mâ, la prochaine futaille on se la
paratgera mitant-mitan. On voèra bein qui cheurle le plus !
Ce
qui fut dit fut fait, et lorsque le négociant apporta la futaille, mère et fils
descendirent à la cave.
-
Te vas voère, la mère, j’vas mett’ le tonneau su chais… Eh han ! voilà. Et
maintenant j’te vas l’coper en deux…
Le
garçon partit au fond de la cave et revint avec un morceau de craie. Puis,
consciencieusement à la lueur de la chandelle, il traça un beau trait
horizontal qui partageait le fond du tonneau en deux demi-cercles égaux.
-Te
vois, la mère, ç’ost bien fait. Comm’ j’seu bon fils, j’voudros point qu’t’aie
la lie. Alors j’te vas mett’ un cochet au mitan du trait, comme ça t’auras le
haut du tonneau. Pour moè, j’le vas mett’ en bas. Tant pis pour la boue…
Et
le gars passe à l’action. La mère, toujours soupçonneuse, surveille
attentivement l’ouvrage, s’assurant que les robins sont bien à leur place
respective. Enfin satisfaits, ils remontent tous deux au logis. Les jours
passent, chacun tirant son vin à son cochet… Mais voilà que par un bel
après-midi, la mère descend remplir son pichet. Elle allume la chandelle, place
son pichet sous le cochet et tourne la clé. Le vin coule… Soudain, le liquide
s’enroule sur lui-même, le jet faiblit, faiblit, encore quelques gouttes et
puis… plus rien.
-
Boudie, mâ, j’ons plus de vin !? Elle n’en croit pas ses yeux. Elle tourne
et retourne la clé. Elle secoue le cochet, glisse un glu dans le trou [« des fois qui s’ro bouché »].
Mais
non, rien ne vient, rien ! Elle sonne le tonneau et, surprise, il est
encore à demi-plein ! N’y tenant plus, elle se baisse, place son pichet
sous le robin du bas – celui du fils – et tourne la clef. Le vin jaillit !
Le
soir venu, la mère et le fils se mettent à table.
-
Dis-donc, la mère, qu’ost-ce qui o, t’o l’air tout chose ?
-
Bein v’là. J’va te dire, mon gachenot. L’aut’jour j’t’ai dit des vilénies. Vu
que ç’tantôt, j’seu allé à la cave et… j’ons plus d’vin… et toè t’en o
encô !...
-
Bein va, ç’ost rein, la mère, j’t’en donnerai du mien, va !
Et
depuis ce jour, la bonne vieille est convaincue que c’est elle qui boit le
plus. On ne ‘coupe » plus les tonneaux en deux. Mais… on boit toujours
autant.
Histoire
de Mme Drouilly de Vendeuvre-sur-Barse en 1952
Le pont et les
quatre nigauds
Conte de Vendeuvre-sur-Barse
Après
avoir fait la fête à Vendeuvre et l’ayant copieusement arrosée, quatre gars
retournaient dans leur village ;
Passant
sur le pont de la Barse, le premier se penche au-dessus de la rivière et
interpelle ses camarades :
-
Mâ, combien donc qu’i o dou pont ai l’iau ?
-
Mâ, dit le second, j’sons point…
-
Mâ, dit le troisième, j’sons pont…
-
Mâ, dit le quatrième, i o qu’à m’seurer !
-
Marvoèr, dit le premier, j’ons rein pour…
-
Marvoèr, dit le second, moè itou…
-
Marvoèr, dit le troisième, moè itou…
-
Morvoèr, dit le quatrième, j’ons été militaire, j’ons été toisé. Si on
s’pendint l’un à bout de l’autre. Le premier au pont, l’darnier qu’aura l’cul
ai l’iau, on fr’a l’tout et on saura.
Remplis
d’admiration devant un tel raisonnement, les trois compères s’empressent
d’applaudir et aussitôt tout le monde tombe la veste.
Celui
qui a émis l’idée prend la direction des opérations et, donnant l’exemple,
enjambe le parapet, s’agrippe à la rambarde et se laisse pendre dans le vide.
-
Hé ! gars, vas-y !
Le
second enjambe le parapet, se laisse glisser le long du premier, s’agrippe à
ses pieds et se laisse pendre dans le vide.
-Hé ! gars, vas-y !
Le
troisième enjambe le parapet, se laisse glisser le long du premier, se laisse
glisser le long du second, s’agrippe à ses pieds et se laisse pendre dans le
vide.
-
Hé, gars, vas-y !
Le
quatrième enjambe le parapet, se laisse glisser le long du premier, se laisse
glisser le long du second, se laisse glisser le long du troisième, s’agrippe à
ses pieds et se… met à crier :
-
Hé ! gars ç’ost frô, j’ons l’eul ai l’iau !...
C’est
alors que le premier, dont la force est mise à rude épreuve, sent que quelques
chose ne va plus :
-
Hé ! gars, vz’avez cheurlé… vz’êtes pleins…, vz’êtes lourds…, mes mains…
elles glissent… j’glisse !... Hé ! gars, t’nez-vous bein ! J’vas
m’craicher dans les mains !!!
Pouf !
Plouf ! Plouf ! Plouf !... Quatre ploufs… Mais l’on ne sait
toujours pas « combien qu’i o dou pont ai l’iau ! »
Recueilli
en 1952, auprès de Marthe D. de Vendeuvre-sur-Barse
Les trois pets
de l’âne
C’était
un brave homme que le père Pitansa, pas très futé, mais bien brave malgré tout.
Un
jour qu’il était monté sur un arbre pour scier une branche, un vieux du pays
voisin passa, qui remarqua que le père Pitansa était curieusement assis sur la
branche qu’il était en train de scier et du coté qui devant tomber.
-
Père Pitansa, faites attention vous allez tomber
-
Tomber ?
-
Vous allez voir, avant longtemps vous serez par terre.
-
Allons donc, vieux, qu’est-ce que tu me racontes,
-
Vous allez bien voir.
-
C’est-il que tu serais un peu sorcier, pour deviner ce qui va m’arriver ?
Et
le père Pitansa continue calmement le travail qu’il a commencé. Malgré les
craquements annonciateurs de la catastrophe, il scie et, tout d’un coup, se
retrouve au sol, les quatre fers en l’air. Tant bien que mal, il se relève.
Rien de cassé. Il en est quitte pour la peur.
Mais
le coup a été si rude qu’il est bien obligé de faire une petite pause. Cela lui
permet de réfléchir.
-
Je n’avais peut-être pas tort de prendre
le vieux pour un sorcier, il a bien su prévoir que j’allais tomber.
C’est-il drôle qu’il y ait des gens comme ça, qui puissent savoir ce qui nous
arrivera plus tard !
Et,
suivant le fil de son idée :
- Si j’allais lui demander de me renseigner sur l’heure de ma mort ?
Sitôt
dit, sitôt fait, il s’en va trouver le vieux.
-
Tout à l’heure, tu avais bien raison ; je suis tombé comme tu l’as dit.
Alors j’ai pensé… voilà, je voudrais bien savoir quand est-ce que je
mourrai ?
Surpris
par une telle question, le vieux se gratter la tête ; il est embarrassé.
Comment répondre à cette bête de père Pitansa ?
-
Eh bien ! Père Pitansa, ce sera quand votre âne aura pété trois fois. Vous
mourrez au troisième pet de votre âne.
-
Au troisième ?
-
Oui, oui, oui !
-
Ah !
Et
le père Pitansa s’en va.
-
Au troisième et de mon âne. S’agir pas que mon âne ait envie.
Ce
qui ne l’empêche pas de continuer, avec la bête, en direction de la vigne. Et
voilà l’âne qui pète, comme tout honnête âne sait faire quand il lui en prend
envie.
-
Oh ! là là ! Mon Dieu ! Déjà ! Plus que deux fois. Comment
l’empêcher ? C’est pas facile.
Mais
les réflexions du maître ne tourmentaient point le bourricot qui, continuant
son chemin, s’oublia une seconde fois.
Le
père Pitansa, très inquiet, avise alors un paissiau
dans une vigne et l’idée lui vient de l’enfoncer là où vous pensez, afin
que la bête ne puisse sortir ce redoutable troisième pet qu’il commence à
craindre très vivement.
Il
bourre donc le piquet dans le derrière de l’âne et, rassuré, repart avec plus
de sérénité, poussant devant lui une bête un peu étonnée du traitement qu’on
vient de lui faire subir.
Néanmoins,
cela va encore un peu.
Mais,
ne pouvoir rien dire et en avoir le désir, commence à tourmenter l’animal qui
essaie d’exprimer son malaise en son langage d’âne, qui se dandine, ondule de
la croupe, s’arrête, repart et cherche par tous moyens à se libérer.
Le
paissiau tient bon et le père Pitansa, qui se méfie des ruades, marche à trois
pas derrière.
L’âne
est de plus en plus mal à son aise : il souffle, il contracte ses muscles
pour se débarrasser de ce piquet qui l’agace. Tant et si bien il cherche à
l’expulser qu’à la fin il y parvient et l’envoie avec une telle force dans l’estomac
du maître qui le suit que celui-ci en tombe à la renverse, les deux bras en
croix.
Alors,
fermant les yeux, le père Pitansa conclu :
-
Me voilà mort. Il avait dit vrai le vieux. J’aurais pourtant jamais cru que
c’était un vrai sorcier.
Histoire
contée par l’arrière-grand-mère Mocquery
La
fontaine au cosaque
Mon
grand-père, il m’a toujours dit :
-
Les cosaques ?
Ils
étaient huit, une patrouille,
Quand
ils sont arrivés par le faubourg des Grenouilles,
comme
on appelle.
Il
y avait des gens n’est pas,
qui
étaient un peu surpris
en
les voyant arriver,
Un
appelé Moineau a pris son fusil
et
en a tué un ;
ça
a fait que les autres
ont
rebroussé chemin.
Voilà
le Cosaque de tué.
Qu’en
faire ?
Comment
cela va-t-il aller ?
Il
en est un qui a eu l’idée
d’aller
le mettre là-bas dans la fontaine,
celle
qui n’a pas de fond.
Pendant
qu’ils le portaient,
l’avant-garde
cosaque arrive au pays.
Il
a fallu savoir
et
ça a chambardé pas mal.
C’est
de ça
qu’ils
ont fait quelque saccage :
brulé
des maisons,
tué
des personnes.
Le
soir, les Cosaques,
pour
mener leurs chevaux à l’abreuvoir
allumaient
une maison
à
chaque coup.
C’est
pourquoi le village
a
diminué comme ça.
Maintenant,
la fontaine,
on
l’appelle : la fontaine au cosaque.
Et
le petit gamin qui était de la maison des Moineau,
il
a dit : Papa a tué le Cosaque.
Il
est mort l’homme à quatre-vingt-quatre ou cinq ans
et
il était connu sous le nom de Cosaque.
C’était
le nom qui lui était resté
comme
ça.
Histoire
de M. Poisson, recueilli en 1955.
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