jeudi 5 septembre 2024

Parpaillots dans l'Aube

 



Parpaillots, gens sans foi dans l’Aube ?

 « Parpaillots*, gens sans foi dans l’Aube » lit-on dans « Problèmes missionnaires de la France rurale » publié en 1945, par le chanoine Boulard, sociologue, Curé d’une paroisse rurale, puis aumônier de la JAC (Jeunesse agricole chrétienne).  M. le chanoine ne devait pas bien connaître notre département !

 Ce que nous savons d’une façon certaine et irréfutable, par le langage des pierres et les connaissances des lieux-dits, c’est qu’il y a peu de contrées qui ont été aussi pénétrées par l’influence chrétienne dès le Bas-Empire, influence singulièrement fortifiée au cours du Moyen Age !  Un seul exemple : regardons sur une carte si l’Aube, particulièrement la vallée de la Seine est chrétienne.

 De Troyes, en direction de Méry-sur-Seine, sur un parcours de moins de 28 km, se succèdent : 

Pont-Sainte-Marie, Sainte-Maure, Saint-Benoît, Rilly-Sainte-Syre, Droupt-Saint-Basle, Droupt-Sainte-Marie, soit 6 communes sur 13 dédiées à un Saint ou à une Sainte.

 La rive gauche de la Seine est aussi sanctifiée, puisque sur 8 villages, 6 portent le nom d’un Saint ou d’une Sainte. Très serrées autour de la ville de Troyes apparaissent les communes de : 

Saint-Parres-aux-Tertres, Saint-Julien, Saint-André, Sainte-Savine, La Chapelle-Saint-Luc, Barberey-Saint-Sulpice.

 Un seul territoire neutre autour de la capitale des Tricasses : Les Noës

 Ainsi, l’encerclement spirituel a survécu aux sièges, aux démolitions, aux changements de régime.  Les remparts et les portes fortifiées ont été rasés, mais l’esprit demeure et continue à planer sur les lieux. La meilleure preuve, si tous ces villages, au cours de la Révolution furent privés de leur titre séculaire, lorsque la tourmente fut passée, la voix populaire remit en bonne place tous les Saints :

 Rilly-la-Raison se rend à Sainte-Syre, Mont-Bel-Air se redonne à Sainte-Maure, Thury redevient Saint-Benoît-sur Seine.

 Consultons un livre vieux de près de 200 ans : « Les Saints du Diocèse de Troyes et Histoire de leur culte ».

 Que peut-on y apprendre au sujet de nos villages étirés tout au long de la Seine ? C’est à Rilly que Savinien, premier apôtre du christianisme dans le diocèse, persécuté, chercha refuge.

 Vers la fin du XIe siècle, saint Aderald chanoine et archidiacre de Troyes, apporte de son voyage de la Terre Sainte, un morceau de pierre du sépulcre de Jésus-Christ. Il fait bâtir à Samblières un monastère de l'ordre de Cluny, où il dépose cette pierre, et auquel il donne le nom de Saint-Sépulcre, qui devient dès lors celui du village, les seigneurs s'intitulant châtelains du Saint-Sépulcre.

Autres saints de l’Aube :

 Aventin, Baussange, Bernard de Clairvaux, Pierre de Celle, Bienheureuse Emeline, Fiacre, Frobert, Germaine, Hélène Hoïlde, Jean de Troyes, Jule, Mathie, Maure, Mesmin, Parre, Robert, Savinien, Tanche, Urvain IV, Winebaud, et plus récemment, Marguerite Bourgeois et le R.P. Brisson.

 Autres villages de l’Aube portant un nom de saint :

 St-Aubin, St-Benoist-sur-Vanne, St-Christophe Dodinicourt, St-Etienne-sous-Barbuise, St-Flavy, St-Germain, St-Hilaire-sous-Romilly, St-Jean-de-Bonneval, St-Léger-près-Troyes, St-Léger-sous-Brienne, St-Léger-sous-Margerie, St-Loup-de-Buffigny, St-Lupien, St-Lyé, St-Mards-en-Othe, St-Martin-de-Bossenay, St-Mesmin, St-Nabord-sur-Aube, St-Nicolas-la-Chapelle, St-Oulph, St-Parres-les-Vaudes, St-Phal, St-Pouange, St-Remy-sous-Barbuise, St-Thibault, St-Usage, Ste-Maure, Dierrey-St-Julien, Dierrey-St-Pierre, Mesnil-St-Loup, Mesnil-St-Père, Mesnil-Sellière, Orvilliers-St-Julien, Le-Pavillon-Ste-Julie, Plaine-St-Lange, Précy-Notre-Dame, Précy-St-Martin, Rouilly-St-Loup, Vallant-St-Georges.

 Ajoutons les hameaux :

 St-Aventin (Verrières), St-Denis (St-Christophe), St-Didier (Dosnon), St-Eloy (La Loge-Pomblin), St-Georges-le-Petit (Vallant-St-Georges), St-Lange (Plaines), St-Liébault (Estissac), St-Martin (St-Remy-sous-Barbuise), St-Martin-les-Daudes (Verrières), St-Nicolas (Rosany), St-Tribure ((Fuligny), St-Vinebaud (St-Martin-de-Bossenay), Ste-Suzanne (Poivres), Ste-Syre (Rilly-Ste-Syre), Ste-Thuise (Dommartin-le-Coq), Baires-St-Parres (St-Parres-au-Tertre), Braux-St-Père (Braux), Bréviandes-St-Léger (St-Léger), Croix-St-Jacques (St-Mards-en-Othe), Grand-St-Georges (Vallant-St-Georges), Mesnil-St-Georges (Ervy-le-Châtel), Moline-St-Julien (St-Julien), Notre-Dame-d’Ormont (Arrembécourt), Notre-Dame-du-Chêne (Crespy), Petit-St-Julien (St-Julien), Petit-St-Georges (Vallant-St-Georges), Petit-St-Mesmin (Fontaine-les-Grés).

 Pour terminer, n’oublions pas les fermes :

 de St-Bouin (St-Mards), St-Etienne (Vallentigny), St-Gabriel (Vendeuvre), St-Georges (Vallant), St-Jacques (Jully-sur-Sarce), St-Joseph (Chaource), St-Joseph (Thill), St-Joseph-des-Champs (Vougrey), St-Lucine (Rhèges), St-Martin (Ailleville), St-Montiéramey), St-Parres (St-Nicolas), St-Victor (Soulaines), St-Victor (Mesnil-St-Père), St-Victor (Braux), St-Victor (Plancy), Ste-Catherine (Thennelières), Ste-Elisaberh (Bragelogne), Ste-Eulalie (Rosières), Ste-Germaine (Bar-sur-Aube), Ste-Marie (Pouy), Ste-Scholastique (Rosières), Ste-Suzanne (Mailly).

Je reconnais que je ne pensais pas que notre petit département de l’Aube était un de ceux qui comportaient le plus de saints : 31, et tant de villes, villages ou fermes portant un nom de Saint : 106 ! !   

Peut-on encore dire « Repaires de parpaillots, gens sans foi dans l’Aube ? ». Non, nos villages ont une vie, ils ont une âme.   

 

*PARPAILLOT

 Le terme “parpaillot” est un mot anciennement utilisé de manière péjorative pour désigner un protestant. Il trouve son origine dans le mot occitan “parpalhòu” qui signifie "papillon". Ce terme était utilisé pour railler l’infidélité des protestants, butinant d’église en église et peut être comparée au vol des papillons de fleur en fleur. Peut-être du fait qu’ils subissaient le bûcher, comme un papillon de nuit vient se brûler aux flammes d’un feu

Attesté chez Rabelais en 1535 au sens de papillon.

Une hypothèse s’appuie sur la décapitation en 1562 de Jean-Perrin Parpaille, chef protestant.

Aujourd’hui, il est rarement utilisé et peut aussi désigner quelqu’un qui ne pratique pas sa religion ou qui n’a pas de religion.

quelques exemples dans la littérature :  

 Ces misérables parpaillots, si on veut les noyer, il faudra les jeter à l’eau comme les chats, avant qu’ils ne voient clair. — (Alexandre Dumas, La Reine Margot, 1845, volume I, chapitre IX)

Le débat qui se poursuit aujourd’hui n’est donc qu’une nouvelle face du grand débat qui a abouti à la Saint-Barthélemy. Si Lorraine règne, messieurs, malheur aux parpaillots maudits, convertis ou non ! — (Michel Zévaco, Le Capitan, 1906, Arthème Fayard, collection « Le Livre populaire » no 31, 1907)

 En écoutant ces récits, ma grand-mère faisait semblant de s’indigner, elle appelait son mari « mécréant » et « parpaillot », elle lui donnait des tapes sur les doigts. — (Jean-Paul Sartre, Les mots, 1964, collection Folio, page 87)

(Par extension) Celui qui ne pratique pas sa religion ou qui n’a pas de religion.

 Soir et matin, la sœur disait la prière, et mon soldat quoique parpaillot, levait sa calotte, observait une attitude respectueuse pour ne choquer personne. — (Georges Clémenceau, Au fil des jours, 1900, cité dans Clémenceau - l’irréductible républicain, collection: Ils ont fait la France, éditions Garnier, 2011, page 301)

 L’indifférence en matière de foi était devenue de règle, car d’hostilité on n’en sentait point trop encore ; à peine sourdait-elle, peut-être, dans quelques propos sacrilèges que les mauvaises langues : francs-maçons, libres-penseurs, anarchistes, parpaillots, ennemis déclarés de Dieu et de ses ministres, brebis galeuses fort rares heureusement dans son troupeau, s’essayaient malicieusement dans l’ombre à propager. — (Louis Pergaud, Le Sermon difficile, dans Les Rustiques, nouvelles villageoises, 1921)

 Il perçoit fort bien, dans cette espèce de Tibet qu’est alors l’Italie, les tares, d’ailleurs fort peu cachées, des prêtres ; le monsignore qui s’offre un jour maigre « un repas de parpaillot » l’offusque ; il a peut-être constaté aussi d’autres licences plus sérieuses. — (Marguerite Yourcenar, Archives du Nord, Gallimard, 1977, page 140)

 




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