Parpaillots,
gens sans foi dans l’Aube ?
«
Parpaillots*, gens sans foi dans
l’Aube » lit-on dans « Problèmes missionnaires de la France rurale » publié en
1945, par le chanoine Boulard, sociologue, Curé d’une paroisse rurale, puis
aumônier de la JAC (Jeunesse agricole chrétienne). M. le chanoine ne devait pas bien connaître
notre département !
Ce que nous savons d’une façon certaine et
irréfutable, par le langage des pierres et les connaissances des lieux-dits,
c’est qu’il y a peu de contrées qui ont été aussi pénétrées par l’influence
chrétienne dès le Bas-Empire, influence singulièrement fortifiée au cours du
Moyen Age ! Un seul exemple : regardons
sur une carte si l’Aube, particulièrement la vallée de la Seine est chrétienne.
De Troyes, en direction de Méry-sur-Seine, sur
un parcours de moins de 28 km, se succèdent :
Pont-Sainte-Marie,
Sainte-Maure, Saint-Benoît, Rilly-Sainte-Syre, Droupt-Saint-Basle,
Droupt-Sainte-Marie, soit 6 communes sur 13 dédiées à un Saint ou à une Sainte.
La rive gauche de la Seine est aussi
sanctifiée, puisque sur 8 villages, 6 portent le nom d’un Saint ou d’une
Sainte. Très serrées autour de la ville de Troyes apparaissent les communes de :
Saint-Parres-aux-Tertres, Saint-Julien, Saint-André, Sainte-Savine, La Chapelle-Saint-Luc,
Barberey-Saint-Sulpice.
Un seul territoire neutre autour de la
capitale des Tricasses : Les Noës
Ainsi, l’encerclement spirituel a survécu aux
sièges, aux démolitions, aux changements de régime. Les remparts et les portes fortifiées ont été
rasés, mais l’esprit demeure et continue à planer sur les lieux. La meilleure
preuve, si tous ces villages, au cours de la Révolution furent privés de leur
titre séculaire, lorsque la tourmente fut passée, la voix populaire remit en
bonne place tous les Saints :
Rilly-la-Raison se rend à Sainte-Syre,
Mont-Bel-Air se redonne à Sainte-Maure, Thury redevient Saint-Benoît-sur Seine.
Consultons un livre vieux de près de 200 ans :
« Les Saints du Diocèse de Troyes et Histoire de leur culte ».
Que peut-on y apprendre au sujet de nos
villages étirés tout au long de la Seine ? C’est à Rilly que Savinien, premier apôtre du
christianisme dans le diocèse, persécuté, chercha refuge.
Vers
la fin du XIe siècle, saint Aderald
chanoine et archidiacre de Troyes, apporte de son voyage de la Terre Sainte, un
morceau de pierre du sépulcre de Jésus-Christ. Il fait bâtir à Samblières un
monastère de l'ordre de Cluny, où il dépose cette pierre, et auquel il donne le
nom de Saint-Sépulcre, qui devient dès lors celui du village, les seigneurs
s'intitulant châtelains du Saint-Sépulcre.
Autres
saints de l’Aube :
Aventin,
Baussange, Bernard de Clairvaux, Pierre de Celle, Bienheureuse Emeline, Fiacre,
Frobert, Germaine, Hélène Hoïlde, Jean de Troyes, Jule, Mathie, Maure, Mesmin,
Parre, Robert, Savinien, Tanche, Urvain IV, Winebaud, et plus récemment,
Marguerite Bourgeois et le R.P. Brisson.
Autres
villages de l’Aube portant un nom de saint :
St-Aubin,
St-Benoist-sur-Vanne, St-Christophe Dodinicourt, St-Etienne-sous-Barbuise,
St-Flavy, St-Germain, St-Hilaire-sous-Romilly, St-Jean-de-Bonneval,
St-Léger-près-Troyes, St-Léger-sous-Brienne, St-Léger-sous-Margerie,
St-Loup-de-Buffigny, St-Lupien, St-Lyé, St-Mards-en-Othe,
St-Martin-de-Bossenay, St-Mesmin, St-Nabord-sur-Aube, St-Nicolas-la-Chapelle,
St-Oulph, St-Parres-les-Vaudes, St-Phal, St-Pouange, St-Remy-sous-Barbuise,
St-Thibault, St-Usage, Ste-Maure, Dierrey-St-Julien, Dierrey-St-Pierre,
Mesnil-St-Loup, Mesnil-St-Père, Mesnil-Sellière, Orvilliers-St-Julien, Le-Pavillon-Ste-Julie,
Plaine-St-Lange, Précy-Notre-Dame, Précy-St-Martin, Rouilly-St-Loup,
Vallant-St-Georges.
Ajoutons
les hameaux :
St-Aventin
(Verrières), St-Denis (St-Christophe), St-Didier (Dosnon), St-Eloy (La
Loge-Pomblin), St-Georges-le-Petit (Vallant-St-Georges), St-Lange (Plaines),
St-Liébault (Estissac), St-Martin (St-Remy-sous-Barbuise), St-Martin-les-Daudes
(Verrières), St-Nicolas (Rosany), St-Tribure ((Fuligny), St-Vinebaud
(St-Martin-de-Bossenay), Ste-Suzanne (Poivres), Ste-Syre (Rilly-Ste-Syre),
Ste-Thuise (Dommartin-le-Coq), Baires-St-Parres (St-Parres-au-Tertre),
Braux-St-Père (Braux), Bréviandes-St-Léger (St-Léger), Croix-St-Jacques
(St-Mards-en-Othe), Grand-St-Georges (Vallant-St-Georges), Mesnil-St-Georges
(Ervy-le-Châtel), Moline-St-Julien (St-Julien), Notre-Dame-d’Ormont
(Arrembécourt), Notre-Dame-du-Chêne (Crespy), Petit-St-Julien (St-Julien),
Petit-St-Georges (Vallant-St-Georges), Petit-St-Mesmin (Fontaine-les-Grés).
Pour terminer, n’oublions pas les fermes :
de
St-Bouin (St-Mards), St-Etienne (Vallentigny), St-Gabriel (Vendeuvre),
St-Georges (Vallant), St-Jacques (Jully-sur-Sarce), St-Joseph (Chaource),
St-Joseph (Thill), St-Joseph-des-Champs (Vougrey), St-Lucine (Rhèges),
St-Martin (Ailleville), St-Montiéramey), St-Parres (St-Nicolas), St-Victor
(Soulaines), St-Victor (Mesnil-St-Père), St-Victor (Braux), St-Victor (Plancy),
Ste-Catherine (Thennelières), Ste-Elisaberh (Bragelogne), Ste-Eulalie
(Rosières), Ste-Germaine (Bar-sur-Aube), Ste-Marie (Pouy), Ste-Scholastique
(Rosières), Ste-Suzanne (Mailly).
Je
reconnais que je ne pensais pas que notre petit département de l’Aube était un
de ceux qui comportaient le plus de saints : 31, et tant de villes, villages ou
fermes portant un nom de Saint : 106 ! !
Peut-on encore dire « Repaires de parpaillots,
gens sans foi dans l’Aube ? ». Non, nos villages ont une vie, ils ont une
âme.
*PARPAILLOT
Le
terme “parpaillot” est un mot anciennement utilisé de manière péjorative pour
désigner un protestant. Il trouve son origine dans le mot occitan “parpalhòu”
qui signifie "papillon". Ce terme était utilisé pour railler l’infidélité
des protestants, butinant d’église en église et peut être comparée au vol des
papillons de fleur en fleur. Peut-être du fait qu’ils
subissaient le bûcher, comme un papillon de nuit vient se brûler aux flammes
d’un feu
Attesté
chez Rabelais en 1535 au sens de papillon.
Une
hypothèse s’appuie sur la décapitation en 1562 de Jean-Perrin Parpaille, chef
protestant.
Aujourd’hui,
il est rarement utilisé et peut aussi désigner quelqu’un qui ne pratique pas sa
religion ou qui n’a pas de religion.
quelques exemples dans la littérature :
Ces
misérables parpaillots, si on veut les noyer, il faudra les jeter à l’eau comme
les chats, avant qu’ils ne voient clair. — (Alexandre Dumas, La Reine Margot,
1845, volume I, chapitre IX)
Le
débat qui se poursuit aujourd’hui n’est donc qu’une nouvelle face du grand
débat qui a abouti à la Saint-Barthélemy. Si Lorraine règne, messieurs, malheur
aux parpaillots maudits, convertis ou non ! — (Michel Zévaco, Le Capitan, 1906,
Arthème Fayard, collection « Le Livre populaire » no 31, 1907)
En
écoutant ces récits, ma grand-mère faisait semblant de s’indigner, elle
appelait son mari « mécréant » et « parpaillot », elle lui donnait des tapes
sur les doigts. — (Jean-Paul Sartre, Les mots, 1964, collection Folio, page 87)
(Par extension) Celui qui ne pratique pas sa
religion ou qui n’a pas de religion.
Soir
et matin, la sœur disait la prière, et mon soldat quoique parpaillot, levait sa
calotte, observait une attitude respectueuse pour ne choquer personne. —
(Georges Clémenceau, Au fil des jours, 1900, cité dans Clémenceau -
l’irréductible républicain, collection: Ils ont fait la France, éditions
Garnier, 2011, page 301)
L’indifférence
en matière de foi était devenue de règle, car d’hostilité on n’en sentait point
trop encore ; à peine sourdait-elle, peut-être, dans quelques propos sacrilèges
que les mauvaises langues : francs-maçons, libres-penseurs, anarchistes,
parpaillots, ennemis déclarés de Dieu et de ses ministres, brebis galeuses fort
rares heureusement dans son troupeau, s’essayaient malicieusement dans l’ombre
à propager. — (Louis Pergaud, Le Sermon difficile, dans Les Rustiques,
nouvelles villageoises, 1921)
Il
perçoit fort bien, dans cette espèce de Tibet qu’est alors l’Italie, les tares,
d’ailleurs fort peu cachées, des prêtres ; le monsignore qui s’offre un jour
maigre « un repas de parpaillot » l’offusque ; il a peut-être constaté aussi
d’autres licences plus sérieuses. — (Marguerite Yourcenar, Archives du Nord,
Gallimard, 1977, page 140)
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