Elle désire montrer à ses sujets le jeune monarque
Charles IX, alors âgé de quatorze ans (venant donc d’atteindre sa majorité),
accompagné de son frère, le duc d’Orléans, le futur Henri III, âgé de treize
ans, et de sa sœur, la future reine Margot, qui a onze ans.
La cour arrive à Troyes, le 23 mars 1564.
Le corps constitué et les habitants vont au-devant
du roi.
Selon un déguisement fort à la mode à l’époque, font
partie du cortège, un grand nombre " de sauvages bien accoutrés ",
les uns montés sur des ânes, les autres sur des boucs et sur des chèvres. Ils
sont armés de flèches et de massues. Ensuite, vient une troupe de satyres armés
d’arcs, de flèches, de casse-têtes, d’où pendent de petites boules garnies de
pointes. Vient ensuite une compagnie richement vêtue de bourgeois et marchands
portant la livrée du roi, puis le maire, les échevins et les conseillers,
portant des robes de damas de soie mi-rouge, mi-bleue. Ils se mettent à genou,
le maire présente au roi les clefs de la ville, et fait une harangue à laquelle
le roi répond, puis ils remontent à cheval.
Chaque porte de la ville est décorée de groupes
représentant Charlemagne, Minerve, la Victoire… avec des vers disant que les
vertus du roi n’étaient pas moindres que celles du grand empereur.
La ville offre à la reine un présent de linge fin, à
tous, les vins de la ville. Le présent fait au roi est un vase d’argent orné de
figures, pesant 35 marcs, avec orfèvrerie et ciselure.
L’acte politique le plus important réalisé pendant
ce séjour, est le traité passé entre le roi de France et la reine d’Angleterre.
La cour suit scrupuleusement les règles du carême :
le roi, la veille des Rameaux, touche des scrofuleux, et, le jeudi saint,
Charles IX et sa mère lavent les pieds de treize jeunes garçons et de treize
jeunes filles pauvres.
Pour fêter ce deuxième traité de Troyes, de paix
avec l’Angleterre, qui met fin à la longue querelle entre les deux pays, en
rendant Calais et Le Havre à la France, des réjouissances sont organisées dans
les jardins du palais des Comtes.
Une jeune fille, debout sur un char de triomphe,
remet une bague au roi, tout en récitant un quatrain de Jean Passerat, il y a
des joutes, un carrousel, une course dans le cloître Saint-Etienne, un feu
d’artifice...
Un historien contemporain signale que " Charles IX regarde dans le jardin de l’Evêché... les jeunes filles peu vêtues ".
Un autre déclare " qu’on voulut égayer le roi
par un dernier spectacle. On le conduisit dans un jardin voisin de l’Evêché, où
de jeunes personnes d’une grande beauté et entièrement nues, exécutaient des
danses ! ".
Enfin, un troisième relate d’abord le séjour royal à
Troyes, et signale qu’après Pâques "il ne fut plus question en cour que de
jeux, festins, ébats et passe-temps, avec feux de joie, qui ont suivi la
proclamation de la paix entre sa majesté et celle d’Elisabeth reine d’Angleterre...
Depuis l’arrivée de la cour, la ville de Troyes se trouva grièvement affligée
de peste... dont la reine mère fut bien avertie... Si est-ce que tout en un
instant, elle résolut, contre l’opinion de la plupart des courtisans, de faire
partir la cour. Etant le roi sur son départ, et déjà tout botté, on lui fit
voir en un certain jardin de la maison épiscopale qui était proche d’icelle,
une troupe de femmes, aussi peu honnêtes, que celles qui publiquement font
marchandise de leur corps, pensionnaires des prêtres et chanoines, lesquelles
d’une impudence et façon effrontée, familières à telles gens, chantaient des
chansons vilaines et impudiques, sautaient et jouaient à la pet en gueule, se
culbutant l’une l’autre, et découvrant parfois, en ce faisant, leur vergogne,
devant les yeux de sa majesté, qui était assisté d’un côté du Cardinal Charles
de Bourbon, et de l’autre de celui de Guise (Louis). Et après avoir repu les
yeux de la tendre jeunesse du roi de cette effrontée et impudique contenance,
la reine sa mère le fit monter à cheval, le dimanche seizième jour d’avril...
"
Le jeu de pet-en-gueule, très en honneur vers la fin
du XVI° siècle, " consiste simplement à faire une sorte de roue animée
formée par l’entrelacement de deux joueurs. Il est plus badin que violent
lorsque l’on a les reins souples, et s’il y a quelque chose à craindre pour les
joueurs, c’est quelque mauvais vent, dont il est difficile de se garantir
..."
Au moment du départ de la cour de Troyes, " la
reine mère laissa à sa partance les mesures des hauteurs du roi, de Monsieur
son frère, et de Madame Marguerite sa sœur, engravées en la jambe d’une
cheminée de l’une des chambres de la maison épiscopale, avec cette inscription
: Charles neuvième, Alexandre (Henri), duc d’Orléans, Marguerite, fille du roi
Henry second et sœur du roi Charles neuvième, furent mesurés par leur mère, à
son appartement de cette ville, après avoir fait la paix avec l’Anglais, et mis
le royaume en repos ".
Dépenses
du roi Charles IX à Troyes
Je vous reproduis ci-dessous, textuellement, l’état
des dépenses faites par Charles IX, le 8 avril 1564, lors de son séjour à
Troyes, retrouvé sur un parchemin scellé et signé par le maître d’hôtel du roi,
Ce récit est d’un certain intérêt, il nous fournit,
d’abord, le détail du menu de la table royale un jour maigre, et nous permet
ensuite de pouvoir comparer approximativement la valeur des objets de
consommation de l’année 1564, avec ceux de 1859 (que nous avons par ailleurs).
A l’exception cependant du pain et du vin, dont le poids de l’un et la mesure
de l’autre ne sont pas indiqués. On verra que, pour un roi de France, la somme
de 13 f 92 de vin est on ne peut plus modeste, et encore il est supposable que
sa majesté avait une nombreuse compagnie à sa table, témoins les 14 douzaines
de pains qui sont affectés à la table royale.
Par contre, le personnel qui accompagne le roi
consomme pour 265 f de vin, somme assez ronde pour une seule journée. Du reste,
un personnel qui consomme pour 73 f 94 de pain et 265 f de vin, doit être nombreux,
car admettant que chaque personne ait absorbé 1 kg de pain, en le mettant en
rapport avec la valeur des autres objets de consommation, nous pourrions
admettre que 150 personnes au moins accompagnaient le roi.
Le pain était une des denrées alimentaires la moins
chère : les 28 douzaines + 8 pains qui figurent sur l’état, montrent que chaque
pain était de 2 livres et aurait coûté environ 22 c le kg. Le pain royal
revient à 37 c la douzaine. La table royale ne se compose que de poissons, mais
de 9 sortes. Le poisson de mer n’est pas plus cher que celui d’eau douce, ce
qui est surprenant, car à cette époque, l’éloignement, le manque de moyens de
communications, devaient le rendre rare et cher. Comparativement, le poisson
d’eau douce est d’un prix très élevé, et cela dans un pays très poissonneux. A
cette époque, le poisson, le sel et le vin étaient du nombre des denrées les
plus chères, cependant, la truite de la Laigne, celle de la Haute-Seine,
étaient en très grande réputation. 20 années plus tard, nous voyons Henri IV
savourer les pâtés de truites qu’il arrosait de ce bon petit vin d’Avirey que
lui envoyait le maréchal de Praslin, et qu’il aimait tant. La côte du Val des
Riceys, près d’Aviray, fournissait un vin très renommé, qui a figuré longtemps
sur les tables royales.
Si de la table royale, nous passons à celle du
commun, nous y trouvons 1 brochet à un prix supérieur à celui acheté pour le
roi. Chose remarquable, le poisson destiné à la table de Charles IX est
infiniment meilleur marché que celui du commun. Le beurre est d’un prix fort
élevé, les œufs, les chandelles sont les prix du marché. Un arrêt du Parlement
de 1565 fixe à 3 sous tournois la livre de chandelle faite avec du suif de
bœuf, à 3 s 6 d celle qui était faite avec du suif de mouton. Or, le premier
revenait à 4 f 54 et le second à 4 f 79. Les prix avaient sensiblement changé
dans l’espace d’une année. Le boucher vendait les jours maigres, un certain
poisson blanc, du beurre et des œufs, comme le fruitier vendait de la cire
blanche et jaune, qui servait pour l’éclairage.
En général, tous les objets de consommation
détaillés dans cet état de dépenses sont d’un prix aussi élevé que ceux de 300
ans plus tard ! La somme de 154 livres 6 sous 11 deniers, dépensée par le roi
et sa suite, formerait un total de 4.567 f 40 de la monnaie 300 ans plus tard,
chiffre peu élevé pour la journée d’un roi en voyage et accompagné de plus de
100 personnes.
Vous trouverez ci-dessous cet état des dépenses,
avec en regard, la valeur approximative de la monnaie de 1859.
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