Les Troyens connaissent Louis XI, pour l’avoir vu,
du temps qu’il n’était que dauphin, séjourner à Troyes avant et après son
expédition en Suisse. Mais ils ne savent pas tout ce qu’il y a de malice et
d’astuce, de perfidie, de science et même de génie en lui. Assurément, Louis XI
a mieux jugé les Troyens qu’ils ne l’avaient jugé lui-même. D’un seul coup
d’œil, il a découvert des gens sensés, laborieux, dévoués à l’autorité royale,
braves au besoin. Il devine, en outre, qu’ils ont de l’argent dans leur bourse,
ce qui ne gâte jamais rien aux yeux des rois, et il se permit de faire plus
ample connaissance avec eux et avec leur argent !
Devenu roi, Louis XI qui pressent une guerre prochaine
avec le puissant duc de Bourgogne, et ne néglige rien pour s’attacher cette
brave population troyenne, si voisine des états de son ennemi. Il sait si bien
flatter les gens dont il a besoin ! Lors de la fameuse « Ligue du Bien public
», Louis XI n’est avare ni de ses promesses, ni de sa prose, pour se faire des
amis des Troyens. Ce sont des lettres à « ses chers et bien aimés habitants de
sa bonne ville de Troyes », dans lesquelles il les informe de ses faits et
gestes durant la guerre, les assure de son amitié et de sa confiance, leur
recommande bonne garde et bon espoir, les remercie avec effusion de leurs
loyaux services… Jamais la France n’eut un roi aussi « épistolacier ». On
s’explique qu’il soit devenu l’inventeur de la poste aux lettres (les postes
telles que les a organisées Louis XI,
sont réservées au service du roi. Ce n’est que sous Louis XIII que
l’on permet aux courriers royaux de se charger des lettres des particuliers).
Tant qu’il a peur de Philippe le Bon ou de
Charles-le-Téméraire, le roi a à cœur de bien traiter les Troyens. En 1465, il
fait leur évêque Louis Raguier, président de la cour des Aides, en 1466, il le
nomme son ambassadeur auprès de la commune de Liège. En 1468, il déclare aux
Troyens qu’il a été forcé par le traité de Péronne, de céder la Champagne à son
frère Charles, mais, que ne voulant pas se séparer d’aussi bons sujets, il est
parvenu à lui faire accepter la Guyenne.
En 1470, il accorde aux habitants de la bonne ville
de Troyes « la faculté de jouir et d’user perpétuellement d’échevinage », les
remercie de leur attachement à sa personne et les prie « de continuer à
s’employer libéralement à son service » et leur promet « d’avoir leurs affaires
de plus en plus bonne considération ». En 1474, les préparatifs d’une guerre
contre la Bourgogne provoquent la levée de la noblesse de Champagne. Le sire de
Châtillon (sur ordre du roi) déclare que tout se bornera à une revue et que la
noblesse ne quittera pas le pays. La guerre se fait en Bourgogne, le sire de
Châtillon écrit lui aussi lettres sur lettres aux Troyens, pour les informer de
ses marches et contre-marches à travers le pays ennemi. Les bourgeois sensibles
à de telles gracieusetés, lui accordent, sans murmurer, les subsides qu’il
demande.
En 1474, le duc de Bourgogne se fait battre, Louis XI, qui n’a plus
peur de lui, change de ton avec les Troyens. Un jour, pour leur faire bien
constater qu’il est le maître, il révoque la charte d’échevinage et fait
remettre l’administration de la cité à une commission spéciale où il ne compte
que des gens dont il est sûr. Mais il n’ose pas en venir à une rupture ouverte
: Charles-le-Téméraire vit encore ! Le coup de griffe donné, il fait patte de
velours. Dans une lettre, il assure les troyens « qu’il les tient et répute ses
bons et loyaux sujets et qu’il les traitera aussi bien ou mieux que sujets de
son royaume ». Ceux-ci ne le croient pas, et le roi écrit : « J’ai été averti
que aucun ont donné à entendre à ceux de ma bonne ville, que j’ai imagination
sur eux autre que bonne… je vous ai chargés de leur déclarer le contraire…».
Par mesure de sûreté le roi fait faire le recensement
des armes possédées par chacun des habitants, à leur domicile. Ces armes
viennent s’ajouter à celles que la ville conserve dans son arsenal. La
précaution est inutile, les Troyens sont dévoués à la cause de la monarchie.
Lorsque Louis XI se trouve de nouveau aux prises avec le duc de Bourgogne en
1474, ils se signalent par la prise de Bar-sur-Seine.
En 1476, Charles-le-Téméraire est battu, et en 1477
il est tué devant Nancy. Alors, le roi qui, jadis avait osé demander à Troyes
de fortes sommes à titre d’emprunt (en 1471, 1.500 écus d’or), ne se gêne plus,
pour en exiger impérieusement des aides de toute nature : les Troyens ne
cessent de payer d’énormes subsides, en argent, blé, vin, avoine, bœufs,
moutons, bandes de lard, fromages, canons, salpêtre…Louis XI n’est pas encore
satisfait. Il envoie 2.000 soldats suisses tenir compagnie aux Troyens en 1480,
violant un des privilèges de la ville, passé avec Charles VII en 1429, ne
devant pas recevoir de garnison.
En 1479,
Arras ayant osé le braver, le roi rase les murs de la ville, et expulse ses
habitants en masse. Pour la repeupler, il ordonne aux bonnes villes de son
royaume d’y envoyer un nombre déterminé de bourgeois et d’artisans. Le
contingent de Troyes est fixé à 100 « ménagers ». Ils partent traînant derrière
eux leurs meubles et leurs instruments de travail. A peine installés, ces
malheureux qui s’étaient mis en marche avec plus de belles promesses que
d’écus, éprouvent toutes les horreurs de la misère. Faute de travail, ils
vendent leurs meubles pour avoir du pain. La peste suit la famine. La moitié
des colons s’enfuient pour échapper à la mort. Louis XI, furieux de voir
échouer ses plans de colonisation, exige de nouveaux sacrifices d’hommes et
d’argent. Nous voyons nos compatriotes périr les uns après les autres, sans
pouvoir rien faire pour les sauver.
Sur les derniers jours de sa vie, en 1481, le roi
délivre aux Troyens une nouvelle charte d’échevinage, et prescrit la rédaction
des diverses coutumes de France. Celle de Troyes est discutée, rédigée et
imprimée presque aussitôt. La principale originalité de la coutume de Troyes
réside dans son article 1er : la noblesse est maternelle, c’est-à-dire qu’une
fille noble épousant un roturier, les enfants sont nobles, contrairement à la
législation française. C’est ainsi que c’est sous ce régime dur et répressif
que notre ville entre, pour la première fois, en possession régulière de ses
libertés municipales, et qu’elle voit s’introduire chez elle l’imprimerie.
Louis XI désire stimuler l’activité économique. Il
projette de créer une société pour le commerce dans les murs du Levant. De
notables bourgeois, représentant la ville de Troyes, sont convoqués à Tours 50
jours durant. Ils délibèrent, mais ne croient pas possible de voguer dans le
sillage de Jacques Cœur. Par contre, se souvenant de l’antique prospérité des
Foires de Troyes, Jean de Mauroy et Jean Hennequin demandent leur
rétablissement, au moyen d’un abaissement des droits sur la circulation des
marchandises et d’une sérieuse propagande en Italie.
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