Il ne reste plus rien de la collégiale Saint-Étienne
à Troyes puisqu’elle disparait en 1799. C'est l'un des premiers édifices
gothiques en Champagne qui se situait dans le quartier appelé « le
Cloître-Saint-Étienne » : amorcée à angle droit au palais, dont l'emplacement
est aujourd'hui occupé par le bassin du canal, elle s'allongeait jusqu'environ
le milieu de l'actuel jardin du Préau.
Le Chapitre Saint-Etienne a été fondé en 1157 par le
Comte Henri le Libéral, auprès de son palais, pour lui servir de chapelle :
l'église communiquait directement avec les appartements du palais comtal, par
une tribune placée à l'entrée de la nef, et d’où il se plaisait à suivre les
offices. Il l’appelait « Notre chapelle ». Elle est alors comptée comme
paroisse, pour le Comte et ses familiers. A la prière du comte de Champagne,
l’église de Saint-Etienne avait été déclarée par les papes, entièrement exempte
de la juridiction de l’évêque, et devait jouir de tous les privilèges attachés
aux saintes chapelles des rois qui sont desservies par leur chapelains.
L’évêque ne pouvait interdire cette église, ni prononcer aucune censure, soit
d’excommunication, soit de suspense ou d’interdit contre les clercs.
Mais, ce privilège ne dura pas longtemps. Le roi,
l’archevêque de Sens Guillaume aux-Blanches-Mains et les autres évêques de la
province, représentèrent au Pape Alexandre III, qu’une exemption de cette
nature troublait la paix de l’épiscopat, occasionnait du désordre tant dans le
clergé que dans le peuple, du mépris pour la justice ecclésiastique, et faisait
craindre pour la dignité épiscopale qui « en souffrait un dommage considérable
». En conséquence, le souverain pontife révoqua, annula ce privilège et remit
l’église de Saint-Etienne sous la juridiction et obéissance de l’évêque. La
bulle de révocation est datée de Tusculum le 15 juin (pas d’année).
L’église s’éleva sur l’emplacement d’une ancienne
chapelle dédiée à Saint-André, vocable qui, à titre de paroisse, fut conservé à
la collégiale, qui était desservie par deux chapelains. Elle était de grandes
dimensions (75 m. sur 29), avec une nef accompagnée de deux collatéraux.
Si le comte Henri le Libéral dota amplement certains
établissements religieux, il n’en est aucun qui reçut de lui plus de preuves de
son affection et de sa générosité que la collégiale Saint-Etienne, qui demeura
à Troyes, un monument de sa piété et de sa libéralité sans bornes. Il disposait
de toutes les prébendes de Saint-Etienne. Il l'enrichit de privilèges, droits,
revenus, terres, et aussi de reliques, objets d'orfèvrerie, ivoires...
Saint-Etienne profite également du succès des foires
de Champagne : à Troyes, le chapitre perçoit ainsi le tonlieu des draps teints,
de la cire, des droits sur la vente du sel. Henri donne au chapitre le cloître
libre, les moulins qu’il possède près des étuves et ceux qui sont situés près
de son château neuf (de la Tour), la pêche et le cours d’eau depuis la « villa
» Sancey jusqu’au moulin de Saint-Quentin, la moitié du produit de deux fours,
« la liberté » d’un grand nombre de maisons, de boutiques et d’étaux répandus
dans la ville de Troyes, des droits sur les foires, le revenu de menues denrées
et de toute la cire qui se vend à Troyes, le péage de la porte des Oursiers ou
de l’Evêque, les marchés des vicomtes et de Saint-Pierre, la foire du clos
libre, la moitié du « freste » des maisons du clos, la première mesure de sel,
le douzième de chaque attelage de quatre chevaux amenant du sel depuis la
Saint-André jusqu’à la Purification, des rentes sur le clos et la justice des
maisons situées dans ce clos, hors la porte de Cronsels, l’entrée en ville des muids
de vins, tout ce que le comte possède à Pont-Sainte-Marie, à Sainte-Maure, à
Saint-Benoit, et tous les hommes qui lui appartiennent depuis le
Pont-Sainte-Marie jusqu’à Saint-Sépulcre (Villacerf), tout ce qu’il a à Panay,
Ruvigny, Belley, Thennelières, Champigny, Laubressel et Rouilly, deux hommes et
leurs familles qui habitent Baires… tous les aubins qu’il possède à Troyes…
Lors de sa mort, en 1181, le comte Henri donne à
l’église de Saint-Etienne, deux serfs et une serve de Pont-sur-Seine et les
aubins de cette ville. Les chanoines de la collégiale sont aussi en possession
du singulier privilège que leur a accordé le comte Henri-le-Libéral, d’être les
seuls qui, à Troyes, peuvent tenir ou faire tenir des étuves ouvertes au
public, maisons d’une réputation forte équivoque au moyen-âge. Le comte est
enterré dans le chœur de la collégiale Saint-Etienne, où Marie de France, sa
veuve, lui fit élever un magnifique tombeau en bronze.
Le 23 juillet 1188, la ville de Troyes est en grande partie détruite par un violent incendie. La collégiale Saint-Etienne, nouvellement édifiée est la proie des flammes. Les riches ornements servant au culte, les vases d’or et d’argent provenant des dons du comte Henri ne peuvent être sauvés. Enfin, après avoir été longtemps sous les ruines, elle fut rebâtie et couverte en partie de plomb. En 1201, Thibault III, comme son père, est enterré dans le chœur de la collégiale Saint-Etienne.
La richesse du chapitre permit aux comtes de
l'utiliser à leur gré. Ainsi, le 15 mai 1223, Thibaud IV reconnaît avoir reçu
de Saint-Etienne « la table d'or » ou devant d'autel, ornée de pierres
précieuses et d'émaux et une grande croix d'or, pour servir de gage à un
emprunt contracté auprès de l'abbaye de Saint-Denis.
La
collégiale Saint-Étienne devient royale à la fin du XIIIe siècle.
En 1322, après son divorce avec Blanche de
Bourgogne, Charles-le-bel vint épouser à Troyes, en l’église Saint-Etienne,
Marie de Luxembourg, fille de l’empereur Henri VII et de Marguerite de Brabant « avec
la plus grande magnificence ».
En 1360, le chapitre de Saint-Etienne aide à la
rançon du roi Jean le Bon à Edouard III d'Angleterre, en donnant la « table
d'or », estimée 1.000 florins, soit 14.000 francs or de l'époque. De ce fait,
le chapitre de Saint-Etienne, pourtant richement doté, se voit dans
l'impossibilité, de 1429 à 1451, de verser aux chanoines le « gros » qui leur
est dû.
L’église de Saint-Etienne fut dédiée en 1375 par
l’évêque Pierre de Villiers.
Charles VIII, lors de sa visite à Troyes en
1486, s’installe au Palais-Royal, et assiste chaque jour aux offices à la
collégiale de Saint-Etienne, chapelle royale.
Le chapitre de Saint-Etienne, en 1489, possédait une
magnifique tapisserie appelée la tapisserie des « Sept-Art ».
Le Jubé exécuté en 1549 par Dominique le Florentin* et Gabriel Fabro son gendre, « est estimé des connaisseurs pour les ornements, les bas-reliefs et les statues ». On voyait dans le chœur, un bas-relief en bois représentant le martyr de Saint-Etienne, fait en 1558. Le rond-point du chœur était couvert de tableaux de Jacques de Létin*, commencés en 1629 et terminés en 1635.
On le retrouve sous différents noms. Il signe ses
planches Domenico Fiorentino, Domenico del Barbiere Fiorentino. Giorgio Vasari
copié par André Félibien, l'appelle Domenico del Barbiere (notice consacrée à
l'artiste par Vasari). Pierre-Jean Grosley l'appelle Dominique Riconucci ou
Rinuccini. Dans les actes le concernant on trouve les noms Riconuri, Ricouvri,
Recourre ou Ricombre. Natalis Rondot a retrouvé son nom : Domenico Ricoveri del
Barbiere.
*Jacques de
Létin, souvent improprement nommé Jacques Ninet de Lestin, né à Troyes en
1597 et mort dans cette même ville en 1661.
Le trésor des reliques de l’église de Saint-Etienne était considérable dont la châsse de sainte Hoïlde, cette sainte invoquée par les Troyens dans les calamités publiques et surtout en temps de sécheresse, la châsse pour les reliques de Saint-Avertin, les ornements du comte fondateur… [aussi : Hulda de Troyes) de l'époque mérovingienne (dont la sœur est la ville de Sainte-Menehould)]
Les pratiques bizarres étaient fort connues au
moyen-âge. Le chapitre réfléchit sur le ridicule de cet usage qui tenait encore
à d’anciennes pratiques superstitieuses et apprêtaient à rire pendant l’office
divin. L’année 1506 on en supprima une
qui était exécutée dans la collégiale Saint-Etienne. Ce jeu, dit de la Pelotte,
était pratiqué « le jour de Pâques, après None ». Le chapitre allait chercher
l’évêque processionnellement pour chanter les Vêpres. Le cortège se rendait
dans la salle capitulaire. On y admettait les notables et les bourgeois. Le
doyen apportait une balle et une toupie, avec une « tiare », aux armes de
l’évêque. Le cloîtrier plaçait la toupie sur une bancelle (petit banc étroit),
au milieu de l’assemblée, présentait la balle à l’évêque qui, 3 fois, la
lançait sur la toupie. Le jeu fini, les gens de l’évêque présentaient à
l’assistance du vin rouge, du vin blanc, des oublies et des pommes qui étaient
distribués à tous les assistants, après bénédiction. Le cloîtrier présentait le
verre au doyen, buvait après lui et le verre lui appartenait.
Le « guidon » (fanion) de la noblesse de Champagne
était toujours déposé dans la collégiale Saint-Etienne, d’où il sortait lors de
la levée du ban et de l’arrière banc du comté. Il était composé de 2 pièces de
damas : l’un bleu, aux armes de France, et l’autre rouge, à celles de
Champagne.
Le nombre des chanoines était de 60, avec les dignités
de doyen, sous-doyen, prévôt, chantre, sous-chantre, trésorier, chevecier
(ecclésiastique chargé de l'entretien du chevet de l'église, de la garde de son
trésor et de son luminaire), scholastique et cellerier (religieux chargé de
l'approvisionnement du cellier, de la nourriture et des dépenses de la
communauté).
En 1419, les chanoines demandèrent au roi de réduire
le nombre des prébendes (revenu rattaché à certains titres ecclésiastique) à
cause des pertes éprouvées pendant la guerre de Cent ans. Deux prébendes sont
supprimées pour subvenir à la nourriture des enfants de chœur.
En 1428, il n’y en avait plus que 57. Le grand
incendie de 1524 ayant diminué de moitié les revenus, le chapitre renouvelle,
en 1526, la diminution des prébendes. Cette demande fut encore renouvelée vers
1535. Au XVIIIe
siècle, l’insuffisance des revenus nécessite une nouvelle réduction des
prébendes et des dignités. Des lettres-patentes de 1710 suppriment 5 dignités
et 19 canonicats. Le chapitre se compose dès lors de 4 dignités, 20 chanoines
capitulants, 2 chanoines du Trésor et de 3 religieux. En 1761, le nombre des
bénéficiers se trouve réduit à 38.
La chapelle du Crucifix était le siège d’une petite
paroisse, sous le vocable de Saint-André. C’était aussi la paroisse du bailli,
qui avait le siège même de sa juridiction dans le palais même des anciens
comtes, dont dépendait cette chapelle, et du maïeur (premier magistrat
municipal) élu bailli du chapitre.
En 1550, les orgues furent augmentées de jeux
nouveaux.
Vitraux, peintures : on fit des travaux
d’embellissement : Linard Gontier refit une verrière en 1622, Macradé des
vitraux dans les deux chapelles méridionales. Le rond-point du chœur était
garni de tableaux de Ninet de Lestin représentant la vie de Saint-Etienne.
Le chapitre Saint-Etienne avait des droits et
revenus dans un grand nombre de localités. Il était vicomte de Troyes pour un
tiers depuis 1264, seigneur de Cosdon, de Bercenay-en-Othe en partie,
propriétaire des moulins du Bourg, à Isle-Aumont, et de Meldançon, à Troyes…
usager dans les forêts du comte de Champagne.
Le décret du 2 novembre 1789, en mettant « à la
disposition de la nation » les biens ecclésiastiques, porte un coup très
sensible au chapitre de la collégiale Saint-Etienne. La loi du 13 février 1790
ayant supprimé les instituts religieux, achève de désorganiser la vie
chrétienne du diocèse.
Dès la fin décembre 1791, c'est la vente des biens
de la vénérable collégiale, et en mars 1792, la vente de son mobilier. C'est
par tonneaux que furent expédiés à Paris les différents objets d'art. (Il n'en
reste qu'une soixantaine de débris émaillés, conservés au trésor de la
cathédrale).
On
y admirait surtout deux tombeaux d'inestimable valeur pour leurs statues en
argent, les pierreries, les émaux qui les décoraient, l'un d'Henri le Libéral
(voir ci-dessus), l'autre de son fils Thibaud
III (voir
ci-dessous), érigés, le premier par les soins de la comtesse
Marie, veuve d'Henri (morte en 1198), le second par la comtesse Blanche de Navarre,
veuve de Thibaud (morte en 1229).
Ces tombeaux ne subirent, pendant près de 600 ans, aucun outrage important, et lorsque l’église de Saint-Etienne fut supprimée, ces tombeaux et leurs corps, furent transportés avec pompe, le 27 février 1792, dans l’église cathédrale de Troyes. Mais avec les événements de 1793, les tombeaux ornés de statues et d’émaux, ont pour toujours disparu. Il ne reste que quelques fragments au trésor de la cathédrale.
Quant à l'église, adjugée à un poêlier le 17 décembre 1791, dépouillée, le 2 mars 1792, de son mobilier, de ses statues et tableaux, elle devait être démolie dans les premiers mois de 1796.
Quelques Epaves, par bonheur, ont survécu à ce
désastre : un vitrail de Linard Gonthier, la Conception, aujourd'hui dans
la chapelle des catéchismes à la cathédrale, les statues de la Foi et de la Charité de Dominique Florentin à Saint-Pantaléon et, à l'église de
Bar-sur-Seine, 4 bas-reliefs de la « Vie de saint Etienne » par le même
artiste.
Parmi les bienfaiteurs de Saint-Etienne, on compte
Dominique de Taconis, né à Alexandrie de la Paille, au duché de Milan, « c’est
le plus grand physicien de toutes la France », chanoine célerier de
Saint-Etienne. Il donna beaucoup de bien à l’église de Saint-Etienne, et même
des biens « considérables sur les ports de Gênes ». Le prince-fondateur de
l’église de Saint-Etienne donna aux chanoines, « qu’il appelait ses enfants et
ses chapelains », de beaux jardins et quantité de maisons hors de la ville, qui
forment ce que l’on appelle le « Cloître Saint-Etienne ».
Enfin, il les combla de tant de biens, « qu’il se
dépouilla de sa propre robe pour les en couvrir ».
L’autel de la collégiale Saint-Etienne a été donné à
l’église Saint-Liébault d’Estissac.
Voir chapitre : Vicomté de Troyes
Voir chapitre : Porte des Oursiers
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