samedi 25 janvier 2025

Le très riche XIIIe de Troyes - 1ère partie

 

la Cité de Troyes au Moyen-Age

Depuis le XIIe siècle, la ville de Troyes est en plein développement politique, culturel, démographique et économique. En effet, les comtes de Champagne, Henri le Libéral (1152-1181) et ses fils, Henri II (1181-1197) et Thibaut III (1197-1202) prennent le titre de comtes de Troyes, consacrant ainsi l’importance qu’ils attachent à la capitale de leur domaine champenois, où ils font reconstruire leur palais et la collégiale Saint-Étienne. Sous Henri le Libéral, le bien nommé, la ville prospère : treize églises sont fondées, autant d’hôpitaux  et l’agglomération s’étend vers l’ouest, débordant son enceinte primitive. De nombreux canaux irriguent la cité que les foires, favorisées par le comte, animent et font vivre. Sous son règne et la régence de Marie, son épouse, la vie littéraire et artistique est brillante : les Champenois Chrestien de Troyes, Gace Brulé ou Geoffreoy de Villehardouin font la gloire de la poésie et de la chronique en langue française dans la deuxième moitié du XIIe siècle.

C’est à la cour de Champagne que Chrestien de Troyes, à la demande de la comtesse Marie, met en forme romanesque achevée les personnages légendaires du cycle arthurien, développant les règles de l’amour courtois.

Au début du XIIIe siècle, Thibaut IV (1202-1253), surnommé le chansonnier, travaille à l’unification de son domaine où une seule monnaie, le denier provinois, est frappée à Troyes, Provins et Meaux.

La ville de Troyes prend alors une importance particulière en devenant le siège d’un organe de justice spécialisée, les jours de Troyes. D’autre part, toujours vivifiée par les foires qui durent une grande partie de l’année, elle continue de se développer, rendant ainsi nécessaire l’extension de son enceinte.[sous le règne de Thibaut IV, vers 1220]. Dans la seconde moitié du siècle, l’influence capétienne grandira, pour aboutir au rattachement de la Champagne au domaine royale, qui résultera de l’alliance de Jeanne de Navarre [Fille du comte Henri III. Le rattachement ne sera définitif qu’en1361] avec Philippe le Bel. A cette période correspond un déclin progressif de la prospérité champenoise.

La vie culturelle au XIIIe siècle se nourrit toujours aux sources de la poésie épique et du roman, mais la noblesse champenoise apprécie surtout la poésie lyrique, mise à l’honneur par le comte Thibaut lui-même, poète raffiné et excellent musicien :

« Si fist entre lui et Gace Brulé les plus belles chansons et les plus délitables et mélodieuses qui oncques fussent ouies en chanson né en vielle. Et les fist écrire en sa salle à Provins et en celle de Troyes et son appelées les chansons au roi de Navarre. » [Cf. Les Grandes Chroniques de France IV - 1838]

Ce « beau XIIIe siècle » est aussi celui de la prospérité religieuse : les évêques sont de grands seigneurs et la personnalité de Garnier de Trainel, de Hervé ou plus tard celle d’un pape d’origine troyenne, Urbain IV, témoignent du dynamisme du haut clergé troyen. C’est alors que s’élèveront de grands édifices, comme la cathédrale elle-même, la collégiale Saint-Urbain, la nef et le transept de l’église de la Madeleine, la nef de Saint-Jean-au-Marché [nef qui fut augmentée et modifiée au XVe s., puis partiellement reconstruite après le grand incendie de 1524.] La Champagne est un terrain d’intense création artistique et deux édifices sont les témoins du talent et des capacités d’innovation des maîtres d’œuvre et des peintres sur verre troyens : la cathédrale Saint-Pierre - Saint-Paul et la collégiale Saint Urbain IV.


LA CATHÉDRALE



La date du début de la reconstruction de la cathédrale, édifiée par l’évêque Milon au Xe siècle, varie suivant les auteurs, qui l’attribuent tantôt à l’épiscopat de Garnier de Trainel, vers 1200 ; tantôt à celui d’Hervé en 1208 [date d’acquisition d’un four sur le terrain de la future chapelle de la Vierge]. En 1215 en tout cas, le chantier bat son plein et, à la mort d’Hervé en 1223, les chapelles rayonnantes et une grande partie du chœur sont achevées.

En 1228, malheureusement, un ouragan dévaste les parties hautes du chœur dont la reconstruction s‘achève vers le milieu du siècle. Entre 1240 et 1250, les fenêtres hautes reçoivent leurs verrières. La construction du transept et d’une partie de la nef se poursuit à la fin du XIIIe siècle et au XIVe siècle. Mais après la longue interruption des temps difficiles de la guerre de Cent Ans, la nef ne sera terminée qu’à la fin du XVe s., la façade occidentale au XVIe s. et la tour au XVIIe siècle.

Bien que la notoriété publique ne la place pas parmi les « grandes » cathédrales gothiques, la cathédrale de Troyes se distingue par le caractère monumental de son plan à doubles bas-côtés qui s’achève par un vaste déambulatoire à chapelles rayonnantes, alliant ainsi deux types de plan différents dont l’articulation se fait au nord par une chapelle biaise.

L’élévation du chœur est intéressante elle aussi, car elle est entièrement ajourée. Entre les grandes arcades et les fenêtres hautes, le triforium est percé vers l’extérieur de baies garnies de vitraux qui participent à l’éclairement maximal du chœur. Ce triforium ajouré est sans doute parmi les premiers exemples connus avec celui de la basilique de Saint-Denis. En tout cas, l’élévation intérieure du chœur de Troyes est un exemple parfait de la première phase du gothique rayonnant, parfois appelé « style de cour » (robert Branner), par référence aux grandes constructions d’Ile-de-France.

Novatrice peut-être, la cathédrale de Troyes manifeste sûrement la perfection d’un art parvenu à son apogée, qui a pour principe l’évidement maximal du mur pour laisser passer la lumière enseignante du vitrail.

Les vitraux du chœur de la cathédrale constituent un ensemble intéressant, réalisé entre le tout début du XIIIe siècle pour les baies des chapelles rayonnantes et le milieu du siècle pour les fenêtres hautes : les plus anciens sont de larges bordures à motifs végétaux qui dateraient de 1200 et pourraient avoir été remployées d’un édifice antérieur (chapelle du Sacré-Cœur).

La Tentation du Christ vers 1175 
se trouve aujourd’hui dans les collections de l’Université de Laval, Canada,  
Numéro d’inventaire : L.BAv.34 


Le massacre des Innocents et l’annonce aux Rois Mages - 1225


Jésus et les docteurs ; le baptême du Christ. Début XIIIe


Vient ensuite, toujours dans les chapelles, une belle série de verrières des années 1215-1225, consacrées au Miracle et au Martyre de Saint André (chapelle Saint-Joseph), à la Vie de la Vierge et à l’Enfance de Jésus ou à la Vie publique du Christ (chapelle de la Vierge), dont la composition a été rapprochée de celle des vitraux de Laon, Soissons ou Saint Quentin (J. Lafond).

Ces vitraux ont été malheureusement très restaurés au XIXe s. et, au cours des démontages, certains panneaux ont disparu, que l’on retrouve aujourd’hui dans des collections particulières ou des musées, comme les panneaux de la Tentation du Christ au Victoria and Albert’s Museum de Londres.

ci-dessous deux panneaux de la Tentation du Christ



La Tentation du Christ 1170-1180 ; 
Victoria and Albert’s Museum de Londres provenant de la cathédrale de Troyes



ci-dessous, deux panneaux de la vie du Christ


Vitraux de la collégiale st Etienne de Troyes 1170-1180 ; 
aujourd’hui au Victoria and albert’s Museum de Londres


Miracle et martyr de St André - 1220



Les fenêtres hautes du chœur, qui sont garnies de vitraux des années 1240-1250, présentent une iconographie conventionnelle et originale à la fois : conventionnelle dans les fenêtres axiales où, de part et d’autre de la Passion du christ, se développent les thèmes de la Vie de la Vierge et de Saint jean l’Évangéliste, ou bien dans le triforium où sont représenté les Prophètes et les Apôtres. Plus originales sont les baies latérales où les thèmes sont plus spécifiques à la cathédrale de Troyes, à l’histoire de sa construction et à ses Saints Patrons : on y trouve en effet l’histoire très particulière de la Translation des reliques de Constantinople, rappelant que l’évêque Garnier de Trainel, lors du sac de la ville, avait réservé les plus insignes reliques à son église cathédrale, ou encore la Hiérarchie du Monde, où sont figurés les grands personnages du temps, l’empereur Henri Ier, le pape Innocent III et enfin l’évêque Hervé accueillant son métropolitain, Pierre de Corbeil, archevêque de Sens.




La Hiérarchie du monde XIIIe

L’un des vitraux les plus curieux de la cathédrale, dans une baie haute du chômeur, côté nord, la Hiérarchie civile et ecclésiastique du Monde, où sont figurés les grands personnages du temps, dont l’empereur Henri 1er, le pape Innocent III et enfin l’évêque Hervé de Troyes, accueillant l’archevêque de Sens.



Arbre de Jessé XIIIe


Vie de saint Pierre - 1250

Saintes Jule, Savine, Germaine et Humbeline - XIVe siècle


Le pressoir Mystique - 1625

Dans leur traitement, ces vitraux sont considérés comme plus conventionnels que dans leur iconographie : si les coloris sont vifs et chauds, les personnages sont un peu hiératiques et ne manifestent pas les tendances nouvelles de ce milieu du XIIIe qui vont vers l’assouplissement des formes et des drapés, tels qu’on les trouvera à la collégiale Saint-Urbain IV.


Cathédrale st Pierre-st Paul de Troyes - côté Nord

côté Sud - jardin de l'évêché


Fausse gargouille provenant de la tour st Paul, XIVe, cathédrale de Troyes. 
Exposée au Musée st Loup 




Voir : 2ème partie




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