Pour conjurer le
terrible fléau de la rage, la médecine officielle, tout à fait impuissante en
1782, déclare ceci : « Il n’existe aucun remède dont l’efficacité et
le plein succès soient bien constatés » (1). Donc, livré à lui-même, le
bon peuple se tourne instinctivement vers le ciel pour chercher un protecteur.
LE
PROTECTEUR
Ce protecteur, on crut
bien l’avoir trouvé à Palis, où saint Georges, deuxième patron de la paroisse,
était invoqué avec une confiance inébranlable : « Jamais, de mémoire
d’homme, aucun animal enragé ne s’est montré dans le pays » (2). A
Bourdenay, le patronage de saint Gond parait plus sûr : tenu en grande
vénération, celui-ci possède sa chapelle particulière à l’intérieur de l’église
paroissiale (3). Saint Lupin également semble jouir de la faveur populaire.
Nicolas Desguerrois présente le récit d’une personne « forcenée » que
saint Lupien délivre de « l’esprit de forcènerie » (4). Ainsi donc,
dans une région assez déterminée, plusieurs saints partagent un pouvoir
identique.
Il n’en reste pas moins
vrai que, sur l’ensemble du territoire de la Champagne, le grand thaumaturge,
guérisseur de la rage, est saint Hubert.
Dans notre région, on
renie absolument un saint Hubert désigné comme le patron des chasseurs. La
chasse, ordinairement est l’apanage des Seigneurs ; interdit aux manants
et aux vilains, cet exercice plutôt impopulaire n’attire aucune bienveillance,
aucun patronage, aucune protection de la part de saint Hubert. Bien sûr,
celui-ci opère sa conversion dans une partie de chasse figurée par l’apparition
de la crois entre les andouillers d’un cerf : l’image de saint Hubert
trouve là un symbole figuratif, rien de plus.
De même que la roue
brisée désigne saint Catherine, de même que les trois petits enfants désignent
saint Nicolas, ainsi la représentation d’une scène de chasse identifie saint
Hubert ; avec (ou, si l’on préfère, malgré) ce symbole, il demeure le
grand protecteur contre la rage.
CULTE ET TRADITION
Le culte de saint
Hubert présente un éventail assez vairé. En premier lieu s’offre la
prière :
A Villardouin, il n’y a
presque pas de ménage où l’on ne possède la prière des loups et des chiens
enragés (5). Instituteur à Géraudot, Edouard Bernot a recueilli une prière de
ce genre :
« Saint
Hubert glorieux
Fut
très amoureux
De
trois choses nous défend
La
nuit du serpent
Des
bêtes enragées
Toute
la journée,
En
tout temps du choléra
Du
haut jusqu’en bas
Saint
Hubert ici, saint Hubert là
Saint
Hubert entre mes bras
Et
du grand saint Hubert aussi. » (6)
Mais la prière a besoin de petits soutiens. En 1861, un certain Nicolas Vernier vend (effectivement il est de la Vendue-Mignot), des médailles qui préservent de la rage (7).
La
dévotion à l’égard d’un saint populaire s’exprime bien par le culte des
sources.
A
Champignol existe une source saint Hubert (8). A Mussy-sur-Seine, une agréable
promenade (9) conduit vers la source saint Hubert, proche d’un ermitage et
d’une chapelle aujourd’hui disparus.
Alimenté par la prière et par le culte des sources, l’élan mystique du peuple Champenois est maintenu ferme au moyen des confréries. L’un d’elles, établie à Pouan, oriente les confrères vers saint Hubert des Ardennes (10). A Trancault, au jour de la fête du saint, le 3 novembre, le trésorier de la confrérie fait bénir un pain qu’il distribue à tous ceux qui en demandent ; en demander suffit pour être inscrit au nombre des confrères (11). Si l’on veut être préservé de la rage, il importe de manger ce pain à jeun ; on en donne également au bétail (12). En 1628, à Vendeuvre, la piété envers saint Hubert est réchauffée par une confrérie florissante. Toutefois, de 1714 à 1721, la ferveur se ralentit un peu ; en conséquence « il arriva mortalité sur les bêtes par les loups et les chiens enragés ». L’église de Pars-les-Chavanges possède un très joli bâton qui laisse supposer l’existence d’une ancienne confrérie.
Lorsque la confrérie est absente, il y a lieu de rechercher un patronage effectif du saint. A Herbisse, par exemple, saint Hubert est le second patron de la paroisse. Un autel spécial lui est dédié dans l’église pour lui permettre de recevoir le tribut d’une dévotion qui dépasse de beaucoup les horizons du clocher, puisque le curé de l’endroit assure que « la distance de 50 à 60 lieues (240 à 290km) n’arrête pas les fidèles pèlerins de toutes ces contrées, dit-il, on va dans les Ardennes autour de la châsse de Saint Hubert » (13). Les pèlerinages, en effet ont une attirance certaine, ils constituent un sommet du culte, ils procurent en même temps la garantie la plus efficace contre la rage.
"La rage" caricature de Thomas Lord Busby, Londres, 1826
Un culte aussi vivace est appelé à laisser une empreinte sur la production artistique de notre Champagne : sculpture, vitraux, littérature. Saint Hubert se doit d’apposer sa figure de marque qui permettra, si l’on peut dire, d’associer les deux composants de la formule très connue : arts et traditions populaires.
Pour
désigner le premier terme de cet adage, le contexte est tellement riche qu’il
faut se borner à une simple énumération des œuvres d’art.
À Allibaudières, à Chaource, à Charmont, à Verpillères (14), à Auxon (15), à La Chapelle-Saint-Luc, à Saint-André-les-Vergers, à Bouilly (16), de superbes bas-reliefs suffisent à établir le grand renom dont jouissait saint Hubert au cours du XVIe siècle.
Vendeuvre
a deux représentations sculpturales ; d’abord une statue du saint, ensuite
le bas-relief classique de la chasse.
Il va sans dire que l’art du vitrail exploite la légende de saint Hubert : Bréviandes (17), Herbisse (18), Rumilly-lès-Vaudes (19), Pars-lès-Chavanges, Maizières-lès-Brienne (vitrail détruit en 1940), Riceys-Bas ; toutefois, dans ce dernier pays, on note : « médiocre verrière moderne » (20).
La littérature populaire trace aussi un sillon profond avec ces livres de colportage qui portent au lin le nenom des Impressions Troyennes. Dans la collection des livres bleus, possédés par la Bibliothèque Municipal de Troyes, on trouve :
- La vie du Grand Saint Hubert
-
Cantiques spirituels de la vie et les miracles du Grand Saint Hubert
-
Cantiques de Saint Hubert
-
Le médecin des pauvres
Comme de juste, cette littérature est à prendre au sérieux, on connait, en effet, la punition exemplaire d’un religionnaire qui s’est moqué de saint Hubert (21).
Cantique de Saint Hubert
1
- Ô Saint Hubert, patron des grandes chasses,
Toi
qu’exaltait la fanfare au galop,
En
poursuivant le gibier à la trace,
Tu
le forçais sous l’élan des chevaux.
Nous,
les derniers descendants de ta race,
Arrache-nous
aux plaisirs avilis,
Emplis
nos cœurs de jeunesse et d’audace,
Dans
la forêt, fais-nous chasseurs hardis.
2
- Sauve d’abord du Bocage à l’Ardenne
Notre
forêt si chère aux vieux gaulois,
Pour
qu’à son chant, notre jeunesse apprenne
Les
fiers secrets gardés par les grands bois.
Fais
nos yeux prompts, et fais nos lèvres claires,
Pour
bien lancer, quand viendra le danger,
Le
cri de chasse ou le dur cri de guerre ;
«
Sus à la bête ! », et courons la traquer.
3
- Tu vis un jour, au fond du hallier sombre
Où
tes limiers se pressaient aux abois,
La
croix du Christ que le grand cerf dans l’ombre
Couronnait
de l’auréole de ses bois :
Mystique
appel qui conquit ta grande âme ;
Tu
dis aux cours un méprisant adieu.
Montre
à nos yeux cette divine flamme,
Et
conduis-nous camper sur les hauts lieux.
4
- Quand le Seigneur, la chasse terminée,
Appellera
notre nom à son tour,
Epargne-nous
les tristes mélopées ;
Tu
sonneras pour nous le point du jour.
Au
grand galop, pour célébrer ta gloire,
Nous
bondirons en poussant l’hallali,
Et
nous ferons, au fracas des fanfares,
En
ton honneur trembler le paradis !
TRADITIONS POPULAIRES
L’ensemble
des œuvres d’art énumérées ci-dessus laisse pressentir un courant de vie qui
devrait, avec autant de force qui de vigueur, déterminer une ligne traditionnelle
bien définie.
Une
matière inerte place l’image ou le récit dans la fixité, dans l’immobilité la
plus complète ; au contraire, l’usage, la coutume amènent des éléments
mouvants et fugitifs que l’on discerne mal à cause du recul du temps ; tels
usages, telles coutumes ont un commencement, ils vivent, ils s’estompent, ils
disparaissent.
L’intervalle des siècles ne facilite pas leur évocation, toutefois difficulté n’est pas impossibilité. Voici donc saint Hubert « ressaisi » le mieux possible, placé dans la tradition populaire et soumis, bien entendu, au même objectif : la rage.
Le saint belge de la rage subordonne
et lie sa protection la plus efficace à une pratique appelée « la
taille ». Elle consiste en une légère incision faite au front du patient,
ensuite, sous la peau on glisse une minuscule parcelle du vêtement sacré appelé
« étole de saint Hubert ». Celui qui est « taillé » emporte
l’assurance d’une guérison totale. Comme la « taille » ne s’opère
qu’à Saint-Hubert des Ardennes, elle n’intéresse pas notre région, il n’en sera
nullement question.
LE RÉPIT
Par contre une pratique appelée
« le répit », dont l’usage est constant, suit de très près la
mentalité, les croyances et les mœurs champenoises, il faut donc s’en
expliquer.
Le « répit » n’implique
aucune opération. Comme son nom l’indique, c’est une mesure transitoire et
temporaire qui consister à toucher une personne ; cet attouchement suffit
pour suspendre provisoirement l’effet du mal ou même pour en préserver. En
agissant sur l’imagination, le « répit » préserve de la rage, si on
ne l’a pas ; mais, si on l’a…
Un certain Isidore Collot fit, à ses
dépens, la cruelle expérience que voici : Il habitait Nicey, un hameau sur
la lisière de la forêt de Rumilly. En 1781, aux fêtes de Noël, Isidore fut
mordu par un chien enragé. Quelques jours plus tard, il eut recours au remède
traditionnel. Il alla chercher le répit, ensuite, il revint chez lui plein de
confiance : à 18 ans, pouvait-il en être autrement ? Cependant, aux
premiers jours de février 1782, à l’endroit de la morsure, Isidore ressentit
des douleurs, il devint hydrophobe et mourut le 12 du même mois dans les
terribles accès de la rage.
Force est de le reconnaitre, Isidore
Collot fut l’innocente victime de l’aphorisme « arts et traditions
populaires » qu’il faut traduire ainsi : vitrail de l’église de
Rumilly et répit ; les deux éléments aboutissent à un point de rencontre
idéalisé, ils conditionnent le même réflexe psychologique : la confiance
(22).
LA PEUR
Après avoir subi la morsure d’une
bête enragée, il serait impensable de s’enfoncer dans le désespoir comme dans
l’enfer de Dante. La confiance en des pratiques aussi illusoires que le
« répit » s’explique d’autant plus qu’elle est entrainée par la peur,
une peur si évidente qu’elle accapare les situations les plus
inattendues ; on peut s’en rendre compte, les réactions vont loin.
Une personne avait été mordue par un chien qu’elle ne croyait pas enragé, elle n’en éprouva aucune suite fâcheuse. Mais trois ans plus tard, on crut bon de lui dire que le chien dont elle avait été victime, était enragé ; peu après cette déclaration, elle mourut dans des convulsions tétaniques (23).
Faut-il plaider en faveur de la
peur ? Ceux du Mesnil-Saint-Loup, mordu en 1774 par une louve enragée,
voulurent se rendre au pèlerinage belge. Plusieurs amis entreprirent le voyage
en même temps qu’eux, quoi qu’ils n’aient pas été mordus. Or un jour, à
Saint-Hubert des Ardennes, les bons religieux se sont hasardés à dire que tous
ceux qui côtoient les malades, peuvent devenir enragés. Une pierre lancée dans
la mare à grenouilles n’en aurait pas fait davantage : la frayeur s’empare
des bien portants, ils laissent leurs compagnons malades et reviennes seules à
Mesnil-Saint-Loup.
A Mesnil-Saint-Loup, comme ailleurs,
la peur engendre des situations lamentables : les enragés font le vide
autour d’eaux, ils sont abandonnés par leurs plus proches parents, on les
délaisse, on refuse même de les voir en présence du médecin. A Chesley, l’euthanasie
vient au secours des malades, on les étouffe entre deux matelas (24). A
Villadin, on se contente de les attacher.
La peur aussi amplifie les informations les plus banales, elle grossit les incidents les plus minimes : le 22 janvier 1777, un chien enragé passe au hameau de Courlange, paroisse de Saint-Mesmin. Aussitôt, le bruit se répand que 18 personnes ont été mordues ! En réalité une pauvresse, seule, avait souffert de la morsure du chien.
LA « PARENTÉ »
Plus
haut, on a souligné qu’Isidore Collot était allé chercher le
« répit », toutefois, on ne sait pas où il s’est dirigé ;
Néanmoins, il y a lieu de se demander : qui donc donne « le
répit ». ?
Une
légende tenace assure qu’avant de devenir prêtre et évêque, saint Hubert aurait
eu un fils, lequel transmit, par l’intermédiaire de sa descendance, le pouvoir
de guérir la rage. Saint Hubert étant mort vers 727, il faudra une belle
assurance pour présenter, 9 siècles plus tard, un arbre généalogique
parfaitement en règle avec la « parenté » du saint. Cette assurance
ne manquait pas à tous.
Le
31 décembre 1658, un sieur Hubert, chevalier « issu de la race du glorieux
saint Hubert » vient présider une cérémonie à la cathédrale de Troyes.
« Par un seul attouchement fait à la tête… sans aucun remède ou
médicament, il guérit ou même préserve du mal de la rage et de la morsure de
tous chiens, loups et autres animaux enragés ». Pour soutenir son arbre
généalogique le sieur Hubert est bourré de certificats « en nombre
considérable » ; l’affluence s’en ressent : l’évêque de Troyes,
les chanoines de la cathédrale, une foule de gens viennent se faire toucher par
le chevalier… d’industrie (25).
Le
26 août 1729, un autre charlatan renouvelle un exploit identique dans l’église
Saint-Jean de Troyes ; il apporte une relique, il bénit du pain, érige une
confrérie et touche un grand nombre de personnes (26).
Cette « parenté » n’est pas si loin qu’on pourrait le penser : la Champagne elle-même possède « d’authentiques » parents de saint Hubert, tels les seigneurs de Blois résidant à la Saulsotte (27), ceux-ci donnent « le répit » dans une petite chapelle dont les ruines existent encore (28). Mademoiselle de Blois participe au pouvoir de l’illustre famille car elle touche les animaux avec l’anneau de saint Hubert, ensuite les gens s’en vont rassurés (29).
Au
canton d’Estissac, la confiance s’oriente vers une souche différente, on va
vers Madame de Bragelone qui descend également de saint Hubert. Toutefois,
devant la gravité des blessures étalées sous ses yeux, celle-ci a la franchise
de déclarer qu’elle ne garantit pas l’efficacité du « répit » ;
en effet, neuf personnes sont mortes (30).
A
Bouy-sur-Orvin, on cite encore des demoiselles qui descendent de saint Hubert
(31).
REMÈDES ÉPROUVÉS
Les habitants de Géraudot disent bien : « Saint Hubert ici, Saint Hubert là » ; malgré tout il y a des sceptiques qui ne croient pas aux reliques de saint Hubert.
Guinot de Channes, par exemple, propose un remède « salé », « Prenez un hareng salé et nouveau, tout cru, contusez-le (pilez-le) dans un mortier jusqu’à être comme de la pâte, que vous appliquerez en forme de cataplasme sur la morsure, en continuant cette application durant trois jours
Le
journal de Troyes (1782, p.81) laisse
pressentir un autre remède aussi énergique :
« mélange
d’œufs, de racines d’églantiers, de coquilles d’huîtres… dont on compose une
omelette que l’on assaisonne de quelques prières… »
M. Gérost de Villenauxe qui est un
scientifique, guérit la rage en faisant avaler chaque jour trois ou quatre
cuillerées à soupe de soufre (33).
Pour la médecine officielle « le mercure mérite une attention particulière », cependant, les résultats laissent encore à désirer (34).
Enfin, Pasteur vint…
Premier remède
1. –
Si c’est une personne, elle prend le remède ci-après prescrit à jeun. Elle ne
doit ni boire ni manger que deux heures après l’avoir pris.
2.
– Si le même jour, après avoir pris le
remède, le malade se sent envie de dormir, il faut le laisse dormir dans
l’endroit où il se trouve jusqu’à ce qu’il s’éveille de lui-même.
3.
– Le malade doit réciter pendant neuf
jours consécutifs cinq Pater, cinq Ave, cinq Gloria Patri en l’honneur des cinq
plaies de Notre Seigneur et pour lui demander la guérison par l’intercession du
bienheureux saint Hubert.
4.
– Défense et prohibition expresses de
manger la tête d’aucun animal. Défense également de manger des fruits ou
légumes ronds tels que choux, pois, pommes, oignons, etc.
5.
– Le malade mangera pour remède une
omelette composée comme suit : prenez trois œufs, ôtez le germe,
coupez-les en croix avec un couteau, battez-les ensemble en récitant cinq
Pater, cinq Ave, cinq Gloria Patrie et, à chacune de ces cinq prières, mettez
avec le même couteau un peu de soufre en poudres ; faites cuire ensuite le
tout avec de l’huile d’olive, en suffisante quantité ; lorsqu’il n’existe
pas de plaie, le malade mange l’omelette en entier, s’il y a des plaies, on
réserve une partie de l’omelette proportionnée à la grandeur des plaies.
6.
– Au bout de neuf jours, c’est-à-dire le
dixième après avoir pris le remède, on jette l’omelette au feu et le malade
recouvre la santé.
7. – S’il y a des bêtes atteintes de cette maladie, on leur administre le même remède et il faut qu’un nombre de personnes égal à celui des bêtes se charge de dire pendant neuf jours, les cinq Pater, les cinq Ave et les cinq Gloria Patri aux intentions exprimées ci-dessus (1).
Second remède
Prenez de la racine de fragon ou de petit houx sauvage, mettez la sécher sur la motte d’un four jusqu’à ce qu’elle soit pulvérisée comme de la farine. Passez la dans un tamis de soye et mettez la dans une bouteille de verre bien bouchée, on peut en faire une certaine quantité pour l’avoir prête au besoin, elle se conserve en observant que la bouteille ne soit pas dans un lieu trop sec ou trop humide.
Façon de s’en servir
Lorsque le malade n’a pont été mordu à sang et qu’il n’a pas de playe, en faire insérer deux gros de poudre dans une demi-bouteille de vin blanc françois, on luy fera prendre de cette bouteille en quatre jours consécutifs par portion égale, et à jeun, observant de remuer la bouteille chaque fois afin que la poudre en se dépose point, le malade se promènera deux heures sans se chausser entre chaque prise et mangera ensuite comme à l’ordinaire.
Quand le malade a été mordu à sang
et qu’il y a playe, il faut administrer la poudre dans un breuvage comme il
suit :
Prenez
des marguerites ou pâquerettes et racines plein environ un minot de Paris, une
forte poignée de ruë verte, neuf têtes d’ail épluché comme de l’oignon. Il faut
piler les plantes et bien exprimer le jus dans une bouteille, y mettre fondre
un demi carteron de sel gris et deux gros et demis de la poudre de fragon et
bien remuer le tout à chaque fois que l’on s’en servira, mais il faut au
préalable gratter les playes avec un canif jusqu’à ce qu’elles saignent dans
toute leur étendue, appliquer ensuite dessus du marc des herbes et plantes
cy-dessus un peu imbibée avec le jus et laisser ce cataplasme jusques à ce
qu’il soit séché, cette opération est très essentielle, on ne le fait qu’une
fois.
Ensuite
le malade prendra à jeun pendant neuf jours de suite trois cuillers à bouche de
breuvage cy-dessus, on peut en donner jusqu’à quatre aux personnes robustes, le
malade ne mangera qu’au bout de deux heures qu’il aura pris le breuvage et se
promènera pendant ces deux heures sans se chausser, les gens de métier peuvent
travailler comme à leur ordinaire.
Il
n’y a point de régime à observer, ce remède s’est éprouvé et a même guéri après
un accès de rage.
On le donne aussi aux enfants en proportionnant à leur âge, la dose de breuvage, il n’en faut donner qu’une cuillère dans une cuillère à café pendant trois jours consécutifs. (2)
Le village d’Harréville (52) avait la réputation de fournir à toute la région ces colporteurs qui, sous le nom de chanteurs de saint Hubert, s’en allaient chanter le cantique du saint guérisseur de la rage, à l’occasion surtout des fêtes patronales, et qui vendaient ce cantique, illustré de gravures en couleurs et cédaient aussi, contre bel argent sonnant et trébuchants, le « remède » de saint Hubert.
1) (1) Journal de Troyes, 1782
2) (2) Paul Maillar, Pâlis et le prieuré de Clairlieu
Ann. de l’Aube, 1853
3) (3) Annuaire de l’Aube, 1853
4) (4) Saincteté Chrétienne
5) (5) 21)
26) 31) Biblio. Bleue / biblio.Troyes, ms 2903
6) (6) E. Bernot, Histoire de Géraudot , le travail,
le bien-être et les mœurs.
7) (7) Petit courrier de Bar/Seine, 20 sept 1861
8) (8) Rosero, Dictionnaire de la Champagne
méridionale.
9) (9) J. Durand, Guide de l’Aube
10 (10) Indépendant de l’Aube 6 mai 1955
1( (11) Archive
de l’Évêché
12 (12) Bilan
du traitement de la rage, par le Dr Tricot-Royer
13 (13) Réponse
au questionnaire Ravinet
14(14) 18)
20) Morel-Payen, Troyes et l’Aube
15(15) 16)
17) 18) Fichot
22) Le cas d’Isidore
Collot a suscité une polémique dans le journal de Troyes, 1782, p.81
23) Henri Gaidoz, La
rage et Saint Hubert, Paris 1887
24) Témoignage de Mme
Sbrovazzo à Mesnil St Père
25) 30) Archives de
l’Aube
27) Courtalon Topologie
Historique, tIII
28) Guide de l’Aube
mystérieuse
29) Defer, Histoire de Bagneux
32) Guinot-Perrin,
Cahier d’un guérisseur
33) Le Villenauxier, 23
juin 1872
34)
Archive départementales de l’Aube, C 1165. Traitement de la rage dans la région
de Courcelles Val d’Esnoms, vers
1834, d’après l’Écho de la Haute-Marne
SAINT HUBERT OUI, MAIS
Selon le calendrier romain, Hubert, évêque de Tongres-Maastricht-Lièges, serait mort en 727. Ainsi, donc, les hommes de notre ère ont dû attendre sept siècles avant de trouver un recours moral aux atteintes de la rage.
Il
semble plus raisonnable de penser que le Saint belge à « couvert » un
rite déjà vieux de plusieurs millénaires et toujours pratiqué par les hommes du
Moyen-Age.
Si l’on examine un bas-relief – et Saint-Hubert est pratiquement toujours présenté ainsi – on remarque un groupe d’hommes armés pour la chasse et accompagnés de leurs chiens. Face à eux un cerf altier se débuche. Toute la composition de l’œuvre est établie pour que notre regard aille naturellement se fixer, non sur un homme, mais sur le cerf puis sur les chiens.
Ainsi, tous les artistes qui ont représenté Saint-Hubert ont complètement oublié de mettre l’évêque en valeur… Il y a bien de quoi nous faire enrager ! Mais cet oubli ne serait-il pas plutôt sciemment voulu ?
La symbolique du Cerf était connue de l’Antiquité. Parce que sa ramure revient « magiquement » chaque année. Les Chinois considéraient que ces « bois » avaient une vertu aphrodisiaque. Les anciens en avaient également fait un symbole d’immortalité, un Arbre-de-vie au renouvellement perpétuel.
Le
cerf se cache en forêt à la fin de l’automne et ne reparaît qu’aux beaux jours.
De là à lui faire effectuer un « voyage au pays des morts », puis, au
retour à le présenter comme un annonciateur de la lumière nouvelle, le pas sera
vitre franchi. (Simple coïncidence, la fête de Saint-Hubert tombe le 3
novembre). Pour les Grecs il sera le symbole du « Soleil-Levant » et
Artémis, la Diane chasseresse l’aura pour compagnon et l’attellera à son
« char de lumière ». [Par similitude, Diane de Poitiers avait dans
ses armes un cerf d’or et pour devise « Quodcumque petit
consequitur » - « Elle obtient tout ce qu’elle désire ».].
Nos
ancêtres les Gaulois – les Celtes – vénéraient quant à eux Cernunnos
« Celui qui a le sommet du crâne comme un cerf ». Un parèdre de Bélen
qui, chaque année, se rendait dans le séjour des morts avant de revenir avec le
printemps. On trouve plusieurs représentations de cette divinité dans
l’iconographie celtique.
Le « chaudron de Gundestrip » nous montre notamment Cernunnos accompagné d’un cerf, d’un serpent et de divers animaux. Si Origène, théologien du IIIe siècle, compare le Christ au Cerf selon ses œuvres (praxis), il nous précise également que ce Cerf est l’ennemi et le pourchasseur du serpent. Ce dernier étant symbole de terre et d’eau, on trouve donc en opposition à nouveau le cerf symbole de ciel et de feu.
Tout
ceci semble vouloir expliquer la présence de la croix entre les ramures de ce
cerf symbole de ciel, de feu, de soleil, de renouvellement de la vie et
correspondant au symbole christique du Sol invictus », « Soleil
invaincu ».
Mais, une autre croyance se rapporte encore au cerf. Il et « Médecin Universel » car son instinct le porte à découvrir les plantes médicinales. L’iconographie populaire le montre alors comme une bête blessée, tenant dans sa bouche un rameau, une herbe, et attendant ainsi, patiemment, sa guérison inéluctable.
Nous pourrions étendre le sujet aux chiens et aux symboles et croyances qui peuvent s’y rattacher. Mais, présentement, ne nous suffit-il pas de constater que ce Cerf fait toujours front à la meute, sans craindre les morsures (et que même il semble faire reculer les chiens). Il est lumière vernale, vie et immortalité, ciel et feu, soleil et médecin. Tout ce Légendaire qui remonte à la « nuit des temps » suffisait, en lui-même, pour que le peuple, victime de la rage, vienne implorer le secours de ce Cerf Solaire Médecin invulnérable à la morsure des chiens.
Que l’Église ait ensuite confié le
cerf à Saint-Hubert, patron des chasseurs, après l’avoir placé sous la garde de
Saint-Eustache, martyr de Trajan ou de Saint-Eustache combattant l’hérésie
d’Arius ne tient peut-être qu’à un jeu de mot et n’a fait que sanctifier une
tradition « païenne » solidement implantée.
[on dit qu’il existait dans la forêt du
Grand-Orient, un homme avec une tête de cerf, une statue de « grande
valeur ». Mais on ne saurait plus dire où elle se trouve. (Tradition
orale, M. Thillerot de Brévonnes, né en 1877)].
LA
RAGE DANS LA RÉGION D’ESTISSAC
Sévissant
plus ou moins à l’état endémique, la rage a des poussées imprévues et violentes
qui jettent ici et là, la consternation et qui entrainent des conséquences
toujours redoutées.
En
1716, beaucoup de chiens enragés font des victimes.
Autour de Vendeuvre, en
1723, un loup enragé mord un grand nombre de personnes dont six à Bligny,
eurent la peau de la tête et la chevelure arrachées, ce qui était horrible à
voir.
A Pouan, au cours d’un
hiver rigoureux, le 15 décembre 1740, un loup enragé étrangle un nommé François
Guillaume, âgé de 25 ans. Plusieurs habitants sont cruellement mordus.
En 1764, à Villenauxe
et dans ses environs, plus de 100 personnes sont victimes d’un loup enragé.
Dix ans plus tard, en
1774, à Mesnil-Saint-Loup et dans les villages environnants, des pauvres
infortunés subissent un sort identique.
Le 12 décembre 1778, au
hameau des Vendue-l’Évêque et au village des Loges-Margueron, cinq personnes
sont mordues par un loup enragé. La même semaine un autre loup jette la panique
dans les rues de Lusigny.
Cette énumération de cinq ou six épisodes relatifs à la rage présente un intérêt qui parait assez médiocre. En effet, il est difficile de résumer en l’espace de trois ou quatre lignes, l’épouvante et l’horreur que les accidents de ce genre répercutent là où ils se produisent : pour le dire, trois ou quatre lignes sont vraiment insuffisantes. Il sera préférable de prendre l’un des épisodes énumérés plus haut et de s’y arrêter assez longuement, de l’approfondir pour en analyser le contenu, pour le situer dans son contexte et découvrir ainsi les conséquences affreuses qui en résultent. De la sorte, quelques pages vont être consacrées à l’avant-dernier des faits divers présentés ci-dessus, il concerne Mesnil-St-Loup et les villages voisins. Dans la présentation qui sera faite, on remarquera un témoignage particulièrement intéressant puisqu’il vient de quelqu’un qui a vu et entendu. Ce témoignage d’ailleurs, présente l’avantage d’être confirmé par un monument de pierre toujours existant. Ensuite, le drame se trouve évoqué au moment ou survient l’anniversaire de son deuxième centenaire : 1774-1974. Un hasard de ce genre entrainera la bienveillance du lecteur auquel sera proposé, en trois points, l’épisode lui-même, ses conséquences et les remèdes présentés comme solution.
Voici l’épisode raconté
par le curé de Villadin : « Après avoir imploré le secours du ciel
par l’intercession de Saint Hubert, mardi 27 décembre 1774 est arrivé un loup
enragé sur le berger de cette paroisse (Villardin), il lui a sauté au visage,
lui a fait 22 blessures par tout le corps. Son frère est venu à) son
secours ; le loup s’est jeté dessus, lui a percé le bras, heureusement le
vent a envolé son chapeau, le loup a couru, l’a pris et déchiré ; cela
s’est passé sur le bord du bois ; il y avait dans le bois au moins trente
personnes. Le loup a été après, a pris une femme par les cotillons, voulant la terrasser.
Un homme est venu, lui a donné un coup de serpe ; le loup lui a percé la
main en cinq places. Il s’est jeté sur un autre, l’a pris au visage, lui a
arraché une dent et percé la joue en trois endroits. L’ayant quitté, il a
trouvé un habit qu’il a emporté et déchiré. Le bruit s’est répandu dans le
village, on a sonné la cloche. Tout le monde a couru, étant bien armé ;
mais la bête avait pris les champs, il était environ trois heures de
l’après-midi. Et sur les quatre heures, le loup s’est trouvé à Faux
(Villecerf), nous en sortions, messieurs les curés de Saint-Lupien, du Mesnil
(St Loup), de Pâlis et moi : au coin du cimetière, nous nous sommes
séparés. Le curé de Pâlis était avec les nommés Portelait et Prévost de
Villemaur ; à peine ont-ils été dans la rue qui conduit à Pâlis qu’ils ont
aperçu le loup, il est venu à eux et a pris Portelait à la gorge. Les deux
autres ont cassé leur bâton sur le corps du loup qui enfin a abandonné sa proie
et a pris la plaine vers Mesnil-St-Loup. Les trois hommes sont retournés chez
Monsieur le curé de Faux, pour étancher le sang qui coulait de la gorge du
blessé : malheureusement j’étais au mauvais vent et je n’ai pas entendu le
cri car j’avais mon fusil chargé à balle.
Le loup est entré au
Mesnil (St Loup) la nuit fermée et comme il y avait eu quatre maisons et trois
granges de brûlées la veille, le monde était encore à garder le feu. Cette bête
furieuse s’est jetée indistinctement sur chacun, en a blessé 17 dangereusement
dont un que je crois mort car il avait le crâne découvert et offensé. Sur les
11 heures du soir, le loup s’est trouvé à Saint-Liébault (Estissac), a attaqué
le charron, lui a fait plusieurs blessures, mais celui-ci est fort et
vigoureux, l’a pris entre ses bras en criant : « au secours » ;
le garçon boucher l’a achevé avec son couteau, le charron lui avait arraché la
mâchoire. Tout cela s’est passé depuis trois heures jusqu’à onze heures du soir
que la bête fut tuée.
Le lendemain, dès le
matin, nous avons envoyé une voiture à Madame Dombière, en la priant de venir
au secours de ceux qui n’étaient pas en état d’être transportés à Nogent ;
le même jour nous avons fouillé les bois de Villadin, croyant trouver le loup ;
vers le soir, on nous a dit qu’il avait été tué à Saint-Liébault. Madame
Dombière est arrivée et, en même temps, tous les blessés de Faux, du Mesnil, de
Pâlis et de Saint-Liébault, les uns à pied et d’autres en charrette :
c’était une désolation des plus terribles… les vaches d’ici étaient dans les
bois… le loup a passé à travers mais nous ne savons pas s’il y a en a eu de
mordues. Nous n’avons pas de chirurgien, c’est moi qui panse ceux de ma
paroisse avec l’onguent… Je n’en ai plus que pour deux fois, que deviendront
ces malheureux ? Faudra-t-il les laisser périr faute de secours ? Les
plaies sont profondes et je ne sais pas ce qu’il faudrait mettre dedans.
Ce
2 janvier 1775
Voisin,
curé de Villadin
Il y a 25 personnes de
blessées ; on n’a jamais vu une pareille chose ; la bête de Gévaudan…
n’était pas si cruelle… que cette louve là ».
Sur la fin de son
mémoire, le curé de Villadin fait était d’une voiture qui se rend à
Nogent-sur-Seine pour en ramener Madame Dombière : en effet, une parenté
avec Saint-Hubert lui est attribuée. Mme Dombière s’empresse de répondre à la
sollicitation reçue, elle prend la voiture qui l’emmène donner « le
répit » aux malheureuses victimes du loup réunies en même temps qu’elle à
Villadin. Si l’on en croit la chronique, cinquante ans plus tard, les
descendants de cette famille auraient séjourné à Boy-sur-Orvin.
Le compte rendu du curé
de Villadin, pourtant détaillé n’indique pas que plusieurs blessés décident
ensuite d’aller auprès de Mme de Bragelone, laquelle en qualité de parente de
Saint Hubert, prétend aussi avoir le droit de toucher ceux qui ont été mordus
par des bêtes enragées. Cette seconde démarche qui ne paraissait nullement
nécessaire, ne laisse pas de surprendre : était-ce que la parenté de Mme
de Dombière se trouvait mal établie ? Ou bien voulait-on adopter un parti
plus sûr en ayants recours à Mme de Bragelone ? La raison exact de cette
nouvelle intervention n’est pas connue.
Lorsque les moyens
magiques paraissent à peu près épuisés, on se tourne vers les solutions
pratiques. Des voitures sont dépêchées à Troyes afin de solliciter quelques
remèdes, elles en rapportent du bouillon pour les plus souffrants, du pain, du
vin, de la viande, 200 livres de riz pour les autres et de vieux linges avec de
la charpie en vue des pansements à effectuer. Le curé de Villadin malgré son
âge (66 ans) assure la distribution de ces denrées car on a peur de la rage,
personne ne semble pressé d’aller au-devant des malades : abandonnés à
leur triste sort, dans une chambre misérable, parfois sur la paille, ils en
viennent à manquer de choses les plus nécessaires que parents ou amis négligent
de leur procurer.
Les secours
s’organisent. Le lundi 2 janvier arrive de Troyes un docteur jeune (26ans) et
compétent (formé à l’école de médecine de Montpellier) ; issu d’une
famille de médecins, le docteur Thiesset demeure rue Champeaux, il apporte avec
lui beaucoup de mercure que l’on considère comme l’un des meilleurs remèdes
contre la rage.
Encore célibataire, le
docteur Thiesset se dévoue au service de ses malades avec une abnégation
totale ; il est secondé admirablement par un aide-soignant, le sieur
Dauphin, chirurgien de Dierrey-Saint-Pierre, dont le dévouement et le zèle
méritent tous les éloges. En l’absence de ce dernier, les malades auraient
manqué des soins les plus indispensables. Pratiquement Dauphin ne les quitte
pas, allant à Mesnil-Saint-Loup et de là à Faux-Villecerf et à Villadin :
ce trajet est répété pendant 50 jours au moins pour faire les pansements au
mercure. Le docteur Thiesset reconnait qu’il lui aurait été difficile, sinon
même impossible, d’assurer l’application de ses remèdes sans la hardiesse du
chirurgien de Dierrey.
De la hardiesse il en
faut en effet : un jour, poursuivi par l’un de ses malades, le docteur
Thiesset doit son salut uniquement à une pierre qui fait trébucher l’homme en
démence. Dans une circonstance différente, Dauphin, le chirurgien de
Dierrey-Saint-Pierre, se lance à la poursuite d’un enragé enfuit à travers la
campagne. Au milieu de la nuit noire, il court après son malade, il le rattrape
et le renverse par terre. Puis il le traine, il le met sur ses épaules et le
ramène, parcourant une demi-lieue avec son fardeau. Placé ainsi sur le dos de
son bienfaiteur, l’enragé trouve le moyen de le mordre. Néanmoins, Dauphin
reste calme, il prodigue ses soins sans désemparer. Les aventures se renouvellent :
un nommé Lasneret saute à la gorge de Dauphin et lui couvre le visage d’une
bave pleine d’écume. Celui-ci n’est pas davantage troublé, il garde sa sérénité
et continue… Après avoir ainsi soigné les autres, Dauphin finit par être
pénétré de mercure, il devient malade à son tour et donne de vives inquiétudes
que les purgatifs réitérés du docteur Thiesset parviennent difficilement à
dissiper. Le curé de Villadin également n’échappe pas à ce climat de
rage : pendant qu’il confesse Claude Vincent, celui-ci, un jeune homme de
21 ans, lui prend la main et la serre d’une force inouïe avec des envies de
mordre comme une bête. Claude Vincent demande au curé de se retirer. Le curé
pense avoir été mordu, néanmoins il arrive à briser l’étreinte du malade, il
recule de quatre pas. Deux minutes plus tard, Claude Vincent le prie de se rapprocher
en l’assurant qu’il ne lui fera aucun mal ; le curé se rapproche, la
confession s’achève. Ensuite, le curé aide à attacher Claude sur son lit de
douleur. Le calvaire se poursuit inexorablement : la malheureuse victime
grince des dents, elle s’agite avec frénésie, son corps se contracte dans des
convulsions et des spasmes de tous les
instants, il entre en fureur et pousse des cris effroyables : il faut
toujours rester sur ses gardes et ne pas perdre de vue un seul mouvement du
malade. Le spectacle horrible de tous ces malheureux fait dire aux bien
portants qu’ils aimeraient mieux être dans une ville de pestiférés…
On s’en doute bien.
Tant de souffrances aboutissent à un douloureux martyrologue, le voici
brièvement :
A Mesnil-Saint-Loup,
les plus éprouvés furent le maréchal-ferrant, sa femme et son fils. Le 26
décembre, un incendie commence par détruire entièrement leur maison, puis, le
lendemain, ils sont mordus cruellement par le loup. Ensuite pour leur plus
grand malheur, ils se trouvent relégués sur la paille dans une maison établie à
l’écart. Le 16 janvier, donc moins de trois semaines après l’accident, le
maréchal-ferrant succombe à 45 ans. Quatre jours plus tard, son fils, âgé de 14
ans le suit dans la tombe. A Villadin meurt en même temps un manouvrier de 30
ans ; à cinq jours de là, c’est le tour de Claude Vincent, celui dont la
confession avait été si mouvementée. Le 27 janvier à Estissac, on déplore la
mort du brave des braves, le charron jean Verger. Le 30 janvier, à
Mesnil-Saint-Loup, Claude Lasneret disparait également. On s’en souvient,
Claude Lasneret avait sauté à la gorge du chirurgien de Dierrey-Saint-Pierre.
La situation semble
s’améliorer. Du moins les décès s’arrêtent. Cependant, le 25 février, une
personne qui paraissait guérie, devient subitement enragée ; les autres
malades l’apprennent, ils s’en alarment. Surpris lui-même de ce retour intempestif
de la rage, le docteur Thiesset aboutit aux conclusions les plus pessimistes :
pris à forte dose le mercure n’empêche pas les rechutes 18 jours après une
entière convalescence ou même 60 jours après l’accident.
Dans le courant de
février, ceux de Villadin et de Mesnil-saint-Loup qui avaient surmonté
victorieusement la rage, voulurent se rendre à pied vers Saint Hubert des
Ardennes. A leur retour, le docteur Thiesset s’empresse de les examiner. Avec
une satisfaction visible, il constate que le pèlerinage a été très
bénéfique : au point de vue physique, les pèlerins se portent bien ;
au point de vue moral « leur imagination est raffermie ». Le
chirurgien de Dierrey-Saint-Pierre se dirige aussi vers Saint Hubert des
Ardennes, il en revient confirmé dans la sérénité avec son calme habituel.
Là-bas un religieux de
Saint Hubert promet de venir au printemps prochain, dans la région de
Mesnil-Saint-Loup pour vendre des petits cornets d’argent ayant touché aux
reliques de Saint Hubert : bien sûr, ce sera la meilleure assurance pour
ceux qui n’ont pas eu la possibilité de se rendre en pèlerinage.
On dit que la peur
n’évite pas le danger, effectivement, les deux subsistent. Autour de Villadin,
les loups rôdent en grand nombre, les bois de Pouy en sont infestés, on redoute
le pire car la louve enragé « courrait plus vite que le meilleur lévrier
du monde ». La crainte que d’autres loups n’aient été mordus parait
fondée, on observe de nombreux cadavres d’animaux : ici un chien, là c’est
un renard, plusieurs de ceux-ci ne présentent absolument aucune blessure
apparente ; ailleurs une louve, ouverte par le docteur Thiesset, est
reconnue morte enragée. Personne n’ayant nulle part mis des appâts empoisonnés,
ces découvertes donnent de vives inquiétudes, elles laissent penser que le
terrible fléau se propage au cœur de la forêt. D’ailleurs, on n’ose pas quitter
sa maison ni s’aventurer au dehors car les loups deviennent de plus en plus
agressifs, ils attaquent même en plein jour. Ainsi, peu de temps après le
drame, le 30 décembre 1774, le curé de Villadin est dans l’obligation de
traverser les bois. Chasseur intrépide et brave, celui-ci rencontre un loup qui
vient résolument vers lui : il tire avec calme et fort heureusement tue la
bête féroce.
La situation étant
critique, les communautés d’habitants
s’alarment, elles sollicitent le secours des chasseurs, elles demandent des
battues générales. Le principe en est accepté, une grande traque est décidée
avec le concours des paysans qui s’offrent sans armes. De Clermont-en-Argonne
deux piqueurs de limiers sont en route. Accompagnés de leurs meutes, ils
arrivent à Troyes avec Monsieur Delisle de Moncel, premier lieutenant de la
Grande Louveterie de France. Désigné pour prendre l’affaire en mains, celui-ci
se rend immédiatement chez le duc d’Estissac. Bon et charitable envers tous, le
Grand Louvetier inaugure son séjour par la visite des malades, il conforte les
cœurs, « mes visites les consolent », dit-il. Devant lui on émet
l’avis de tuer tous les chiens, Monsieur de Moncel en fait abattre un seul et
dédommage son propriétaire. Par ses soins, un cavalier de la maréchaussée de
Troyes porte à la connaissance des seigneurs du voisinage qu’une battue
générale est imminente, il sollicite leur soutien et celui de leurs
gardes-chasse. Il importe que la battue assure la sauvegarde du gibier :
or, comme des abus sont toujours possibles, Monsieur de Moncel interdit de
tirer sur d’autres bêtes que sur les loups sous peine de prison.
Les préparatifs
connaissent une certaine envergure, Monsieur de Moncel fait appâter à
Arcis-sur-Aube, à Montmorency et jusque dans les bois de Sarry, aujourd’hui en
Côte-d’Or. Envisageant de pénétrer dans la forêt de Vauluisant, il confie la
battue à un seigneur ami et il s’empresse d’aller à Paris pour solliciter
auprès de l’Intendant, l’autorisation de s’étendre sur sa Généralité.
Sur place, à Estissac,
Monsieur de Moncel ne se montre pas moins actif, il s’enquiert, il
interroge ; ses observations aboutissent à des idées assez originales.
Les loups appartiennent
à deux catégories différentes, les uns sont sédentaires, les autres sont étrangers
à la région :
- Les loups sédentaires
se laissent appâter avec des bêtes mortes placées à la lisière des bois. Jadis
les pièges de Monsieur le duc d’Estissac en prenaient beaucoup. Depuis deux ans
les pièges n’en prennent plus. Aucun loup ne donne aux amorces et cependant, il
y en a toujours autant : cela laisse supposer que les loups sédentaires
ont disparu au profit des autres.
- Les autres sont des
étrangers, ils viennent de Liège, ils vont vers Fontainebleau, leur passage se
fait surtout entre Pouy et la Seine par une plaine flanquée de bois qui
favorisent leur mouvement vers la forêt royale. Ces itinérants, ces vagabonds
sont de la pire espèce, difficiles à abattre car ils se nourrissent
exclusivement de chair vive. Plutôt que de toucher à des amorces de bêtes
mortes, ils préfèrent se laisser devenir enragés. En conséquence il faut les
amorcer avec des bêtes vivantes placées sur les louvières.
Le moment de la battue
est arrivé. La veille, 30 janvier, Monsieur de Moncel juge utile de faire une
reconnaissance sur le terrain : dans la partie sud du territoire
d’Estissac, il découvre trois loups, mais, suivant les informations dont il
dispose, il peut y en avoir le double dans la contrée opposée à Villadin.
Les chasseurs arrivent
de tous les côtés, le branle-bas de guerre se déclenche ; au moyen des
traqueurs (les paysans) munis de cordes, Monsieur de Moncel établit une ligne
de « pantins » sur environ 3 000 toises (6km), ligne qui barre,
autant que faire se peut, la direction de Fontainebleau pour repousser les
loups vers l’Argonne.
La battue se déroule
avec succès, elle se solde par un certain nombre de loups tués. Toutefois,
aucun chiffre n’est indiqué. Il appartient à un tuilier de Villadin de vendre
les peaux des bêtes, ensuite le prix de la vente est distribué entre tous les
tireurs de la chasse.
Inspirée par des idées
assez curieuses, la battue de Monsieur de Moncel méritait de trouver place dans
cette chronique. Mais il convient d’aboutir au principal, Monsieur le duc
d’Estissac voulut que le charron passe à la postérité, c’est pourquoi, à
l’extérieur de l’église d’Estissac, près de la porte sud, il a fait ériger un
monument à la mémoire de Jean Verger lequel s’est acquis « estime,
honneur, gloire durable ». La gravure de ce monument que l’on voit encore,
est due aux professeurs de dessin de l’école de Troyes. L’inscription est de
Monsieur le chanoine Bouczo, frère du curé d’Estissac.
TRADITION
ÉCRITE
TRADITON
ORALE
L’action héroïque du
charron d’Estissac relève à la fois de l’histoire et de la légende, il en
résulte deux schémas bien explicites et pleins d‘intérêt suivant que l’on se
réfère à l’une ou à l’autre de ces sources.
Voici d’abord la
tradition écrite prise principalement dans la série C n°1165 des Archives
départementales de l’Aube, elle situe le drame de la façon suivante :
A 11h du soir, le
charron, le charpentier Jean Verger termine sa journée. Dans les rues
d’Estissac il se trouve surpris par un loup enragé qui l’attaque, qui le blesse
au visage. Mais ce garçon de 33 ans, doué d’une force peu commune, saisit le
loup. Suivant le sens propre du mot gravé sur le marbre de sa tombe. Il
l’« atterre », il le jette à terre, il le terrasse, il le plaque
contre terre, lui brisant la mâchoire. Tenu ferme, le loup ne peut
mordre ; le charron appelle au secours. Un garçon boucher accourt porteur
d’un couteau avec lequel il tranche la gorge de l’animal féroce. Aussitôt
l’affaire est « montée en épingle », elle le mérite, car sur le même
chemin arrive justement le curé d’Estissac accompagné de 10 ou 12 personnes qui
suivent le viatique : si le charron ne s’était pas trouvé là, aussi brave,
on devine ce qui aurait pu encore arriver…
Soigné à l’hôpital
d’Estissac, par le chirurgien de l’endroit, Jean Verger mourut de la rage
exactement un mois après avoir tué le loup.
Regnard dit :
« C’est dans les grand dangers que l’on voit les grands
courages » ; le peuple Champenois et les gens d’Estissac en
particulier, l’entendent ainsi ; l’action de Jean Verger relève de
l’héroïsme le plus pur, elle a besoin d’être sublimée. Fichot a recueilli la
tradition populaire, il l’a consignée avec une complaisance à peine dissimulée
dans son livre intitulé : « Statistique monumentale du département de
l’Aube », t. II.
Ce tome a été écrit
vers 1888, c’est-à-dire un peu plus d’un siècle après l’épisode historique. Un
siècle représente environ trois générations puisque l’on attribue à la force vive
d’une génération la durée moyenne de 35 ans. Donc la tradition orale se met à
la mesure de trois générations successives qui amplifient le fait et qui l’assortissent
de détails précis que Fichot a pu recueillir sur les lieux même du théâtre
d’opération. Dans cette tradition, tout parle, autant la voix que le geste
puisque, en fin de compte, les gens d’Estissac n’ont qu’un désir : placer
« une couronne de lauriers » sur la tête de Jean Verger. Fichot dit
ceci :
« Le 26 décembre
1774, le pays d’Estissac était terrifié par la présence d’un loup enragé venu
du village de Dierrey-Saint-Pierre, distant de 8 kilomètres. Au moment où le
terrible animal arrivait dans l’une des principales rues, un ouvrier charron,
nommé Verger, revenant du bois où il travaillait, retournait à son logis, après
une journée terminée ; tout à coup, il est assailli par le loup, qui se
jette sur lui pour le déchirer ; plein d’un courage héroïque, le brave
Verger se dégage de l’éteinte de la bête, et, lui plongeant le bras dans la
gueule béante, le précipite à terre, en lui tenant fortement la langue ;
en même temps, de toute la force de sa voix, il appelle au secours. Aussitôt
une femme courageuse, une bouchère, dont la maison était toute proche du
théâtre de la lutte, sort résolument, un grand couteau à la main, et se
précipite sur le loup pour l’égorger. Toutefois, avant de plonger le couteau
dans le cou du monstre, cette femme courageuse éprouve une certaine
hésitation ; elle craint de blesser, peut-être même de couper la main du
pauvre Verger ; « Ne craignez rien, lui dit-il, je lui tiens
fortement la langue ; plonger résolument le couteau dans la gorge ».
Au même instant, la longue lame transperce le cou du loup qui se tord sous la
vigoureuse étreinte de la main de son vainqueur. La bête tombe ensanglantée sur
le sol. Mais le brave Verger, les doits hachés par les morsures du loup et
coupé par le couteau succombait, 22 jours après, à ses cruelles et horribles
blessures.
Il mourut victime de
son courage et de son héroïque dévouement.
A tout prendre, les
déviations sont minimes : le loup bien de Dierrey et non plus de
Villadin ; la bouchère entre en action à la place du garçon boucher ;
Jean Verger revient du bois à 11 heures du soir, le 27 décembre ! C’est un
record dont le curé de Villadin aurait dû s’émouvoir.
Dans la tradition orale
la plus fantaisiste, il y a lieu de chercher un fond de vérité. Il existe
réellement.
LES
LOUVIERES
L’usage des
louvières se trouve indiqué parmi les dispositions retenues dans la région d’Estissac
lorsque sévissait la rage.
Une
« louvière » : ce mot appartient au parler Champenois, il
désigne une trappe, une fosse de forme rectangulaire dont les dimensions sont
approximativement les suivantes : 2 mètres de longueur, 1,80 de largeur et
autant de profondeur. Au fond de la fosse un lit de branchages un peu mou, un
peu souple, presque flasque empêche le loup de prendre de l’élan pour
s’échapper. Le dessus de la fosse est également couvert de légers branchages
dissimulés par une mince couche de mousse, de feuilles mortes et de terre. Au
milieu de la trappe et au niveau du sol, un billot supporte l’appât.
Ordinairement on met une cane vivante qui fait office d’appelant.
Lorsqu’un
loup tombe dans une louvière, on dit qu’il perd beaucoup de son assurance, de
son audace et de sa férocité. En voici un exemple curieux :
Les petites Affiches de
l’Arrondissement de Nogent, n°72 du 27 juillet 1820, rapportent le fait
suivant :
Entre Pont-sur-Seine et
Nogent, un piège à loups avait été établi selon le monde habituel, il était
appâté avec une oie qui « criant miséricorde ». Sur le soir, passant
à proximité de là, un certain voyageur ne resta pas insensible à cet appel de
détresse : « Tiens », se dit-il, « voilà une oie qui tombe
bien, elle va améliorer mon ordinaire ». Guidé par les cris, il s’approche
mais, au moment de prendre la bête, il culbute dans la louvière. Cette chute
brutale le laisse un peu assommée. Il éprouve alors le besoin de concentrer ce
qu’il lui reste de facultés intellectuelles pour essayer de s’en sortir.
Pendant qu’il étudie la situation, un bon gros loup survient. Lui aussi ne
semble pas tout à fait indifférent aux cris poussés par l’oie. Il bondit. Mais
au moment de saisir sa proie, il tombe à son tour dans la louvière.
La louvière n’ayant pas
été prévue pour deux, l’accueil du nouveau venu est assez réservé. Mais
l’évidence est là, elle s’impose, il n’y a pas lieu d’aller contre. Avec un
appétit identique les deux pensionnaires aboutissent au même point de chute. Il
faut maintenant chercher un compromis acceptable qui permette à chacun de passe
le reste de la nuit le moins mal possible. Ce compromis est bientôt trouvé. Le
loup se blottit dans un coin, le voyageur se réfugie dans le coin opposé.
Au-dessus d’eux, l’oiseau du Capitole criaille toujours : de quoi ameuter
tous les loups de la forêt.
Bien que les nuits
d’été soient assez courtes, celle-ci parut assez longue ; elle était
entrecoupée par les soupirs des deux convives frustrés dans leurs appétits les
plus légitimes.
« Vous avez des
grandes oreilles… une grande bouche… des grandes dents » ; l’heure
n’est pas aux confidences. Les soupirants n’ont qu’une possibilité, celle de se
regarder et de lever ensuite les yeux vers la vision du ciel, un ciel sans
nuage que l’un et l’autre désire rejoindre le plus tard possible.
Au petit jour, les
piégeurs arrivent sur la pointe des pieds ; ils aperçoivent le gros loup
tout rétréci dans son coin. Ils s’apprêtent à tirer sur lui. Au même instant
retentit : « Ne tirez pas, ne tirez pas ». On dirait des paroles
venues d’outre-tombe. Piégeurs et chasseurs n’en croient pas leurs oreilles,
ils prennent leurs jambes à leur cou, ils se sauvent à l’église chercher de
l’eau bénite pour « griller » (noyer) l’esprit diabolique qui
tourmente le corps du loup. On sait pourtant que l’eau bénite n’a jamais
empêché quelqu’un de causer ; dans la louvière, ça cause encore. Le
dialogue, le dialogue seul permet de résoudre l’épineux problème. Le loup ne
savait pas dialoguer, il en fut très vulnérable.
De nos jours encore,
les amis des bois pourront rencontrer des louvières. Ce genre de fosse a laissé
des traces plus ou moins incurvées, plus ou moins comblées qu’il est possible
de discerner dans un minimum d’observation, les dimensions de surfaces restant
nettement, perceptibles.
Au sol, les louvières s’effacent et disparaissent mais, sur les plans de l’ancien cadastre, elles marquent de fortes empreintes puisque l’on désigne au moins quarante pays ayant comme lieu-dit « La Louvière » ou « Les Louvières ».
Les
saints protecteurs contre la rage dans le contexte médiéval
Focus sur leur rôle,
les pratiques associées et leur importance culturelle. Au Moyen Âge, face à
l’impuissance de la médecine contre la rage, les populations se tournaient
souvent vers la foi, invoquant des saints réputés pour leur intercession contre
cette maladie terrifiante. Je vais me concentrer sur les principaux saints liés
à la rage, notamment en Europe et en Champagne où cela est pertinent.
1.
Saint-Hubert :
Le protecteur emblématique contre la rage
Origine et légende :
Saint-Hubert (mort en
727) était un noble franc devenu évêque de Liège. Sa légende raconte qu’il se
convertit après avoir vu un cerf portant une croix entre ses bois lors d’une
chasse, le poussant à abandonner la vie mondaine pour la foi.
Associé à la chasse et
aux forêts, il devint le patron des chasseurs, des chiens et, par extension, un
protecteur contre les maladies transmises par les animaux, dont la rage.
Les chiens de chasse,
souvent impliqués dans les cas de rage, ont renforcé son association avec cette
maladie. Une tradition postérieure prétend qu’il guérissait miraculeusement les
morsures d’animaux enragés.
Pratiques
dévotionnelles :
Pèlerinages
: Le sanctuaire de Saint-Hubert, dans les Ardennes (aujourd’hui en Belgique,
près de la Champagne), attirait des foules de pèlerins mordus par des animaux.
On y venait chercher la "clé de Saint-Hubert", un fer chauffé béni
par les moines, appliqué sur la plaie pour soi-disant prévenir la rage.
Rituel :
Les prêtres bénissaient
aussi des "pains de Saint-Hubert" (pain consacré) que les fidèles
mangeaient ou donnaient à leurs chiens pour les protéger.
Diffusion
:
En Champagne, région proche des Ardennes et
marquée par la chasse, Saint-Hubert était particulièrement vénéré. Les abbayes
locales, comme celle de Saint-Hubert-en-Ardennes, relayaient son culte.
Efficacité perçue
:
Les
"guérisons" étaient attribuées à des miracles, bien que la survie de
certains pèlerins s’explique probablement par des morsures d’animaux non
infectés.
2.
Saint-Roch : Le saint
des maladies infectieuses
Origine et légende :
Saint-Roch (XIVe
siècle, mort vers 1376) était un pèlerin français qui, selon la tradition,
soigna des pestiférés avant de contracter lui-même une maladie (souvent
identifiée comme la peste). Guéri par un ange et un chien qui lui apportait du
pain, il devint un symbole de protection contre les fléaux.
Lien avec la rage :
Bien que principalement
associé à la peste, son lien avec un chien dans sa légende l’a aussi fait
invoquer contre la rage, surtout dans les cas où la maladie était perçue comme
un "fléau" similaire.
Pratiques
dévotionnelles :
Prières et statues : On
priait devant des statues de Saint-Roch, souvent représenté avec un chien et
une plaie à la jambe, dans les églises ou les chapelles.
Pèlerinages
:
Des sanctuaires comme
celui de Montpellier ou des chapelles locales en Champagne attiraient les
fidèles.
Rôle en Champagne
:
Moins spécifique à la
rage que Saint-Hubert, Saint-Roch était invoqué dans un cadre plus large de
maladies, mais son culte était répandu dans la région, notamment pendant les
épidémies post-Peste noire.
Efficacité perçue
:
Comme pour
Saint-Hubert, les "succès" relevaient de coïncidences ou d’un effet
placebo spirituel.
3.
Autres saints associés à la rage
D’autres figures, moins
centrales mais parfois invoquées, méritent une mention :
a.
Saint-Antoine le Grand
Lien
: Patron des animaux et des ermites, il était parfois appelé pour protéger le
bétail ou les chiens contre la rage.
Pratique
: Prières simples ou bénédictions d’animaux dans les zones rurales.
Présence
: Moins marqué en Champagne, mais connu dans les campagnes européennes.
b.
Saint-Sébastien
Lien
: Associé aux flèches (symboles de maladies perçantes comme la morsure), il
était invoqué contre divers maux, y compris la rage dans certaines régions.
Pratique :
Processions ou offrandes dans les églises.
Rôle
: Secondaire par rapport à Hubert ou Roch.
c.
Saints locaux ou mineurs
Dans certaines régions,
des saints obscurs ou des guérisseurs locaux étaient liés à la rage via des
traditions orales, mais sans culte organisé comparable à celui de Saint-Hubert.
4.
Pratiques et croyances associées
Rituels spécifiques
:
Clé
de Saint-Hubert : Ce fer béni, chauffé et appliqué sur
la morsure, combinait foi et cautérisation physique, une pratique courante dès
le XIe siècle dans les régions du nord-est de la France.
Médailles et amulettes
: Porter une image ou une médaille de Saint-Hubert ou Saint-Roch était censé
protéger préventivement.
Contexte social :
Ces saints offraient un
espoir là où la médecine échouait. Les pèlerinages renforçaient la cohésion
communautaire face à la peur de la rage.
Les moines et prêtres,
gardiens de ces cultes, jouaient un rôle clé en organisant les rituels et en
distribuant les objets consacrés.
En
Champagne :
La proximité
géographique avec Liège et l’importance de la chasse dans la région faisaient
de Saint-Hubert le saint privilégié contre la rage, tandis que Saint-Roch était
plus invoqué lors des crises sanitaires générales.
5.
Impact culturel et limites
Importance culturelle
:
Les saints protecteurs
incarnaient une réponse spirituelle à l’impuissance médicale. Leurs légendes,
transmises par l’Église, donnaient du sens à une maladie autrement
inexplicable.
Les récits de miracles
(ex. : guérisons attribuées à Saint-Hubert) étaient consignés dans des
hagiographies, renforçant leur aura.
Limites réelles :
Aucun saint ne pouvait
guérir la rage une fois déclarée, car elle était biologiquement incurable sans
intervention moderne. Les "miracles" s’expliquent par des cas où la
morsure n’était pas rabique ou par une survie naturelle pendant la longue
incubation.
La foi offrait un
réconfort psychologique, mais pas une solution tangible.
6.
Sources historiques
Hagiographies
: La Vita Sancti Huberti (VIIIe siècle) et les récits sur Saint-Roch (XVe
siècle) relatent leurs liens avec la rage ou les maladies.
Chroniques
: Des textes médiévaux mentionnent des pèlerinages à Saint-Hubert pour des
morsures, notamment dans le nord de la France.
Art religieux
: Fresques et statues dans les églises champenoises (ex. : Reims, Troyes)
montrent ces saints avec leurs attributs (cerf pour Hubert, chien pour Roch).
Conclusion
Au Moyen Âge, Saint-Hubert
était le principal protecteur contre la rage, surtout en Champagne et dans les régions voisines, grâce à son lien avec la
chasse et les rituels comme la clé bénie. Saint-Roch, plus généraliste,
complétait cette protection dans un cadre sanitaire plus large. Ces saints,
porteurs d’espoir dans une époque d’impuissance médicale, illustraient la
fusion entre foi et désespoir face à une maladie aussi redoutable que la rage.
Les
rituels associés à Saint-Hubert en tant que protecteur contre la rage au Moyen
Âge.
Ces pratiques, profondément enracinées dans la
foi et la culture populaire, étaient particulièrement répandues dans les
régions du nord-est de la France, comme la Champagne, proches de son sanctuaire
principal à Saint-Hubert (aujourd’hui en Belgique). Je vais décrire les
principaux rituels, leur mise en œuvre, leur signification et leur contexte
historique.
1. Contexte : Pourquoi
Saint-Hubert ?
Saint-Hubert (mort en
727), évêque de Liège et patron des chasseurs, devint au Moyen Âge le saint le
plus invoqué contre la rage en raison de son association avec les chiens, les
forêts et les animaux sauvages – vecteurs potentiels de la maladie. Sa légende,
marquée par la vision d’un cerf avec une croix, renforçait son statut de figure
spirituelle liée à la nature et à la protection divine. Face à l’impuissance
médicale contre la rage, les rituels qui lui étaient dédiés offraient un espoir
tangible aux populations médiévales.
2. Les principaux
rituels de Saint-Hubert
Ces pratiques
combinaient des éléments religieux, thérapeutiques et communautaires, souvent
orchestrées par l’Église ou des confréries locales.
a.
La "Clé de Saint-Hubert"
Description :
Une petite barre ou un
fer en forme de clou, béni par un prêtre ou un moine en invoquant Saint-Hubert,
était chauffé au rouge et appliqué sur la plaie causée par la morsure d’un
animal suspecté de rage.
Origine :
Ce rituel remonterait
au Xe ou XIe siècle, lié au culte grandissant de Saint-Hubert dans les
Ardennes. La "clé" symbolisait à la fois une intervention divine et
une imitation des pratiques médicales de cautérisation.
Mise en œuvre :
Le fidèle, souvent
accompagné de sa famille, se rendait au sanctuaire de Saint-Hubert (dans les
Ardennes) ou dans une église locale dédiée au saint (comme à Reims ou Troyes en
Champagne).
Un prêtre récitait des
prières spécifiques (ex. : extraits de la Vita Sancti Huberti) et bénissait le
fer avant de l’appliquer sur la morsure, parfois en plusieurs points autour de
la plaie.
La douleur était
intense, mais endurée comme un acte de foi.
Signification :
On croyait que la
bénédiction de Saint-Hubert, combinée à la chaleur, "purifiait" la
plaie et empêchait le "venin" de la rage de se propager.
Efficacité perçue :
Si certaines personnes
survivaient (parce que l’animal n’était pas infecté ou que la cautérisation
tuait des bactéries secondaires), cela était attribué à un miracle de
Saint-Hubert. En réalité, cela n’arrêtait pas le virus rabique une fois
propagé.
b.
Les "Pains de Saint-Hubert"
Description :
Du pain consacré, béni
lors d’une messe en l’honneur de Saint-Hubert, était distribué aux fidèles ou
donné aux animaux (chiens, bétail) pour les protéger contre la rage.
Origine :
Ce rituel, apparu dès
le Moyen Âge central (XIIe siècle), s’inspirait des traditions de bénédiction
des récoltes ou des troupeaux, adaptées ici à la menace de la rage.
Mise en œuvre :
Lors de la fête de
Saint-Hubert (3 novembre) ou après une morsure signalée, une messe était
célébrée dans une église ou une chapelle dédiée au saint.
Le prêtre bénissait des
pains avec de l’eau bénite, parfois marqués d’une croix, en invoquant la
protection de Saint-Hubert.
Les fidèles
consommaient le pain ou le donnaient à leurs animaux domestiques, notamment les
chiens de chasse.
Signification :
Le pain agissait comme
une sorte d’amulette comestible, censée transmettre la grâce du saint pour
prévenir ou guérir la rage.
Efficacité perçue :
Purely symbolique, ce
rituel renforçait la foi communautaire, mais n’avait aucun effet biologique.
c.
Pèlerinages au sanctuaire de Saint-Hubert
Description :
Les victimes de
morsures ou leurs proches entreprenaient un voyage vers l’abbaye de
Saint-Hubert dans les Ardennes pour implorer une guérison ou une protection.
Origine :
Le sanctuaire, fondé au
VIIIe siècle et développé au fil du Moyen Âge, devint un centre majeur de
dévotion après que des miracles y furent attribués à Saint-Hubert.
Mise en œuvre
:
Le pèlerin parcourait
souvent des dizaines voire des centaines de kilomètres (depuis la Champagne,
par exemple), parfois pieds nus en signe de pénitence.
À l’arrivée, il
participait à une messe, recevait la "clé" ou une bénédiction
spéciale, et déposait une offrande (argent, cierges, objets).
Les moines conservaient
des reliques supposées de Saint-Hubert (ex. : son étole), que les pèlerins
pouvaient toucher.
Signification :
Le pèlerinage était un
acte de foi et de désespoir, visant à obtenir une intervention directe du saint
contre la rage.
Efficacité perçue :
Les récits de
"guérisons" (souvent des cas non rabiques) alimentaient la réputation
du sanctuaire.
d.
Prières et bénédictions locales
Description :
En l’absence de
possibilité de pèlerinage, des prières spécifiques à Saint-Hubert étaient
récitées dans les églises ou par des prêtres locaux, souvent accompagnées de
bénédictions d’eau ou d’objets.
Origine :
Pratique courante dans
les paroisses rurales, où les prêtres adaptaient le culte de Saint-Hubert aux
besoins immédiats.
Mise en œuvre :
Une prière comme
"Sancte Huberte, protector noster, libera nos a rabie et morsu
ferali" ("Saint Hubert, notre protecteur, délivre-nous de la rage et
de la morsure sauvage") était dite sur la plaie ou sur le patient.
L’eau bénite pouvait
être versée sur la morsure ou utilisée pour asperger les animaux.
Signification :
Une alternative
accessible pour demander la protection divine sans se déplacer.
Efficacité perçue :
Réconfort spirituel
uniquement.
3.
Contexte en Champagne
Proximité géographique
: La Champagne, située à une distance raisonnable des Ardennes (100-200 km
selon les villes comme Reims ou Troyes), était dans la sphère d’influence du
culte de Saint-Hubert. Les chasseurs et les nobles locaux, nombreux dans cette
région boisée, vénéraient particulièrement ce saint.
Rôle des abbayes
: Des monastères champenois (ex. : abbaye de Clairvaux) relayaient ces rituels,
organisant des messes ou distribuant des pains bénits lors des épidémies de
rage locales.
Chasse et chiens
: La présence de forêts et l’usage de chiens de chasse (susceptibles de
contracter ou transmettre la rage) renforçaient l’importance de ces pratiques
dans la région.
4.
Signification culturelle
Espoir et communauté :
Ces rituels offraient une réponse collective à une menace individuelle,
unissant les fidèles dans la dévotion face à l’impuissance médicale.
Symbolisme :
La "clé" et les "pains" mêlaient foi et action concrète,
donnant l’illusion d’un contrôle sur une maladie incontrôlable.
Héritage
: La fête de Saint-Hubert (3 novembre) reste célébrée dans certaines régions,
avec des bénédictions d’animaux, écho lointain de ces traditions médiévales.
5.
Limites et réalité
Inefficacité médicale
: Aucun rituel ne pouvait prévenir ou guérir la rage une fois le virus
installé. Les "succès" (survivants) étaient dus à des morsures non
infectées ou à une cautérisation précoce par chance.
Effet psychologique
: Ces pratiques apaisaient la peur et donnaient un sens à une mort autrement
absurde et brutale.
6.
Sources historiques
Hagiographies :
La Vita Sancti Huberti et les récits des moines de l’abbaye de Saint-Hubert
décrivent ces rituels, notamment la "clé".
Chroniques locales :
Des textes du nord de la France mentionnent des pèlerinages et des bénédictions
liées à la rage.
Art
: Des vitraux ou statues (ex. : cerf avec croix) dans les églises champenoises
témoignent de ce culte.
Conclusion
Les rituels de
Saint-Hubert – la "clé", les "pains", les pèlerinages et
les prières – étaient au Moyen Âge une réponse désespérée et empreinte de foi à
la rage. En Champagne, leur popularité s’expliquait par la proximité du
sanctuaire ardennais et le mode de vie rural. Bien qu’inefficaces médicalement,
ils incarnaient l’espoir et la résilience d’une société confrontée à une
maladie terrifiante.
Rituel de la clef de Saint Hubert
Ce rituel, profondément
ancré dans les traditions médiévales, est lié à la figure de Saint-Hubert,
patron des chasseurs et invoqué contre la rage, une maladie redoutée à l’époque
en raison de sa transmission par les morsures d’animaux, notamment les chiens,
et de son issue souvent fatale.
Le rituel de la clef de
Saint-Hubert trouve ses origines dans la légende de ce saint, qui fut évêque de
Liège de 706 à 727. Selon la tradition, Hubert aurait reçu une clé d’or des
mains de Saint Pierre lors d’un pèlerinage à Rome, un objet symbolique censé
lui conférer le pouvoir de "lier et délier" spirituellement, mais
aussi de guérir les "fous et les furieux", une référence probable aux
victimes de la rage, dont les symptômes incluent des troubles neurologiques
graves. Cette clé, conservée comme relique (aujourd’hui exposée au Trésor de la
cathédrale de Liège sous forme d’un reliquaire en laiton), est devenue un
élément central d’un rituel pratiqué dans diverses régions d’Europe
occidentale, y compris en Champagne, jusqu’au début du XXe siècle.
Le rituel lui-même
consistait à utiliser une "clef de Saint-Hubert" – souvent
un objet métallique en forme de clou, de croix ou de cône, distinct du
reliquaire original – pour traiter les morsures suspectées de transmettre la
rage.
Voici comment il se
déroulait généralement :
Chauffage de la clé
: La clé était chauffée au rouge dans un feu, souvent par un prêtre ou un
officiant religieux, ce qui lui donnait une dimension sacrée.
Application sur la
plaie : Une fois portée à haute température, la
clé était appliquée directement sur la morsure, brûlant la chair autour de la
blessure.
Dimension spirituelle
: Le processus s’accompagnait de prières et d’invocations à Saint-Hubert,
renforçant la croyance en une intervention divine pour protéger ou guérir la
victime.
Ce rituel était
particulièrement répandu dans les zones rurales, comme la Champagne, où les
contacts avec des animaux sauvages ou domestiques étaient fréquents, et où les
pèlerinages vers des lieux associés à Saint-Hubert, comme l’abbaye de
Saint-Hubert en Ardenne, étaient courants. En Champagne, les vins locaux et la
viticulture, bien documentés dès le Moyen Âge, ne semblent pas directement liés
au rituel, mais la région, avec ses forêts et ses activités de chasse, offrait
un terreau favorable à la vénération de ce saint chasseur.
Ce qui est fascinant,
c’est que ce rituel, bien qu’enraciné dans une logique religieuse et
superstitieuse, avait une efficacité pratique inattendue. En brûlant la plaie,
la chaleur cautérisait les tissus et pouvait stériliser la zone infectée, tuant
potentiellement le virus de la rage si l’intervention était rapide, avant qu’il
ne se propage dans le système nerveux. À une époque où la médecine scientifique
n’existait pas, cette pratique "miraculeuse" fonctionnait donc
parfois, sans que ses praticiens ne comprennent les mécanismes biologiques en
jeu.
Cependant, il faut
noter que les sources historiques sur l’usage spécifique de ce rituel en
Champagne au Moyen Âge sont fragmentaires. La clé de Saint-Hubert est davantage
associée à la région de Liège et aux Ardennes, mais son culte et ses pratiques
se sont diffusés dans les territoires voisins, y compris la Champagne, où la
foi en les saints guérisseurs était forte. Les textes médiévaux ne décrivent
pas toujours le rituel en détail, et son application variait selon les
communautés locales, mêlant souvent traditions orales et croyances populaires.
Au Moyen Âge on
soignait sans comprendre les mécanismes réels des maladies, et la superstition,
souvent portée par la religion, jouait un rôle central dans les pratiques
médicales. Le rituel de la clef de Saint-Hubert en est un parfait exemple. À
cette époque, la médecine était un mélange d’observations empiriques, de
traditions héritées de l’Antiquité (comme les idées de Galien sur les humeurs),
et d’une forte dose de croyance surnaturelle. L’Église, qui dominait la vie
intellectuelle et sociale, offrait un cadre où la foi en Dieu et en ses saints
était perçue comme une réponse légitime à l’impuissance face aux maladies comme
la rage.
"soigner sans
savoir soigner vraiment" correspond à une médecine médiévale qui reposait
davantage sur des résultats visibles que sur une compréhension scientifique.
Quand la clé chauffée au rouge semblait "guérir" quelqu’un en
stoppant une infection ou en empêchant la rage de progresser, cela renforçait
la croyance en son pouvoir divin, même si, comme on le sait aujourd’hui,
c’était la chaleur qui détruisait les pathogènes. Les gens attribuaient le
succès à Saint-Hubert plutôt qu’à une explication physique, parce que le cadre
mental de l’époque ne laissait pas beaucoup de place à une pensée rationaliste.
La superstition, ancrée
par la religion, n’était pas seulement une faiblesse : elle donnait aussi du
sens à un monde imprévisible. Face à une morsure de chien enragé, où la mort
était quasi certaine sans traitement, le rituel offrait une lueur d’espoir, un
acte concret à accomplir dans une société qui se sentait autrement démunie.
L’Église, en promouvant ces pratiques, consolidait aussi son autorité – si le
miracle fonctionnait, c’était une preuve de sa connexion au divin.
Ce qui est intéressant,
c’est que cette approche n’était pas exclusive au Moyen Âge. Même après,
jusqu’à Pasteur et sa découverte du vaccin contre la rage en 1885, des
rituels comme celui de la clef ont persisté dans certaines régions, coexistant
avec les débuts de la médecine moderne. Cela montre à quel point la
superstition religieuse restait enracinée, même face à des avancées
scientifiques.
Saint-Hubert d’Ardenne, Société royale d’histoire, d’archéologie et de sauvegarde du patrimoine hubertin » a été fondée le 24 mars 1967
L'abbaye de Saint-Pierre en Ardenne ou abbaye de
Saint-Hubert est une abbaye ayant existé entre 687 et 1797. Elle est située à
Saint-Hubert, en Belgique. Elle devint bénédictine en 817. Elle abritait les
reliques de saint Hubert depuis l'an 825.
Alors que l'abbaye prenait son essor, un bourg s'est
développé progressivement à ses côtés. Elle connut un grand rayonnement
religieux, culturel et artistique. Sa prospérité et son influence attisèrent
les convoitises. Au cours des siècles, la France, les Pays-Bas, Le Pays de
Liège et le Duché de Luxembourg, tentèrent de contraindre l'abbé de
Saint-Hubert à leurs vues et leurs exigences. Dévastée à plusieurs reprises au
cours des siècles, l'abbaye fut toujours reconstruite.
Elle fut supprimée par les révolutionnaires
français. Ces derniers la mirent sous séquestre en 1795 et en expulsèrent les
religieux en 1797.
L'essentiel de ses bâtiments, reconstruits pour la
plupart entre le XVIe siècle (église) et le XVIIIe siècle (quartier abbatial),
subsistent à la fin du XXe siècle.
La fondation de l’abbaye de Saint-Hubert relève du merveilleux… Plectrude, épouse de Pépin de Herstal, se rendait à son domaine d’Amberloup, quand avec son escorte, elle décide de prendre du repos auprès d’une fontaine de notre forêt d’Ardenne. Au grand émoi du groupe, un phylactère tombe du ciel avec un mystérieux message que Bérégise, aumônier de la gente dame est chargé d’interpréter : « il faut établir une abbaye en ce lieu… ». Nous sommes à la fin du VIIe S. et l’humble abbaye des débuts ne cessera de se développer grâce au transfert, en l’an 825, des reliques de saint Hubert, invoqué contre la rage et patron des chasseurs…
L’initiative de la fondation de l’abbaye revient à
Pépin II de Herstal et à son épouse Plectrude.
À la fin du 7ème siècle, leur intention était sans doute d’évangéliser
la région et d’installer des moines capables de gérer et de faire fructifier un
domaine. L’opération est importante
puisque la direction du groupe est attribuée à Bérégise, aumônier de la famille
de Pépin. Les revenus sont assurés par
un domaine couvrant Andage, Arville, Lorcy, Chirmont, Hatrival, Smuid. Au cœur d’un réseau routier romain dense et
d’un environnement de villas gallo-romaines laissées à l’abandon (Vesqueville,
Hatrival, Bras, Saint-Hubert), les moines prennent possession d’une clairière
riche en sources. Tout est présent pour
se développer et aussi pour construire : bois, sable, argile, pierres, …
Au même moment, un certain Hubert (665-727), proche
de la famille de Plectrude, succède à Lambert sur le trône d’évêque du grand
diocèse de Tongres-Maastricht. Celui qui
allait devenir saint Hubert, déjà à l’origine de la fortune historique de
Liège, est peut-être un des fondateurs de ce monastère en Ardenne.
A partir de 815, l’abbaye rencontre de grandes
difficultés et tombe en décadence.
L’évêque de Liège, Walcaud, envoie des moines bénédictins, les dote d’un
vaste domaine et leur obtient, en 825, la translation du corps de saint Hubert
de Liège à Andage. Saint Hubert devient
alors l’objet d’un culte extraordinaire comme patron de l’Ardenne, des
chasseurs et saint guérisseur de la rage.
Ainsi, non seulement Andage deviendra Saint-Hubert, mais l’abbaye
bénédictine, rétablie et richement dotée, deviendra dans sa Terre et bien
au-delà tour à tour et tout à la fois : centre religieux et administratif,
moteur commercial, moteur culturel, moteur industriel, jusqu’à sa vente le 10 octobre
1797.
Quelque vingt-cinq années avant la vente de
l’abbaye, Le Gay, architecte-expert de l’Abbé N. Spirlet, dessine un plan de
l’abbaye. Cet état des lieux à la fin du
18ème siècle est précieux pour retrouver le sens des bâtiments
subsistants. Il faut donc comprendre nos
témoins d’aujourd’hui dans un ensemble articulé autour de l’abbatiale. L’abbaye était un espace fonctionnel à
vocation cultuelle, lieu de prières et de réflexion, espace culturel et
économique avec ses bâtiments d’exploitation, espace communautaire enfin, avec
ses bâtiments conçus et articulés pour vivre ensemble dans le respect de la
règle de saint Benoît. Elle était aussi
un monde clos, en retrait du monde, avec son enceinte et ses tours, avec son
cloître, lieu de rassemblement, de distribution et d’accès vers tous les
bâtiments monastiques.
En cette année 2025 sera fêté le 1200e anniversaire
de la translation du corps de saint Hubert de Liège à l’abbaye de Saint-Pierre
en Ardenne à Andage. Son renom pourrait nous faire oublier que deux saints sont
issus de l'abbaye elle-même.
Hubert, présenté en 1621 par le Père Jean Roberti
comme le dernier évêque de Tongres, premier évêque de Liège et fondateur de la
cité, s’imposa rapidement dans son nouveau lieu de repos, bousculant la
toponymie locale: Andage devint Saint-Hubert et la dédicace à saint Pierre de
l’abbaye s’effaça derrière le raccourci « abbaye de Saint-Hubert ».
Éloigné de Liège où il aurait pu faire de l’ombre à saint Lambert, accueilli dans la liesse par les bénédictins d’Andage, Hubert y relégua au second plan les deux saints issus du monastère: saint Bérégise, le fondateur, qui fut aumônier de Pépin de Herstal et de son épouse Plectrude, et le bienheureux Thierry Ier de Leernes, « la perle des abbés de son temps ».
Ce cénotaphe de saint Hubert, sculpté par Guillaume Geefs en 1847, commandé et offert à l'église par le roi Léopold Ier de Belgique. Il est placé dans la grande chapelle à l'extrémité nord du transept. Réalisé en pierre de France, il se présente comme un sarcophage en forme de parallélépipède de style néo-gothique, surmonté d'une statue de saint Hubert en marbre de Carrare. Huit scènes de la vie du saint décorent les faces du monument.
Clé-reliquaire de Saint-Hubert, réalisée en bronze coulé datant du VIIIe siècle pour la poignée et du XIIe siècle pour le nœud et le panneton. Elle contient un fragment de la chaine de Saint-Pierre. Classé comme Trésor de la Communauté Française le 16 juin 2012. Provient de la Collégiale Sainte-Croix de Liège et est actuellement en dépôt au Trésor de la Cathédrale de Liège le temps de la restauration de la collégiale.
La clef de
Saint-Hubert, conservée d'abord à la collégiale Saint-Pierre de Liège puis à la
collégiale Sainte-Croix, est un des objets les plus précieux de la Cité mosane.
Cette clef, de grande taille, est en général associée à saint Hubert, évêque de
Liège de 706 à 727, qui l'aurait reçu des mains du pape Grégoire II lors de son
voyage à Rome. La poignée de la clef contient une limaille des chaînes de saint
Pierre. La légende fut amplifiée dans les forêts des Ardennes. Tandis que saint
Hubert célébrait la messe à Rome, saint Pierre lui serait apparu et lui aurait
remis une clef d'or « comme signe de son pouvoir de lier et de délier, ainsi
que de guérir les fous et les furieux de la rage ».
Elle n'apparaît dans
les documents historiques que vers 1250. La clé dite de saint Hubert est une
clé monumentale, longue de 37,3 cm, qui étonne avant tout par ses dimensions et
par la conservation remarquable du fragment de fer, informe mais combien
insigne, précieuse relique de saint Pierre contenue à l'intérieur de la
poignée. L'œuvre en laiton fondu et travaillé à jour comporte trois parties de
dates différentes mais peu visible par le fait d'avoir utilisé la même matière
: la bélière, la poignée et la tige avec un panneton.
Au sommet de la poignée, une bélière, anneau de suspension, s'appuie sur des espèces d'arcs-boutants. La poignée ovoïde, légèrement effilée, d'une largeur de 19 cm est divisée en huit compartiments de forme triangulaire par des bandes de 1,8 cm, l'une horizontale et médiane, et les deux autres verticales, comme deux hémisphères juxtaposés. Les reliefs de la poignée sont fort usés, ce qui envisage un usage fréquent; il est difficile de rétablir leur état original. Tout le décor est ajouré de manière à laisser voir, enfermé à l'intérieur de la poignée, le fragment de métal réputé provenir des liens de saint Pierre; quand on déplace la clé, on l'entend bouger. Les bandes sont ornées d'animaux fantastiques, très vraisemblablement des félins, affrontés de part et d'autre d'un arbuste stylisé représentant l'arbre de vie. Dans les compartiments triangulaires, on devine les figures en pied de saint Pierre en haut (avec une clé comme attribut) et du Christ en majesté en bas (avec un livre en mains), tous deux bénissant, qui se répètent quatre fois; outre ces figures en relief, des triangles et des croix grecques constituent les ouvertures du réseau. Au bas de la poignée, quatre demi-anneaux en saillie assurent la transition vers la tige.
Une étude
interdisciplinaire a révélé que la clé de saint Hubert telle qu'elle est
conservée aujourd'hui n'est pas l'objet originel que les textes historiques
mentionnent. Un texte de la vie de Saint Hubert publié à la fin du 19ème
affirme déjà qu'il s'agit d'un fac-simile*. La clé a été modifiée au cours des
siècles. Les trois parties sont nettement différenciées par la composition
exacte des alliages. La partie qui comprend le panneton, la tige et le
calvaire, est pour l'analyse la partie la plus ancienne à situer selon un
corpus expérimental, entre le XIe et XIIe siècles. La poignée, qui contient la
relique, est caractérisée par un alliage dont la fabrication se situerait entre
le XVe siècle et la première moitié du XVIe siècle. Enfin, la bélière est
identifiée par un alliage plus récent encore, pas avant le milieu du XVIIe
siècle car vraisemblablement avec du zinc d'importation. Enfin, malgré la légende,
la clé n'a jamais été dorée.
Le
souvenir du voyage de Saint-Hubert à Rome
Le dossier a permis l'hypothèse suivante: apparue à Liège seulement vers le milieu du XIIe siècle, cette relique historique insigne de Liège pourrait faire partie de l'arsenal des pièces justificatives destinées à redorer le blason de l'Église de Liège, affaiblie par la Querelle des investitures. Ce n'est qu'au milieu du XIIIe siècle que les sources historiques commencent à en parler, quand l'objet subit quelques transformations au moment de la rénovation de l'édifice dans lequel il est conservé, la collégiale Saint-Pierre de Liège, premier lieu de sépulture de saint Hubert. La clé est placée dans le souvenir de saint Hubert et de son pèlerinage à Rome qui est une « nécessité anthropologique », la justification obligatoire a posteriori d'un déplacement de saint Hubert à Rome et son contact direct avec des reliques de saint Pierre. L'association de Saint-Pierre à Saint-Hubert, de Pierre au fondateur de Liège, est une obligation pour la fondation d'une grande Église: l'association du fondateur de l'Église universelle au fondateur de l'Église locale
* Le
pape lui remit une clef d'or marquant la puissance de lier et délier comme
aussi de guérir les fous et les personnes atteintes de la rage. De cette clef,
on ne conserve plus qu'un 'fac-simile' assez grossièrement travaillé."
Théodore-Joseph Gravez, Vie du grand Saint Hubert à la Cour, au désert et sur
le siège épiscopal de Tongres. Namur, imprimerie Picard-Balon. 28 pp. 12
septembre 1870.). p. 10 et 11.
Mais
qui est Hubert de Liège ?
Hubert de Liège, né à Toulouse entre 656 et 658 et
décédé à Tervuren ou à Fouron-le-Comte le 30 mai 727, est un saint chrétien,
évêque de Tongres et de Maastricht. Il est fêté le 3 novembre en Belgique, au
Grand-Duché de Luxembourg et par l'Église orthodoxe, et le 30 mai pour le reste
des pays de l'Église catholique. Avec Lambert de Maastricht, il est l'un des
deux saints patrons de la ville belge de Liège.
La
légende de saint Hubert
Depuis le XVe siècle,
on dit que le seigneur Hubert était si passionné de chasse qu'il en oubliait
ses devoirs. La légende rapporte qu'il n'avait pu résister à sa passion un
Vendredi saint et, n'ayant trouvé personne pour l'accompagner, était parti
chasser sans aucune compagnie. À cette occasion, il se trouva face à un cerf
extraordinaire. En effet, celui-ci était blanc et portait une croix lumineuse
au milieu de ses bois.
Hubert se mit à pourchasser le cerf mais celui-ci parvenait toujours à le distancer sans pour autant se fatiguer. Ce n’est qu’au bout d’un long moment que l'animal s’arrêta et qu’une voix tonna dans le ciel en s’adressant à Hubert en ces termes :
« Hubert ! Hubert ! Jusqu'à quand
poursuivras-tu les bêtes dans les forêts ? Jusqu'à quand cette vaine passion te
fera-t-elle oublier le salut de ton âme ? ».
Hubert, saisi d'effroi,
se jeta à terre et humblement, il interrogea la vision :
« Seigneur ! Que
faut-il que je fasse ? »
La voix reprit :
« Va donc auprès de
Lambert, mon évêque, à Maastricht. Convertis-toi. Fais pénitence de tes péchés,
ainsi qu'il te sera enseigné. Voilà ce à quoi tu dois te résoudre pour n'être
point damné dans l'éternité. Je te fais confiance, afin que mon Église, en ces
régions sauvages, soit par toi grandement fortifiée. »
Et Hubert de répondre,
avec force et enthousiasme :
« Merci, ô Seigneur.
Vous avez ma promesse. Je ferai pénitence, puisque vous le voulez.
Je saurai en toutes
choses me montrer digne de vous ! »
Selon une tradition
locale c’est à l'emplacement de la chapelle Saint-Hubert à Tenneville que saint
Hubert aurait eu cette vision du cerf portant une croix entre ses bois ; une
croix, appelée « Rouge-Croix » marque l'emplacement.
La légende du cerf se retrouve déjà dans une vie de saint Eustache (mort en 118), saint mégalomartyr ainsi que dans la Vie de saint Meinulphe, diacre aux alentours de Paderborn (mort vers 847).
Le
couteau de saint Hubert
Selon la légende, à
force d'utiliser son couteau, saint Hubert dut en changer la lame, puis le manche,
si bien qu'à la fin il ne restait aucun élément du couteau d'origine. Poser la
question « est-ce encore le couteau de Saint Hubert ? » revient à aborder le
paradoxe autour de la notion d'identité en philosophie, aussi couramment
illustré par la légende du bateau de Thésée. Ce paradoxe est aussi appelé le «
couteau de Jeannot ».
Éléments
historiques
Hubert est issu de la haute noblesse franque ; il est même probablement apparenté aux Pépinides et fut contemporain de Pépin de Herstal et de Charles Martel dont il fut proche. Son nom en fait un probable membre non situé de la famille des Hugobertides, à laquelle appartient Plectrude, l'épouse de Pépin de Herstal.
À la mort de saint
Lambert vers 705, il fut désigné pour lui succéder à la tête du diocèse de Tongres-Maastricht.
Il établit sur les lieux de l'assassinat de son prédécesseur (Liège) une église
dédiée à Notre-Dame (base de la cathédrale Notre-Dame-et-Saint-Lambert de
Liège) et y transféra ses reliques. Il est considéré pour cela par le peuple de
Liège et l’Église comme le patron principal, le premier évêque et le fondateur
de la ville de Liège.
Ce fait contribua à la
création d'une ville qui devint dans le courant du IXe siècle, le siège
définitif du diocèse de Tongres-Maastricht. Mais il est exagéré d'attribuer
déjà le transfert du siège de l'évêché à Hubert. L'hagiographe de saint Lambert
(vers le milieu du VIIIe siècle) n'aurait pas manqué de mentionner ce fait, or,
pour lui, Liège n'est que Villa Leodio (« village de Liège ») alors qu'en 911
l'on voit apparaître pour la première fois Civitas Leodio, attestant du fait
que Liège est bien considéré à ce moment comme ville. L'époque la plus probable
pour ce transfert définitif est celle des quinze premières années du règne de
Charlemagne, période où le futur empereur séjournait régulièrement à Herstal,
une localité proche de quelques kilomètres du lieu de l'assassinat de saint
Lambert.
Famille
Descendant de Clovis
par son père Bertrand, coduc d'Aquitaine avec son oncle Boggis ou Baudegisèle,
et sa mère Hugbern Afre (des Francs), il épousa jeune Floribane, dite de
Louvain d'Austrasie, dont il eut un fils, Floribert qui lui succéda à l'évêché.
Il vécut, assez librement et de façon mondaine, à la
cour, au temps de la fin de la dynastie des rois mérovingiens. Il aimait
passionnément la chasse. Les chroniqueurs nous disent qu'il était connu par «
les folles joies de sa vie mondaine » peu édifiante, jusqu'au jour où la grâce
de Dieu et les conseils de saint Lambert l'entraînèrent vers la sainteté. Hubert
désira devenir le disciple de saint Lambert. Il renonça aux honneurs militaires
ainsi qu’à la succession de son père.
Sa
mort
Hubert mourut de
gangrène le 30 mai 727 dans sa petite villa de Tervuren ou à une autre
résidence qu'il aurait possédée à Fouron-le-Comte. Dans ces deux localités, il
y a une rivière nommée en latin Fura, en néerlandais Voer qui y coule. Il fut
enseveli dans l’abbatiale Saint-Pierre de Liège, qu'il avait fondée et qui
deviendra la première collégiale liégeoise après le départ des moines bénédictins
pour Ambra et l'arrivée des chanoines de Saint-Pierre en Ardenne (Ambra,
Andain). Le 3 novembre 743, Floribert, son fils qui lui succéda comme évêque de
Liège, porta ses reliques « sur les autels », manifestant ainsi sa canonisation
par l’Église. C’est à l’anniversaire de cette cérémonie que fut fixée sa fête.
C'est à l'emplacement de la villa où il mourut que
fut construit à partir du XIIe siècle le château de Tervuren qui servit de
résidence d'été et parfois d'hiver aux Ducs de Brabant.
Culte
Un
siècle après la mort du saint, l’évêque Walcaud, avec l'accord des moines de
Saint-Pierre, du métropolite (archevêque) de Cologne, de l'empereur Louis le
Pieux et, surtout, de celui du 5e concile d'Aix-la-Chapelle, décida en 825 de
permettre aux bénédictins qui avaient repris le monastère d'Ambra ou Andage en
Ardenne d’emporter avec eux le corps entier et intact d’Hubert. Dès lors, le
village prit définitivement le nom de Saint-Hubert et l'abbaye fit de même en
devenant l’abbaye de Saint-Hubert.
C’est dans ce haut lieu
de chasse qu’est la forêt ardennaise que se développa la légende du saint, qui
d’évêque fut transformé en jeune seigneur chasseur. Dans ce monastère, on
élevait une race de chiens qui prit son nom et, comme il avait guéri des
enragés de son vivant, on invoqua le saint contre la rage. Il devint, dès son
arrivée en Ardenne, le patron incontesté du pays entier et des métiers propres
à cette région « ardue », bûcherons et forestiers, tanneurs et chasseurs… Dès
le milieu du IXe siècle, on offrit à monsieur saint Hubert les prémices de la
chasse.
Depuis le XVe siècle,
la vita V, offerte à Philippe le Bon par Hubert le Prévôt, nous dit qu'Hubert a
été converti à la chasse par un cerf magnifique avec un crucifix entre ses
bois. Il est donc toujours considéré comme le saint patron de la chasse, des
forestiers et de l'environnement, mais aussi des confréries des fourreurs,
bouchers, ouvriers de la métallurgie, armuriers, opticiens, mathématiciens et
fabricants d’instruments mathématiques. À Villedieu-les-Poêles, il est fêté
comme le patron des dinandiers.
Le jour de la
Saint-Hubert, le sel, le pain et l'eau sont bénis pour protéger contre les
morsures, et les chiens, chevaux et oiseaux de proie des chasseurs se voient
imposer les clefs de saint Hubert pour être protégés contre la rage.
Chaque année, principalement en Wallonie, au
Luxembourg et en Alsace, ont lieu les traditionnelles festivités de la
Saint-Hubert célébrant le patron de la chasse, le 3 novembre ou le premier
dimanche du mois. Sinon, il est fêté par les catholiques le 30 mai et les
orthodoxes également le 3 novembre.
Offrandes
de Louis XI
Le roi Louis XI de France était, lui aussi, si
profondément passionné par la chasse qu'il ordonna, en septembre 1472, un
certain montant des offrandes destinées à ce saint :
« …Faictes bailler au prieur de Monseigneur Saint
Hubert pour envoyer a Saint Hubert pour chascun chien des francs, ung marc
d'argent et, pour chascune chienne des frians, deux marcs d'argent, et pour
chascun d'autres chiens courans ung escu, et pour chascune chienne courante
deux escuz, et pour chascun lyvrier, ung marc d'argent, et aussi ung veu de
cire du poisant du derrenier serf que je prins. Je vous envoie le roolle des
diz chiens. Loys. Petit.
A nostre ame et feal conseillier et chambellan le seigneur du Boschaige. »
Reliques
L'église et le
monastère furent pillés et incendiés les 15 et 16 octobre 1568. Depuis cette
époque, on ne sait pas ce que ces restes du saint sont devenus.
La châsse de saint Hubert où a été déposé l'ensemble de son corps a été vendue vers 1575 par l'abbé Jean de Lamock pour réparer les désastres causés par les soldats huguenots du sire de Renty et de Jean de Hangest, seigneur de Genlis.
Toutefois, un
reliquaire-monstrance de Saint-Hubert en argent du XVIe siècle est exposé au
trésor de la cathédrale de Liège dans la salle du Grand Prévôt. Le trésor de la
basilique Notre-Dame-de-l’Assomption de Maastricht aux Pays-Bas conserve une
corne-reliquaire, un buste-reliquaire et un ostensoir-reliquaire en argent. Il
y a également une relique à la paroisse Saint-Hubert à Rzeszów en Pologne.
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