A la fin du XIXe siècle, et tout au début du XXe, à
Rumilly-lès-Vaudes, il n’était pas un ménage qui n’ait sa vache.
L’hiver, on allait chercher en forêt de la bruyère à
la colée, c’est-à-dire en un sac porté à col, pour la nourrir. On récoltait
aussi le châdron cornu (ce chardon est le cardère sylvestre. On le
coupait très jeune alors qu’il était encore tendre) qu’on faisait cuire en
buvée avec un peu de son.
Il n’était pas d’implorant troupeau comme
aujourd’hui et le fermier qui possédait six vaches passait pour un gros
propriétaire.
Chaque jour, deux fois par jour, la femme devait tirer
sa vache. Pour cela, elle s’asseyait sur la sellote à trois pieds, le
seau ou le pot – appelé trayo dans l’Aube – entre les
genoux, après avoir attaché la queue de l’animal à une patte de derrière, de
peur d’en être fouettée en plein visage pendant l’opération.
Quand la vache « sortait de vêler » il
était indispensable de graisser ses mémelles avec du saindoux avant de
la traire. Elle avait à ce moment le pis gonflée. C’était un inconvénient de
courte durée.
A noter qu’à Courteron, dans une étable qui vendait
le lait de ses vaches, et dès que le veau était sevré, la première traite était
offerte gratuitement aux clients. On étrennait la vache.
C’était l’époque où le lait valait un sou. Peu après
le prix en allait doubler.
Aujourd’hui en 2025, le
prix moyen d’un litre de lait est de 1,42€ ce qui nous donne 186 sous ! ou encore 9,32Frs
Le lait était conservé dans des baquets de bois – bagnolets
dans la Marne – ou mieux encore, dans des pots de grès qu’on enfermait dans la
« laiterie », au frais et à l’abri des mouches.
Cette « laiterie », quand elle existait
(1), était une pièce relativement petite, exposée au nord et qui ne voyait le
jour que par une petite lucarne souvent ouverte mais très finement grillagée.
(1 (1) Dans
l’Annuaire de l’Aube de 1837, Recherches hygiéniques sur la commune de Rouilly-Saint-Loup,
il est écrit : « que ce sont dans des coffres ou maies que sont
enfermés les vases où l’on conserve le lait et que s’opèrent les modifications
que subit le liquide pour être transformé en beurre ou en fromage. »
LE TRAVAIL DU BEURRE
Consommer du beurre était un luxe : la matière
grasse la plus communément employée dans nos régions était le sain
ou saindoux. Les fermiers ou particuliers qui possédaient une ou plusieurs
vaches battaient le beurre pour l’aller vendre à la ville.
Pour faire le beurre, on levait la crème du lait
après qu’on l’eut laissé reposer. La saucerate (Arcis) ou saucerote était
une petite jatte employée à cet effet.
La crème murissait ensuite à bonne température dans
la beurrière,
un pot de grès qui comportait à sa base un orifice fermé d’une cheville, par
lequel pouvait être soutiré le petit-lait.
La baratte dite baitoure, baitoire, baite-à-beurre,
(1) ou encore bat-beurre, bate-bure (Marne), était emplie de crème jusqu’à
dix centimètres du bord supérieur car il fallait prévoir une certaine
augmentation de volume pendant l’opération.
(1 (1) Patois de la forêt de Clairvaux – Troyes, 1887
Mon grand oncle décrit ainsi les barattes qu’il a
connues à Vandy (Ardennes) : « On connaissait deux sortes de
barattes : la baratte à main et la baratte normande. Nous avons connu le
temps où l’on ne se servait que de la baratte en bois de chêne façonnée par le
tonnelier du village. On la manœuvrait avec un piston à disque de bois souvent
percé de trous. Elle se fermait avec un disque de bois souvent percé d’un trou
pour donner passage au piston et pour sa manœuvre. La baratte normande était un
tonnelet de bois posé horizontalement sur un chevalet fermé à la bonde par un
carré de bois que l’on ouvrait pour verser la crème. On manœuvrait vigoureusement
le manche pour battre la crème de la baratte à main ou bien on tournait la
manivelle de la baratte normande qui imprimait au jeu de palettes, à
l’intérieur, un mouvement de rotation rapide grâce auquel la crème se
transformait vite en beurre, la crème étant à la température de 14 à 20 degrés.
La manœuvre de la baratte à main était souvent longue et fatigante en
hiver. »
Il évoque également l’instrument plus primitif
encore dont se servait sa grand-mère dans la Marne : « J’ai connu la batte-à-beurre,
grand pot en grès avec un bâton que ma grand-mère remontait et descendait
verticalement jusqu’à ce que le beurre soit pris. »
On battait donc la crème jusqu’à ce que le beurre se
fasse, jusqu’à ce que les fins globules s’agglomèrent. On le battait pendant parfois
une bonne heure, quelquefois moins ; cela dépendant de la température, de
l’état de l’atmosphère.
On retirait ensuite le beurre et on le plongeait
aussitôt dans l’eau fraiche. Il restait le babeurre ou baratée (Marne) ou bature
(Hte Marne), destiné aux porcs et aux volailles.
Alors, par petites poignées, on reprenait le beurre
dans le baraton et on le triturait, on le frappait, de façon à ce qu’il
ne reste aucune particule de ce petit-lait qui aurait risqué d’en empêcher la
conservation. Parfois, pour satisfaire le goût des acheteurs, on le colorait et
pour cela on employait les baies du coquet alkékenge.
L’hiver, il est toujours plus difficile que l’été de
faire prendre le beurre. A Villiers-le-Brûlé, en 1776, on surmonte ainsi la
difficulté. Les « bonnes femmes mettent quelques pièces d’argent dans la
crème ou bien elles font bouillir du chou pour échauder la baratte. »
Le beurre était ensuite séparé par livres et
demi-livres et décoré au mieux, souvent avec les dents d’une fourchette trempée
dans l’eau tiède, avec laquelle on traçait d’élégantes arabesques.
Parfois, la demi-livre de beurre recevait forme dans
un moule. Un moule de bois se composait d’un entourage mobile, quatre côtés à
charnières, muni de crochets permettant de le fermer, et d’un couvercle à
poignée, gravé d’un dessin approprié. On installait l’ensemble sur une
plaquette, la plupart du temps rainurée.
Il suffisait d’introduire le pain de beurre
(préalablement pesé) entre les quatre côtés du moule et de faire pression avec
le couvercle à poignée. Le beurre renait alors la forme parallélépipédique de
l’appareil ; les rainures de la planchette s’imprimaient à sa base et le
dessin du couvercle sur sa face supérieure.
Certains moules étaient de terre cuite et vernissée,
de forme circulaire et légèrement évasés, ils permettaient un démoulage facile.
Pour livrer le beurre à la consommation, on
employait de larges et plats paniers d’osier, spécialement conçus pour la
présentation aux clients des pains ainsi confectionnés et décorés.
LA FABRICATION DES FROMAGES
On levait ou non la crème, mais la conserver obligeait la ménagère à bien remuer son lait avec une longue cuiller de bois avant de le mettre en présure.
Cette présure ou préure, il en fallait
trois gouttes pour deux litres de lait. Après quelques heures on obtenait la caillebote,
ou caillebotée (Arcis) qu’on appelait aussi caillote (Aube) ou encore
caillate
(Savières).
La présure s’achetait chez le pharmacien mais les
glossaires anciens nous apprennent qu’elle était tirée du veau tuée alors qu’il
tétait encore. On la salait et la desséchait. La poudre obtenue était enfermée
dans un nouet de linge ce qui en facilitait l’emploi.
Voici d’ailleurs la recette très exacte suivant
laquelle elle devait être fabriquée :
-
Prendre une caillette fraaîche, bien transparente et sans tache
-
Vider le lait caillé qu’elle contient dans un récipient
-
Ajouter un demi-litre à 1 litre de lait frais
-
Quelques pincées de sel en poudre sec (3 à) 4 g
-
Une noix de beurre de pain délayée dans du lait
-
Passer le tout dans un linge fin, en pressant
-
Laver la caillette à l’eau fraiche abondamment
-
La saupoudrer intérieurement de sel
-
Verser dedans la préparation précédente et nouer le haut de la poche
-
La suspendre à une poutre du plafond et la laisser sécher. De temps à autre on
la pressera légèrement pour en faire sortir l’air. On peut également la
suspendre dans un nouet de linge fin, genre étamine.
-
Lorsqu’elle est complètement sèche, elle ressemble à un fromage « sans
croûte »
Cette caillette de veau, la quatrième poche de son estomac, se nommait caillo ou casio (Chaource), cagé ou cagio. Mais pourquoi don nommait-on caillate le lotier corniculé ? Cette papillionnacée avait-elle le pouvoir de remplacer la présure ?
Pour mettre le lait caillé dans son moule, on employait généralement une simple écumoire qui permettait de le séparer en couches minces ; le petit-lait ou lait-clé s’échappait par les trous de l’ustensile. (lait-clé est une déformation de lait-clair, dénomination du petit-lait lorsqu’il est utilisé en médecine).
Ce petit-lait se nommait aussi mègue ou mègui, puron à Bayel et dans la Marne. De puron on a tiré le verbe puroner qui signifiait égoutter les fromages.
Moules de terre cuite ou de fer blanc percés de trous, moules de bois et d’osier, ou encore de bois avec un fond de toile en mousseline, chaque région les a nommés différemment.
On parlait volontiers dans l’Aube de chazron, mot qui diffère peu de chaseret, donné par le dictionnaire. Il se mue en châdron dans la Forêt d’Othe, en jazron dans la Marne où on emploie aussi les termes de forme ou fourme. A Fontette, le chaseret était nommé fochelle, alors qu’à Champignol on parlait de fachelle. On trouve également, feisselle, fessielle, fiscèle, foisselle.
Bref, le caillé continuait à s’égoutter dans ces moules pour se transformer en fromage mou qu’on pouvait consommer nature ou accompagné de sel, de poivre, d’oignon ou d’échalote. Il devait être homogène et onctueux. Si, par hasard il avait une apparence granuleuse et élastique, c’était du fromage floqué : la ménagère avait abusé de la présure.
Le fromage qui avait pris consistance mais qui
n’avait pas encore abandonné la totalité de son petit-lait était le claque-en-bec
(Savières) ainsi nommé probablement à cause du bruit que certaines
personnes faisaient en le mangeant : une sorte de clappement produit par
la langue. Ce claque-en-bec s’appelait encore piya à Savières car on
s’en servait volontiers pour la nourriture des jeunes pieds ou piats. Dans la
Marne, on parlait de fromage enfissièlé, adjectif tiré du mot fiscèle
déjà cité, qui désignait le chaseret ou bien la claie sur laquelle on posait le
formage afin qu’il y finisse d’égoutter.
Les claies ou éclisses étaient dénommées le plus
souvent chazrotes (Aube-Marne) ou cajotes (Aube), retournates (Forêt
d’Othe), ou encore champeignes (Savières). Elles permettaient de transporter les
fromages encore humides sur la coulouise, une sorte de planche dont
les rainures longitudinales se rejoignaient en une rigoulote destinée à
récupérer le dernier petit-lait et à le déverser dans un seau, pour les porcs.
Parfois, ce banc à fromages était monté sur quatre pieds dont deux plus courts
que les autres, du côté où devait s’écouler le lait-clé.
Dès que le fromage était essuyé, il était assez
ferme pour qu’on puisse le prendre plus facilement entre les mains et on
l’installait sur une paillote, souvent simple tortillon de paille de signe,
vrillé et disposé en une sorte de coussin rond légèrement plus large que le
fromage à recevoir.
[ Monsieur Hugerot fabriquant de fromage de Chaource
à Chaource, seul AOP de la région, indique qu’une certaine forme de paillote
était confectionnée dans la région de Chaource et que quelques exemplaires
existent au musée de Vauluisant à Troyes.
Son père lui racontait :
« C’est de l’alomé (1) que j’ai été
chercher dans les bois. On pouvait utiliser de la paille d’avoine ou de l’osier
fin »
Puis il décrit minutieusement la manière de procéder
« Il en prit de la main gauche une petite
poignée, laissant dépasser les tiges d’une dizaine de centimètres, de la main
droite, il tordit le petit bout sur lui-même en un tour complet pour lequel il
se reprit une fois et qu’il cala dans sa main gauche. Il tendit les tiges ainsi
roulées vers sa femme qui attacha d’une ficelle bien serrée le tortillon
replié. Lorsqu’il ouvrit finalement la main gauche, les longues tiges forcées
s’écartèrent en un éventail prêt à accueillir le fromage sur sa couche
sèche ». ]
C’est à partir de cet instant que se décidait du sort du fromage. On le faisait alors passer soit à l’air libre, soit enfermé dans un récipient. La ménagère faisait son choix ou plutôt elle se conformait à la coutume familiale ou locale et traitait ses fromages ainsi qu’elle avait de tous temps vu faire ses parents ou ses voisins.
(1 (1) L’alomé = la Laumée est cette grande herbe sèche que l’on trouve dans les
bois et qu’on ramassait autrefois pour en faire la litière des bestiaux. Plus
particulièrement à Chaource, il s’agit du jonc épars que l’on cueille et
travaille pendant qu’il est encore vert, alors qu’il possède encore toute sa
souplesse.
FERMENTATION A L’AIR LIBRE
Salés, poivrés, nos fromages étaient donc parfois
enfermés dans une chazière, chazère (Courtenon), chaze (Fresnoy) ou châgnère
(Forêt d’Othe). C’était une sorte de panier d’osier à plusieurs étages ou
compartiments, qu’il était possible de suspendre de façon à ce que les chats et
les rats n’y puissent atteindre. On pouvait l’installer là où la température,
l’humidité de l’air semblaient les meilleures pour la parfaite transformation
des fromages.
On pouvait aussi les disposer sur des claies mobiles
d’osier ou, comme en Forêt d’Othe, sur un lattis cloué aux solives du plafond.
Ce séchage à l’air n’empêchait pas certains soins
bien particuliers. On retournait très régulièrement les fromages et,
régulièrement aussi, on les lavait, parfois avec du vin, du cidre et souvent
même avec de l’urine. G. Groley assure dans l’Almanach de l’Est-Éclair, qu’on
employait ce dernier liquide pour que les fromages ne pourrissent pas et ne
soient point la proie de vers. On nous a affirmé d’autre part que l’urine
apportait au fromage l’ammoniaque nécessaire à sa bonne fermentation, ce qui
justifiait parfaitement un tel procédé qui n’est pas pour nous étonner.
Nous avons essayé de savoir comment se pratiquait
l’opération. On nous a répondu qu’elle se déroulait le plus
« naturellement » qui soit, à moins qu’on ne passe – mais c’était
plus rare – les fromages dans un bain d’urine préalablement tiédie.
M. Henry, originaire de Savières raconte comment une
très vieille cousine affirmait son souci d’hygiène. Elle se refusait absolument
à pisser sur ses fromages et ne consentait à employer que de l’urine de vache.
FERMENTATION
EN POTS
Toute aussi répandue était la technique qui
consistait à enfermer les fromages dans un pot de grès pour qu’ils y murissent.
Selon les goûts, on les cendrait ou non. Pour
obtenir les fromages cendrés, il suffisait d’alterner, dans le pot, formages et
cendres de bois. Les personnes délicates que rebutait cette couche de cendres
agglomérée autour des fromages, les enveloppaient au préalable de papier. Il
parait que la saveur du produit était la même.
Ceux qui se refusaient à utiliser les cendres
disposaient tout simplement leurs fromages dans les pots, entre deux feuilles,
de platane par exemple. Mais il fallait que les récipients ainsi garnis restent
parfaitement bouchés et soient remisés là où la température était la plus
favorable.
Ainsi préparés et soignés, les fromages devaient
être excellents. Il pouvait arriver cependant qu’une série ne réussisse pas. On
obtenait alors un fromage piauleu ou un fromage gayeu,
trop vite fermenté, dont la croûte se séparait d’une pâte qui coulait.
Encore heureux quand les mouches n’avaient pas pondu
sur le fromage leurs oeuvs qui se transformaient rapidement en indésirables bloches,
sauteux ou boutaqueux.
Voici
pour terminer, la manière dont, autrefois, était fabriqué le fromage de
Langres.
« Aussitôt la traite, le lait étant encore
doux, on en verse quatre litres dans un pot de grès auxquels on mélange
intimement une cuiller à café de présure. Le pot est placé à douce température
pendant 24 heures derrière la platine (le foyer).
Le caillé est ensuite levé par tranches horizontales
à l’écrèmoire et placé soigneusement dans les fromeutes en terre cuite
de 25 cm de haut et de 10 cm d’ouverture, de forme tronc-conique.
Il s’égoutte lentement pendant 48 heures.
Après quoi, on le sort du moule pour le saler,
dessus d’abord, dessous ensuite. Le fromage est alors mis sécher sur une planche rapprochée du plafond,
à la cuisine.
Il faut, tous les deux jours et pendant une
quinzaine, jusqu’à ce qu’il soit durci, le laver dans l’eau légèrement salée.
La qualité du fromage passé ne s’acquiert qu’après un affinage de quatre mois.
Les fromages sont rangés dans une caisse sur de la paille d’avoine ou dans des
pots de grès, à la cave.
On continue de les laver une fois par semaine dans
de l’eau légèrement salée et un peu tiédie. Ils sont bons à consommer quand ils
ont une croûte rouge-orangée, époque où ils présentent alors une concavité
caractéristique à la face supérieure et ont une odeur qui plait aux
gourmets. »
HISTOIRES DE FROMAGE
« Napoléon s’installait le 23 février 1814 au
soir dans une maison situé au milieu d’un verger et qui s’appelait :
Château de Pouilly.
A peine installé, une villageoise demanda à voir
l’Empereur pour lui dire qu’elle est fière d’avoir son fils Joseph Bouchard,
artilleur à la 3ème Batterie de la Garde et elle lui remet à lire la
lettre reçue de ce dernier, il y a huit jours, de Nogent.
L’Empereur la lui rendit en louant le grand
dévouement de ce soldat et en lui promettant de porter au canonnier le souvenir
de sa mère.
La brave femme remercia et offrit avant de partir un
petit cadeau : un fromage de Barberey, chose rare durant l’invasion.
Napoléon accepta et écouta la seconde requête
tendant à faire nommer son fils caporal.
« Cela demande réflexion, mais j’ai promis de m’occuper
de votre Joseph. J’y penserai et s’il est aussi bon soldat que bon fils, il
vous en dira des nouvelles » lui répondit-il.
Joseph Bouchard, après la prise de Troyes, fut nommé
caporal, maréchal-des-logis et sous-lieutenant à la 5ème batterie.
Son avancement fut accompagné du sobriquet de
capitaine Fromage ».
Rapporté par Frère Jean
Banc à fromages à Lantages (près de Chaource)
Le curé des Riceys se préparait à déjeuner, un jour
de Vendredi Saint, avec sa bonne qui était sa cousine. Sur la table était un
beau codinde
rôti, pour le repas.
Tout à coup, on sonne
- Ma cousine ! Portez le rôti à la cuisine et
allez voir.
C’était Mahomet, un bonhomme du bourg qui venait
faire une commission. Dès qu’il eut fini, le curé lui dit :
- Voyez-vous, Mahomet, je vous aurais bien invité à
déjeuner aujourd’hui, mais justement, c’est un jour de Vendredi Saint et nous
n’avons que du fromage à manger.
- Ah ! dit Mahomet, Mocheu l’curé, que du
fromage à manger ? j’chavions pas qu’on mangeait du fromage avec des
fourchettes ?
Peut-être avait-il aussi flairé la bonne odeur du
cocinde rôti ?
Alors le curé :
- Ma cousine, rapportez le codinde, Mahomet en
mangera bien un morceau et ne sera pas plus damné que nous pour un si petit
péché.
(Histoire
raconté à M. Hugerot de Chaource, par sa tante, la cousine du curé)
RECETTES
TRADITIONNELLES
Gâteau
au fromage
« Ma grand-mère, quand j’étais gamin avant la guerre
de 14, me préparait des gâteaux avec de la farine, de l’eau, du saindoux et 4
bouts de vieux fromage qui sentaient. Elle aplatissait avec la paume de la
main. Puis elle tirait un peu de braise sous le gril, pas trop. Je surveillais,
la figure rôtie au feu. Les gâteaux grésillaient. Ils devenaient croustillants.
C’était un dessert de choix qu’on ne grillait qu’au dernier moment et qu’on
mangeait au fur et à mesure de sa préparation ».
La
Galette en fromage
Sur la table, la ménagère verse la farine, y fait
une fontaine où elle fait couler du saindoux ramolli, de l’eau tiède et salée.
Du bout de ses doigts, elle « détrempe » la pâte, mélangeant
légèrement ses ingrédients jusqu’à obtenir une grosse boule de pâte molette,
pas liquide, mais surtout pas trop resséchée. Un linge dessus et repose-toi une
heure, petite merveille.
Pendant ce temps, la ménagère prépare sa farce. Dans
un seau elle met trois ou quatre formages mous bien égouttés, les broie avec la
main, les écrase, les réduit en gros grains. Puis elle casse là-dessus un œuf
entier, le mélange… et deux, et trois et dix, et douze œufs disparaissent dans
le seau.
Le mélange œufs-fromage est maintenant
homogène ; mêlons-y du sucre en poudre et de la crème ; remuons et
brassons bien. Pour les proportions de ces différents ingrédients ? Ma
belle-mère disait toujours : « je vois, je ne pèse pas, je mets à
lure-lure ».
Ceci terminé, il fallait revenir à la pâte. On
l’étale sur la table enfarinée avec un rouleau de bois. De ses doigts habiles,
la ménagère manie à petites pincées, qu’elle dispose sur la pâte aplatie, une
bonne quantité de beurre sur quoi elle replie sa pâte, les quatre angles venant
se superposer au centre ; elle renouvelle ce travail trois fois avec un
repos plus ou moins long entre les opérations.
Entre temps, on a allumé le four
Les plaquettes, ou tourtières ou platine (que de
noms) ont été graissées. La pâte y est présentée. D’une main légère, la bonne
fermière la régularise, passe le rouleau sur les bords. Au moment d’enfourner,
elle verse dessus avec une grande poche, la farce qu’elle a encore bien remuée
auparavant pour lui assurer une parfaite homogénéité. Notez que plusieurs
personnes étaient occupées à cette fabrication. L’une enfournait sur la longue
pelle de bois les tartes que l’autre y avait déposées et qu’une troisième
emplissait de farce, juste au moment de l’engouffrement.
En une demi-heure environ, le four avait donné à
chaque petit chef-d’œuvre une cuisson, un doré, que nos fours de cuisinière ne sauront
jamais obtenir avec cette régularité, ce « juste à point » si
difficilement réalisé.
Mangée toute chaude ou froide ou tiède, c’était un délice.
Fromage
grillé
Pour terminer le repas, (dit un vieillard), ma mère
posait tout simplement devant la braise une tartine de fromage blanc qui tenait
debout grâce à un couteau pointu piqué à l’arrière, en arc-boutant, devant la
cheminée… Le fromage jaunissait et était meilleur. Loa mère ne mangeait que les
bouts jaunis au feu, elle donnait les autres au chat. C’était une difficile qui
se servait beaucoup de son gril.
La
fromagée
La fromagée ou fromagie (Aube-Marne) correspond à la
trempée qui, elle se fait avec du vin. Elle consiste généralement en du pain
émietté dans une jatte de lait.
A Saint-Phal, elle était faite de lait caillé battu
avec du sel, du poivre, de l’échalotte et des fines herbes. C’était une
nourriture rafraichissante que les ouvriers emportaient aux champs pendant les
travaux d’été.
Greumlets
A Savières, on appelait Greumlets une sorte de
soupe composée de petites miettes d’une pâte friable qu’on laissait tomber dans
du lait en ébullition. On ajoutait du sel et un peu de poivre. Cinq minutes de
cuisson suffisaient.
Les greumlets étaient fort connus à Arcis-sur-Aube
et à Ramerupt où on disait gremets. Il était d’usage d’en
confectionner pour régaler les teilleurs de chanvre le dernier soir de leur
ouvrage. La « soirée des greumlets » se poursuivait ensuite par des
danses et des jeux.
Paysanne à la traite en 1964 - St André les Vergers
Recette
de fromgeye, préparation fromagère salée en pot
Le Fromgeye est une spécialité au fromage blanc
égoutté, assaisonnée et conservée des mois dans un pot. Cette préparation au
fromage se déguste tartinée sur du pain, sur lequel on parsème des échalotes ou
des oignons frais hachés. C'était autrefois, une manière de conserver
longuement les fromages blancs faits maison.
Ingrédients :
3 pots de fromage blanc
sel
poivre moulu
Préparation :
Faites égoutter séparément les fromages blancs dans des
lignes propres jusqu'à ce qu'ils deviennent très secs. A ce stade, il n'y a
plus aucun liquide, petit lait. Comptez environ 5 jours.
Prenez un pot en grès.
Placez au fond du pot une couche bien serrée de
fromages, tassez, salez, poivrez, puis continuez jusqu'à épuisement du fromage
et remplissement du pot.
Fermez hermétiquement avec un papier sulfurisé par
exemple, puis laissez reposer dans un endroit sec pendant au moins 6 semaines.
A l'ouverture, retirez le dessus un peu moisi, puis
découvrez un beau fromage onctueux, jaunâtre, absolument délicieux.
Dégustation :
Sur du pain nature ou recouvert d'échalotes
ciselées, d'oignons hachés ou de ciboulette hachée.
Tartinez sur des tranches de pain grillées,
recouvrez d'un mélange de crème fraîche épaisse et d'ail haché.
Bon appétit
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