Hôtel d'un ancien lieutenant de Prévôt
Le corps-de-logis, qui s’élève sur la rue, a été
réédifié à la fin du XVIIe siècle. Avec ses lignots et son pignon, il présente
un type de construction en bois que l’on rencontrait presque partout à Troyes.
La porte seule a conservé le cachet du XVIe siècle, avec ses gros clous à tête ronde aplatie, largement espacés, son mascaron de cuivre repoussé, et surtout son heurtoir de fer forgé. Ce heurtoir se compose d’un anneau de fer tordu en spirale, que l’on fait mouvoir le long d’une tringle perpendiculaire, de même métal, également tordue en spirale, de manière à produire un grincement en les frottant l’un contre l’autre.
La porte franchie, on se trouve dans un corridor dont le mur de droite présente un appareil réticulé de craie et de brique, le damier champenois, très en usage au XVIe siècle. Le corridor aboutit à une petite cour étroite au-delà de laquelle se dresse un corps-de-logis, construit en pierre et en briques. La rampe d’escalier ne date que de la fin du XVIIe siècle. Mais les deux fenêtres superposées, à fronton surbaissé, la porte de la tourelle, les arabesques qui sont au-dessus de cette porte et au-dessous des fenêtres, ont tous le cachet de l’architecture la plus pure de la Renaissance. Deux inscriptions, dont l’une se trouve sur le piédestal d’une des colonnes qui accompagnent la fenêtre inférieure, nous apprennent en outre que ce corps-de-logis a été construit en 1545. Sous la galerie qui relie les deux corps-de-logis, s’ouvre, en face du corridor d’entrée, une porte surmontée d’un fronton triangulaire ornementé, de style Renaissance, comme la façade. Près de cette porte venait aboutir un petit escalier à vis qui communiquait avec l’escalier plus large qui contient la tourelle.
La rue de la Monnaie était alors presque au centre des résidences des riches
marchands et des magistrats de Troyes.
Ce fut un magistrat qui fit édifier cet hôtel. On lit sur une pierre du corridor d’entrée, ces mots nettement gravés en lettres capitales romaines :
JEHAN DHEURLES
MARIE RAVAU
1545 ONT FAIT EDIFIER
CETTE MAISON
En 1573, Jehan Dheurles était sans doute mort, car on peut lire sur une pierre placée au-dessus de celle qui le concerne :
PIERRE BERTHIER
MARIE DHEURLES
1573. SUCCESSEUR
Pierre Bertier était le gendre de Jean Dheurles. Il
appartenait à une famille bourgeoise troyenne qui avait une chapelle à
Saint-Jean. La maison paraît s’être transmise de beau-père à gendre jusqu’à la
fin du XVI° siècle, car nous lisons sur une troisième pierre placée au-dessus
des autres :
PIERRE LE VIRLOIS
ANNE BERTHIER
1594. SUCCESSEUR
Le grand plan
d’alignement de 1769 indique que la maison de Jehan Dheurles appartenait à
cette époque à M. Gallien. Gallien, ancien échevin, était le beau-frère de
Grosley et avait réuni par héritage, la plus grande fortune qui fut alors dans
la ville. A l’époque de la Révolution, la maison appartenait à sa fille,
Elisabeth Gallien veuve de Bonaventure Huez de Pouilly. Huez de Pouilly était un des personnages les
plus considérables de Troyes : il avait été conseiller à la Cour des Monnaies
de Paris, , et parmi ses seigneuries figurait celle de Pouilly, située à
l’extrémité du faubourg Saint-Martin. Mais, Mme Huez n’habitait pas la maison
de la rue de la Monnaie. Elle occupait un des beaux hôtels qui avaient été
construits vers le milieu du siècle, sur la place de l’Etape-au-Vin
(Audiffred), au lieu même où s’était longtemps élevé l’auditoire de la Prévôté,
(Crédit Lyonnais actuel). Cet hôtel, situé au coin de la place et de la rue Juvénal
des Ursins, fut mis sous séquestre en 1793, parce que les fils de Mme Huez
avaient émigré, et fut loué sous le Directoire, par adjudication publique, au
receveur général du département, moyennant le prix annuel de 450 livres. Ce bel
immeuble, dont on signalait la « magnifique terrasse », n’était alors estimé
qu’à 20.000 livres.
La maison de la rue de la Monnaie, considérée comme
biens d’émigrés, fut mise en vente le 24 nivôse an VIII (14 janvier 1800).
L’adjudication se fit, selon les termes imprimés du procès-verbal, « à la
chaleur des enchères et à l’extinction des feux ». Ces enchères furent assez
caractéristiques. La mise à prix avait été fixée à 13.000 frs, d’après le
revenu estimé à 400 frs en 1796. La première mise à prix fut de 120.000 frs.
Une enchère en porta tout à coup le prix à 200.000, puis une légère surenchère
de 500, lorsqu’une mise de 413.000 frs vint écarter les autres concurrents.
Qu’on ne s’exclame pas sur cette somme énorme ! Les biens nationaux étaient
payables en bons de rente, et ces bons de rente perdaient 98 ½ %, de sorte que
les 413.000 frs représentaient au cours du jour, en écus, 6.595 frs, que
l’acquéreur Bourgoin fils, demeurant alors à Bruxelles, versa entre les mains
de l’administration.
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