L’HERMINE
emblème
héraldique de la Bretagne
« Ego Ælidis Ducissa Britanniæ et Comitissa
Richemondie » (1)…. ainsi commence la lettre rédigée à Redon en mars
1213 pour la fondation créée par la duchesse Alix (2) et son époux Pierre de
Dreux, en faveur du prieuré Saint-Martin de
Lamballe.
Pierre de Dreux paraphe ensuite le texte : « Ego Petrus Dux Britanniæ Comes
Richemondiæ ».
Alix fait appendre en cire blanche, sur queue de
parchemin, son grand sceau en amande
Pierre y ajoute son grand sceau équestre, en même cire.
Sur le premier sceau, la duchesse figure couronnée,
vêtue d’un long manteau retroussé de vair. Elle porte sur sa main gauche un oiseau
de chasse avec ses longes.
Sur le second sceau, le duc (3) « pot en tête » tient son écu échiqueté de Dreux avec en quartier un « espèce de vair » (4).
Cet « espèce de vair » et en fait la fourrure blanche d’hermine des clercs de Notre-Dame de Paris, fourrure réservée à l’époque aux gens d’Église.
Pierre de Dreux, fils cadet de rober II, comte de
Dreux et de Yolande de Coucy, donc arrière-petit-fils de Louis VI le Gros,
était destiné par rang de naissance à la prêtrise. Il avait toutefois renoncé à
l’état ecclésiastique pour le métier des armes, d’où son surnom de
Mauclerc ». Il fut armé chevalier à Compiègne le 17 mai 1209 par le roi
Philippe-Auguste « en même temps que le dauphin Louis et deux cents autres
jeunes gens » (5)
Pierre de Dreux brisait donc l’échiqueté des Dreux
par un quartier d’hermine. Cette fourrure provenait d’Arménie ; la
blancheur de ses peaux cousues côte à côte et alternées en hauteur, était
rehaussée par de petites queues à pointe noires retenues par trois points
cousus posés en croix, à la manière des pelletiers d’Italie. Durant le
Quattrocento, Piero della Francesca les
peindra ainsi aux portraits des della Rovere.
Alix aurait dû apposer, au revers de son grand
sceau, un sceau secret, le contre-scel, portant l’écu aux trois gerbes de blé
d’or du feu duc Geoffroy Botterel.
Mais cet écu était dans la famille des comtes de
Goëllo, dont le cadet Henri (de Penthièvre) venait d’être réfuté de fiançailles
avec Alix par le roi Philippe Auguste, suzerain, au profit de Pierre de Dreux (6).
Alix n’avait donc point de sceau et Pierre lui prêta le sien.
Ainsi, le « Mauclerc », « prince le plus spirituel et le plus habile
de son siècle » (7), glissa-t-il dans un acte de famille le quartier
d’hermine, symbole privé personnel qui deviendra par la suite blason de fiel.
« Capétien,
il avait dans le sang la passion de l’accroissement indéfini de son pouvoir
personnel » (8).
En ces temps troublés durant lesquels le roi de
France s’attachait à hâter la désintégration de l’empire anglo-angevin en crise
(9) afin de confirmer sa suzeraineté sur toutes les provinces de l’Ouest (10),
le duc de Bretagne était fort soucieux de sauvegarder son autonomie entre les
deux grandes puissances française et anglaise.
Pour ses sujets, Mauclerc était un étranger, « valet de roi de France »
(11) ; aussi, pour se démarquer,
rassembler les barons et le peuple du duché, il était habile de créer un
symbole héraldique fortement différencié.
Les lions anglais de Richard « cœur de
lion » étaient odieux aux Bretons car le roi d’Angleterre avait tant
ravagé la Bretagne en 1196 « que
nulle grotte n’en fut épargnée » (12).
Les lys de France représentaient un sérieux danger
pour l’autonomie bretonne. Le duché voisin de Normandie réintégrait le domaine royal
dès 1204 et Philippe Auguste faisait déjà battre à Guingamp, Nantes et Rennes
de la monnaie d’argent portant à l’avers son effigie avec la légende « Philipus Rex » et au revers la
vieille croix celte avec mention « Dux
Britanie ».
Mauclerc, devenue Pierre 1er , fit graver
l’écu de Dreux au franc-quartier d’hermine en avers sur les monnaies. L’écu du
nouveau duc fit oublier l’effigie de roi de France.
Mauclerc conserva durant son règne son
franc-quartier d’hermine, jusqu’à ce qu’il soit démis de sa charge de baillistre
à la majorité de son fils, Jean 1er , en novembre 1237.
C’est en 1251 qu’apparait pour la première fois
l’écu d’hermine plain : Jean Ier le Roux, fils de Mauclerc, scelle en cire
brune – acte ecclésiastique – une confirmation ducale d’un échange entre le
sire de Rezé et l’abbaye de Buzay. L’écu scutiforme compte dix mouchetures, 4,
3, 2 et 1, fines, avec cinq pointes et une petite croisette nettement gravée.
Le suzerain français, en l’occurrence la régente Blanche de Castille (10) ne dut pas apprécier ce geste d’indépendance d’un grand vassal s’octroyant de nouvelles armoiries, durant dix ans on ne trouve plus trace du sceau ducal à l’écu d’hermine plain, les sceaux étant « perdus » ou « détruits ».
Jean 1er le Roux reprend d’ailleurs en
1262 l’usage du grand sceau équestre sur lequel le caparaçon du cheval est
couvert de l’échiqueté de Dreux, borduré de gueules, ainsi qu’il figure sur un
vitrail de la cathédrale de Chartres (1264).
Jean II (1286-1305) brise l’échiqueté des Dreux d’un franc-canton d’hermine et d’une bordure d’Angleterre (14).
Au début du XIVème siècle, les vicomtes de Limoges, cadets de Bretagne, écartèlent l’hermine d’un bandé de sang et or, mémoire des comtes de Barcelone.
Il faut attendre le règne de Jean III le Bon
(1312-1341) pour retrouver l’écu d’hermine plain, tel qu’on le découvre sur son
tombeau de Ploërmel.
Durant la « guerre des deux Jeanne » (Jeanne de Penthièvre et jeanne de Flandre) pour la succession du duché (15), le prétendant Charles de Blois fait usage en 1351 d’un sceau à son nom portant l’écu d’hermine plain et comme contre-scel de l’écu aux trois gerbes d’or appartenant à son épouse Jeanne, comtesse de Penthièvre, descendante des comtes de Goëllo.
C’est dire combien était devenu évident le lien
entre l’hermine (16) et le territoire ducal. Après moult péripéties, la mort de
Charles de Blois à la bataille d’Auray mit fin au conflit en 1364. Le traité
signé à Guérande le 12 avril 1365 régla la succession au profit de jean de
Montfort qui dut prêter hommage à Charles V.
Jean IV, fils de Jean de Montfort, fera
définitivement de l’hermine l’emblème héraldique du duché de Bretagne et
obligera la famille de Penthièvre à renoncer solennellement aux armes plaines
de Bretagne (26 janvier 1391)
Un Ordre de l’Hermine et de l’Épi (18) fut créé par le duc François 1er en l’an 1450, avec pour devise « Malo mori quam fædari » ; cette devise déjà utilisée depuis deux siècles par la famille italienne della Rovere, sera transformée en « Potius mori quam fædori », puis remplacée par « A ma vie ».
« Compillation des Cronicques et
ystores des Bretons, partie en III livretz » par Pierre Le Baud, secrétaire de
Jean, sire de Derval. Gallica / Bibliothèque nationale de France. Folio 393 v.
Pierre Le Baud, à gauche, offre
le livre d'histoire de Bretagne, à son commanditaire Jean de Derval et sa
femme, Hélène de Laval. L’homme au bâton de commandement, est le maréchal de
France et oncle d’Hélène, André de Lohéac, qui porta les armes aux côtés de
Jeanne d’Arc. A gauche du sieur se tient debout, avec son épée et son bâton,
Jean Raguenel qui est marié à Gillette de Derval, sœur de Jean reconnaissable à
sa robe rouge comme le couple seigneurial
Dès son avènement en 1461, le roi Louis XI fit
défense au duc François II de s’intituler « duc par la grâce de Dieu » (19)
La guerre froide de 1486, ultime révolte du duc
François II contre la régente de France, Anne de Beaujeu, se termina par la
déroute des Bretons à St Aubin-du-Cormier le 26 juillet 1488.
Le traité du Verger imposa au duc de ne marier ses
deux filles qu’avec le consentement du roi de France. Les troupes royales
poursuivirent leur occupation du duché. François II en mourra de chagrin le 9
septembre de la même année.
Pour sauvegarder l’autonomie du duché, on maria par
procuration la jeune duchesse Anne (20) à l’archiduc Maximilien d’Autriche, roi
des Romains, futur empereur germanique. Les troupes royales occupant le duché,
investissant Nantes, Guingamp et assiégeant Rennes, la duchesse Anne dut
capituler, annuler son mariage et épouser le roi de France Charles VIII. Le
mariage fut célébré le 6 décembre 1491 à Langeais.
Les mariages successifs de la duchesse Anne avec
Charles VIII (décédé en 1498) puis avec Louis XII, l 8 janvier 1499 ;
virent cohabiter lys et hermine sur les sceaux.
Le 14 février 1501, Louis XII donna ordre à son roi d’armes « Normandie » de se rendre auprès de tous les membres de la famille de Brosse pour leur interdire le port des « armes playnes de Bretagne »… assaveoir le champ d’argent semé d’ermynes.. celles de nostre tres chere et tres amée compagne la royne »(21)
En 1514, la fille ainée de Louis XII et d’Anne de
Bretagne, Claude de France, héritière du duché, épousa François d’Angoulême,
duc de Valois, qui deviendra en 1515 le roi de France (François 1er).
A la mort de la reine Claude en 1524, son fils le dauphin François devint duc
de Bretagne.
Soucieux de consolider l’union du duché à la couronne de France, François 1er convoque les Etats de Bretagne à Vanne en aout 1532. Particulièrement dociles, les membres de l’assemblée demandèrent eux-mêmes au roi de prononcer la réunion perpétuelle du duché à la couronne… de maintenir les droits, libertés et privilèges de la province… de défendre à tous ceux qui se prétendraient issus des anciens ducs de Bretagne par les femmes d’en porter les armes.. d’ordonner aux bâtards de barrer leur écusson… (22)
Le dauphin François, couronné duc en 1532, mourra
empoissonné en Italie en 1536. Son frère Henri prendra le titre de duc jusqu’à
son accession au trône de France en 1547 sous le nom de Henri II ; il
réunit dès lors définitivement en sa personne les droits du royaume sur le
duché. En 1567, il fit interdire le port
des armes et du nom de « Bretagne » à un compte de Vertus, descendant
d’un fils naturel du duc François II.
Au XVIIème siècle, le papier timbré en usage pour
les actes rédigés en Bretagne porte la moucheture d’hermine. Sous Louis XVI,
les jetons de présence aux États de Bretagne sont frappés de fleurs de lys, des
mouchetures et d’une hermine.
Hormis la Bretagne, parmi les provinces d’ancien régime, une seule porte d’hermine plain (brisé d’une brochure de gueules) : le Limousin… il est vrai que les vicomtes de Limoges furent princes bretons (23).
Le 15 janvier 1790, le démembrement de la province
en cinq départements entrainera la disparition officielle du duché de Bretagne,
sans toutefois abolir le Traité d’Union.
Depuis huit siècles, la fourrure d’hermine est
l’emblème héraldique de la Bretagne, pour preuve, dans les départements
bretons, sur 877 communes armoriées, 398 soit 45,4% portent la moucheture
d’hermine (24) ou l’animal :
- Côtes d’Armor 54 sur 177 soit
30,5%
- Finistère 100 sur 166 soit 60,2%
- Ile et Vilaine 42 sur 174 soit 24,1%
- Loire Atlantique 97 sur 197 soit 49,2%
- Morbihan 105
sur 163 soit 64,4%
L’actuel drapeau breton (Gwenn-ha-du), esquissé en
1923, arboré en 1937, universellement admis depuis les années 1970, comporte un
quartier à onze mouchetures d’hermine (4, 3 et4) et neuf bandes correspondant
aux quatre pays bretonnants (25) et cinq pays gallos (26).
Les
Princes à l’hermine
Alix
– Pierre 1er (dit Mauclerc)** 1213 – 1237
Jean
1er le Roux 1237 – 1286
Jean
II 1286 – 1305
Arthur
II 1305 – 1312
Jean
III le Bon*** 1312 – 1341
Charles
de Blois (†1364) Jean
de Montfort
époux
de époux de
Jeanne
de Penthièvre Jeanne
de Flandre
Jean
IV de Montfort 1365 – 1399
Jean
V le Vaillant 1399
Jean
VI 1399 – 1442
François
1er 1442 – 1450
Pierre
II 1450 – 1457
Arthur
III 1457 – 1458
François
II 1458 – 1490
Anne
1490 – 1514
Claude
de France 1514 – 1524
François,
dauphin de France 1524 – 1536
Henri,
dauphin de France **** 1536 – 1547
1. (1) « Moi
Alix duchesse de Bretagne »
2. (2) Alix
était fille de la duchesse Constance et de son troisième époux, Guy de Thouars.
Elle avait dû épouser Pierre de Dreux, cousin du roi Philippe Auguste. Après
l’assassinat du duc Arthur 1er , sa sœur Alix fut déclarée héritière
du duché par Philippe Auguste, au dépens de sa demi-sœur Aliénor retenue en
Angleterre sous la garde de son oncle Jean sans Terre.
3. (3) Duc
ou comte : Pierre de Dreux (dit Mauclerc) n’était en fait que prince
consort, mais il assuma l’administration du duché en qualité de baillistre*, à
partir du décès d’Alix en 1221 à 21 ans) et jusqu’à la majorité de leur fils
Jeans (1237)
4. (4) Dom
Lobineau, Histoire de la Bretagne
5. (5) J.L.
Montigny, Essai sur les institutions du
duché de Bretagne
6. (6) Le
roi de France jugea « plus habile de placer la Bretagne sous la férule
d’un prince capétien plutôt que de la livrer à la puissante et orgueilleuse
maison de Penthièvre »
7. (7) Dom
Lobineau, Histoire de la Bretagne
8. (8) La
borderie, Histoire de la Bretagne
9. (9) Assassinat du duc Arthur 1er de
Bretagne par le roi d’Angleterre, Jean sans Terre le 3 avril 1203.
10(10) Divorcée
de Louis VII le jeune, père de Philippe-Auguste, Aliénor d’Aquitaine se remaria deux mois plus tard avec Henri
Plantagenet, duc de Normandie, lui apportant en dot Anjou, Maine et Aquitaine,
fiefs qui isolaient géographiquement la Bretagne et la France.
11(11) J.L.
Montigny Essai sur les institutions du
duché de Bretagne
12(12) Dom
Morice Mémoires pour servir de preuves à
l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne
13(13) Louis
IX, guerroyant en terres mahométanes de 1248 à 1254 (VIIème croisade), avait
confié la régence du royaume à sa mère, blanche de Castille. Au cours de cette
croisade, Mauclerc fut blessé à la bataille de Mansourah. Il décéda sur le
bateau sui le ramenait en France (1250)
14.(14) Jean
II avait épousé Béatrice Plantagenet, fille du roi Henri III d’Angleterre.
15(15)Deux
compétiteurs s’affrontaient :
- Charles de Blois, époux de Jeanne
de Penthièvre nièce du duc Jean III, était soutenu par le roi de France
Philippe VI de Valois. Il fut tué à la bataille d’Auray à la St Michel en 1364
- Jean de Montfort, époux de Jeanne
de Flandre, était demi-frère du défunt duc et bénéficiait du soutien du roi
d’Angleterre Edouard III
16(16) Il
s’agit de la fourrure et non de l’animal
lui-même que l’on ne retrouve que dans quelques blasons de ville bretonnes
(Vannes, Auray, Saint-Malo, Mernel, Bourseui, Savenay…) et pourtant ce petit
carnassier décrit dans les bestiaires du Moyen-Age comme « particulièrement remuant.. changeant et
versatile à l’excès », aurait fort bien pu illustrer la politique
suivie par les ducs.
17(17)Jean
VI confirme le 16 février 1420 l’interdiction pour les Penthièvre de porter les
armes plaines de Bretagne.
18(18) Encyclopédie
de Diderot et d’Alembert – Art héraldique, planche XXVI, n°66
19(19) M.
Daru, Histoire de la Bretagne
20(20) Anne,
à l’âge de 12 ans, avait été fiancée au Prince de Galles, (fils du roi
d’Angleterre Edouard IV). Promise ensuite au sire d’Albret, elle épousa par
procuration Maximilien d’Autriche, en violation du Traité du Verger.
21(21)Cité
par Rémy Mathieu dans « Le Système
Héraldique français »
22(22) M.
Daru Histoire de la Bretagne
23(23) Donation
du Guy XV de Limoges à son genre Arthur II, duc de Bourgogne.
24(24) En
France, hors Bretagne, seuls St Pierre et Miquelon portent un quartier
d’hermine
25(25) Léon,
Trégor, Cornouaille, Vannetais – Raoul Philippe, les
drapeaux bretons
26(26) Pays
Rennais, Nantais, Dolois, Malouin et Penthièvre
*Baillistre : Vassal remplaçant l'héritier d'un fief.
**Mauclerc vit régner trois rois de France :
Philippe-Auguste, Louis VIII le Lion et Louis IX et deux rois d’Angleterre
(Jeans sans Terre et Henri II Plantagenet).
*** Le duc Jean III connût six rois de France :
Philippe IV le Bel, Louis X le Hutin, Jean 1er le Posthume, Philippe
V le Long, Charles IV le Bel et Philippe VI de Valois.
****Le dauphin Henri deviendra Henri II, roi de
France et de Navarre en 1547.
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