Des transformations techniques ont commencé vers la
moitié du XIXe siècle, à ouvrir l’économie locale de beaucoup de communes
rurales, faisant progressivement du paysan un vendeur de produits à l’extérieur
et un acheteur de produits venant du dehors.
Un seul volet des activités paysannes sembles aoir
échappé à ce grand renouvellement du cadre rural et ce, jusqu’à ces trous
derniers temps. Il s’agit de l’élevage, de la mort et de la consommation
familiale du porc.
C’était là encore – et tout récemment – l’exemple
parfait de la vie d’autrefois (celle qui se déroulait en milieu fermé, par
conséquent favorable à l’observation des traditions formelles). En quelques
générations, la révolution technique a bouleversé les mentalités. Et pourtant,
le cérémonial qui entourait, hier encore, le « sacrifice » du porc,
est bien la preuve que nous étions là en présence d’un pratique
significative ; elle rappelle le temps où nos ancêtres vivaient en
économie fermée.
On n’a pas manqué d’insister sur la permanence des
aspects traditionnels qui accompagnaient « la mort à cochon ». Le nom
qu’on donne à l’animal tout d’abord ainsi qu’à celui qui le tue. Le fait qu’on
l’égorge ; l’obligation de consommer le sang : on n’aurait jamais tué
de cochon sans faire de boudin.
Certains auteurs ont montré comment le symbolisme
sexuel apparaissait tout au long de la « cérémonie ». Les hommes et
les femmes n’y jouent pas le même rôle. Peut-être devrions-nous insister sur le
fait que ces « journées de cochon » concernent l’ensemble des
catégories d’individus ; on tue le jeudi pour que les enfants assistent à
l’exécution ; afin aussi, que les parents, voisins et amis puissent
participer à la « boudinée du dimanche », au « repas de
cochon ».
Ce « sacrifice » est l’occasion d’une fête
le plus souvent saisonnière. Elle est vécue par un nombre important de
personnes, sinon par le village tout entier. N’envoyait-on pas, hier encore,
les enfants chercher par les rues, la « pierre à cochon » ? Et
n’offre-t-on pas encore la grillade et le boudin aux parents et aux amis ?
Ne tue pas qui veut, ne sale pas qui veut, ne
cuisine pas n’importe qui. Jusqu’aux mariés de l’année qui ont leur rôle à
jouer dans ce concert dramatique. Ces multiples aspects de la tradition ressurgissent
au fil de l’histoire que nous content nos anciens.
DANS
LE COCHON TOUT EST BON
Il est incontestable que le porc fournissait,
autrefois, à la campagne, l’essentiel de la viande consommée par la majorité
des habitants. Dans notre région de Champagne crayeuse, les cultivateurs, les
cultivateurs-bonnetiers – ils étaient nombreux au XIXe siècle – engraissaient
une ou plusieurs porcs pour s’assurer à meilleur compte le plat de résistance
des repas pris à la ferme. Cette viande de porc alimentait la famille paysanne
au moins 5 jours sur 7. Le lapin, la volaille et autres produits de la ferme,
le pot-au-feu acheté chez le boucher, passaient au menu plus rarement, souvent
le dimanche. La cuisson d’un morceau de cochon conservé au saloir fournissait
les trois éléments principaux d’un repas de l’époque : la soupe au pain
trempée dans le bouillons, les légumes : choux, carottes, pommes de terre
cuits avec la viande dont la partie la plus grasse, le lard, était réservée
pour être consommé froide au repas du matin.
Il s’agissait en quelque sorte de permettre à la
famille de vivre avec les produits de son jardin et de sa basse-cour. Acheter
des denrées alimentaires chez le marchand était une pratique peu courante et
limitée à certains produits bien délimités. La viande du pot-au-feu dominical
échappait à la règle. Et encore n’en servait-on pas chaque dimanche dans toutes
les familles.
Au début du XIXe siècle, élever un porc était, pour
le vigneron de la vallée de la Marne, spécialisé dans l’élaboration du vin rouge,
une nécessité vitale. Depuis la construction des chemins de fer et l’arrivée
massive des vins du midi, ce vigneron a vu le marché parisien se fermer peu à
peu à sa production.
Arrivèrent les grandes crises causées par le
phylloxéra et le mildiou, qui achevèrent de le plonger dans une profonde
misère. Heureusement, la demande croissante amena les négociants à étendre leur
zone de prospection. De petit producteur indépendant qu’il était, le vigneron
de la vallée de la Marne devint tributaire de gros négoce, soumis à la loi de
l’offre et de la demande… De là, pour survivre, cette activité parallèle :
l’élevage du porc, des lapins, des volailles, des chèvres.
Rares étaient les familles qui fréquentaient la
boucherie. Tous, – surtout les
nécessiteux – élevaient un ou deux cochons, selon leurs moyens.
Partout, le porc était présent, omniprésent. On
trouvait un « cochon » dans la quasi-totalité des foyers. Il tenait
une place primordiale dans la nourriture paysanne à Verrières ou Saint Aventin.
Le porc était la principale nourriture des cultivateurs, jusqu’en 1950, dans un
village comme Trancault (près de Nogent-sur-Seine); et les particuliers
élevaient aussi leur porc.
Le porc ? A la campagne, personne n’appelle
cette bête, le porc. C’est le « cochon » ou le gouri. On dit fort justement à Venteuil qu’avec un porc au saloir,
un sac de farine sur le bloc, un tas de pommes de terre à la cave, on se sent
prêt à affronter les rigueurs de l’hiver. La formule usitée à
Champignol-lez-Mondeville est la suivante :
« Du
bois dans la grange,
Du
vin, des pommes de terre dans la cave,
Un
cochon dans le saloir,
La
neige peur venir. »
C’est une bien belle histoire que celle du cochon,
comme une page de la vie de l’homme, avec lequel il vit, et pour lequel il
meurt. Car on compte sur la mort du cochon, sur la viande que sa dépouille va
fournir, sur le lard qu’on en va tirer, sans compter le boudin, les pâtés et
l’andouille.
D’où l’allusion plaisante de Robert Collin, « c’est
pas pour dire, mais vois-tu Joseph, toi, t’es comme not’ cochon, tu n’feras du
bien qu’après ta mort » !
COMMENT
LE PORC EST-IL LOGÉ ?
En Général le porc est logé seul, dans une cabane de
quelques mètres carrés seulement. Il importe en effet – puisqu’on veut
l’engraisser – qu’il ne dispose que de peu d’espace. Il ne doit pas perdre les
kilos que va lui faire gagner sa nourriture.
Le logement réservé au porc d’engraissement est un
bâtiment de petites dimensions à Pouan. C’est une case : une seue, le ou la aran ou encore une ran porc,
plus simplement une porcillère.
Le porc est logé seul. On l’a surtout prudemment
éloigné de la maison d’habitation à cause surtout de l’odeur nauséabonde que
dégage sa litière, à cause des mouches qu’il attire. Mais cette gêne que l’on
évite, il arrive qu’on l’inflige au voisin : si on éloigne la soue de ses
propres bâtiments, on la rapproche du même coup de la maison voisine.
Il est donc logé dans un bâtiment qui lui est
propre, généralement de hauteur moindre que les constructions qui l’entourent.
Parfois on trouve cet animal à l’intérieur d’une grange ou d’un hangar, dans un
coin qui lui a été spécialement aménagé. Quand le « toit à porcs »
est indépendant de la grange et des écuries, notre bête le partage souvent avec
les volailles ainsi qu’avec les lapins. Attention, il n’y a pas cohabitation
mais seulement juxtaposition des abris.
La porcillère, basse, aiguë, fermée par une épaisse
porte de bois, solidement verrouillée, prenant le jour par le haut, est voisine
du poulailler. Tous deux s’adossent à l’un des murs du hangar qui abrite le
matériel agricole. Elle est éloignée au maximum de l’habitation qui est ainsi
tenue à l’écart des grognements du porc et des cris de la volaille. (Estissac)
On trouve le ran-porc (la soue) à l’écart dans un
coin du jardin ou de la cour, couvert en tuiles. (Champignol)
Les bâtiments de Trancault sont de style
briard : chaque propriété ou presque, a son petit bâtiment le long de la
rue, où se trouvent le fournil, la soue, le clapier et le poulailler.
A Humes, le porc est logé dans un bâtiment situé au
dehors de la maison et attenant à l’ « écurie aux vaches ».
A la Villeneuve-au-Chemin, on trouve le porc dans
une case, à côté de la buanderie.
Jamais on ne fait cohabiter un porc avec d’autres
animaux, dit-on à Venteuil. On lui construit donc un abri spécial, de quelques
mètres carrés seulement, soit près de la cour, soit dans le jardin. C’était
« l’écurie à cochons ». Le notaire la désignait dans ses actes en ces
termes : « Le toit à porcs ».
A Bannes, ce logement spécial : l’aran, était bâti en appentis entre
l’étable et la grange ; il voisinait avec le poulailler.
La porcillère de Neuville-sur-Seine jouxtait souvent
le poulailler ou les écuries. Le porc y était seul, dans les petites fermes,
deux ou plus dans les plus grandes, assez loin de l’habitation. Deux ou plus,
mais, probablement comme à Bogny, séparés par une cloison faite de planches
épaisses. Cette soue était souvent accolée contre un bâtiment plus
important : grange ou écurie. A Isle-Aubigny, sous un appentis appelé soucette.
A Saint-Nabord, le porc était logé dans la partie
basse de la grange, quand il n’occupait pas une cabane individuelle, à
l’extérieur, à côté du poulailler et orientée de telle manière qu’elle soit à
l’abri des vents froids et du soleil.
A Fayl-Billot, on pouvait élever l’animal dans le
fond d’une grange ou d’une écurie. Il en était ainsi à Trancault : quand
le cultivateur engraissait un ou plusieurs porcs, il construisait les cases
dont il avait besoin dans une grange ou sous un hangar.
A Essoyes, dans une propriété devenue la
« Maison du vigneron », le porc avait élu domicile sous le four à
pain : plus que les autres, ce logis particulier était exigu. Il est vrai
que le porc n’a pas besoin de beaucoup de place pour engraisser. Dans sa loge
il ne doit que dormir, manger et fabriquer viande et lard. Cressot a dit de
lui : « Les dix pieds carrés de sa cellule offraient au visiteur
l’ordre parfait du promenoir, du dortoir et du reste. »
Comment se promener en si peu d’espace ?
Certains éleveurs avaient prévu que l’animal puisse, de temps à autre prendre
un peu d’exercice.
Quand la case avait une sortie sur un pré pour que
le porc prenne l’air et mange un peu d’herbe, il fallait que ce « parc à
cochons » soit bien entouré avec un grillage spécial, enterré assez
profondément pour qu’en fouillant avec son groin, l’animal ne puisse passer
dessous.
Le porc avait d’autres occasions de prendre l’air.
On libérait parfois le cochon pour nettoyer sa porcillère. L’irruption violente
de la bête semait la panique dans la cour. Vision de seaux renversés, brouettes
culbutées, lourdes envolées impuissantes de la volaille piaillante, parfois
mise à mal … (Estissac)
Mais le porc revenait bien vite en voyant le contenu
du sceau, la siautée, versée dans
son auge. (Venteuil). Les cochons rentraient tous seuls dans la ran, ils
étaient habitués. A Bannes, de même façon, le seul exercice que le cochon
pratiquait consistait en cette promenade dans la cour, pendant qu’on retirait
le fumier et qu’on le remplaçait par de la paille propre. Il fallait ensuite le
faire entrer, ce qui n’était pas toujours facile.
Ailleurs, cette « permission » était
inhabituelle, impensable même. On ne laissait jamais sortir le porc,
précise-t-on à La Neuville aux Haies. En effet, l’animal était élevé pour
donner sa viande et son lard. Il devait engraisser, trop d’exercice aurait été
nuisible à son engraissement. Qu’on lui permette un tout dans la cour pendant
qu’on changeait sa litière, passe encore. Mais s’ébattre en plein air, en
permanence ne devait être permis qu’à une truie mère et à ses petits.
LE SOL DE LA SOUE
Bref ! Le cochon était enfermé dans sa case et
tournait en rond. Alors que, dans les écuries et les étables, le sol était
souvent de terre battue, la soue était pavée de grosses pierres, disposées en
pente, pour faciliter l’écoulement de l’urine. C’était non seulement pour
résister aux piétinements de l’animal, mais aussi pour l’empêcher de défoncer
le sol avec son groin. Les pierres inégales posées sur chant l’en dissuadaient.
A Saint-Nabord, on prévoyait une légère pente qui conduisait à un trou pour
l’écoulement de l’urine, cette rigole qui sortait de la soue, permettait
d’évacuer le purin, avec l’odeur que l’on devine. Bonne raison pour éloigner la
soue des bâtiments d’habitation.
Les murs du logement du porc étaient édifiés en dur car le bois était souvent attaqué par cette bête qui a une mâchoire puissante (Pouan). C’est un bon démolisseur (Trancault).
Deux portes dans la soue, la plus grande pour entrer
nettoyer ou pour chercher le porc ; la plus petite donnait directement sur
l’auge, elle permettait de la remplir ou de la nettoyer. (Trancault). L’auge,
appelée aussi bourenfle, se trouvait
immédiatement à côté de la porte (St Nabord).
A Villeneuve-au-Chemin, cet ustensile se trouvait
aussi dans un coin, proche de la porte ; A Bannes, juste contre la porte,
ce qui permettait de nourrir le porc sans le laisser sortir.
Cette auge était généralement en pierre taillée, de
forme parallélépipédique aux dimensions de 60 à 70 de long, 40 cm de large et
de haut ; les bords avaient de 4 à 5 cm d’épaisseur. En pierre dure de
Givet à Bogny, à Somme-Suippes, rectangulaire de 0,80 m sur 0,30 ! et 0,20
m de profondeur. La même pierre que celle qu’on utilisait pour les pierres à
évier. Peu profonde, car les petits cochons devaient pouvoir mettre les pieds
dedans. (La Neuville)
L’auge en pierre comportait un trou côté porte pour
le nettoyage. Quand cette auge cassait, on la remplaçait par une autre en bois
qu’il fallait sceller au mur afin qu’elle ne soit pas retournée (Trancault).
Approvisionner l’auge, face à la pression d’un
animal qui pèse jusqu’à cent kilos et dont la force est certaine, peut faire
problème.
Aussi nos aïeux avaient-ils cherché comment ne plus
être obligés de pénétrer dans la soue pour apporter la pâtée du cochon. Pour
cela, il fallait que l’auge soit accessible du dehors. La première solution
consistait à ouvrir au-dessus de cette auge un lucarneau ou à prévoir un
portillon sur le côté, par lesquels on pouvait verser la pâtée sans enter dans
la soue. Il fallait néanmoins compter avec la force peu commune de l’animal
dont le groin vorace gênait quiconque lui apportait sa nourriture.
On eut l’idée d’encastrer l’auge dans la cloison,
moitié à l’extérieur de telle façon qu’elle soit accessible des deux côtés.
Au-dessus, un volet suspendu pivote. A l’aide d’un verrou, on peut le bloquer
aussi bien vers l’intérieur qu’au dehors ; la première position permet à
qui s’occupe de l’alimentation de l’animal de verser la pâtée sans rencontrer
de résistance ; quand le volet est bloqué extérieurement, le cochon a
libre accès à l’auge et la soue est néanmoins fermée. On pouvait donc ainsi
ravitailler le porc sans qu’il soit besoin de pénétrer dans sa loge.
L’industrie s’est emparé de l’idée ; elle a
conçu l’auge « à tambour ». Le récipient est un demi-manchon creux en
fonte fermé à ses extrémités par deux cercles complets. Dans la partie
supérieure de ces deux cercles latéraux pivote un quart de manchon qui peut
indifféremment basculer vers l’intérieur ou vers l’extérieur. La moitié
inférieure fixe du cylindre constitue l’auge proprement dite. Quand le quart
mobile repose en avant, le porc accède à son brouet mais ne peut toutefois
engager son groin l’extérieur. En
revanche, quand ce quart mobile est relevé, il est possible de verser la pâtée
dans l’auge tout en interdisant l’accès au groin vorace et brutal. (Channes)
Les avis sont partagés quant à la propreté du porc.
Le propriétaire de l’animal n’est-il pas responsable de la malpropreté qu’on
attribue à cet animal ?
« Alors qu’on curait les vaches fréquemment, la
propreté de la soue était toute relatives, chez mon grand-père, si mes
souvenirs d’avant 1910 restent exacts ». (Estissac)
On s’accorde cependant à penser que le porc est un
animal très propre ; il assemble ses excréments dans un ange de la case,
réservant les parties non souillées pour y dormir. L’exiguïté de la soue
nécessite les changements fréquents des litières et l’évacuation des urines
vers l’extérieur. (Pouan)
Par une petite buse, les urines tombent dans un
fossé et se perdent dans la terre. (Rethel)
Selon les lieux, et probablement en fonction des
habitudes, on changeait la litière du porc et on nettoyait sa case plus ou mis
souvent. Une fois par semaine ; plus souvent, en été (Trancault). La soue
était curée une fois tous les deux jours, avec un crochet qui ne risquait pas
de blesser la bête. (St Nabord)
« On palait le cochon une fois par semaine.
C’était le travail du jeudi pour les enfants » (Bannes)
« On mandait
(mondait) le cochon comme on mandait les lapins, on portait le fumier sur le
tas qui était dans la cour » (Courtisols)
« Le nettoyage de la soue se faisait le matin
et le soir. C’était le curage. On l’effectuait avec un racloir » (Humes)
« La litière souillée était enlevée et se
mêlait alors à celle des lapins sur le tas de fumier. On lavait le sol en y
jetant un seau d’eau. Puis on litait à l’aide de paille achetée à bas prix aux
fermiers ou, pour les moins riches, avec de l’herbe ou même des feuilles de
vigne » ; (Verneuil)
A Bogny, le sol était lavé avant qu’on remette une
litière propre. Litière constituée de paille de seigle, parfois de fougères si
la paille venait à manquer.
Chez le cultivateur, la litière était de paille de
blé. « Une botte de paille de blé, ça pourrissait moins vite ».
(Bergères) Le particulier utilisait n’importe quelle paille, celle qu’il
pouvait trouver ainsi accessoirement que la fougère, de l’herbe, des feuilles,
etc. Il est remarquable de constater que la soue semble avoir été lavée plus
facilement par ceux que leur condition obligeait à économiser la litière.
ORIGINE
DU PORC
D’où venait ce porc qu’on allait ainsi nourrir
pendant de longs mois avant de le faire mourir ? Rares sont les fermes qui
entretenaient une truie reproductrice. Celles-là fournissaient parfois en
gorets les particuliers. On pouvait commander à l’avance son porcelet à un
fermier ayant une ou plusieurs truies. C’est après la guerre de 1914-1918 que
l’élevage des porcelets s’est implanté dans la région de Champagne crayeuse
(Pouan)
Mais, on signale les difficultés de cet
élevage : « Une truie mit bas pendant notre visite. Se souciant peu
de l’incident, ce cultivateur ne s’y intéressa que trop tard. La truie avait
dévoré ses petits. « C’est une mauvaise mère » conclut simplement
notre hôte. Il ne savait pas que cette mise au monde demande une surveillance
attentive : ou la truie mange ses petits, ou elle se couche sur eux et les
étouffe. Il faut les lui retirer au fur et à mesure qu’ils voient le jour, les
lui amener pour les tétées, toutes les trois heures environ, les remettre à
l’abri et ce, pendant un certain temps ». (Estissac)
Plus fréquemment, on avait recours au
« marchand de cochons ». On se rentait à son domicile ou on le
trouvait sur le champ de foire à moins encore qu’on attende son passage dans la
localité.
« On allait chez le revendeur de porcelets,
souvent au village même. On mettait le petit porcelet dans un sac et on le
ramenait à la maison, sur une brouette ». (Trancault)
Le porc était choisi à la foire principale mensuelle
à Langres. Les petits gorets s’achetaient à certaines foires ou marchés, ou chez
le cultivateur. « L’acquisition avait lieu aux foires de Wassy ou à
Doulevant, en mars, pour le cochon à tuer au début de l’hiver ; en
septembre pour celui qui devait être abattu en mars ou avril ».
(Rachecourt)
« Le marchand ambulant passait dans le village,
soit à dates fixes, soit s’il savait où il y avait des cochons à tuer ; alors
il en venait offrir un petit » (Courtisols)
« Il n’avait qu’un portée de cochons dans sa
voiture à quatre roues trainée par un cheval » (Pouan). « Une voiture
bâchée… qui venait de 30 km au-delà » (Onjon). « Avec sa blouse
bleue » (Champignol). « En glaude de lustrine noire »
(Verrières). « En blouse noire, aussi à Humes ».
« Il passait en juin, juillet et ne s’annonçait
pas, connaissant parfaitement ses clients à Bogny. Il ne s’annonçait pas non
plus à Pouan. Il venait voir s’il « fallait un cochon » à Lantages.
Car il savait mieux que nous le moment de le remplacer (Bannes) ».
Moins discrets pour être plus rapides sinon plus
efficaces, étaient les marchands qui signalaient leur passage. La rue d’égayait
du pipeau aigrelet du marchand de cochons : « Do, ré, mi, fa, fa, mi,
ré, do » Je suis le mar-chand de cochons » (Verrières)
« Chons, cochons, chons » (Rachecourt)
« Bon cochon, je mange de l’argent »
(Faux-Fresnay)
A l’arrière de la voiture, toujours bâchée,
apparaissaient les porcelets : cochons de lait de 15 à 25 kg ou
« lancerons » pesant de 40 à 60 kg, dont l’engraissement était plus
rapide. (Pouan). Deux races : l’une à tête courte et l’autre à tête
longue ; l’un produisant un meilleur lard que l’autre. (Trancault)
Les jeunes animaux était là, offerts au choix de
l’acheteur éventuel, les laitons dans leur cage (Villeneuve-su-Chemin) ou tous
ensemble (St Lyé) en vrac dans la voiture.
Le vendeur faisant descendre deux ou trois
porcelets, les faisait courir, histoire de marchander. (Isle). Ce qui n’est pas
sans rappeler le plus ancien marchand qui faisait suivre, à pied, son troupeau,
ce qui facilitait le choix de l’acheteur. (Pouan). Celui-ci pouvait ainsi mieux
apprécier le « gabarit », la vivacité, la santé de son futur
pensionnaire.
Comment choisissait-on ce porcelet ? Au coup
d’œil, mais tout d’abord selon ses finances puisque la bête était vendue au
poids (La Neuville). Selon qu’on était
argenteu ou non. Si la dernière récolte avait été bonne on achetait un
« coureur » à moitié venu, d’une trentaine de kilos ou, plus
modestement, un porcelet de 15 à 25 kg. Le marchand l’attrapait, l’extirpait de
la voiture, sans souci de ses hurlements de paon. Retourné dans tous les sens,
examiné, soupesé, choisi, l’animal était alors pesé à l’aide d’une balance
romaine puis fourré dans un sac ou un cotteret, sorte de panier d’osier.
(Ventreuil)
« J’en ai des beaux, venez les voir, ils ont de
la gueule » (sous-entendu, ils ont bon appétit), affirmait le marchand qui
passait à Lantages.
« On prenait en principe le goret le plus
dégourdi, celui qui criait le plus fort » (Lantages). « De préférence
un mâle ». (Couvignon). « On le choisissait assez long, les plus
courts étant trop gras ». (Neuville-sur-Seine). « Souvent le marchand
le tenait par un patte de derrière ce qui le faisait paraitre plus long ».
(Rachecourt).
CASTRER
LE PORC
Les porcelets vendus par le marchand de porcs
étaient garantis castrés.
Si cette opération avait été mal effectuée,
l’acheteur pouvait obtenir le remplacement de la bête. Les animaux élevés à la
ferme étaient « coupés » par le vétérinaire ou par un ouvrier qui
s’était spécialisé dans cette besogne.
On castrait le porc vers deux mois et demi.
L’opération favorisait l’engraissement et permettait aussi de faire cohabiter
plusieurs porcs. A Rethel, le porc était castré soit par le vétérinaire, soit,
par un castreur qui ne faisait que cela pour toute une région. A Rachecourt,
autrefois, quelques jours après les foires, passait le « coupeur »
qui traversait le village à pied ; il prévenait de son passage grâce à un
sifflet à plusieurs sons.
LA
NOURRITURE DU PORC
Il fallait nourri le porcelet dans la soue. Là
encore, un peu comme pour sa litière, le porc était traité en fonction de la
profession et de la situation sociale de son propriétaire. Chacun s’ingéniait à
prendre sur place ou à quérir à moindre frais les aliments que l’animal allait
transformer en viande et en lard.
Le temps même de l’engraissement variait selon qu’on
avait pris le goret le plus menu ou qu’on l’avait choisi plus imposant, selon
qu’il restait des pommes de terre ou qu’on n’en avait plus, en fonction aussi
des besoins en matières grasses, le lard et le saindoux étant les seules
graisses habituellement utilisées.
A Isle, on élevait plutôt des porcs très gras ;
on n’en tuait qu’un par an, il fallait remplir les pots de graisse,
c’est-à-dire assurer la réserve pour 365 jours.
Il semble que l’alimentation des tous jeunes porcs
ait été, en certains lieux, particulièrement soignée et nettement différenciée
de celle des porcs adultes.
D’abord un régime prudent de poupon délicat, à peine
sevré, de bouillies claires, de lait, de farine d’orge. (Cressot).
Au début, des caboulées,
pâtées de verdure, plutôt faite de feuilles de choux, orties, mélangées avec du
son ou du rebulet, cela afin que le porc « s’allonge » et ne graisse
pas trop vite. (Bogny)
Pour les fermiers, la nourriture du jeune porc
n’était pas un problème. Petit, on lui donnait du lait jusqu’à ce qu’il soit
bien sevrable. A Lantages, c’était même nourriture pour les jeunes et les
cochons plus âgés sauf à en faire varier la quantité.
Que mangeaient les porcs ? Des pommes de terre
cuites dans la chaudière, un petit demi-seau ou trois quarts, suivant l’âge
d’engraissement, une mesure de farine d’orge, le tout réchauffé par l’eau
grasse de la vaisselle contenant les restes des repas. (Neuville-au-Chemin).
Les pommes de terre étaient, en effet, à la base de
l’alimentation du porc, dans la plupart des cas. Elles étaient cuites à la
ferme dans une grande chaudière de fonte supportée par un bâti circulaire sur
pied, comportant un foyer chauffé au bois. Le cuiseur qu’on appelait
« fourneau économique » a remplacé avantageusement la marmite de
fonte suspendue à la crémaillère au-dessus du foyer de la cheminée. Son volume
plus important (de 60 à 100 litres) permettait de cuire des pommes de terre
pour plusieurs jours. Son installation fixe, non loin de la porcherie, soulageait
la fermière dans son travail.
A Isle, on faisait cuire les pommes de terre dans un
grand chaudron accroché à la crémaillère. La fermière y mettait deux panerées
de ces tubercules. Quand tout était cuit, il fallait deux hommes pour descendre
le chaudron. Les pommes de terre étaient alors écrasées avec une petite bêche
alors qu’elles étaient encore chaudes. Avec une vieille bêche, avec un pilon de
bois ou, dans le meilleur des cas, avec un instrument métallique composé d’une
tige terminée par un croisillon capable de diviser plus que d’écraser.
Le fermier se permettait d’ajouter du blé aux pommes
de terre. Les enfants aimaient chiper une « patate » ou une poignée
de blé cuit, toute chaude. Comme c’était bon. (St Lyé).
Si l’on excepte ce blé, privilège des seuls
agriculteurs, le second aliment du porc après la pomme de terre était l’orge.
Il fallait neuf mois et neuf quintaux d’orge pour « faire » un
cochon. Il semble que le porc soit friand de cette céréale. Le marchand de
porcelets qui passait à Lantages en fournissait à ses jeunes bêtes pour que ses
clients éventuels apprécient leur appétit. Elle était employée moulue, sous
forme de farine.
On mettait l’orge dans un sac que l’on emportait en
brouette dans une ferme d’une certaine importance ; là existait un moulin
actionné par un moteur à gaz pauvre et l’orge était écrasée ; à charge de
payer une petite redevance.
On utilisait aussi la farine d’avoine, les
remoulages de blé ou la pousson, le nom qui convient est : la pouture : mélange de seigle et
d’orge, moulu au moulin à eau (Isle, St Nabord, St Julien, Troyes). Ces issues
de céréales étaient ajoutées aux pommes de terre : une bonne jointée (les deux mains réunies), au
fond d’un seau de bois, puis les eaux grasses, le tout délayé à la main.
« Une bonne soupe ». (Lantages).
Ces eaux grasses étaient les eaux de vaisselle, eaux
grasses ou eaux de relavure, mêlées à des restes de nourriture non consommés.
Elles furent utilisées à Venteuil jusque vers 1910, date à laquelle apparurent
les cristaux de soude : la carbonade.
Celui qui n’élevait pas de porcs offrait ses eaux
grasses à son voisin, de la même façon qu’il pouvait offrir du levain pour son
pain. Se rendre service entretenait l’amitié et faisait partie des usages. Par
contre, à Courtisols, jamais d’eaux grasses que celles de la maison.
Tout était bon pour ajouter à la pâtée du porc, le puron ou résidu de la fabrication des
fromages, le lait qui restait après le repas des veaux. Mais aussi, lorsque le
poinçon de pommes de terre s’épuisait, chez le pauvre, en été, des herbes grasses,
des orties et même des glands.
Les orties dans leur tige, entraient souvent dans le
menu du porc. Cuites à Faux-Fresnay. Pour remplacer les pommes de terre qu’on
n’avait pas encore récoltées à Champignol. Ca faisait les cochons plus longs à
Bergère.
Autrefois, dit-on à La Neuville-aux-Haies, les
orties étaient si recherchées par les pauvres qu’on n’en voyait aucune dans le
village. Ce qui n’empêchait pas qu’on utilise, en même temps, pour nourrir le
porc, des choux navets, des feuilles de betteraves et même des échaidrons (chardons). Tout pouvait
être offert au cochon. Même s’il n’en raffolait pas, on lui imposait des pommes
broyées, des salades montées et des choux éclatés.
On dit aussi que le porc est carnassier, qu’il
ramasse tous les restes et qu’on s’en doit méfier quand on le laisse en liberté
dans la cour, il attraperait volontiers les volailles qui restent à sa portée.
Faut-il ajouter foi à cette rumeur qui dit que
certains éleveurs n’ont- jamais eu recours à l’équarisseur, leurs bêtes mortes
passant à la chaudière et les cochons ne laissant, de cette pâtée, que les
os ? Certains disent :
« Le magnifique appétit du prisonnier faisait de tout chair et graisse,
même du babeurre et de l’eau de vaisselle ».
Soir et matin, on prélevait la ration de pommes de
terre qu’on mélangeait à la pouture et qu’on réchauffait et éclaircissait avec
de l’eau de vaisselle. Cette pâtée était servie tiède, « à chaleur du
sang », pas trop chaude (on la vérifiait en plongeant la main) car une
nourriture trop chaude aurait donné des boyaux trop fins, donc trop fragiles
pour la fabrication du boudin. En hiver, on réchauffait avec de l’eau chaude.
Les repas étaient donnés chaud le jour de la cuisson des pommes de terre et
froids les autre jours. L’été froid, l’hiver chaud à Lantages.
Le porc grognait lorsqu’approchait l’heure de son
repas. Quand on l’entendait on savait qu’il n’avait pas eu sa siautée. Il ne
faisait entendre son cri qu’à l’heure des repas, il reconnaissait les pas de
celui ou de celle qui le nourrissait. On portait à la bête, le seau bien plein,
qu’on versait dans l’auge de grès brut où le groin du porc fouillait trempait
jusqu’aux yeux, aux oreilles, avec des cris de satisfaction… L’auge était
rapidement vidée tant sa gloutonnerie était grande.
Avant qu’on ne laisse les porcs s’engraisser dans
une soue, on profitait du patrimoine communal, on envoyait ces animaux paître
dans la nature. « Ma mère a connu le porcher qui passait de village en
village, avec son troupeau de porcs entourés de chiens, un peu comme un berger
avec ses moutons » (Trancault en 1850). A Rachecourt en 1852, le berger
communal devait garder vaches, moutons et porcs, ces derniers aux conditions
suivantes : 15 litres de blé pour chaque porc, plus 15 centimes par porc
et par mois. En 1865, le contrait de cet employé a été renouvelé, mais il
n’était plus question de porcs.
SOINS
Heureusement, nous dit-on, à part la nourriture et
l’entretien de son logement, le porc demandait peu de soins, il était rarement
malade. S’il l’était, on le considérait souvent comme condamné. Cependant, on
ne se résignait qu’après avoir eu recours à certaines pratiques locales. La
confiance en la science du vétérinaire ne semblait pas partout établie, loin de
là. On pourrait arguer qu’il fallait rémunérer ce praticien et que, de même
qu’on tardait à appeler le docteur pour les humains, on hésitait à payer, au
vétérinaire, des honoraires qu’on pouvait croire inutiles.
On préférait faire affaire avec le maréchal ferrant
qui, souvent, savait soigner les bêtes. On n’appelait le vétérinaire qu’en
dernier ressort, parce qu’on savait la maladie difficile à traiter ou parce que
les moyens empiriques avaient échoué.
Bien qu’on pense que le porc pouvait s’élever sans
précautions particulières, quelques mesures élémentaires préventives étaient
généralement respectées ; on cherchait à le garantir du froid et du
soleil, en abritant sa soue du vent du nord ou d’un ensoleillement trop
important.
Un arbre était souvent planté devant sa cabane pour
donner de l’ombre en été. (St Nabord). C’est parce qu’on redoutait pour lui une
trop grande chaleur et le « coup de sang » qu’on isolait le toit de
sa soue (Venteuil).
Ce « coup de sang » était aussi provoqué
par une nourriture trop riche, notamment en blé et en avoine. Le porc était
alors saigné à l’oreille dont on fendait le lobe sans attendre car, faute de
pratiquer la saignée au bon moment, le porc mourrait sans rémission.
Si l’animal toussait, on parlait de « fluxion
de poitrine » (Chesley), de « coup de froid », de bronchite (St
Nabord), comme s’il s’était agi d’un être humain.
Parfois, l’appareil digestif était atteint. Quand le
porc était malade à ne plus vouloir manger, on lui faisait boire du lait auquel
on avait ajouté de l’huile. S’il « renvoyait le tout » et se
remettait sur ses pattes, il était débarrassé. Si le remède n’agissait pas, on
appelait le vétérinaire. (Trancault) Le mâ
saint Raymond, signalé en Ardenne présente les mêmes symptômes ; la bête
prend une bouchée d’aliments, recule, se met sur son cul, tourne et crie. C’est
une affection mortelle. Un seul recours, le pèlerinage à Saint Raymond
d’Houdremont en Belgique, à 20 km de la Neuville aux Haies, réputé pour être
efficace.
Quand le porc était constipé, on le sortait de sa
soue afin de lui offrir quelqu’exercice, il se vidait et ça allait mieux
(Bergères) ; on lui donnait à manger plus liquide (Pouan). L’herbe à
cochons (renouée des oiseaux) était efficace pour lutter contre les vers
intestinaux (Pouan). Contre la diarrhée, c’était du riz que l’on utilisait avec
un peu de bismuth. (Pouan)
Certaines maladies de la peau pouvaient frapper
notre goret. La gale des pattes les faisait devenir toutes noires. Le rouget,
quoique rare, était la maladie la plus redoutée car la contagion était à
craindre ; les traitements vétérinaires permettaient de réduire la
mortalité. On redoutait les poques à
la Neuville-aux-Halles, sortes de « pustules d’eau », elles aussi
mortelles.
Le cochon avait parfois bien du mal à se trainer sur
ses pattes dont les os se développaient mal. C’était en fait une sorte de
rachitisme que ce « mal de pattes ». On soignait cette décalcification
en donnant de l’huile de foie de morue à la bête (Troyes), de la poudre d’os
(La Neuville-aux-Haies » et même tous les os : de porc, de volailles
ou de lapin, sans qu’aucun incident n’ait jamais été constaté. (Rachecourt)
Les passerons
étaient un mal ou plutôt une anomalie qui affectait les dents du porc. Deux
dents qui se développaient anormalement et empêchait l’animal de s’alimenter.
Il fallait faire appel au tueur de porcs qui venait lui enlever des dents à la
pince. Ce n’était guère facile mais tout de même réalisable. (Bogny)
Bien que peu fréquents, ces maux existaient. On
essayait de les soigner avec les moyens les plus divers, selon la tradition, à
condition surtout qu’ils ne coutent gère. Parfois, le mal entrainait la mort de
l’animal, parfois, celui-ci guérissait, après bien des péripéties, comme en
témoigne l’histoire qui suit, contée à Lantages :
« Un jour, le cochon ne mange plus. C’est qu’il
est malade, il va probablement crever.
Je vais chercher des feuilles de blettes, je les lui
tends, la pauvre bête essaie mais n’arrive pas à les prendre dans sa gueule. Il
ne le pouvait pas.
Sur ces entrefaites arrive le facteur qui dit :
« Votre cochon a la « bosse », passez votre main sur son dos.
Vous les sentirez, les bosses et ce n’est pas le vétérinaire qui pourra vous le
guérir. Je ne connais qu’une personne, un tueur de cochons qui saura en venir à
bout. Il habite à 12 km d’ici »
C’était la saison des avoines, en
rentrant avec les chevaux, mon mari me dit, après avoir vu l’animal :
- C’est le charbon
- Il faudrait bien que tu ailles
chercher ce tueur dont m’a parlé le facteur
- Je n’ai pas envie de perdre une
demi-journée de semailles. Le temps presse
- Et si on perd le cochon ? ce sera
plus grave qu’une demi-journée aux champs.
Discussion, réflexion, décision… on est
allé chercher le tueur.
- Vot’cochon ? Il a la
« bosse » : une « glande » au fond de la gorge,
préparez-moi de l’ail avec du vinaigre et du poivre, dans un bol. Ainsi qu’un
tampon d’ouate. Donnez-moi des ciseaux.
Il a fallu nous saisir du porc pour l’ébayer.
Avec les ciseaux, le tueur a coupé la
« glande ». Un liquide noirâtre en est sorti ; puis, avec le
tampon il a cautérisé la plaie.
Le soir, le cochon a bu son lait.
Vous pensez bien que le facteur a eu
droit à un on rôti ».
TUER
LE PORC
On ne le tuait guère qu’à certaines époques de
l’année et lorsque son poids justifiait le sacrifice.
Il était ordinairement abattu lorsqu’il avait
atteint 100 à 150 kg. On pouvait l’amener parfois à 200 kg (Pouan)
A Saint Nabord, on tuait généralement 2 porcs par
année, un gros d’environ 200 kg et l’autre plus petit. A la Neuville-aux-Haies,
on tuait de novembre à Noël selon la disponibilité du tueur. Certains, qui ne
voulaient pas acheter de viande de boucheries élevaient un pâqui, d’octobre à avril, tué vers Pâques, et plus petit que le
premier.
Les gens de Champignol mettaient leur point
d’honneur à avoir le porc le plus gras, après l’avoir nourri 9 mois seulement.
Il semble que la période la plus favorable pour
l’abattage ait été le temps de Noël. C’est la saison, dit-on à Chesley, pendant
laquelle la viande ne « tourne pas », la saison bonne à fumer le
jambon, la saison qui ne connait pas les mouches.
A la Noël en général, à la Saint Vincent ou à Pâques
(Plessis-Barbuise), pour Carnaval (Droup-St-Basle). Autrement dit en novembre
ou en mars (Humes), au printemps, toujours avant les chaleurs, donc
(Faux-Fresnay) quand il n’y a pas trop à faire par ailleurs (St Lyé), et aussi
à l’occasion d’une fête patronale, mariage, vendange, cérémonies diverses où une
nourriture abondante était indispensable (Venteuil).
On tuait de préférence le jeudi, pour permettre aux
enfants d’assister à l’exécution (Champignol). Afin de pouvoir faire un repas
le dimanche en invitant la famille et les amis (Humes).
Le tueur n’était pas ce qu’on peut appeler un
professionnel, ce n’était qu’un amateur bien habitué à cette opération
spécifique (St Nabord).
Dans chaque village, une ou deux personnes se
chargeaient de tuer le porc. Parfois un cultivateur abattait le sien ainsi que
ceux de sa famille ou de ses amis.
Des vignerons avaient appris les gestes du boucher –
ils n’étaient que deux ou trois au village à être initiés – ils se chargeaient
de l’opération pour 4 francs (Venteuil)
A Bannes, on demandait le Père Foissy. A Rethel,
cette opération était toujours pratiquée par le tueur de cochons appelé Dona. Pourquoi ? Cet homme avait
bien entendu un métier principal, il était maçon et ne s’occupait du cochon que
l’hiver. On devait le retenir longtemps à l’avance car son calendrier était très
chargé.
Le Nénesse à Verrières, c’était un peu le Père Noël
du foyer. Avec lui entrait le régal de la viande fraiche, la grillade, le
saucisson, l’andouille, toutes bonnes choses qu’on avait en abondance, d’un
seul coup, comme pour une fête. Et c’en était une.
PRÉPARATIFS
Les préparatifs avaient lieu dès la veille. On
époussetait l’échelle, on donnait un coup de pierre aux couteaux, on recuisait
la saumure, on descendait du grenier un chapelet d’oignons. Pour la première
fois, le cochon jeûnait.
Au jour prévu, le tueur était là, très tôt, et
préparait son matériel, pendant qu’on allumait le feu au fournil et dans la
cuisine d’été afin que chauffe beaucoup d’eau (Trancault). Après avoir bu la
goutte, il choisissait la place où le porc devait tomber, y faisait épandre une
bonne couche de paille. (Villeneuve-au-Chemin). Tout était prêt pour la
cérémonie, n’y manquait que le principal acteur.
Pour se saisir du porc à abattre, le tueur pénétrait
seul dans la loge, passait à la base de la patte de derrière droite une longue
corde arrêtée par un nœud coulant double. Il sortait ensuite l’animal et
l’immobilisait dehors en nouant la corde à un anneau prévu à cet effet (Pouan)
asse court, assez haut, pour que l’animal ne puisse gratter par terre
(Chesley).
A l’Isle-Aubigny, le tueur prenait d’une main la
longe nouée à la patte de derrière droite de l’animal, il le tenait aussi par
l’oreille gauche.
On couchait le port sur le flanc droit et, selon les
lieux, on introduisait ou non dans sa gueule un bâton que le « saigneur »
maintenait avec sa jambe droite, cela pour qu’il crie moins fort ainsi que pour
éviter qu’il morde (Trancault).
Le tueur se saisissait de la patte de devant gauche,
la ramenait en arrière, l’immobilisait, se faisait donner le couteau à saigner
et l’enfonçait alors dans la gorge de l’animal (Villeneuve-au-Chemin)
Avant de saigne le porc, à Saint Lyé, on l’édernait
d’un coup de merlin ou de mailloche. On l’assommait aussi à Somme-Suippes et à
Courtisols.
En général, la mort de l’animal se donnait au couteau,
sans qu’il ait été au préalable assommé comme il est obligatoire de le faire de
nos jours (Pouan). Quand le port était égorgé vivant, le sang coulait mieux.
D’autre part, on ne risquait pas d’enfoncer quelque esquille dans la cervelle.
LE
GESTE DU TUEUR
Comment piquer ? Car il n’était pas question de
trancher. Poser la pointe du couteau sur le museau de n’animal faisait
apparaître un gonflement du cou. C’est là qu’il fallait piquer. L’artère était
là.
En tirant sur ses pattes, on faisait perdre son
équilibre au porc, cela l’allongeait, ce qui permettait de bien repérer le trou
rond dans lequel allait s’enfoncer le couteau pointu (Lantages). C’était au
creux du cou (Fayl-Billot) qu’on atteignait la « veine » du cœur (La
Neuville-aux-Haies).
L’animal hurlait de douleur, le sang giclait dans
une poêle placée sous l’orifice de la plaie (Pouan). Quand cette poêle à long
manche était aux trois quarts pleine, l’opérateur resserrait la plaie avec ses
doigts pendant que le sang était versé dans une terrine (Isle), un pot ne
servant qu’à cet usage (Bannes), un pot de grès dans le fond duquel on avait
versé quelques cuillerées de vinaigre.
Pour bien épuiser tout le sang de la bête, le tueur
imprimait un mouvement de va et vient à la patte gauche du porc ; il s’appuyait
sur elle, la relevait, et cela jusqu’à la dernière goutte du précieux liquide.
On ne perdait pas de sang puisque c’était la base du
boudin. On n’aurait jamais tué un cochon sans faire le boudin (Rachecourt).
La personne qui tenait la poêle avait retroussée
l’une de ses manches et « pétrissait » le sang chaud pour l’empêcher
de cailler (Rachecourt). Elle remuait sans arrêt et la fibrine s’enroulait en
longs fils autour de sa main (Lantages). Le sang ainsi traité était mis au
frais en attendant d’être employé pour le boudin.
Le cochon était alors hissé sur une civière,
elle-même posée sur un traîneau et tiré par un cheval, dans les accins, le pré
attenant à la propriété, derrière les bâtiments. (Saint Nabord). On choisissait
un endroit calme, sans vent, loin des tas de paille et fourrage, pour griller
le porc. Lorsqu’il ventait, on l’a vu griller sur la route
(Villeneuve-au-Chemin).
LES
SOIES
Avant de brûler le cochon, le saigneur arrachait la
soie sur le dos de la bête ; il l’enfermait en un petit sac et,
probablement, la vendait (Champignol). C’est une pratique qui a disparu que de
recueillir les soies du porc. Elle semble avoir été bien connue dans notre
région.
On rasait le porc ; on gardait les soies si
elles étaient belles (St Lyé). Elles étaient cédées au poids chez le
« marchand de peaux de lapins (Chesley). Arrachées et récupérées par le
tueur, elles étaient vendues fort cher (Onjon) ; revendues à son profit
(Venteuil).
Il se servait d’un instrument du genre crochet à
bottines. Etait-ce un véritable crochet à bottines ? Monsieur Tissut
d’Ervy utilisait une sorte de pointe métallique emmanchée de bois. A
l’extrémité de la pointe était soudé un bouton demi-sphérique faisant butoir et
destiné à éviter que les soies arrachées ne s’échappent. On enroulait d’un ou
deux tours, une petite poignée de soies autour de la pointe en la retenant avec
le pouce ; on tirait et on arrachait le tout. Le porc craonnais avait les
plus logues et les plus belles soies (Villeneuve-au-Chemin).
Avec le crochet, on procédait de la même façon. On
pinçait de la main gauche. La main droite faisait un tour, avant d’accrocher
les soies ainsi accrochées (chesley) pour faire des brosses (Isle).
A Rethel, si les soies étaient longues, elles
étaient prélevées par Dona, avec une sorte de vilebrequin. Ces soies étaient sa
propriété. A Bisseuil, on usait aussi du vilebrequin qu’on promenait sur le
corps de la bête. Les soies, arrachées par la rotation, s’entouraient à la
mèche et formaient un écheveau qu’on démêlait ensuite pour faire le fil poissé
utilisé par le cordonnier et le bourrelier.
Le tueur de Verrières préférait utiliser le rie-soie
car la soie tirée à la main avait quatre fois plus de valeur que la soie
arrachée à la moulinette.
GRILLER
LE PORC
On méprise chez nous l’eau bouillante, qu’on accuse
de ramollir les chaires. Ainsi s’exprime Cressot. C’est un fait qu’en
Champagne, on ne sait que griller le porc. On se refusait à l’ébouillanter dans
un grand baquet de bois, comme on le faisait ailleurs (Villeneuve-au-Chemin).
Il s’agissait en fait, de le débarrasser par le feu,
de toutes les soies qui le recouvraient. Pour cela, la bête était déposée,
allongée sur le sol recouvert d’un lit de paille et placée sur le côté, dans le
sens du vent. De la paille de blé bien sèche, régulièrement déposée sur tout le
corps. Feu mis, le tueur surveillait l’action de la flamme, la ralentissant ou
l’accélérant, afin de faire disparaitre la totalité des soies sans brûler la
peau (Pouan). Grillée sans être noire.
Il fallait confectionner des « falots »,
sortes de petites torches de paille, avec lesquelles on tapotait sous les
pattes pour que nulle partie du corps n’échappe au feu, pour chauffer plus
fortement, afin de mieux arracher les ongles (St Nabord).
Ces ongles ou écados étaient enlevés à chaud. Les
gamins se les disputaient pour en racler l’intérieur ; cela leur
paraissait délicieux. On donnait un coup de balai de bouleau pour évacuer les
cendres et une partie de la crasse, le porc était retourné pour être grillé de
l’autre côté ; balayé à nouveau.
Actuellement, le proc est « faloté » à
l’aide d’une torche alimentée par une bouteille de gaz, que le tueur promène
sur le corps du porc. La viande n’a pas le même gout dit M. Thorey de Rumilly.
[ Faloter un poulet, le passer à la flamme, le
flamber, après qu’il a été plumé. — Faloter un cochon, le griller avec de la
paille flambante. — (Bulletin de la Société des sciences historiques et
naturelles de l’Yonne, 1882) ]
Griller la bête donnait l’occasion de goûter aux
épinglettes et aussi, de croquer le bout de l’oreille grillée.
Blaise, le tueur demanda à Pierre son petit couteau
rouge. L’enfant le lui donna d’emblée, content, pensant que Blaise allait lui
couper un « quelque chose » d’extraordinaire.
Hélas ! Blaise, sournoisement, l’approcha de la
queue grillée, la souleva et partant d’un immense éclat de rire, enfila le
petit couteau dans le « trou » de la bête. Pierre, surpris, prêt à
pleurer ne savait plus que dire. Pendant que Blaise se tordait de rire, Pierre,
meurtri de honte et de chagrin s’éloignait déjà quand le farceur lui dit :
« Grosse bête, attends un peu, je te le rendrai
ton couteau. Attends que je vide les boyaux et tu l’auras » !
(Verrières).
Cette même farce est signalée aussi à Fayl-Billot.
Etait-ce le même tueur ??
GRATTER
LA COUENNE
Le brûlage terminé, la peau était bien tendue, on
passait au nettoyage en versant de l’eau à mesure que le tueur raclait la peau
avec un couteau à large lame pour mieux sentir la couane. Comme pour un rasage,
la partie la plus délicate de la bête était la tête.
Il raclait avec une sorte de râpe coupante, sans
manche, en versant de l’eau chaude sur la peau, pour enlever la crasse, les
poils et la paille (Verrières). Sous un filet d’eau tiède versé par un
assistant, à l’endroit du grattage, cela avec beaucoup de soin (Rethel). Avec
un arrosoir dont on bouchait une partie de l’orifice avec une pomme de terre
trouée afin que l’eau coule en petit filet (Venteuil).
L’eau utilisée n’était ni froide ni trop chaude. On
ne la versait qu’au fur-et-à-mesure du grattage, avec parcimonie.
On grattait avec un couteau, un tuilo (fragment de tuile) à Isle, une boite en fer percée de
nombreux trous à Bannes, une sorte de râpe à La Neuville-aux-Haies, une section
de lame de faux usée à Villy-en-Trode. Jusqu’à ce que l’animal soit bien lisse
et propre. On le brossait à la brosse en chiendent jusqu’à ce qu’il redevienne
blanc.
Si ce n’était déjà fait, le tueur arrachait les
ongles, nettoyait les oreilles et coupait le bout de la queue qu’il donnait aux
enfants ; c’était, pour eux, un vrai régal.
Quand un côté était propre, on retournait la bête
sur l’échelle à laquelle elle devait être suspendue et, dès que l’autre côté
était lui aussi nettoyé, on mettait le porc sur le dos et on amorçait l’ouverture.
On accrochait la bête à l’échelle par l’intermédiaire du gambillon dont on
glissait les extrémités sous les tendons des pattes de derrière. Ce gambillon
était accroché à l’échelle par sa partie centrale.
Certains tueurs fendaient la bête avant de la pendre ;
ils en détachaient la tête. Mais généralement le porc était suspendu avant
qu’on le vide.
A Isle, on amenait le porc à la maison, pour le
pendre dans un corridor, une chambre fraiche. On passait un tendeur dans les
pattes de l’animal, qu’on écartait. La corde était accrochée au milieu du
tendeur ; elle passait par un trou du plafond pour rejoindre un
tourniquet, dans le grenier.
Pendu dans le couloir ou dans la chambre à four, à
St Nabord, avec un pendeu, sorte de
morceau de bois passé dans les jarrets.
Plus souvent, semble-t-il, on le plaçait sur une
échelle spéciale, plus large qu’une échelle ordinaire, comportant moins de feuchios, des barreaux qui étaient
légèrement cintrés afin de mieux épouser la forme du corps de la bête. On
appelait cet instrument « l’échelle à cochon ».
On liait chacune des deux pattes de derrière de la
bête avec la longe qui avait servi à l’entraver, on procédait de la même façon
qu’avec un pendeu ; on fendait
le jarret, on mettait les nerfs à nu ; on passait ensuite la longe entre
la crosse de la patte et le nerf et on fixait solidement les deux pattes
écartées aux montants de l’échelle. Il n’y avait plus qu’à redresser celle-ci
et l’appuyer contre le mur.
A Bogny, l’échelle à sept barreaux comportait quatre
petites pattes afin que le porc soit isolé du sol ; deux crochets à sa
partie supérieure permettaient de supporter la barre que le tueur avait passée
dans les nerfs des pattes.
On ouvrait alors la bête. Pendue, la tête en bas,
elle allait être vidée de tous ses viscères. Le tueur avait à sa disposition
ses couteaux, sa scie à viande, le couperet et le fusil pour l’affutage. Le
premier travail consistait à inciser le corps du cochon par une profonde
entaille allant de l’anus jusqu’au milieu de la mâchoire. Tout l’intérieur
était enlevé et déposé sur une table à côté. On séparait les intestins, le
foie. On donnait les poumons gonflés et un peu de foie à la cuisinière qui les
préparait en ragoût avec beaucoup d’oignons. C’était le ramequin et le premier repas de cochon avec tous ceux qui avaient
participé à l’opération.
A Chesley, c’était la saignée que la maitresse de
maison préparait pour midi, un plat en général fort gras, fait de la viande que
le tueur prélevait de chaque côté du cou, additionnée d’un peu de sang.
Les boyaux étaient enroulés comme un cordeau autour
de l’avant-bras, coupés en longueurs égales au-dessus du fumier. Les hommes
vidaient le plus gros à pleines mains en les pressant tout au long. On les
nettoyait grossièrement. On les retournait, on les dédoublait en enlevant la
peau intérieure grâce au dos d’un couteau, à plat sur la table. On les mettait
tremper dans l’eau vinaigrée et salée.
Le travail de l’ouverture se faisait à la scie et au
couperet, ce qui permettait d’atteindre les poumons, le foie, le cœur, les
rognons. Les poumons étaient lavés, gonflés et maintenus ainsi en attendant
leur consommation. Le reste de la fressure, les abats : cœur, foie,
poumons étaient soigneusement recueillis et mis en réserve. La tête était
séparée du corps, directement en arrière des oreilles, bien lavée, débarrassée
de toute souillure de sang ; elle était mise en dépôt dans un baquet d’eau
fraiche. On retirait la langue pour la manger à part. Elle était lavée et
dégraissée, la graisse employée à la confection du boudin.
En détachant le foie, il fallait éviter de crever
l’amer, la vésicule biliaire, qui sentait mauvais et qui aurait risqué de
gâcher la viande ; ce fiel, on le pendait. Les bons vieux l’utilisaient
pour une piqure : un bon remède pour faire sortir l’épine qu’on ne pouvait
atteindre autrement (Lantages).
Les rognons étaient arrachés avec leur masse de
graisse et portés à la cuisine sur des assiettes ; la graisse allait être
fondue et pise à part dans des bocaux ; c’était la plus onctueuse.
Le cœur était ouvert pour le vider de son sang, il
était lavé et pendu dans la cave.
Rien n’est inutile dans le porc. La vessie, vidée de
son urine, gonflée avec un fétu de paille, nouée avec une ficelle, servait de
blague à tabac quand elle était sèche. Elle passait pour conserver au frais, à
l’abri de l’air , la précieuse réserve des fumeurs et surtout de ceux qui
chiquaient autrefois. On la lavait, on la rinçait on la dégraissait à
l’intérieur en ayant soin de ne pas la crever (Verrières). On l’assouplissait
en la maniant avec du son. Les jeunes filles la brodaient de ruban de couleur
avant de l’offrir à leur amoureux. Un employé de banque de Bar-sur-Seine en
avait fait une bourse dans laquelle il serrait les pièces d’or destinées à la
paie des ouvriers du chemin de fer alors en construction.
Utilisé ou on, on n’aurait jamais manqué de
l’accrocher à la porte de la grange ou du grenier, l’échangeant avec celle,
desséchée du porc précédemment tué, avec laquelle les enfants jouaient au
ballon.
Les ménagères recherchaient els vessies pour fermer
hermétiquement les gros goulots des bouteilles de fruits au sirop (Estissac).
Quand il était besoin d’appliquer de la glace sur la tête ou le vente d’un
malade. Coupée en deux et bourrée de chair à saucisse, on en pouvait faire un
gros saucisson.
Au Dierrey, on l’utilisait comme accessoire très
apprécié dans l’habillement des petits garçons. Ceux-ci jusqu’à ce qu’ils
soient propres, portaient la robe. On lavait peu autrefois. La maman doublait
la petite robe d’un rectangle de vessie ; le pipi jaillissant ruisselait
en cascade contre la paroi imperméable et s’écoulait. La robe n’était pas
souillée.
Légère, translucide, certaine bulle un peu fripée
rappelait le souvenir du porc, comme aussi ce lambeau qui fait glisser les
scies. Ce lambeau, c’était le nombril, le boudri,
qu’on suspendait lui aussi à une poutre du cellier où on le laissait sécher.
Tout béquillé par les chauves-souris, il servait à graisser les lames de scies
à bois. Le vagin de truie non dégarni de sa graisse, on l’utilisait aussi pour
graisser les chaussures (Trancault).
A Rethel, c’est la boudine. Si le porc est un mâle, il s’agit de son sexe, prélevé
avec le « nerf » qui l’accompagne.
DÉCOUPER
LE PORC
Le cochon vidé restait toute la nuit dans le
corridor pour « rassir » ; on provoquait un léger courant d’air
afin que la pièce garde sa fraîcheur. La viande se raffermissait, on ne
procédait au découpage que le lendemain, contrairement à d’autres qui
découpaient tout de suite.
Donc, le lendemain, Dona arrivait aux aurores et
s’installait dans le fournil. Il fendait d’abord le cochon en deux après avoir
enlevé la tête, découpé celle-ci, ôté la cervelle. De la tête on ôtait les
joues qui allaient être rôties dans la poêle. Excellent !
A Pouan, le porc totalement vidé de ses organes était
séparé en deux parties égales en fendant la colonne vertébrale dans toute la
longueur, à l’aide du couperet et de la scie. Chacune des deux moitiés étaient
coupées en deux, en quartier.
On découpait alors dans l’ordre : jambons,
poitrine, quartiers de lard. A cours du découpage on mettait de côté tout ce
qui pouvait servir à faire de la charcuterie et du boudin. Le
« saindoux » s’enlevait de dessus les côtes (Lantages). La graisse
(la panne) se détachait en plaques.
A Rachecourt, contrairement aux bouchers qui
fendaient le porc en son milieu, on coupait de chaque côté de l’échine, on
soulevait les côtes avec un peu de viande, ce qui laissait de beaux morceaux de
grillade. On détachait les jarrets, le râble, l’épaule appelée palote, avant de placer le tout dans le
saloir sauf les morceaux que l’on devait offrir et ceux que l’on gardait pour
être consommés frais.
A Somme-Suippes, on coupait aussi dans le sens de la
longueur une bande d’échine qui comprenait côtelettes et lard car la tradition
voulait que l’on offre aux voisins, aux amis, un morceau de porc : lard et
viande. C’est pour cette raison que l’on coupait la bête ainsi.
Quand la viande était découpée, on partageait le
rôti. Le tueur prenait généralement pour lui, le meilleur morceau (St Nabord).
A Chesley, il se contentait d’un petit côti
et d’un morceau de boudin.
On s’assurait que tout était prêt pour le
« repas de cochon », tout au moins prévus au menu : rôti,
grillades, chargés d’accompagner le boudin, l’andouille et le fromage de tête
qui devaient, eux aussi, être de la fête.
On offrait aux voisins un côti de 2 ou 3 côtes selon
l’importance de la famille, accompagné d’un morceau de boudin. On n’oubliait ni
le curé, ni l’instituteur. Pour ces deux derniers, il n’était nullement
question qu’on exige d’eux qu’ils « rendent » ce qu’ils avaient reçu.
Il en était tout autrement quand le colis était destiné à d’autres personnes.
Lorsqu’à leur tour, celles-ci tuaient le cochon, elles offraient en échange de
ce qu’elles avaient reçu : un morceau de boudin, un morceau de lard et de
la couenne non salée pour graisser les scies à bûches, comme à Saint-Lyé.
La charbonnée
de Rethel était composée d’un morceau de foie, d’un rôti, de saucisses et de
boudin. Elle était envoyée le jour même aux voisins et aux amis. Ceux-ci
renvoyaient le même présent quand eux-mêmes tuaient leur cochon.
Cette charbonnée
était, à Bogny, faite d’un morceau de collier et de boudin, à moins qu’on ait
joint au boudin des côtelettes. Un tel cadeau prenait le nom de grillade à Courtisols et à
Somme-Suippes.
Le gros du travail de découpage était terminé avant
midi. L’après-midi était réservé au nettoyage des ustensiles pendant que le
tueur s’occupait de la salaison.
SALER
LE PORC
Bien saler la viande était d’une importance
capitale. Si l’on excepte les quelques morceaux consommés frais dans les jours qui suivaient la mort du cochon,
c’était du salé dont on faisait usage toute l’année, sauf à profiter d’une
« part » fraiche quand voisins ou amis tuaient leur porc.
Tout était salé, sauf quelques grillades ou
côtelettes qui, une fois cuites, étaient mises en pots de grès et recouvertes
de saindoux. On mettait tout au saloir, un grand tonneau sans couvercle qui
devait être ébouillanté et rafraîchi. Un saloir de bois de plus de cent ans
d’âge qui avait été préparé et séché depuis plusieurs jours. Dans un demi-muid
coupé en deux, frotté à l’ail tout autour. Dans un grand saloir en bois et
aussi dans un pot de grès, pour éviter que la viande du grand saloir ne soit
souillée à l’occasion des premiers prélèvements de viande. Un saloir fait au
pays par le plus habile tonnelier, qui ne comportait pas un gramme de métal.
Les moins nantis se contentaient de 2 ou 3 saloirs de grès bruns (Verrières). A
Chesley, on préférait le saloir de grès car le tonneau faisait tourner la
viande.
On n’aurait pas aimé, en effet, que la provision se
gâte. C’est la raison pour laquelle le saloir devait être ébouillanté, frotté à
l’ail, séché avec soin ; c’est la raison pour laquelle on évitait de trop
manipuler ce qu’il contenait pendant les premiers temps de la salaison, avant
que le sel ait pénétré profondément dans la viande. On n’y touchait qu’à bon
escient (Verrières).
S’ils ne présentaient pas les mêmes avantages pour
la conservation du porc que les saloirs en bois, les pots de grès étaient plus
facile à nettoyer et à transporter. Mais, saloirs de bois ou de grès, on ne
négligeait aucune précaution pour que la viande ne se gâte point. On aseptisait
le pot en y versant du vinaigre, on y jetait une tuile chauffée dans la
cuisinière, on le couvrait aussitôt et on ne le chargeait que quelques minutes
après. Il fallait, au Chêne, bien rincer le pot et y laisser pendant quelques
heures, sous le couvercle hermétiquement fermé, une brique bien chaude, saupoudrée
de poivre.
Le tueur arrosait le saloir d’eau de vie ; il
en buvait une bonne rasade avant d’y placer les morceaux du cochon. S’il buvait
la goutte avant de dépose la viande dans le saloir, c’est afin qu’elle ne soit
souillée par son haleine. D’ailleurs, les femmes ne devaient pas approcher
pendant qu’on salait le porc. Encore moins les femmes qui avaient leurs règles.
A Arcis-sur-Aube, pour réussir la salaison, le tueur commençait par mettre à la
porte toutes les femmes, en période de menstruation ou non, car elles auraient
fait tourner lai sailmeure et aigrir
le lard.
Les morceaux préparés pour la conservation étaient
enduits de sel et placés dans le saloir, judicieusement répartis pour permettre
à la maîtresse de maison de trouver, sans trop déplacer l’ensemble, le morceau
qu’elle désirait utiliser. Une bonne couche de sel au fond. Chacun des morceaux
trempés dans un seau et roulé dans le baquet de sel avant d’être bien tassé.
(Lantages).Tout au fond, une couche de morceaux divers, les jambons par-dessus,
le moins de « trous » possible afin de ne pas enfermer d’air et pour
que la saumure monte d’elle-même. D’autres morceaux par-dessus.
Le procédé était simple, il suffisait de respecter
un certain ordre, de ne pas ménager le sel et de comprimer au maximum.
A Verrières, le tueur incrustait ses morceaux de
gros sel vigoureusement frotté puis, sur un lit salin, couchait les deux
jambons d’abord, les épaules, l’échine, bourrant les vides avec des morceaux
plus petits.
A La Neuville-aux-Haies, on déposait les andouilles
dans le « cul du tonneau », puis les jambons qui étaient ainsi calés
au-dessous par les andouilles et au-dessus par les découpes. Venaient les
épaules, le lard, la poitrine, les pieds, sauf s’ils étaient utilisés pour
rendre plus gras le fromage de tête.
Parfois le lard était traité à part. A Trancault on
descendait les pots à la cave, deux de viande salée plus ou moins pleins
suivant la grosseur du porc, et un de lard ; il s’agissait du lard du dos,
le plus épais, environ 8cm.On mettait une toile sur les pots. On bouchait avec
un couvercle quelques jours plus tard.
Les jambons méritaient qu’on s’intéresse
particulièrement à eux. A Rethel, on les découpait en premier et on les
paraît : du poivre autour de l’os rond, avec ail et laurier. A Trancault,
ils étaient rangés dans le fond du saloir. Au bout d’un mois et demi, on les
retirait, on les mettait sécher, enveloppés dans des sacs de toile et pendus aux
solives du plafond ou dans la cheminée. A St Nabord, ils étaient emballés dans
un torchon pour les protéger des mouches et mis dans le grenier, au courant
d’air pour continuer à sécher. Les jambons fumés à Faux-Fresnay se conservaient
ensuite dans l’avoine, comme les saucisses à Courtisols.
La salaison c’était l’avenir, la provision faite
pour de longs mois. S’y ajoutaient en quelques lieux les saucisses et le
saucisson. A Trancault, le saucisson était fait de hachis bien assaisonné, avec
beaucoup d’ail dont on avait enlevé le germe pour mieux le conserver. La chair
était mise dans un boyau. Tous les 20 cm on faisait un nœud et, un cm plus loin
un autre nœud pour départager. Pendant un mois, on les pendait dans une pièce
fraiche et dans la cuisine pendant la semaine suivante.
A Fayl-Billot, c’est la viande du collet qui servait
plus spécialement à la préparation des rillettes et du saucisson, mélangée avec
le lard gras.
La salaison était donc l’assurance que la ménagère
trouverait pendant des jours et des jours, pendant des mois, le morceau de
cochon et le morceau de lard nécessaire à la préparation des repas. Le saindoux
complétait agréablement le tout.
La panne fondue constituait l’unique graisse de
l’époque. La panne est la graisse qui entoure les rognons, la meilleure !
Comment préparait-on le saindoux ? Toute la graisse du cochon était
retirée, on attendait qu’elle soit refroidie pour la couper en morceaux. Le
lendemain, on pendait un grand chaudron de fonte dans l’âtre, on y mettait la
graisse coupée en morceaux, on remuait avec une cuiller en bois. Au fur et à
mesure que la graisse fondait, on la prenait avec une louche pour la verser
dans des pots de grès en la filtrant à l’aide d’une passoire. On remplissait
les pots qui refroidissaient avant d’être bouchés avec du papier et rangés dans
un endroit sec. Provision pour l’année (Verrières).
Le saindoux servait à faire de la bonne cuisine, ce
saindoux neigeux qui accommodait choux et pommes de terre… qui
« tirait » les épines et servait au rebouteux pour remettre les
« nerfs » en place.
Les cretons qui restaient de la cuisson de la panne
étaient utilisés pour confectionner des galettes
aux cartons ou tartes aux cartons de
sain, très appréciées.
Les maîtresses de maison rivalisaient d’ingéniosité
pour préparer certains morceaux de porc. Après les abats, la tête, les pattes,
le foie, faisaient l’objet d’une attention toute spéciale.
On mettait la tête à bouillir jusqu’à ce que les os
se détachent ; la viande était coupée grossièrement, assaisonnée :
oignons, ail, persil, sel, poivre ; avec aussi de la couenne. Le « fromage
de cochon » ainsi confectionné emplissait des pots ou des bols.
Ouverte et cuite au court bouillon, avec beaucoup
d’ingrédients, la tête faisait une excellente gelée. Désossée et mise en
terrines, cela donnait un très bon fromage de tête (Verrières).
A noter que la langue, les joues étaient souvent
retirées et dégustées à part.
Le pâté de foie était fort gras ; on le faisait
cuire au four, dans des plats en terre. Il ne se conservait pas très longtemps
en été bien qu’on le descende à la cave, au frais, dans un garde-manger à
grillages très fin, suspendu à la voûte, pour éviter les rats, les souris et
les mouches.
LE
BOUDIN
Pas de cochon sans boudin, rarement sans andouilles.
Les tripes avaient été préparées la veille ;
dès que le porc avait été pendu, aussitôt qu’on l’avait ouvert, l’intestin
grêle avait été séparé de sa graisse, on l’avait arraché. Mis dans un seau ou
une bassine remplie d’eau chaude, il avait été vidé et dégraissé.
Dans le petit intestin, il y a trois peaux ;
l’une est dessus, ne autre à l’intérieur ; il faut éliminer ces deux
dernières pour ne laisser que la bonne peau, celle du milieu. Dans l’eau chaud,
pas trop pour ne pas cuise, on a lavé les boyaux et avec un brin d’osier plié
en deux, on a coincé chaque boyau, on a tiré et les deux peaux inutiles ont été
éliminées. Ca faisait des tripes si fines qu’on « voyait à travers.
(Lantages).
Il ne restait que le boyau propre et sans graisse.
On soufflait dedans pour vérifier qu’il n’était pas percé. S’il l’était, on
coupait au ras du trou. Un nœud était fait à un bout et le boyau était disposé
dans un bol, la partie non liée dépassant à l’extérieur ; cela permettait
de la prendre ainsi plus facilement au moment d’y introduire le sang. S’il
arrivait que l’on manque de boyaux, on se servait d’un menu de mouton, boyau de mouton, salé, un peu plus petit que celui
du porc.
Pendant ce temps, les femmes épluchaient les
oignons, persil, coupaient et hachaient les glandes, la graisse de la gorge et
des boyaux.
Beaucoup d’oignons, que de crises de larmes
factices ! Pour le boudin, un tiers de sang, un tiers d’oignons, l’autre
tiers était de graisse, de persil et autres assaisonnements. (Verrières)
On faisait cuire les oignons avec une poignée de
panne coupée en petits morceaux dans une marmite pendue à la crémaillère. Quand
les oignons étaient cuits, ils étaient devenus transparents. A Bogny, dans une
cocotte énorme en fonte, qui avait servi à faire fondre la panne et les
riblettes de graisse pour en faire du saindoux, on laissait les lardons. On ajoutait
tous les petits déchets de viande, on laissait cuire puis on versait les
oignons et les épices. A Verrières, les cretons
égouttés devaient mijoter avec les oignons.
A Isle aussi, la plus grande partie des chons entrait dans la confection du
boudin.
Dans le chaudron, on faisait donc rissoler les chons avec un peu de graisse, des
blancs de poireaux, du persil et les oignons. On vidait le sang d’un seul coup,
on le remuait deux ou trois fois et on descendait le chaudron. Les boyaux, liés
par un bout, étaient emplis avec la boudinière ; on liait l’autre
extrémité et, au fur et à mesure, on déposait le boudin dans le pot qui avait
contenu le sang.
Le chaudron vidé, on faisait bouillir l’eau. Après
avoir « retiré le feu », on plongeait le boudin cru dans l’eau
bouillante pour qu’il y séjourne 20 à 30 minutes seulement. Une planchette
permettait de le garder sous l’eau pendant le temps qui lui restait à cuire
(Chesley).
A Lantages, le boudin était mené à feu doux. Il ne
fallait pas que l’eau bouille pendant le temps de la cuisson. Pour vérifier si
le boudin était cuit à point on le piquait avec une aiguille. Le liquide qui
sortait devait être clair et non rouge. S’il sortait du sang, c’est que le
boudin n’était pas cuit. Au contraire, la cuisson était terminée si la graisse
se présentait à l’orifice du trou d’aiguille. On retirait les boudins à l’aide
du bâton qui avait servi à les plonger dans l’eau et ils étaient étalés,
enroulés sur une claie à pruneaux qu’on avait au préalable garnie de la paille
sur une planche ou même sur un van en peau de porc. Un supplément consistait à
badigeonner le boudin de panne, ce qui lui donnait un brillant très agréable.
On mangeait pendant 8 jours, heureux quand on ne
mordait pas sur la queue du cochon glissée malicieusement à la place du sang
dans un boyau. Repéré à l’avance ce morceau farceur était offert en général aux
amis chasseurs, au cours d’un casse-croûte en plein air (Lantages). On aimait
aussi offrir le boudin « à la ficelle », laquelle s’incrustait dans
les dents de celui qui la trouvait dans sa part. On pratiquait le boudin salé à
l’excès, lequel surprenait toujours le gourmand.
Quant à l’eau de cuisson, elle n’était pas toujours
perdue. On l’appelait à Bogny, la « soupe à boudin ». Les voisins en
venaient chercher un ou deux litres dans de grands « pots de camp ».
Ce jus de cuisson appelé boudinée à Rethel, servait à délayer la pâtée du jeune
porc, celui qui remplaçait déjà la bête qu’on venait de tuer. Inconscient
« cannibalisme ! ».
C’est bien le cas de le dire : rien n’est perdu
L’ANDOUILLE
Le travail de l’andouille s’apparentait quelque peu
à celui du boudin. C’est d’ailleurs à la qualité du boudin et à celle de
l’andouille qu’on appréciait les talents du tueur. Les autres boyaux servaient
à la fabrication de l’andouille ; auparavant, ils étaient nettoyés à la
rivière, grattés, retournés.
Il s’agissait des grosses tripes que le tueur
grattait à l’eau chaude car la farine d’orge collait très fortement aux parois
et c’était fort difficile à enlever. Le tueur avait choisi la plus belle, la
robe. Il la liait avec une « osière » et la retournait avant d’y
enfourner toutes les tripes et la panse coupées en lamelles.
A Trancault, les boyaux restant étaient salés et
poivrés dans toutes leurs poches. On les allongeait côte à côte avant de les
attacher en leur milieu. Suspendus et repliés, ils étaient glissés dans un
boyau spécial que l’on choisissait, à Chesley, à la fin du gros intestin.
Mises à cuire dans l’eau du boudin, les andouilles
de Villeneuve-au-Chemin pouvaient être déposées directement au saloir. Après
les jambons, où elles prenaient le sel ou dans un pot contenant de la saumure.
On les mangeait dans le mois qui suivait mais on les
dessalait avant de les cuire. Quand, avec les jambons elles étaient sorties du
saloir et égouttées, on les pendait dans la cheminée ; le genévrier qu’on
y brûlait dégageait une fumée abondante et leur donnait bon goût.
Manger l’andouille marquait donc la fin de la
période faste de l’abattage du cochon, de cette période au cours de laquelle,
tellement il y avait abondance pour la maisonnée, la famille et les amis, que
c’en avait été une fête.
Les préparatifs de l’abattage s’étaient faits au
milieu d’un grand brouhaha. En effet, non seulement les maitres de la maison
avaient assistés à la scène, mais aussi les voisins, les amis et les parents
qu’on n’avait pas manqué d’inviter. C’était la boudinée. Si, de nos jours, personne n’élève plus de cochon, cette
tradition se maintient : lorsqu’on tue un porc acheté adulte, avant la vendange,
les voisins sont toujours invités à venir manger le boudin. (Venteuil).
A Chouilly, il aurait fallu des motifs bien grands
pour, qu’en pareille circonstance, parents et amis du traitant aient résisté
aux séductions d’un boudin savoureux et d’une appétissante grillade.
Les présents de la charbonnée aux amis, quand on tuait le porc et la réunion des
parents dans un souper pour manger la grillade et le boudin n’étaient point un
usage particulier au canton d’Aÿ. Cela s’observait dans tout le département
dit-on à Chalette (Marne).
A Festigny, la boudinée était bien un repas de
famille uniquement composé de viande de porc, repas très gai, qui se
prolongeait tard dans la nuit.
C’était à Trancault, le « jour de l’enterrement
d’Antoine ». Pendant la dernière guerre alors que tuer un cochon
constituait un délit aux yeux de l’ « occupant allemand »,
certaines personnes se sont télégraphié comme convenu : « Antoine
décédé, enterrement demain ». Ce jour-là, on mangeait les meilleurs
morceaux. On débutait par le boudin, quelques fois du mou. Le morceau de choix
était la grillade. On mangeait bien, c’était ripaille ! Le soir était plus
maigre malgré cette odeur de graisse qui flottait dans la maison.
A Champignol, le repas du jour consistait en la saignée, cette viande prélevée dans le
cou de la bête, autour de la plaie faite par le couteau, accompagnée du foie
mou ou poumon.
La saignée de Chesley, moitié grasse, moitié maigre,
plus grasse que maigre, était préparée avec un peu de sang. Dans la région
d’Arcis, on appelait cette saignée, « hochepot » et on la préparait
avec des pommes de terre et des navets.
A Neuville-sur-Seine, c’était la coueillée, mélange de viande du cou et
des abats, cuits au vin.
Quand il ne s’agissait que des abats, on parlait de gruotte par analogie avec le plat des
chasseurs fait avec le foie, la rate, les rognons, les poumons, du gros gibier.
Plus exactement les mots fressure, frochure,
fréchure… désignaient en même temps le plat confectionné avec les abats du
porc et le repas du cours duquel on les consommait.
Avec la rate, le poumon, le foie on faisait à St
Nabord, le ramequin accompagné d’une sauce au vin rouge, mangé le soir même.
Gros comme une noix de beurre dans le fond de la coquelle car, de la graisse il
y en avait assez, on faisait bien frire pour que ça jette toute la graisse. Un
verre de vin, ça cuisait comme ça. Bien épicé, comme c’était bon !
(Langages).
Ne pouvant être salée, la fressure était détachée
pour être consommée rapidement, en fricassée, avec des pommes de terre, relevée
par un verre de vin rouge ou accompagnée par une sauce piquante, aux
cornichons, quel régal ! (Verrières)
Dans beaucoup de villages, le dimanche suivant la
mort du cochon, on invitait parents et amis à faire le « repas de
cochon ». On appelait ce repas « la mort à cochon ».
A ce repas du dimanche dit ribote à Champignol, on invitait parents et amis, ainsi que les
jeunes mariés au mariage desquels on avait été invité au cours de l’année
précédente. La froissure était au
menu, c’est-à-dire : poumons, cœur et foie, à la sauce épaissie de sang,
ainsi que des grillades au vin blanc et du rôti.
Restaient la langue, la cervelle, le foie, les
oreilles, l’estomac que l’ingéniosité de chacun incitait à présenter d’agréable
façon, à condition que l’un ou l’autre de ces morceaux n’ait pas été, tout
simplement, incorporé dans le fromage de tête, l’andouille ou le saucisson.
La cervelle cuisait au court-bouillon, faite à la
poêle, elle était délicieuse. Les oreilles étaient cuites, comme les pieds avec
des pommes de terre. Rognons cuits en sauce. Pansro (estomac), mangé farci
d’épices. Le foie mélangé à de la farine, des œufs et du lait, tout cela cuit
ensemble dans le four de la cuisinière, donnait naissance au pâté de foie
conservé en terrine. A la couenne qui était mise à bouillir, on ajoutait
quelques morceaux d’abats, de graisse et un peu de viande. On hachait le tout
pour faire un excellent pâté de couane
à odeur de fumé (Verrières). Le Gala était une pâte à tarte sur laquelle on
mettait des lardons et que l’on faisait cuire au four. C’était une gourmandise,
les lardons étaient plus gros que les grêlons que l’on consomme actuellement à
Laubressel.
Les déchets de la cuisson de la graisse, les chons, entraient dans la confection de
gâteaux appréciés à cette époque-là, autant qu’une véritable pâtisserie. La cognote aux grêlons était une galette
très dure qui figeait un peu sous la langue quand on la mangeait (St Lyé).
Les titres de Cressot sont tout aussi
évocateurs : cervelle sautée aux oignons, palette confite, pieds grillés,
foie sauté dans la toilette… Collin y ajoute pour le Bassigny : ragoût des
oreilles croquantes, pieds à la sauce blanche…
C’était la période faste que celle qui suivait la
mort du porc, avant que, tous les abats consommés, il faille (avec parcimonie)
puiser au saloir.
La viande de porc était à Venteuil, présente tous
les jours sur la table, elle accompagnait tous les mets, le lard et le saindoux
en relevaient le goût. On prenait dans le pot au fur et à mesure des besoins
mais, avec cette viande salée, on ne pouvait faire que de la soupe, la
« soupe de cochon », aux choux et pommes de terre. On la mangeait le
midi, au moins trois fois par semaine.
A Isle, on mangeait du porc toute l’année, surtout
dans la potée qui était la principale nourriture. Mais il fallait le laisser
dessaler assez longtemps avant de le mettre dans la soupe ; au moins toute
la nuit.
Le porc était au menue tous les jours sauf le
dimanche jusqu’en 1910 environ, puis trois fois par semaine et, enfin plus
rarement et sans régularité, pendant ces trois dernières décennies.
Avec son élevage facile, son alimentation peu
coûteuse, sa croissance rapide, son taux de rendement très élevé, le porc
était, pour la famille paysanne d’autrefois, une ressource alimentaire
indispensable.
Cochon par-ci, cochon par-là, lard, saindoux, chaque
jour de la semaine ou trois fois seulement, de Noël au mois de novembre, on
retrouvait le porc sur la table rurale. Il
fut la pérennité dans l’alimentation de nos ancêtres. S’il n’en fut pas
l’élément le plus important en quantité, il n’en fut pas moins celui qui lui
apporta la saveur le petit quelque chose qui la rendait moins fade, et parfois
agréable.
Notes : A Bogny, pour l’élevage d’un porc, on calculait une terre de 10 verges de pommes de terre et une terre de seigle de même superficie.
____________________________
KIA !
KIA ! LOS GOURIS ! KIA !
Les recherches ci-dessous ont été effectuées par mon parrain Jean Dieudonné Bonnard alors qu’il était encore abbé. Je n’ai fait que retranscrire ses pages.
Le glossaire du porc reflète l’intérêt que l’on
portait à l’animal depuis des siècles. Chaque peuple, celte ou romain, franc ou
germain, nous a laissé le souvenir des signifiants, des épithètes qu’il
appliquait à la bête.
Le Couchon
vieux français cochon (1091) ; le couchnot :
cochonnet (fin XIIIe), dérivent de la coche,
la truie, plus spécifiquement la truie castrée destinée à l’engraissement.
Coche (fin XIIIe) est un mot d’origine celtique, houc’h en armoricain, hwch
en kymri, dont la racine se retrouve dans l’anglais hog. La cochote est
évidemment la jeune truie. En raison de son aspect le cloporte est désigné
comme le couchon d Saint-Antoine ou
le ptit couchon.
Le pourcho,
porc, le pourchio, pourcio, pouchnot, porcelet, en vieux français porcel (1190) ;
petit porc, nous vienne du latin porcellus,
petit porc, de porcum, porc. Le gardien
de porc est un poucher, de porcheril (1220). Une portée de porcelet
est une pouchlée. Pouchler du vieux français porceler
(1288) c’est mettre bas pour une truie. Mais pouchler signifie également
travailler d’une manière malpropre, de même que poucher devient une injure s’il
ne désigne pas nommément un porcher.
Porc et porcelet sont également des gouris, vieux français goret (1297),
car ils sont le produit de la gore
ou goure, la truie. Ce signifiant
est peut-être d’origine celtique car on trouve en kymri grwnaçu, armoricain
grinouza, gaël gronnsal, puis latin grunnire, l’ancien français gronir (1190)
devenus grongnier, grogner et groin.
Le bacon
(XIIe) est un porc tué et salé, mais aussi par extension un porc à l’engrais.
En celte, Kymri baccwn, irlandais bagun, c’est le lard. En francique bakko
désigne le jambon. Il semble que les anglais nous ont emprunté ce mot au XVIe
siècle puis nous l’ont rendu avec une prononciation « anglicisée » à
la fin du XIXe.
Le porc élevé pour être tué à Pâques est un pâqui. Volontairement ou non, il y a là
une confusion homophonique entre, d’une part le pasquis (1284), pacage, du latin pascuum, de pascere,
paître, d’autre part le latin populaire pascua,
de pascere, se nourrir et enfin
Pâques, en latin ecclésiastique Pascha,
du grec Paskha, dérivé de l’hébreu Pesach, passage. Il faut noter par
ailleurs que l’Église elle-même a entretenu cette confusion en demandant à ses
fidèles de profiter de Pâques pour faire leurs pâques…
Le cri de rappel des porcs kia ! kia ! ou
ktia ! ktia ! sert parfois de signifiant, principalement dans le
langage enfantin. A partir des mêmes onomatopées on a créé le mot toca, porc et tiâfer, manger bruyamment, comme un cochon.
La trouille
ou treue désigne la truie. Truie (1150) du latin populaire troia,
vient du jeu de mot latin porcus troianus,
porc « farci » ou porc de Troie (comme le cheval de l’Iliade) !
Il parait vraisemblable que la recette culinaire du porcelet farci dite
« porc troyen » n’est rien d’autre qu’une réédition de ce jeu de mot
par un cuisinier en mal de latinisme !?
« En
avant deux ! Les coches et les treues » ! Est l’expression populaire
signifiant « partons tous ! »
Treue
et trouille sont également des
termes injurieux. Le premier s’adresse à une femme malpropre, le second désigne
une femme grosse et nonchalante, une
grosse trouille.
Vra,
vrè
sont des formes contractées de verrat, du vieux français ver (1080), latin
verrem, porc mâle. L’expression « Qué
biau vra ! » s’adresse ironiquement à un enfant maculé, Sali.
Un lansron,
lanciron, laisron, est un petit cochon de 3 mois, qui n’est plus cochon de
lait, mais bon à engraisser. L’étymologie ne nous semble pas évidente.
Peut-être pourrait-elle se trouver dans lait, vieux français laith, du celte,
kumri llaet, gaël lachd, irlandais bleacht ? Elle ne doit pas prêter à
confusion avec son homonyme lanceron
(petit lance) désignant le jeune brochet.
Le souriat
est un cochon de troupeau, un cochon de
sonre, sourée, sourie, du vieux français soure, troupe de porc. Ce mot pourrait
avoir été construit à partir du latin suillum,
porc et du francique Herda, troupeau.
Si la porcherie est parfois une caban’à cochon, une baraqu’à
cochon, elle est aussi la porcillère,
pourcillère, porceillère. Ces mots semblent avoir été construits à partir
de porcel (1190) et porcherie (fin XIIe).
La soue est une seue,
du vieux français seu, sou (fin XIIe) latin populaire suitis, étable à porc. Par aphérèse on trouve asseue, aisseue, assoue, aissoue. Si ce toit à porc est petit,
c’est la seute, la soillote, vieux français soil (1160), latin suillum, de porc. On dit aussi le
ou la ran, et par aphérèse le aran, sans doute issu du vieux raniger
(1160) signifiant se réfugier. Lorsque les enfants jouent à la « boule au
bâton » ou à certains jeux de villes, ils creusent en terre un trou qu’ils
nomment la seu. Ceci n’est pas sans
rappeler le « cochonnet » des boulistes.
Le porc émet plusieurs cris. Ordinairement on
l’entend grongner, grogner. Mais le
dimanche, seul jour de la semaine où on laisse « le monsieur
jeûner », on l’entend couiner,
crier, du vieux français corneis (1160), corn (1080), latin corneum, corne,
trompe. Enfin, quand on le met à mort, il va s’régueuler, s’régouler
(sregule), de l’ancien goler (fin
XIIe), crier, latin gula, bouche des
animaux.
Sa nourriture lui est donnée dans une auge, le bac (bak), de l’ancien français bac
(1160), cuveau, dont l’origine est sans doute multiple. En effet, on trouve en
latin populaire baccum, en latin baccus, vase à vin, en celte armoricain
bak, barque, en vieil allemande Bach,
ruisseau, toutes choses qui peuvent contenir un liquide… on parle aussi d’une bourousse (burus) ou d’une bouronfle. Quand on sait avec quelle
délicatesse les porcs se plongent dans leur auge, on peut supposer que ce terme
vient de l’ancien borofler (XIIe), se
quereller, du germanique biroufan
tirer les cheveux. On dit d’ailleurs d’une personne qui dine bruyamment
qu’ « elle mange à la
bouronfle ».
La nourriture du porc est fort variée. Sa bouillie
de farine et de légumes est de la pouture,
du posson, pousson, vieux français peuture, polture (1119), pouture (XIIIe), pâtée des animaux,
latin populaire pultura, de puls, pultis, bouillie de farine. Le pât,
ancien past (XIIe) est un mélange de farine et de son détrempé dans des
lavures, latin pastum, nourriture. On lui donne également du lait-cramé, contraction du français
lait écrémé, du lait-clai, petit
lait, mot-à-mot « lait clair », de l’ancien clarir (XIIe), latin
populaire clarire, de clarere, devenir clair. Le purion, puron est le lait résiduel du fromage, du vieux français
purer (XIIe), du latin purum, sans mélange. Ce mot à la même origine que le
français purin. L’échaudure est une
bouillie d’orties dioïques, mot issu de eschaldure (1125), brûlure, latin
populaire excaldare, du latin caldare, brûler. On lui offre bien sûr la rlaivure, l’eau de vaisselle, du vieux
relaver (1175 – Chrétien de Troyes) de laver (980), latin lavare, dans laquelle on a mis le rpassin ou rbulet, le
son destiné aux porcs. Il apprécie également les pâtées de pommes de terre
écrasées, la potée de l’ancien
français potée (XIIe), de pot (1155),
latin populaire pôttus, sans doute
d’origine préceltique ou la caboulée (kabule), caboulie (kabuli), taboulée (tabule), tamboulée qui a la même origine que tambouille (1867), formée à
partir de tant (1080), latin tantum,
tellement et de bouillie, bolie
(XIIe) de bolir (1080), latin bullire.
Tous ces repas sont cuits dans une grosse marmite en
fonte dite cabouloire (kabulwar), chaudire, chaudrote, de l’ancien chalderon (XIIe), chalderel (XIIe), chaudron, de chalt
(Xe), latin calidum, chaud.
Il faut ensuite mander,
monder, curer la porcherie, du vieux français monder (1170), nettoyer,
latin mundare de mundus, pur, pour retirer le fien
(fin XIIe), latin populaire femita,
de fimum, fumier, d’où s’écoule le frezil, fressil, l’urine. L’étymologie
de ce mot se retrouve dans fressange, fressage
(1184) du germanique frisking, jeune
porc de frisk, frais. De là vient
également l’expression populaire « il
fait frisquet » pour dire « le temps est frais ».
Le porc est sujet aux maladies. Un porc ladre est sorsemé. Ce mot est constitué à partir
de sore (Xe), latin super, préfixe donnant l’idée de démesure et de semer
(XIIIe), dépérir, latin populaire semare, de semi, demi. Les éruptions
pustuleuses de la gorge sont les barbes,
vieux français barbel (XIIIe), pointe, latin barba, barbe ou les poques. La racine européenne bhu donne
le sens d’enfler d’où le français poche (XIIe), du francique pokka, l’allemand
Poche, pustule, l’anglais bud, bouton et pocket, poche… Il peut également avoir
les soies (wa), maladie du cou, le rouget, vieux français rougeule (XIVe),
gale rouge, de roge (XIIe), latin rubéum, rougeâtre ou bien avoir un échaufment, constipation, contraction
du français échauffement.
Pour subir un meilleur engraissement le porc sera chatreil, chautré, castré de chastris (fin XIIe), chaster (1275),
latin castrare. La plaie recousue
sera un châtrure, mot formé à
l’image de cassure. Il pourra alors être graché,
engraissé, du vieux français grassece (XIIe), embonpoint, de cras (XIIe),
graisse, du latin crassare épaissir.
Avec son grougnon,
groin, le cochon est sans cesse occupé à fouilloner ou fonhnoiller
(par dissimilation consonantique), vieux français foiller (1283) du celte, armoricain c’houillia, kymri chwiliaw,
latin populaire fodiculare, fouiller. Pour cette raison, son groin, ainsi que
la pièce de fer qu’on lui fixe dans le nez, sont appelés feuillon, fuhion, feugnon, fouillon. Sa forte mâchoire est une gamache. La racine indo-européenne
gembh, mordre, se retrouve dans le sanskri jâmbhah, dent, le haut-allemand
Kamb, l’anglais comb, l’allemand Kamm, peigne. C’est aussi la naque (nak) puisqu’elle est constituée
de l’os maxillaire, la naquel. Ce
mot pourrait être le vieux nacaire, nagaire (1272) de l’italien nacchera,
castagnettes constituées de deux coquillages. En dialecte, naquer (nake) signifie claquer des dents et naquiller (nakije) grignoter, manger « du bout des
dents ». La tête du porc, c’est l’agadure
(agady : r), ce qui nous regarde, du vieux français agarder (Xe), agarer
(1270), regarder, du francique waron, d’où, haut-allemand be-waron, surveiller,
allemand gewahren, apercevoir, anglais to beware, se garder. Ce qui fait que
nos automobiles possèdent aujourd’hui des warning, feux de détresse, qui nous
gardent parce qu’on les aperçoit… Pour en revenir à notre tête de cochon, elle
s’appelle également rgardure et rgaidiure. La trachée artère est le garguillot, vieux français gargote,
gargaite (1155), gorge, dont la racine indo-européenne gwer se retrouve dans le
sanskfri gargarah, le celte gargadenne, gosier et, bien sûr dans les célèbres Gargantua et Gargamèle. Les bajoues
sont les aibajoues, abajoues (1766)
par agglutination de l’abajoue, de bajoe (1390), joues pendantes. Ce mot est
constitué de bas (XIIe), latin bassus et de joe (1080), celte armoricain javed,
joufflu, jôt, joue. Le pied de porc (une spécialité de Sainte-Ménéhould) est le
trotingnon, trotignon, du vieux
français troter (1160), dont la racine indo-européenne drâ, dreu, courir,
apparait dans le sanskri drâti, il court, le celte armoricain troad, trota,
kymri troed, trotiax, gaelique trot, troidh, pied, le haut-allemand trottôn et
l’allemand trotten, courir, treten, marcher. « Bailler los quat trotignons et l’agadure » est une expression
qui signifie « tout donner ». Les sabots du porc sont des ongles, des
cados ou écados, probablement dérivé de écale, escale (1112), racine
indo-européenne skel, couper, d’où le sanskri kalâ, petite partie, puis le
francique scala, scalja, tuile. Sans doute par confusion avec ergot, ils sont
également appelés des argots, du
vieux français harigot (1180, Chrétien de Troyes) argoz (1160), aiguillettes,
ce qui déchire la viande, germanique Harion.
Le nombril, dont le lard, avec celui pris à l’anus,
sert à graisser les lames de scies, est le bitri,
boutri, boudri, ou la boude, de
l’ancien bode (1220) sans doute dérivé du latin botellus, petite saucisse (en
raison du cordon ombilical). Par euphémisme, le pénis est aussi la boudine (budin).
La rate est la raite
ou la mice, nice, niche et par
agglutination anice (anis). Ce mot
pourrait avoir même origine que nielle (émail, noir), vieux français neeleis
(XIIe) noiel (XIe) du latin nigellum, noirâtre. Les ainhmotes, aimourètes, amourètes sont, par euphémisme, les
testicules de l’ancien amorete (XIIe), de amor (842), latin amor, amour. L’estomac,
c’est le pansro, pansreu de pance
(1155), ventre, latin pantices, pantex, abdomen. Quant à la ventraille, elle désigne les
entrailles, ventraille (1169) dérive de ventre (1080), latin ventrum, estomac.
La veussi, vsie ou fchie, c’est la vessie (1190), du
latin populaire vessica, de vesica. C’est aussi le pisreu du vieux français piz, pis (1260) latin populaire pissiare,
uriner. Le pénis est également le pissou
(pisu), pichot, soit par analogie
avec pisse, urine, soit par extension de l’ancien pices, piches (1277),
testicules.
Quant à la queue du cochon, c’est par ironie la suite de porc ou la suit’de Monsieur, de l’ancien sieute
(XIIIe), de siuvre (980), latin sequire, qui désignait la Suite, le Train des
Nobles !
La mise à mort du porc, l’abattage est la tiueison, tueison (1180). Le cochon
sera tiué (tiye), de tuer (1160),
assommer, latin populaire tutare, éteindre. Sa carcasse est la tuasse, tiuaisse, de tueis (1155),
action d’égorger. Lorsqu’on égorge le porc, le sang broche, il jaillit et se répand en un gros filet sur la gorge. Ce
terme est également usité en héraldique pour désigner une pièce qui passe
par-dessus l’écu, de l’ancien français brochier (1080), passer l’aiguille, de
broc (XIIe), objet pointu, latin populaire broccha, pointu de broccus.
Le porc est ensuite passé à la flamme, faloté avec une torche, le falot. La racine indo-européenne bhel,
briller a donné le sanskri bhâlam, éclat, le grec phlox, flamme et l’ancien
français falot (XIVe), fanal. Dans le même sens, on dit également feurler, de frioler (1265), frire
(1190), du latin frigere, frire, ou bien groulir,
grôlir, de l’ancien graelir (1180), griller, du latin craticulum, gril.
Le porc est ensuite détripé (detripe), éventré, mot formé à partir de tripe (1243), arabe
therb et de la préposition de
marquant la séparation. Pour subir cette opération le cochon est suspendu à un
appareil qui est désigné différemment selon sa constitution : le charnier, vieux français charnier
(1202), échalas taillé dans du charme, de charne (1175 – Chrétien de Troyes),
latin carbinum, charme : le jambeillon,
gambillon, de gambe (1080), jambe,
latin populaire gamba, jarret du celte, gaëlique gamban, gaulois garrâ, jambe,
grec kiampé, racine indo-européenne kamb, articulation : le cueuchrot, crochet, de l’ancien
croceron (1180) croche (fin XIIe), du scandinave krôks, croc : la corbote, croc du vieux français corbe
(1265), latin curvum, racine européenne ker, ger, courbe : l’éprone de esperon (1080), francique
sporo, gothique spora, éperon : le
pendou, pendeur, pendoir (1182),
du latin populaire pendere.
Le ragoût de rate, foie, poumon et cœur est la frochure, forchue, froissure, la
fressure, de l’ancien froissure (1220), latin populaire frixura, de frixare,
frigere, frire. La fricadèle est un
ragoût de foie et de cœur, le fricandeau (1552). Le ragoût de foie et poumons
c’est le gopître, la garitaine, gruate, gruète, gruyote, gruote,
mots sans doute dérivés de cruos (Xe), latin cruento, cruor, sang. La gruote désigne également la fressure de
sanglier et, avec un sens péjoratif, la délivrance d’une parturiente.
L’expression « aller manger la
gruote » signifie alors rendre visite à une femme en couche.
La chorée,
désigne l’ensemble des abats du porc, peut-être de l’ancien français churel
(XIe), ordure, ou en analogie avec le chorion, enveloppe de l’embryon, du grec
khorion ( ?). Le ragoût de poumons et de foie cuits dans une sauce au bin
est le contrôle ou la riblète de l’ancien ribelete (XIIe),
tranche de lard grillé avec des épices, de riber (1170), faire la ribote, être en débauche, de l’ancien haut-allemand rîban,
frotter. Le foie est un atlet, sans
doute par similitude, du vieux français astele (1155), latin populaire astella,
de astula, planchette. Les côtes de porc sont les côties, de l’ancien costil (1112), coste (XIIe), latin costa, côte.
L’épaule est la palote, de pale,
pele (XIe) palete (1220), petite pelle, latin pala, par suite de l’aspect de
l’omoplate. Une fois salée cette omoplate deviendra le paie. L’échine peut être l’échinée,
du vieux français eschinée (XIIe), de eschine (1080), du francique skina. La
même origine étymologique se retrouve dans une expression fort connue et que
l’on utilise lorsqu’à la suite d’un travail où l’on et resté longtemps courbé
on a des courbatures ou des douleurs lombaires « avoir l’écainia ou l’écania ». Cette échine peut-être également l’épinée (épine), de l’ancien espine
(XIIe), latin spina, épine, d’où le français épine dorsale. Le rôti de porc a gardé son ancien nom de rôt, de rost (1180), rostir (1175,
Chrétien de Troyes) du francique raustjan,
haut-allemand Rôstjan. Plagiant le « Memento homo » du jour des
Cendres, on récitait :
« Mement’homo
qu t’as maingé du rôt et qu t’en maing’ras pas d si tiot ! »
En manière de plaisanterie, les morceaux de lard et
les jambons pendus aux poutres de la salle commune étaient appelés airignées, du vieux français araignée
(1120), latin aranea, toile d’araignée : l’insecte lui-même étant une aragne (1160), du latin araneus…
Les boyaux vont servir à fabriquer le boudin. Ce
sont les bohyaux, bouyaux, de
l’ancien boelee (fin XIIe), latin botellum, boudin, saucisse. Quant au boudanj ou boudanlle, c’est le boudin, de bodin (1268), bode (1220) (cf.
boude). On le fabrique à l’aide d’un entonnoir dit corn-à-boudin ou boudinhnieur.
Si l’on en prend un grand morceau, on prend une escourgée d boudinlle, en vieux français l’escorgie (XIIIe),
escorgee (1175, Chretien de Troyes) est une courroie de fouet, un fouet avec
également le sens obscène d’escorgeon (XIVe), membre viril, latin populaire
excoria, de excorium, cuir. On dit également une aune ou une aunée d
boudinlle. Il semble qu’il ne s’agit pas ici de la mesure de longueur mais
de l’ancien aunée (1155), auner (Xe), du latin adunire, avec le sens
d’entassement, de tas. Ce boudin frais est égoutté sur une claie, la volète, c’est l’ancien mot volet (XVe)
désignant une assiette cruse, de vol (1175, Chrétien de Troyes), latin volare, d’où l’expression « tirer sur le volet », comme les lentilles !...
L’andouille est entièrement constituée
de boyaux et de chaudin. Son enveloppe extérieure est l’acote, du vieux français acostrer
(XIIe) revêtir, latin populaire accousuturare,
rapprocher en cousant. Après avoir été lavés, les boyaux sont grattés pour en
retirer la graisse, le ru. Ce nom
dérive du latin populaire rucina,
latin runcina, rabot. Il est de même
origine que la rouanne du sabotier
ou la rugine dont le chirurgien se sert pour gratter les os.
Autrefois, la viande de porc était totalement
transformée en sailé, viande salée.
On la mettait à sailer, saler, dans
un saiyou ou sailou, saloir, avec du sai,
sel. L’ensemble formait une selmeur,
une saumure, du vieux français salmuire
(XIe), que l’on appelait également mérate,
mèlar, mérote, meurote, de l’ancien muire
(1299). Tous ces mots ont pour origine le latin populaire salmuria, constitué des deux mots latins
sal, sel et muria, eau salée. Le saloir lui-même était constitué par une jâle, une barrique de bois, en vieux
français jarle ou gerle, panier.
Le lard était un aliment essentiel aux usages
multiples. Lorsqu’il est grillé, il frigousse
(frigus), du latin frigere,
frire. La couane (kwan), cuane (kyan), cane, couenne en vieux français coene (1265) du celte, kymri caen,
armoricain kenn, peau, servait à graisser les lames de scies. On la désignait
alors sous le nom de dagone (dagon),
mot sans doute formé par combinaison du celte caen et de darn, morceau. La panne (pan) graisse, plus
spécifiquement graisse du rognon est également d’origine celte, armoricain pann, gras. Le saindoux, graisse fondue,
est le saillin ou sain, du celte, kymri sain, armoricain saynell, graisse. Les éléments résiduels
de la fonte du saindoux sont les chons,
chans, chanos, chauyons, chaillons, ou gâlas. Ils ont leur origine dans le
gaulois caliavo, caillou. Ou bien ce
sont les groêlons, grèlons, graillons,
grillons, gratons qui tirent leur étymon du francique grisilôn, grésil.
L’expression « griller com du boudinlle dans eune bsaice » signifie ne pas
faire grand bruit car elle découle d’un jeu de mot sur griller qui a, d’une
part le sens de griller-frire et d’autre part celui de griller-sonner comme un
grelot. Une tranche de lard est un querton,
peut-être de l’ancien français quarteron (1268), quart d’une livre, du latin quartum. Les mots creton et carton qui
désignent également les chaillons pourraient peut-être dérivés de querton. Ceci pourrait expliquer le nom
de la pâtisserie dite « galette de
carton ». Une autre pâtisserie, le garillon faites avec des lardons est sans doute une dissimulation
de graillon. Le Toutlo, gâteau de farine et de saindoux vient de l’ancien français
tortel (XIIe), gâteau, tourte, latin
populaire torta panis, pain rond.
Lorsque l’on tue le porc on ne manque jamais d’en
offrir quelques morceaux aux voisins. On va leur porter la grillade ou la chairbounée,
charbounée, charboneille,
charbouneille, charbonée. Ce mot a été formé à partir du vieux français charn, char (1080) latin carnem, viande et bone (XIIe), latin bonum,
bienfait, aumône.
Pour finir, citons deux expressions enfantines, s’sailer lorsque l’on quitte le jeu
pour un certain temps en réservant sa place. Manger du lard, lorsque l’on triche en prenant une avance
irrégulière sur les autres joueurs.
Un joueur dit du jeu de colin-maillard de
Clairvaux :
« Gallimard,
Veux-tu du lard ?
Veux-tu des pommes peuries ?
Et bein, charche ta
vie ! »
Jeu
qui n’est sans doute pas pour eun grand
dépendeu d’andouilles !
Enfin, si vous avez un abcès, placez dessus eune piau d vieux oing, pellicule qui couvre le lard ranci, c’est un bon résolutif !
Par
l’abbé Jean D. Bonnard
A
Troyes
Les étables à porcs, connues sous le nom de soues,
(« seulz » au moyen-âge) étaient encore fort nombreuses dans notre
ville au début du XVe siècle. Si nombreuses et sans doute si malpropres et
malodorantes, que la Cour des Grands Jours, siégeant à Troyes en 1402, avait
été amenée à les frapper d’interdit.
Aux termes de l’arrêt, il était
« fait défense de par le Roy et sur grosses
peines que nul désormais ne tienne pourceaulx en la ville de Troyes, à
savoir :
- en un jardin près de la rue de la Petite Tannerie et assis près de la Grant Rue Notre-Dame (Emile Zola),
- plusieurs seulz en la ruelle, entre la rue de la
Grant Tannerie et la rue de la Corderie (Louis Ulbach) ;
- trois seulz en la rue de la Pierre, vers le
Beffroy ;
- une, en l’hostel à l’enseinge de l’Ecu de
Bourgogne, vers la porte de Paris ;
- deux aultres en la Grant Rue, près de
Saint-Urbain, et une devant l’église.
D’ici la Chandeleur, les fossés des dites doivent
être comblés ».
Ne demeuraient tolérées, sans donner titre pour
autant, que les soues ouvertes sur le Meldançon et autres bras de rivière, à
condition toutefois que les fossés en seraient curés au moins deux fois la
semaine, et ce entre « dix heures du soir et deux heures après
minuit ». Prévoyante et soucieuse déjà d’écologie avant la lettre, la Cour
des Grands Jours de 1402 entendait ménager la santé, mais aussi les narines de
nos très anciens concitoyens.
Une
curieuse obligation
« De toute ancienneté, lit-on dans un document des Archives municipales de Troyes, les bouchers troyens étaient tenus, chaque année, entre Noël et la Chandeleur, d’aller à la Maladrerie des Deux-Eaux, sise à Bréviandes, attelés à un chariot sans chevaux ni aucune aide et d’amener à Troyes le chapelain de la Maladrerie. Quand le chariot était arrivé, les bouchers le chargeaient de 25 porcs parés et le chapelain ayant repris place, le chariot était tiré de Troyes à Bréviandes (6km) par les mêmes bouchers, la tête ceinte de chapeaux de verdure, les ménétriers de la ville courant devant eux. Le voyage s’effectuait sous les brocards des assistants ».
Aucun texte ne permet de connaitre les raisons de
ces brimades, qui s’apparentaient davantage à une cérémonie expiatoire qu’à une
simple servitude. La lèpre étant connue à l’époque sous le nom de ladrerie,
faut-il croire que nos concitoyens du moyen-âge accusaient les bouchers d’avoir
multiplié le nombre des lépreux, relégués à Bréviandes, en débitant des porcs
atteint de ladrerie ?
Nul ne saurait le dire ! Ce qui est certain,
c’est qu’à plusieurs reprises, notamment en l’an 1316, les bouchers troyens
avaient essayé de se soustraire à cette humiliante démonstration. Un arrêt du
Parlement les avait condamnés à s’y soumettre comme par le passé. Mais, en
1427, les intéressés ayant refusé de trainer le chariot au-delà du faubourg Croncels,
l’assemblée générale des habitants, tenue le 25 janvier 1428, décida de les
libérer définitivement de toute contrainte ; moyennant le paiement d’une
redevance.
L’accord intervenu prévoyait que chaque année,
« le jour de saint Barnabé, le maitre-boucher accompagné de 8 ou 10 autres
bouchers notables apporteraient en la galerie du Beffroy la quantité de 12
marcs d’argent fin (2940 grammes), ouvré en 12 tasses signées au poinçon de
Paris, chacune étant verrée d’or et martelée de la plus belle façon qui aura
cours ».
Il n’est pas inutile de rappeler que les 12 tasses
d’argent fournies par les bouchers en 1474 étaient estimées à 123 livres
tournois, somme considérable à l’époque.
LE
REPAS DE COCHON
Menu
réglementaire :
« Potage. Relevé composé de tête :
oreilles, langue, joues et museau en façon de pot-au-feu. Boudin. Gruotte (fricassée
de foie, poumons, cœur, rognons). Grillades de filet ou de riblette en beaux
morceaux dorés. Rôti de porc. Salade. Fromage. Pruneaux cuits et viscuits.
Café. Eau-de-vie et liqueurs.
Des légumes ? Oh ! Jamais, grand Dieu. Ce
serait insulter ses convives ».
Histoire de Somme-Fontaine, Saint Lupien, 1920
On absorbe d’abord « la soupe de viande »
puis le « bouilli » de cochon. Ensuite, le boudin, élément essentiel
dont la consommation donne lieu à de véritables compétitions. Puis les
grillades. Pis le rôti, ordinairement constitué par une paie de cochon (rôti de
fesses) (Langres).
Quelques
souvenirs de nos anciens
« Je me revois encore, les soirs d’hiver, dans
la forge obscure, regarder travailler le maréchal et son commis (14 ans), qui
« frappait devant » malgré son jeune âge.
Ils découpaient des « lopins » dans de
vieux bandages de roues pour les transformer en fers à cheval qui prenaient
leur place au plafond. Je me revois à) 9 ou 10 ans essayent de faire des
fausses mailles en même temps que le commis apprenti.
Ce commis couchait hiver comme été, au-dessus de la
forge, dans une cahute tout à tout glaciale ou brûlante où l’on accédait
seulement par une échelle.
Là, j’ai appris inconsciemment à tremper et à
obtenir le « revenu gorge de pigeon » que le forgeron camouflait
ensuite en passant un chiffon graisseux sur la pièce trempée en disant :
« Ça ne regarde personne la façon dont je trempe » ».
Ce même forgeron, m’avait envoyé au printemps
chercher la « clef des champs », j’ai dû alors parcourir tout le
village, frappant de maisons en maisons pour que l’on me donne la fameuse clef,
mais personne ne savait où elle était…
Charles Gallet –
Saint-Aventin
La
boutique
Mon grand-père maternel était menuisier à Arthonnay,
menuisier de père en fils depuis avant 1789. Son atelier était « la
boutique », donnant sur la rue avec une grande baie vitrée.
Il y avait deux portes à cette boutique, l’une sur
la rue, l’autre sur la cour. Il ne fallait surtout pas les ouvrir car on devait
éviter les courants d’air. Au moment o le grand-père « collait »
divers objets, on nous disait « Ne passez pas par la boutique ».
Albert Lamy -
Verrières
Je terminerai cet exposé sur le cochon pour dire que nous avons, avec ma mère, élevé un cochon…
« sans nous y attendre » !
L’histoire commence un soir d’octobre ou je décide
avec un ami d’emmener maman faire un loto dans une campagne voisine de la
nôtre… Là, nous rencontrons des personnes que nous connaissons et nous mettons
ensemble à une grande table. Nous achetons 10 cartes chacun. Ça parle fort dans
la salle, ça rigole, quand soudain, l’animateur demande silence et nous
explique le déroulement de la soirée…
On entend des « carton plein », des
« déjà ? » ; la soirée bat son plein, on s’amuse bien,
maman a déjà gagnée une bouteille de champagne, moi un porte-clefs, bref on
rigole ! On joue, on perd, on joue puis l’on gagne une hucherie… Tout cela
dans une ambiance bon enfant.
Vient l’heure du gros lot (à la fin,
évidemment) : 1 télévision écran géant ! lot de consolation : 1 porcelet
Et là… patatrac ! mon ami gagne : le
porcelet !!!
C’est ainsi que Kiki est entré dans la famille ! Fort heureusement à l’époque nous habitions une ancienne ferme à l’extérieur du village près de Chaource.
Nous avons donc élevés Kiki en lui donnant tous les
soins possibles, même trop pour un cochon dirons certains. J’allais au moulin à
Saint-Julien (aujourd’hui fermé) pour acheter de la pouture à laquelle nous
ajoutions des légumes du jardin, que nous faisions cuire dans une grande
marmite.
L’après-midi, quand nous étions présents, nous
sortions Kiki dans le parc pour qu’il puisse de rouler dans l’herbe et en
manger. Il aimait venir se frotter contre nous, il nous parlait et mangeait
gloutonnement les morceaux de pain dur que nous lui donnions… Il était heureux !
Et puis un jour… est arrivé ce qui devait arriver…
ainsi va la vie à la campagne… nous ne pouvions pas le garder indéfiniment, il
pesait près de 150 kg.
Nous avons donc fait venir un boucher qui est venu
voir sur place et qui nous a demandé de préparer tout ce dont il avait
besoin : quantité de sel, de poivre, d’épices, d’oignons, aromates… de
préparer des vieux draps, table, eau, bassines etc.
Il est revenu 8 jours plus tard vers 8 h00 du matin,
il était équipé d’un pistolet d’abattage. En une fraction de seconde Kiki était
parti au paradis des cochons… Nous l’avons pendu à une échelle en bois, la tête
en bas et le travail du boucher a commencé pour se terminer vers 16h00, heure à
laquelle nous avons pendu la carcasse enveloppée d’un drap, au crochet de la
cave voûtée. Le boudin était fait, les andouillettes, etc…
Le lendemain, alors que la viande avait rassise
toute la nuit, le boucher a fait des rôtis et autres morceaux de viande…
Maman a fait des pâtés, fromage de tête, et autres
gourmandises… moi j’ai assisté le boucher…
C’est ça aussi la vie à la campagne… même en 2000 !
La saint Cochon (aussi appelée saint Boudin) est une fête traditionnelle rurale française célébrée dans plusieurs régions, dont le Morvan, notamment à Vézelay.
Les dates et les pratiques sont variables selon les
régions, mais se situent en général entre novembre et avril. Elle peut être
célébrée tant à titre privé (directement dans les fermes), qu'à titre public
lors de fêtes villageoises comme à Besse-et-Saint-Anastaise (63), chaque année
à la mi-janvier.
La saint Cochon débute toujours par l'abattage d'un
porc. Ces fêtes s'organisent ensuite autour de la dégustation de charcuterie,
de grattons ou de boudin.
Cette fête est aussi présente en Europe centrale,
notamment en Croatie, en Slovaquie, en Tchéquie et en Serbie.
Depuis 1993, à Besse, dans le Puy-de-Dôme,
mi-janvier se déroule la Saint Cochon. Cette manifestation gastronomique permet
de déguster de la charcuterie et des plats régionaux. Elle est animée par des
concerts, du théâtre, une banda et une fanfare, des concours et des repas
terroir.
Depuis 2006, à la mi-juillet, à Junhac se fête le
porc de montagne. Traditionnellement sont dégustés le porcelet farci, le jambon
braisé ainsi que des tripoux. Au cours de ces journées sont prévus des ateliers
et animations pour enfants, animations musicales, expo vente de produits
régionaux, tiercés et foires aux cochons.
Aujourd’hui sur les marchés mais aussi dans certains
supermarchés, nous avons la fête aux jambons.
Ne
cherchez pas sur le calendrier, la Saint Cochon n'existe pas.
Fête mobile située entre le 15 novembre et le 15
décembre elle était le prétexte à des repas incroyables.
Dans chaque ferme, un cochon choisi parmi les
nichées de l'élevage avait été engraissé avec un soin peut-être un peu plus
particulier que l'ensemble des pensionnaires destinés à la vente. Il était à
cette époque de l'année sacrifié pour la consommation annuelle de la famille.
C'était une belle bête, cent vingt à cent trente kilos de chair, de lard, de
graisse. L'animal au jour fatal était tué par un spécialiste et la journée
était occupée à découper le cochon. Il fallait préparer les jambons, pattes de
derrière et épaules qui allaient être salés et, les jours suivants, mis à
sécher pendant quelques temps et ensuite sous la protection de sacs en toile
pendus aux poutres de la pièce commune à côté de ce qui pouvait rester de
l'année précédente. Il fallait aussi faire fondre la "panne" grosse
masse de graisse à l'intérieur de l'animal et qui donnait le saindoux. Versé
encore chaud dans des pots en grès le saindoux était entreposé dans la resserre
à côté de grands saloirs contenant le lard gras et maigre et le petit salé. La
maîtresse de maison aidée par des parents ou des voisins s'affairait à
fabriquer le boudin, les rillettes, le fromage de tête, le pâté. Elle faisait
aussi pour utiliser les "griaudes", petits résidus de saindoux fondu,
un pain légèrement brioché, truffé de ces petits lardons, excellent
certainement, mais assez indigeste. Peu importe la fête était pour le dimanche
suivant.
Repas au cours duquel il n'était servi que du cochon
sous toutes ses formes. Chaque invité repartait avec quelques côtelettes, du
boudin et du pâté. Comme les parents fermiers et les voisins se rendaient la
politesse, on peut considérer que pendant un mois il était mangé du cochon tous
les jours !
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